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#Domaine de Blacher
oenodyssee · 9 months
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Au désert
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Chez Myriam et Étienne Oddon // Domaine de Blacher // Saint-Julien-en Saint-Alban // Ardèche // Côte-du-Rhône // 5 hectares
11-Nous sommes dans le grand salon, à l’étage. Ce soir, c’est avec la famille Oddon, Myriam, Étienne et leurs trois filles, que je performe Rhapsode. Version veillée. Pauline et Siloé, les deux aînées, lisent et écoutent sans lâcher leur tapisserie, Myriam fend des châtaignes. Arrive cette réplique : « Maintenant Eurydice s’est émondée, elle n’a pas voulu de ton poème : plus grand qu’elle. » Pour une fois, personne ne bute sur le terme émonder. Un peu plus tôt, au dîner, Étienne m’avait en effet demandé si j’étais d'accord pour qu’il lise, selon la pratique familiale, un passage de l’Évangile, au demeurant choisi en écho à ma venue. Et Myriam, au verset 2 ( : « tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’émonde ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage. ») en avait profité pour faire un point sémantique. Émonder : débarrasser une plante d’un rameau inutile. Et moi pour y adjoindre une résonance personnelle : sortir du monde.
10 – Ici, dans ce salon, j'hésite au chemin pour dire la suite. Monter d’un étage, au grenier, pour évoquer le lendemain ? Descendre et sortir sur la terrasse pour narrer mon arrivée quelques heures auparavant ? Suivre dans les deux cas la piste du raisin. Remontons le temps. Une ribambelle d’enfants accueillis comme chaque mercredi après-midi. L’activité du jour  : ramasser du raisin, le piétiner dans un baquet et fabriquer du jus pour le goûter. Avoir pédalé me donne le droit d’en boire un verre puis de m’extraire des jeunes turbulences. Je suis donc Étienne qui veut me montrer le chai où il s’essaye à vinifier depuis quatre ans. On louvoie entre garrigue et parcelles viticoles, croisant les brebis et les imposantes highlands du domaine. « Nous avons commencé avec les animaux : d’abord les chevaux, les chiens truffiers, les poules, les oies… Mais la possibilité d’acheter les vignes d’un voisin a changé la donne » (Étienne).
9 – Situé sur la faille géologique des Cévennes entre granite, argile marneux et gneiss, le terroir est excellent.  L’impulsion vient de Myriam qui veut faire du vinaigre balsamique. Une formation en chimie, un voyage à Modène, et l’aventure est lancée. Les premières vendanges sont foulées au pied et brassées à la main « les quantités travaillées nous permettent – encore aujourd’hui – de toucher chaque grain ». Une partie des moûts est vinifiée en vinaigre, une autre va grimper au grenier pour s’y transformer en baume. On y reviendra. Reste que seule une moitié de la récolte est destinée au précieux condiment. Et le vin ? "Pendant un temps, tout le raisin a été pour les différents vinaigres, il fallait se lancer. Je gardais juste de quoi produire quelques bouteilles » (Étienne)
8 – Dans la petite cave de pierre je m’interroge sur les raisons de l’installation des Oddon, ici, dans la montagne de Saint-Julien-en-Saint-Alban. La décision est venue après un incident violent survenu dans l’école où Myriam, alors enceinte, enseigne. Très engagée auprès des jeunes des quartiers nord de Marseille via son métier et diverses associations protestantes elle résistait jusque-là à l’envie exprimée par son mari, bourguignon d’origine, d’une installation à la campagne. Ils cherchent. Et trouvent. Une pépite chargée d’histoire qui aura raison des dernières réticences de Myriam. Bourrée de livres anciens la maison de Blacher est un témoignage de la présence huguenote en Ardèche.
7 – Depuis le XVI ème siècle, on s’y cache aux heures sombres des persécutions, on y héberge les fuyards qui tentent de gagner la Suisse, on y célèbre clandestinement le culte, les unions et les morts dans un « désert » abrité par un canyon forestier. Le lieu résonne tellement avec l’ascendance vaudoise de Myriam que ses parents et sa sœur la rejoignent bientôt à Saint-Julien-en-Saint-Alban. Avec le couple Oddon, la maison va accueillir divers clubs de jeunesse et colonies de vacances, permettant à la famille de garder un lien avec le militantisme missionnaire et les quartiers défavorisés.
6 – Côté vin, s’appuyant sur la rigueur de son métier d’infirmier Étienne progresse vite. Son naturel plait et il n’est plus question de consacrer toute la récolte au vinaigre. Le mi-temps éleveur-infirmier libéral va bientôt se muer en plein temps polyculteur-vigneron. Un basculement dans lequel sa femme, dont les premiers balsamiques se sont fait une place sur quelques tables étoilées, l’a précédé six ans plus tôt en démissionnant de l’éducation nationale.
5 – Après le foulage du raisin puis son pressage mécanique, laissons le vin et le vinaigre se métamorphoser chacun dans leur chai et suivons la part de mout destiné à devenir balsamique. D’abord une cuisson douce et très surveillée – « au doigt, comme pour le bain de mes enfants » (Myriam) puis le premier tonneau qui sera hissé dans le fameux grenier après la fermentation.
4 – Premier, car à chaque année révolue, le baume va déménager dans un tonnelet plus petit et façonné dans une essence de bois différente. Toujours plus concentré et chargé d’arômes, bénéficiant des fortes variations de température offerte par la soupente. Ce que je vérifie, petite cuiller à la main, mis en éveil par le frais matin.
 3 – Intrigante verticale pour le palais non habitué. J’ai connu des p'tit-dej’ plus, comment dire, brutaux. À ce jour, le millésime doyen a quatre ans mais, chaque année ajoutant son tonnelet, il sera bon de revenir goûter un peu plus loin le minuscule dernier.
2 – Je pars sous un crachin fumant. La cour est déserte. Sur le mur du hangar je lis cette phrase peinte en grandes lettres jaunes :
1 –  «Tous différents, tous indispensables »
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