Tumgik
n-a-colia · 1 year
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Mon premier livre est sorti aux éditions Vérone.
« La rose du fou » est un roman à suspens qui vous tiendra en haleine de page en page !
Retrouvez-le sur le site de la FNAC :
https://www.fnac.com/SearchResult/ResultList.aspx?Search=9791028424084
Sur Amazon :
Ou directement sur le site des éditions Vérone :
Bonne lecture !
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n-a-colia · 1 year
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L'Etoile Rouge
Ce que vous vous apprêtez à lire est une nouvelle.
Chapitre I :
         Un regroupement interplanétaire avait eu lieu et le conseil avait décidé de me laisser mener la “ mission de l’étoile rouge ”. C’était une mission dangereuse mais les politiques avaient insisté pour que je sois à la tête de l’expédition. Peut-être que certains – un peu naïvement – avaient jugé bon de m’y envoyer du fait de mes exploits dans la guerre de Grabon. Peut-être – et même certainement – que d’autres avaient voté pour que j’y aille dans le but que j’y reste, comme un agneau que l’on envoie à l’abattoir. Il est vrai que mes idées ne faisaient pas l’unanimité mais elles avaient fait leurs preuves. J’avais gravi les échelons à une vitesse surhumaine et je devais maintenant inquiéter les grands de ce monde qui aimaient garder leur cul bien au chaud sur leur fauteuil réservé à leur nom. Les politiques du conseil devaient secrètement espérer que j’y sois occis : Éliminer un adversaire dans les règles de l’art… Je passais donc de chef de guerre de la plus grande armée interplanétaire, à chef d’expédition périlleuse, au commandement d’une troupe d’Hommes qui n’avaient probablement jamais tenu une arme de leur vie.
         Nous étions partis sur-le-champ et nous avancions dans l’espace depuis trois jours déjà. Le vaisseau que nous avions était le “ FL-3100D ”. Un vaisseau capable de s’ouvrir autour d’une étoile pour l’encercler et ainsi pouvoir l’éliminer après avoir déployé un bouclier protecteur. La mission aurait été simple si l’étoile rouge en question n’était pas déjà à une phase d’effondrement avancée. Le simple fait de trop s’en approcher aurait pu causer des dommages matériels importants au vaisseau. Il fallait donc une minutie exceptionnelle et une bonne organisation. Heureusement, si je n’étais pas entouré de guerrier, j’avais au moins à mon service des intellos remarquables. J’espérais seulement qu’ils sauraient garder leur sang-froid…
         Je me tenais droit, les mains dans le bas du dos devant une vitre dans un des nombreux couloirs blancs de mon vaisseau. J’observais l’étoile rouge. De l’endroit où nous étions, elle n’était qu’un point d’un centimètre ou deux au loin, mais elle grossissait à vue d’œil. Bien que nous avancions à une vitesse folle, ce n’était rien comparé aux vaisseaux de combat. Le FL-3100D était bien trop grand pour se permettre une trop haute vitesse de pointe.
« À quoi pensez-vous ? »
Je me tournai, surpris dans le cours de mes pensées. C’était Charlotte, mon second. Elle m’avait rejoint en silence et je ne sus dire depuis combien de temps elle était là. Je retournai mon regard vers l’étoile.
« Je pense à des choses auxquelles il vaut mieux ne pas penser… À votre présence ici, j’imagine que nous arriverons dans 5 minutes ?
— Non, pas encore. »
Je me retournai vers elle de nouveau, étonné qu’elle soit venue à moi sans raison précise. Elle devait s’ennuyer dans ce nouveau vaisseau, avec ce nouvel équipage. Elle et moi avions traversés de nombreuses épreuves ensemble. Elle n’avait absolument pas les qualités requises pour un meneur, mais elle avait une détermination rare. À ma connaissance, elle était la seule à savoir s’adresser aux autres de façon à leur insuffler un second souffle lorsqu’ils faiblissaient et elle le faisait avec brio. De plus, en situation de crise, elle resterait dévouée jusqu’à la mort ce qui en faisait un second de choix.
« Difficile de ne pas perdre la tête dans ce vaisseau, n’est-ce pas ? demandai-je.
Elle s’approcha davantage et elle tourna sa vision vers l’étoile par la fenêtre.
         « Depuis que je vous connais capitaine, c’est de loin la mission la plus ennuyeuse que l’on nous ait donné.
         — Ne sentez-vous pas une odeur de brasier ? L’atmosphère s’épaissit peu à peu et l’air s’alourdit dans nos poumons. Ne vous y trompez-pas, Charlotte : C’est le calme avant la tempête que nous vivons… »
         Elle resta muette. Elle s’interrogea sûrement sur ce que cette étoile allait nous réserver. Je lui avais fait part de mes inquiétudes quant à la décision du conseil qui m’avait envoyé ici. Je lui avais laissé le choix de partir mais, comme je m’y attendais, elle avait insisté pour m’accompagner, malgré tout. J’avais l’impression qu’elle me suivrait quoi que je fasse tant que je ne sombrais pas dans la folie.
         L’étoile rouge qui nous faisait face était désormais suffisamment grande pour que l’on y voit des taches cramoisies disséminées aléatoirement. Elles se situaient dans de cratères gigantesques où la lave qui recouvrait l’étoile s’était écoulée.
         « Elle est plus jolie que dans les journaux. » susurra Charlotte, comme pour se parler à elle-même.
         Je retirai le casque blanc qu’elle avait sur la tête, découvrant ses cheveux châtains et bouclés qui lui tombèrent à hauteur d’épaule. Elle tourna son regard océanique vers moi, mais avant quelques questions que ce soit, je lui dis :
         « Nous n’allons pas en guerre. Votre tenue de combat est superflue, misez plutôt sur vos capacités de persuasion.
         — Bien, capitaine.
         — Les intellos sous mon commandement n’ont pas l’air très fiables. Certains sont à leur première mission… D’autres sont aller sur des missions de réparation de stations ou de destructions de champs d’astéroïdes, mais aucun n’a connu une tâche de cette ampleur. C’est comme si tout était fait pour que l’on échoue… »
         Je posai ma main sur l’épaule de mon second. Le visage ferme, les yeux dans les yeux, je lui confiai :
         « Quand les choses commenceront à se tendre, je compte sur vous pour éviter une panique générale.
         — J’y arriverai. 
— Je n’en doute pas. »
         Je lui souris avant de retourner à mon étoile.
Quelques minutes passèrent dans le silence, alors que Charlotte contemplait avec moi l’astre titanesque en face de nous. Puis, elle regarda sa montre et m’indiqua qu’il ne restait plus que 5 minutes avant notre arrivée. Elle partit vers la salle de commandement et je la rejoignis peu de temps après, alors que, par la fenêtre de mes incartades, l’étoile rouge était maintenant omniprésente…
Chapitre II :
         Arrivé dans la salle de commandement, je regardai le compte à rebours affiché sur l’un tableau de bord. Il indiquait 2 minutes et 24 secondes.
« Arrivée imminente, mon capitaine ! me dit Charlotte.
— Température extérieure ?
— 728 degrés Celsius, capitaine ! » s’écria un membre de l’équipage au centre de la salle.
Je marchai rapidement vers le devant de la pièce. En face de nous, une grande baie vitrée nous permettait d’observer l’extérieur. L’étoile rouge était titanesque et nous devions nous en approcher davantage, mais la température était bien plus élevée que ce que l’on m’avait indiqué. Je remarquai une tache cramoisie sur notre gauche. Je posai ma main sur l’épaule du pilote aux commandes de l’un des nombreux panneaux de contrôle.
« Propulsez-nous à l’Ouest ! Visez le centre de la tache !
— 1376 degrés Celsius, capitaine ! » paniqua l’autre.
Une alarme stridente se mit en marche dans la salle de commandement. Un gyrophare rouge tourna depuis le plafond pour nous signaler que nous étions en danger. C’était de loin, la pire invention que ces têtes d’intellos avaient pu faire… Voilà ce qu’il en était de ne jamais aller sur le terrain.
En me retournant, je constatai que la terreur imprégnait le visage de mon équipage. Les seuls traits paisibles étaient ceux de Charlotte qui me donnait une confiance absolue. Derrière leurs tableaux de bord, chaque membre cherchait quoi faire, comme si leurs années d’études s’étaient effacées de leur esprit. Je remarquai que l’homme à côté de moi, gérant le pilotage, allait faire fi de mes ordres en décélérant, ce qui aurait causé notre perte car nous n’aurions plus pu prendre de virage suffisamment rapide pour éviter l’ébullition des pièces du vaisseau. Je l’attrapai par le col de sa tenue blanche et le projetai au sol, loin des commandes. Je me mis alors sur son siège et je programmai sur le tableau numérique, un virage rapide à 90 degrés. Les secondes s’écoulaient vite et je n’avais pas le temps de le faire de façon sécurisée.
Quand nous tournâmes, le choc fut si brutal que certains tombèrent de leur siège tandis que d’autres hurlèrent à la mort. Je m’accrochai à un levier de commande alors que des papiers en tout genre volaient sous la force centrifuge de notre pirouette habile. Si je tombais de mon siège, nous étions tous mort. Il fallait quelqu’un pour stopper le virage au moment opportun. Je luttai contre la douleur de mes bras sur lesquelles je tirai pour ne pas sombrer. Je serrai les dents pour me donner la force suffisante, puis, quand je relevai les yeux vers l’étoile, je vis la tache cramoisie en face de nous. J’appuyai sur le tableau numérique pour stopper notre virage et l’engin s’arrêta net. Tous tombèrent une seconde fois mais le vaisseau était maintenant stabilisé. L’alarme et le gyrophare cessèrent d’apeurer l’équipage.
À bout de souffle, nous n’étions pas tirés d’affaire pour autant. Je me relevai du siège de pilotage et me retournai vers l’homme qui gérait la température. Du coin de l’œil, j’aperçus Charlotte sourire de fierté. Elle avait le même regard qu’à chacune de mes manœuvres dangereuses… Comme si elle se réjouissait d’avoir misé sur l’homme qui accomplissait l’impossible.
« 3… 344 degrés Celsius, mon capitaine…
— Bien. »
Je gravis les marches de l’allée gauche pour rejoindre l’arrière de la salle et ainsi avoir une vision d’ensemble. J’allai me positionner derrière l’homme qui gérait les boucliers. Charlotte me prévint que nous allions arriver dans 1 minute et 30 secondes, puis elle alla aider le pilote que j’avais renversé. Il semblait souffrir d’une fracture au bras mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Elle lui glissa quelques mots dont elle seule avait le secret pour que l’homme reste loyal malgré cette mésaventure. J’ordonnai alors :
« Quand nous atteindrons les 700 degrés Celsius extérieur, lancez le processus de déploiement du bouclier plasma de protection du vaisseau. À 30 secondes de l’arrivée, décélérez progressivement pour atteindre une vitesse de 500 km/h à deux secondes de l’arrivée. Décélérez ensuite davantage pour immobiliser le vaisseau à l’endroit prévu.
— Oui, mon capitaine ! » s’exclamèrent à l’unisson le pilote, l’homme en charge des boucliers et celui de la température.
C’était toujours la phase la plus stressante. La moindre petite erreur pouvait entraîner des conséquences catastrophiques. À ce stade, je priai pour que mon équipage ait le courage nécessaire. Ils semblaient moins craintifs que lors de mon arrivée dans la salle de commandement. Je connaissais leur regard : c’était celui d’un équipage qui avait foi en leur commandant. Ils avaient vu de quoi j’étais capable et ce faisant, cela leur procurait le sentiment d’être inarrêtable à mes côtés. C’était là ce qui me différenciait des autres chefs de guerre, la plupart restant bien au chaud tandis que leurs soldats partaient au front. Ils oubliaient que l’espoir dans le cœur de nos armées était toujours ce qui faisait pencher la balance en notre faveur. Cette caractéristique était plus importante lors de conflits armés, mais elle semblait avoir également son utilité dans cette mission aux allures complexes.
         « 700 degrés Celsius !
         — Mise en place des boucliers ! »
         Un son organique lourd qui montait progressivement dans les aigües retentit dans l’enceinte du vaisseau. Le son provenait de l’extérieur mais il était tellement puissant que nous l’entendions comme s’il était dans la salle. Au travers de la baie vitrée, nous pouvions voir des particules bleues se souder les unes aux autres progressivement au bout d’un canon à plasma. Elles se grimpaient dessus, jouant avec le vide de l’espace. Le processus était assez long et il demandait beaucoup d’énergie. De plus, une fois le bouclier déployé, le carburant du vaisseau utilisé pour avancer était quadruplé, voire quintuplé, ce qui nous obligeait à favoriser un déploiement tardif…
         Quand, de la vitre, nous ne voyions plus que la tache cramoisie, le vaisseau commença à décélérer… Il ne restait plus que 30 secondes avant d’atteindre notre point de placement. Le bouclier à particules plasmiques finit de se déployer. Il était d’un bleu transparent aux motifs de losanges collés entre eux et il recouvrait toute la façade du vaisseau. Au travers de ce bouclier, l’étoile rouge adoptait une teinte orangée.
         « Température ? demandai-je.
         — 144 degrés Celsius… Capitaine. »
         Peu à peu, la peur revenait hanter mon équipage. Plus nous avancions, plus le danger était proche et nous laissions notre sort entre les mains du pilote trouillard. J’hésitai à aller le rejoindre pour reprendre les commandes en cas de problème mais la manœuvre était si délicate que le simple fait de le déranger pouvait conduire à la mort. Je misai sur Charlotte qui se tenait à ses côtés.
         « Arrivée dans 10 secondes. » dit-elle d’une voix calme.
         Elle posa ensuite ses mains sur ses genoux et pencha son buste en avant vers le pilote. Elle lui susurra quelques mots tout en jetant des coups d’œil vers l’étoile. Je remarquai que l’homme qui s’occupait de la température, au centre de la salle, commençait à trembler. Je m’approchai de lui et je lui mis la main sur l’épaule. Quand il tourna le regard dans ma direction, je lui fis signe de se taire. L’annonce d’un danger était elle-même dangereuse…
Heureusement, pour chaque mission on anticipait une marge de manœuvre. Si la température prédite était de 1200 degrés Celsius, on prévoyait un équipement qui pouvait résister à 1500 degrés Celsius. S’il fallait 2000 hommes, on en prévoyait 3000. Nous étions la plus grande puissance interplanétaire donc nous pouvions nous le permettre. Cependant, pour cette mission, nous avions été trompés. Les scientifiques nous avaient indiqués une température de 1300 degrés Celsius à notre position de déploiement, mais elle était bien plus élevée…
Je constatai qu’il ne restait plus que 5 secondes avant l’arrivée et Charlotte avait décidé de ne pas faire le décompte. Il en valait mieux pour notre survie à tous. À 2 secondes de la fin, le pilote était à 550 km/h. Il fallait que le compte à rebours reste à 2 secondes jusqu’à ce que notre position soit atteinte. L’écran affichant le temps restant vacillait entre 1.80 secondes et 2.10 secondes. Le pilote était bon mais loin d’être le meilleur. Quand la vitesse atteignait les 200 km/h, l’alarme se déclencha de nouveau et le temps restant descendit en dessous de 1 seconde. Je hurlai de couper l’alarme tandis que le pilote tentait de se concentrer tant bien que mal. Finalement, nous arrivâmes à notre point de déploiement sans plus d’obstacles… Quand le vaisseau s’immobilisa, tout le personnel sauta de joie et s’enlaça en criant à répétition « Vive le capitaine ! » et je compris qu’ils n’étaient réellement pas faits pour cette mission…
Sans que je la voie, Charlotte me sauta dans les bras pour me féliciter. Je la laissai faire, puis la repoussai légèrement.
« Bravo capitaine !
— Merci… Débutez le déploiement autour de l’étoile… Il faut que je prenne l’air. »
Je partis en direction de la sortie, mais quelqu’un m’interpela d’une voix désemparée :
« Capitaine ! La circonférence de l’étoile est trop grande pour que le vaisseau l’encercle !
— Quoi !?
— Nous allons devoir nous approcher davantage si nous voulons mettre le dispositif en place… »
Je me retournai vers Charlotte. Pour la première fois depuis des lustres, je lus la crainte dans ses yeux bleus…
Chapitre III :
« Quelle est la température au-delà des boucliers ? demandai-je discrètement à l’homme qui gérait la température.
— 1553 degrés Celsius, mon capitaine… »
Charlotte rapprocha sa bouche de mon oreille pour éviter que l’on entende ce qu’elle avait à me dire.
« Capitaine, il nous est impossible d’avancer davantage sans risquer de perdre le contrôle du vaisseau… Qu’allons-nous faire ? »
Je plongeai dans une profonde réflexion. J’épiai les visages de mon équipage un par un, cherchant la solution à ce problème impossible. Dans mes pensées, je maudissais les scientifiques corrompus qui nous avaient donné les faux calculs. Étais-je à ce point aussi gênant qu’il fallait m’abattre au prix de tout un équipage ? Ce complot commençait vraiment à me taper sur les nerfs…
C’est alors que j’eus une idée. Je marchai vers l’homme au fond à droite de la salle qui commandait les radars du vaisseau.
« Qu’y a-t-il de l’autre côté de l’étoile dans un rayon de 45° et sur une distance de 30 années-lumière ?
— Eh bien… »
Il bidouilla quelques boutons sur un pavé numérique. La bouche entrouverte, il finit par déclarer :
« La planète de Gyros : 13 années-lumière de notre position ; habitée par approximativement 2 milliards et 63 millions d’habitants. Et la station spatiale de Zyr ; 15 années-lumière ; de 2 millions d’habitants, mon capitaine. »
Je me retournai vers Charlotte qui semblait encore plus inquiète qu’avant. Je savais très bien ce qu’elle voulait me dire et c’était aussi pour cela que je la gardais auprès de moi. Elle me rappelait parfois, lors des choix les plus difficiles, à quel point certaines décisions étaient inhumaines. Mais cette fois, je ne pouvais céder à ses désirs. Si nous échouions la mission, c’était plus de 12 milliards de personnes qui auraient été désintégrées par la supernova de l’étoile rouge. Je devais encore faire un choix qui resterait sur ma conscience jusqu’à ma mort. Les yeux toujours encrés dans ceux de mon second, j’ordonnai d’une voix ferme :
« Déployez le vaisseau autour de l’étoile. Laissez 45° d’ouverture au nord de celle-ci.
— Bien, mon capitaine ! » me dit un autre.
Je partis de la salle des commandes sans plus attendre. Ce genre d’action était éprouvant et j’avais besoin de souffler pour regagner un esprit sain. La porte automatique s’ouvrit à mon arrivée devant elle et je sortis dans les couloirs blancs et identiques du vaisseau. À ma sortie, un vacarme titanesque m’indiqua que le vaisseau était en train de se déployer autour de l’étoile. Il formait, petit à petit, un anneau recouvert de boucliers plasmiques qui auraient dû entourer l’étoile.
Je me plaçai devant une fenêtre pour observer autre chose qu’une tache rouge. De là où je me trouvais, je voyais le bord de l’étoile, l’espace, et la partie gauche du vaisseau qui s’étirait progressivement tandis que le bouclier se formait devant elle. J’entendis des bruits de pas lourds, alors je me tournai. Charlotte était en rogne et elle avançait à une allure rapide dans ma direction.
« Charlotte… Vous savez bien qu’il m’était impossible de faire autrement.
— Vous avez toujours fait autrement ! Vous avez toujours trouvé quelque chose de génial qui permettait une alternative aux millions de morts ! Pourquoi pas aujourd’hui ? »
Elle était presque en larmes et elle faisait de grands gestes. Sa mine tourmentée me brisait le cœur. Je cherchai dans son regard, quelque approbation que ce soit mais il n’y avait que la tristesse et la désolation. Elle ne comprenait pas ce qu’il se tramait. Je pris une posture droite pour simuler une confiance que je n’avais plus.
« Non, Charlotte. Hélas, je n’ai pas toujours fait autrement. Autrefois, avant de vous connaitre, je dus prendre d’autres décisions difficiles. Je me souviens de chacune d’entre elles dans le moindre détail… »
Elle resta muette. Un court silence s’installa durant lequel je ressassai des souvenirs dérangeants. Après quoi, je replongeai un regard dur dans l’océan de ses yeux tristes.
« Depuis que vous êtes entrée à mon service, vous m’avez toujours conseillé judicieusement et avec bonté. Vous m’avez ouvert les yeux sur certains aspects, comme l’importance d’une vie… J’ai pu le comprendre grâce à vous. Je l’ai compris car, avant vous, ma vie n’avait que peu d’importance. »
Sa bouche s’entrouvrit, surprise par une telle annonce. J’avais besoin de me confier à elle. Déballer mon sac pour qu’elle connaisse réellement l’homme qu’elle avait en face d’elle. « Je ne suis pas un monstre ! » voulais-je lui crier. Ne sachant que faire, elle dit d’une voix miniature :
« Mon capitaine… Vous êtes… »
Et je repris mon pragmatisme habituel :
« Mais parfois, il est impossible de faire un choix. Cependant, ne pas prendre de décisions revient souvent à faire le pire d’entre eux. J’espère sincèrement que vous trouverez la force de me pardonner… »
Le vacarme du déploiement du vaisseau était plus distant désormais et je retournai me perdre dans la vision de l’espace. C’était le lieu où je me sentais le plus à l’aise… Loin des autres, à voler dans le vide. Loin des complications de politiciens véreux, proche des astres lumineux. Charlotte n’ajouta rien à cette discussion mais contrairement à d’habitude, elle ne se perdit pas avec moi. Elle tourna les talons et commença à partir.
« Charlotte ? »
Elle s’immobilisa alors, dans le silence des couloirs blancs. Je regardai ses cheveux châtains bouclés tomber sur son dos. Ces mêmes cheveux qui nourrissaient en moi le fantasme d’une vie plus belle. Ces cheveux qui me rappelaient aujourd’hui qu’entre la sensible et le pragmatique, un univers entier les séparait.
« Savez-vous qu’à 20 années-lumière derrière nous se trouve la planète Driote ? 10 milliards d’habitants… Elle a refusé d’entrer sous le commandement du conseil il y a 3 ans. »
Charlotte daigna enfin me regarder à nouveau. Je marchai vers elle, le regard sévère.
« Si vous cherchez un responsable à la catastrophe qui va se produire, cherchez plutôt sur les sièges de cuir, au sommet des plus hauts gratte-ciels. Avec cette mission, les politiques ont calculé une multitude de coups d’avance… »
J’arrivai à ses côtés. Proche d’elle, je la regardai de haut.
« Restez sur vos gardes, Charlotte. Le conseil n’a pas mis tout cela en place sans prendre davantage de précautions. Qui sait ce qu’il nous réserve encore ? … »
Elle posa sa main sur mon torse dans un geste bien trop familier. Puis, elle releva les yeux vers moi, tenant ses lèvres à quelques centimètres des miennes…
« Vous cherchez encore et toujours des excuses, mon capitaine… »
Cette fois, elle partit définitivement.
Je restai un moment au milieu des couloirs, réfléchissant à sa position dans cette affaire, puis je retournai à la vitre que je chérissais tant, pour m’y perdre de nouveau…
Chapitre IV :
         L’heure sur les cadrans numériques du vaisseau nous indiquait que c’était au tour de l’équipe de nuit de prendre le relai. Durant la nuit, l’anneau allait terminer son déploiement et la sphère plasmique allait débuter le sien. J’étais allé à la cantine du vaisseau pour dîner.
         C’était une grande pièce blanche, semblable à tout ce qu’il y avait dans cette boite d’acier volante, comme si l’on voulait nous faire croire à un paradis. Des tables rectangulaires étaient réparties en rangée de quatre tout le long de cette grande salle. Au fond de celle-ci, mon équipage faisait déjà la queue pour se servir un repas. Je les rejoignis et pris un plateau, puis je commandai aux cuisiniers une cuisse de poulet ainsi que de la purée de pomme de terre. La nourriture était infecte mais j’en avais l’habitude.
         Une fois les aliments sur mon plateau, je me retournai vers les différentes places libres. J’aperçus Charlotte qui jouait avec sa purée. Elle tenait sa tête dans sa main, coude appuyé sur la table. Elle avait des pensées noires, perdue dans cet amas jaune pâle de grumeaux qu’elle torturait du dos de sa fourchette, toute seule à une table recluse. Habituellement, elle et moi allions à la cantine ensemble mais ce soir, elle ne m’avait pas attendu et j’en déduisis qu’elle voulait rester seule. Pour garder une certaine distance hiérarchique, je ne mangeais jamais avec mon équipage. Je choisis donc d’aller m’assoir à une autre table vide.
         Le chahut dans la pièce était constant. Les membres du vaisseau riaient et trinquaient à cette journée forte en sensations. J’entendis même un groupe qui ne m’avait pas remarqué, lever leurs pintes de bière à ma santé. L’ambiance était festive et l’alcool coulait à flot… Mais je n’étais pas d’humeur joviale. Dans mon assiette trop blanche, je regardai ma cuisse de poulet qui flottait dans un liquide orange. La purée quant à elle était compacte, dure comme de la pierre. Je m’emparai de mes couverts et je débutai le festin déplaisant en ruminant sur toutes ces vies qui allaient être enlevées par la faute de désaccords politiques… Je me jurai de trouver celui ou ceux ayant mis en œuvre ce piège qui allait faire plus de 2 milliards de victimes. « Cette affaire éclatera au grand jour… Je vous le promets. » songeai-je.
         Soudain, un plateau tomba sur la table, en face du mien. C’était Charlotte qui avait choisi de me rejoindre. Elle m’envoya un regard amer mais je la connaissais : ses yeux trahissaient la mélancolie et non la colère. Elle s’assit ensuite sur le siège en face de moi sans dire un mot. Nous nous confrontâmes du regard durant une ou deux secondes, puis elle baissa les yeux vers sa purée aplatie qu’elle n’avait pas encore goutée.
         « Vous m’évitez ? me reprocha-t-elle
         — Je ne voulais pas vous déranger durant votre meurtre de cette pauvre purée. »
         Elle renifla prudemment et je compris qu’elle avait pleuré avant de venir ici. Elle prit enfin une bouchée de sa purée et je fis de même avec ma cuisse de poulet inondée.
         « J’ai bien réfléchi, continua-t-elle sans me regarder, et je pense que votre choix n’était pas si démesuré que cela… »
         Je la laissai parler, la perçant du regard dans l’attente. Elle reprit une bouchée de cette purée immonde et poursuivit en mastiquant :
         « Les conséquences sont atroces… Mais le choix est juste.
         — Ne vous a-t-on jamais appris à ne pas parler la bouche pleine ? »
         Elle ne fit pas attention à ce que je disais. Après un court silence, elle reprit une bouchée et elle leva ses yeux bleus vers moi. De la purée dans la bouche, elle reprit :
         « En tant que votre second, je veux être à vos côtés afin de vous aider à endurer cette épreuve. »
         Je ne répondis pas mais ces mots me touchèrent. En dépit de ses bruits de mastication, elle avait une douceur agréable dans la voix. C’était comme si elle essayait déjà de me réconforter. Je la lâchai du regard pour me perdre à mon tour dans mes grumeaux.
         Une fois le repas terminé, nous allâmes en direction de nos dortoirs. Sur le chemin, le long des grandes baies vitrées qui nous montraient l’espace infini d’obscurité étoilée, Charlotte m’observait en tentant de rester discrète. Je ne sus dire ce qu’elle espérait trouver dans mon visage mais elle insistait tandis que je le tournais vers un astre lointain. Je gardai les mains dans le dos ainsi qu’une posture droite et irréprochable alors qu’elle balançait légèrement ses bras au grès de notre balade vers le repos. Je profitai de ses humeurs moins moroses pour la questionner :
         « Pouvez-vous me dire, si ce n’est pas trop indiscret, ce que vous ferez une fois rentrés chez nous ?
         — Eh bien… J’imagine que j’attendrai notre prochaine mission chez moi, à Cornica. Et vous ? »
         Je gardai le silence de la réflexion. J’hésitai à lui parler de mes volontés de trouver les responsables du massacre qui allait avoir lieu. Mais, sans m’en apercevoir, je laissai un temps trop long avant de lui répondre et Charlotte posa sa main sur mon épaule.
         « Capitaine ? »     
         Au contact de mon second, je m’arrêtai et elle en fit de même. Je me tournai vers elle. Ne sachant toujours que dire, je répondis :
         « Vous… Je… J’irai certainement prendre un peu de repos. Si le conseil m’a pris en entretien avant de m’envoyer sur cette mission suicide, c’est parce que certains songent à me nommer chef des armées de l’union. J’imagine que les choses s’accélèreront grandement, une fois ce grade atteint.
         — Ah… »
         Charlotte emprunta soudain une attitude plus distante. Elle retira sa main de mon épaule et je vis sa mine se décomposer.
         « Est-ce que ça veut dire que… que vous n’allez plus avoir besoin de moi ?
         — Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?
         — Les politiciens n’ont pas de second, que je sache. »
         C’était à mon tour de la réconforter. J’encerclai ses épaules de mes mains, comme pour les réchauffer. Je lui souris puis je plaisantai :
         « Comment ferais-je pour éviter de commettre des génocides sans mon fidèle second ? S’ils vous refusent à mes côtés, je n’irai pas aux leurs. Soyez sans craintes, ma chère… »
         Elle releva son regard vers le mien et c’est alors que je replongeai dans l’océan de ses yeux pour y voir une multitude de souvenirs heureux. Nous formions une équipe inséparable et il était impossible pour quiconque de s’y opposer. Elle voulait s’en assurer mais au fond d’elle, elle le savait déjà. Au cours de nos péripéties passées, nos âmes s’étaient soudées et nos cœurs battaient au même rythme. Nous étions complémentaires. L’un sans l’autre n’avait dès lors plus aucun sens.
         Nous reprîmes notre chemin vers les dortoirs. Quelques mètres avant d’y arriver, envahie d’une pression de celles des « au revoir » indésirables, elle me fit une demande audacieuse :
         « Capitaine, après cette mission, je me disais que l’on pourrait peut-être prendre du repos ensemble ? J’ai entendu parler d’une plage paradisiaque au sud de l’île de Bimore. Apparemment…
         — Nous en reparlerons une fois la tâche accomplie. » la coupai-je accompagné d’un sourire sincère.
         J’allais bien évidement accepter sa requête mais je voulais qu’elle reste concentrée en attendant. Je compris à son air soulagé qu’elle espérait ce genre de réponse de ma part. Une fois à mon dortoir, je la laissai partir vers le sien.
         « Bonne nuit, Charlotte.
         — Bonne nuit, mon capitaine… »
         Le lendemain, après un déjeuner rapide auprès d’elle, je remarquai que le bouclier plasmique avait terminé d’encercler l’étoile rouge. Il passait devant chaque parcelle de l’étoile, la recouvrant d’un voile bleu immense qui était censé maintenir la supernova en son sein.
         Dans la salle de commandement, je demandai à Charlotte si tout était prêt.
         « Boucliers chargés à 100% mon capitaine ! Angle ouvert de 45° au nord de notre position. Nous attendons vos ordres. »
         Elle était confiante, comme à son habitude. Je me tournai vers les deux hommes en charge de l’armement, puis je leur ordonnai :
         « L’heure est venue, Messieurs. Entamez la phase de destruction de l’étoile ! »
Chapitre V :
         À l’écoute de mes ordres, les deux hommes firent des manipulations sur leur tableau de commande. S’ensuivit un son aigue venant des canons répartis tout autour de l’anneau d’acier qui encerclait l’étoile rouge. Le grondement strident était progressif, jusqu’à ce qu’il s’arrête soudainement.
         « Canons chargés capitaine !
         — Ajustez à une puissance de 30%.
         — Parés ! »
         Je pris une longe aspiration. Je levai le bras vers le ciel, puis, je le baissai d’un geste rapide.
         « Feu ! »
         C’est alors qu’un rayon blanc d’une chaleur inimaginable jaillit des canons du vaisseau. Il transperça l’étoile rouge à sa surface. Les impacts étaient tellement énormes que nous pouvions les voir depuis notre position. Il créait des cratères de feu autour d’eux.
         « Stabilité de l’étoile ? demandai-je.
         — Correcte ! me répondit un homme à côté du pilote. Prévisions de la phase de rebond du cœur de l’étoile dans 45 minutes. »
         Je me tournai vers Charlotte qui avait toujours l’air confiante. Je lui fis un signe de la tête et elle s’exclama :
         « Félicitations, Messieurs ! Nous sommes sur le bon chemin. Restez concentrés et tout se déroulera sans accroc !
         — Oui, second officier ! » s’écrièrent à l’unisson notre équipage.
         Je repérai cependant une personne qui était restée muette. L’homme gardait son regard fixe sur son tableau de bord. Quand il releva les yeux, il remarqua que je l’observai dans un léger sursaut, puis il dit :
         « Capitaine, le rayon provoque des fontaines volcaniques qui pourraient endommager l’anneau… »
         Il semblait terrifié par cette annonce et tous restèrent dans un silence de mort… Des novices. Voilà ce qu’ils étaient : des novices en mission d’une complexité rare.
         « Eh bien, augmentez la puissance de feu à 45%. »
         À la suite de cet ordre, le rayon grossit légèrement et l’inquiétude de l’homme craintif se dissipa…
         « Stabilité de l’étoile correcte ! Prévision de rebond du cœur dans 28 minutes. »
         Sans dire un mot, je partis de la salle de commandement tandis que mon équipage n’en revenait pas. Ils étaient tous dépassés par leur manque d’expérience, et le fait que je les mène d’une main de maitre leur apportait un réconfort inespéré. Un réconfort qu’ils n’auraient pas eu s’ils avaient été compétents.
Sur le chemin, Charlotte me suivit de prêt. Nous avions 20 minutes d’attente avant la tempête. La pression commençait à me broyer l’estomac car je savais bien que la suite allait être l’étape la plus dangereuse de notre périple. La moindre erreur de commandement nous mènerait directement dans la tombe ou pire encore… J’allais devoir guider mes hommes à la perfection mais je craignais qu’ils ne soient pas fiables. Dans mon esprit, cette mission prenait l’allure d’un dernier voyage.
Je me mis face à la même baie vitrée que la veille mais ma posture était moins droite que d’ordinaire. Charlotte l’avait remarqué. Je le savais car elle me lançait le même sourire que lorsque j’avais besoin de décompresser.
« Alors ? Qu’en pensez-vous ? me questionna-t-elle d’une tonalité pleine de gaieté.
— De ?
— De la réussite de la mission. Vous semblez craindre quelque chose. »
J’hésitai à lui dire qu’il serait stupide de ne pas avoir peur mais je savais que c’était faux. Il aurait mieux valu que j’eusse le tempérament apaisé de Charlotte en cet instant. Je pinçai mes lèvres devant la vision des rayons destructeurs qui menaient l’assaut sur l’étoile.
« Vous savez, on m’a toujours dit que les études formaient les grands Hommes… C’est totalement faux. Ce n’est pas parce qu’une personne a tout lu sur un sujet qu’il en connait tous les mystères. C’est par l’expérimentation et parce que cette personne s’est confrontée au réel autant que nécessaire, qu’elle en devient experte. Se renseigner n’est que la première étape, non l’aboutissement. Le réel érudit est un homme de terrain, pas un rat de laboratoire… Seriez-vous aussi douée pour aimer que vous l’êtes si vous n’aviez jamais aimé ? »
Devant ces mots, elle ne sut quoi répondre. Nos regards se chevauchaient et ses lèvres laissaient sortir son souffle chaud sur mon épaule. Car, c’était bien là l’essence de sa capacité à me toucher au cœur. Je n’étais pas dupe, je savais qu’elle m’aimait… Et je l’aimais en retour.
« Vous… Pourquoi me dîtes-vous cela maintenant ? »
Ses yeux s’humidifièrent. Elle commençait à partager mes inquiétudes. Je posai ma main gauche sur sa joue. À mon contact, ses paupières se fermèrent légèrement, comme si le fait que nos peaux se touchèrent l’envahissait du même sentiment que moi. Un sentiment qui faisait partir toute la pression pour la remplacer par quelque chose d’ineffable… Nos souffles se raccourcirent à mesure que nos regards ne suffisaient plus à combler le rapprochement convoité. Elle était belle, nous étions beaux. Face à l’immensité de l’espace, elle était la seule étoile qui brillait dans mes yeux. Ce que nous allions vivre – nous le savions désormais – était possiblement notre dernière mission… Ce que nous allions vivre, était certainement à faire plus tôt… Mais c’était aussi la plus belle chose à faire avant la fin : Un baiser devant le feu d’une étoile rouge. Je passai ma main derrière sa nuque, puis je rapprochai ma bouche de ses lèvres…
C’est alors qu’un bruit assourdissant fit vaciller le vaisseau. Surpris, nous regardâmes par la vitre. Les rayons avaient doublé de volume. Le feu destructeur pourfendait l’étoile jusqu’à son cœur à une vitesse folle ! Le vacarme produit était insupportable et continu. Sans plus attendre, je courus pour rejoindre la salle de commandement.
À mon arrivée dans la salle, la panique s’était emparée du lieu. Certains cherchaient désespérément quoi faire, d’autres courraient d’un tableau de bord à l’autre sans que cela ne fasse réellement sens. L’alarme ainsi que le gyrophare se mirent en route pour plonger la pièce dans une ambiance rouge de danger imminent.
« Température extérieur de plus de 1300 degrés capitaine ! »
Je fonçai vers les deux hommes en charge de l’armement et m’écriai :
« Coupez les tirs ! Cessez le feu !
— Boucliers insuffisants !
— Stabilité défaillante ! »
Le rayon s’éteignit et le bruit cessa immédiatement. Quelqu’un coupa l’alarme sans que je lui demande et tous attendirent mes ordres.
C’était de loin le pire scénario possible et je sus qu’il n’était pas arrivé par maladresse. Je dégainai mon pistolet à plasma, puis, dans un geste, je tirai dans la tête des deux hommes qui géraient l’armement. Un trou aux contours de lave chaude se forma immédiatement dans leur visage et ils tombèrent sur le coup. Devant cet acte surprenant, certains laissèrent s’échapper un cri court, puis, le silence envahit la pièce… J’en profitai pour reprendre le commandement.
« Renforcez les boucliers au maximum de leur capacité ! Prenez… »
Mais quelque chose me perturba. Dans la pièce, l’éclairage était plus puissant que jamais et il devenait de plus en plus clair, jusqu’à nous éblouir. Je tournai le regard vers l’étoile… Ses contours rouges devenaient jaunes, puis blancs… L’effondrement du cœur avait débuté. Je plongeai au sol, derrière un tableau de commande en fermant les yeux et Charlotte fit de même. Dans ma chute je criai :
« Activez les vitres de protection ! Activez-les ! Vite ! »
J’entendis des membres de l’équipage hurler à la mort. Les cris nous encerclaient de toute part. La lumière devint bientôt assez forte pour que nos paupières ne suffisent pas à nous en protéger, puis, La salle s’assombrit d’un coup. Je me relevai prudemment et constatai les dégâts de l’étoile sur mon équipage :
Avant que les vitres de protections ne soient activées, ceux qui avaient regardé l’astre blanc avaient les yeux brûlés. Ils tenaient leur visage dépourvu de rétine en hurlant. Ceux qui ne s’étaient pas mis à couvert à temps avaient la peau recouverte de cloques et ils se tordaient au sol pour essayer de faire partir la douleur. C’était une véritable catastrophe que l’on traversait dans la souffrance. Mais ce n’était pas encore terminé. L’étoile commença à rétrécir à vue d’œil.
« Capitaine, les boucliers seront bientôt prêts ! Plus que… »
Avant qu’il n’eût terminé sa phrase, la première impulsion eut lieu. Le vaisseau chavira dans tous les sens et nous nous effondrâmes au sol. L’alarme retentit de nouveau, rapidement coupée par un autre membre de l’équipage.
« Oxygène en baisse !
— Salle de carburant 2 touchée ! »
Je sentis quelque chose sur le dos de ma main. C’était la douce paume de Charlotte en pleurs, qui voulait partager un dernier contact visuel avant la fin…
J’étais dos au mur, impuissant face à cet astre titanesque qui nous rappelait la puissance de l’univers. Il nous donnait une leçon d’humilité quant à notre place d’humain pathétique… Mais l’univers sous-estimait l’amour d’un homme déterminé. La vision de Charlotte dans cet état déplorable m’emplit d’une hargne jamais connue jusqu’alors. Tandis que la fougue m’envahissait, je lui envoyai un sourire chaleureux qui la laissa sans voix…
« Deuxième vague imminente ! »
Chapitre VI :
         « Boucliers chargés au maximum ! »
         À peine cet homme eut-il le temps de terminer sa phrase que la deuxième impulsion de l’étoile pourfendit l’espace. Le bouclier encaissa le choc et le vaisseau resta parfaitement stable. Je me relevai et je pris la main de Charlotte pour l’aider à faire de même. Je lui souriais encore et elle ne sut ce qu’elle devait déduire de ce sourire.
         Dans la salle de commandement, les personnes souffrantes avaient cessé de crier et elles étaient maintenant à terre, lâchant des complaintes irréelles tandis que certains membres de l’équipage tentaient de les soigner, en vain… Ces intellos avaient connu la dureté du terrain et ils le payaient au prix fort. Ils n’auraient jamais dû se retrouver au cœur de cette mission suicide…
         « Capitaine ! Oxygène à 90% ! 17 minutes avant qu’il ne tombe en dessous des 20% ! »
         La main de Charlotte toujours au creux de la mienne, je la levai pour y déposer un baiser.
         « Pouvons-nous reboucher la brèche ou empêcher la perte d’oxygène ?
         — Négatif, mon capitaine… Nous n’avons plus de contact avec la salle d’oxygénation de secours.
         — Bien… »
         Mon équipage se tourna vers moi dans l’attente d’une idée géniale qui nous sortirait de ce merdier. C’était à moi que revenait la responsabilité de faire ce choix difficile. Et comme d’habitude, je puisai mes forces dans le silence… Le regard tourné vers Charlotte, je lui dis :
         « J’accepte vos vacances à la plage. »
         Ses traits s’illuminèrent. Elle était déboussolée mais rassurée et c’était tout ce qui comptait pour moi. Je lâchai sa main, puis je me plaçai devant le micro branché aux haut-parleurs du vaisseau et ordonnai d’une voix ferme et forte :
         « Tout l’équipage est prié de rejoindre une capsule d’éjection au plus vite ! Transportez les blessés et partez en direction de Driote. Ils vous seront reconnaissant. »
         Ils restèrent dans l’attente, comme si je n’avais rien dit. Les yeux rivés vers moi, ils espéraient quelque chose…
         « Exécution ! »
         Après ce dernier ordre, ils se mirent à parler à voix basse les uns avec autres et ils se dirigèrent vers la sortie. Tandis qu’ils partaient, Charlotte resta immobile à mes côtés. Je pris le pas vers le tableau de commande des boucliers et je commençai à effectuer les réglages nécessaires.
         « Capitaine, il faut que je vous dise…
         — Ça attendra, Charlotte ! »
         Je me redressai ensuite dans sa direction. Elle était belle et apaisée. Je lui envoyai un énième sourire mélancolique, puis je pris sa main et partis avec elle en direction de la sortie.
         « J’ai mis un compte à rebours pour le déploiement des super-boucliers. Ils se formeront dans 5 minutes. Nous devons faire vite ! »
         Quand nous passâmes la porte de la salle, la troisième impulsion eut lieu mais celle-ci fut plus puissante que la précédente et le vaisseau chavira très légèrement. Charlotte manqua de tomber mais je la rattrapai en la prenant par la hanche. Nous étions deux solitaires dans le vaisseau, marchants vers les cabines en traversant les couloirs blancs et sans vie. Le manque d’oxygène commençait à se faire ressentir. Il nous donnait une sensation désagréable, comme si l’atmosphère était plus lourde et oppressante.
         « Charlotte, vous êtes un second exemplaire. »
         Par les baies vitrées, nous pouvions voir l’étoile blanche briller au travers des boucliers bleus. Nous empruntâmes une grande porte à ouverture automatique pour rejoindre un autre couloir identique au précédent.
         « C’est parce que je suis au service d’un capitaine exemplaire ! »
         Elle avait un air joueur, songeant certainement à nos vacances au sud de l’île de Bimore. D’après les dires de certains, cet endroit était l’un des plus beaux de notre planète. L’eau de la mer était tellement claire que l’on pouvait apparemment voir le fond sablé depuis la surface, même au large de la rive. L’on parlait d’une température parfaite et d’un soleil accueillant. De rires continus des visiteurs oisifs et de repas froids délicieux en guise de spécialités de la région. C’était là-bas notre paradis.
         Nous arrivâmes aux capsules d’éjections. Le reste de l’équipage était déjà parti et il n’en restait que 3 de libres. C’étaient de grandes cabines pouvant accueillir jusqu’à 4 personnes. Elles étaient des sortes de petites pièces blanches avec une table, des chaises et de la nourriture ainsi que des réserves d’eau. Les propulseurs y étaient puissants et elles permettaient de rejoindre des lieux à des dizaines d’années-lumière sans complications. Je pénétrai dans la première cabine en tenant la main de Charlotte. J’allai ensuite vers le tableau de commandes de la salle pour définir une trajectoire. Une quatrième impulsion nous fit vaciller et les lumières du vaisseau s’éteignirent, mais pas celles de la cabine. Le gyrophare rouge se mit en marche dans toute l’enceinte du vaisseau pour remplacer la lumière blanche.
         « On dirait que cette mission est encore une réussite, mon capitaine ! Félicitations ! »
         Elle s’assit sur un petit banc à côté du tableau de bord. Elle posa ses mains sur ses cuisses, comme pour patienter gentiment, les yeux pleins de bonté.
         « Effectivement, Charlotte. »
         Je me redressai et partis en direction des combinaisons spatiales qui étaient à disposition.
         « Pouvez-vous ajuster la trajectoire s’il vous plait ? demandai-je. Il faut que je vérifie si les tenues spatiales sont en ordre.
         — Bien, mon capitaine ! »
         L’idée de faire le voyage à mes côtés semblait la réjouir. Elle était d’humeur solaire et elle bondit de son banc pour rejoindre le tableau de bord avec enthousiasme. J’étais heureux de la voir dans cet état et je songeais à ce qu’aurait pu être notre avenir ensemble. Mais je coupai le cours de ces pensées réconfortantes…
         « Capitaine… Vous avez déjà… »
         En se retournant vers moi, elle se figea en constatant que j’étais à l’extérieur de la cabine, le doigt proche du bouton de fermeture des portes. Je lui souris une dernière fois, malgré toute la tristesse que j’avais sur le cœur.
         « Charlotte, promettez-moi de ne jamais vous opposer au conseil interplanétaire. »
         Elle fonça à toute allure vers la sortie de la cabine et je fermai les portes avant qu’elle ne puisse me rejoindre. De derrière le hublot rectangulaire de la capsule, nous pouvions encore nous voir. La peur et la peine sur son visage d’ange me déchirait la poitrine…
         « Ouvrez ! » répétait-elle sans cesse.
         Je posai ma main sur la vitre et, dans un dernier soupire, je me retins de lui dire ce que je voulais réellement lui avouer :
         « Charlotte… Prenez soin de vous. Vous êtes formidable…
         — Non ! Richard ! Je vous aime ! »
         Ses pleurs étaient douloureux à entendre. J’avais envie de la serrer dans mes bras, de la réconforter une dernière fois, mais les portes métalliques se fermaient devant moi. Je retirai ma main de la vitre et me reculai d’un pas. La dernière chose que je vis d’elle, fut ses yeux océaniques humides tournés vers moi, tandis qu’elle arrêtait de frapper les murs de sa cabine. Les plaques métalliques se refermèrent et sa capsule fut éjectée dans l’espace…
         « Moi aussi je vous aime, Charlotte… »
         Après un instant dans ce silence de mort, je retournai en direction de la salle des commandes. J’étais seul à bord désormais et l’impulsion finale de la supernova n’allait pas tarder à arriver.
         Le conseil avait eu un coup d’avance sur moi en retirant la possibilité de mettre un compte à rebours pour les super-boucliers. Ils avaient misé sur ma bravoure pour m’occire.
         « Ces monstres… »
         En arrivant dans la salle des commandes déserte et à l’éclairage rouge, je sentis ma tête tourner. Je vacillai en marchant, comme si j’avais bu toute la bière de la cantine. Ma vision se troubla mais je restai concentré… La vie de Charlotte et de mon équipage en dépendait. Je jetai un œil à l’affichage de l’oxygène en me maintenant à l’une des machines. Il indiquait 47% d’oxygène et il baissait toutes les 5 secondes environ.
         J’utilisai mes dernières forces pour rejoindre le tableau des super-boucliers au-devant de la salle. Par la fenêtre, l’étoile était bien plus petite qu’auparavant. Elle rétrécissait encore et plus rapidement qu’au début du processus de l’effondrement du cœur.
         « Stabilité de l’étoile ? » demandai-je.
         Mais personne ne me répondit. Je me sentais étouffer. J’arrivais à peine à respirer en prenant de grandes aspirations par la bouche. Je n’avais pas besoin des indications de ces intellos de toute façon… L’étoile était sur le point d’imploser, c’était évident.
         J’enclenchai le déploiement des super-boucliers. C’était un processus qui demandait pratiquement toute l’énergie du vaisseau. Lors du déploiement et de son maintien, le vaisseau ne pouvait, ni tirer, ni utiliser de carburant. Les lumières et les chauffages étaient coupés, et, bien sûr, l’oxygène baissait de 50%...
         L’enclanchement du processus plongea la salle dans l’obscurité, mais l’étoile brillait plus que jamais. Elle rayonna dans la pièce, simulant la lumière qu’il y avait en temps normal. Elle se rétracta sur elle-même jusqu’à ne former qu’un point blanc au loin. Mes paupières s’alourdirent mais je les tenais ouvertes. Je n’arrivais plus à aspirer la moindre quantité d’air dans mes poumons.
         C’est alors que le point blanc grossit à une vitesse trop rapide pour le voir à l’œil nu, ce qui résulta d’un flash lumineux. C’était merveilleux. Devant cet astre de toute beauté, cette supernova que j’avais dans ma vision, une seule étoile brilla dans mes yeux : Charlotte. Je fus envahi d’une plénitude parfaite que je ressentais déjà lorsqu’elle me regardait d’amour. Je la gardai dans mes pupilles, puis je fermai les paupières, comme pour la maintenir auprès de moi. J’allais m’endormir heureux. Lui souriant une dernière fois, je pensai :
         « Merci, mon amour… »
Fin.
Merci d'avoir lu ! J'espère que cette nouvelle vous a plu. N'hésitez pas à me faire des retours.
N. A. Colia.
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n-a-colia · 2 years
Text
Luna
Chapitre I :
         Dans cet immense désert de glace, je cherchais à me réchauffer les mains en frottant mes gants l’un contre l’autre, en vain… À cause de la neige qui recouvrait leurs visages, on ne pouvait lire les émotions qui traversaient mes camarades mais j’imaginais qu’ils désiraient tous rentrer chez eux. Néanmoins, rentrer chez soi n’était pas la solution. Le froid de ce lieu nous faisait oublier qu’il imprégnait aussi nos foyers. Qu’il empêchait nos femmes et nos enfants de dormir. Qu’il dévorait les imprudents qui sortaient la nuit. Qu’il réveillait notre plus grande source de danger, jusqu’alors endormie : Les déshonorés. C’était pour cela que nous marchions…
« Pause… » supplia une voix étouffée derrière moi.
         Je me retournai et vis l’homme à bout de souffle s’effondrer sur la glace recouverte de neige. Je hurlai au convoi de s’arrêter. L’homme devant moi hurla au suivant et ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde s’immobilise car il n’était pas facile de s’entendre dans ce torrent de neige. Je m’approchai de l’homme à terre et tentai de le relever en le prenant par le bras.
« Allez, debout ! »
Mais l’homme ne tenait plus sur ses jambes. Il était à deux doigts de s’évanouir. La personne devant moi vint à ma rescousse et tenta de le tenir de l’autre côté. À deux, nous arrivions à le transporter, ses bras au-dessus de nos nuques, malgré ses pieds qui trainaient au sol. Mais nous perdions trop de calories.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? cria Berni en nous rejoignant.
— Il n’arrive plus à avancer !
— On n’a pas le luxe de se soucier de lui ! »
Arrivé à notre hauteur, Berni poussa le corps de l’homme inconscient et il chuta derrière nous. Il repartit ensuite vers l’avant du convoi. La personne qui était venu m’aider se rua sur le corps de l’homme à terre pour le soulever de nouveau, mais j’avais compris, lorsque Berni le poussa, que j’allais manquer de forces pour le porter… Je me tournai vers lui.
« Berni n’a pas tort ! On mourra tous les trois si on essaye de le secourir ! »
L’homme qui tentait de le sauver eut un bref moment d’étonnement, puis il secoua la tête en grognant. Seul, il releva le corps de son compagnon. Je partis un peu plus en avant pour rattraper le convoi qui ne nous attendait plus.
         Les secondes s’écoulaient lentement. Les minutes étaient des heures et après une heure qui m’eut sembler durer une éternité, je constatai que la nuit allait bientôt tomber. Je ne sus dire si le froid était plus intense qu’avant ou si ce n’était qu’une impression, mais nous allions devoir trouver refuge rapidement. C’est alors qu’elle me parla :
« Tarian, tu vas bien ? »
Sa voix était douce et d’un réconfort inégalable mais elle semblait distante. Elle n’était pas encore assez haut dans le ciel pour pouvoir me parler distinctement.
« Luna ! m’exclamai-je. Qu’il est bon de t’entendre à nouveau…
— Tu m’as manquée aussi. »
Je marchai en regardant mes pas s’enfoncer davantage dans la neige mais j’étais rassuré. Je savais qu’avec elle à mes côtés, nous allions nous en sortir. Sa voix imprégnait mon esprit et résonnait dans mon corps. Elle et moi ne formions plus qu’un à la nuit tombée.
« J’ai craint de mourir aujourd’hui…
— C’est normal, mon amour… Il n’y a pas plus périlleux voyage que le vôtre. »
La buée qui sortait de ma bouche obstruait ma vision. Je soufflai :
« Et… Comment se porte le Sud ?
— Il s’est reposé. Ils sont dans de meilleurs conditions que vous. Tu ne devrais pas t’en soucier.
— Oui… Tu as raison. »
Soudain, une main vint me taper l’épaule. C’était Grimar qui m’avait rejoint sans que je m’en aperçoive.
« Alors ? Tu te mets à parler tout seul mon bon vieux Tarian ? Le froid te monte à la tête !
— Haha ! Oui… J’essaye de me remonter le moral. »
Il renifla puis respira par la bouche. Après un court instant, il reprit :
« Moi aussi, parfois, je pense au Sud. C’est agréable de se dire qu’ils s’en sortiront grâce à nous. Tu ne trouves pas ?
— Oui. Mais c’est encore plus réconfortant de se dire qu’on les rejoindra tôt ou tard.
— Bien dit ! Bon. Trouvons une planque avant de mourir congelés… »
Il accéléra le pas vers l’avant du convoi.
         C’est alors que j’entendis un bruit derrière moi. Je m’arrêtai et me tournai lentement. L’homme qui avait tenté de secourir l’évanoui s’était effondré. Il était à plat ventre, la tête dans la neige et ne bougeait plus… La mort allait s’emparer de lui pour sa bravoure irréfléchie. C’était injuste, mais c’était ainsi. Les plus courageux mourraient, les plus lâches survivaient… Cependant, je ne pus m’empêcher de penser qu’il aurait peut-être réussi à tenir la marche si j’avais été à ses côtés pour l’épauler. Serions-nous tous les trois morts ? Ou aurions-nous survécus ? Je me retournai et continuai d’avancer.
« Tarian, me dit Luna, je vois une tempête de neige venir sur vous.
— As-tu un abri en vue ?
— Oui… Une grotte. Tournez à droite au sommet de la colline enneigée que vous gravissez. »
J’utilisai mes dernières forces pour courir à l’avant du convoi. La montée était rude mais il fallait faire vite, alors je dépassai tous les membres de notre expédition avec détermination. Luna gardait toujours une voix détendue, même lorsqu’un danger de mort était proche et je savais que je ne pouvais me fier à sa tonalité apaisante. Le temps pressait.
« Berni !
— Quoi ? dit-il en se retournant vers moi.
— Il faut tourner à droite ! Une grotte nous attend pour la nuit, là-bas. »
Étonné par mes talents divinatoires, il pouffa :
« Ah ! Es-tu déjà venu dans le coin ?
— Non mais…
— Alors laisse-moi me préoccuper de l’abri. D’accord ? »
Je me retrouvais démuni. Je ne pouvais leur confier que je m’adressais à la Lune en cachette, car ils m’auraient pris pour un fou. De plus, cela aurait remis en question toute l’expédition. Nous étions partis du Sud vers le nord sur mes conseils. J’avais prétendu que, selon mes études des textes anciens, la solution au cataclysme de l’hiver noir se trouvait au Nord, au pied d’une effigie ancienne. S’ils apprenaient que c’était la Lune qui me l’avait appris, ils se retourneraient contre moi à coup sûr…
         Je pris alors la décision de partir devant Berni et le convoi entier. Je courus dans la direction indiquée par Luna et Berni m’ordonna de m’arrêter mais je n’y fis pas attention… Ils avaient besoin de moi pour connaitre le chemin vers l’effigie et je m’en servais pour prendre le commandement lorsque c’était absolument nécessaire. Ils coururent tous après en hurlant pour que je les rejoigne mais mon obstination n’avait pas de limites.
« Plus que quelques pas, Tarian. » m’assura Luna.
J’arrivai enfin à destination. C’était une caverne creusée naturellement dans une grande colline pentue. Des stalactites recouvraient le sommet de l’entrée et l’intérieur était plongé dans une obscurité profonde. Je pénétrai à l’intérieur et, alors que la neige arrêta de me fouetter le visage, j’eus enfin un sentiment de sécurité… Les autres me suivirent.
« Allumons un feu ! me pressai-je. Avez-vous de quoi…
— Bon sang Tarian ! s’insurgea Berni. Ne nous refais plus jamais ça ! Si tu crèves, on crève tous ! Tu piges ? Je pensais que ça serait évident pour un érudit, mais apparemment je me trompais…
— Désolé Berni, mais… »
Il mit son avant-bras contre ma gorge et me poussa contre les parois de la grotte pour me coincer.
« “ Mais ” ?! Mais quoi ? Refais ça encore une fois, et je te coupe la main pour que ça rentre… »
Je restai muet, terrifié et étranglé par ce mastodonte qui me menaçait. Il me relâcha et je pus enfin respirer. Les autres restèrent silencieux mais je voyais bien à leur mine apaisée qu’ils étaient heureux de ma trouvaille.
         Quand nous allumâmes le feu, la température remonta drastiquement et nous pûmes retirer nos capuches chaudes sans crainte. En outre, nous y vîmes enfin plus clair. La grotte n’était pas très profonde mais il y avait suffisamment de place pour tous les sacs de couchage. Le crépitement du feu résonnait dans l’enceinte chaleureuse de notre abri. La pierre de l’intérieur caverneux était lisse comme de la glace mais il s’agissait bien de roche. En regardant de plus près le fond de la grotte, quelque chose m’interpela. C’étaient de nombreuses peintures noires et rouges qui formaient des symboles divers. Les dessins semblaient encrés dans les murs et ils avaient été tracés à l’aides d’outils rudimentaires. Étonnamment, malgré l’évidence des faibles moyens de ceux qui avaient peint, les représentations étaient très bien dessinées.
« Les… Des vestiges ! m’écriai-je. Des vestiges d’une civilisation passée ! »
Les autres me regardèrent, mais ils n’eurent que peu d’attrait pour ce que je leur montrais. Cependant, moi, j’étais au paradis… Je voyais ce qu’aucun autre historien n’avait vu avant moi et cela me comblait de fierté et d’enthousiasme.
         Je passai mes doigts sur un soleil au visage d’homme qui dormait, levé au-dessus de ce qui me semblait être du bétail en enclos. Puis, je me tournai vers un autre dessin qui me fit vibrer le cœur. C’était celui d’une lune, au visage d’une belle femme, les yeux ouverts et rivés vers un homme seul au milieu des montagnes du sud. Sur le dessin, on aurait dit que la lune était heureuse de le voir… Mais des symboles que j’imaginai représenter de la neige ensevelissait presque l’homme au centre de la peinture.
« Le cataclysme de l’hiver noir… Il… il a déjà eu lieu. Et nous sommes proches de la fin. »
Le reste du groupe était resté près du feu et ils sortaient de la nourriture de leur sac à dos pour reprendre des forces. Je regardai davantage ce qui était peint, puis je me dirigeais vers la sortie en prétextant :
« Il faut que j’ailles prier.
— Ouais c’est ça ! se moqua un homme. Va prier ton dieu imaginaire !
— Demande-lui qu’il m’apporte un bon gigot rôti pendant que t’y es ! »
Et tous rirent à ces remarques idiotes et insensibles qui se voulaient intelligentes.
         Je me plaçai à une dizaine de mètres de la caverne et observai le ciel. Je la voyais enfin pleinement… Elle était magnifique dans ce ciel bleu marine qui s’assombrissait peu à peu. Sa taille immense me donnait l’impression que je pouvais la toucher en tendant le bras. D’un blanc éclatant, elle brillait dans mes yeux.
« Luna…
— Tarian ? J’avais fini par croire que tu allais me laisser seule ce soir… »
Elle semblait rassurée qu’il n’en fût rien. Je m’assis sur un rocher enneigé.
« Ma belle Lune, j’ai une question à te poser.
— Qu’y a-t-il, mon amour ?
— Dans cette caverne, des gravures montraient des choses… que tu m’avais caché.
— Ah… »
Je lui souris d’un air résigné, les avant-bras tombants sur mes genoux.
« Ce n’est pas grave. Je m’attendais un peu à cette issue. Mais, une question me tourmente ma douce… As-tu déjà aidé un autre homme avant moi ? »
Elle prit un temps avant de me répondre. Puis elle emprunta une intonation qui trahit un soupçon de mélancolie.
« Tarian… Ce que vous appelez “ le cataclysme de l’hiver noir ” n’est pas un phénomène nouveau. De nombreuses époques avant la votre ont dû y faire face… Cependant, malgré de brèves bribes de souvenirs, je n’ai pas gardé l’entière mémoire de ces évènements. Je ne me souviens plus des autres, mais il est probable que tu ne sois pas le premier homme avec qui j’arrive à entrer en contact… »
Ces mots me tiraillèrent l’estomac.
« Je te remercie pour ta franchise. »
L’air ambiant devint plus frais. J’étais pris dans les tourments de n’être le premier homme à partager son intimité. Après un long silence, je trouvai la force de la regarder de nouveau et elle me susurra :
« Tu devrais te mettre à l’abri. La tempête est proche. »
Je me relevai et, sur le chemin vers la caverne, elle ajouta d’une voix miniature :
« Tarian ? »
Je me retournai vers elle.
« Je t’aime…
— Moi aussi je t’aime… Moi aussi. Malheureusement. »
Je retournai auprès des autres, après quoi, une vague blanche recouvrit la nuit à l’extérieur de la grotte dans un vacarme grotesque.
         Je rejoignis mon sac de couchage et mangeai un bout de viande séchée avant de m’endormir, car je savais que la journée du lendemain allait être plus éprouvante que celle-ci. Comme ce fut le cas pour tous les jours précédents…
Chapitre II :
         Le lendemain, nous nous réveillâmes à l’aube. Je ne pouvais déjà plus entendre Luna et il me tardait de traverser cette journée pour de nouveau lui parler. Dans la grotte, l’homme qui s’était moqué de ma foi dormait encore. Berni lui donna des coups de pieds pour le réveiller mais cela n’eut aucun effet… L’homme était mort de froid durant son sommeil.
         Le nombre de survivants à cette expédition baissait à vue d’œil depuis quelques jours. Nous étions 30 au départ, au réveil de ce matin, nous n’étions plus que 23. Malgré le fait que je fusse habitué à la mort à cause du cataclysme de l’hiver noir, les premiers à tomber lors de notre expédition m’eurent procuré le même sentiment que lorsque je fus confronté à la mort pour la première fois. Un sentiment troublant, semblable à une bête parasite noire qui déséquilibre son hôte et lui tord les tripes… Peut-être était-ce l’impression que si les autres étaient tombés, j’allais inévitablement finir par mourir moi aussi.
         Sans plus attendre, Berni lança l’ordre de faire marche vers le nord et nous le suivîmes, laissant l’athée sarcastique à son tombeau. Dehors, la neige avait totalement cessé de tomber. La température était toujours très basse et nous sentions nos joues geler lorsque nous avancions, mais nous n’étions plus sous les torrents de glace qui nous déchiraient le visage. À la place, un silence de mort résonnait dans le désert blanc.
         Après quelques heures de marche, nous arrivâmes à un immense lac gelé. Il était recouvert par la neige, mais nous sentions la glace sous nos pas. Berni s’arrêta pour examiner l’épaisseur de cette dernière. Il s’agenouilla et retira la neige devant lui, puis il observa attentivement l’eau gelée. Après un court instant, il dégaina son fusil et il envoya un coup de crosse violant sur le givre. Celui-ci ne fut même pas fissuré et Berni nous fit signe de le suivre. Il guida le convoi en direction du centre du lac.
         Alors que j’étais en avant dernière position de notre file indienne, Grimar vint me rejoindre, le sourire aux lèvres. Il avait ce don pour relativiser toutes choses et garder la bonne humeur en lui. Je ne comprenais pas comment il faisait et je l’admirais en l’enviant secrètement.
« Ça va Tarian ? Tu tiens le coup ?
— Je crois… Enfin, je ne sens plus mes pieds.
— Haha ! Moi non plus. Mais ils marchent. C’est le principal, non ?
— Tu as sans doute raison. »
Il parlait presque en chuchotant, comme pour ne pas déranger ceux qui étaient concentrés sur leurs bruits de pas pour avancer. Il me mit la main sur l’épaule et me sourit silencieusement. Avait-il vu que j’étais démoralisé ? Était-ce pour cela qu’il venait me parler ? Je ressassais en effet la discussion d’hier avec mon aimée… Je me posais tout un tas de questions.
« As-tu déjà vu plus beau paysage que celui-ci ? me demanda-t-il.
— Quoi ?
— Je te vois, à regarder tes pieds à l’arrière du convoi. À errer dans ta mémoire pour te détacher de la situation. Mais as-tu au moins relevé la tête depuis ce matin ? »
J’étais perplexe. Je ne compris pas immédiatement ce que voulait me dire Grimar, mais lorsque je relevai les yeux, je sus ce qu’il voulait me transmettre.
         Le lac que nous traversions était un grand bassin blanc. Autour de lui, d’immenses montagnes de roche bleue et de glace montaient jusqu’au ciel qui était d’un bleu si clair qu’on aurait dit de la neige. Nous avancions vers une gigantesque fente entre les deux montagnes au nord du lac. C’était comme si les monts s’étaient séparés d’eux même pour laisser un passage aux voyageurs. Le paysage était magnifique… En me retournant, j’estimai que nous étions au centre du lac blanc.
« Je comprends mieux…
— Et maintenant, voici la leçon du père Grimar : Si tu arrives à contempler, tu ne pourras jamais sombrer.
— L’âme d’un poète… J’essaierai de m’en souvenir. »
Il lâcha mon épaule pour me donner une tape amicale en riant, puis il reprit les devants et me laissa seul à mon admiration. À trop contempler la Lune, j’en avais oublié le monde.
Le cœur plus léger, un sourire se dessina sur mes lèvres et j’avançai confiant, tenant les bretelles de mon sac à dos en bombant le torse. L’air ne me brûlait plus les narines, mais il m’oxygénait d’un second souffle tandis que je regardais les courbes naturelles des montagnes alentour.
C’est alors qu’un bruit de craquement se fit entendre derrière moi… Je ne réalisai pas directement et me tournai lentement, toujours heureux de connaitre un nouvel air. L’homme qui me suivait était à quelques mètres de moi, immobile et la terreur au visage. Il leva prudemment les yeux vers moi, avant de crier de toutes ses forces :
« Les déshonorés ! Ils sont… »
D’un coup, la glace se brisa sous ses pieds et une main l’aspira dans les eaux profondes et gelées du lac blanc. S’ensuivit une autre explosion dans la glace, plus loin que celle-ci, puis une autre, et encore une ! Quand je me retournai vers les autres, tous étaient happés par ce déluge infernal. Je criai : « Courez ! » avant de m’élancer moi-même vers le nord.
         J’entendais les cris des déshonorés qui remontaient à la surface. C’était le cri d’une horde qui avait prit en chasse un groupe d’humains. Leurs hurlements étaient comme noyés dans l’eau qu’ils avaient dans leurs poumons. Pourtant, ils étaient bien plus puissants que ceux qu’émettaient les déshonorés du Sud. Le froid les réveillait, le Nord les enrageait.
         Dans ma course, je passai à côté de l’homme qui était devant moi dans le convoi. Il était resté bouche bée face à cette nouvelle menace. Je tentai de le tirer pour qu’il me suive :
« Viens ! On n’a pas le temps ! »
Mais la peur le pétrifiait sur place… Il chuta en arrière et, en me retournant, je sus qu’il était trop tard pour lui. Les déshonorés recouvraient la glace derrière nous. Ils étaient tellement nombreux que l’on aurait dit une masse noire de chair informe qui se déplaçait à toute allure. Ils couraient en biais, à quatre pattes dans la neige, tel des animaux, le regard planté dans les nôtres alors que leurs orbites n’étaient plus que des cratères sombres. Comme ceux du Sud, leurs lèvres étaient arrachées et des dents acérées sortaient de leur bouche, pour remplacer celles qu’ils avaient de leur vivant.
         Je laissai l’homme tétanisé sur place et courrai aussi vite que je le pouvais. J’entendis un hurlement d’agonie et j’eus le malheur de regarder au-dessus de mon épaule… L’homme à terre se fit recouvrir de ces choses qui lui sautèrent dessus puis lui arrachèrent les membres et des parties du visage à l’aide de leurs dents. Heureusement, les cris de l’homme cessèrent rapidement.
         J’étais le prochain à subir cette sentence ignoble. Le convoi avait commencé à courir en même temps que moi et ils avaient une avance d’une dizaine de mètres. Il nous restait une longue course avant d’arriver au passage du Nord dans la montagne. Je priai en silence pour que quelque chose se produise, mais il n’y eut rien… Je pensai alors à Luna. Que m’aurait-elle dit dans pareille situation ? Aurait-elle trouvé une solution ? J’entendais les bruits d’os qui se brisent des déshonorés qui se rapprochaient de moi. La mélancolie s’empara de mon cœur lorsque je m’aperçus que je n’avais même pas fais mes adieux à ma Lune. La nuit passée, nous nous étions quittés en de mauvais thermes et je compris, en cet instant, toute la stupidité dont j’avais fait preuve… Éprouver des regrets à l’heure de notre mort était certainement la pire chose qui pouvait nous arriver, mais c’était ainsi. J’avais vécu dans la peur, il était normal que je meure dans le regret.
         Résigné à ce que ma vie se termine, les yeux rivés sur la neige devant moi, je décidai de suivre une dernière fois le conseil de Grimar avant que les déshonorés ne me rattrapent. Je levai les yeux vers les montagnes qui n’étaient plus très loin.
         C’est alors que je vis Berni courir vers l’arrière du convoi, fusil à la main… Il me fixait du regard, d’un air colérique. Il brandit son arme devant lui, la mire devant son œil droit, puis il tira dans le tas de déshonorés. Un cri perçant retentit sur le lac tandis que je continuai ma course, presque à bout de souffle.
« Fonce, enfoiré ! » me hurla-t-il en tirant un autre coup de fusil.
         Une fois à sa hauteur, il courut avec moi. Nous arrivions presque au passage convoité et ses coups de fusil avaient retardé l’arrivée des déshonorés mais ils nous rattrapaient peu à peu. Grimar était devant nous. Moins endurant, il commençait à faiblir. Quand j’arrivai à ses côtés, je le poussai dans le dos pour lui donner un second souffle. Il eut l’air surpris, puis, les traits de la compassion reprirent le dessus. Lui aussi priait pour notre survie. Mon intervention lui redonna de la force et il se mit à courir aussi vite que nous. De l’autre côté de Grimar, je remarquai que Berni avait sorti un explosif à retardement de l’une des grandes poches de son manteau. Il jeta un œil derrière nous, m’envoya un regard noir, puis, il cogna le visage de Grimar d’un coup de coude. Le pauvre s’écroula au sol et Berni déclencha le compte à rebours de son explosif avant de le lâcher sur le buste de Grimar.
« Non ! m’écriai-je en me ruant vers lui.
— Arrête de jouer aux héros ! »
Berni me tira par le bras tandis que je tentai de me débattre… Mais la horde s’approchait dangereusement. Grimar allait être submergé dans quelques secondes et il fallait que j’avance si je ne voulais pas finir comme lui. Dans ma course, je le regardai une dernière fois. Comme d’habitude, il souriait. Il brandissait l’explosif lancé par Berni, comme un drapeau que l’on admire.
         Nous entrâmes dans le passage de la montagne, puis une explosion nous perça les tympans… Essoufflés, nous nous arrêtâmes pour observer le lac. Un immense trou dans la glace était à l’emplacement de Grimar et les quelques déshonorés restant souffraient sur la neige ou se dispersaient pour nous fuir. Le silence de mort refit surface. Nous avions survécu, mais à quel prix ? La haine prit possession de moi et je poussai violement Berni mais il ne recula que d’un mètre.
« Pourquoi as-tu fait ça ?! »
Il m’envoya un coup de la crosse de son fusil au visage et je m’effondrai sur la neige.
« Combien de fois t’ai-je déjà demandé de marcher vers l’avant du convoi ? Grimar est mort par ta faute, Tarian ! »
Je me relevai difficilement, le nez en sang. Debout, je vacillai et personne n’osait rien dire. Ils étaient tous sous le choc de ce qu’ils venaient de vivre. Je regardai de nouveau ce cratère dans la glace et le poids de la culpabilité me terrassa. Berni avait raison. Je m’étais toujours obstiné à marcher à l’arrière du convoi afin de repérer les hommes qui faiblissaient pour en informer le groupe. Si j’avais marché à l’avant, Grimar m’aurait rejoint et il aurait survécu. Après cette pause au gout amère, je poursuivis la marche à l’avant du convoi.
         Berni me suivait de près désormais et j’avais perdu le second souffle que Grimar m’avait insufflé. Mes forces me lâchaient et je le sentais… Dans mes tourments, je ne trouvais plus que le désir de revoir Luna. J’épiai le ciel en chaque instant pour y chercher ma Lune dans ses eaux claires et dévoreuses…
Chapitre III :
         La journée avait paru plus longue que les autres. Personne n’avait osé parler après l’incident du lac. Nous étions démoralisés et la fin du chemin semblait inatteignable. Nous marchions sur des plaines blanches, encore et toujours, tandis que le ciel commençait à s’assombrir. Le calme de l’endroit était perturbant mais nous avions fini par nous y habituer.
         J’étais toujours à la tête du convoi, Berni derrière moi mais j’avais fait en sorte de le distancer de quelques mètres pour pouvoir parler à Luna lorsqu’elle se montrerait. Nous allions devoir trouver un abri rapidement, car la nuit, les températures étaient impossibles à tenir à l’extérieur. J’épiai le ciel, quand soudain, elle me contacta d’une voix distante :
« Tarian ?
— Luna… Je suis désolé pour hier soir ! »
À l’annonce de ces mots, un soulagement m’envahit.
« Tarian… Tu as vécu une dure journée, n’est-ce pas ?
— Oui… Grimar est mort. Nous nous sommes fait attaquer par une horde de déshonorés. J’ai eu si peur de ne plus jamais t’entendre… J’ai bien cru ne pas avoir la force de tenir jusqu’au soir.
— Mais tu l’as trouvée. »
Je respirai bruyamment. Sa voix me soulevait l’estomac comme lors des premiers jours de passion d’une amourette. Je relevai le regard de mes pieds dans la neige et je la vis au loin. Elle se montrait timidement, mais elle n’allait pas tarder à nous illuminer de sa douce lumière.
« Mais je l’ai trouvée… »
         Soudain, Berni arriva à mes côtés alors que nous étions face à une colline de neige. Je ne l’avais pas entendu arriver. Il resta muet un petit moment et moi aussi, puis il me questionna :
« Tu parles souvent tout seul. Pourquoi ?
— C’est une sorte de prière.
— Ah. Et dans ta prière, tu entends quelqu’un, puis tu lui réponds ?
— Je… »
Il empruntait un ton inquisitoire. Il se posait des questions et je commençai à craindre qu’il ne me prenne pour un fou. Depuis combien de temps m’espionnait-il dans mes discussions avec Luna ?
« C’est juste que j’imagine les réponses. J’imagine avoir un dialogue avec un être supérieur…
— Intéressant. Et tu te fies à ce que cet être inventé te dit pour savoir où aller dans ce désert de glace ?
— Non, je…
— Est-ce que tu mets nos vies en danger pour la simple raison que ton petit copain imaginaire te donne des ordres ?
— Je… »
Il s’arrêta brusquement et il jeta son sac à dos au sol. Puis il me confronta en me poussant d’un geste brusque. Je m’effondrai sur la neige et, tandis que les autres du convoi se rapprochaient de nous, Berni m’accusa encore :
« Tu trouves ça drôle hein ? Nous mener en bateau parce que t’es taré te fait bien marrer, n’est-ce pas !? »
Il sortit son fusil et le pointa sur moi. À ce moment, la personne qui était derrière nous s’interposa en hurlant :
« Berni ! C’est toi qui pètes les plombs !
— Ah oui ? J’ai dû sacrifier Grimar pour cette ordure ! En réalité, je ne pense même pas qu’il sache où il nous emmène. »
L’homme qui prenait ma défense se rapprocha de Berni pour lui ôter le fusil des mains, mais ce dernier lui envoya un violent coup de crosse dans la joue. Il me reprit dans sa ligne de mire, le regard perçant alors que j’étais allongé au sol et sans défenses. La haine se lisait dans ses yeux et mon sang se mit à se geler d’une sombre terreur.
« Tarian ! s’inquiéta Luna.
— Berni, arrête ! Je te dis que ce ne sont que des prières ! Je ne mettrai jamais…
— Tais toi ! Grimar en valait dix comme toi ! »
Soudain, l’homme que Berni avait attaqué vit rouge et il lui sauta dessus. Les deux tombèrent et s’ensuivit une lutte vigoureuse dans la neige. Je me relevai et tentai d’intervenir, mais les deux hommes bougeaient trop pour que je tente quoi que ce soit. Ils se disputaient le fusil, roulant dans tous les sens pour prendre le dessus. Des coups de poing et des coups de tête étaient envoyés et le reste du convoi restait sans réagir. Luna me confia alors :
« Mon amour, vous êtes proche de votre but. L’effigie n’est pas loin !
— L’effigie… Berni, nous sommes… »
Mais avant que j’eusse le temps de finir ma phrase, un coup de feu retentit… L’homme qui avait tenté de me sauver se l’était pris en plein ventre, lui laissant un trou béant… Il s’écroula sur la neige, la teintant d’un filtre rouge cramoisi qui s’étalait autour de lui. Il n’eut pas le temps de souffrir qu’il était déjà parti.
Berni se releva, la haine toujours accrochée au cou tandis que nous étions tous choqués par cette scène. Berni avait-il sombré dans la folie ? Allait-il vouloir tous nous décimer… Je remarquai cependant la culpabilité sur son visage durant un bref instant mais elle fut rapidement remplacée par une colère noire à mon égard. Il sortit une machette de l’étui qu’il avait sur le côté gauche de sa ceinture, puis il s’approcha lentement de moi…
C’est alors qu’un cri perçant éclata dans la vallée de glace. Les déshonorés… Le coup de fusil les avait réveillés. Il fut suivi d’un autre cri, puis, avant que ce soit au tour du troisième de nous glacer le sang, Luna m’épaula :
« Courrez ! Ils sont proches. Guide-les au son de ma voix, mon amour… »
         Je vis une faille dans l’agressivité de Berni qui commençait à craindre le pire et j’en profitai pour gravir la colline en face de nous en criant aux autres de me suivre. Je guidai alors le convoi dans une course pour la survie. Une fois le petit mont franchi, je m’apercevais que nous nous trouvions au milieu d’un cimetière de collines. Nous ne pouvions voir plus loin que la prochaine sur notre route et elles nous encerclaient. Heureusement, avec Luna auprès de moi, je ne cédai pas à la panique.
« Tourne à droite Tarian.
— Ok ! »
Je suivais ses ordres à la lettre tandis que les 19 personnes restantes me suivaient.
« Ne grimpe pas cette colline. Les déshonorés y sont enterrés sous ses neiges. »
Grâce à l’adrénaline, je ne sentais plus le froid. Je savais que si les collines obstruaient notre vision du terrain, il en était de même pour les déshonorés. Nous avions l’avantage. Durant ma course, je regardai le ciel de nouveau. Luna était plus proche que jamais. Elle était resplendissante dans le ciel noir et j’eus même l’impression qu’elle me sourit…
         Nous pourfendions les neiges des monts morts jusqu’à ce qu’elle me dise que nous étions tirés d’affaire. Je m’arrêtai pour souffler un peu et le groupe me rejoignit. Berni était parmi eux. Silencieux dans la honte, il tenait toujours son fusil en mains mais c’était surtout pour dissuader les attaques des autres membres de l’expédition… Il s’était condamné à se transformer en déshonoré à sa mort, et il le savait…
« Mon amour, l’effigie… Je la vois comme je te vois. Monte la colline du Nord.
— Quoi ? Enfin ? … »
Les autres ne comprirent mon enthousiasme, mais une fois la colline franchie, nous fûmes tous sans voix.
         Au loin, au sommet du dernier petit mont de neige, un titan de glace reposait assit. Il observait le sol d’un air triste. Sa longue barbe était recouverte de stalactites et il avait posé sa main droite sur le sol devant lui. Il était gigantesque. Il touchait les nuages du haut de son crâne. Je reconnus alors, l’homme dessiné dans la caverne. C’était le visage qui était peint dans le soleil.
         Sans plus attendre, nous nous hâtâmes de le rejoindre. La marche fut longue et silencieuse, bien que certains eurent l’enthousiasme de s’adresser aux autres d’une voix joyeuse.
         Une fois au pied du colosse de givre, je relevai la tête pour mieux l’examiner. Il était inerte, seul et mélancolique au Nord du monde. Je m’adressai alors à Luna :
« Et… Comment va le Sud ?
— Il est dans une mauvaise posture. Mais il sera sauvé ce soir… »
Je regardai alors dans la main du titan, posée dos contre le sol. Il y avait un pilier de pierre à hauteur d’homme sur lequel des branches et des brindilles de bois reposaient. Malgré l’humidité environnante, elles étaient totalement sèches. Sachant ce qu’il allait se produire, la tristesse gagna mon cœur. Je m’adressais de nouveau à Luna, faisant fi du regard des autres :
« Ma chérie… T’avoir eu à mes côtés fut la plus belle chose qui me soit jamais arrivée. Dans mes livres et durant mes études, j’étais si seul… Mais ce soir-là, le soir où tu m’as parlé pour la première fois, j’ai enfin ressenti une chaleur humaine au milieu de l’hiver. Je me délecte des souvenirs de ces longues nuits passées à tes côtés, à te contempler par la fenêtre de mon bureau…
— Je t’aime… »
Sa voix me sembla plus féminine que jamais. Elle résonnait en moi et ses mots furent comme ceux d’un adieu dont on se souvient pour la vie.
« Je t’aime aussi, ma belle Lune. »
Je m’approchai alors du pilier, la larme à l’œil. Je retirai mon sac de mon dos et j’y pris une torche et une boite d’allumettes. J’allais allumer la torche, quand soudain, j’entendis un bruit de métal, juste derrière moi. Berni posa son fusil sur le haut de mon dos.
« Recule de là. » me glissa-t-il dans l’oreille.
Je fus sans voix. Figé par la peur. Allait-il plonger le monde dans les ténèbres pour une histoire d'égo ? Selon la prophétie, j’étais le seul à pouvoir accomplir le rituel et, les jours passants, le temps pressait. Bientôt, la terre serait recouverte par les glaces. Il reprit la parole d’une voix sombre :
« Je ne comprends pas comment tu as su nous guider jusqu’ici, mais une chose est sûre : tu ne me doubleras pas. Tu croyais peut-être que je ne verrais pas ton petit manège ?
— Berni ! » intervint un autre.
Mon bourreau se retourna sans réfléchir et il lui tira dans le visage. L’homme courageux s’effondra sur le coup et tout le monde se recula alors que Berni replaçait son canon au niveau de mes poumons.
« Tu croyais pouvoir m’avoir ? Tout le long du voyage, tu semblais désolé pour les autres membres de l’expédition… Comme si tu allais nous sacrifier.
— Non, tu te méprends… »
La lune se mit à briller davantage. Progressivement, elle devint de plus en plus blanche tandis que la température chutait drastiquement.
« Celui qui sera réellement sacrifié, ce sera moi.
— Ah oui ? Un lâche qui se sacrifie ? Et tu crois que je vais avaler ça ? »
Il mit son doigt sur la gâchette de son arme et je sentis la mort se rapprocher. Mes joues me faisaient souffrir à cause du gel et je regardai une dernière fois ma Lune. Elle me prodigua un dernier conseil :
« Tarian, mon amour, tu devrais cacher tes yeux de tes mains… Il est parfois préférable de ne pas voir les monstres de la nuit. »
Je fermai les yeux et mis mes gants devant.
« Haha ! Même dans la mort, tu es pitoyable… Adieu ordure. »
Berni appuya sur la queue de détente de son arme… Mais il n’y eut rien que le vide. Le givre avait envahi le canon du fusil et il était inutilisable.
         Après un court moment de surprise, Berni s’aperçut que la lune était plus brillante que jamais. En tournant le regard vers elle, il hurla d’un cri effroyable. Il souffrit tellement fort qu’aucun mot ne put être prononcé, seulement des râles d’agonie. Il balança son fusil et se mit à genoux, puis il retira ses gants dans une folie crasseuse et il planta ses doigts dans ses yeux pour les arracher. Du sang giclait de sa bouche tandis que ses cris étaient désormais noyés dedans. Il ne ressemblait dès lors plus à un humain, mais à une créature de douleur inimaginable. Il se roulait par terre pour faire sortir une vision d’horreur de sa tête.
         C’est alors que je m’emparai de la torche tombée à terre et que je l’allumai rapidement à l’aide de mes allumettes. Sans y réfléchir davantage, je mis le feu au flambeau de l’effigie. En me retournant, je constatai que Berni n’était plus qu’un déshonoré de plus, encore conscient de sa vie d’avant. Mais quelque chose m’interpela. Un craquement assourdissant résonna entre toutes les montagnes du Nord. Derrière moi, la main de l’effigie se referma sur le flambeau et un grondement retentit. L’homme titan se réveillait. Une forte chaleur émana de son corps alors qu’il commençait à se relever. Il se frotta les yeux de ses mains gigantesque et, peu à peu, la glace qui le recouvrait fondit.
         C’était un dieu à la peau claire et brillante. Ses yeux bleus ne regardaient que moi et je sus que l’heure était venue. Autour de moi, les autres explorateurs coururent se mettre à l’abri plus loin, mais leur sort était déjà scellé. Le géant posa de nouveau sa main sur le sol et je la gravis avec difficultés. Il me porta à hauteur de son visage, puis, il prit la parole d’une voix roque et imposante :
« C’est donc toi qui m’as réveillé… Comment te nommes-tu, petit homme ?
— Tarian… »
J’étais terrifié et je voulais adresser mes dernières paroles à Luna, mais je n’en eus pas la force.
« Tarian hein ? C’est un joli nom. Apprends à l’oublier. »
Il prit une mine plus triste en regardant le monde autour de lui.
« Tarian… Je prie pour que tu saches mieux que moi inculquer à tes enfants l’importance du spirituel et des valeurs… »
Il semblait désespéré. Les traits de son visage âgé s’effondraient dans un tourment que je ne comprenais pas.
« Mais… C’est aussi ce que m’avait dit mon prédécesseur. Bon courage, Tarian. »
Il se tourna ensuite vers la lune pour lui adresser ses dernières paroles.
« Luna, mon amour… Tu m’as tellement manqué. »
Sans attendre de réponse, le géant referma ses doigts au-dessus de moi, m’enfermant dans sa main chaude. Luna me dit alors :
« Adieu, mon amour… Je ne t’oublierai jamais. »
Et une implosion de flamme recouvrit le monde.
         Les autres expéditeurs furent anéantis sur le coup tandis que les glaces du cataclysme de l’hiver noir se mirent à fondre partout de par le monde. Le géant qui me tenait se consuma peu à peu dans la douleur, tandis que je me sentais grandir… La flamme avait été ravivée. L’hiver était passé, le printemps se levait sur le monde.
         Je m’endormis dans une sérénité particulière. Quand je me réveillai, je voyais la terre depuis l’espace. Je pouvais voir chaque partie de l’hémisphère Sud en détails et je l’éclairai de ma lumière chaude et solaire… Je vis des enfants qui s’amusaient ; des amoureux sur un banc ; des rivières de verdure et des arbres vivants. J’avais l’impression de revivre mes jeunes années… Au centre de mon village natal, je pus apercevoir des habitants brûler une effigie de bois me ressemblant. Je sentis leur foi m’enivrer d’une fierté nouvelle. J’étais piégé dans cet astre du firmament, mais je ne m’étais jamais senti aussi vivant. La joie que je contemplais dans ce monde était tout ce dont je rêvais… Mais une pensée sombre me condamna à la mélancolie… Alors que j’arrivai au nord du monde, je compris que jamais plus je ne verrai la nuit…
La Lune, mon amour, ne croisera plus jamais ma route. Je n’entendrai plus jamais sa voix. Cette sentence est celle des hommes courageux, après tout… C’est ainsi. Telle est ma damnation pour avoir un jour croisé son chemin… Et, bien que la mélancolie ne me quittât jamais, je gardai son visage au cœur de ma mémoire… Dans une chaude larme, je fis pleuvoir l’amour sur le monde en l’imprégnant d’un doux souvenir réconfortant :
Luna.
Nouvelle du : 18_19_20 / 10 / 22
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n-a-colia · 2 years
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Peur de Mourir
Ce que vous vous apprêtez à lire est une nouvelle.
Chapitre I :
         J’étais dans la merde. Coincé au beau milieu d’un nid de mutés, dans une pièce sombre et dévastée… J’étais caché derrière un bureau à l’accueil de l’immeuble et je recouvrais ma bouche de ma main droite pour retenir les sons de ma respiration. Autour de moi, je les entendais bouger… Ils frottaient leurs dents entre elles tellement fort que le grincement produit était semblable à celui d’une craie sur un tableau noir.
« Bon sang ! pensai-je. Le lieu semblait désert quand je suis rentré. Pourquoi ces enfoirés sont-ils réveillés ? »
Mais je ne pouvais en vouloir qu’à moi-même.
         En cherchant de quoi manger dans ce hall, j’avais repéré un distributeur de snacks que je m’étais empressé de briser à l’aide de mon pied-de-biche… S’ensuivit un bruit sourd qui résonna dans la cage d’escalier à côté de l’engin. La suite était prévisible. J’allais mourir ici.
         Je priais tout de même pour que ces monstres se ruent vers un autre endroit mais quand les mutés entendaient un bruit, tout ce qui pouvait les dévier de leur chasse, c’était un autre bruit. Je cherchai prudemment dans mon sac à dos.
Une lampe torche ; un sachet de chips ; une bouteille d’eau… Et du matériel électronique en tout genre. Rien d’utile ! Fait chier !
Piégé, je tentai le tout pour le tout. Je me redressai légèrement pour passer ma tête au-dessus du bureau et voir mes futurs meurtriers. Des stores de papier étaient baissés devant les vitres de l’entrée de l’immeuble, ce qui ne me laissait que de fins faisceaux de lumière pour voir dans l’obscurité de cette salle blanche. Ils avaient leur corps noir et visqueux habituel, pas encore métamorphosés. C’était bon signe, car cela m’indiquait qu’ils ne m’avaient pas repéré. En même temps, si ça avait été le cas, je n’aurais déjà plus été de ce monde. J’épiai davantage :
Un devant l’entrée ; un autre à droite… Un vacillant à gauche accompagné d’un autre… Pff…
         C’est alors que celui de droite, plus proche que les autres, tourna la tête dans ma direction… Il avait le visage de ma petite sœur. Elle souriait, comme si elle était heureuse de me revoir. Seulement, son œil gauche était sur sa joue. Bien que je fusse désormais habitué à cette vision d’horreur, elle n’en restait pas moins déroutante et il me fallut un lapse de temps trop long pour réagir. La créature m’avait repéré avant que je me remette à couvert. L’adrénaline me montait à la tête et je sortis mon pistolet de son étui.
         J’étais très mauvais tireur et il ne me restait plus que deux balles. J’estimai donc mes chances de survie aux alentours de 4%. J’étais terrifié et la créature accentua mes craintes lorsqu’elle gémit d’une voix fluette :
« Pourquoi tu te caches, Mathieu ? »
C’était la voix de ma sœur qu’elle imitait ! Elle m’avait repéré et elle s’approchait lentement de ma position. Ses grincements de dents avaient cessé, elle adoptait un comportement de chasse…
« Tu te caches parce que tu veux plus me voir ? »
Elle commença à pleurer et des souvenirs épouvantables vinrent me tirailler l’estomac.
Ma sœur était morte devant moi, dévorée petit à petit par une meute de mutés… J’étais resté caché durant tout ce temps, impuissant face à leur nombre. Je n’avais pu qu’écouter ses cris et ses pleurs alors qu’elle agonisait, puis, j’étais resté seul… Durant des semaines ou des mois.
« Mathieu… J’ai peur ! Les mutés, ils sont partout ! Ne me laisse pas encore comme ça… S’il te plait… »
Sa voix était plus proche que jamais et ses gémissements m’étaient insupportables. J’empoignai mon arme avec force et je me préparai à l’action. J’allais me lever et tirer une balle dans la tête de l’enfoiré qui avait osé imiter ma sœur, puis utiliser la balle qui me restait pour m’occire. Je priai une dernière fois :
« Petite sœur, j’arrive… »
         C’est alors qu’un coup de feu retentit à l’extérieur du bâtiment. Les créatures se retournèrent d’un coup vers la porte d’entrée, puis elles foncèrent dessus, la défonçant au passage. Quand elles arrivèrent dehors, elles émirent un hurlement strident à cause de la lumière du soleil, mais elles continuèrent leur route, manquant de trébucher dans leur course effrénée.
         Je mis un certain temps à réaliser que je venais d’échapper à la mort… Mais le silence en était témoin. Je me relevai doucement, arme à la main, et je me dirigeai vers l’entrée. Je regardai dans toutes les directions pour être certain de ne pas en louper un qui se serait planqué, mais il n’y avait que moi dans cet immeuble. Je laissai s’échapper un souffle de soulagement et je marchai en direction de l’extérieur, quand je vis une silhouette dans la lumière du jour.
         Devant moi, une femme brune à la chevelure longue et détachée se tenait avec fierté. Elle me souriait mais ne semblait pas être un muté. Son visage était bien symétrique et son sourire était sincère. De plus, je n’avais jamais vu cette personne auparavant alors les mutés ne l’auraient pas reproduite en face de moi. Elle était belle, mais j’avais l’intuition qu’elle allait être une source d’ennuis.
« Salut ! s’exclama-t-elle en sautillant.
— Heu… Salut. T’es qui ? »
Elle croisa les bras et débuta une marche en balançant ses pieds dans ma direction.
« C’est tout ? Pas même un petit merci ?
— Le coup de feu, c’était toi ? »
Elle rit d’un air conquérant et dégaina un fusil accroché à son dos qu’elle brandit vers moi. Je levai les mains en l’air, craignant qu’elle ne soit en réalité qu’une pillarde de plus, mais elle éclata de rire avant de le ranger.
« Haha ! T’inquiète ! Je t’ais pas sauvé la vie pour te fusiller ensuite. Ouais, c’était moi. J’ai entendu des pleurs venir de ce bâtiment. Le truc, c’est que j’avais déjà repéré un nid à l’intérieur, alors j’en ai conclu que c’étaient des mutés en chasse. Voilà ! »
Un silence envahit la pièce après ce long discours. Je ne savais pas vraiment quoi dire et elle semblait attendre beaucoup de moi. Son attitude trop amicale et ses gestes trop nombreux m’indiquaient qu’elle était seule depuis longtemps. Je pris enfin la parole en la dépassant pour sortir du bâtiment.
« Merci. À plus !
— Attends ! »
J’arrivai dehors.
         Le ciel était toujours nuageux et teinté d’un rouge volcanique. Il brûlait, comme d’habitude. La végétation s’était emparée de la ville et elle grimpait aux bâtiments. Celui dont je sortais fut une espèce de monument bizarre par le passé : Une sorte d’immeuble de verre tordu, comme si on l’avait pressé. C’était une forme d’art immonde et je me dis qu’il allait être bien plus beau une fois recouvert de verdure.
         Je continuai mon chemin sur la route de goudron au milieu de cette ville morte tandis que la fille me suivait. Elle restait silencieuse, à deux ou trois mètres de moi. C’était comme si nous étions compagnons de voyage depuis longtemps mais je ne voulais pas d’elle à mes côtés. Rester seul dans ce monde avait tendance à faire sombrer les esprits les plus combatifs dans la folie et ses cheveux détachés m’indiquaient qu’elle favorisait son apparence plutôt que l’aspect pratique. J’estimai qu’en restant avec elle mes chances de survie chutaient de 10% à 15%, ce qui les faisaient baisser de 85% en moyenne à 75% ; 70%. Bien-sûr, elle avait une arme à feu puissante, mais elle était également une bouche supplémentaire à nourrir. Une bouche qui, de surcroit, s’ouvrait beaucoup trop pour le peu qu’il y avait à dire.
« Pourquoi me suis-tu ? »
Elle était plus petite que moi et elle devait presque courir pour tenir la cadence de ma marche rapide. Elle ahana :
« Eh bien… Je me disais que… que vue que je t’ai sauvé la vie, on pourrait… on pourrait faire équipe !
— Non. »
Elle continuait de suivre la cadence. Après un court silence, elle reprit d’une voix joueuse :
« T’es pas très bavard ! C’est drôle… On dirait que le destin… que le destin nous a mis sur la même route. Toi qui restes muet… et moi qui évite les silences insupportables ! On fera une fine… équipe ! »
Je m’arrêtai et me retournai vers elle. Elle s’immobilisa en levant légèrement le menton, comme pour me défier. Je m’agaçai et m’avançai face à elle.
« Je crois que tu ne comprends pas comment fonctionne ce monde, alors je vais t’expliquer : Les gens avec qui tu “ fais équipe ” comme tu dis, sont des personnes que les mutés utiliseront pour te piéger. »
Elle fronça les sourcils, la bouche tombante. Ses yeux tristes, azurs comme le ciel que nous avions perdus, pénétraient mon âme. J’avais l’impression d’être un monstre en la rejetant ainsi mais je savais que j’avais raison…
« Alors, si tu veux survivre, comme c’est mon cas, marche seule. Bonne route. »
Je tournai les talons et partis en accélérant le pas. Mais j’entendis un son de métal derrière moi…
« Peut-être, mais c’est moi qui tiens le fusil. »
Je m’arrêtai brusquement, de nouveau. Elle me pointait du bout de son canon, le doigt sur la détente.
« Arrête, dis-je, on sait tous les deux que tu n’es pas une meurtrière…
— Tu serais prêt à miser ta vie là-dessus ? »
         L’atmosphère devint plus lourde. Nous étions au beau milieu de la route, entourés de voitures abandonnées et cramoisies, tandis que le ciel s’assombrissait peu à peu. Le rouge sang des nuages se nuançait pour tirer vers un marron sale et cela m’indiquait qu’il me restait moins de 2 heures pour trouver une planque pour la nuit. De plus, je ne percevais aucun signe de bluff sur le visage de cette femme qui faisait drastiquement chuter mes chances de survie. Je devais prendre la bonne décision. Elle continua :
« Je sais ! Voilà ce que je te propose : On passe la nuit et la journée de demain ensemble. Si demain, au coucher du soleil, tu n’es pas encore convaincu du fait que je sois un atout majeur pour ta survie, je partirai sans faire de scènes. »
Elle baissa son canon vers le sol, comme si j’avais déjà accepté son offre.
Elle ne me laissait pas vraiment le choix, mais après tout, que risquais-je à passer une journée avec elle ? Il fallait simplement ne jamais nous séparer ni nous perdre de vue pour que tout se passe bien.
         Je partis sans rien dire et elle me suivit de nouveau, heureuse d’avoir un nouvel ami. Elle me tira la manche du manteau pour me faire signe d’aller moins vite et je décélérai mon rythme de marche. Nous devions trouver un abri avant la nuit et mes réserves de nourritures étaient limitées. Quand elle commença à fredonner gaiement en sautillant pour avancer à côté de moi, j’estimai ses chances de survie dans ce monde à moins de 40%. Était-elle folle ? Je l’ignorais… Mais quelque chose me disait que j’allais bientôt le découvrir.
Chapitre II :
         Nous marchions gaiement sur les routes désertes de la ville. Le beau brun ténébreux que j’avais rencontré n’était pas très bavard. On aurait dit qu’il poussait la caricature de l’homme mystérieux et tourmenté… De quoi alimenter mille fantasmes, mais s’il croyait pouvoir m’impressionner ainsi, il rêvait ! Il allait devoir redoubler d’efforts dans ce jeu de séduction que nous menions au milieu du chaos.
« Ah ! m’écriai-je.
— Quoi ?! »
Il s’était retourné d’un coup par crainte d’un danger.
« On ne s’est même pas présentés ! »
L’air dépité, il retourna à sa marche insensée. Cette nonchalance avait son charme, mais elle commençait à me faire penser qu’il était plus rabat-joie que séducteur. Je me mis à sa hauteur et pénétrai son regard mais il n’y fit pas attention.
« Moi, c’est Lucie !
— Enchanté, Lucie. Mathieu.
— En tant qu’équipe, je pense qu’on devrait être plus avenant l’un envers l’autre.
— Ah oui, tu penses ? » souffla-t-il.
Je restai à le regarder dans le silence. Il épiait chaque recoin de la ville et parfois, le ciel. Il reprit d’une voix amère :
« Lucie, la nuit va bientôt tomber et on n’a pas de planque… Tu crois vraiment qu’on doit se soucier des rapports que l’on a ? Nos chances de survie sont tombées en dessous de la barre des 60% !
— Une planque ? Ah ! C’est donc ça que tu cherches… Il fallait le dire, j’en ai trois ou quatre dans le coin ! »
Il s’immobilisa au milieu de la route pour se tourner vers moi. Ses yeux noirs ratissèrent chaque partie de mon visage alors que sa bouche s’entrouvrait doucement. Il était décidément un charmeur né… Puis, il déplaça son regard sur les quelques voitures vides autour de nous. Il laissa ses bras se balancer tandis qu’il faisait des pas aléatoires, comme s’il était exténué. Une fois séparé de ma position par quelques mètres, il arrêta ses pas et frotta sa barbe mal rasée de sa main gauche. Puis… Il éclata :
« Bon sang Lucie ! Ça va faire une heure qu’on cherche ! T’aurais pas pu me le dire plus tôt ?! On en aurait profité pour chercher à manger ou à boire !
— Mais…
— Bon ! Vas-y, je te suis. »
Cet accès de colère me perturba quelque peu… J’avais pensé que, comme moi, il voulut simplement passer un peu de temps sur la route pour estimer la compatibilité que l’on avait en tant que coéquipiers. Je restai planté devant lui, sourire gêné aux lèvres, ne sachant ce qu’il attendait de moi. Il tendit son bras pour me faire signe de mener la marche. Super !
         Je sautai sur sa main tendue pour l’attraper et je la tirai pour que l’on avance. Main dans la main, nous étions inarrêtables ! Il ne pouvait pas se plaindre, c’était lui qui m’avait avertie qu’il ne fallait jamais se perdre de vue. Je ne faisais que suivre ses ordres en les agrémentant de ma touche personnelle. Je balançai nos bras au rythme de la marche.
« Alors, qu’est-ce que tu préfères ? J’ai : un bureau sordide ; un toit d’immeuble avec vue sur les rues ; et un restaurant barricadé !
— Mmm… Va pour le bureau.
— Non ! Je sais ! On va aller sur le toit. C’est assez joli, tu verras. Pour un premier rendez-vous, j’ai pas mieux ! »
Dans un mouvement de tête, il souffla avec dédain comme il savait si bien le faire.
         Je le conduisis à mon repère secret, enthousiaste à l’idée que nous allions peut-être coucher ensemble ce soir. Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas vu d’hommes… Et beau, en plus ! J’en salivais d’avance. Dans ce monde tordu qui m’avait laissée seule, j’avais commencé à penser que j’étais probablement la dernière survivante et, bien que je le cachasse, quand je vis Mathieu, je fus le temps d’un instant, la plus heureuse des femmes sur terre.
         Après avoir gravi le grand escalier de l’immeuble, nous arrivâmes à son toit : Ma meilleure planque secrète ! Ce toit avait la particularité de n’être relié à aucun autre car l’immeuble était séparé du reste des habitations, ce qui permettait d’éviter de se soucier de l’arrivée de mutés. Il était spacieux et j’avais installé au sol une tente et un réchaud à gaz ainsi que quelques boites de conserves. J’avais également une récolte de pluie faite d’une petite bâche posée en entonnoir sur un seau. La pluie qui tombait depuis le cataclysme était bien plus acide que lorsque le monde tournait normalement, mais il suffisait de la faire bouillir pour la rendre potable.
         Je tirai Mathieu par la main pour l’entrainer vers le bord du toit. Une bordure de béton de la taille d’une marche faisait office de rempart aux contours de l’endroit. Comme si cela allait empêcher quiconque de tomber ! Au moins, cela nous permettait d’apprécier la vue. Mathieu se dégagea de mon emprise et je lui fis signe de s’approcher, alors que j’étais penchée vers le vide à l’extrémité du toit. Il me rejoignit prudemment… Il avait le vertige, c’était trop mignon !
         Malgré le fait que la nuit allait tomber rapidement, le ciel marron éclairait encore les rues. De notre perchoir qui n’était pas si haut, nous voyions les boutiques aux vitrines brisées qui jonchaient les trottoirs d’une grande rue. Un magasin de vélo ; un autre de chaussures ; et encore un qui vendait autrefois des choses en tout genre, dont le gaz en bouteille qui me servait pour le réchaud.
« Alors… C’est ici que tu vis ?
— Oh non… J’ai plein d’autres planques ! Tu verras. »
Il se retourna et partit vers la tente. Il l’examina un moment, puis dit :
« Ah… Bon. Eh bien, je te laisserai la tente. Le sol ne semble pas si inconfortable que ça.
— Pourquoi ? »
Je me relevai et m’approchai de lui. La lumière environnante baissait à vue d’œil et je n’apercevais presque plus les traits de son visage.
« On peut juste se serrer un peu. Un matelas une place, c’est beaucoup trop grand pour moi ! »
Il resta bouche ouverte, surpris par ma proposition, mais avant qu’il eût le temps de répondre, le ciel s’assombrit davantage, jusqu’à nous plonger dans l’obscurité… Un cri perçant, strident et menaçant, retentit dans toute la ville. Il fut suivi d’un autre venant d’ailleurs, puis d’un autre, et ainsi de suite… La nuit était tombée.
Je m’emparai de la lanterne que je gardai au pied de la tente et je l’allumai. En la rapprochant de mon visage, presque collé au sien, je m’écriai :
« Bou ! »
Mais Mathieu n’eut aucune réaction.
Je ris à ma blague absurde et retournai me positionner contre la bordure du toit sur laquelle je déposai ma lanterne. Je m’allongeai sur le côté gauche de ma hanche et posai mes bras sur le bord de béton, puis je plaçai ma joue dessus pour admirer le peu de choses que l’on pouvait voir dans les rues.
         Les mutés étaient désormais de sortie et nous pouvions en discerner certains dans l’obscurité lorsqu’ils passaient devant des brasiers que j’avais allumé pour l’occasion. Mathieu était mon invité de luxe après tout ! En s’asseyant à mes côtés, il me dit de sa voix suave :
« Ça fait longtemps que tu vis ici ?
— Mmm… Oui. Plutôt. En fait, j’ai toujours vécu ici. »
Je tournai mon regard vers le sien et lui souris. Il avait une attitude plus ouverte, presque gentille. Il prit appui de son bras droit sur la bordure, tourné vers moi, comme pour que j’en dise plus.
« Quand tout a commencé, j’étais à une soirée étudiante. On fêtait la fin de notre troisième année de fac. C’était amusant… Mon copain m’avait demandée de rentrer plus tôt que prévu. Un vrai jaloux celui-là ! Heureusement pour moi, j’étais bornée et susceptible à cette époque.
— Wow ! Rien à voir avec la Lucie d’aujourd’hui ! » se moqua-t-il.
Je lui tapai le bras en riant.
« M’enfin ! Ce ne sont pas des manières de s’adresser à une demoiselle !
— Toutes mes excuses princesse.
— J’aime mieux ça ! »
Peu à peu, mon sourire disparut alors que je replongeai dans mon passé, les yeux rivés sur les rues noires.
« Enfin bref… J’avais décidé de rester le plus longtemps possible ce soir-là… Juste pour lui montrer que j’étais loyale et qu’il n’avait pas de raisons de s’inquiéter. Au cours de la soirée, l’alcool me monta à la tête et mes anciens amis avaient augmenté le son de la musique à fond dans l’appartement. C’est alors que je reçus un appel de mon grand frère… »
Une émotion dérangeante vint s’emparer de mon cœur. Ma vision se troubla lorsque je ressassai ce souvenir. Ma gorge se noua et Mathieu posa sa main sur mon épaule.
« Lucie, arrêtons-nous là.
— Quand mon frère m’appela, je partis dans les toilettes pour pouvoir l’entendre… »
Malgré moi, des larmes me montèrent aux yeux.
« J’ai décroché le téléphone, puis… Il me demanda de le rejoindre dans un parc où on allait avec nos parents lorsqu’on était enfants… Il me suppliait… Il me disait que c’était urgent, que sa vie en dépendait ! … Le problème, c’était que mon frère était à des centaines de kilomètres de moi, dans un autre pays… »
J’essuyai mes larmes et soufflai pour évacuer la pression que ce souvenir me mettait sur le cœur. Je tournai mon visage vers Mathieu, lui souris, et repris :
« Alors que j’essayai de résonner mon frère, encore inconsciente de ce qu’il se tramait dans le monde, la police sonna à la porte de l’appartement. “ Tapage nocturne ” prétendaient-ils. La musique se coupa brusquement, puis, quelqu’un leur ouvrit la porte… S’ensuivit le plus gros bain de sang que je n’avais jamais vu… Les hurlements incessants, les bruits de chair que l’on arrache… Mes amis qui tapaient à la porte des toilettes, implorant ma pitié pour que je leur ouvre… »
Il passa sa main sur ma joue, le regard compatissant.
« On doit tous faire face à nos propres démons, Lucie…
— Haha ! Oui… Et j’ai payé cette cachette au prix fort. Après cette soirée, je n’ai plus aperçu âme qui vive… Tout le monde dans la ville mourut petit à petit avant que je puisse les rencontrer.
— Tu es restée seule… Durant tout ce temps ? »
Je lui fis un “ oui ” de la tête avant que le silence ne s’empare de notre lieu de vie. J’avais cassé l’ambiance et je cherchai un moyen de retrouver cet échange amical que nous avions avant mon histoire. Je me raclai la gorge, puis dis :
« Et toi ? Tu vis quelque part ? »
Il sortit une carte du pays de son sac à dos et il la posa entre nous.
« J’ai beaucoup voyagé. D’après mon expérience, nos chances de survie baissent avec le temps lorsque l’on reste à un même endroit. Bien-sûr, toi, tu t’es bien débrouillée.
— Haha ! Enfin un compliment qui sort de ta bouche. »
Il grogna en souriant, puis passa son doigt sur la carte pour me montrer son chemin.
« Je viens de l’Ouest. Grâce à cette carte, j’ai pu déterminer un chemin pour rejoindre le port de la côte Sud-Est. J’allais là-bas quand j’étais petit. D’après mes souvenirs, l’endroit est reclus et protégé par la montagne. J’espère pouvoir y former un camp sécurisé où je pourrai cultiver ma propre nourriture et pêcher le poisson… Cela augmenterait drastiquement mes chances de survie. Je passerais d’une moyenne de 80%, à 95% voir plus…
— Ah ! Trop cool !
— Oui, cool… Le problème, c’est qu’une longue route de campagne m’attend après cette ville et qu’il me faudra de nombreuses provisions avant de partir. Et puis, des munitions d’arme à feu pour éliminer les quelques mutés qui pourraient se trouver au port. »
Il avait le regard brillant devant le feu de ma lanterne. Parti dans ses rêves, il était plus beau que jamais. J’enveloppai sa main de la mienne.
« Et… Tu ne risques pas de devenir fou, tout seul là-bas ? Je pense que m’emmener augmenterait tes chances de survie d’au moins 10% ou 20% !
— Comment j’augmente mes chances de survie de 10%, si je suis déjà à 95% ? rit-il.
— Eh bien… Les pourcentages supplémentaires représentent les chances de donner vie à quelqu’un d’autre… »
Il sembla perdu. Des sons sortirent de sa bouche mais ils n’avaient aucun sens. À sa réaction, je pouvais comprendre que cette perspective ne lui avait même pas traversé l’esprit. Il calculait certainement les chances de survie d’un enfant dans ce monde et je décidai de le couper dans ses pensées :
« Tout se passera bien, Mathieu… »
Il cessa de réfléchir, puis, en regardant le bas de la rue, il me dit d’une voix plus calme que d’habitude :
« Peut-être, oui… »
Cette annonce me réjouit au plus haut point. J’étais prise d’un enthousiasme immense à l’idée que notre équipe mène cette grande aventure !
         Je me relevai d’un bond émettant un cri aigu de joie que j’étouffai pour ne pas alerter les mutés. Mais, dans mon élan, je donnai un coup de pied à ma lanterne qui chuta du toit. Je réalisai mon erreur quand elle s’écrasa sur le sol de la rue dans un fracas assourdissant… Nous fûmes en proie à la terreur quand, plongés dans le noir total, nous entendîmes un hurlement strident et proche de notre position, pourfendre les cieux de la ville…
Chapitre III :
         La peur est naturelle. Elle nous sert à nous sortir de situations de mort imminente. Dans le monde d’avant, cette peur rongeait la vie des Hommes. Le stress qu’elle procurait se déclenchait souvent sans raison, pour nous indiquer que nous percevions quelque chose comme synonyme de mort alors qu’il n’en était rien… La peur du rejet ; la peur de l’échec ; la peur de l’oublie… Toutes ces peurs… Alors que nous avions toujours une seconde chance. Mais depuis le cataclysme, les survivants avaient pris le temps de retourner à la racine des choses. Lorsque nous avions peur, c’était toujours pour une bonne raison. Notre nature n’était plus contre nous, mais avec nous. Cependant, il est aisé de passer d’une émotion de peur à une attitude de panique. Une attitude de panique, qui représente, dans 100% des cas, la mort.
         Je saisis Lucie par les épaules pour qu’elle ne bouge pas. Il fallait à tout prix qu’elle réfléchisse avant d’agir. Nous étions dans le noir total et je ne voyais plus son visage, mais j’entendais sa respiration lourde qui s’accélérai progressivement. Je lui chuchotai :
« Lucie, as-tu d’autres sources de lumière ?
— Heu… »
Elle était perdue tandis que nous entendions un muté arriver à l’emplacement où la lanterne s’était brisée. Je la secouai un coup et elle réussit à se ressaisir.
« Heu… Oui ! »
Elle fonça sur sa tente et s’effondra dessus à cause de sa course dans le noir.
Bon sang ! Fait chier !
         Je sortis mon pistolet. Il ne me restait toujours que deux balles et j’entendais la créature grincer des dents… Cela signifiait qu’elle se rapprochai de nous. Je me penchai au-dessus du rebord du toit et ne vis rien. Mais le son dérangeant se rapprochait. Le muté était en train d’escalader le bâtiment par ses balcons !
« Lucie ! Dépêche-toi !
— J’essaie ! » répondit-elle en se débattant avec sa tente.
Je me reculai du bord de quelques mètres pour garder un angle de tir dans le noir.
« Arrête ! » m’écriai-je.
Lucie s’immobilisa et les bruits de sa tente qui se pliait sur elle-même cessèrent…
         C’est alors que la créature arriva au sommet du toit. Nous ne la voyions pas, mais nous entendions ses dents se frotter entre elles. Dans l’obscurité, le muté ne nous voyait pas non plus. Ils avaient un très mauvais odorat et une moins bonne vue que les humains, mais une ouïe extraordinaire… Le fait que ses dents grinçaient nous indiquait cependant qu’il ne nous avait pas encore repérés.
         Je retins ma respiration et Lucie fit de même. Nous aurions été dans le silence total si le muté ne produisait pas ce crissement infernal. Je priai pour qu’il s’en aille, mais je savais qu’il n’en ferait rien…
         Soudain, la terreur s’empara de moi. J’entendais les grincements du muté s’approcher de la tente… Lucie le remarqua également et elle laissa s’échapper un souffle du nez paniqué. À ce moment, un silence de mort retentit comme le son du glas et je compris que le muté était passé à l’étape de la chasse.
         J’étais perdu. Complètement désemparé. Que fallait-il faire ? Devais-je l’attirer vers moi ? Devais-je lui bondir dessus ? À deux, peut-être que nous avions une chance de gagner ? Mais dans les ténèbres, tout mouvement était incertain. Je brandis mon pistolet devant moi…
« Lucie, pourquoi ne m’as-tu pas rejoint dans ce parc ? »
Cette voix masculine m’indiquait peu à peu sa position mais je n’étais sûr de rien… Il continuait de bouger.
« On aurait survécu ensemble, Lucie… Sans toi, j’ai dû me laisser mourir. J’ai cru que ces salopards t’avaient eu…
— Non… » pleura Lucie.
         Ce gémissement de Lucie signait son arrêt de mort dans la seconde si je ne faisais rien. Sans plus attendre, je tirai à l’endroit où je pensais le trouver. Un flash lumineux sortant de mon arme m’éblouit lors du tir mais le son était étouffé par le silencieux que j’y avais ajouté. Durant une fraction de seconde, nous pouvions voir ce qu’il se passait sur le toit. Le muté avait prit l’apparence d’un homme assez grand qui avait la trentaine tandis que Lucie était allongée sur sa tente, en pleurs. Mon tir lui toucha l’épaule et il poussa un cri inhumain en se tournant dans ma direction. L’obscurité revint s’emparer du toit mais le muté m’avait vu…
         J’estimai mes chances de survie à 30%. Si je ratais ce tir, j’étais perdu. Je levai mon arme pour pointer l’endroit où j’espérai toucher sa tête, puis, Lucie alluma une lampe à rayons ultraviolet et elle la brandit à bout de bras vers la créature qui commença à se tortiller en hurlant de douleur.
         Il fallait réagir rapidement. Les mutés détestaient la lumière du soleil, mais elle ne les empêchait pas d’agir. Elle ne faisait que les affaiblir et les étourdir un bref instant. Cependant, le muté bougeait dans tous les sens et lui tirer dans la tête était une option à oublier avec un taux de réussite que j’estimai en-dessous de 15%.
Je pris mon courage à deux mains et je fonçai alors, tête baissée, sur la créature. Je poussai un cri qui avait l’allure d’un dernier souffle. J’avais toute la haine du monde alimentée par la peur de mourir. Dans ma course, je pensai à ma petite sœur. J’eus l’image de l’œil tombant sur le visage imité du muté rencontré plus tôt et ma rage monta en flèche. Au contact de la créature, elle se redressa pour me faire face mais il était trop tard. Je la poussai de toutes mes forces et m’effondrai sur le toit. J’avais réussi à déséquilibrer le muté suffisamment pour qu’il recule de deux pas. Seulement, le deuxième cogna contre la bordure du toit et le monstre bascula en arrière, chutant dans un cri immonde avant de s’effondrer sur le trottoir… Puis, plus rien. Le silence après le chaos.
Je me penchai au-dessus du vide mais je n’y vis que les abysses de la nuit. Je me retournai alors vers Lucie qui était pétrifiée de peur et en larmes. Aucun cri ne résonna dans la ville et je compris que nous venions d’échapper au pire. Par chance, celui-ci faisait bande à part.
Je m’effondrai sur le sol, assis contre la bordure, le regard vers cette femme qui avait failli nous faire tuer. Elle posa sa lampe pour se recroqueviller derrière ses jambes en se balançant sur elle-même.
« Je suis désolée… » sanglota-t-elle.
Épuisé, je m’allongeai contre la bordure.
« N’y pensons plus. Demain, sera une longue journée… »
Je réussis finalement à m’endormir après de longues minutes, malgré les gémissements de Lucie.
         Le lendemain, Lucie resta muette une bonne partie de la matinée et moi aussi. Les rues de la ville étaient désertes et déjà pillées, alors elle m’avait emmené vers les extrémités. Les bâtiments perdaient en hauteur à mesure que nous avancions mais j’avais toujours ce sentiment d’oppression que j’éprouvais dans chacune des villes que je traversais.
         En ville, les nids de mutés étaient répartis à des endroits aléatoires dans les bâtiments. Qu’ils semblassent vides ou non, chaque immeuble était un potentiel danger et prendre le mauvais tournant dans une rue pouvait parfois mener à des impasses, ce qui rendait difficile la fuite.
« Tu… comptes partir aujourd’hui ? me demanda-t-elle, inquiète.
— Dans l’idéal, oui. »
Elle garda sa tête baissée en direction de ses pieds. Elle craignait que je parte sans elle… Et elle avait raison.
         Malgré le réconfort qu’elle m’apportait par sa présence chaleureuse, elle était trop instable. La solitude l’avait déjà rongée et son attitude infantile finirait forcément par la trahir… Le voyage en campagne nécessitait d’utiliser chaque seconde pour survivre et Lucie en perdait trop souvent, pour rien. L’emmener avec moi diminuait nos chances de survie à tous les deux.
         Lors de notre marche dans les abords de la ville, je regardai le ciel. Toujours brûlé… À la position du feu dans les nuages blancs et noirs, j’estimai qu’il allait bientôt être midi. L’air était lourd et une odeur de pourriture vint inonder nos narines.
         Lucie et moi avions déjà fouillé quelques magasins avant d’arriver ici. Nous y avions trouvé quelques boites de conserves fermées et d’autres percées, de l’eau en bouteille également, mais aucune munitions… Elles se faisaient rares par les temps qui couraient.
         Nous arrivâmes à une place entourée d’échoppes aux vitres brisées. Un carrefour faisait le tour de l’endroit et des voitures recouvertes de végétation parsemaient la route. Elles avaient créé un bouchon dans la circulation lorsque le cataclysme eut lieu et elles n’avaient pas bougé depuis… Au centre de la place se trouvait un petit parc de verdure dont les herbes avaient poussé à hauteur de genou. Les bancs qui servaient autrefois aux amoureux pour se reposer étaient complètement recouverts de mousse. Pour une raison que j’ignorai, Lucie marchait en direction de l’entrée de ce parc…
         C’est alors qu’une pensée vint me tirailler l’estomac… Avec Lucie, nous avions convenus de passer la nuit et la journée ensemble… Mais qu’adviendrait-il si je refusais de poursuivre ma route avec elle ? Elle était instable et elle avait toujours ce fusil accroché dans le dos. De plus, quand elle m’avait braqué avec son arme la veille, je n’avais vu aucun signe de bluff. Serait-elle prête à me tirer dessus ? Je ne sus estimer les chances qu’elle en soit capable, mais je commençai à avoir peur…
         Lucie me sourit, tandis que nous approchions du centre du parc. Elle était belle et heureuse. Telle une enfant, elle avait complètement passé l’éponge sur ce qu’il s’était produit cette nuit. L’insouciance dans ses yeux bleus, elle courut alors en s’écriant :
« Oh ! Viens voir ça ! »
Elle s’empressa de rejoindre le centre du parc, au milieu de la verdure. Tandis que je marchais pour la rejoindre, ma vision se troubla et ma tête résonna sous la pression d’une décision importante.
« T’as vu ça ?! Elle est magnifique ! Je croyais ne plus jamais en revoir… »
Elle se penchait au-dessus des herbes hautes et j’aperçus ce qui l’émerveillait :
         C’était une simple Tulipe. Une fleur que l’on trouvait par centaines dans les campagnes environnantes… Une fleur rouge, de la couleur du sang, belle et insouciante, qui vacille au gré du vent. Cette fleur semblait happer toute son attention.
« Tu crois que je devrais la mettre en pot ? »
         La candeur dans sa voix me déstabilisa. Elle se tenait debout, les mains sur les genoux et le visage tourné vers la fleur de ses songes. Ses yeux brillaient et sa bouche restait ouverte, son âme rajeunissait à mesure que son cœur s’embrasait.
         Bientôt, je ne pus plus avancer. Je restai figé à quelques mètres d’elle, dans le silence. Ma tête tournait beaucoup trop pour que je fasse le moindre pas de plus. J’imaginai une vie au port à ses côtés. Pêcher avec elle, danser et rire à ses côtés, faire l’amour… J’imaginai ses joies dans un monde détruit. Ses insouciances au coucher du soleil, et ses gentillesses à l’aube. Mais ceci n’était qu’un rêve. Je savais au fond de moi que c’était impossible. Était-ce une fleur que je lui faisais ? Mon cœur s’emballait davantage. Après tout, était-ce une vie que d’errer seule dans cette ville ? Mon souffle devint saccadé et incontrôlable.
« Mathieu, tu saurais l’emporter ? Je ne suis pas… »
         Quand elle tourna son visage vers moi, son sourire se déchira immédiatement. Ce ne fut pas de la peur qui le remplaça, mais de la tristesse. Ses yeux s’humidifièrent, puis, pistolet à bout de bras, je lui tirai une balle dans le coeur. Elle s’écroula au sol, écrasant la Tulipe qu’elle admirait.
Je…
Le silence. Et quoi ? Plus rien.
         Figé, le bras toujours tendu, je lâchai mon arme sur le chemin de pavés qui m’avait mené jusqu’ici. Le poids sur mes épaules devint insoutenable tandis que je retrouvai un silence qui m’était familier. Je m’effondrai sur mes genoux. Au moment où ils cognèrent le sol, je réalisai ce que je venais de faire. Le plus grand regret qu’il était possible d’éprouver me noua la gorge jusqu’à l’étouffement.
Non…
         Le regard perdu sur le corps inerte de Lucie, je sentis une larme acide couler sur ma joue. Bientôt, ma vue fut tellement floue que je n’arrivais plus à la voir, alors, je rampai sur le sol pour la rejoindre. Je sanglotais tandis que des souvenirs qui n’existeront jamais découpaient mon esprit. Une fois à sa hauteur, je ne sus que faire.
« Lucie je… je suis désolé… »
Je posai ma main sur son épaule, comme si elle était encore vivante, face contre terre.
« Lucie… c’est que tu avais le fusil… j’ai pris la bonne décision… Lucie, je t’en prie… »
J’attendais une réponse de sa part mais elle ne répondit pas. Je retirai son fusil de son étui dans son dos.
« Ton putain de fusil ! Lucie… Pourquoi ? »
Au toucher froid du métal de son arme, je commençai à pleurer abondamment. Je ne pouvais me résoudre à avoir fait une chose pareille. J’essayai de me consoler en me persuadant qu’elle était un danger à éliminer, mais je n’y croyais presque plus…
Quand j’ouvris le canon de son arme, ce fut le coup de grâce. Il n’y avait aucune cartouche. L’arme était vide. Lucie avait utilisé sa dernière munition pour me sauver la vie…
Je laissai tomber le fusil et pris ma tête dans mes mains puis j’arrachai mes cheveux. Je ne voulais plus vivre. J’étais devenu un monstre. Mes estimations n’avaient plus de sens, plus rien n’avait de sens… Je n’avais même plus le courage de lui adresser la parole. Je hurlai de toutes mes forces pour déverser mon désespoir infini dans les rues de cette ville maudite. J’hurlai de nouveau. Et encore, et encore… Jusqu’à me déchirer la voix.
Mes complaintes furent entendues, et soudain, après un énième hurlement, un cri strident me répondit. J’appelai encore et un autre se fit entendre. J’ameutais les nids pour en finir une bonne fois pour toutes avec cette vie absurde dont je ne voulais plus.
Quelques secondes plus tard, des mutés me rejoignirent. Ils étaient bien plus nombreux que ce que j’avais pu voir jusqu’ici. J’avais alerté au moins trois nids et ils vinrent se placer en cercle autour de moi, regardants le cadavre de l’ange qui m’accompagnait. Mais contre toute attente, ils ne me dévorèrent pas immédiatement. Ils restaient simplement plantés là, le regard perdu.
Puis, l’un d’eux prit l’apparence de Lucie. Un autre le suivit, et un autre, jusqu’à ce que tous soient déguisés en elle. Certains avaient la bouche tordue, d’autres avaient un nez ou un œil mal placé, mais ils avaient tous emprunté son apparence. À l’unisson, ils me dire d’une voix qui me planta la poitrine :
« Pourquoi m’as-tu tuée Mathieu ? Je pensais que nous formions une équipe…
— Butez-moi ! Allez-y ! Finissons-en !
— J’aurais tellement aimé emmener cette Tulipe au port… »
Dans un ultime hurlement, j’attrapai mon arme à feu et j’appuyai sur la clé de détente, l’arme pointée sous mon menton… Mais je n’avais plus de balles.
« Mais la Tulipe est morte maintenant. Nous étions si bien ensemble… Tu me manques déjà… »
         Je me relevai d’un coup et fonçais vers l’un des mutés que je poussai violement, mais il n’eut aucune réaction. Des traits de tristesse se dessinèrent sur les visages copiés de Lucie et ils commencèrent à se disperser lentement…
« Revenez ! Tuez-moi ! Tuez-moi, je vous en prie… »
Je m’effondrai de nouveau.
Allongé sur le dos, je patientai… Longtemps. Mais la mort ne vint pas me prendre. Finalement, en pensant à elle, je m’endormis, puis, je fis un long rêve, incarnant un monstre immonde dans un monde apocalyptique, duquel je ne me réveillasse jamais…
N. A. Colia
Nouvelle du : 15-16-17/10/22
Défi : Ecrire une nouvelle à partir d'une image.
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n-a-colia · 2 years
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Étoiles
         J’étais sorti dans un but précis. Dehors, il ne faisait pas plus froid que d’habitude, mais je sentais tout de même que les parties métalliques de mon corps gelaient. Mon bras me faisait souffrir à cause d’un dysfonctionnement de la puce qui survint lors d’un rechargement de batterie. J’avais la sensation que ma chair brûlait et que mon cœur pouvait s’éteindre de douleur si je n’agissais pas immédiatement. Mes veines étaient emplies de lave bouillonnante et, bien que j’eusse toujours la vue, j’avais l’impression que mes yeux crevaient toutes les secondes… C’était comme s’ils allaient exploser sous un afflux de sang. Je traversais donc les rues de Locard en titubant, à la recherche de menthe.
         Je réalisai, un peu tard, que les rues étaient bondées de monde. À mon passage sur les trottoirs de bitume gris et sales, les autres passants me regardaient comme si j’étais un monstre. Pourtant, je n’étais pas le seul ! N’avaient-ils jamais vu un autre Mentharin ? Ne passaient-ils que par les belles avenues de métal ?! Impossible ! Je tentai de cacher mon visage sous ma capuche noire mais ma posture courbée me trahissait. J’étais nu, face aux jugements de ces dieux qui n’eurent jamais le malheur de toucher à la menthe.
         Les sons environnants me percutaient le crâne. Des grésillements ; des alarmes lointaines ; des cris : tout était fait pour me persécuter. L’on entendait un vacarme incessant malgré notre silence. La ville nous hurlait son agonie.
         En piétinant une flaque d’eau noire glacée, je m’aperçus qu’il faisait nuit. Aucune étoile n’avait été vue depuis bien longtemps. D’ailleurs, moi, comme tous ceux de Locard, n’en avions jamais vu… De nuit, le centre du ciel était dans une obscurité crasse et ses contours étaient d’un blanc terne, effacé par les mille divines lumières de la ville éclair.
         Je marchai dans les rues, parfois en perdant mon chemin au milieu des dédales d’acier. Quand je relevai la tête, je compris enfin que la ville était faite sur mesure pour que l’on y reste. Je m’arrêtai au centre d’une ruelle exigüe et presque vide, plongée dans un silence de mort. Sur ma gauche, un mur orné de dix écrans publicitaires, derrière un grillage électrisé. Combien de fois avais-je vu cette publicité depuis que j’étais sorti ? Dix ? Vingt ? Cinquante ? Était-elle à chaque tournant de cette ville puant la pisse ? Non… Elle n’en était qu’une de plus, parmi les centaines d’autres qui se répétaient, encore et encore, jusqu’à ce que notre esprit ne pense plus qu’à ça… C’était la course à celle qui pénètrerait le mieux le cerveau des habitants.
         Celle qui m’avait gagné représentait un rapport sexuel entre un homme et une femme à moitié mécaniques et complètement nus. En levrette, l’homme lui arrachait ses cheveux blonds d’une main robotisée, tandis que sur le visage de la femme, un sourire démoniaque était dirigé vers le futur client. Son œil droit robotique émettait une lumière rouge. Elle levait sa main mécha gauche sur laquelle elle avait une longue lame… Au bas de l’affiche publicitaire sur fond rose bonbon, on pouvait lire : « Contre le viol, tentez Mécha-nous ! ».
         D’un accès de rage, je m’emparai d’une canette de soda écrasée sur le sol et je la lançai sur la grille dans l’espoir de toucher la publicité. Cependant, au contact de la grille, la canette ne fit que se désintégrer et une douce voix de femme retentit du panneau publicitaire :
« Iel. Corlian. Numéro : 1 439 132 345. Vous avez été remarqué en train de commettre la contravention suivante : dégradation mineure sur la voie publique. Vous perdez : 1 point de crédits sociaux. Votre solde est de : 13 points de crédits sociaux. Bonne journée à vous ! »
         C’était un message automatique, mais cette voix fut une délivrance pour moi. J’avais enfin un contact avec une femme ! Enfin ! Il n’y en avait plus dans les rues. Mon cœur s’embrasa du manque de menthe mais également d’un sentiment nouveau… J’attrapai un autre débris au sol et je le jetai contre la grille. La voix de la femme retentit encore pour me dire exactement la même chose… Mais le mot douze sonnait mieux que le treize. Je m’en délectai !
         Dans mes plus sombres pensées, j’imaginai la seule chose que je pouvais imaginer : Que cette femme qui s’intéressait à moi était la même que celle sur l’affiche publicitaire. Je continuai ma route, alors que sa voix résonnait encore dans mon esprit.
         Je pris à droite à l’un des croisements, tandis que j’étais complètement perdu. Les panneaux publicitaires étaient le seul repère dans cette ville et ils changeaient toutes les semaines. C’était comme si les murs de Locard bougeaient…
J’arrivai dans une ruelle plus sombre, totalement déserte. Des lignes de supertram se chevauchaient au-dessus de moi. Elles étaient de longues rampes d’acier sensés transporter sur de longues distances, un maximum de voyageurs en un minimum de temps. Sur ma droite, comme sur ma gauche, des publicités jonchaient les murs des immenses gratte-ciel délabrés mais elles n’étaient pas électroniques. C’était étrange… Agréable… Pour une fois, l’on tentait de me vendre un produit sans me brûler les yeux. Mais j’oubliai rapidement le produit en question lorsque je continuai ma route.
Au fond de la ruelle, un coup de feu éclata, puis, je vis un homme partir en courant avec un sac à dos. Il avait un pistolet qu’il jeta au sol, une expression de terreur au visage. Je compris que j’avais là, la plus grande chance du monde. Il était la solution pour entendre ma douce femme me dire d’autres mots…
Alors qu’il passait à côté de moi, je tendis mon bras métallique pour lui cogner le visage et l’homme tomba au sol. Ses habits étaient déchiquetés, comme les miens. Il était peut-être lui aussi accro à la menthe. Je profitai de cette penser pour gagner en force et j’utilisai l’option marteau de mon Mécha-nous. Je me plaçai au-dessus de lui, les genoux sur son torse.
« Non ! Pitié ! » implora-t-il.
         Puis, malgré mon corps frêle et déchiré par la menthe, je lui assénai un premier coup puissant et sauvage sur le front. Il agonisa d’un souffle court et n’avait plus la force de parler, mais il était toujours vivant. Les os de son crâne s’étaient simplement affaissés vers l’intérieur. Je montai alors la puissance de mon bras à 5 joules. Puis, je balançai un autre coup de marteau qui me fit rouler vers l’avant. La tête du tireur éclata sur le coup.
         Allongé sur le dos, j’attendais, impatient. J’avais le sang bouillant mais je sentis ma chair geler. Je respirais bruyamment malgré le fait qu’il ne fut pas ma première victime. C’est alors que, les yeux rivés vers le ciel, je vis enfin quelque chose qui soulagea mes yeux pour de bon… Au centre des abysses éclairés de l’espace, il y avait un point blanc…
« Une… Étoile ? »
Je n’en revenais pas. Ce point lumineux était la plus belle chose que je n’eus jamais vu… Enfin, la voix d’ange fit son apparition pour me soulager davantage :
« Iel. Corlian. Numéro : 1 439 132 345. Vous avez été remarqué en train de commettre le crime suivant : Meurtre sur la voie publique. Vous perdez : 10 points de crédits sociaux. Votre solde est de : 2 points de crédits sociaux. Bonne journée à vous ! »
         J’étais au paradis. J’avais le sentiment d’avoir réussi ma vie malgré tous mes déboires. Je fermai les yeux et imaginai ma femme à mes côtés… Cette petite blonde aux cheveux arrachés et au sourire dérangeant… Son œil rouge, dirigé vers moi et sa douce voix qui me répète sans cesse que je perds des crédits sociaux… Quel soulagement de la sentir, si proche…
         Si, après cela, j’eus utilisé la lame de mon Mécha-nous pour me trancher la gorge, ce fut car, quand je rouvris les yeux, le point blanc dans le ciel se déplaça en clignotant.
Nouvelle du : 14/10/22
Défi : Ecrire une nouvelle à partir d'une image aléatoire.
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n-a-colia · 2 years
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Avoir le mal de son époque, c’est avoir le regret mélancolique de ne pas vivre. De manquer la chance de connaitre une époque que l’on a perdue sans jamais l’avoir trouvée. Mais inutile de se moquer d’un air intelligent de ceux qui l’ont en déclarant qu’à toute époque, des gens succombaient à ce mal, car la raison est simple : Depuis un temps déjà, chaque époque est plus déplorable que la précédente. Et nous avançons, têtes baissées, sur l’autoroute goudronneuse, fissurée et fragile du progrès progressiste améliorant les progrès d’amélioration des progrès progressistes par les avancées des améliorations du progrès passé… Encore et toujours la même soupe froide et amère au gout propagandiste des philosophes illuminés et désuets… Mais le plus triste dans tout cela, c’est que les avant-gardistes d’aujourd’hui sont ceux qui ressassent sans cesse une époque révolue.
N. A. Colia
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n-a-colia · 2 years
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À l’Abordage !
Nouvelle du : 13/10/22
Défi : Ecrire une nouvelle à partir d'une image aléatoire.
         Le trajet en bus était fascinant ! Nous pourfendîmes les vagues de nuages qui s’échouaient sur la montagne titanesque ! Avec mon équipage, nous défions les routes torturées qui serpentaient dans des courbes absurdes pour descendre le mont vert conquis. Comme si cette route pouvait nous arrêter ! En me tenant à une rampe d’acier, je m’écriai :
« Haha ! Il en faudra plus pour faire choir Joseph ! Le plus grand capitaine de ces mers de goudron !
— Hayo capitaine ! » me répondirent mes moussaillons.
Notre chauffeur exprima sa joie dans un hurlement de loup, puis il accéléra plus encore. Nous étions la terreur de ces lieux, les maîtres des mers modestes de la montagne de l’Ouest !
« Par ici, capitaine ! » m’avertit Jeanne.
Je me précipitai à ses côtés, m’accrochant à une autre barre juste avant un virage serré qui fit chavirer les âmes des moins habiles.
« Relevez-vous matelots ! » leur ordonnai-je.
Puis, je regardai dans la direction qu’elle m’indiquait.
         Un autre navire de fer et d’acier semblait nous narguer. C’était un grand cube de métal, peut-être deux tonneaux de plus que le mien, mais il avait osé klaxonner lors de notre approche. Il allait vite et dans la même direction que nous. Un membre de leur équipage sortit sa tête d’un hublot, puis, il commit l’irréparable… Il me lança une grimace. C’en était trop ! Je m’élançai vers la proue de mon vaisseau en m’exclamant :
« Chauffeur, doublez ces saltimbanques !
— Oui, capitaine !
— Nous allons leur montrer ce qu’il en coute de se moquer de la flotte de ses dames ! »
Lors de ma marche difficile en direction de l’avant du bus, je dégainai mon sabre et le pointai vers mon équipage.
« Chargez les canons à tribord !
— Chargez les canons à tribord ! » répéta mon second.
         J’arrivai enfin à côté du chauffeur. Je lui fis signe d’ouvrir les portes et il s’exécuta. Nous étions à côté de leur rafiot ridicule et je me maintins à la barre d’un siège réservé aux personnes handicapées pour me pencher vers l’extérieur du bus. Nous allions à toute allure et le vent faisait chanceler mes cheveux malgré mon chapeau de corsaire. Je fusillai du regard, l’homme au gouvernail de mes ennemis, puis…
« TIREZ ! » m’égorgeai-je en brandissant mon sabre.
         Les boulets de métal déchirèrent leur coque et leur navire chavira vers tribord… Puis il revint vers bâbord, un peu plus que lors de leur route paisible et je saisis l’occasion :
« À l’abordage ! »
Je sautai sur la fenêtre du conducteur et pénétrai dans le bus ennemi. Dans mon élan, je frappai le conducteur d’un coup de pieds bien placé et il s’évanouit.
« Suivez le capitaine ! » ordonna mon second.
Mon vaisseau se rapprocha du leur et tout mon équipage s’élança à ma rescousse.
         Les bruits de sabres qui s’entrechoquent résonnèrent dans l’enceinte de leur bus. Ils jouaient la partition de la plus belle musique du monde ! La mer était déchainée, mais nous savions mieux que quiconque, la dompter. Cette belle femme qui, trop souvent, nous avait bénit de ses flots calmes et tendres. Je me jurai de lui faire honneur une fois de plus en m’aventurant au cœur de la bataille. L’odeur de soufre fut remplacée par celle de la sueur de nos ennemis, tandis que je combattais comme cinq hommes !
C’est alors que je vis ma mie en difficultés. Jeanne était surmontée, elle faisait la guerre à deux couards à la poupe de leur bateau. Elle se faisait renverser par l’un d’un coup de pied, tandis qu’elle déviait tant bien que mal, le sabre de l’autre. Je me hâtai de la rejoindre en hurlant. J’enjambai les hommes à terre et je me balançai de sièges en sièges pour ne pas trébucher sous la force centrifuge des déviations ininterrompues du vaisseau accosté.
Mais un coup de sabre me barra la route ! Il avait été envoyé juste devant moi par le capitaine ennemi. Il voulait que l’on règle cela à l’ancienne et je ne pouvais qu’accepter son duel. Je fis virevolter mon arme au-dessus de ma tête pour qu’il recule, puis je tentai un coup d’estoc qu’il para. Il avait les yeux injectés de sang et une détermination rare. Il me repoussa d’un coup d’épaule, puis reprit sa garde.
« C’est donc tout ce que vous savez faire ? » ricana-t-il.
Je jetai un œil derrière son épaule. Jeanne était toujours en vie, mais elle n’allait pas tarder à se faire occire si je ne faisais rien…
         Le capitaine ennemi était un homme expérimenté et mon combat contre lui s’annonçait long et éprouvant. Il fallait que je trouve un moyen de le tenir à distance, et vite ! C’est alors que mon chauffeur nous hurla :
« Virage droit devant ! »
Un virage était la dernière chose dont j’avais besoin. Nous étions pris au piège, dans le tombeau de métal qu’allaient engloutir les mers de goudron montagneuses… Mais une idée géniale vint percuter mon esprit.
         Je fonçai sur le capitaine en face de moi et choquai mon sabre contre le sien. L’espace exigu autour de lui l’empêcha de s’échapper et il fut contraint de garder la prise, sabre contre sabre.
« Matelot, chargez et tirez ! » criai-je.
Mon équipage s’exécutait et j’estimai que je n’avais plus que dix secondes avant l’inévitable.
         Je sortis mon pistolet à poudre et donnai un coup de crosse au capitaine ennemi ce qui l’étourdit suffisamment pour que je puisse tourner mon attention vers Jeanne. Puis, je tirai la seule balle que j’avais sur l’homme qui ne cessait de donner des coups de sabre dans sa direction. L’homme s’effondra mais ma douce ne réalisa pas que le temps était compté… Plus que cinq secondes.
« Jeanne, fuyez ! » lui hurlai-je.
Mon équipage avait déjà regagné mon navire et il ne restait plus que nous deux.
         Mais mon amour m’eut trahi. Il avait tellement corrompu mon cœur, que je ne pus voir à temps, la lame du capitaine me transpercer le ventre…
« Si je coule, vous coulez avec moi… » me murmura-t-il d’un air haineux.
J’étais envahi par le désarroi. Non pour ma vie, mais pour celle de celle que j’aimais. Je tournai mon regard vers elle. Elle avait réussi à se relever et elle me regardait en pleurs. J’utilisai alors les derniers souffles que j’avais pour lui dire d’autres mots que ceux que j’aurais aimé :
« Jeanne, fuyez… C’est un ordre… »
         Je m’effondrai à genoux sur le sol du bus décrépi, la lame de mon bourreau toujours dans le corps. Mais une dernière lueur vint me faire sourire… Sur ma droite, Jeanne se tenait maintenant accroupie dans l’encadrure du hublot de leur navire. Elle tourna son beau visage vers moi, et, en sanglots, elle termina :
« Je vous aime, Joseph… »
         Elle sauta à bord de mon vaisseau juste avant qu’il ne tire une rafale de boulets noirs. Une salve de mort… Le bus ennemi tourna brusquement et le capitaine tomba à terre à mes côtés. J’étais le plus heureux des hommes…
         On chantera les louanges de mes exploits et de mes amours à travers le monde durant des siècles ! « Joseph, le capitaine de ses dames » : Voilà comment on m’appellera… Jeanne, merci.
         Mon vaisseau ralentit et reprit sa voie sur la route. Dans cette manœuvre, je pus voir une dernière fois le visage de mon équipage triste. Ils me faisaient leurs adieux et je ne pouvais pas leur répondre… Le virage tant redouté arriva et le bus qui me transportait se dégagea de la route, exécutant un vol inopiné et magistral pour rejoindre les rochers, au bas de la montagne… Le choc fut si terrible qu’il me réveilla.
« Joseph ! » me réclamait-elle.
         J’ouvris les yeux et constatais que tout était normal. J’étais aux côtés de Jeanne, sur mon siège collé à la vitre du bus. Le brouhaha de chahuts ambiant m’indiquait que les autres enfants étaient encore là.
« Jeanne ? demandai-je, étourdi. J’ai… Fais un rêve super bizarre… »
Elle me sourit en balançant ses jambes au-dessous de son siège.
« Un rêve, c’est pas si grave ! Ce qui compte, c’est que tu le réalises s’il est bien. »
         Du haut de la montagne, notre bus rouge descendait lentement, prenant les virages avec la plus grande des précautions. Le ciel était blanc, ses yeux étaient noirs. Elle faisait chavirer mon cœur de mille coups de canon en un regard… Je rapprochai mon visage du sien alors qu’elle fermait ses paupières comme pour imiter les grands, puis, je lui donnai un bisou sur la bouche…
« Beurk ! Dégueu ! » m’exclamai-je en me réfugiant vers la vitre.
Ses lèvres étaient toutes molles et roses… C’était horrible… Affreux… Mais avec les années, j’appris à l’apprécier, car il y avait là, un baiser innocent. Avec le temps, j’appris à le réclamer. Avec l’âge, j’appréciai la douceur de ses lèvres. Avec Jeanne, je fus bientôt le plus heureux des hommes… Et toujours je me souviendrai, de cette sortie scolaire aux effluves d’un premier baiser.
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n-a-colia · 2 years
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L'Histoire d'un Perdant
Nouvelle du : 12/10/22
Défi : Ecrire une nouvelle à partir d'une image aléatoire.
         La vie est parfois amusante.
         Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’étais malheureux. Quand était-ce déjà ? Il y a un an ? Deux, peut-être ? Pourtant, aujourd’hui est un jour dont je me souviendrai…
         En tant que pilote de ligne, nous avons la responsabilité de nombreuses vies. Certaines d’entre elles valent la peine que l’on atterrisse, d’autres moins. Parmi ces vies, il y a celles de ceux sans histoire : une famille banale ; quelques amis ; quelques souvenirs agréables et d’autres moins ; rien à léguer et c’est bien dommage. Il y a aussi des vies plus étonnantes : un meurtrier ; une star ; un astronaute ; des pilotes… Qui sait ce qu’il peut y avoir dans un avion ?
         Ceux d’en bas ne voient qu’une ligne blanche dans le ciel, et ceux d’en haut ont la chance de ne voir qu’un monde miniature. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, le ciel est gris. Ceux d’en bas, comme ceux d’en haut, ne voient que la poussière. Et moi, je me plonge dans des souvenirs agréables…
         Une balade avec elle, le regard tourné vers le ciel ; Un verre en terrasse d’été et elle qui sourit au soleil ; Un voyage en bateau, sur les eaux azure et calmes ; L’espoir d’un nouveau-né dans le ventre de l’être aimé ; L’amour partagé dans des draps mouillés ; Son visage vide… Ses yeux perdus… ; Son amant mort qui l’eut pénétrée dans ma maison.
         Je ne comprends pas pourquoi les Hommes sont si cruels avec ceux sans histoires. L’on dit que c’est le vainqueur qui l’écrit, or il ne tient qu’au perdant de se rebeller dans un dernier acte déraisonné pour graver l’Histoire d’une page passionnante.
         Dans mon cockpit, des personnes distantes hurlent d’une voix grésillante. Je les entends mais ne les écoute pas. J’ai le regard plongé sur la verrière blanche de mon avion. Je ne peux l’en détourner sans souffrir…
« ATR 57-500, vous me recevez ? Votre altitude est trop basse. Redressez ! »
         J’ai la sensation d’avoir manqué quelque chose. Mais quoi ? Peut-être connaitrai-je enfin le sentiment d’être important. À mes côtés, mon copilote repose paisiblement. Il n’allait rien vivre de toutes façons. Je l’envie… Je prends le micro pour m’adresser une dernière fois aux vies que je transporte :
« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, j’espère que le vol vous aura été agréable. Je m’excuse par avance pour la future gêne occasionnée. En espérant de tout cœur vous revoir très vite… ATR 57-500, terminé. »
         Devant moi, j’aperçois enfin ce que je voulais : Une image qui m’en donne une autre. Dans les nuages blancs, l’épaisse brume se dégage pour faire apparaitre trois pilonnes d’aciers. Des lignes électriques qui lient les vies des uns aux vies des autres par le courant qu’elles transportent. Notre vitesse est grande et mon choix est fait. Si je suis le perdant, je resterai dans l’Histoire par un coup d’éclat.
         La seconde image que je vois, c’est la sienne. Elle, qui m’a tout donné, puis tout retiré. C’est drôle comme la vie peut parfois être amusante…
« Ma chérie… Je suis enfin quelqu’un… Et j’arrive. »
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n-a-colia · 2 years
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Nostalgie
Nouvelle du : 11/10/22
Défi : Ecrire une nouvelle à partir d'une image aléatoire.
         Jean marchait dans le parc avec sa femme. Comme d’habitude, il suivait les chemins de gravier jusqu’aux sièges convoités. Il espérait profondément que leur banc favori fût libre. Il marchait, sous le ciel sombre de l’automne…
         Finalement, il arriva au lieu voulut. C’était un endroit calme par le passé. Trois bancs alignés sur la terre noire autour du gazon, donnaient vue sur le chemin de gravier ainsi que sur le petit lac du parc. Ils étaient faits de bois qui avait moisi avec le temps, mais les bancs restaient toujours aussi confortables pour Jean et sa femme.
         Il se dirigea vers celui de droite où reposait une feuille morte, jaune et bientôt, marron… Il s’assit sur les planches de bois et regarda sa femme en tapotant le banc à côté de lui. Sa femme prit place, laissant la feuille entre eux, puis, ils purent enfin couper le silence.
« Tu te souviens, demanda-t-il d’une voix fatiguée, de la première fois où nous étions venus sur ce banc ?
— Oui, Jean… Je m’en souviens. C’était un moment agréable. »
Ils restaient les yeux figés dans l’horizon du lac.
         Ce souvenir, Jean se le remémorait à chaque fois qu’il s’asseyait sur ce banc et, comme d’habitude, il ne manquait pas de le partager une fois de plus avec elle. Il le faisait à chacune de leurs sorties quotidiennes.
« C’était aussi sur ce banc que tu m’avais embrassée pour la première fois.
— Oui… Nous étions si beaux à l’époque. »
Mais les pensées de Jean s’assombrissaient avec le temps. Le regard sur le passé avançait toujours jusqu’au présent. Après un court moment d’absence, il reprit plus tristement :
« Je doute que les jeunes d’aujourd’hui connaissent un jour, le bonheur d’embrasser une belle femme sur un banc solitaire…
— Je ne sais pas. Peut-être certains le font-ils encore ? »
Elle ne semblait pas convaincue par ce qu’elle disait. Comme lui, elle était nostalgique d’un temps plus romantique, plus courtois et plus valeureux. Un temps où la complémentarité de l’homme et de la femme était mise davantage en avant que leur égalité. Un temps où l’on ne simulait pas, mais où l’on était, et où l’on était heureux…
         Des pigeons vinrent se mêler à eux. Ils balançaient leur tête d’avant en arrière, avançant avec confiance devant le banc. La femme de Jean avait autrefois pour habitude de leur jeter un morceau de pain, mais elle ne le faisait plus. Néanmoins, les pigeons venaient toujours auprès d’eux.
« Tu penses qu’on nous oubliera ? » s’inquiéta-t-elle.
Jean tourna son visage vers elle. Il la trouvait encore sublime malgré l’âge. En la regardant, son cœur battait aux souvenirs de mille instants.
« Je pense que, comme nous l’avons fait pour nos anciens, on oubliera notre façon de vivre. Rien ne persistera. Les gens oublieront nos moments de joie au titre que notre vie leur paraitra plus difficile que la leur. Ils oublieront qu’en réalité, nous les plaignons… Car cela leur serait insupportable de penser qu’ils vivent dans un monde malheureux. »
         Le froid s’étalait sur ses mains. Il les frotta entre elles pour se réchauffer partiellement, mais il savait que l’automne allait toucher à sa fin, pour laisser place à un terrible hiver. Dans le regret, il baissa son regard vers la terre mouillée sous ses pieds.
« Si seulement nous avions écouté les joies passées, nous aussi, au lieu de nous croire plus intelligents… »
Sa femme laissa partir un souffle de désespoir. Elle aussi était plongée dans la mélancolie. Elle aurait aimé pouvoir le prendre dans ses bras pour réconforter ses tourments. Une larme glissa sur le visage du vieil homme mais il n’y fit pas attention. Celle-ci allait geler, comme tout le reste.
« Te souviens-tu de notre premier baiser ? » lui susurra sa femme.
Il se redressa lentement, puis il tourna son regard vers le sien. Elle se rapprocha tendrement de lui, poussant la feuille jaune du passage, puis, il lui donna un dernier baiser qui ne sut apaiser sa tristesse… Il se leva du banc, et regarda une dernière fois sa femme.
« Tu me manque terriblement, Martine… »
Seul au milieu de ce parc d’automne, Jean reprit sa route, le cœur déchiré.
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n-a-colia · 2 years
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Premier Rendez-vous
Nouvelle du : 10/10/22
Défi : Réaliser une nouvelle à partir d'une image aléatoire.
         La végétation nous encerclait mais nous continuâmes de suivre le chemin de terre. La route était parfois boueuse à cause de la pluie de ce matin et l’odeur de verdure fraiche revigorait mon esprit, malgré les indélicatesses de Luc…
« As-tu perdu ta langue, Sophie ?
— Quoi ? »
Il souffla de lassitude et me perça du regard en continuant de marcher.
« Ça fait une heure déjà et j’ai l’impression de faire la randonnée accompagné d’une tombe…
— Ah oui ? Eh bien tu devrais peut-être continuer seul dans ce cas ! »
Je tournai les talons et partis dans la direction opposée. Le rustre m’avait vexée la fois de trop ! J’empruntai un pas déterminé pour bien lui faire comprendre que j’allais réellement partir… Mais, n’entendant que le son de mes bottines sur la terre, je me retournai. Luc était resté figé à l’endroit où je l’avais laissé. Il regarda ses pieds, les mains sur les hanches. Il était plongé dans une profonde réflexion. Va-t-il réellement m’abandonner là ?! Je me jurai de lui cracher toutes les insultes du monde s’il le faisait. Après un court instant, j’opérai de nouveau un demi-tour pour continuer notre route. Je repris, d’une voix faussement assurée :
« Bon reprenons ! Et, pour ta gouverne, quand on marche on s’essouffle ! Il faut bien économiser nos forces si on veut arriver en haut, non ? »
Il me sourit, puis, en reprenant son bâton planté dans le sol, il me lâcha :
« Je ne vois vraiment pas pourquoi ce site de rencontre nous a mis ensemble. »
Il débuta sa marche et je le suivis de prêt.
         Luc n’avait pas tort. J’avais l’impression que nous n’avions rien en commun, si ce n’était une attirance physique évidente. Il n’arrêtait pas de reluquer ma poitrine et, sans qu’il le sache, je regardais ses fesses en contrepartie. Cela dit, c’était loin d’être suffisant.
         Ce site avait la réputation de créer des couples solides en les mettant à l’épreuve dès le départ. Il fallait jouer le jeu pour que ça marche et j’y avais cru… Quelle idiote ! Le propriétaire du site est encore une personne qui vend du rêve aux pauvres cœurs en peine ! J’aurais dû le voir venir…
« Et puis, ajouta-t-il, pourquoi devons-nous partir en forêt ? Un bon verre de vin en terrasse, suivi d’un restaurant n’aurait pas été plus approprié pour un rendez-vous galant ?
— Oui, peut-être… Mais vu tes conversations râleuses, je préfère encore les entendre en pleine nature. »
Il laissa s’échapper un rire moqueur, le visage tourné vers le soleil que l’on ne voyait qu’à peine entre les feuillages des arbres immenses.
« C’est la meilleure ! C’est moi qui râle maintenant ?
— Je ne crois pas m’être déjà plainte depuis le début.
— Et les “ j’ai mal aux pieds ! ” ou “ il fait trop chaud ! ” ? Ou encore les “ si seulement quelqu’un était assez fort pour me porter jusqu’en haut ! ” »
Il imitait ma voix de façon ridiculement aigue. Agacée, je grognai puis l’attaquai à mon tour :
« Peut-être qui si tu étais un peu plus gentil homme, tu m’aurais portée lorsque mes pieds me faisaient souffrir ! Peut-être qu’une jeune femme s’est inscrite sur ce site débile parce qu’elle espérait y trouver un beau et preux chevalier !?
— Pff… Un chevalier qui lèche les bottes de sa dame… On aura tout entendu !
— Pause ! On fait une pause. »
Je m’arrêtais et lançai mon bâton au sol.
Quand le site nous expliquait qu’il nous mettrait à l’épreuve, j’avais imaginé autre chose que notre première dispute… C’était une façon bien étrange de former des couples. Luc s’immobilisa à son tour avant de me dire :
« Sont-ce tes pieds qui te font encore souffrir, ma belle ?
— “ Ma belle ” ?! Pour qui tu te prends ? Je ne suis pas “ ta ” belle !
— Et la belle de qui es-tu alors ?
— Certainement pas celle d’un prétentieux mal luné ! »
Il éclata de rire avant de s’approcher du tournant de terre qui nous faisait face. Le silence que nous laissions me mettait mal à l’aise. Je croisai le bras et lui fis dos. J’avais envie de partir mais la lueur d’espoir de trouver l’âme sœur m’en empêchait. Je tournai mon regard vers lui, l’air mécontente et il coupa enfin le silence, me faisant un signe de la main.
« Viens voir ça, ma belle !
— Pff… »
Quand je me plaçai à ses côtés, je fus prise d’admiration pour le paysage.
         Nous étions au bord d’une falaise, cachés par les arbres. Entre leur feuillage, nous pouvions voir la vallée en contre bas. Les maisons éparpillées sur les prairies étaient minuscules et le soleil éclairait parfaitement le val. Parfois, un nuage passait au-dessus et on discernait ses contours sur le sol. Je restai bouche bée devant cet horizon clair. C’était un lieu magnifique qui semblait si paisible...
« Allez viens. On continu, dit-il en partant.
— Attends ! Et mon bâton ? »
Il me tendit le sien en me souriant.
« Ils ne servent pas à grand-chose seuls. Prends les deux, peut-être que cela te permettra de faire plus de cent mètres sans t’arrêter. »
Je décidai de ne pas répondre. Pouvait-il faire preuve de courtoisie sans tout gâcher avec une remarque indélicate ? Je l’ignorais, mais j’appréciai tout de même son geste.
         Nous continuâmes notre route un long moment. Étrangement, nous devenions plus bavards avec le temps, mais pas plus complices pour autant ! Nous nous reprochions tout un tas de choses et même s’il nous arrivait parfois de rire ensemble, nous ne manquions pas une occasion de nous moquer de l’autre.
         Nous arrivâmes à un coin de verdure particulièrement joli. La végétation était dense, pleine d’arbres gigantesques et de buissons aux grandes feuilles. Le chemin de terre était remplacé par des planches de bois sombres et mouillés et le soleil se reflétait sur les flaques d’eau. Il pourfendait le sommet des arbres pour rayonner auprès de nous. Les planches formaient un petit escalier qui grimpait autour de la montagne, tandis que des petites poutres de bois, attachées les unes aux autres avec des ficelles, faisaient office de barrières sur les côtés du chemin. En outre, de la mousse fraiche recouvrait ces barrières et ses effluves m’enivraient d’un sentiment de plénitude… Nous étions sur la route du paradis, au beau milieu d’un lieu sauvage où nous pouvions retourner à la nature sans nous préoccuper du malheur du monde.
Je m’arrêtai et posai mes bâtons contre les poutres de bois, puis je glissai mes doigts sur la mousse fraiche. Pour la première fois depuis le début de notre aventure, Luc me regarda, immobile et sans rien dire. Il me laissait profiter de cet instant magique. Il s’approcha de moi et il se plaça dans mon dos. Je sentais contre mon cou, son souffle court du fait de notre longue marche. Puis, il déposa sa main sur la mienne pour sentir la mousse chatouiller nos doigts.
« Quel bel endroit… murmurai-je.
— Ce site nous aura au moins permis de savourer un instant… »
Ses mots m’envahirent le corps. Après tant de confrontations, cette gentillesse en valait dix et la chaleur de sa main contre la mienne était d’un réconfort tel, que je crus que j’allais pleurer. Mon cœur s’embrasait et il blottit son buste contre mon dos avant de caresser mon épaule de son autre main. Contrairement à ce que j’aurais pu penser, j’adorais l’attitude entreprenante de Luc en ce moment heureux. Je sentais ma respiration se saccader sous ce rapport charnel et un frisson parcourut mon dos. Je me tournai lentement vers lui. Nos visages furent proches.
« Tu es très belle lorsque tu t’émerveilles devant la nature. »
Mes paupières se fermèrent, doucement et sans que je n’y pusse rien faire. Il devenait si doux et restait si brut à la fois. J’avais l’impression d’être l’exception à ses règles. Il mit sa main sous mon menton, releva mon visage, puis il déposa un baiser sur mes lèvres que je m’empressai de maintenir en encerclant sa nuque de mes bras. Je voulais en profiter le plus longtemps possible… Après ce baiser éternel, je lui souris et il me susurra :
« Ma belle, allons boire un verre plutôt. Cette application ne sait vraiment pas y faire en matière de premier rendez-vous… »
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n-a-colia · 2 years
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Dernier Baiser avant la Fin
Nouvelle du : 09/10/22
Défi : Créer une nouvelle à partir d'une photographie aléatoire.
         Ils marchaient depuis des jours dans le silence. Le vent venait parfois leur donner des sons, mais il était mauvais présage de l’entendre, alors même lui n’était plus un réconfort. Sur leur chemin, ils avaient trouvé des villes, des villages, des voitures, d’autres personnes… Morts. Tout n’était plus. Rien était tout.
         L’espoir chutait aussi vite que les oiseaux s’amusant autrefois à faire de la chasse une passion. Le malheur résidait dans le fait qu’aussi vite que l’espoir dégringolait, un nouveau prenait sa place. La vie n’était plus que cela : une boucle absurde, autour du cou.
         Devaient-ils s’estimer heureux d’être encore là ? Après tout, ils faisaient partie des rares à avoir eu cette chance. La vie humaine était-elle à ce point si précieuse que la perdre était le plus sombre des cauchemars ? Louis se le demandait parfois ; Julie, elle, en était persuadée.
         Comme ils devaient économiser leurs forces, ils ne parlaient pas souvent. Ils se contentaient de marcher, côte à côte. Ils marchaient encore, jusqu’à ce que leurs pieds les fassent suffisamment souffrir pour que s’arrêter soit la seule solution. Puis, après une courte pause, ils marchaient de nouveau. La force était nécessaire, certes. Mais ils oubliaient qu’un esprit malade ne pouvait garder un corps en bonne santé…
         Ce silence assourdissant les rendait fous. Marcher… Marcher encore… Encore marcher !? Toujours marcher ! Et pourquoi ? Pour marcher toujours ?! Cette vie, Louis n’en voulait plus.
         Le jour suivant, après avoir campé à la belle étoile dans un champ stérile, ils reprirent leur route. Ils marchèrent toujours, mais cette fois, Julie fredonna l’air d’une musique oubliée que Louis appréciait dans le temps. Elle était abattue par leur voyage, les épaules tombantes et les pieds frottant le sol, mais elle chantonnait encore. Louis, perturbé par ce silence interrompu, lui demanda :
« Pourquoi fredonnes-tu ? As-tu perdu l’esprit ? »
Les yeux perdus sur l’horizon de cette route de bitume interminable qui séparait deux champs jaune terne, elle sourit alors :
« Je voulais seulement te donner une raison de marcher encore… »
Ces mots eurent l’effet d’une bombe dans le cœur de Louis. Il comprit alors que, malgré le silence, il était avec elle. Elle, qui lui donnait encore une raison de marcher malgré le rien qui infectait le tout. Seule, garderait-elle cette envie d’avancer ? Reverrait-elle sa philosophie ? Il ne pouvait se résoudre à l’abandonner dans ce monde.
         Julie, quant à elle, commençait à se demander si Louis n’avait pas raison. S’il n’était pas préférable d’en finir avec ce monde, de tourner la page… Rien n’avait plus de sens et tout était rien.
         Elle leva les yeux au ciel, comme pour en attendre un miracle. Il était parsemé de nuages blancs qui volaient à toute allure. Parfois, un trou bleu se montrait pour lui faire entrevoir l’espoir tant détesté. Elle se demanda alors : « Que se passerait-il si les nuages décidaient de choir ? » Est-ce que le monde en serait plus joli ?
         Mais Louis s’arrêta de marcher. Immobile, il regardait l’horizon, soulagé. Julie se figea à son tour, redescendant sur terre. Quand elle baissa sa vision vers l’horizon de Louis, elle dut chercher son soutien en s’emparant de la main de son aimé.
         Devant eux, au bout de la route décrépie de graviers et de bitume, quelques arbres avaient été plantés en ligne horizontale. Les sentiers d’herbe verte des deux côtés de la route n’étaient que de quelques mètres de largeur, avant de laisser place aux grandes étendues d’épis de blé morts. Mais quelque chose de bien plus beau que ce funeste paysage donnait l’envie aux deux voyageurs de s’étreindre… Devant eux, une multitude innombrable de bidons jaunes renversés sur le sol, un symbole de danger radioactif dessiné sur la face de chacun.
         Une brise vint leur caresser le visage, tel un dernier souffle, et les deux voyageurs s’embrassèrent. Ils s’embrassèrent encore… Encore. Ils s’embrassèrent toujours… Ils ne voulurent plus, dès lors, qu’un dernier baiser avant la fin…
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n-a-colia · 2 years
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Partie d'Echecs
Nouvelle du : 08/10/22.
Défi : Une image aléatoire à décrire dans une nouvelle.
         Je me tins face à un homme âgé en costume trois pièces qui avait une longue cravate noire. Il avait les traits amicaux mais il semblait fatigué. Il me sourit et se décala d’un pas sur sa gauche, me laissant l’accès à la porte qu’il gardait. Il s’inclina légèrement dans ma direction et fredonna :
« Bonne chance, Monsieur. »
Je restai immobile, ne sachant à quoi m’attendre.
         La porte était dans un bois ancien mais elle était entourée d’un gigantesque mur blanc et tellement lisse que s’en était surréaliste. J’avais le sentiment que quelque chose de terrible m’attendait derrière, mais que pouvais-je faire d’autre qu’entrer ? Revenir sur mes pas ? Ma marche jusqu’ici, dans un océan de vide blanc avait duré des heures et bien que cet endroit me terrifiât davantage que ma route, il était le signe que je n’étais pas perdu dans le néant.
         Je tournai la poignée prudemment, puis, l’homme en costume partit dans la direction d’où je venais. Je poussai la porte qui ne fit aucun bruit. Tout n’était que silence ici… Quand je franchis le seuil, j’examinai ce lieu nouveau et tout aussi absurde que le reste.
         C’était une pièce faite de carreaux noirs et blancs de la taille d’une main, comme sur un échiquier géant. Au sol étaient tracées des lignes verticales noires et blanches et il en était de même sur les murs, mais de façon horizontale. La salle était grande et cubique. Sur ma droite, des fenêtres sans vitre laissaient passer un filet de lumière qui provenait de je ne savais où… Le soleil n’existait pourtant pas ici. Au fond de cet endroit de folie, il y avait une petite table de marbre, placée de façon horizontale. Derrière elle, deux femmes se tenaient devant une sortie aux ténèbres insondables. Le plafond au-dessus de celle-ci dessinait une arche d’escaliers à l’envers.
         J’eus alors une impression étrange, comme si j’étais observé. Je tournai la tête sur ma gauche et m’aperçus qu’un autre homme était à mes côtés. Son visage plongé dans l’incompréhension m’indiquait que lui aussi était dans la même situation que moi. Il était un autre endormi.
Les deux femmes prirent alors la parole à l’unisson dans une parfaite coordination :
« Je vous en prie, approchez. »
Elles avaient toutes deux la même tenue élégante. Une robe longue au bas épineux qui touchait le sol et des gants qui remontaient jusqu’à leurs avant-bras. La seule différence entre leurs deux tenues se trouvait dans la couleur. Celle de droite était entièrement faite d’un blanc des plus purs, tandis que celle de gauche était d’un noir d’une profondeur absolue. En outre, les cheveux noirs de la femme en blanc tombaient sous ses épaules et il en était de même pour les cheveux blonds de la femme en noir. Elles se placèrent devant la table de marbre blanc et elles tendirent leurs mains dans notre direction.
         L’inconnu et moi échangeâmes un regard inquiet, puis, nous avançâmes vers la femme qui nous regardait. Arrivé à distance de ses mains, la femme en blanc passa ses bras autour de ma nuque, puis elle m’embrassa tendrement sur la bouche. La femme en noir fit de même avec l’inconnu. J’étais perdu, mais ce baiser fut d’un réconfort étrange malgré le fait que les lèvres de celle qui m’avait choisi étaient gelées. Elle recula légèrement son visage, toujours accrochée à moi, et planta ses yeux amoureux dans les miens durant quelques secondes. Ils étaient d’un bleu plus clair qu’un ciel d’été. Les paupières à demi fermées, elle murmura à l’unisson avec son alter ego :
« Mon roi, que la victoire soit votre ! »
Puis, nos reines nous tirèrent vers les extrémités de la table rectangulaire. J’étais face à l’inconnu, tandis que les femmes étaient placées sur ma droite, entre l’édifice de marbre et la porte des abysses.
         C’est alors qu’un plateau d’échecs apparut progressivement sur la table, comme s’il avait toujours été là mais que nous ne le voyions pas. J’étais du côté des blancs et l’inconnu, du côté des noirs. Je posai mes mains sur les coins de la table et examinai mon adversaire. Il était plus déstabilisé qu’avant. « Un novice ? » pensai-je. J’en étais un également, mais j’avais déjà joué quelques parties contre mon grand-père par le passé. J’étais mauvais et je ne pouvais que prier pour que mon adversaire le soit davantage. Cependant, je connaissais quelques coups stratégiques. Ma reine plaça ses deux mains sur mon épaule droite, puis elle déposa son menton dessus. Le regard plongé sur mon visage, elle souffla sur ma joue d’une voix généreuse :
« Les blancs commencent, mon roi. C’est aussi bien une bénédiction, qu’une malédiction… Faites-en sorte que cela nous procure un avantage. »
En m’embrassant, elle me laissa une trace de rouge à lèvre noir sur la joue, puis elle posa la sienne sur mon épaule pour observer le plateau de jeu.
         J’étais hésitant. Qu’arriverait-il au perdant ? Cette dimension étrange ne semblait pas tendre avec ses invités et je me jurai de gagner cette partie, coute que coute. Je fis une ouverture à deux pions, devant les cavaliers pour libérer mes fous et la femme m’embrassa la joue de nouveau.
         C’était au tour de l’inconnu de jouer. Sa reine vint se placer auprès de lui exactement de la même manière que la mienne l’avait fait pour moi. Mais elle lui murmura autre chose :
« Mon roi, l’ouverture de votre adversaire en dit long sur ses intentions. Au jeu du plus fou, c’est celui au galop qui remporte la victoire…
— Je ne sais pas jouer aux échecs. » paniqua l’inconnu.
Mais sa reine n’eut aucune réponse à lui donner. Sans l’embrasser, elle posa sa joue sur son épaule pour observer le plateau.
         L’inconnu passa ses mains au-dessus de toutes ses pièces. Il gigotait ses doigts et réfléchissait intensément. Il ne savait que faire. Il attrapa le pion devant son cavalier et il l’avança d’une case. À ce moment, la femme en noir retira sa joue et ses mains de son épaule, puis, l’air sévère, elle lui asséna une gifle spectaculaire. L’homme laissa s’échapper un souffle de douleur, se tenant le visage à l’endroit de l’impact et le regard affolé dans la direction de sa reine. Après quoi, la femme reprit sa position sur son épaule.
         Ce jeu n’était pas qu’une simple partie d’échecs. J’en étais persuadé maintenant. Les entités qui nous accompagnaient, quelle qu’elles soient, n’étaient pas ici pour notre simple plaisir. Elles étaient là pour que l’on gagne, ou que l’on meurt.
         Je regardai ma dame qui avait tourné son visage vers le mien. Je sentais son souffle chaud contre ma peau tandis qu’elle avait encore la même attitude amoureuse à mon égard.
« Mon roi, avez-vous compris l’erreur de votre adversaire ?
— Oui, ma reine. »
Je déplaçai mon fou sur la case dégagée par mon pion et j’eus alors la tour de l’ennemi dans ma ligne de mire… La femme en blanc m’embrassa sur la joue.
         C’était de nouveau au tour de l’inconnu de jouer et il était plus réticent qu’avant. Le stress lui tiraillait l’estomac tandis que je restai confiant. Perdre une tour sans prendre la pièce qui l’avait volée était généralement très mauvais signe pour la suite. Cependant, il y avait une action toute simple qui pouvait le sortir de cette situation et j’espérai qu’il ne la voit pas. Sa reine lui susurra d’un ton attendrit :
« Mon roi, perdre une tour est mauvais présage. Perdre un tour est inconcevable. Vos soldats n’attendent qu’à donner leur vie pour vous. »
Il laissa s’échapper la tension qu’il ressentait dans un souffle, puis, il déplaça, comme je l’avais fait, son fou sur la case dégagée par son pion. Le pauvre ne savait vraiment pas jouer aux échecs… En tentant de défendre sa tour, il me donnait son fou en plus de la pièce convoitée. La reine en noir recula son visage de l’épaule du malheureux et ce dernier mit ses mains en barrière pour ne pas recevoir de gifle. Énervée, la reine lui envoya un coup de poing dans le ventre et l’homme se tordit de douleur. Ces femmes semblaient être dotées de plus de force que ce qu’elles auraient dû. Elles étaient belles avec une taille de guêpe, et pourtant, elles arrivaient à blesser fortement un homme en bonne santé. Quand l’inconnu se redressa, sa reine posa de nouveau sa joue sur son épaule mais il la craignait désormais. Il n’était plus apaisé par la présence de sa dame…
« Continuez ainsi, mon roi, et je vous épouserai. » me dit ma reine.
Évidemment, je pris le fou de l’inconnu, comme prévu. Là, ma dame me saisit le visage entre ses mains et elle m’embrassa vigoureusement. Ses lèvres étaient plus chaudes que lors de notre premier baiser et j’eus un sentiment étrange mais agréable, comme si mon cœur s’était embrasé rapidement avant de refroidir.
      ��  La partie continua un moment. L’inconnu avait pris une pléthore de coups et il saignait du nez. Il était avachi sur la table, pour garder la force de tenir debout. Sa reine ne se donnait même plus la peine de venir sur son épaule, tandis que la mienne était collée à mon dos, accrochée à mon torse et la joue dans le creux de mon cou. Elle ne me tenait pas rigueur de la perte de quelques pièces car elle comprenait que je les sacrifiais par stratégie.
         C’est alors qu’après que sa reine eut pris la parole, l’inconnu avança son autre fou au centre du terrain. Il serra les dents et ferma les yeux, prêt à recevoir sa punition, mais sa dame lui déposa son premier baiser sur la joue. Surpris, je m’aperçus qu’il avait piégé ma tour alors qu’elle était centrale dans mon plan de jeu. Je commençai à stresser. Déstabilisé par ce manque d’anticipation, ma respiration s’accéléra. Mon regard se perdait sur toutes les pièces du plateau. Non… S’il prend ma tour, ce fou aura le champ libre sur mon terrain ! Ce sera un véritable massacre ! Je ne voyais aucune échappatoire et il se pouvait bien que je perde la partie sur ce coup de maître qu’avait exécuté mon adversaire. Ma reine me murmura alors, d’une voix plus fleurie qu’au départ :
« Mon roi, votre reine est toute à vous. Elle vous soutiendra dans les moments difficiles et elle vous montrera le droit chemin lors de vos manquements. »
Et je compris enfin :
         Ce jeu n’était rien d’autre qu’un jeu d’écoute. Nos reines nous prodiguaient des conseils énigmatiques qu’il fallait savoir déchiffrer pour mener les coups justes. Elles n’étaient pas de bonnes joueuses d’échecs, mais elles étaient toutes deux en symbiose et elles connaissaient parfaitement les coups de l’adversaire. Le vainqueur était celui qui tendait l’oreille et non le maître des échecs. Mon amour me parlait d’une reine de soutient et de droit chemin. Je pris ma reine sur l’échiquier, puis je l’avançai dans le camp ennemi, prenant un pion au passage et mettais en échec le roi adverse. De cette manière, sacrifier le fou qui me menaçait était la seule façon de sauver son roi coincé. Dans un coup des plus réfléchis, je sacrifiais ma reine contre un fou. Ma dame tourna autour de ma taille pour se placer devant moi. Elle entrouvrit la bouche et ferma les yeux. Je lui levai le menton de ma main droite pour lui donner le baiser d’amour véritable qu’elle attendait. Elle savait, dès lors, que nous étions sur la même longueur d’onde.
         Quelques coups plus tard, j’avais les lèvres noires et mon adversaire ne tenait presque plus debout. C’était mon tour et j’allai être le grand gagnant de ce jeu séduisant.
« Mon roi, je vous aime… me glissa dans le coup, mon aimée.
— Je vous aime, ma reine. »
Je déplaçai mon fou et coinçai ainsi le roi ennemi dans une prison de deux cases dont il ne pourrait jamais sortir…
« Échec et mat… »
         Ma dame se plaça sur le côté droit du plateau, les mains au niveau de son bas ventre et le regard toujours tourné vers le mien. La femme en noir, quant à elle, restait figée aux côtés de ma reine, les yeux rivés sur le roi piégé de l’échiquier.
         Sans prévenir, l’obscurité s’empara de la pièce lumineuse d’un coup. Les lumières qui simulaient le soleil par la fenêtre devinrent des éclaircis de lune et l’on pouvait à peine discerner ce qu’il se passait dans la salle d’échecs. L’inconnu poussa un cri apeuré face à ce changement d’ambiance abrupte tandis que je gardais l’esprit tranquille. La femme en noir prit une longue aspiration, puis elle tourna lentement son visage vers le perdant.
« Mon roi, on dirait que votre prison est éternelle…
— Quoi ?! répondit-il.
— Laissez-moi vous amener à votre nouvelle demeure. »
D’un geste, elle lui saisit la gorge et elle le tira vers le néant de la porte derrière elle. L’homme tenta de se débattre dans des cris étouffés, mais il ne put rien y faire… Ils disparurent à jamais dans l’obscurité.
         Je remarquai alors une bague qui était apparue autour de mon roi sur l’échiquier. C’était un anneau d’argent orné d’un petit diamant sur lequel la lune brillait. Je m’en emparai et me mis à genoux devant la femme dont j’étais inexplicablement tombé sous le charme. J’étais fou d’amour pour elle.
« Ma reine, voulez-vous m’épouser ? »
         Sous ces mots, elle bondit de joie en criant. Elle était plus vivante que jamais. Plus belle encore qu’à mon arrivée. Elle était celle pour qui j’avais combattu et elle était maintenant, et à jamais, celle qui partagerait ma vie.
         Elle accepta ma demande en m’embrassant de nouveaux puis, après lui avoir passé la bague au doigt, je la pris par la main et franchis cette porte abyssale derrière laquelle j’étais persuadé qu’un nouvel avenir m’attendait…
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n-a-colia · 2 years
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Rite Ancien
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Nouvelle du : 07 / 10 / 2022 ↓ 
         Sö n’y voyait plus rien… Il ne pouvait que prier tandis qu’il recevait des coups venus de nulle part pour qu’il continue d’avancer dans le noir. La senteur de l’étouffante chaleur qui évaporait l’eau des différentes plantes lui indiquait qu’on le contraignait à s’enfoncer davantage dans la jungle. Livré à lui-même, il se souvenait des mises en gardes du guide qui insistait pour ne jamais quitter la rive hors des chemins tracés. Mais les multiples branches qui fouettaient son visage lui montraient que ses ravisseurs n’avaient que faire de ces dangers.
         Il regretta la tempête de ce matin lorsque le soleil vint s’écraser sur son visage. Les indigènes firent alors halte et Sö savait que cela ne présageait rien de bon… Le bandeau qui lui recouvrait les yeux fut arraché d’un coup sec. Après un court éblouissement, Sö put enfin voir l’immensité qui lui faisait face.
         C’était un temple à la taille d’un pays au milieu de la dense végétation. Il était de pierre qu’on aurait cru argile. D’autres hommes indigènes en tenue de feuillage, presque nus, se tenaient en rang de chaque côté, devant la montagne de marches qui menait à l’entrée. Ils s’inclinèrent devant Sö, pique à la main.
         C’est alors que débuta l’ascension du prisonnier. Les geôliers poussèrent Sö et le relevaient pour le balancer en avant à chaque fois qu’il trébuchait sur les marches beiges. Il fut épuisé une fois au sommet, mais il n’était pas au bout de ses peines et il le savait très bien.
         La structure pyramidale qu’il supposait être le toit, reposait sur d’imposants piliers en pierre de couleur cuivrée. Ils étaient ornés de gravures anciennes représentant des symboles qu’il ne sut déchiffrer. Un soleil ? Une fleur ? Une arme ? Seuls les autochtones pouvaient le dire.
« Pitié ! Je vous promets que je quitterai les lieux si vous me relâchez ! »
Mais ses tortionnaires ne parlaient pas cette langue. L’un d’eux, d’une voix apaisée, ordonna quelque chose à un autre et ce dernier envoya un coup de bâton dans la figure de Sö. Il n’eut pas le temps de tomber qu’un troisième lui prit le bras pour continuer d’avancer…
         Ils entrèrent dans les abysses du temple. La noirceur de cet endroit était coupée par les fines flammes des torches accrochées aux murs. Sur chacun de ces murs étaient gravés des symboles semblables à ceux des piliers. L’atmosphère était claustrophobe malgré les dizaines d’embranchements possibles. Sö était perdu au milieu de ce labyrinthe et ses nouveaux guides semblaient vouloir l’y perdre davantage.
         Alors que la peur s’emparait de lui, il se souvint de cette femme qui accompagnait son expédition. Jayah… Elle apporta à son esprit, un réconfort qui lui permit de ne pas s’évanouir. Depuis qu’il était monté sur le bateau qui l’avait emmené jusqu’ici, il n’avait eu d’yeux que pour elle. Elle qui s’était invitée sur le navire par effraction, espérant vivre la grande aventure… Il se souvint de ses mains douces qui glissaient sur la rampe de protection au-devant du vaisseau ; de ses cheveux bruns, détachés malgré les autres. Elle n’avait que faire des obligations de modes ; de ses lèvres, toujours ouvertes pour témoigner de sa candeur face à la découverte d’un monde qu’elle n’avait vu qu’en photographie… Mais le cœur de Sö s’embrasa lorsqu’il comprit que plus jamais il ne la verrait.
         Dans les couloirs sombres du temple, il put s’apercevoir que des familles vivaient regroupées dans ce dédale tortueux. Il y avait des enfants et des femmes qui l’observaient comme s'il était un monstre. Tous se cachèrent pour éviter son regard, sauf les hommes de la tribu qui bombaient le torse à son passage. Combien étaient-ils ? Et comment était-ce possible de ne jamais avoir entendu parler de ce peuple ? Il remettait toute sa vie d’explorateur en question. Peut-être ce peuple avait-il déjà été découvert auparavant ? Peut-être que la réponse était simplement que personne n’était sorti en vie de ce temple ? Le stress lui tiraillait l’estomac.
         Ils arrivèrent enfin à une gigantesque salle plongée dans les ténèbres. La salle était un immense précipice qui donnait certainement accès à l’enfer. Une rampe de pierre menait en son centre. Les contours de cette pièce gargantuesque étaient faits de rangés de bancs en pierre sur lesquelles des centaines d’indigènes attendaient en silence.
         C’est alors que Sö discerna quelque chose qui le terrifia. La femme de ses songes était entre les mains de deux hommes, au bout de la rampe.
« Jayah ! » s’écria-t-il.
Elle se retourna dans sa direction, en pleurs et en pleine incompréhension de ce qu’il se passait. Il ne put lui apporter le réconfort qu’elle méritait, tandis que les hommes qui l’avait menée jusqu’ici se placèrent derrière elle, brandissant leurs piques pour qu’elle ne puisse s’échapper. Elle était prise au piège entre les piquiers et le vide infini.
         Puis, un silence total s’empara de la pièce. L’on entendait plus que les gémissements de Jayah et le cœur de Sö qui n’allait pas tarder à imploser. Jayah se tourna vers le vide, lentement… Avant qu’un grondement horrible, plus fort que mille éclairs, ne retentisse dans l’enceinte du temple. Après quoi, Une bête se leva dans les profondeurs ténébreuses.
         C’était une chose indescriptible. Un mélange entre plusieurs espèces terrestres et quelque chose venu d’ailleurs… En lui, il y avait des gènes d’ours, de brebis, d’aigle et de serpent. Chaque partie de ce qui semblait être son visage était différente de celle d’à côté. Une multitude d’yeux recouvrait sa bouche ovale qui restait ouverte. L’intérieur de sa gorge était parsemé de pointes acérées et elles se tournaient et se tordaient dans des sens impossibles. Un autre grondement se fit entendre et Jayah tenta de fuir mais l’un des indigènes lui planta le bras.
         Sö était tétanisé par cette immondice et il s’écroula sur le sol. La chose se pencha vers Jayah, puis, dans un dernier cri, elle l’engloutit en posant sa bouche torturée sur la passerelle de pierre.
« Non… »
Quand la chose se redressa, il n’y avait plus signe de vie. Le corps de Jayah avait été aspiré.
         Les indigènes derrière Sö le relevèrent pour l’amener à la créature. Il tenta de se débattre mais ses efforts étaient vains. Les yeux de la chose se tournèrent vers lui et il sentit son âme se faire engloutir. La peur le faisait trembler et sa respiration était coupée. C’était comme si la chose l’avait déjà dévoré. Les indigènes le jetèrent sur le sol et le monstre poussa un hurlement strident… Et enfin, un soulagement s’empara de Sö
         La foule acclame ma mort en criant et en tapant des mains. Je suis sans défense face à un dieu ancien qui s’est réveillé pour moi. Quel honneur… Quel honneur, maître. J’aurais dû gaver le ventre de Jayah pour qu’elle satisfasse votre appétit… Je suis désolé, maître ! Pardon ! J’espère ne pas vous décevoir de nouveau.
         La chose se rapprocha de Sö, puis, elle lui arracha les bras tandis qu’il riait. Il était tellement heureux… Tellement heureux… Sa vision se troubla et il accéda au bonheur absolu lorsque la créature daigna enfin le déchirer.
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n-a-colia · 2 years
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Les Funestes Mésaventures de Willibert Köll
Roman à retrouver sur Wattpad, ici : https://www.wattpad.com/1274843096-les-funestes-m%C3%A9saventures-de-willibert-k%C3%B6ll
         C’était une soirée mondaine comme une autre. J’avais été invité par le fait de mes exploits sensationnels auprès du duc de la Vierge. C’était bien la première fois qu’un mercenaire allait mettre le pied dans cette demeure gargantuesque, mais quelque chose me disait que cela ne serait pas la dernière…
         La fille du duc m’avait dévoré du regard lorsque j’avais amené, à son père, la tête du baron mégalomane qui tourmentait les villageois du coin. La vue du sang ne semblait pas l’effrayer. J’eus même l’impression que l’excitation s’était emparée de ses tripes lorsqu’un morceau de chair sanglant s’était défait de la trachée du baron. Le souffle court, elle n’avait pu décrocher son attention des yeux vitreux, enfoncés dans la tête en décomposition du pauvre sans vie qui fut, autrefois, son oncle. C’était une femme peu commune, certes. Sanguine et sadique, je songeais à la paire exceptionnelle que nous ferions. Elle sera ma femme ou ma prochaine victime…
         Je grimpais les dizaines de marches, devant le manoir du duc. C’était un escalier sur lequel la lumière ne pouvait se refléter. L’on pouvait tout de même apercevoir une lune miniature dans les barrières d’acier noir en forme de pique, qui emprisonnaient les marches par leurs côtés. Pour cette ascension, j’étais accompagné du cocher que le duc avait envoyé me chercher. C’était un homme habile de son éloquence, qui dégageait une grande prestance. Il était originaire de la région et j’aurais pu miser, sans trop prendre de risque, qu’il avait vécu toute sa vie dans la ville de Mortelune. S’il ne m’avait pas prévenu de son statut, je l’aurais appelé « Monseigneur ». Il portait un costume long et noir, d’où sortait, au niveau de sa jugulaire, une multitude de fioritures en tissu blanc. Celles-ci s’éparpillaient autour de son cou, comme s’il s’agissait d’une fleur en éclosion.
« À quelle heure viendras-tu me chercher, mon bon Jacob ?
— À l’heure qu’il siéra à Monsieur.
— Dans ce cas, attends-moi non loin du grillage et ne pars pas avant que je sois sorti.
— Bien, Monsieur. »
Il ne me regardait jamais dans les yeux et il était toujours courtois. J’aurais espéré une fine résistance de sa part lors de ma demande, mais son attitude trop respectueuse de mes ordres me plaisait également. Je m’accoutumais peu à peu à la vie de baron.
         Mais je réfrénai rapidement mes joies pour me reconcentrer. Ce soir, j’étais également pourvu d’une autre mission. Une fois ma tâche accomplie, le duc m’avait fait part, en supplément de paie, d’une information importante : Ma tête était mise à prix. Un sombre couard avait eu vent de mes agissements passés et il avait embauché un autre mercenaire pour en finir de moi. Si le duc ne sut me dire qui était le commanditaire, il put tout de même me renseigner sur l’aspect de l’homme d’arme. J’avais réalisé mon travail avec un tel brio qu’il m’avait fait la fleur de l’inviter à cette fête pour que je puisse m’en débarrasser. Cependant, il m’avait précisé qu’il ne tolèrerait aucun grabuge. Il avait ajouté que le mercenaire avait pour ordre de m’attaquer dès que la grande horloge de la salle du buffet finirait de sonner les douze coups de minuit. À ce moment, j’aurai alors le feu vert pour l’effacer. Le duc ne devait pas avoir l’habitude de fréquenter des mercenaires, car il m’avait signalé qu’aucune arme ne serait tolérée lors de l’évènement… Bien sot est celui qui pense pouvoir me séparer de ma dague fétiche… C’était un poignard orné de joyaux et forgé à partir d’un acier parfait dont l’unique courbe sur l’émouture faisait penser à un petit serpent. Une fine lame qui avait gouté à tant de sang… Je la gardais cachée dans son étui dissimulé sous ma veste, au bas de mon dos.
         Une fois au sommet du mont de marbre, Jacob mit sa main sur la poignée de l’immense porte vert sombre qui nous faisait face, avant de m’examiner de la tête aux pieds un court instant. J’avais été habillé par les femmes du duc, lesquelles avaient jugé bon de me vêtir d’un long manteau rouge bordeaux aux manches blanches. J’avais l’allure d’un noble de haut rang mais Jacob ne semblait pas convaincu. Il resta figé un instant à la vue de mes cheveux longs qui ne laissaient passer aucune lueur avant de remarquer que je m’impatientais.
« Je vous souhaite une bonne soirée, Monsieur. » termina-t-il en tirant la poignée d’or qu’il tenait d’une poigne de fer.
Bonne chance pour l’attente dans le froid glacial de l’hiver, mon cher Jacob.
         Quand il ouvrit la porte, je fus ébloui par les mille lumières qui sortaient dans les ténèbres. Je mis ma main en barrière à ce présent divin, puis, je pénétrai dans le hall du manoir. C’était une gigantesque pièce blanche. Sur le sol reposait un grand tapis bleu royal tandis que, du plafond étincelant, l’on pouvait à peine discerner un majestueux lustre de diamants. Immobile mais imprévisible, il ne semblait tenir qu’à un fil. En outre, le tapis recouvrait l’escalier devant moi, menant au premier étage. Il faisait chaud ici… C’était bien plus agréable que les froides limbes de la planque secrète où je séjournais, dans le val Tourmenté. Néanmoins, malgré la chaleur, l’atmosphère dégageait quelque chose d’hostile.
Un vieil instinct me tordit l’estomac lorsque j’eus le sentiment que mes crimes passés étaient gravés sur mon front en lettres de sang, mais un noble à l’allure de prince bleu me sortit de mes ruminations d’un coup de paume sur l’épaule. [...]
Retrouvez la suite de l'aventure sur Wattpad : https://www.wattpad.com/1274843096-les-funestes-m%C3%A9saventures-de-willibert-k%C3%B6ll
Il s'agit de l'introduction de mon prochain roman.
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n-a-colia · 2 years
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Filature Nocturne
         Toi et moi, on va danser ce soir. Danser toute la nuit jusqu’à ce que l’un de nous deux ne tombe sous les yeux de l’autre. Je serai ton cavalier, tu seras ma proie. Ma douce Lune guidera mes pas, les tiens, je les suivrai.
D’aucuns diront que nous sommes charmants. Que nous dansons comme si nous n’étions qu’un. L’un et l’autre, ensemble et pourtant si loin. Je te ferai l’élégance de ne pas t’effrayer. Je prendrai un soin particulier à t’offrir l’illusion d’un bal sans danseurs. L’illusion encrée dans ton cœur que, comme d’habitude, tu es belle, envoutante, rayonnante, et toi, tu donneras à mon roman une nouvelle charmante.
Nos pas s’accorderont dans cette danse tragique tandis que ton regard n’en verra que l’ombre. Sans paroles, sans sons, sans odeurs, nous tournoierons dans la pénombre glaciale de l’hiver et nos âmes se croiserons sans jamais se toucher. Nous danserons encore, jusqu’à jamais, puis je lancerai, dans une somptueuse adversité, un pas final qui te fera tomber, ma chère.
Ainsi, tu n’auras cru que ce que tu voyais…
Dans cette Filature Nocturne, tu n’auras vu que ce que je voulais.
N. A. Colia
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n-a-colia · 2 years
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Ma Chérie
            Ma douce et chère amie…
Je vous aime sans fin.
Ma tendre, Ma chérie…
Et que la lune m’en soit témoin,
C’est sans peine quand elle est pleine,
Que je vous cri que je vous aime !
Mais que je vous aime, ma Chérie !
Je vous dirai, sous les Dieux et devant les cieux,
Comme mon cœur me hâte, de joie d’être amoureux.
Si nos regards se croisent, nos lèvres les imiteront !
Et si nos corps s’enlacent, se lassent de frictions
C’est que de moitié, le rêves est une fiction.
Car aussi lisse et douce que soit votre peau
Jamais nous ne pûmes et jamais nous ne pourrons
Ni par la belle plume, moins encore par l’épée,
Modeler un instant pour le faire aussi beau
Aussi beau que celui où je vous ai aimé.
N. A. Colia
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n-a-colia · 2 years
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Un Dernier Mot Avant la Fin
         Nous y voici.
Le jour de la dernière nuit. Voici l’archange qui se présente au sommet de la colline. L’amertume du regret d’avoir manqué de faire. Le dernier périple… Voici le jour de ma mort.
         Vous, qui lisez ces lignes,
Vous n’avez pas pu l’empêcher. Peut-être n’avez-vous pas voulu. Peut-être en êtes-vous la cause. Peut-être, s’il reste un brin d’humanité en vous, l’avez-vous pleurée. Je ne vous en voudrais pas si tel était le cas. Mais vous avez tort.
         Le voyage se termine.
Pour moi, comme pour vous. Rien ne persistera après moi. Le néant s’abat sur le monde et je rêve… Est-ce donc cela que l’on appelle “ l’au-delà ” ? Au-delà de la vie, au-delà de la mort ? N’y a-t-il rien pour me retenir ? Le voyage semblait pourtant si paisible. Mais voilà que le temps se termine, et la fin d’une vie entraine la mort d’autrui.
         Remerciements à toute l’équipe.
Je vous remercie d’avoir cru en moi. Vous étiez bien sots. Votre ultime erreur ? Verser une larme, car rien ne persistera après moi. Je tiens à remercier la fin pour tout ce qu’elle nous a retiré. Mes remerciements à ceux qui se battent encore : Tout le monde vous oubliera.
         Mes regrets disparaissent.
Ils étaient pourtant tenaces. Rien ne persistera après moi. L’ombre s’empare de ma vision, puis de vos sons. Rien n’a persisté après toi. Mon seul regret, dès lors, est de ne pas en avoir assez. De ne pas avoir assez aimé. Et je meurs… Je me meurtri dans un dernier frisson…
         Un dernier mot avant la fin :
Le sommet de ma peine arrive. Alors que je sens mon âme partir, je connais la plus grande souffrance possible : Vos rires me manquent. Votre présence disparait peu à peu. Je mourrai seul, comme tout le monde. Rien ne persistera en moi… Mais vous devez continuer de rire. Même si la joie s’estompe, riez… Même si tout le monde m’oubliera… Vous me manquez déjà.
N. A. Colia
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