Tumgik
#Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. ( MUSICAL )
Photo
Tumblr media
On n’envie jamais les gens tristes. On les remarque. On s’assied loin, ravis de mesurer les kilomètres d’immunité qui nous tiennent à l’abri les uns des autres. Les gens tristes sourient souvent, possible oui, possible. Ils portent en eux une musique inutile. Et leur silence vous frôle comme un rire qui s’éloigne. Les gens tristes passent. Pudiques. S’en vont, reviennent. Ils se forcent à sortir, discrets faiseurs d’été... Partout c’est l’hiver. Ils ne s’apitoient pas : ils s’absentent. Ils disparaissent poliment de la vue. Ils vont discrètement se refaire un monde, leur monde, sans infliger à personne les désagréments de leur laideur inside. Ils savent quoi dire sans déranger. C’est tout un art de marquer les mémoires d’une encre effaçable...
Mais si on les ouvre, les gens tristes se brisent. Épuisés. Ce sont des présences chaotiques. Leur pensée passe et repasse, tournoie, revient comme une ogive sur les choses laissées ouvertes, accumulées, annotées, arborescentes. Un vrai foutoir ces gens là. La société n’aime pas le chaos.
[...] A trente cinq ans, en ce mois de mai 1901 (le dix-sept, pour être précis), Errik Satie est dans la dèche.
[...] Erik Satie demeure ici, à Arcueill qui rime avec cercueil, dans un silence ressassé inquiétant et peuplé de voix d’où il va bien falloir surgir. Mais ce qui surgit pour l’instant c’est seulement le passé. Les regrets. Les ratages, les déceptions et la mort. A trente-cinq ans, Satie est en crise.
Il ne sait pas encore qu’il est Erik Satie.
Il n’est qu’un être humilié, rejeté, moqué et sans le sou. Alors il boit. Son frère a quitté Paris, son père va bientôt crever, des copains aussi en ont fini avec la vie, Montmartre est loin, Montparnasse est loin, seule la misère lui tient compagnie, alors il boit. Il n’a pas assez d’argent pour sortir manger, alors il boit. Il en veut au monde entier et à Dieu, alors il boit. Il en veut au ciel et à l’aurore. Il en veut à toutes les heures séculaires qui ne se diluent pas dans l’ennui ni l’alcool, et dont il ne sait pas encore qu’il en fera quelque chose.
[...] Auprès de Satie, on ne partage rien pour de faux. On ne partage rien pour passer le temps, faire quelque chose, rester là ensemble sans importance, non. Avec lui, la moindre nuance de spleen ou de joie, le moindre millimètre d’intimité, c’est important...
[...] Avec sa bande, il préfère rêver que vivre. Car ça lui est plus difficile de faire la conversation que d’inventer une harmonie. Le quotidien l’éprouve, le harasse. Le réel est terrifiant, il revient le hanter, un vrai boomerang... Partout s’accumulent des obligations, des politesses, des contraintes, du paraître et de la justification. Les gens vous somment d’être là, ou vous reprochent votre absence au moment, votre distraction. De la pure jalousie, je vous dis. En attendant, il faut être ici avec eux, sans pause, c’est épuisant. On ne peut jamais disparaître tranquillement, se réfugier dans l’intime, non, il faut participer. Etre un homme, une femme, un citoyen, une personnalité ou un parvenu qu’importe, il faut être, et de préférence pliable, rangeable, étiquetable. Alors Satie se force. Mais il ronge son absence comme un frein, il la reporte, la mâchouille et quand il n’en peut plus, il pique une colère sur tous les prétextes possible, histoire de créer un endroit imperméable où les autres n’ont plus du tout envie de venir le chercher. Sauve qui peut le monde! Pour les colères, Satie était le meilleur, le Maestro. C’était son art de vivre, sa signature de vie pourrait-on dire.
D’un bout à l’autre de son existence, sa signature de vie fera de lui ce que Debussy perçut immédiatement : un égaré dans ce siècle...
[...] Erik Satie était un grand enfant hypersensible, iconoclaste, que Cocteau, qui s’effondra en larmes le jour de sa mort, avait déchiffré, très clairement : sa musique, comme lui, est un aspect de la conscience moderne, traduite en son.
Ici demeure Erik Satie que l’on prit pour un fou, un misérable, un fumiste, un analphabète musical, un fantaisiste, un raté, un aigri, un maniaque, un ivrogne, un clown, un paranoïaque et oui, certainement qu’il fut tout cela à la fois. Tout cela à la fois, possible oui, possible. Mais si on prend le temps de se pencher sur la ligne de sa vie, sa portée, tout ce que l’on distingue, c’est du jazz. La vie de Satie n’a été qu’un zigzag, un croisement de blues et de ragtime, un mélange de spleen, de fête, d’enthousiasmes, de déceptions, de crises et de défaites, mon Dieu ce qu’il pouvait continuer d’espérer au-delà de toute espérance... sa chambre d’Arceuil est cruelle... sa musique est cruelle... sa vie fut cruelle... sa misère fut cruelle.
[...] Le plus mélancolique et mystérieux. Personne n’entrera plus dans sa demeure. Comme il choisit ses lieux à l’image de ses climats intérieurs, on peut se demander s’il n’habite pas dans sa tête. Cette fois, il choisit un lieu désolé dans cette banlieue d’Arcueil faite d’immeubles vieux et insalubres. Une banlieue délabrée comme son âme. Un lieu aux ruelles tortueuses qui se torturent sous un sinistre aqueduc. Une banlieue que lui-même trouve si triste et se pleureuse. or il veut être à la périphérie, cas il se sent périphérique. Et Satie est avant tout un être cohérent. Voila ce que les autres n’ont pas compris, ceux qui le croient fou, excentrique. Ceux qui ne voient en lui qu’une dérisoire dérision. En vérité il dérive. Il se sent tomber. Vieillir. Délirer. Il a besoin d’une planque. Un alibi.Un coffre, fort et solide, où entasser les rêves qui ne verront jamais le jour. Là-bas, il n’ouvre pas ses fenêtres. Il n’ouvre pas ses volets. Il soupire : la vie fut pour moi tellement intenable, je résolus de me retirer dans mes terres et de passer mes jours dans une tour d’ivoire, ou d’un autre métal (métallique).
[...] C’est seulement après sa mort que sa misère a été découverte. De son vivant, il faisait rire, ou bien il parlait d’autre chose. Personne ne pouvait soupçonner qu’il gardait dans sa cachette deux pianos soudés l’un à l’autre comme deux frères, mais incapables de marcher. Deux parties de lui-même, désaccordées. Comment faisait-il pour composer dans cette chambre finale qui puait la tristesse, l’abandon, la folie et le manque de sou ? Aucun de nous ne savait. Nous étions tous passés à côté.
Passer à coté de Satie, c’était la signature de sa vie. Tout le siècle était passé à côté de lui, méprisant son personnage, voyant de la simplicité banale là où il y avait de la délicatesse, prenant pour de l’orgueil le souci de plaire. On était tous passés à côté de lui, y compris Conrad. Quelle horreur ce fut pour lui d’apprendre la mort de son frère par la Presse, là dans un wagon de train sordide et anonyme, en se penchant sur la page du journal d’un voisin éphémère ... La mort misérable d’Erik Satie.
Un musicien vient de mourir qui fut un précurseur dont la destinée fut singulière et mélancolique. Ignoré du public et traité avec quelque indifférence par ses pairs. Peut-être y a-t-il mis le meilleur de lui-même, quelque chose de lui qu’il ne nous avait pas encore donné.
[...] On ne tient pas plus les vivants que les morts. Satie aura cherché à le faire toute sa vie, en vain. Mais il y a une justice, puisqu’aujourd’hui on se souvient de lui. Il est même gravé compact dans des disques pour pianistes postérieurs : eux ne se sont pas trompés. Tout cela - les concerts, les marathons, les hommages - c’est foutaises. C’est rien, du vent, du vide, un rien, un souffle, un rien. Ce soir le ciel est bleu. Il faut se tenir à distance, s’éloigner, lui laisser son espace et lui foutre la paix. La vie me semble si lointaine maintenant. Et le passé si définitif. Satie ne reviendra pas. Il est mort d’une effroyable maigreur, la bouche désespérée en continuant de dire à tous, à tous, d’aller plus loin que ce profond aujourd’hui. Sa musique était résolument dérisoire, comme la vie.
[...] On n’envie jamais les gens tristes. On les remarque. On s’assied loin. Parfois on se rapproche pour mesurer les kilomètres d’immunité qui nous tiennent à l’abri les uns des autres, et puis on repart chez soi. Les gens tristes, c’est comme les timides : ils vous donnent tout et vous prennent tels que vous êtes. Ils vous sourient souvent, possible oui, possible. Ils sont familiers trop vite, mais quand il y a du monde ils se tiennent à carreau. Les gens tristes ils sont enthousiastes d’un rien parce qu’ils s’ennuient de tout. S’ils parlent trop longtemps leur densité s’aggrave, et ainsi vont leurs idées noires. Les gens tristes sont peuplés de cimetières, mais ils ont peur de la mort. Il y a dans le fond de leur âme quelqu’un de perdu qui ne reviendra pas. Et qui rapetisse. Heureusement, les gens naissent et se ressemblent.
Erik Satie était-il fou ? ... C’est une grande question de sa vie, une grande tristesse logée au fond d’un malentendu insoluble entre lui et le siècle. A quoi sa vois répond, déçue, dans un murmure :
Tantôt ils font de moi un fou, tantôt ils me représentent comme un être doux d’une platitude qui n’a d’égale que la leur.
Peut-être se trompent-ils.
Et cela me fit grosse peine.
Les parapluies d’Erik Satie Stéphanie Kalfon
1 note · View note
luxmagnafest · 4 years
Text
Un jeudi à Lux: culture et variété au menu #J10 🥙💃 Thursday night at Lux: Culture and variety are on the menu #10DaysTilLM3 💐📜
Le jeudi c’est le jour traître où tu es presque rendu au weekend, tu as bien envie de sortir mais il faut pas oublier d’aller travailler le lendemain… C’est parfait! Nous vous avons concocté un jeudi pour sortir sans se préoccuper si tu entendras ton réveil du lendemain matin.
Thursday is that tricky day of the week, when you’re so close to the weekend, but you still have to be up for work the next day… We’ve got the solution: our agenda for Thursday night comprises a wide range of events that won’t have you worrying about missing your alarm the next morning!
► Jan. 23, 2020
Pour bien commencer la soirée, viens te détendre en sortant du travail à notre lecture de poésie Qœur-à-Qœur, animée par Kama La Mackerel, qui nous présente le cœur hybride et poétique du Québec contemporain avec 8 artistes. [Gratuit]
To kick things off, ease your mind as you leave work and come listen to the poetic stylings of 8 francophone poets from across the province at our poetry night Qœur-à-Qœur, hosted by Kama La Mackerel. [Free]
Si tu préfères observer que d'écouter, nous te proposons EAT, PLAY motherland LOVE, une performance artistique très atypique entre la danse, la musique et la cuisine. [Billets]
In the mood for a more visual spectacle? EAT, PLAY motherland LOVE is a performance piece at the intersection of movement, music and food. [Tickets]
L’heure de manger est arrivée, et nous vous avons prévu une performance de flamenco devant de délicieux tapas sans que vous ayez besoin de sortir du bâtiment, et donc d’affronter le froid! [Gratuit]
How’s about dinner and a show? Join us for a plate of Spanish food and enjoy a flamenco show from the comfort of El Centro, away from the harsh winter cold! [Free]
Ensuite nous vous proposons 2 show très spéciaux.
Premièrement, une soirée de jazz spécialement composée et arrangée par nouveau label Florafone Records pour Lux Magna. Parfait si vous voulez vous remplir les tympans de non pas un ou deux nouvelles musiques, mais bien le dévoilement en avant première de toute une soirée musicale! [Billets]
First up, an experimental jazz night comprised of and curated by new local label Florafone Records for our festival. A perfect sampler platter of new music to whet your appetite before what’s to come! [Tickets]
Si cela ne vous convient toujours pas, vous pouvez aller voir Big | Brave a la Sala Rossa qui n’a pas fait de show à Montréal depuis un long moment! Son dernier album a reçu une très belle critique. Si vous ne l’avez pas encore fait, aller l'écouter, cela vous donnera envie de venir vivre la musique avec nous. [Billets]
If you’re still looking for some more excitement, don’t forget: Big | Brave, after a successful tour and being away from the city for a long while, will be headlining at Sala Rossa! Their last album was critically acclaimed, you can visit their artist profile, listen to it on your platform of choice, and get excited for the show! [Tickets]
10 JOURS AVANT LM3 | 10 DAYS TIL LUX ➡ Billets / tickets ⬅
0 notes
ciellesprit · 6 years
Text
Le lâcher-prise
Tumblr media
On est dimanche, déjà la veille je me suis dit « Demain c'est Les Dimanches Philo De Sophie ». Je ne savais pas encore de quoi j'allais parler et encore maintenant à l'écriture de ces lignes, je n'en sais rien ! XD
J'ai mis ma playlist music sur Youtube que j'ai appelée « To my people <3 », et là je vais me poser quelques minutes pour savoir où je vais orienter mon post d'aujourd'hui...
Few minutes later...
En vrai, la semaine a été plutôt de ces semaines riches, de celles où je suis à l'écoute de mes pensées, de mon corps, de mon cœur. Comme je les aime ces semaines là ! Car j'ai l'impression de vivre plusieurs vies en une !
Mardi j'ai profité du festival « Aux heures d'été » de Nantes, aux douves du château des Ducs de Bretagne, un chanteur guitariste s’est produit en live devant des centaines de personnes. Moi et quelques amis étions assis là, à manger une salade composée et à boire du champagne, s’il vous plait madame.
Mercredi j'ai vu une amie chère à mon cœur, nous avons échangé sur nos vies, nos passions communes (développement personnel, manger sain, spiritualité, nos projets respectifs) et j'ai préparé mes vacances chez mon oncle et ma tante qui habitent entre Albi et Toulouse.
Jeudi soir, avec Baptiste mon ami et colocataire, on est allés au Festival de Poupet, découvrir Rezinsky, Eddy de Pretto, Orelsan et Nekfeu. Ambiance de folie ! Et belle surprise avec Orelsan que je ne connaissais que brièvement. Ça m'a donné envie de le suivre de plus près.
Vendredi, premier jour de mes vacances ! Levée vers 12h, quel bonheur de ne se lever que quand on en a marre d'être allongée ! <3 À 20h se déroulait notre événement « Move Your Dreams » n°12. https://www.facebook.com/groups/moveyourdreams/ Une soirée qui s'est prévue à l'instinct, comme à chaque fois, mais je compte changer ça pour être plus à l’aise quand on accueille les personnes intéressées !
Samedi, découverte de la piscine du Petit-Port de Nantes.
Et enfin, aujourd'hui, Dimanche. J'ai commencé avec un ami à faire le VAN (Voyage À Nantes pour les non-initiés. Oui je suis fan de ma ville ! \o/). On est allé voir l'exposition « Mangasia » au Lieu Unique.
Tout ceci, c'est ce qui s'est déroulé en surface. Mais à l'intérieur, que s'est-il passé au final ? Quelle est l'émotion, le sentiment qui m'a le plus touché(e) cette semaine ? Quelle a été mon moment préféré, mon instant favori, capturé avec sagesse et habileté ?
2 choses avant tout.
La première : La vie n'est ni toute blanche ou toute noire. La vie est complexe, si complexe, que parfois on n'a pas le recul nécessaire pour savoir si on prend les bonnes décisions sur le moment. Il faut alors attendre que le temps passe, que la vie suive son cours naturellement, profiter de ce qui se passe de bon et de positif autour de nous et essayer de faire en sorte que nos actions et nos pensées soient toutes deux en accord.
La seconde : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien » a dit Socrate. Comme je suis d'accord avec lui aujourd'hui ! Cela veut-il dire que je suis moins d'accord avec cette phrase certains jours ? Je crois bien que oui. :) Mais le dimanche philo de Sophie est aussi fait pour ça. Revenir sur des faits, avec ma pensée, avec philosophie et lâcher-prise, honnêteté et réalité.
Le sentiment qui m'a le plus touché cette semaine : Le lâcher-prise. Cette semaine, j'ai eu cette idée en tête régulièrement, et ça m'a fait du bien de le vivre réellement à l'intérieur de moi. Car c'était plutôt un concept dont j'avais eu vent en m'informant sur le développement personnel en général. Je crois que je n'ai jamais été aussi proche du lâcher-prise que cette semaine. C'est pas mal, vous devriez essayez si ce n'est pas déjà fait ! ;)
Mon moment préféré ? Ce moment au Festival de Poupet où avec des milliers de personnes, j'ai sauté sur place en écoutant Orelsan chanter « Basique ».
Et vous, quelles sont vos réponses à ces questions ?
À dimanche prochain !
youtube
0 notes
ichane · 6 years
Text
Who the fuck is Johnny Holiday ? — les confidences imaginaires
          Dimanche matin, je me souris dans le miroir de l’entrée. J’ai mis ma robe bordeaux, mon pull noir, un peu de rouge à lèvres. Je vérifie une dernière fois en tâtant mes poches si j’ai mon pass Navigo et mon téléphone. Je peux claquer la porte.
          Aïe. La porte je l’ai claquée vendredi soir déjà, mais dans l’autre sens. Moi à l’intérieur, toi dehors. Toi, qui m’expliquais que tu ne m’avais pas menti, que tes sentiments étaient vrais, mais que tu allais tout de même retenter l’histoire avec ton ex-copine. Je fronce les sourcils. Pas de ça, pas le temps, non, c’est bon, on a parlé, je peux claquer la porte, te laisser dehors. Enfin dedans car là, c’est moi qui sors. Je sors sans toi, je vais voir mon amie Suzie qui est à Paris ce weekend.
          J’ai donné rendez vous à Suzie et à son copain Roger au marché des Enfants Rouges. Histoire de visiter un peu et prendre un petit déjeuner. J’ai pas trop le temps, je pars travailler au théâtre ensuite. J’ai vraiment envie de profiter de cette journée mais aussi parler à Suzie. Lui dire un peu comme ma semaine était nulle. Mais pour ça il faudrait lui parler de toi, de notre histoire, de ma tristesse et lui dire donc comme j’étais tombée amoureuse d’une fille.
          Faut que je lui dise, quand même, c’est important, c’est mon amie. Je ne peux pas cacher quelque chose comme ça à mon amie. En même temps, ça pourrait être bien, ne pas lui dire. Ça éviterait la gène du « coming-out ». Mais aussi, est-ce que tu mérites même que je parle de toi ? Est-ce que je dois encore perdre mon temps ? C’est précieux le temps qu’on a avec ses amis. Suzie habite à Londres, je la vois tous les 6 mois, un an même parfois ! Non, ma décision est prise : je te laisse à l’appartement. 
            « La porte est ouverte. » C’est la voix robotique de l’interphone du rez-de-chaussée. Bon, super, entre la porte de l’appartement et la porte du rez-de-chaussée j’ai déjà vu 5 fois ton visage, et encore, j’ai pris l’ascenseur..! Allez, les oreilles mettent leurs écouteurs, la tête choisit une chanson qui n’a rien à voir avec toi, les pieds marchent, le cœur peut veiller.
           Je vais jusque Stalingrad en flânant, je prends en photo les immeubles qui se reflètent dans les flaques. Il y a un joli soleil d’hiver comme j’aime, qui ne tape pas trop fort et qui donne une couleur bleue très claire au ciel. Il fait froid, je souffle des nuages. L’hiver, c’est ma saison préférée. Dans le métro, il y a un garçon mignon en face de moi, on se sourit.
          Quand j’arrive devant le marché, je reçois un message de Suzie qui m’annonce qu’ils seront un peu en retard. J’attends 5 minutes devant un café, je marche, je regarde les vitrines. Je retourne m’adosser à un arrêt de bus, je marche encore, je lis le menu des bistrots du coin. Je joue avec mes chaussures, et décide enfin de m’asseoir en terrasse. Je commande un café, j’ouvre un bouquin, je lis trois fois d’affilée la même page. Ouf, Suzie et Roger arrivent.
          Suzie me prend dans ses bras. Ça doit faire plus d’un an que l’on s’est vues. On s’était rencontrées 4 ans plus tôt à Clermont-Ferrand, pendant nos études, alors qu’elle était en Erasmus. On a déménagé ensemble dans un appartement à deux étages où les murs étaient recouverts de papier peint jaune. On se racontait les histoires de garçons, les débuts de ma relation avec Martin, mon amoureux de l’époque, et sa rencontre avec Roger, son amoureux de maintenant; les histoires de cours, les expressions françaises, l’accent écossais; la pilule, l’oubli de pilule, la pilule du lendemain ; les soirées films, les déprimes, les rires, les fêtes... Tout me revient. Je suis vraiment fière de cette amitié. C’est important, de savoir conserver des amis, même quand ils sont loin de nous. Je suis vraiment fière et je me dis qu’il faut être honnête avec eux. J’ai envie de tout lui raconter. Mais Roger est là aussi, je ne suis pas très à l’aise à l’idée de faire une telle confidence à ses côtés.
          On rentre dans le marché : il y a des traiteurs devant lesquels on peut s’asseoir pour manger. Suzie m’apprend qu’elle est végétarienne depuis 1 an. Oh, comme toi. Ça pourrait être un bon point de départ. Ah oui, euh, la fille dont je suis amoureuse est aussi végétarienne, d’ailleurs, voilà, j’aime les filles comme les garçons, fallait que je te le dise, parce que j’ai l’impression de te mentir si je ne te le dis pas, mais bon on s’en fout, en fait, j’ai le cœur brisé... À la place, je bafouille un « Ah oui je ne mange quasiment jamais de viande non plus. » Roger s’arrête pour prendre une crêpe jambon-fromage-supplément-gras. Pendant qu’il attend on fait le tour du marché pour trouver quelque chose pour nous deux. On finit par s’installer devant un traiteur libanais et on passe à l’anglais.
          C’est le bon moment, on est toutes les deux. Alors voilà c’est pas vraiment la super forme, je suis triste. « Do you want to try this ? » En mars dernier j’ai rencontré une fille au travail « What, you don’t know baba ganoush ?! » On s’est vite rapprochées mais elle avait une copine « Maybe i’ll get some falafels, i don’t know… » et je savais pas trop où j’en étais non plus « Oh, maybe we could share…»
Roger arrive avec sa crêpe gigantesque.
          On décide d’aller à Beaubourg à pieds. Suzie et Roger discutent en chemin, je regarde machinalement mon téléphone. Bilan de la première tentative : échec complet.
          C’était pas simple mais j’ai beau avoir vu plein de films et lu plein de livres, il n’y a pas vraiment de modèle de coming-out. Ce que je n’ai jamais vu dans les films et les livres, c’est qu’il faut recommencer à chaque fois que l’on voit quelqu’un à qui l’on en a pas encore parlé. Je rencontre environ 30 personnes par an. J’ai 24 ans, j’ai bien l’intention de vivre au moins jusqu’à mes 80 ans. Ça veut dire qu’il faudra le faire encore 1680 fois ?! Et cela sans compter les personnes que je connais déjà ! Je l’ai bien dit à mes amies les plus proches, mais c’était parce que quelque chose était en train de se passer, au présent, avec toi.
          Là, ce serait un peu ridicule de dire que je suis amoureuse mais que notre histoire est finie. Ce serait un peu ridicule de parler comme ça du vide. Imagine, je suis guide au Louvre et j’accueille les visiteurs, tout sourire : « Un jour, il y avait une peinture super belle, un chef d’œuvre, et puis en fait, elle a disparu, on sait plus trop pourquoi, voilà, au revoir, nous espérons que votre visite vous a plu, merci de laisser vos dons dans la boîte des espoirs perdus ! »
          « Also, who the fuck is Johnny Holiday? » Suzie me réveille de mes songes. Ils ont vu depuis deux jours dans les kiosques les unes de journaux qui étaient dédiées à Johnny. « So, yeah, you don’t know him? He is super famous in France.. » Oh, cette fille qui vient de passer en vélo te ressemble « So, he was old and his music was not really the music young people listen to.. » C’est pas toi, je sais bien que tu ne fais pas de vélo, « except maybe, i don’t know, in the countryside.. » je t’aurais bien appris, tu te souviens, on en parlait ! « but still, he was a loved singer, i guess he is part of the french pop culture. » C’est vraiment nul, toute cette histoire, « so, yesterday was his funeral, people from all over France came here » tu sais, je vais même pas parler de toi à Suzie « and yesterday at the theater - there’s a comedian doing an improv every night » hier c’était hier, aujourd’hui il fait beau « he sang a song by this singer » aujourd’hui je ne suis pas sensée penser à toi « and the whole audience started singing with him, it was amazing » vas-t-en !
          Deuxième essai. Perdu. J’aimerais dire les choses qui comptent et je me retrouve dans une conversation sur la chanson française. Je montre du doigt les quelques monuments que je peux reconnaître depuis le toit du Centre Pompidou. Suzie et Roger prennent des photos un peu plus haut, je commence à descendre l’escalator. Des gouttes sont posées sur les baies vitrées. On y voit Paris à l’envers. C’est vraiment joli le ciel bleu en bas et les grands immeubles haussmanniens tout ondulés. Je prends des photos de ces minuscules aquariums renversés.
          Le monde à l’envers on l’imagine souvent mais j’ai toujours trouvé ça difficile d’en avoir une idée certaine. Dans les films, le réalisateur ne choisit de ne montrer qu’un envers alors qu’il en existe une infinité ! Par exemple, si je plonge dans cette goutte, ce monde à l’envers là, ce serait celui où l’on est ensemble. L’aquarium d’à côté, c’est peut être le monde où c’est toi qui claque la porte ? Et ce troisième, ce serait le monde où l’on ne s’est pas rencontrées du tout ?
          Cette idée horrible me sort de l’aquarium juste avant de me noyer dans l’infinité des possibles. Je bafouille quelques explications à Suzie et Roger sur comment visiter le musée mais ils n’ont pas l’air de comprendre. Je finis par me rendre compte que c’est parce que ce ne sont pas des mots mais des bulles qui sortent de ma bouche. J’ai dû prendre la tasse. Il est déjà 13h et je n’ai plus le temps pour une autre tentative.
« It was short, let’s meet tonight for a beer, i’ll text you the info of a cool place. »
          Je pars travailler au théâtre. Je suis heureuse de voir mes collègues, ça me vide la tête.
          En montant dans le métro direction ce club de jazz installé dans une vieille gare de la petite ceinture, j’ai une boule au ventre et vraiment besoin de parler. On s’est donné rendez vous devant la station. Il fait déjà nuit. Ça me rappelle la toute première fois où je suis venue ici.
          « Hey, how was your afternoon ? » Je venais avec des amies, elle venait avec ses amies. « So, let me tell you about this place..» On s’était un peu donné un rendez vous non officiel. « There was once some railtracks going all over Paris. » Ça faisait quelques semaines que l’on se fréquentait mais rien n’était dit. « And this is one of the train stations that were used once » On avait passé la soirée à se tourner autour. « It has been abandonned for a while, but in september it was given to an organization » Pour enfin s’embrasser au milieu de la cour. « and now, there are concerts every night, it’s super cool.» Et donc juste là où l’on se tient. « Let’s go inside ! »
          Mince, encore raté. On prend une bière en écoutant le concert et à la pause on part s’installer sur la terrasse à l’arrière. Roger passe aux toilettes. Je suis fatiguée, je vais partir bientôt. Suzie repart demain matin. C’est ma dernière chance.
          J’ai un plan en deux parties dans ma tête : 1. La fille. 2. La tristesse. C’est simple. Suzie lance même le sujet des relations. « So, how long have you been separated with Martin ? » Je me concentre, ce n’est pas comme si j’avais peur de son jugement « I think it’s been almost a year and a half now » Ça fait 2 jours que je prends des somnifères. « Are you seeing anyone ? » Oui, je vois quelqu’un. Je voyais, plutôt. Je suis tombée amoureuse d’une fille. Il s’est passé un truc magique entre nous. Une fille, tu te rends compte comme mon cœur est beau? Une fille, son dos, son cou, sa peau, sa bouche, ses yeux. Mais c’est déjà fini. C’est fini depuis deux jours, j’essaye de me dire que tout va bien, que c’est la vie. Vendredi on s’est vues pour s’expliquer, pour clore le chapitre proprement. C’est raté. Je veux passer à autre chose, vraiment, mais j’entends son nom dans toutes les chansons. Je la vois dans le métro, dans les flaques, dans les rétroviseurs. J’arrive pas à me raisonner, elle me manque.
Mon amie, je suis tombée amoureuse d’une fille et j’ai mal partout.
« Hm, no, I had a thing that just ended with someone. It kind of sucks but.. i’m ok. »
“Someone” ??? “Ok” ??? ___
Ichané
Histoire d’une confidence ratée. Projet d’illustration à deux dimensions : celle des mots qui errent dans ma tête et celle des mots qui sortent de ma bouche.
0 notes
vanekien-blog · 7 years
Text
Ce blog soutient Adel qui prépare un concours difficile (c'est le principe !) et anxiogène au pays du diplôme, la France.
J-1 du départ pour aller vivre à Toulouse pendant 8 mois : la préparation des valises.
Ok, fais comme tu veux, emmène une cargaison de livres.
Pour la culture générale, je te conseille plutôt les conférences du Collège de France à écouter en voiture, des émissions choisies sur France Culture et un combo gagnant du type Le Monde + Le Monde diplomatique + la presse spécialisée de référence dans ton domaine.
Avant de dire au revoir à ton chéri pour une semaine, réfléchis à ta façon de communiquer sur les réseaux sociaux. Je te conseille de choisir un réseau unique pour ton premier cercle, tu règles une alarme spécifique. Tu ne réponds pas aux autres sollicitations quand tu travailles.
Ne te stresse pas trop, tu n'as rien à perdre et tout à gagner.
Un champion de karaté qui bosse maintenant à Bercy (coucou !) me disait : "ton pire ennemi, c'est toi-même". J'ai réfléchi à cette phrase pendant un an pour bien la comprendre, en profondeur. Très utile en milieu concurrentiel !
Sinon, en attendant que la réflexion profonde porte ses fruits, voici à mon sens l'arme fatale qui marche tout de suite (comme une arme, quoi) : l'autodérision. Vu qu'en général, en position de fragilité, on se trouve un tas de défauts... on a la perspective de bien se marrer. Visualise mentalement ta propre caricature. Ce genre d'exercice me fait rire.
Il est une douce transition vers la mansuétude... qui consiste à pardonner aux autres leurs plus grandes fautes.
Tu sais, il s'agit de tous ces abrutis qui nous pourrissent la vie, de l'agent administratif anonymement haï à la belle-mère abusive, comme on dit. Il y a entre les deux toute la gamme des petits chefs, directeurs ou supérieurs qui nous agacent profondément pour une raison ou une autre. En réalité, ce qui pose problème, c'est peut-être notre propre subordination. Au fond de nous-mêmes, le seul stress que nous devrions tolérer, c'est celui qui nous fait agir et résister aux forces néfastes.
Cessez d'obéir et vous serez libre (La Boétie).
Ça tombe bien, tu vas pouvoir être libre, grâce non pas au concours, mais au travail que tu auras fait sur toi, pendant la préparation au concours.
Réussite ou pas, tu te prépares une nouvelle tranche de vie dénuée d'abruti. Bon, évidemment, si tu réussis ton concours, tu seras chef à ton tour et tu pourriras la vie de ceux qui le voudront bien.
Puisque tu ne seras pas parfaite.
Nobody is perfect. Ne t'inquiète pas, c'est aussi valable pour tes profs, ton jury. Le savoir n'est pas une entité qui flotterait idéalement dans les airs, que seuls quelques privilégiés bien nés pourraient embrasser. Non, le savoir, c'est plutôt du côté des liens que l'on tisse entre les savoirs. L'important est de tracer son sillon culturel unique. Tu peux tirer le fil de la pelote "Culture générale" à partir de ce que tu aimes et qui se situe dans le prolongement naturel de ton domaine d'excellence.
Excellence ? Oui, cest bien cela. Cela te concerne personnellement. En quoi es-tu imbattable ? Sûre et archisûre à 100% ? Et si on en parlait, tu serais à l'aise comme un poisson dans l'eau ? Je pense que ça pourrait être par exemple : ta maîtrise parfaite du portugais, ta connaissance du répertoire musical de M., tes talents épistolaires en droit administratif, etc.
Et n'oublie pas le cœur ultime et évident de la préparation : bien manger, bien dormir de façon à être attentif en cours et à en connaître les contenus sur le bout des doigts. Faire le ménage dans toutes ses affaires et sur ses listes de contacts et d'amis Facebook ou autre.
N'écoute que les conseils porteurs, tu n'as pas le temps de te disperser. J'ai 15 ans d'expérience et mon but, c'est que tu mettes toutes tes chances de ton côté, non seulement pour que tu aies ton concours, mais aussi pour que l'éventualité de l'échec ne te fasse pas peur, car tu auras fait un pas de géant vers ton destin, ta vie rêvée. Dans la réalité future, elle passera peut-être par ce diplôme, ou pas. Inutile de se faire un sang d'encre pour ce qui n'est pas encore advenu. La seule certitude, c'est que l'on mourra tous. Le reste est assez aléatoire. Sache que si des idées suicidaires te traversent la tête, va vite en parler à un médecin. Certaines personnes, confrontées à leur Destin, développent des pathologies aussi inutiles que désagréables (et oui, c'est aussi ça, la ségrégation par les concours : je te conseille de ne pas te laisser abattre mais d'abattre toutes les barrières qui se dressent devant toi. Va voir sur Wikipedia l'histoire de ton concours si tu veux).
Qui réussira ? Hormis les aléas de la vie, il est évident que certains prennent le taureau par les cornes, bossent comme des brutes et sont ultramotivés. L'essentiel réside dans la méthode et le taf.
Attention aux conseils des profs et à leur bibliographie qu'ils n'ont pas lu in extenso : ils sont infaisables. C'est un réservoir dans lequel il convient de piocher à bon escient.
Ça suffit pour aujourd'hui, je te laisse. Mon dernier conseil, te connaissant. Ne parle plus de toi en termes négatifs, c'est inutile et contreproductif.
0 notes