Tumgik
#EloreCohlt
elorecohlt · 4 years
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59 - Hors de l’eau
Lorsque Gold nous a aperçus, son sourire s’est évanoui. Il s’est immédiatement dirigé vers nous et a d’abord réceptionné Dog avant de le hisser sur ses épaules.
- Bordel, il vous est arrivé quoi ?
Jezebel lui a adressé un sourire qui sentait la fatigue.
- Le Nœud nous a pris en chasse et on a fini dans l’eau.
J’ai rajouté, machinalement :
- On était dans une voiture.
Les yeux de Gold se sont écarquillés, avant qu’il ne laisse échapper un juron. Il a repris contenance avant d'indiquer :
- Ma caisse est parquée plus loin.
On s’est mis à marcher. Il y a eu un silence entrecoupé par nos respirations avant qu’il ne lâche, doucement :
- ... vous avez dû avoir peur.
Je n’ai pas tout de suite vu Jezebel s’immobiliser, j’étais un peu devant. Mais quand j’ai senti que je marchais seule, je me suis retournée pour la voir debout, tête penchée en avant, ses deux mains agrippées à la veste de Gold. J’ai dû me rendre compte qu’elle pleurait en même temps que Gold car je l'ai vu réagir, posant une main sur son épaule avant que je me détourne : je n’étais pas de ceux qui réconfortaient, je ne savais déjà pas quoi faire des émotions qui remuaient comme des vagues au fond de mes poumons. Je les ai laissés, m’avançant vers une voiture qui, esseulée à l’entrée de la plage, abordait nos couleurs.
Un bruit de portière, quelqu’un est sorti et j’ai mis quelques secondes à reconnaître mon frère. J’ignore si la lumière de la lune y était pour quelque chose, mais il m’a semblé si vulnérable et émacié, à me regarder avec des yeux heureux puis attristés ; c’est vrai que lui ignorait l’enfer par lequel j’étais passée. Puis, d’une démarche animée par un élan étrange, je l’ai vu contourner la caisse et marcher vers moi. Avant même que je n’aie pu dire quelque chose, je me suis retrouvée entraînée dans une étreinte si forte qu’elle m’a presque fait mal.
Ma voix a résonné, lointaine :
- Mes côtes... attention à mes côtes.
Il a articulé un vague ”pardon” sans changer quoi que ce soit. Perdue dans son étreinte, ma vision s’est brouillée, de fatigue ou d’autre chose que je ne pouvais pas identifier. Depuis quand Hakeem était si chaud ? Une vraie bouillotte.
- Je suis désolé.
- Pourquoi ?
Peut-être qu’il pleurait, peut-être que moi aussi. C’est si flou, mais je me souviens d’à quel point le voir m’a fait du bien, à quel point son câlin m’avait aidé à prendre réelle conscience que le cauchemar était terminé. Je n’ai pas identifié ces sentiments tout de suite, il m’a fallu être sur le chemin du retour, affalée dans la banquette arrière juste à côté de lui. J’ai tant lutté pour rester éveillée mais l’épuisement m’a rattrapée ; ma tête s’est appuyé contre l’épaule de Hakeem et j’ai perdu conscience alors qu’il murmurait des mots censés me rassurer.
Quel idiot.
Je me suis réveillée dans une obscurité poussiéreuse, à peine percée par la lumière venant d’une porte entrouverte. Ma main a frôlé des draps avant de se projeter sur le côté, vérifier que j’étais seule allongée. Puis une voix familière a retenti dans la pénombre.
- Raïra ?
J’ai voulu me redresser, mais deux réactions m’ont immédiatement stoppée : de un, une douleur atroce au flanc et de deux, l’impression que le sang de tout mon corps s’était mis à battre sur mon front. J’ai juré et me suis immobilisée avant de me laisser retomber sur l’oreiller, mon regard distinguant les contours de visage de Hakeem dans la pénombre.
- J’ai soif, putain.
Il s’est marré, nerveusement. D’un coup - les évènements d’avant le sommeil me sont revenus.
Vlad. La poursuite. La route.
La voiture, sous la surface. Et l’eau qui monte, qui n’arrête pas de monter, jusqu’à emplir mon nez et ma bouche.
Un violent frisson a agité mes vertèbres, m’arrachant à l’emprise des souvenirs.
- ... Jezebel. Elle va bien ?
Hakeem a hoché la tête.
- Ils ont dû la recoudre. Toi aussi, d’ailleurs.
- Putain...
Un silence. Plus doucement, je me suis redressée et ai réussi à m’appuyer sur mes coudes. Mon frère a poursuivi :
- T’avais l’arcade ouverte et Jezebel... c’était le crâne.
J’ai sifflé, tentant vaguement de maîtriser les battements de mon coeur.
- Elle va s’en sortir ?
- Oui, elle dort.
J’ai grimacé : mes côtes pulsaient. En passant la main sous le t-shirt ample que je ne me souvenais pas avoir enfilé, je me suis heurtée à un bandage épais.
- Ça va ?
- J’ai mal.
Il s’est approché et a tendu les mains. Voyant qu’il hésitait entre m’aider à me lever et me recoucher, j’ai balancé mes jambes de côté et me suis tournée, m’asseyant sur le lit sans son aide. Mon corps a immédiatement réagi en m’envoyant des éclairs de douleurs qui ont fait danser des points dans ma vision. Perdue, je me suis accrochée à Hakeem.
- Putain...
- Raïra, tu fous quoi ? Al a dit qu’il fallait que tu te reposes.
Ignorant ma vision brouillée, j’ai marmonné :
- J’ai soif et j’ai envie de pisser. Tu vas pas pouvoir le faire à ma place, non ?
Pas besoin de voir clairement pour savoir qu'il avait grimacé.
- Je peux déjà t’amener à boire. Pour le reste on verra, ok ? Mais reste tranquille s’il te plaît.
- Ramène-moi un soda. On une bière.
Il a soupiré, s’est levé en faisant attention à ne pas me déséquilibrer.
- On va commencer par de l’eau.
J’ai voulu me foutre de lui, mais les forces m’ont manqué. Reprenant doucement le contrôle de ma respiration, je l’ai vu se détacher doucement de moi et disparaître par la porte, laissant la lumière blafarde du couloir éclairer la pièce.
Je suis restée immobile un moment, sans oser bouger. Peu à peu, j’ai mieux distingué l’intérieur de la pièce : le cadran de lit kitsch récupéré dans dieu sait quelle déchetterie, le matelas miteux et quelques sacs d’affaires qui débordaient d’un placard.
On avait dû me foutre dans une chambre libre, et j’espérais vraiment qu’elle soit propre.
Une inspiration, deux. Quand la douleur s’est calmée, j’ai perçu quelques bruits, au QG. Des conversations lointaines venant du salon puis, plus proche, le son de l'eau qui coulait.
Une fois familière, de l’autre côté du mur. Qui parlait du ton de celui qui se voulait posé alors qu’il s’agitait.
- ... hors ... question.
Je n’ai pas réfléchi quand je suis levée, mais le sang m’est immédiatement monté à la tête. Vacillant, j’ai posé mes mains et mon front contre le mur. C’était con, de faire comme si j’étais pas blessée : je tenais à peine debout.
De l’autre côté de la paroi, une voix a répondu à la première. Alors que je fermais les yeux, elle m’est apparue plus proche, se mêlant aux battements sourds de mon cœur.
- Il faut que j’y retourne.
- Je ne te laisserai pas.
C’était Tamiko. Je reconnaissais ses inflexions. Il m’a fallu bien plus de temps pour identifier celles de Face, car je ne l’avais jamais entendu aussi agité. Aussi émotionnel.
C’était dérangeant.
Avant que j'aie le temps de décoder son discours, Tamiko a répliqué :
- Que tu le veuilles ou non, j’irai. T’as vu ce qu’ils leur ont fait, ils sont prêts à tout et on a plus aucun moyen de savoir leurs plans.
Il y a eu un silence, puis du mouvement. Sous le pansement qui recouvrait l’arcade de mon front, j’ai senti le sang couler.
La voix de Face a répliqué, étouffée et fébrile :
- Tu t’es pas encore remise. Tu dois rester.
Cette fois, Tamiko a presque crié :
- Tu sais très bien que plus je m’absente et plus ils vont se douter de quelque chose, on a déjà trop abusé. On peut pas les laisser sans surveillance après ce qu’ils ont fait à Rain, Jezebel et Dog, putain ! Face, c’est pas le moment de craquer !!
J’hallucinais, incapable de croire mes oreilles. L’idée que Tamiko puisse être en train de remonter les bretelles de Face allait à l’encontre de la hiérarchie de la Meute et du principe même qui dictait que notre chef était inébranlable, implacable.
Si lui craquait, qu’est-ce qui nous resterait ?
Le silence s’est prolongé, et la voix du boss a résonné trop faiblement pour que je puisse distinguer les syllabes. Un rai de lumière a illuminé la pièce et j’ai entendu mon frère jurer.
- Raïra ? Tu fous quoi ?
Alors que je me redressais et glissait vers l’arrière, son bras m’a soutenue et m’a aidée à m’asseoir.
- Quelle tête de mule, bordel, tu pouvais pas rester tranquille ?
J’ai laissé échapper un ricanement pathétique :
- Si je savais rester tranquille, on aurait jamais fini par bosser ensemble.
Il a capitulé avant de m’aider à boire puis me rallonger. Alors que je sentais ma conscience foutre le camp, mon regard s’est heurté à l’expression soucieuse de mon frère. Au bout de quelques secondes dans le coton, j’ai réussi à articuler quelque chose :
- Hakeem... ça te va pas bien, d'être sympa.
Je n’ai pas eu le temps de voir sa réaction avant de sombrer.
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elorecohlt · 4 years
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Kids
J'ai besoin de croire, ces temps.
J'ai besoin de croire que les liens resteront forts, que la rivière n'est jamais bien loin. J'ai eu tant besoin de croire, ces derniers jours, que j'ai fait la poussière. J'ai sorti les archives, fouillé les sentiments et, en résultante, ai ressorti un texte à vif, écrit l'été dernier.
Et dédiés aux enfants perdus, qui se reconnaîtrons. Et qui, eux aussi, ont sans doute bien besoin de croire, parfois.
***
L’eau froide de la rivière et la vase sous mes pieds
La chaleur étouffante, les insectes collés
Grillés par la lumière, éblouis par les rires
Et nos voix qui se perdent dans la nuit
Les étoiles innombrables et l’écho d’une clameur
Les éclats de mille vies, hilarité sans heurt
L’éclair orange sur vert d’une balle qui revient
Les chaises blanches disposées sur l’herbe qui déteint
Les réalités crues et les discours brisés
Les élans d’amour pur et les portraits papier
Les voix qui à toute heure résonnent dans les couloirs
Les mains qui frappent les mains et les bras qui enserrent
Le bitume fumant et les miettes de pain
Les retrouvailles en vrai qui durent dix lendemains
Le langage partagé et les mots qui s’échangent
De l’horreur abyssale aux choix les plus étranges
Des amitiés sincères voilées de nonchalance
Des images fugaces et des phrases qui dansent
Le temps qui s’étire et les liens qui se nouent 
C’était moi, c’était eux, c’était nous
Des enfants perdus,
Des enfants trouvés,
Juste des enfants perdus qui se sont trouvés.
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elorecohlt · 4 years
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52 - Après
Je pensais à Tamiko tout le temps.
Pendant les missions, pendant les bastons, pendant la nuit. Je revoyais la lumière clignotante de la salle de bain, entendais en boucle ses côtes qui craquaient.
J’ignorais où on l’avait emmenée. Tout ce que je savais, c’était que Face et Al avaient disparu à sa suite et que, les jours qui ont suivi, c’est Gold qui a servi d’intermédiaire entre nous et eux.
Trois jours et deux nuits ont passé. Alors que je rentrais au QG avec Mina, Gold nous a accueilli avec des nouvelles : Tamiko avait survécu et s’était réveillée.
Elle est revenue quelques jours après. L’accident nous avait coûté quelques jeunes membres présents à la soirée, effrayés par la tournure des évènements. Peu importait, le fait qu’ils évitaient le squat nous a laissés entre nous, comme au temps où on n’était pas encore allés tellement, tellement trop loin. La nuit où elle est revenue, j’étais de sortie. Quand je suis rentrée, j’ai voulu la chercher.
Six étages au-dessus du QG, il y avait un toit. Un truc plat et trop à découvert, qui n’offrait sur la ville qu’une vue misérable. Alors que le ciel prenait une teinte psychédélique, je suis montée et l’ai trouvé assise sur le rebord, en train de fumer une clope. J’ai marché sur les pierres inégales qui pavaient les lieux, me suis arrêtée près d’elle et ai déposé à côté d’elle un soda frais avant de m’asseoir à ses côtés. C’est à peine si elle a pris acte de ma présence.
J’étais pas pressée. Au bout d’un certain temps, elle a jeté sa cigarette et m’a lancé un regard de biais. J’ai senti qu’elle attendait que je fasse le premier pas et j’ai consenti à me lancer.
Peut-être qu’après ce qui s’était passé, on était passées au-dessus des jeux de pouvoir.
- C’est cool que tu sois revenue.
Elle a souri, très doucement, m’offrant un rictus a des années-lumière de ses expressions éclatantes d’avant.
- Je suis toujours revenu, non ? La première fois, la deuxième et maintenant.
Elle a saisi la cannette de soda et l’a ouverte. Après une gorgée, Tamiko a repris :
- A ce qu’il paraît, les gens qui ont vécu la mort pendant un moment en sortent changés. Ils font du ménage dans leurs vies, ils s’améliorent.
Un sale ricanement.
- Moi, j’ai rien changé. Je suis même devenu pire.
Au-dessous de nous, il y a eu une série de klaxons. Un mec est sorti d’une voiture pour en insulter un autre. Je me suis désintéressée du spectacle, préférant me concentrer sur Tamiko.
Mes paroles sont sorties comme un reproche, sans que je le veuille.
- Je croyais que t’étais sobre.
Elle a haussé les épaules.
- Moi aussi. Mais j’ai eu une journée pourrie, tout le monde faisait la fête et... j’en ai eu besoin. Ou envie, je sais pas.
Un petit rire triste a franchi la commissure de ses lèvres. Puis, d’un coup, elle s’est fait très sérieuse. Pour la première fois, je l’ai vu chercher mon regard.
Un silence.
- Tu m’as cassé une côte, ça veut dire que t’as soulevé mon pull.
J’ai hoché la tête, très doucement, avec la conscience que mes prochains mots risquaient d’avoir beaucoup de pouvoir.
- Ouais. J’ai vu.
J’ai senti qu’elle essayait de faire la dure, mais j’avais l’habitude de voir à travers ses manières. Derrière son insouciance, il y avait une réelle inquiétude.
- Tu vas balancer ?
- Non.
J’y avais déjà réfléchi. Son regard s’est intensifié comme si elle voulait faire des trous dans ma peau avec. J’ai soupiré, mal à l’aise avec ce que je ne connaissais pas. Prudente, pour une fois.
Ma voix a résonné :
- T’en as déjà parlé aux autres ?
Une seconde d’hésitation, visible sur ses traits. Est-ce qu’on se livrait à sa proxénète ? Sans doute pas. Mais on partageait un secret, désormais. Liées par les paumes de mes mains contre son cœur que j’avais aidé à remettre en marche.
- ... pas aux mecs. Ça servirait à rien, ils me verront jamais autrement.
- Et toi, comment tu te vois ?
Elle s’est agitée.
- Je sais pas... je m’en fous. C’est tellement compliqué, putain, je pourrais sans doute jamais comprendre tout ça tant que je vivrais cette vie.
J’ai rien dit, même si je pensais très bien savoir ce qu’elle entendait par là. La drogue, les clients, les fusillades à la sortie des parkings. Et au milieu de tout ça, des questions que je contribuais à obscurcir, que je le veuille ou non.
Putain.
Doucement, Tamiko a ramené ses genoux contre son torse et y a posé son menton.
- Ils disaient que je verrais de la lumière, des anges ou une connerie du genre. Mais j’ai rien vu, Rain, rien du tout. Rien qu’un putain de trou noir qui m’a englouti tout entier. C’était même pas terrifiant en soi, ce qui a été dur, c’est de me réveiller ailleurs et me rendre compte de la différence.
La discussion est devenue trop intense, mais je n’ai pas fui. Au bout d’un moment, Tamiko m’a demandé de l’aide et on est descendus par l’escalier en fer rouillé qui faisait le tour de l’immeuble.
Cette nuit-là, il a fait froid, à New L.A.
Et comme une hypocrite, je me suis endormie shootée.
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elorecohlt · 5 years
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48 - En cendres
- Est-ce que tout est clair ?
Plusieurs d'entre nous ont approuvé. Alors que j'enfilais ma veste, j'ai senti une présence derrière moi suivie d'un poids dans ma poche. Je me suis retournée et y ai porté la main, sentant la bouteille et le tissu imbibé d'alcool qui y était accrochée. Dog s'est approché de quelqu'un d'autre, distribuant les cocktails molotov comme des petits fours. Alors que l'on se dispersait, je me suis approchée de Face.
- Je pense toujours que c'est beaucoup trop casse-gueule, comme plan.
- Ça va fonctionner, tu verras.
Il ne m'a pas accordé plus d'attention. J'ai haussé les épaules et me suis retournée vers Hakeem, qui mettait un flingue à l'intérieur de sa veste. Il m'a adressé un sourire.
- Prête ?
- Ouais.
Bien entendu, je mentais.
La portière a claqué, et Hakeem a fait démarrer le moteur.
- Mets ta ceinture.
- Fous-moi la paix.
L'un des types qui nous accompagnait a ricané. J'ai allumé une clope, tentant de contrôler ma respiration. Avec le temps, les rocades de surveillance avaient payé, et le gang avait identifié certains endroits stratégiques appartenant au Noeud. Bien que l'on ne sache pas - encore - où était leur QG, le fait d'interroger les bonnes personnes avait révélé des informations intéressantes : ce soir-là, la majorité des membres du Noeud serait ailleurs, laissant quasiment sans surveillance l'entrepôt où ils stockaient leur marchandise. Dans de telles conditions, saboter les lieux semblait tout à fait accessible.
J'ai jeté un oeil dans le rétroviseur : à l'arrière, Dog jouait avec son cran d'arrêt. Les deux autres membres qui nous accompagnaient restaient immobiles, concentrés. On était une petite équipe mais Face faisait confiance à chacun d'entre nous.
Au bout d'un moment, on a dépassé les limites du quartier. Hakeem a garé la voiture sur un parking pas loin de l'entrepôt et je suis partie devant, avec lui.
Deux types gardaient l'entrée, comme prévu. Quand ils nous ont vus, ils n'ont pas eu le réflexe de se jeter directement sur nous : erreur fatale. D'un bond, Hakeem a rejoint son garde attitré et l'a assommé. Je me suis dirigée vers le mien et ai voulu faire de même, mais ce dernier a évité mes coups. Avec rage, j'ai attendu une ouverture avant de le planter au niveau du flanc, retirer mon poignard dans un jet de sang. Nos trois acolytes nous ont rejoint alors que je fouillais ma victime, récupérant les clés.
- T'es brutale, a fait remarquer Hakeem alors qu'il le dépassait. Dog m'a mis la main sur l'épaule.
- L'écoute pas, t'as été parfaite.
- J'ai pas besoin de ton avis.
Il a ricané, s'est décalé pendant que j'ouvrais les portes de l'entrepôt. J'ai voulu rester immobile, le temps que mes yeux s'habituent à la pénombre, mais il y a eu un déclic, et Hakeem a crié quelque chose avant de me bondir dessus, m'entraînant au sol, quelques mètres plus loin.
Un bruit de verre brisé a retenti, puis une langue de feu a jailli au-dessus de moi, embrasant le ciel et l'endroit où je me tenais une seconde plus tôt. Un peu sonnée - l'arrière de mon crâne avait salement heurté l'asphalte - j'ai fini par me redresser, jeter un oeil devant moi.
La vision m'a coupé le souffle.
A mes pieds, il y avait une flaque d'essence d'où jaillissaient des flammes surnaturelles, qui s'étendaient jusqu'à l'intérieur de l'entrepôt, commençant à brûler le peu qui y avait été laissé. Mue par un instinct de survie des plus basiques, j'ai commencé à reculer, tentant d'échapper à la chaleur infernale qui s'échappait du brasier. Ma voix est sortie - trop aigüe à mon goût :
- C'était quoi ça, putain ?
Une nouvelle langue de feu - verticale cette fois - a attiré mon attention vers l'entrée de l'entrepôt. Là, en grosses lettres écarlates, était marqué :
BIEN ESSAYE.
J'ai senti un frisson parcourir mon échine : on s'était trompés sur toute la ligne.
Hakeem m'a saisi le bras et m'a entraînée plus loin.
- Faut pas qu'on nous trouve là !
Alors que les flammes de l'incendie n'étaient plus en vue, la présence des clés serrées dans ma main m'a rappelé les mecs qu'on avait laissés là. Ma gorge s'est serrée.
- Hak... Steel !
Mon frère m'a adressé un regard effaré.
- Les deux types...
- ... on a pas le temps.
- Tu vas pas me dire que t'as pitié du mec que t'as planté, Rain ? Tu me déçois.
J'ai fusillé Dog du regard, mais il n'a pas réagi.
Alors que la caisse démarrait et que l'on se cassait de la zone à grande vitesse, j'ai senti la réalisation peser dans mon crâne et mon ventre : déjà, le Noeud avait une longueur d'avance sur nous et surtout : son leader n'avait aucun problème à sacrifier ses membres.
Est-ce que Face en ferait autant avec nous ? J'ai dégluti, me suis rendue compte que je n'avais aucune envie de le savoir. La voiture a fait une embardée, provoquée par la conduite trop nerveuse de mon frère. Je lui ai jeté un regard.
- Ça va aller ?
Il a serré les dents et m'a menti :
- Bien sûr.
Ma nausée s'est intensifiée. Alors que je regardais à l'extérieur, vers les rues que l'on se battait pour continuer à contrôler, je me suis rendue compte d'une chose : la guerre était déclarée depuis bien longtemps, mais cette tentative d'incendie était le signe qu'elle avait atteint un nouveau niveau.
Et que désormais, avec la Meute, c'était à la vie, à la mort.
Que je le veuille ou non.
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elorecohlt · 5 years
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43 - En cage
Vivre d'hôtel en hôtel était une existence enviable, mais dont on pouvait facilement se lasser ;  du moins c'était ce que nos parents nous racontaient. Une fois par saison, environ, ils faisaient des arrêts de plusieurs jours à l'appartement, temps durant lequel ils prétendaient se préoccuper de nous. Au départ, ces visites nous avaient comblés de joie, mais ce bonheur avait fini par disparaître : le temps où l'on adorait papa et maman étaient révolu depuis longtemps.
Le fait qu'ils soient là ne changeait pas grand chose à notre business : il fallait juste que Hakeem et moi se montrions plus prudents, à coup de cachotteries et mensonges qu'ils ne questionnaient que trop rarement. Par contre, on avait moins de temps : quand ils visitaient, Evelia et Mazin montraient comme une envie de rattraper le temps perdu, et cela se traduisait par des expéditions stupides auxquelles ni Hakeem ni moi ne pouvions couper : visites au zoo, longues marches et visites de certains musées (mes préférées mais plutôt crever que de l'avouer), la moindre occasion de sortir était utilisée.
(Cela aurait pu être touchant si l'on considérait ces attentions comme des façons de passer du temps en famille, mais ni Hakeem ni moi n'y croyions : à mon avis, ces tentatives de renouer étaient plus une manière de se donner bonne conscience qu'autre chose).
Durant ses sorties, Evelia adorait me poser des questions sur ma vie, l'école, mes amis. Je lui inventais de jolies salades, jouant la comédie de la fille modèle alors que j'avais le corps couturé et le coeur plus saignant qu'à point. Hakeem aussi mentait, s'inventait une petite amie qu'il ne payait pas pour baiser, des amis fiables et des notes assez passables pour qu'elles n'inquiètent pas nos géniteurs mais ne leur donnent pas envie d'en savoir plus non plus.
L'autre problème posé par ces rencontres était plus délicat à gérer : comme nos parents nous voyaient peu, Hakeem et moi devions feindre la complicité que nous avions auparavant et que la Meute - d'une certaine manière - nous avait fait perdre. Il en résultait des simagrées insupportables mais qui, quelque part, me faisaient plaisir. Comme un retour en arrière, au temps où je pensais que mon frère pourrait me protéger de tout, alors qu'en réalité quelque chose nous avait séparés.
(J'avais terriblement peur que cela soit irrémédiable.
Plutôt crever que de l'avouer.)
C'est pendant l'une de ces sorties - au zoo, comme de juste - que quelque chose d'étrange est arrivé.
Nos géniteurs marchaient devant et Hakeem et moi derrière, discutant à voix basse. C'était difficile de parler d'autre chose que la Meute et feindre une existence ordinaire, mais l'absurdité de la situation ne nous échappait pas, nous poussant à la prendre comme un jeu, et - ironiquement - c'était dans ces conversations artificielles que je retrouvais un peu du frère que j'avais aimé. Alors que nous étions en train de nous adonner à un échange faux de plus - nous ne parlions jamais de la Meute en public et encore moins avec Mazin et Evelia dans les parages - deux silhouettes se sont approchées de nous. Et l'une d'elle, familière, a immédiatement croché mon regard.
En plein jour, l'aspect misérable de Mina n'était que plus frappant. Plus maigre que jamais, elle était accrochée aux bras d'un type en sweater noir et au teint bien plus halé qu'elle, qui se baladait avec un air profondément stupide sur le visage - ou défoncé, c'était à voir. Nos parents les ont dépassés sans réagir, à l'opposé de mon frère et moi : dès que Mina a croisé notre regard, elle a pilé, arrêtant dans son mouvement le mec qui l'a regardée sans comprendre. A côté de moi, j'ai vu Hakeem se tendre et me suis sentie faire de même, inconsciemment. En deux enjambées, mon frère a rejoint Mina et l'a toisée, avant de lâcher.
- Tu fous quoi ici ?
Elle lui a jeté un regard de chienne battue, pitoyable à l'excès. Sans réfléchir, je me suis interposée et ai posé une main contre le sweat de Hakeem.
- Je vais lui parler, t'inquiète.
Il m'a fixée et j'ai cru qu'il allait protester, mais son regard s'est légèrement adouci.
- ... ok.
Mon frère a fait un pas de côté et - au moment où j'ai cru qu'il allait s'éloigner - a saisi l'autre mec par une épaule. Ce dernier lui a adressé un regard tout juste un peu surpris, à croire qu'il n'avait vraiment aucune conscience de la merde dans laquelle il s'était fourré.
- ... toi, tu viens avec moi.
Un sourire étrange - vraiment trop doux et un peu louche ou je rêvais ? - s'est dessiné sur la bouche de l'inconnu. Je suis intervenue :
- Tu le connais ?
Ma question est restée en suspens alors que Hakeem le traînait plus loin. Quand je me suis retournée vers Mina, cette dernière avait les yeux humides.
- C'est ton copain ?
La question avait jailli sans que je n'y réfléchisse. Elle a secoué la tête :
- Non, c'est un ami d'enfance.
J'ai froncé les sourcils.
- Je croyais que t'avais fugué ?
Une part de moi avait envie de lui demander pour quelle genre d'imbécile elle me prenait, mais l'autre a décidé de lui laisser la part du doute. En rajustant nerveusement son t-shirt sur ses épaules, Mina a répondu :
- Il a déménagé.
J'ai ricané et elle a protesté :
- J'te jure, c'est vrai !
- Ça l'est peut-être, mais c'est un peu facile. Qu'est-ce que tu fous en-dehors du QG ?
Elle a voulu me répondre, mais est restée interdite, fixant quelque chose derrière moi. Trop absorbée par elle, je me suis retournée trop tard, pour aviser avec consternation la seule variable que j'avais tendance à oublier : ma mère.
Une main s'est tendue entre moi et Mina, brisant la tension.
- Evelia Sayed, enchantée !
Ahurie, Mina lui a serré la main faiblement. Ma mère a repris :
- Vous êtes une amie de Raïra ?
Un regard vers moi, qui lui ai fait de gros yeux. Mina a balbutié :
- O... oui.
- On s'est connues à l'école.
Ai-je complété, laissant apparaître le plus faux des sourires - canines dévoilées, toujours. Enthousiaste, ma génitrice nous a adressé un grand sourire.
- C'est un plaisir de vous rencontrer, Raïra ne nous présente jamais aucun de ses amis...
Il faudrait que tu sois là pour ça, me suis-je entendu siffler, mais personne n'a réagi, alors ce devait être en silence. Raide comme un bâton, Mina a fini par relancer :
- Je... je vous ai vue à la télé.
De quel droit osait-elle prolonger la conversation avec ma mère ? Je lui ai jeté un regard noir, qu'elle a ignoré alors que celui de ma génitrice s'illuminait.
- Ah, ça m'arrive souvent d'y passer, en effet !
Avant qu'elle ne puisse enchaîner sur le dernier talk-show où elle et Mazin avaient été invités, j'ai saisi le poignet de Mina - qui a sursauté, j'ai espéré que ma mère ne l'avait pas remarqué - et l'ai tirée vers moi.
- Il y a un truc dont je dois te parler. En privé.
Elle a soutenu mon regard deux secondes avant de le détourner, tout sourire disparu. Ma mère m'a fixée avec perplexité alors que je traînais Mina plus loin.
- Je te la rends après !
Je l'ai sentie tiquer, me suis rendue compte trop tard de ma formulation. Un sourire timide et un peu moqueur a étiré les lèvres de mon interlocutrice.
- C'est ta mère ?
- Ferme-là.
Je l'ai entraînée à l'écart, derrière une grande cage. Mina a voulu se dégager mais j'ai resserré mon emprise.
- Tu peux pas traîner dehors, comme ça. C'est dangereux.
Avec une détermination dont je ne la pensais pas capable, elle a retiré son poignet et s'est éloignée d'un pas.
- Face m'a donné congé, ok ?
- Pas pour que tu sortes en plein jour.
Ses yeux se sont humidifiés. Pressée par le temps et la situation, j'ai poursuivi :
- T'as vraiment envie qu'ils te rechopent et te gravent un autre truc dans le dos ?
- Arrête...
- T'as beau être sur notre territoire, t'es pas en sûreté tant que t'es seule. Et va pas me dire que ton chevalier servant sait se battre, je suis sûre que je peux le foutre au tapis en deux secondes.
Elle a ri très légèrement, et cette infime démonstration de complicité - impromptue au milieu de notre engueulade - m'a déstabilisée.
- Oh, c'est sûr que tu peux.
J'ai retenu mon propre sourire, avant de rétorquer :
- Ouais.
Le moment était charmant, mais j'ai vite déchanté en pensant à la réaction de Face s'il venait à apprendre l'histoire. J'ai soupiré, puis posé ma main sur l'épaule de Mina.
- ... faut que tu rentres. Si tu veux ta balader en plein jour, demande à un membre de la Meute de t'accompagner, ok ? Et pour ton mec... s'il veut te voir, va falloir qu'il paie.
L'expression de Mina s'est modifiée, passant d'une forme de soulagement à une tristesse résignée. Elle a ouvert la bouche, a semblé vouloir dire quelque chose avant de se raviser. Puis, d'un ton mort, elle a murmuré :
- ... il paiera pas, il a pas de fric.
J'ai haussé les épaules et l'ai serrée contre moi, obéissant à une impulsion que je ne me suis pas expliquée. Je l'ai sentie soupirer, s'abandonner quelques secondes. Avant de soupirer :
- ... j'suis fatiguée, Raïra. Epuisée, même. C'est pas une vie que vous nous faites mener.
J'ai ravalé ma salive, tenté de rester droite. Derrière le grillage, un grand loup au pelage miteux nous fixait. S'il avait un jour été sauvage, il avait perdu de sa superbe : maigre et l'oeil morne, il m'a observée quelques instants avant de se détourner, faire le tour de sa cage une fois encore.
Ma voix est sortie et je l'ai entendue de loin.
- J'en parlerai à Face.
C'était un mensonge : demander une audience au boss pour négocier les conditions de travail des filles, c'était le job de Hope et pas le mien - de plus, j'étais persuadée de ne pas être dans les bonnes grâces depuis l'affaire de la fusillade et je ne comptais rien faire pour empirer ça. Pourtant, voir le regard de Mina s'éclairer a fait vaciller ma résolution. Alors qu'elle se détachait de moi en souriant, j'ai senti mon estomac se tordre. Ça a été son tour de m'entraîner vers l'allée principale du zoo, tout en me promettant qu'elle rentrerait au QG après avoir causé à mes parents. Hakeem nous a rejoint un peu plus tard et - quand je lui ai demandé ce qu'il était advenu du mec de Mina - il s'est juste contenté d'un "je l'ai dégagé". J'ai rassuré Mina : Hakeem ne l'aurait pas buté, par manque de circonstances propices surtout, mais il se pourrait qu'il l'ait intimidé (c'est le mot que j'ai utilisé : un sacré euphémisme, sachant que Hakeem adorait envoyer son poing dans les gueules qui, selon lui, le méritaient).
Cette nuit-là, j'ai rêvé du loup.
J'ai revu sa cage, la poussière soulevée par ses allers et retours incessants. Les regards de ceux qui ne faisaient rien, à l'extérieur, et les morsures des pairs, rendus fous par leur captivité. Plus le loup marchait, plus ma vision changeait, ne faisait plus qu'un avec la sienne. Et à travers le grillage, je voyais l'horizon noircir alors que notre course se faisait plus effrénée. A tourner en rond, désespérément, jusqu'à ce que la cage se fonde dans la poussière et nous laisse seuls dans une étendue désolée, désertique.
A courir, fuir la tempête qui s'annonçait. Chercher un instant de pureté, de quoi laver les plaies. Une source, une lumière.
Quelque chose de vrai.
Courir sans cesse, poussés par une soif inextinguible. Et hurler à la lune absente, toujours hurler.
J'ai l'impression que cette course ne s'est jamais arrêtée.
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elorecohlt · 5 years
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47 - Schisme
Le verre que je tenais a heurté le mur et volé en éclats. En réponse, Leïla s'est immédiatement protégé le visage et son geste a augmenté ma rage : pensait-elle vraiment que j'allais la frapper ? Je ne l'avais fait qu'une fois et la voilà qui me traitait comme un monstre.
- Ça va pas ??!
- Tu m'as provoquée.
Elle m'a adressé un regard assassin.
- En te disant d'arrêter ? Pourtant tu sais que j'ai raison.
- Je peux pas arrêter, t'as compris ?? On a cette putain de discussion toutes les semaines, Leïla, tu sais qu'ils me buteraient si je les trahissais !
- Alors quitte la ville !
D'un bond, elle m'a rejoint et m'a serré les mains un peu trop fort.
- On pourrait partir, toutes les deux, et aller n'importe où ! Quitter la ville, le pays, je m'en fous !! On a qu'à économiser, t'as de la tune, non ? Et après...
Son contact, d'un coup, m'a paru insupportable. Retirant mes mains des siennes, j'ai secoué la tête.
- ... t'es complètement déconnectée, ça sert à rien. Je pourrais jamais les abandonner, j'ai trop vécu avec eux... et que tu me demandes ça, encore et encore, ça prouve que tu l'as pas compris.
La réalisation m'a frappée avec la force d'une douche glacée. Me reculant, je l'ai regardée.
- ... tu me connais pas, Leïla.
Avec horreur, j'ai articulé - moins fermement que je ne l'aurais voulu :
- Mieux vaut que tu sois pas avec moi si c'est pour me demander des trucs que tu sais que je peux pas faire.
Je l'ai vue ouvrir la bouche, et c'est ce qui m'a fait fuir : je n'aurais pas supporté de l'entendre supplier. Alors j'ai récupéré mon blouson et mes clés et l'ai laissée là, au milieu de l'appartement.
Notre dispute avait duré des heures et - en sortant - j'étais mal comme après un bad trip : mon coeur battait dans mes oreilles, j'avais beaucoup trop chaud et je marchais trop vite, consciente que j'allais faire une connerie.
Je ne suis pas arrivée au QG par la porte de devant, mais par l'entrée que prenaient les clients quand nos filles les servaient directement. Je tremblais tellement qu'il m'a fallu plusieurs essais pour mettre la clé dans la serrure - assez pour alerter Jezebel, qui est apparue derrière la porte.
En voyant ma tête, elle a laissé échapper un "wow", puis :
- Est-ce que tout va bien ?
J'ai inspiré, oubliant de me refaire un masque. Foutu pour foutu, j'ai fini par secouer la tête et admettre :
- ... non. Hope travaille ? Je peux l'attendre.
Jezebel s'est écartée pour me laisser rentrer.
- Elle est avec un client, mais c'est son dernier. On a du thé, si tu veux.
- ... je veux bien.
J'allais faire une connerie, j'allais faire une connerie, j'allais faire une connerie. Assise seule avec une tasse de thé tiède entre mes mains, j'ai tenté de calmer ma respiration. Les arguments de Leïla ne cessaient de me revenir en tête, projet fou et insupportable d'enthousiasme. Etait-elle vraiment prête à tout lâcher pour me suivre ? C'était dangereux, de m'aimer autant.
Et surtout, c'était incroyablement stupide.
Quelques minutes sont passées, puis l'attente m'a semblé insoutenable : laissant la tasse sur le fauteuil, je suis allée récupérer une bouteille de vodka à la cuisine. Plusieurs des mecs présents m'ont proposé des shots, mais mon regard - associé à l'intervention de Gold, qui, en me voyant, a demandé à ce qu'on me foute la paix - a servi de réponse. Je suis revenue dans la chambre, où j'ai avalée une rasade, puis une autre. Il fallait que j'anesthésie ma colère et ces pensées qui hurlaient.
C'est à ce moment-là que Hope est apparue.
Accompagnée par Hakeem, elle a avisé mon état et lui a demandé de nous laisser seules - ce qu'il a fait à contrecoeur. Elle s'est ensuite penchée vers moi.
- Rain ? Tout va bien ?
Accrochée à ma bouteille, j'ai tenté d'avoir l'air plus en forme que ce que j'étais.
- ... tu peux aller prendre ta douche, on parlera après.
- T'es sûre ?
- Oui, oui, va. Je peux attendre.
Plus j'attendais, et moins je risquais de faire la connerie que je savais que je ferai.
Les minutes se sont étirées comme du chewing-gum. Porte ouverte, j'ai vu passer du monde - principalement des filles qui me saluaient à la hâte avant de retourner au travail. Au bout d'un moment, j'en ai eu assez et fermé la porte, me laissant dans l'obscurité.
On pourrait partir, toutes les deux, et aller n'importe où.
Pleine d'amertume, j'ai avalé une nouvelle gorgée.
On a qu'à économiser.
Et fuir...
Comme si c'était aussi facile.
Le bruit de la porte qui s'ouvrait, suivi d'un rai de lumière, m'a fait sursauter. Dans l'encadrement, Hope m'a fixée avec un regard que je ne lui connaissais pas. Je me suis levée, ai trébuché.
- Hey...
Ses bras m'ont rattrapée, me soutenant alors qu'elle allumait la lumière et fermait la porte d'un coup de hanche. Brumeuse, je me suis détachée et me suis assise sur le bord du lit, manquant de ma casser la gueule au passage. Hope a avisé la bouteille que j'avais laissée près de l'entrée et m'a lancé :
- ... t'as bu ?
J'ai grogné :
- T'es pas ma mère.
Elle s'est assise à mes côtés, avec ses cheveux encore mouillés et son mascara que l'eau avait fait un peu couler. Ses bras se sont refermés sur moi, m'enveloppant dans une odeur de gel douche pour homme. Je suis restée immobile, incapable de pleurer, même si je me suis sentie trembler. Le plat de sa main a tracé des cercles dans son dos, contact brûlant et réconfortant. Quand elle s'est détachée, elle a gardé ses mains sur mes épaules et m'a jeté un regard empli de sollicitude.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? Je t'ai jamais vue comme ça...
Il m'a fallu plusieurs secondes pour rassembler le courage de parler.
- ... c'est ma copine.
Un sanglot a éclaté dans ma gorge, me heurtant comme une fleur faite d'éclats de verre.
- Je crois... qu'on va se séparer.
Ce n'est qu'à ce moment que j'ai commencé à pleurer, à grosses larmes pathétiques pendant qu'elle me serrait contre moi à nouveau.
- Ça fait longtemps que t'es avec elle ?
- Bientôt 2 ans.
Elle a sifflé.
- C'est à cause de la Meute ?
- Ouais. Je me suis accrochée plus fort à elle.
- Peut-être qu'on se comprend plus, je sais pas. Mais ce soir...
J'allais faire une connerie.
- ... j'ai pas envie de penser à elle.
Un éclat d'incompréhension est passé dans ses yeux, remplacé par une réalisation doucereuse alors qu'elle comprenait ce que je sous-entendais. Elle a eu un mouvement de recul, se détachant de moi.
- Rain...
Je me suis rapprochée.
- J'ai pas oublié, quand on est sorties et que tu m'as proposé de t'embrasser.
Elle a froncé les sourcils, souri d'un air gêné avant de secouer la tête.
- T'es sûre que c'est ce que tu veux ?
J'ai réduit l'espace qui nous séparait, profitant de l'excès de confiance que l'alcool me procurait.
- J'ai toujours été attirée par toi.
Un sourire pathétique s'est dessiné sur ses lèvres. Sentant sa réticence, je me suis redressée.
- C'est un problème de fric ? Parce que je peux te payer.
- C'est pas ça...
Elle s'est relevée, s'éloignant légèrement avant de commencer à faire les cent pas dans la chambre.
- Je ne connais pas ta relation avec elle, mais je sais une chose, c'est que là, maintenant, t'as bu et tu réfléchis pas. Et c'est pas que tu m'attires pas, non, mais... si on couche ensemble, ça va peut-être casser définitivement un truc, avec elle. Et je veux pas être responsable de ça.
Un soupir a franchi mes lèvres : elle était trop raisonnable, elle ne voulait pas me laisser faire la connerie.
Je me suis relevée, me suis avancée vers elle.
- Mon job, c'est de toucher les nouvelles, les habituer au contact, à ce que les autres vont leur faire. Tu le sais, tu m'as vue. Alors va pas prétendre que ça change quelque chose dans ma relation avec ma copine.
Elle s'est tue, visiblement touchée par l'argument.
- Est-ce qu'elle le sait ?
J'ai fait non de la tête.
- Elle s'en doute, mais je ne l'ai jamais confirmé. Elle a toujours fait avec, elle sait que je fais des trucs comme ça et elle...
Les larmes sont montées à nouveau, alors que je poursuivais d'un ton cassé :
- ... elle m'aime quand même.
Un petit "oh" attendri s'est échappé de Hope, puis elle m'a prise dans les bras. Et alors que je chialais contre elle, je l'ai entendue dire :
- Je vais m'occuper de toi, t'inquiète pas. Ça va aller, Rain, je te laisserai pas foutre votre couple en l'air.
J'ai reniflé, comme une gamine qui aurait égratigné son genou contre l'asphalte. Je m'étais déjà sentie misérable plein de fois depuis mon arrivée au sein de la Meute, mais c'était rare que je pleure en présence de l’un de ses membres. C'était peut-être même une première.
Hope a donc pris soin de moi au lieu d'être la briseuse de couple que j'aurais voulu qu'elle soit.
***
Quand je suis rentrée - au milieu de la nuit - Leïla attendait dans le salon, avec l'air d'avoir pleuré toutes les larmes de son corps.
- Raïra, je...
- Chut.
Epuisée, je lui ai mis un doigt sur la bouche, tout en sortant de ma poche la petite liasse de billets que j'avais récupérée. Je les lui ai glissé dans les mains, et son regard a d'abord semblé perdu, avant qu'une lueur de compréhension ne l'illumine doucement.
- ... t'es sérieuse ?
J'ai hoché la tête, gravement.
- Ouais. Je vais faire comme tu as dit, on va économiser et se casser d'ici. Elle a voulu dire quelque chose, mais je l'en ai empêchée, reprenant :
- Ça va prendre des mois, peut-être même des années, mais on va le faire. Et en attendant, je vais faire attention à ne pas crever et toi... tu vas rester hors des affaires de la Meute. Promis ?
Elle a mis quelques instants à réagir, comme si elle n'y croyait qu'à moitié. Et pourtant, elle a fini par me sauter au cou :
- Promis !
C'est ainsi que le contraste entre ma vie diurne et nocturne s'est changé en double-jeu, me rapprochant de plus en plus du moment fatidique où les deux mondes allaient se heurter, provoquant une explosion qui allait tout emporter sur son passage.f
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elorecohlt · 5 years
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45 - Alchimie
- J'ai cru que tes parents n'allaient jamais nous lâcher.
Un sourire : je n'avais pas vraiment dormi et que avais passé la journée à jouer à la fille modèle et c'était la perspective de revoir Leïla qui m'avait fait tenir. On était sur un coin de plage isolé, assises sur le capot d'une voiture désossée, à la carrosserie abîmée par le sable et le sel. Plus loin, Kate, Cole et des amis à eux - je n'avais aucune idée de qui il s'agissait - discutaient autour du feu. Quelques notes de musique me sont parvenues - est-ce qu'un de leurs potes avait amené une foutue guitare ? J'ai soupiré : la musique mielleuse m'irritait, cachait les crépitements du feu et le chant des vagues. Saleté.
Ignorant le fait que nous étions quasiment en public, Leïla s'est blottie contre moi. J'ai jeté un oeil aux autres, plus loin : personne ne nous regardait. Elle a ri en me voyant faire.
- Détends-toi, on est presque seules.
Je lui ai embrassé le front, distraitement. Comme si elle avait senti mes pensées partir à la dérive, elle s'est redressée.
- Ça va ?
- Ouais.
Un temps.
- Mes parents se sont embrouillés, hier soir. J'ai pas compris exactement pourquoi, mais c'était un problème d'argent.
- ... ah.
Son sourire a disparu, remplacé peu à peu par une moue boudeuse.
- Ça va pas t'atteindre, toi, non ? Je veux dire, tu te fais du fric, avec la Meute.
- Ouais.
Je me suis laissée partir en arrière, m'étalant sur la vitre sale. Malgré le smog de New Los Angeles, j'ai réussi à voir quelques étoiles. Leïla m'a rejointe, se lovant contre moi. Elle était tactile, ces temps : peut-être parce qu'elle me sentait distante et voulait compenser, peut-être qu'elle se sentait seule.
- J'aime bien quand tes parents sont en ville.
J'ai ricané, l'ai serrée contre moi.
- Ça fait au moins une personne qui apprécie.
- Tu peux moins voir tes potes quand ils sont à l'appart, tu te mets moins en danger.
Un silence, puis j'ai concédé :
- C'est vrai, mais on peut pas le faire quand ils sont là.
- Très juste.
Un temps de silence, où j'ai passé la main dans ses cheveux, senti l'odeur entêtante de son shampooing à la lavande.
- Ils vont virer Rosie, je pense.
- Ah, mince...
Elle a semblé songeuse quelques instants, puis a répliqué :
- C'est dommage, je l'aimais bien.
- Pareil. Elle a plus été là que mes parents, en tout cas.
Elle m'a répondu par un rire un peu retenu, un peu amer.
- Tu seras sans surveillance et ton frère non plus. Tu vas ramener tes potes du gang chez toi ?
- Ça va pas ? Aucun sait où j'habite.
- Sérieux ?
J'ai hoché la tête vigoureusement. Si certains membres de la Meute ne se dérangeaient pas pour partager les détails de leur vie diurne - quand ils en avaient une - d'autres, comme Gold, Hakeem et moi, avions plus de pudeur. J'imaginais que c'était une façon de protéger ce qu'il me restait de vie ordinaire, tout comme - quelque part - protéger Leïla : personne ne pourrait m'atteindre par elle, jamais.
Du moins, c'était ce que j'espérais.
Leïla m'a adressé un sourire étrange, avant de se tourner vers moi. Quand ses lèvres ont touché les miennes, j'ai fermé les yeux, savouré leur contact. Le monde a tourné un peu plus vite quelques instants, comme quand je faisais des concours de shots avec les membres de la Meute. La sensation s'est quelque peu dissipée quand j'ai rouvert les yeux et contemplé le visage de Leïla, son regard doux et avide à la fois. Puis j'ai senti sa main monter vers ma gorge, faire pression juste assez pour que mes jambes se resserrent, que je sente mon coeur battre plus vite. Quelque chose dans mon expression a dû l'alerter, puisqu'elle s'est arrêtée et m'a lancé un regard soucieux.
- Ça va ? Tu veux que j'arrête ?
Une émotion un peu trop vive, un peu trop étrange - m'a bloqué la gorge. J'ai fait non de la tête, me suis entendue murmurer :
- J'adore quand tu fais ça.
Quand elle demandait si tout allait ou quand elle prenait les devants et me contrôlait ? Sans doute les deux. Rassérénée par mon autorisation, Leïla a fondu sur moi et j'ai senti son baiser autant que la sensation de ses doigts sur mon cou, son autre main sous mon haut et ma respiration qui se réduisait, émotion dangereuse mais qui m'exaltait. Un coup d'oeil vers les étoiles alors que mes yeux roulaient, et l'impression qu'aucun moment ne pourra atteindre la perfection que j'expérimentais en cet instant.
C'était sans doute l'une des choses que j'appréciais le plus chez Leïla : elle m'écoutait, me demandait toujours si elle n'allait pas trop loin alors que dans nos jeux, il aurait été facile de l'ignorer. Elle avait ses défauts, mais elle ne m'a jamais forcée.
Et recousait - inconsciemment, peut-être - la plaie qui s'était ouverte dans mon esprit, le vide béant - la porte entrebâillée.
Quand, plus tard, les coutures allaient sauter, son souvenir aura fait partie des choses qui m'auront le plus aidées.
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elorecohlt · 5 years
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44 - Nostalgies
C'est ainsi que s'est achevée notre sortie familiale, sans plus de fracas : Hakeem a raccompagné Mina et je suis rentrée avec mes parents, calée à l'arrière de la voiture familiale pendant que mon père râlait sur le trafic de New L.A..
L'idée d'inviter Leïla à la maison me tentait : c'était un besoin qui se faisait pressant quand je fréquentais des membres de la Meute trop longtemps ou de façon trop intense, et le fait que je sois forcée de simuler une vie normale n'aidait pas non plus. Comme la présence de mes géniteurs réduisait mon activité au sein du gang, je ne pouvais m'empêcher d'envisager des loisirs plus ordinaires : voir mes amis (c'était ainsi que j'avais présenté Leïla), aller à la plage, jouer aux jeux vidéo, regarder des documentaires historiques.
(Périodes d'ennui, périodes de répit - peut-être y avait-il du bon dans leur présence.)
- Je peux inviter des amis demain soir ?Plus tard, à table, je me suis lancée. Hakeem m'a lancé un regard intrigué : on s'était assez perdus pour qu'il ignore que, Leïla mise à part, il restait encore quelques gens diurnes que je fréquentais, à son opposé. Mes parents se sont adressés un regard ravi - c'était à croire que l'étonnement et la joie étaient les uniques options de leur catalogue d'émotions - et ont accepté. Après un temps acceptable passé à table, Hakeem et moi nous sommes retirés dans nos chambres respectives, laissant Mazin et Evelia au salon. 
Je n'avais plus l'habitude de passer mes nuits loin de l'agitation éternelle du QG et du danger des rues que l'on parcourait. Séparée des autres, j'avais l'impression de sentir un membre fantôme me gratter : à moins de me rendre directement dans notre repaire, je n'avais aucun moyen de les joindre et cette perspective me faisait tourner comme une bête en cage. (A croire que je ne savais pas ce que je voulais, déchirée entre un manque féroce et une forme de soulagement : je ne pouvais pas me l'avouer mais la vie ordinaire avait ses charmes).
C'est dans cet état que j'ai entendu des éclats de voix dans le salon. Plus que les mots, c'est le ton qui a attiré mon attention : cela faisait une éternité que je n'avais plus entendu Mazin et Evelia se disputer.
Avec l'impression de faire un truc illégal, j'ai ouvert la porte de ma chambre et me suis glissée dans le couloir. Sans voir, je devinais que l'un de mes parents faisait les cent pas - peut-être Evelia.
La voix grave de mon père a résonné :
- Tu sais bien qu'on a pas le choix. On perd de l'argent, là, il va bien falloir qu'on fasse des sa-
- Hors de question qu'on la renvoie. Elle a besoin de son salaire et les enfants ont besoin d'elle.
J'avais beau être dans un sale état, je n'ai pas eu de peine à deviner qu'ils parlaient de Rosie. Me rapprochant encore un peu, j'ai retenu ma respiration et écouté la suite.
- Tu es sûre ? Ils ont grandi, ça se voit. Ils peuvent se débrouiller seuls.
Les bruits de pas se sont arrêtés, puis il y a eu une pause, avant que la voix d'Evelia ne brise le silence.
- ... je ne sais pas, Mazin. Ils ne sont pas majeurs, rappelle-toi.
- Mais ils se débrouillent très bien ! Regarde Hakeem : il a l'air solide et indépendant. Quant à Raïra, elle est bien entourée...
(Il a fallu que je me mette la main sur la bouche pour m'empêcher de ricaner.)
- ... et je n'ai jamais entendu ses professeurs se plaindre. Tout va bien, Evelia.
Ma mère lui a répondu quelque chose, mais je n'ai plus eu envie d'écouter : l'entendre s'intéresser tout à coup à notre bien-être me donnait la nausée. Trop fébrile, j'ai passé un blouson sur mes épaules et me suis dirigée vers l'extérieur, profitant d'un nouvel éclat de voix pour sortir, clés en main. Aller au QG me semblait trop dangereux, je risquais d'y rester, mais je ne me voyais pas débarquer chez Leïla.
Il faisait toujours chaud, à New Los Angeles, mais ces temps-ci, il s'était mis à y pleuvoir de plus en plus fréquemment. Quand je suis sortie, les contours de la ville étaient brouillés par une pluie fine et un peu trop fraîche, que j'ai pourtant accueillie sans broncher. Peu importait.
J'ai erré sans réfléchir dans le quartier, évitant les zones de lumière et l'unique voiture de flic que j'ai croisée, jusqu'à arriver sur un lieu où je ne m'étais plus rendue depuis des années.
Le terrain de streetball où - plus jeune - j'avais pris l'habitude de jouer s'était bien délabré, avec le temps. J'y suis rentrée presque timidement, comme si je pénétrais un site sacré ou d'anciennes ruines : les paniers avaient perdu leurs filets, les fissures aux murs semblaient être agrandies par la pénombre. Alors que je m'y avançais presque mécaniquement, une voix m'a interpellée.
- J'y crois pas, un fantôme...
Il a fallu quelques secondes pour que mon cerveau identifie le timbre et l'associe à un nom. Pourtant j'avais eu l'habitude de jouer avec Will, du temps où je fréquentais l'école plus d'une fois par semaine et où je disais tout à mon frère. Mais cette époque était révolue, et je devais en éprouver une forme de nostalgie puisque j'étais revenue.
Je me suis retournée et ai avisé une silhouette déglinguée, qui s'est rapprochée de moi. Will avait fait plus que grandir : il avait vieilli, ses joues s'étaient creusées et il avait une lueur dans le regard que j'ai reconnue immédiatement : celle des clients les plus camés, ceux qui feraient tout pour qu'on leur accorde une minute de plus au paradis.
- ... putain, Will.
J'ai soufflé, incapable d'en dire plus. Il a ri, s'est rapproché de moi et m'a fixé quelques instants, avec un regard un peu trop affectueux pour un type que je n'avais plus revu depuis des années.
- Qu'est-ce que tu reviens faire ici ?
J'ai haussé les épaules, ai senti l'eau froide qui coulait le long de ma nuque et sur mes poignets.
- Je suis en pèlerinage, on va dire. Et toi, tu fais quoi ? Tu joues toujours ?
Will a ri une fois de plus avant de secouer la tête, presque tendrement.
- C'est du passé, ces jours. J'ai trouvé d'autres loisirs, d'autres façons de... m'évader.
- Ah.
Mal à l'aise, j'ai relancé un peu trop vite :
- Et les autres, ils continuent de venir ici ? Tu sais, pendant longtemps j'ai pensé que c'était ta famille.
Une surprise douce s'est peinte sur ses traits émaciés, avant qu'il ne refasse non de la tête.
- Peut-être de coeur et à une époque, mais les choses ont changé, Raïra. Pour toi aussi, je crois.
Il a marqué une pause, avant de développer :
- Tu t'es endurcie Et tu as l'air... plus triste, aussi.
Sa main s'est tendue vers mon visage mais je l'ai repoussé, peut-être un peu trop fort. Il n'a pas insisté et a reculé gentiment. Tout de suite, je me suis sentie coupable.
- Désolée.
- T'excuses pas, t'as raison. C'est ta bulle, tu laisses rentrer qui tu veux dedans.
C'était si poétique, comme façon de le présenter, que je me suis surprise à sourire à mon tour. Mais quelque chose s'est noué au creux de mon ventre : c'était impossible de ne pas voir à quel point Will s'était affaibli, éteint, et comme, paradoxalement, la lueur dans ses yeux semblait plus forte, pareille à un feu dans le noir.
Il y a eu comme un silence, entre nous, juste ponctué par le bruit de la pluie contre le terrain. Puis, alors que j'amorçais un mouvement de départ, Will a lancé :
- Tu salueras tes loups de ma part.
Je me suis figée.
- ... je vois pas de quoi tu parles.
Il a ri encore, mais cette fois son rire était plus tranchant, presque un peu méchant.
- Me prends pas pour un con, Raïra. Je parle de ton frère et tes potes de la Meute. Tu sais, ceux qui me vendent ma came.
Le noeud dans mon estomac s'est soudain changé en trou noir. Sonnée, je n'ai pas pu m'empêcher de jeter à Will un regard livide. Il a souri en haussant les épaules, avant de s'éloigner.
- Dis à Gold que je le reverrai bien assez tôt. Faut juste que je trouve le fric.
J'ai hoché la tête et ai fui le terrain. Le reste de mes souvenirs est flou : quand mes pensées se sont éclaircies, j'étais devant mon immeuble, à frissonner et en sueur - j'avais dû courir, sans doute.
Et dans ma tête s'entrechoquaient deux pensées : c'est de ma faute s'il va crever et j'ai besoin que quelqu'un me dise que tout va bien se passer.
Quand j'ai finalement réussi à m'endormir, elles n'avaient pas cessé de se heurter.
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elorecohlt · 6 years
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35 - Hostilités
A peine arrivé, Al s'est enfermé avec Mina et Face. Hope m'a remplacée, ce qui me semblait logique : bien que je m'entendais plutôt bien avec Mina, je restais celle qui l'envoyais baiser les porcs qui faisaient notre fric et n'étais sans doute pas la mieux placée pour la réconforter. Quand je suis revenue au salon, ceux qui avaient assisté à notre retour m'ont assaillie de questions. Suivant l'ordre de Face, je les ai toutes esquivées et me suis contentée de répéter que Mina s'en sortirait. (De toute façon, je n'étais pas sûre que cela leur importe vraiment. La plupart des types de la Meute méprisaient les filles, ne traînaient avec que pour des coups d'un soir et ils ne faisaient pas exception pour Mina - aussi adorable soit-elle).
Attendre a été difficile. Alors que le soir tombait, les membres rentraient et la rumeur que quelque chose de grave s'était produit se répandait. Je restais imperturbable, passais le temps comme si de rien n'était. Gold, Dog et Steel ont fini par arriver à leur tour et Face, après s'être entretenu avec eux quelques minutes, a refait son apparition.
Un discours - ou du moins une mise à jour face à la situation - s'imposait. Avec une placidité qui, me semblait-il, était moins parfaite qu'à l'accoutumée, Face a rassemblé ceux qui étaient là et les a mis au courant : c'était bel et bien à des membres du Noeud que Mina avait eu affaire. Alors qu'elle racolait, elle s'était fait enlever et avait subi les mutilations que j'avais pu voir de près. - Et Chuck ? Il était pas avec elle ? La question, posée par l'un de ses potes proches, a fait taire les commentaires. Froidement, Face a répliqué : - Ils l'ont descendu. Un silence glaçant s'est abattu sur l'assemblée, avant que des insultes ne jaillissent un peu partout, éclats de colère qui surgissaient comme des foyers d'incendie dans la forêt. J'aurais sans doute dû faire pareil, mais voilà : une partie de moi repensait à la nuit où je m'étais réveillée sur le carrelage et me rappelait que c'était Dog et Chuck qui m'avaient ramenée, avant le blackout. Peut-être qu'il le méritait, alors. Frisson glacé : penser ça, c'était trahir la Meute et pourtant je n'avais pas pu m'en empêcher. J'aurais dû en vouloir au Noeud mais mon esprit refusait de coopérer. Je n'étais pas soulagée de la mort de Chuck mais pas triste non plus, et cet état de fait me nouait l'estomac. - On va faire quoi ? La question a agité notre groupe. Face y a répondu : - On va continuer de faire comme d'habitude et continuer de recruter. Il faut qu'on s'agrandisse, qu'on se fortifie. Qu'on soit prudents aussi, ces chiens ne sont pas à prendre à la légère. Mais ne vous inquiétez pas, on passera à l'offensive quand ce sera le moment. Son ton s'est fait plus dur encore : - Ils crèveront avant que je les laisse nous baiser comme ça une deuxième fois. Le reste de la séance s'est passé dans le chaos. Un peu sonnée, je suis restée sans rien faire jusqu'à ce que Hakeem m'entraîne à l'écart. En me voyant, le visage de mon frère s'est adouci. - Ça va ? J'ai menti : - Ouais. Toi ? - Ça va aller. Tu as pu voir Mina ? - Ouais. Un peu plus bas, j'ai lancé : - J'étais là quand elle est rentrée. - Ah, merde. Son ton peiné m'a filé la gerbe. J'ai grogné : - Regarde moi pas comme ça, putain. Son expression s'est durcie. - ... pardon. D'un seul coup, l'atmosphère du QG m'a paru étouffante. Le coeur battant, j'ai détourné le regard, marmonné que j'allais rentrer. - Tu veux pas la revoir ? - C'est pas ma gosse. Ce n'était qu'une pute, ce n'était qu'un gang. Les mots se répétaient dans ma tête, me donnaient le tournis. Nauséeuse, j'ai quitté le squat avec l'impression de trahir mon clan.
***
Quand j'ai débarqué dans le silence de l'appart, je n'ai eu qu'une envie : entendre la voix de Leïla. Avec une hésitation un peu étrange - mes mains tremblaient et j'avais froid - j'ai saisi le combiné et composé son numéro. Au bout de quelques sonneries, elle a décroché. - Hey. - Raïra, ça va pas ? T'as vu l'heure ??? Elle chuchotait : j'avais dû la surprendre. Comme déconnectée, je me suis demandée où le téléphone de sa maison était situé, et si ses parents l'entendaient. Bizarrement, l'idée ne m'a fait ni chaud ni froid. - ... Raïra ? - Pardon, je... je. J'ai reniflé. Ma sensation de nausée s'était calmée mais le tremblement de mes mains s'était transmis au reste de mon corps. - Tu me manques, Leï. - ... oh. Un silence, à l'autre bout du combiné. Puis elle a repris, plus doucement : - Il s'est passé un truc ? Tu veux que je vienne ? - ... non, non, ça va aller... j'avais... J'ai hésité : même avec elle, c'était dur de se montrer vulnérable. - ... j'avais juste besoin de t'entendre. - Tu es sûre que ça va ? Une envie de lui dire de fermer sa gueule m'a traversée : je détestais qu'elle me presse comme ça. Pourtant je lui ai dit la vérité. - ... pas vraiment, non. Mais je te raconterai, t'inquiète. Ça va déjà mieux, de t'entendre. Un autre bruit, dans le combiné. D'un seul coup, je n'ai plus entendu la respiration de Leïla et - par mimétisme, j'ai retenu la mienne également. Au bout de quelques secondes, elle a repris : - Je vais devoir raccrocher, je pense. Tu veux que je vienne ? - Non, je veux pas te créer de problèmes. Mais Leï ? - Oui ? - Je t'aime. - Moi aussi. Elle a repris, d'une voix un peu étranglée : - Et putain, Raïra... j'espère vraiment que tu t'es pas attirée trop d'ennuis. Sur ce juron qui lui ressemblait si peu, elle a raccroché.
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elorecohlt · 4 years
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55 - Cache-cache
- C’était qui ? Tu l’as reconnu ?
J’ai secoué la tête du mieux que je pouvais, étant donné qu’on était en train de dévaler une série d’escaliers. Sans réfléchir à mon souffle, j’ai repris :
- De toute façon, faut qu’on se casse.
Derrière nous, Dog a grommelé :
- J’arrive pas à croire qu’on se soit fait niquer encore. Vraiment quand je tiendrais ces chiens, je leur ferai bouffer leurs tripes.
Déjà, faudrait qu’on s’en sorte, j’ai pensé sans rien dire.
Alors qu’on arrivait au niveau du premier étage, Jezebel a articulé :
- On peut pas les mener au QG, on sait pas combien ils sont ni s’ils sont près.
J’ai soupiré et ai manqué une marche. Alors que je me rattrapais tant bien que mal, je lui ai balancé :
- Ok, on va où alors ?
Elle a soupiré à son tour avant d’atterrir près de l’entrée et de marquer un arrêt. Autant pour reprendre mon souffle que pour lui laisser de l’espace, j’ai fait pareil. Un bruit métallique a retenti et je me suis tournée pour aviser Dog, un trousseau de clés à la main.
- On a une voiture, parquée pas loin. On l’a laissée là après une mission.
Un bref échange de regards : on irait loin, avec une caisse. Mais sortir un gros moyen, c’était avouer qu’on avait peur. Qu’on était prêt à fuir à des kilomètres à l’heure.
Jezebel a saisi les clés, interrompant mes réflexions.
- Je conduis.
- Tu te fous de moi ?
Dog a tenté de récupérer ses clés mais elle l’a esquivé.
- J’ai mon permis depuis plus longtemps que toi et je sais rester calme au volant.
Il a voulu répliquer, mais c’est moi qui ai interrompu l’échange à mon tour :
- On a pas le temps, putain !
Ils se sont figés deux secondes et Dog a fini par hausser les épaules brusquement.
- Si tu veux.
À son regard, j’ai su qu’il ne considérait pas l’histoire comme réglée, mais qu’il mettrait son égo de côté au profit de sa survie, on règlerait nos comptes après.
Dehors, j’étais en alerte. À tourner la tête au moindre bruit, sursauter pour un rien. J’étais armée et je savais faire mal mais j’ignorais si cela suffirait. À force de se faufiler dans des rues pour accéder au parking, j’ai eu le temps de me raisonner : si ça se trouvait, on allait les semer. Si ça se trouvait, c’était juste du bluff.
C’est là que, à quelques mètres, j’ai entendu une série d’éclats de voix.
Comme une seule personne, on a accédé et déboulé sur le parking. La caisse, aux couleurs de la Meute, nous attendait pareille à une bête au repos. Je l’ai contournée et ai pris la place du mort alors que Dog s’engouffrait bon gré mal gré à l’arrière. Jezebel a fait démarrer l’engin en quelques secondes et s’est retournée, avisant l’espace qu’il lui restait pour manœuvrer.
- Vos ceintures, putain.
Je me suis à peine exécutée que la voiture a reculé en trombe avant de quitter les lieux.
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elorecohlt · 5 years
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46 - Encre
Les jours ont passé et nos parents sont partis après avoir congédié Rosie. Hakeem a feint la surprise - je lui avais tout dit - quand ils nous l'ont annoncé mais je savais que la nouvelle ne l'avait pas réellement affecté : ne plus avoir Rosie dans les pattes nous faciliterait la tâche. Quant à l'affection que l'on pouvait ressentir envers notre ancienne nounou, nous avons fait comme si elle n'avait jamais existé. Nos adieux avec elle ont été froids et gauches - une page tournée.
On avait autre chose à faire, de toute façon.
Juste au moment où m'occuper des filles commençait vraiment à m'emmerder, Face m'a convoquée et m'a confié d'autres types de mission - intimidation, vente, recrutement. J'ai accueilli la nouvelle avec un soulagement manifeste - c'était presque douloureux, de s'occuper des filles : elles me faisaient trop de peine et j'avais l'impression de trop m'attacher à elles. Peut-être que, comme Hakeem, j'aurais dû coucher avec elles quand l'envie m'en venait au lieu de juste dès qu'elles arrivaient, mais je peinais à m'y résoudre : quoique Face puisse leur dire, elles n'étaient pas des objets, et j'avais été forcée de le reconnaître.
J'ai donc repris mon quotidien, retrouvant mes associés habituels et m'éloignant des filles. Cela m'arrivait d'en recruter, mais - mis à part un noyau constitué de Hope, Mina, Jezebel et Tamiko - celles que je ramenais finissaient par partir, désabusées ou effrayées, généralement trop pour en parler (certaines aussi disparaissaient, j'essayais de ne pas réfléchir au comment ni pourquoi). Il fallait dire que, même si elles venaient à raconter ce qu'elles avaient vécu au sein du gang, Face ne s'en serait pas inquiété : notre influence dans le quartier n'était plus à questionner : avec les mois, on était tellement plus et tellement... partout. Je le voyais les fois où je daignais me ramener à l'école : plus personne n'osait me chercher des noises, c'était à peine si d'autres que Cole, Leïla ou Kate me parlaient. En bref, c'était parfait.
Certains membres - qui n'avaient ni vie diurne ni endroit où aller - vivaient au QG : il fallait dire que l'endroit qu'on squattait possédait un certain nombre de locaux, parfois réservés aux clients de nos putes mais libres la plupart du temps. Peut-être pour me persuader que je n'étais pas comme eux, j'essayais le moins de possible de découcher dans notre planque, mais cela m'arrivait - quand les filles avaient besoin de moi ou qu'il était vraiment tard.
C'est durant l'une de ces nuits qu'une main glaciale s'est posée sur mon épaule et m'a secouée, me tirant du sommeil chaotique dans lequel j'étais plongée. J'ai ouvert les yeux, en sueur, pour distinguer un visage pâle et inquiet penché vers moi.
- ... Mina ? Tu fous quoi ?
Elle m'a intimé le silence d'un geste, avant de tirer mon bras. Un peu sonnée,  j'ai glissé une veste sur mes épaules, ai récupéré mon flingue et l'ai suivie - elle était habillée pour sortir. Comme deux gamines qui feraient le mur, on a quitté le QG discrètement par la porte de derrière et ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle a consenti à me parler.
- Merci de m'avoir suivie.
- Il se passe quoi ?
Elle m'a adressé un sourire nerveux.
- ... j'avais besoin que quelqu'un m'accompagne.
- J'ai bien vu, mais pour quoi faire ? Et pourquoi moi ?
Pendant que je m'allumais une clope, elle s'est expliquée.
- Les autres travaillent et je voulais vraiment pas qu'un mec me suive.
Elle a fait deux pas et je l'ai arrêtée d'un geste.
- Tu m'as toujours pas dit où on allait.
- Tu verras.
J'ai soupiré, excédée et mal réveillée, ce qui a semblé la ralentir quelques secondes, avant que son expression ne se raffermisse. Avec une intensité insoupçonnée, elle a planté son regard dans le mien.
- Tu me fais confiance, Rain ?
J'ai pensé non, très fort.
- ... ouais ?
- Alors suis-moi.
J'aurais pu lui rappeler qu'elle n'avait pas d'ordre à me donner, mais quelque chose dans la solennité de son attitude m'en a empêchée. Alors je l'ai suivie, les rues me rendant à nouveau alerte.
On a pas mal marché, en silence dans la chaleur de la nuit, jusqu'aux limites d'une zone industrielle où s'organisaient parfois des raves qui faisaient le bonheur de nos dealers. Mina s'est glissée dans une ruelle sale avant d'arriver au niveau d'une porte en métal. Je lui ai adressé un regard dubitatif.
- Si c'était pour bosser, t'aurais pu demander à quelqu'un d'autre de te surveiller.
- C'est pas pour ça... tu vas voir.
Et sur ce, elle a frappé.
Un temps qui m'a paru très long a passé, puis la porte s'est ouverte sur une silhouette pulpeuse, à qui Mina a adressé un salut un peu gauche. Je me suis décalée, l'ai observée : c'était une petite femme dont la peau d'ébène était couverte de tatouages.
- Mina ! Je t'attendais.
Elle l'a entraînée à l'intérieur et je l'ai suivie dans un couloir recouvert de photos de peaux tatouées. Je ne m'y connaissais pas mais les résultats étaient impressionnants.
On a débarqué dans un salon à l'aspect professionnel, presque clinique et sans fenêtres. Une autre femme - grande, noire également et les cheveux tressés et teints en blancs - nous a saluées.
- Qui est ton amie ?
Coupant l'herbe sous le pied de Mina, j'ai répondu sèchement :
- Je suis Rain.
La femme tatouée a ri.
- Joli prénom, chérie. Tu veux du thé, du café ? Une bière ?
J'ai répondu que c'était bon, même si j'avais soif en réalité. Alors que la fille aux tresses me désignait un endroit où m'asseoir, j'ai vu la femme tatouée discuter avec Mina, lui remontrer une feuille qu'elle a observée une dernière fois, avant de hocher la tête. Puis elle s'est désapée, enlevant son haut pendant que les deux autres préparaient du matériel disposé sur un comptoir. Mina s'est allongée sur le ventre et m'a fait signe de venir. Je me suis déplacée, ramenant la chaise avec.
- C'est beaucoup de cachotteries pour un tatouage.
Elle a haussé les épaules. J'ai poursuivi, un peu amère sans trop comprendre pourquoi :
- On vous interdit pas de le faire, hein.
Elle a détourné le regard et poursuivi timidement :
- Pas explicitement, mais c'est quand même difficile de se dire qu'on peut faire ce qu'on veut de notre corps.
J'ai ricané :
- Tu recraches les théories de Hope, maintenant ?
- Dis pas ça... je le pense aussi. Tu ressens pas ça, toi ? L'impression que tu t'appartiens pas totalement tant que t'es avec eux ?
J'ai balayé la question d'un geste et me suis efforcée de ne pas y réfléchir.
La femme - Amahle, j'ai appris qu'elle s'appelait par la suite - s'est approchée avec ses aiguilles.
- C'est moi qui lui ai demandé de venir avec quelqu'un, pour la distraire. C'est un gros projet et on va essayer de le faire en une fois.
J'ai acquiescé.
- Ses cicatrices vont pas poser problème ?
Ma question a été accueillie par un rire fort et charmant.
- T'inquiète pas. Zuri et moi, on a l'habitude.
J'ai acquiescé et - après quelques préparatifs finaux - les tatoueuses se sont mises au travail. Pendant qu'elles s'affairaient, j'ai tenté de distraire Mina, discutant tantôt avec elle ou tantôt avec Zuri. J'ai ainsi appris que ce salon de tatouage clandestin ne servait qu'un type de clientèle : les femmes dont le corps avait été marqué par des hommes, et ce depuis plusieurs années.
- Comment tu as entendu parler d'ici ?
Agrippée à la table sur laquelle elle était allongée, Mina a mis un temps à me répondre :
- Hope et Jezebel m'en ont parlé.
- Ça m'étonne pas.
Mon expression - les yeux au ciel - a provoqué une vague d'amusement chez les autres. Puis Mina a laissé échapper un cri. Je lui ai tendu la main machinalement et elle l'a attrapée, me broyant les phalanges au passage, puis m'a suppliée de la distraire alors j'ai commencé à lui déballer mes meilleures anecdotes historiques (j'en avais une tonne). Ça a eu l'air de l'étonner, mais la distraction a été la bienvenue. Plus tard, elle m'a lancé :
- Tu sais, t'aurais pu être prof.
Je ne sais pas pourquoi cette réflexion m'a fait un peu mal.
Quand on est ressortie du salon, il faisait jour et le dos de Mina saignait, d'une autre façon que la dernière fois. Son sourire - épuisé mais plus lumineux que le soleil de l'aube - est encore gravé dans ma mémoire. Alors que je la soutenais, je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander :
- Pourquoi ce tatouage ?
- J'avais besoin de faire un truc pour mon corps, rien que pour moi... et effacer ce qu'on m'a fait.
Son expression s'est assombrie.
- Tu promets que tu m'aideras, si les autres m'en veulent ?
- Je leur casserai la gueule.
Pour une fois, j'étais totalement sincère.
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elorecohlt · 7 years
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Hi everyone !
It's been a long time (6 months) since my last song, a little too long if you ask me. So I recorded a new one, that speaks about the difficulty of being open in a world where everyone can easily shut down their feelings, I guess. Or something like that !
Anyway, I hope you'll like that new song, as much as I did enjoy writing and composing it :)
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Bonjour à tous !
Cela fait depuis un moment (6 mois) que j'ai publié ma dernière chanson, un peu trop longtemps à mon goût. J'en ai donc enregistré une nouvelle, qui parle des difficultés d'être ouvert et à vif dans un monde où il vaudrait mieux faire taire ses sentiments, en quelque sorte. Quelque chose de cet ordre !
J'espère en tous cas que vous aimerez cette nouvelle chanson autant que j'ai apprécié l'écrire et la composer :)
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elorecohlt · 7 years
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18 - Les filles
Elle était belle, terriblement. La peau caramel constellée de taches de rousseur, avec des cheveux ondulés d'un blond qui ne semblait pas vraiment naturel et qui lui descendaient jusqu'aux hanches. Une clope à la main, vêtue de trucs courts et qui faisaient déborder la peau de son ventre et ses seins, comprimant les courbes généreuses qui la composaient. Mon regard s'est égaré dans son décolleté, comme hypnotisé. J'avais conscience de mon indiscrétion sans pouvoir m'en empêcher ; quand je suis remontée jusqu'à son visage, elle a eu l'air de s'en foutre.
- Hey, Steel.
- Salut, Hope. On te dérange ?
Elle n'a pas souri, m'a désignée du menton.
- Pas vraiment, non. C'est qui ?
- Ma soeur.
- Ah !
Son regard s'est fait moins dur - elle avait des yeux effilés et clairs, comme ceux de mon frère. Me prenant par les épaules d'un geste un peu trop affectueux, elle m'a entraînée à l'intérieur et Hakeem m'a suivie.
La pièce était un peu plus grande et remplie que les autres : elle contenait une kitchenette sur laquelle frémissait une casserole d'eau, une petite radio qui crachait une chanson populaire et un grand lit avec un nombre effarant de coussins et couvertures diverses dessus. Mon regard s'est égaré sur une autre fille, plus jeune que Hope. Elle était petite, asiatique, les cheveux noirs et très courts, engoncée dans une robe sombre et étalée sans vergogne sur le lit - impossible de savoir si elle nous avait remarqués ou non.
- On se demandait quand t'allait revenir.
Hope m'a fait signe de m'asseoir et j'ai pris place sur une chaise grinçante. Elle a repris :
- Tu nous as ramené des copines ? Enfin, à part elle.
Hakeem a croisé les bras, visiblement mal à l'aise.
- Ouais, une. Mais elle a paniqué.
Un rire vaporeux a résonné depuis l'autre côté de la pièce. J'ai tourné la tête pour voir l'autre fille désormais assise sur le lit. Son regard a croisé le mien et elle m'a adressé un signe de main erratique. Je le lui ai rendu sans conviction, ce qui a eu pour effet de faire rire Hope et Hakeem.
- T'embête pas, elle est complètement défoncée, m'a prévenue la blonde avant de s'approcher de Hakeem et de reprendre :
- C'est pas de bol, pour la nouvelle. Mais bon, elle a peut-être des antécédents traumatiques, tu peux pas savoir.
- C'est vrai.
L'eau bouillait dans la casserole. Avec des gestes las, j'ai vu Hope ouvrir un tiroir et en sortir une boîte. Elle l'a ouverte, a pris une poignée de feuilles et les a jetées dans l'eau. Une vague odeur de thé bon marché - presque réconfortante de par sa familiarité - s'est répandue dans la pièce.
- Tu vas devoir y aller doucement, avec elle.
La voix de Hope s'est faite presque moqueuse alors qu'elle reprenait :
- Tu t'en sens capable ?
- Va bien falloir.
Un temps. Hakeem a fait un geste de la main, comme s'il balayait un insecte près de son visage.
- De toute façon, elle a nulle part où aller. On va pas la presser.
Hope a acquiescé, pourtant j'ai trouvé que le ton de mon frère manquait de conviction. Je lui ai jeté un regard qu'il a refusé de soutenir.
Des coups à la porte, un mec qui a passé sa tête dans l'embrasure et nous a demandé qui avait faim. Après le sondage, son regard s'est arrêté sur moi.
- Au fait, Face veut te voir après.
Il se faisait tard mais ça allait encore. On a mangé, j'ai traîné encore un peu dans les locaux : un type m'a appris, au passage, qu'il y avait d'autres squatteurs, plus haut, mais qu'ils ne les croisaient que peu. J'ai découvert de nouveaux visages, curieux mais sans malveillance.
Seule dans l'une des salles de bain du QG, j'ai passé, nerveusement, de l'eau sur mon visage : je savais que Face m'attendait au salon, pendant que d'autres membres partaient et que certains arrivaient. Gold notamment, avait débarqué pendant le repas et m'avait saluée avec une joie suspecte. Face à la glace, j'ai pris une longue inspiration : j'avais beau être dans le QG et avec les membres, je me sentais encore étrangère et il me fallait une confirmation que ce n'était plus le cas pour commencer à me détendre. J'espérais que la raison de ma convocation serait celle-ci mais, d'un autre côté, je n'arrivais pas à me résoudre à l'idée que ce serait aussi facile.
Je n'avais plus qu'à y aller, pour le savoir.
C'est ce que j'ai fait.
Comme tout le reste, j'allais finir par le regretter.
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elorecohlt · 7 years
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17 - A l’intérieur
Hakeem s'est avancé et a frappé. Au bout de quelques secondes et comme dans un film, j'ai vu un petit interstice s'ouvrir derrière la rouille et laisser apparaître une paire d'yeux familière.
- Salut, beau gosse.
La voix de Dog était traînante, avec toujours dans son intonation ce mélange dérangeant d'envie et de violence. J'ai grimacé : j'aurais préféré qu'il ne soit pas présent.
Le bruit d'une clé qui tournait dans une serrure, puis la porte s'est ouverte sur Dog qui souriait de toutes ses dents. Hakeem lui a donné l'accolade et le punk s'est écarté, nous laissant rentrer dans le QG.
La première chose qui m'a frappée a été l'odeur de nicotine, d'herbe et de caramel qui traînait dans la zone - comme si quelqu'un avait allumé une bougie de Noël dans une voiture de fumeur. Après que nous nous soyons débarrassés de nos vestes, Hakeem et Dog nous ont amenées dans une salle vaste à la moquette grise parsemée de taches suspectes. Oubliant mon assurance - et Mina, par la même occasion - j'ai parcouru la pièce des yeux.
C'était un grand salon, encombré par plusieurs personnes que je reconnaissais quasiment toutes comme membres du gang. Mon regard s'est arrêté sur un canapé éventré, disposé devant un téléviseur antique et éteint. Plus loin, plusieurs personnes jouaient aux cartes autour d'une grande table. A l'opposé - près de l'entrée - il y avait une cuisine sale et pleine de choses qui n'étaient pas censées y être - sachets de substances diverses, bouteilles d'alcool, liasses de billets (beaucoup) et - le plus inquiétant - plusieurs armes à feu. Posé sur l'un des comptoirs, un ghetto-blaster diffusait à grand volume ce qui ressemblait à des cantiques distordus, hurlés sur un fatras de guitares saturées. Les fenêtres - encadrées par des lourds rideaux - étaient pour la plupart barricadées et une grosse lampe à la lumière jaunâtre, qui oscillait doucement, éclairait l'ensemble de la pièce. Impressionnée, j'ai laissé malgré moi échapper un sifflement.
- Bienvenue au QG, Mina.
Hakeem s'était adressé à elle mais me fixait moi. Je lui ai rendu son regard, bluffée, puis j'ai senti que Mina se rapprochait de moi.
- C'est... c'est plein.
Hakeem s'était adressé à elle mais me fixait moi. Je lui ai rendu son regard, bluffée, puis j'ai senti que Mina se rapprochait de moi.
- C'est... c'est plein.
J'ai froncé les sourcils : de tous les adjectifs dont j'aurais pu user pour qualifier la pièce, je n'aurais vraiment pas choisi celui-là. Plusieurs personnes ont tourné la tête vers nous, avant de retourner à leurs occupations. Hakeem s'est approché du canapé et, après y avoir viré un type qui tentait d'y faire une sieste, nous a fait signe de nous asseoir. Dog - qui s'était éloigné - a baissé le volume des cantiques puis est revenu vers nous, une bouteille à la main et l'air plus joyeux que jamais. Mon frère s'est assis près de moi, sur un pouf verdâtre. Le punk a fait de même, sur un siège équivalent mais rouge et plus proche de Mina.
- Alors comme ça, vous nous avez ramené une nouvelle recrue ?
Il parlait avec une bonhommie qui m'a tout de suite énervée : j'avais l'impression que sa joie était fausse, exagérée. Que ce n'était pas la première fois qu'ils jouaient la scène et que la seule différence était ma présence. Le terme recrue m'avait stressée aussi, puisque, même s'il avait parlé de Mina, c'était aussi ce que j'étais.
Sauf que ni Hakeem ni moi ne laisserions les autres me baiser en guise d'épreuve.
Du moins, c'était ce qu'il me semblait.
- Ouais. A répondu tranquillement Hakeem alors que Dog lui tendait la bouteille.
Une gorgée, bue au goulot avant qu'il reprenne :
- Mina, je te présente Dog.
- Enchantée.
Elle parlait doucement, visiblement mal à l'aise. Puis, d'un geste presque théâtral et dénué de gêne, le punk lui a mis la main sur la cuisse. Je l'ai sentie se tendre et esquisser un mouvement de rejet mais Hakeem l'a devancée.
- HEY.
Dog a levé les yeux vers lui, un sourire insupportable aux lèvres.
- Y'a quoi ?
- Laisse-la tranquille.
- Sinon quoi ?
Hakeem s'est levé et l'a foudroyé du regard.
- Sinon je te casse la gueule. Je plaisante pas, punk.
Dog s'est levé à son tour et à fait face à mon frère. Une tension bizarre s'est installée entre eux l'espace de quelques secondes, avant que le punk se recule.
- Ok, ok, je la toucherai plus.
Un regard vers Mina, qui s'était rapprochée de moi et me collait presque désormais. Hakeem s'est tourné vers nous et lui a tendu la main.
- Ça va ? Tu veux qu'on s'éloigne un peu ?
Livide, elle m'a jeté un regard. J'ai haussé les épaules : je n'avais aucune idée de quoi lui dire puisque de toute façon, le but était qu'elle finisse dans son lit. Quelques secondes d'hésitation avant qu'elle ne saisisse la main de mon frère et qu'ils quittent le salon, me laissant seule avec Dog.
J'ai machinalement récupéré la bouteille qu'il me tendait, ai bu une gorgée brûlante - peut-être de la vodka - avant de lui jeter un regard blasé.
- T'es vraiment un putain de chien.
Il a éclaté de ce genre de rire qui, dans la rue, l'aurait fait passer pour un taré (ici, personne n'a bronché). Presque avec violence, il m'a pris la bouteille.
- Parce que tu crois que c'était sincère ?
J'ai voulu rire à mon tour mais rien n'est sorti.
- Jusqu'à un certain point, si.
Voyant qu'il se foutait de ma gueule, j'ai repris :
- C'est pas comme si t'avais besoin de faire semblant pour faire ton dalleux.
Il a haussé les épaules avec une insolence irritante. J'ai soupiré, jeté un oeil au couloir dans lequel Mina et Hakeem s'étaient engouffrés. Dog m'a donné un petit coup de poing dans l'épaule.
- Un truc te tracasse, princesse ?
- Ouais.
Ce putain de surnom, pour commencer.
J'ai bu, un peu trop sans doute mais sans plus tousser : en quelques semaines, je m'étais un peu habituée. Sans réfléchir, j'ai lâché :
- Je savais pas qu'il y avait des putes, dans la Meute.
- Tout de suite les grands mots...
J'ai jeté un regard à Dog, consciente qu'en lui faisant part de mes inquiétudes, je me rendais vulnérable. Mais c'était plus fort que moi, j'avais accepté beaucoup en quelques semaines. La drogue, la violence, les armes.
Je devais commencer à saturer.
L'idée - puisqu'elle impliquait une forme de faiblesse de ma part - était à gerber.
Dog s'est rapproché puis s'est laissé tomber à mes côtés. Pendant qu'il me reprenait la bouteille, il a développé :
- Il y en a quelques unes, des filles de la Meute. Mais aucune n'a tes nerfs. Aucune n'a les qualités qu'il faut pour bosser avec nous. Faire la même chose que nous, comme toi.
Je me suis sentie rougir d'une fierté imbécile et m'en suis voulue juste après. Sans donner l'impression de s'en rendre compte, l'autre a ouvert la bouche mais rien n'en est sorti. A la place, son sourire s'est agrandi et - simultanément - j'ai senti une main froide se poser sur mon épaule.
- Ravi de te voir parmi nous, Raïra.
C'était plus fort que moi, j'ai eu la chair de poule.
Face a contourné le canapé pour s'asseoir en face de nous - là où Dog se tenait, avant. Ce dernier a lancé :
- J'étais en train de lui parler des filles.
- Je vois.
Comme dans une pièce de théâtre savamment orchestrée, la musique s'est tue. Avec nonchalance, Face a repris là où Dog était resté :
- Comme tu as pu le voir, c'est ton frère qui ramène les filles ici et les charme.
- Mais vous les forcez ??
Ça me stressait, j'espérais fort qu'il allait répondre non.
- Non.
Mon soulagement a dû être visible, puisque Dog a éclaté d'un rire de hyène. Sans y accorder d'importance - on s'y faisait, avec le temps - le chef a repris :
- Ce qu'elles font, elles le font pour nous. Pour l'argent, pour la protection ou... pour lui, simplement.
Il a fait une pause et relancé, aimable :
- Ton frère a beaucoup de charme.
- Je sais.
Le magnétisme que Hakeem dégageait était dérisoire en comparaison de la présence de Face. Est-ce qu'il s'en rendait compte, au moins ? Il donnait l'impression bizarre de s'en foutre tout en maîtrisant parfaitement cette aura qui l'entourait.
Le bras de Dog s'est glissé comme un serpent autour de mes épaules. Je l'ai foudroyé du regard mais sans plus : ça aussi, on s'y habituait. A nouveau, la bouteille m'est passée sous les yeux et à nouveau, j'ai bu de son contenu brûlant. Face me fixait en silence, sans ciller et son regard me mettait de plus en plus mal à l'aise. Puis, alors qu'une musique d'un tout autre genre - un morceau de hip-hop rythmé et puissant - envahissait le salon, il a repris :
- J'ai beaucoup pensé à toi, Raïra.
Les ongles vernis de Dog traçaient des petits cercles sur mon épaule.
- Ah bon.
Face a ri, d'un rire beau et dérangeant.
- J'ai pensé à ce que m'ont dit mes hommes sur toi, à la place que tu pourrais avoir parmi nous.
Alors qu'il parlait, je pensais à ce que je venais de découvrir - à Mina, à Hakeem, à ces filles que je ne connaissais pas mais dont je ne voulais absolument pas faire partie. J'ai inspiré un grand coup - du calme.
- Et donc ?
- Et donc, j'ai peut-être un rôle spécial. Pour toi. Un rôle à part.
Étincelle de soulagement, j'ai expiré un peu trop fort : est-ce que ça voulait dire que j'étais admise ? Est-ce que ça allait être aussi facile ? D'un côté, ça faisait des semaines que je traînais dans les rues, à obéir aveuglément à ce que me demandait Dog ou Gold mais d'un autre, j'avais comme un mauvais pressentiment. Comme si toutes les fois où je m'étais retrouvée à me battre ou intimider des types plus grands que moi n'avaient pas suffi. Comme si je n'avais pas été assez... marquée, même si j'avais indéniablement changé.
C'était difficile à décrire mais c'était là, insidieux.
Et interrompu, tout à coup, par un cri aigu.
Face a levé la tête puis s'est remis debout. Sans nous accorder plus d'attention, il s'est avancé vers l'extérieur du salon et Dog l'a suivi. Mue par un instinct étrange, j'ai fait pareil - abandonnant la bouteille devant le canapé. J'ai dépassé Dog, me faufilant derrière Face alors qu'il traversait la pièce et passait la porte pour arriver dans un couloir étroit donnant sur une rangée de portes entrebâillées. Sans hésiter, il a pris la première vers la droite et je l'ai suivi dans ce qui semblait être une petite pièce, meublée très sommairement. Dans la pièce, il y avait Hakeem et une Mina sanglotante, recroquevillée sur un coin de canapé. Mon frère se tenait à l'autre bout, l'air surpris et stupide.
- Tout va bien ?
Face avait parlé, autoritaire et bienveillant à la fois - un mélange étrange et curieusement hypnotisant. Mina a levé ses grands yeux sur nous : son expression s'est très légèrement détendue lorsqu'elle m'a vue. Contournant le chef, je me suis penchée vers elle.
- Raïra... t'es là.
Elle avait l'air soulagée, comme si j'avais le pouvoir de la protéger de ce qui l'attendait. Je me suis retenue de grimacer, ai souri un tout petit peu.
- Ouais. Il se passe quoi ?
- Je sais pas, je... j'ai paniqué.
Un regard vers Hakeem, qui fixait Face avec un ahurissement presque comique. A part elle et moi, personne ne parlait - une tension louche s'était installée dans la pièce. Mina m'a quittée des yeux pour égarer son regard du côté de mon frère.
- Je... j'suis désolée, Steel, j'y arrive pas.
Il ne répondait pas, je l'ai senti déstabilisé, atteint dans son orgueil. Face a fait un pas en avant.
- Steel, tu peux nous attendre dehors ?
- Ok.
- Ça veut dire que je peux prendre sa place ?
Plus narquois que jamais, Dog s'était appuyé contre le cadrant de la porte.
- Non.
Face avait parlé sans force mais avec un quelque chose dans le ton qui m'a fait retenir mon souffle. Il y a eu un temps de latence, puis le punk a reculé - sans se la ramener, pour une fois.
Très vite, Hakeem et Dog sont sortis, laissant Face fermer la porte et poser son regard sur Mina.
- On ne s'est pas présentés, je crois.
Elle a fait non de la tête doucement, visiblement autant impressionnée par son aura que je l'avais été, la première fois. Le chef s'est très légèrement incliné, un sourire aimable aux lèvres. J'ai croisé les bras, vaguement mal à l'aise : je me sentais de trop.
- Je suis Face et ici, c'est moi le chef.
- ... ok.
Un temps.
- Moi, c'est M-Mina.
Face s'est légèrement approché puis s'est accroupi, s'adressant à elle comme si elle avait été un animal apeuré.
- Je suis désolé si tu n'as pas trouvé Steel à ton goût.
- C'est pas ça.
Elle protestait faiblement. Sans trop réfléchir au pourquoi de la chose - c'était peut-être de la compassion, je me suis assise à côté d'elle et lui ai posé la main sur l'épaule. Un silence pesant s'est installé entre nous, ponctué des reniflements de Mina. Puis, au bout de quelques secondes, elle s'est redressée et a repris après avoir pris une longue inspiration :
- Il me plaît vraiment et... j'aimerais le remercier. De m'avoir amenée ici, de m'avoir protégée.
- Je vois.
Face hochait la tête comme un foutu psy. Mes lèvres se sont tordues et j'ai senti un truc remuer depuis le fond de mon estomac. Sans remarquer mon malaise, Mina a poursuivi :
- J'aimerais lui montrer, j-j'aimerais lui plaire mais...
Elle s'est tue, a ravalé un truc.
- J'y arrive pas. Y'a un t... y'a un truc qui bloque.
Elle serrait les jambes, rougissante et misérable dans sa confession.
- C'est pas grave.
Face avait parlé avec légèreté. Mina a relevé la tête et l'a fixé avec comme de l'espoir dans ses grandes prunelles. Il s'est relevé, lui a tendu la main.
- Je parie que tu as eu une longue journée. Tu as faim ?
Elle a hoché la tête, s'est levée en s'aidant de cette main qu'il lui tendait. Je me suis mise debout à mon tour.
- Je vais demander à Chuck de préparer quelque chose. Vous n'avez rien contre les pâtes ?
J'ai haussé les épaules, pas sûre que la question me soit vraiment adressée. Face a ouvert la porte : il n'y avait plus personne derrière.
- Tu peux rester avec moi, Mina. Je te parlerai de la Meute et tu pourras me raconter ce qui t'amène ici. Enfin, si tu le veux.
- Et moi ?
Face m'a jeté un regard presque surpris. J'ai fait la moue, tentant de lui faire passer un message avec mes yeux : au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je ne suis pas vraiment chez moi non plus, ici.
- Cherche Steel, il pourra te faire visiter. C'est la première fois que tu viens ici, non ?
Mina m'a adressé un regard. J'ai sifflé, sans doute trop agressive :
- Fais pas semblant de ne pas le savoir.
Il a répondu par un sourire mielleux et je les ai suivis jusqu'au salon. Hakeem nous attendait et nous a presque bondi dessus, mais Face l'a arrêté avant de le mettre au courant de sa nouvelle mission. Visiblement résigné, Hakeem a accepté et m'a fait signe de le suivre. On était à nouveau dans le couloir mais seuls, cette fois. A se regarder sans bouger, jusqu'à ce que je brise le silence.
- Tu lui as fait quoi ?
- Mais rien !
Il avait haussé le ton, stressé. J'ai froncé les sourcils : c'était la première fois que je le voyais aussi désemparé.
- On a parlé, on s'est rapprochés, on s'est embrassés et... elle m'a repoussé et s'est mise à chialer ! Comme ça.
Un temps. Penaud, il a repris :
- J'ai rien pigé.
- C'est peut-être en lien avec la raison pour laquelle elle a fugué.
J'avais avancé mon hypothèse calmement, avec l'intuition que je visais juste même si mes idées étaient confuses. Hakeem est resté songeur.
- Ouais, peut-être. Mais c'est la première fois qu'une fille me fait ça.
- T'en as recruté beaucoup, comme ça ?
- J'ai essayé.
Il s'est appuyé contre le mur.
- Certaines sont parties, d'autres avaient des parents trop aux aguets. Face préfère que je lâche l'affaire quand c'est trop risqué, même avec les plus belles.
Il s'est tu un instant, puis son regard s'est illuminé.
- Tu veux les rencontrer ?
- Ah, parce qu'elles sont là ?
J'étais abasourdie.
- Pas toutes, je pense. Mais je peux voir.
J'ai haussé les épaules.
- Pourquoi pas.
En réalité, je n'avais pas vraiment envie de faire la connaissances les nanas que mon frère se tapait, mais, d'un autre côté, elles faisaient partie de la Meute aussi. Ce n'était pas comme si j'avais eu vraiment le choix.
Hakeem s'est avancé dans le couloir. Je l'ai suivi, attentive : il ouvrait ou poussait chaque porte, me désignant l'intérieur brièvement, à chaque fois. C'était une série de petits locaux : une sorte de bureau rempli de vieilles armoires, plusieurs salles de bain miteuses, des pièces avec à peine un lit ou un canapé dedans - comme celle dans laquelle Mina était, avant. Puis il s'est arrêté devant une pote repeinte en vert moche et a frappé.
Quelques secondes plus tard, une apparition ouvrait.
J'en suis restée scotchée.
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elorecohlt · 7 years
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16 - Mina
Ça s’est passé pendant les vacances d'hiver. Nos parents étaient rentrés et resteraient dans l'appartement pour une semaine. Il s'est vite avéré que mes craintes étaient infondées : trop absorbés par leur sacro-sainte Science et les histoires de voyages qu'ils nous racontaient, ils avaient à peine remarqué ce qui, dans nos regards, avait changé.
Leur présence, pour autant, n'avait rien de désagréable : ils étaient enthousiastes et peu collants. Le moment des repas mis à part, nous ne passions que peu de temps tous ensemble et cela nous arrangeait : j'aimais passer du temps seule et je sentais que Hakeem aussi.
Une nuit, alors qu'on était rassemblés autour d'une pizza - aucun de nos parents ne cuisinait vraiment bien - Hakeem a fait une annonce à double-sens.
- Je suis occupé mercredi soir.
- Par ton travail ?
- Ouais. J'imagine que ça ne vous dérange pas ?
- Bien sûr que non.
Un regard entre lui et moi, suivi d'un discret hochement de tête de son côté. J'ai repris :
- J'aimerais bien regarder un film avec Kate mercredi soir, aussi. Je peux ?
Nos parents se sont regardés, le père a haussé les épaules et c'est la mère qui a répondu :
- Si tes notes sont correctes et que tu ne poses pas de problèmes à l'école, je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas.
J'ai repensé aux rumeurs : maintenant, certains des élèves de mon âge s'écartaient sur mon passage, comme ils le faisaient avec Dog. Un sourire ironique s'est figé sur ma face : rien de tout cela n'avait eu l’air d’alerter les profs.
- Ça veut dire que je peux, alors. Merci !
- De rien, ma grande.
Ah, ils avaient l'air si fiers, papa et maman. Si satisfaits d'avoir des enfants débrouillards et sages surtout, qu'ils pouvaient délaisser régulièrement et vers qui ils pouvaient revenir quand ça leur chantait, juste assez pour avoir bonne conscience. Ce qui nous convenait : leur présence était un bonus, ils nous surveillaient moins que Rosie. Alors que je débarrassais la table, je me suis surprise à me marrer seule : j'avais été conne, de penser qu'ils auraient remarqué quoi que ce soit.
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Mercredi soir, il faisait un froid anormal. Sans passer par Dog ni Gold, Hakeem m'a entraînée à travers les rues. Son humeur s'était assombrie depuis plusieurs jours (je l'avais remarqué mais n'avais pas trouvé l'occasion de l'interroger, avec les parents dans le coin). Silence pesant, à peine ponctué par le bruit de nos pas : un escalier et l'on descendait, direction les lignes de métro.
- On va loin.
- Non.
Mon frère m'avait contredite sèchement.
- Excuse-moi de chercher à savoir ce qu'on va foutre, hein.
Hakeem s'est retourné et m'a fait face, interrompant notre descente.
- Toi, tu vas rien faire.
Ah.
- T'es sûr ?
Il a soutenu mon regard, mortellement sérieux.
- Ouais.
Quelques secondes de silence avant qu'il ne reprenne :
- T'inquiète, je sais me débrouiller seul.
Il s'est détourné alors que je haussais les épaules : je n'avais aucune idée d'en quoi consistait son job, je ne pouvais donc pas le juger.
On est descendus jusqu'à la station, puis Hakeem s'est assis sur un banc et m'a fait signe de l'imiter. Alors que son regard balayait la rame, s'attardant sur ceux qui y attendaient, je me suis rendue compte qu'il s'était fait moins morose. Presque confiant.
- Je vais t'expliquer ce qui va se passer.
Il parlait à voix basse, sans me regarder.
- D'ici un moment, une fille va arriver pour la première fois dans le coin et je vais être là pour l'accueillir.
Je suis restée muette, attentive, mais Hakeem ne semblait pas disposé à développer. Je l'ai pressé :
- Tu la connais ?
Il a souri.
- Non. Mais je sais une chose : elle cherchera un endroit où rester et c'est ce qu'on va lui fournir.
- Tu vas la ramener à l'appart ?
J'avais balancé ça sans y croire.
- Non. Au QG.
J'ai retenu mon souffle : je n'avais jamais eu la chance d'y aller.
Deux questions me sont venues en tête en même temps, j'ai choisi la moins dérangeante :
- Moi, j'ai rien à faire ?
- Toi, tu restes assise et tu me rejoindras dès que je te ferai signe.
J'ai hoché la tête : être inactive ne me plaisait pas particulièrement mais, d'un autre côté, j'étais curieuse de voir comment mon frère allait s'y prendre. J'ai résisté quelques secondes à l'autre question que je voulais poser puis, comme aucun métro ne passait, j'ai finis par céder :
- Tu vas la ramener pour quoi ?
- Pour jouer au Scrabble.
Le son de ma réponse a été couvert par le gémissement des rames. Un tube luminescent a pénétré l'espace et a freiné à notre hauteur. En un coulissement, les portes se sont ouvertes pour déverser une série de gens pressés. Saturée soudain par les détails, j'ai scruté les visages en quête du genre de fille que mon frère pouvait chercher.
Trop lente : Hakeem était déjà debout et fendait l'amas. Comme dans un film romantique, je l'ai vu marcher vers une adolescente à l'air perdu, qui serrait un sac à dos contre elle et jetait des regards tout autour. Alors que la foule s'éclaircissait, mon frère s'est arrêté et a commencé à lui parler. J'ai tendu l'oreille, en vain : ils étaient trop loin mais c'était peu important, au final : leurs corps parlaient pour eux.
Hakeem s'est penché vers la fille, tout séduction et sourire. Je l'ai vue froncer les sourcils, pas rassurée mais pas fuyante pour autant. Un temps, le quai se vidait et je la voyais se figer, hésiter. Mon frère, quant à lui, attendait, sans cesser de sourire avec une assurance que je ne lui connaissais pas. Puis, d'un coup, l'expression de la fille s'est modifiée. Après avoir secoué la tête, je l'ai vue contourner mon frère et se diriger vers les escaliers d'un pas vif et déterminé. Hakeem m'a jeté un regard surpris et presque un peu perdu : visiblement, les chose n'étaient pas censées se passer comme ça. Sans réfléchir, j'ai bondi de mon siège et ai entrepris de monter les escaliers à mon tour, deux marches par deux.
Au sommet, j'ai retrouvé la silhouette de la fille. Lorsque je lui ai posé la main sur l'épaule, elle a sursauté et s'est retournée vivement. J'ai tout de suite reculé et levé mes deux mains en réponse et il m'a semblé qu'elle s'est détendue en me voyant. Je n'avais pas l'impression de paraître particulièrement inoffensive, d'un côté, mais bon. Je n'allais pas me plaindre.
- Hey.
- ... hey.
Elle était jeune, peut-être autant que moi, et vraiment très jolie : pâle, avec des grands yeux marrons, des cheveux noirs et une coupe au carrée ridicule, qu'elle s'était sans doute faite elle-même.
- Ça va ?
J'ai essayé de ne pas la brusquer, de ne pas lui parler trop durement et d'utiliser mon ton de tous les jours, à l'école ou à la maison. Ça a eu l'air de marcher, puisqu'elle m'a répondu.
- Euh... pas trop ?
Je voyais - sans pour autant ressentir de réelle compassion pour elle - qu'elle se retenait de pleurer. Je lui ai posé la main sur l'épaule une nouvelle fois.
- Il se passe quoi ?
Doucement.
- ... si c'est pas trop indiscret.
- Ben...
Elle a baissé la tête et fixé ses baskets roses et noires, hésitante. Puis, d'une petite voix, elle a repris :
- Je suis partie de chez moi et je reviendrai jamais.
- D'accord.
J'ai repensé à ce que Hakeem m'avait dit : il voulait la ramener au QG. J'ai souri, lui tapotant l'épaule comme si on était dans une foutue émission TV.
- Bah, c'est bien non ? T'as sans doute pris une bonne décision. Bien joué.
- Ouais... mais le truc, c'est que je sais pas où aller.
- Ah !
J'ai essayé d'avoir l'air sincèrement surprise. La fille s'est mordillé les lèvres puis a levé un regard nerveux sur moi.
- Tu saurais pas, toi ?
Elle m'emmerdait, même si elle était vraiment belle. J'avais envie de lui demander ce qui lui avait pris, de se casser sans jeter ne serait-ce qu'un oeil au bottin mais ça aurait été le moyen le plus sûr de la faire fuir. J'ai jeté un oeil alentours.
- Hmm.
J'ai fait semblant de réfléchir : elle semblait crochée à ce que j'allais pouvoir dire.
- Y'aurait bien un truc mais... oublie.
J'espérais que Hakeem n'avait pas fait pareil avant moi. Heureusement, ça n'a pas semblé être le cas. La fille s'est rapprochée.
- Tu voulais dire quoi ?
J'ai fait semblant d'hésiter, me dérobant à son regard alors qu'elle commençait à trépigner, nerveuse. Puis j'ai repris :
- Mon frère accueille les filles comme toi, en fait. Mais vous vous êtes croisés, non ?
Elle s'est figée, je me suis crispée : peut-être que j'allais la faire fuir, peut-être que j'avais été trop cash.
- Le mec aux yeux gris ? T'es avec lui ?
- Ouais.
Elle s'est braquée un peu mais sans partir. J'ai poursuivi en utilisant le ton le plus doux possible :
- Ecoute, je sais pas ce qu'il t'a dit et je comprends que tu te méfies. Mais sincèrement ? C'est un bon gars.
Du moins, il l'est avec moi.
J'ai vu qu'elle hésitait, comme avec Hakeem.
- Il va rien m'arriver, tu promets ?
Elle me regardait, me crochait de ses yeux comme des putain de puits, en quête d'une réponse que j'avais intérêt à donner vite. J'ai ravalé la bile surprise qui m'est monté à la gorge.
- ...
La vérité, c'est que je n'avais aucune idée de ce que Hakeem ou les autres comptaient lui faire. Mais je savais que Dog n'avait aucun respect pour l'espace personnel des gens et je me rappelais très bien du nombre de filles que j'avais croisées dans le gang : zéro.
Devant ce problème moral, mon estomac s'est tordu un peu. Ignorant la sensation, j'ai lancé :
- Promis.
Elle m'a souri, visiblement soulagée : la perspective de dormir dans les rues froides - peut-être couplée au fait que j'étais une fille de son âge - avait suffi à la convaincre. En périphérie de mon champ de vision, j'ai vu une silhouette s'approcher puis une main familière s'est posée sur mon épaule.
- Rebonsoir.
- Salut.
La tension s'est un peu diluée alors que la voix de mon frère résonnait, grave et accueillante.
- Je vois que tu as rencontré ma soeur.
Elle a hoché la tête et souri faiblement.
- Ouais. Elle m'a dit que t'étais gentil.
- Elle a bien fait.
Hakeem a tendu sa main à la fille.
- Tu peux m'appeler Steel. Toi, tu es... ?
- Mina.
J'ai failli grimacer : c'était un joli prénom.
Hakeeem a souri à nouveau :
- C'est adorable.
- Hak... Steel, on peut parler ?
Il a eu l'air surpris, bien sûr. Je l'ai entraîné un peu à l'écart et il m'a adressé un sourire.
- Bien joué !
- Je sais pas...
Hakeem m'a fixé, perplexe.
- Hein ?
- Je lui ai promis que tu lui ferais pas de mal.
Nouveau sourire, encourageant.
- T'as bien fait.
- Parce que c'est vrai ?
Il a froncé les sourcils d'une façon presque comique alors qu'il me reprenait comme un prof :
- Bien sûr que oui. Les filles que je ramène sont en sûreté, avec nous.
- Tu vas coucher avec ?
C'était sorti tout seul et de manière bien plus agressive que prévue. Surprise mais obstinée - je n'avais jamais envisagé mon frère comme un être sexué et pourtant, ma question avait jailli avec une conviction étrange - je ne me suis pas reprise. Hakeem a soupiré :
- Ça fait partie du job, ouais.
J'ai ri, nerveusement : plus loin, Mina manifestait des signes d'impatience.
- Du job, hein ? Tu vas pas me dire que c'est toi, la pute du gang ?
C'était volontairement insultant et visiblement efficace, à tel point que je l'ai vu hésiter avant de me répondre sèchement :
- Pas moi, non.
- Qu'est-ce que tu veux di...
Ma voix s'est tue alors que mon regard passait de lui à elle, que la réalisation me frappait.
- Oh.
Il s'est passé la main dans les cheveux, embarrassé. D'une voix soudain bien faible, j'ai repris :
- T'as dit que tu lui feras pas de mal.
- Je vais pas lui faire de mal, Raïra, sois pas conne.
- Mais comment... ?
- Je vais la charmer, ok. T'inquiète pas.
Puis, sans me laisser l'occasion de répliquer, il est revenu vers Mina. J'ai refermé la bouche et l'ai suivi comme une abrutie.
- Tout va bien ?
Je sentais sa nervosité, son hésitation malgré ma présence. Hakeem lui a adressé un grand sourire :
- Oui, t'inquiète.
Il s'est approché de Mina mais ne l'a pas touchée. Sans rien dire de plus, je me suis placée à ses côtés et on s'est remis en route.
- Il est où, votre squat ?
- Pas loin, on y sera d'ici dix minutes au maximum. Ça va, t'as pas froid ?
Elle frissonnait, c'était vrai : avec une douceur que je ne lui connaissais pas, Hakeem s'est débarrassé de sa veste et l'a posée sur ses épaules. Je lui ai jeté regard perplexe, mais c'était comme s'il ne me voyait pas : dans son regard, je détectais des choses étranges, comme s'il ne voyait plus que Mina, comme si elle était désormais au centre de son monde. C'était trop bizarre, presque trop intime : j'ai préféré me détourner pour fixer les façades.
- Merci.
- Y'a pas de quoi, Mina. C'est le moins que je puisse faire, et puis... t'as l'air d'avoir vécu des trucs.
- Ouais.
Un temps.
- J'ai pas envie d'en parler.
La voix d'Hakeem a retenti, emplie d'une compassion qui me donnait envie de gerber :
- Je comprends, t'inquiète. Je vais te forcer à rien.
- Vous, vous habitez ici ?
Hakeem est resté évasif alors qu'il lui répondait, insouciant et sérieux à la fois. Plusieurs fois, il lui a demandé si tout allait bien, ce dont elle avait besoin. Et j'ai senti - à sa voix et à ce que je voyais lorsque je jetais un oeil - que Mina se détendait, s'ouvrait un peu plus. Je n'ai pas vraiment pris part à la conversation (mis à part quand Mina m'interpellait), habituée à toujours laisser mes équipiers mener les opérations.
Au bout d'un moment, les rues m'ont semblé plus familières. Alors qu'on passait devant le Gore, Hakeem a lancé :
- On est tout près.
- Ok.
- Y'a de fortes chances qu'il y ait des potes à nous au squat, mais t'inquiète pas, ils sont gentils.
- Même s'ils ont l'air bizarre.
Hakeem s'est marré devant mon intervention, avant de bifurquer dans une allée qui semblait mener à un cul de sac. J'ai failli le lui faire remarquer avant de voir, dessinée sur le mur dans l'obscurité des ruelles, une porte de résidence métallique et écaillée.
- C'est là.
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elorecohlt · 7 years
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15 - Carapace
Les semaines qui ont suivi se sont déroulées avec une rapidité étrange : la semaine, j'étais en classe, avec Kate et Cole et je suivais tant bien que mal. J'avais revu le type qu'on avait volé : il m'avait aperçue dans un couloir et avait fait un détour précipité pour éviter de me croiser (même si je n'en ai parlé à personne, je me souviens très bien de l'espèce de sentiment de puissance qui m'a envahie à ce moment). Certains week-ends, je rejoignais Dog et Gold et les suivais dans leurs activités. Avec le temps, leurs rôles de prédilection me sont apparus plus clairement : Gold dealait et Dog intimidait. J'ai aussi croisé d'autres membres - toujours des garçons - avec qui j'ai échangé quelques vagues formules de politesse, sans plus (mes chaperons ne me laissaient jamais vraiment le temps de m'attarder).
S'il restait encore quelques zones d'ombre, je comprenais mieux le fonctionnement du gang : ils n'étaient pas beaucoup mais s'organisaient bien et agissaient dans le quartier depuis quelques mois. Face - je ne l'avais pas recroisé depuis notre première rencontre - était à leur tête avec Dog et Gold comme hommes de main principaux. Ils étaient - de ce que je savais - les seuls à avoir une réelle spécialité.
Ça me semblait bizarre de ne pas pouvoir être avec Hakeem, mais je ne m'osais pas vraiment m'en plaindre. Avec mes chaperons, j'avais adopté une attitude qui me réussissait : j'obéissais sans pour autant me taire, me détendant au fur et à mesure que je pensais gagner leur confiance.
(Ceci dit, il arrivait parfois que, d'une phrase bien sentie, Gold et surtout Dog me rappellent que j'étais jeune, fille et surtout pas membre encore. C'était souvent violent et imprévisible, mais je l'acceptais : c'était part des règles du jeu, j'avais été prévenue.)
Avec les semaines, je me suis sentie changer. C'était physique, sans doute (j'étais à cette période bizarre où je me voyais grandir) et mental particulièrement : comme Hakeem avant moi, je m'endurcissais. En compagnie de Dog, surtout, je m'habituais à ce que les choses dérapent facilement : il était imprévisible, pouvait se montrer très violent très vite et je m'étais retrouvée plus d'une fois entraînée dans les conflits qu'il provoquait, à devoir affronter des types qui parfois hésitaient, à tort : même si je ne savais pas vraiment me battre, j'avais la haine et je n'hésitais plus du tout à faire mal. (En même temps, il y avait, dans la sensation de frapper, quelque chose de libérateur qui me faisait un bien inconfortable. Cette part sauvage de moi, j'avais comme l'impression que Dog la sentait et la nourrissait. Il m'encourageait parfois à shooter des types à terre et je le faisais avec l'impression que je pouvais en rire.)
C'était souvent après - le soir dans mon lit - que je commençais à me sentir mal. Les scènes se rejouaient, je m'en voulais et me faisais violence pour arrêter mes pensées. Comme Hakeem, sans doute, avait eu les siennes, j'ai développé mes techniques : prendre une douche brûlante et me noyer dans une douleur si cuisante qu'elle me purifiait. J'en ressortais toujours écarlate et avec l'impression de renaître.
Noël approchait et entraînait avec lui une curieuse conséquence : l'augmentation de la fréquence de visite de nos parents. Ce qui d'habitude m'aurait réjoui me stressait un peu : allaient-ils remarquer à quel point on avait changé ? J'y pensais parfois alors qu'on se rapprochait de la date de leur retour.
En parallèle, la Meute occupait une bonne partie de mes pensées : à l'école et devant mes potes ou Rosie, je faisais de mon mieux pour ne pas montrer à quel point elle m'avait endurcie. C'était délicat et je sentais bien que je n'y arrivais pas toujours mais, d'un autre côté, j'essayais quand même de maintenir une séparation nette entre mes activités louches et le reste de ma vie. Pourtant, c'était fatal : plus le temps avançait et plus je me détachais des préoccupations ordinaires de mes camarades : Cole avait le béguin pour une fille de la classe, Kate organisait une soirée, ce genre d'événements constituaient pour eux le summum de l'amusement, ils s'en réjouissaient et je n'y parvenais plus. Je devenais impatiente, presque sauvage :  aucune sensation de ma vie diurne n'égalait le frisson que je ressentais après une mission bien menée, impossible de ne pas faire la comparaison.
Il y avait un autre problème : le fait que je n'avais aucune idée de ce faisait Hakeem. J'avais voulu rejoindre le gang pour le surveiller et le résultat était navrant : lorsque je sortais avec l'un ou l'autre de mes chaperons, on ne se croisait absolument jamais. Les rares fois où j'avais tenté de leur poser des questions à ce sujet s'étaient soldées par un silence suspect : au bout de quelques essais, j'ai fini par comprendre que ce refus systématique était intentionnel. C'était humiliant et ça me rappelait que j'étais loin d'être intégrée. Je rongeais mon frein, pourtant : quelque part, je me doutais bien que j'allais finir par le découvrir.
Ça aussi, je l'ai regretté.
Je me souviens quand les choses ont commencé à changer, c'était par une nuit vraiment froide. Alors qu'on sortait d'une petite rixe qui avait démarré parce qu'un pauvre type avait regardé Dog de travers, Hakeem et Face nous sont tombés dessus, comme sortis de nulle part. Je ne m'attendais pas à revoir le chef mais la carapace a fait son office : cette fois, je l'ai regardé dans les yeux. Sans flancher.
Puis la nouvelle est tombée.
A ce qu'il parait, tu fais du bon boulot.
La prochaine fois, tu bosseras avec ton frère.
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