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lapolitiqueenmemes · 5 years

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Neurchis : L’opinion politique cachée derrière l’humour virtuel

Les neurchis sont des communautés virtuelles qui ont récemment envahi les réseaux sociaux, et notamment Facebook sur lesquels les utilisateurs partagent des mèmes, ou des photos et des posts qui deviennent par la suite des mèmes. Leur nom tire son origine du mot “chineur”, puisque les membres y partagent des mèmes existants sur d’autres groupes (et qu’ils veulent diffuser dans ce groupe) ou publient des mèmes qu’ils ont eux même créés à partir de templates (les templates sont des images ou des expressions qui peuvent être utilisées pour créer un mème).

Voilà quelques exemples de templates :

Ces groupes, souvent centrés autour d’un thème de la culture internet (les chats ou les chiens, les copy-pasta…) ont acquis une grande popularité sur les réseaux sociaux. Parmi ces nombreux groupes, les plus suivis sont souvent des neurchis en rapport avec le politique : le plus suivi sur Facebook, “Mèmes décentralisés pour provinciaux et francophones oubliées” (212 000 membres) a notamment exploité la crise des gilets jaunes pour transmettre la colère de cette France provinciale que la politique a parfois rendu invisible. Pendant la crise des gilets jaunes, les manifestants ont notamment été inspirés par ces groupes, puisqu’ils ont également créé des neurchis dédiés à leur mouvement.

D’autres neurchis se saisissent aussi de thèmes d’actualité à forte connotation politique, et permettent de transmettre certains messages militants, c’est par exemple le cas de neurchis féministes. D’autres se saisissent de la politique d’une façon encore plus directe. On peut citer le groupe de mèmes royalistes, suivi par 52 000 personnes, qui utilise presque exclusivement du contenu à caractère politique. Ce groupe constitue une véritable usine à mèmes critiquant le pouvoir institué (beaucoup de mèmes visant Emmanuel Macron circulent) ou des personnalités au cœur de l’actualité telles que Patrick Balkany ou Julie Graziani. Les mèmes publiés défient très souvent le politiquement correct : l’islamo-gauchisme, le colonialisme, le fascisme sont des mots utilisés ouvertement.

La présentation publiée par le groupe sur son profil prévient directement l’internaute : « Nous ne nous prenons pas au sérieux, mais nous prenons très au sérieux nos idées. » S’ils disent que leur objectif principal est de faire rire les membres, ils assument aussi un positionnement politique clair :“Nous déconstruisons l’état d’esprit républicain de façon humoristique et notre objectif ultime est évidemment d’instaurer une monarchie traditionnelle, héréditaire, décentralisée et antiparlementaire”. Ils proposent donc de rire de tout ce qui concerne le milieu de la monarchie dans le monde. Le succès du groupe les a transformés en véritable hébergeur de contenu original et hybride à mi-chemin entre l’engagement politique et la blague potache : “Nous avons développé nos propres codes, construit nos blagues, récupéré des tendances de la sous-culture en les royalisant”. Enfin, la présentation s’achève par une information très importante pour comprendre l’univers des mèmes. Les administrateurs, qui sont donc les uniques gestionnaires de la page, avouent être tous des militants engagés politiquement. Les mèmes sont donc pour eux un moyen de soutenir une opinion politique afin qu’elle intègre l’espace public.

Cette liberté d’expression quasi extrême se caractérise cependant par un très faible nombre de débordements. En effet, les membres y adhèrent par choix et sont donc souvent sympathisants de la même pensée politique. De plus, la modération par les administrateurs et la promotion du respect de soi constituent des éléments limitant le risque de dérapage. néanmoins, certains groupes considérés comme “borderline”, tels que “Neurchi de Cancer” ont été très critiqués pour leur caractère raciste.

Les neurchis, sous leur caractère innocent, pourraient s’apparenter à de simples groupes à visée humoristique. Mais ils sont en réalité un véritable outil qui permet aux internautes les plus politisés d’échanger, avec parfois beaucoup de dérision, sur l’actualité politique et offre une possibilité de réinterpréter la politique sous un format moins formel. Plus encore, les mèmes sont aussi au cœur de problématiques touchant à la liberté d’expression, tant le partage d’opinions politiques variées y est encouragé.

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lapolitiqueenmemes · 5 years

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Résultats de notre sondage Facebook : « Mèmes et Politiques »

Nombre de personnes interrogées : 136 (n=136 pour la totalité des graphiques sauf le dernier)

Résumé global :

De façon générale, le sondage confirme en grande partie nos hypothèses de départ. Beaucoup de personnes interagissent avec des mèmes et pensent que les mèmes à caractère politique agissent sur les représentations qu’ont les citoyens du politique. Certains sont même très impliqués dans le processus de création des mèmes et ont particulièrement envie de faire rire les internautes en partageant ces contenus. D’autres personnes nous ont aussi avoué avoir été émues par certains mèmes visant des personnalités telles que Greta Thunberg, ou avoir été marquées par certains mèmes visant des dirigeants comme Jean-Luc Mélenchon. Ils identifient donc clairement un personnage avec un mème qui y fait référence.

Néanmoins, il faut relativiser ce constat puisque les personnes ayant répondu au sondage sont très majoritairement jeunes et sont donc au cœur d’un phénomène qui reste probablement circonscrit à une petite partie de la population, à savoir des jeunes très actifs sur les réseaux sociaux et relativement politisés.

« Quel est votre âge ? »

Le premier élément dont nous devons tenir compte concerne l’âge des personnes qui ont répondu au sondage. Toutes sauf 2 ont moins de 25 ans. Ensuite, ce groupe de jeunes se diffuse entre deux sous-groupes : les personnes âgées de 12 à 18 ans qui représentent environ 51% du total, et les personnes âgées de 19 à 25 ans, qui représentent 47% du total (le reste correspondant aux deux personnes ayant coché la case « 46 à 60 ans »).

Ce résultat s’explique par les lieux où nous avons partagé ce sondage. Nous l’avons diffusé principalement auprès de groupes liés à SciencesPo sur Facebook (groupes regroupant les promotions par année d’étude, ou groupes de travail) ou auprès de nos amis, ainsi la cible atteinte semble cohérente avec le résultat obtenu.

« À quelle fréquence interagissez-vous avec des mèmes ? »

Le but ici est de mesurer la fréquence à laquelle les personnes « likent », partagent ou identifient leurs amis mais sur des mèmes. Si les deux personnes les plus âgées ont répondu « jamais », ce qui semble confirmer l’hypothèse reliant les mèmes à un public jeune, la quasi-totalité des personnes ont considéré être en contact avec des mèmes.

On peut retenir de cette question un élément important : les mèmes semblent occuper chez les jeunes étudiants une place prépondérante, puisque 63% ont indiqué interagir avec des mèmes très souvent, c’est-à-dire plusieurs fois par jour. Le caractère viral et la vitesse de propagation de ces types de contenu font du mème un vrai marqueur des réseaux sociaux.

« Pour quelles raisons ? »

Les personnes pouvaient ici inscrire la réponse de leur choix. Une très grande majorité à répondu « Parce que c’est drôle » et donc on en déduit que la principale fonction des mèmes est humoristique. Les internautes sont rarement intéressés uniquement par des mèmes politiques et le spectre du contenu avec lequel ils interagissent est bien plus large. Cependant, une partie de ceux qui ont évoqué l’humour ont aussi détaillé leurs réponses : les mèmes ont un aspect « créatif », sont « rapides et agréables à lire ». Les mèmes sont aussi souvent associés à « des références communes partagées avec des amis ». Un autre élément revient parfois : les mèmes sont souvent plus parlants qu’une grande explication. Ainsi, ils représentent une « autre façon de s’exprimer » et de s’informer, qui « traduit mieux les émotions » qu’un texte.

D’autres disent aussi « tomber » sur des mèmes lorsqu’ils se connectent sur les réseaux sociaux, puisqu’ils sont membres de groupes ou de pages qui en postent, ou parce qu’ils échangent des mèmes avec leurs amis sur les réseaux sociaux.

D’autres ont aussi écrit qu’ils souhaitaient, en partageant ou en « likant » des mèmes, soutenir les créateurs de contenu et donc participer à ce phénomène d’échange entre internautes. Enfin, d’autres encore ont dit avoir été choqués par certains mèmes ce qui montre aussi que ces mèmes peuvent avoir des effets plus profonds chez certaines personnes.

« Sur quels réseaux (sociaux) ? »

Les personnes avaient la possibilité de cocher plusieurs réseaux sociaux. Facebook est le réseau qui rassemble le plus d’utilisateurs, aussi il semble logique de le voir apparaître en tête des résultats. Néanmoins, le fait qu’il concentre de nombreux groupes et pages dédiées exclusivement à ce type de contenu peut aussi expliquer ce résultat. Instagram, ce qui peut sembler surprenant, arrive en deuxième position. Le réseau est plutôt axé sur un partage de photos et de story, et ne fonctionne pas selon une logique de groupe ou de page, ainsi on peut s’étonner de voire que 50% sont en contact avec des mèmes sur ce réseau. Cependant, le partage de photos et donc de mèmes peut se faire au travers de comptés dédiés à un thème particulier et le résultat semble finalement assez logique. Twitter arrive en 3ème position, ce qui est aussi étonnant car il est souvent cité comme un réseau au cœur des mèmes, puisque c’est sur ce réseau que naissent de nombreux « templates » très populaires. Ce résultat peut cependant être lié au faible nombre d‘utilisateurs qui sont actifs sur ce réseau.

« Produisez-vous des mèmes ? »

Un peu moins de 40% des personnes ont confié produire personnellement des mèmes, bien que seul ¼ de ces personnes en produit régulièrement. Le nombre peut sembler considérable puisque les mèmes sont souvent postés par un petit groupe de membres particulièrement actifs. On doit cependant nuancer ce chiffre car les étudiants sont des internautes beaucoup plus susceptibles de produire de contenu, et qu’ils constituent l’immense majorité de notre échantillon.

« Pourquoi, et comment vous y prenez-vous ? »

Les sources d’inspiration sont très variées. Une grande partie s’inspire directement de la vie étudiante, de ses cours, certains évoquent même leurs professeurs. Mais la majorité des personnes réalisent des mèmes uniquement pour leurs amis et donc s’inspirent de leur propre vie, ou de celle de leurs amis. Une majorité déclare cependant s’inspirer de l’actualité ou d’événements politiques, ce qui nous confirme bien l’importance du politique dans la culture des mèmes. Cette culture mèmes est profondément intériorisée par certains créateurs très actifs, qui nous disent savoir à l’avance quelle image ils vont pouvoir utiliser pour se moquer d’une personnalité ou d’un événement.

Le principe, lui, est presque toujours le même. Pour la réalisation, les créateurs utilisent des « templates » c’est à dire des images populaires qui peuvent être complétées par d’autres images ou d’autres textes. Ensuite, ils se rendent sur des sites dédiés comme « Canva », ou des logiciels comme « Photoshop ». D’autres font un montage plus « amateur » sur Snapchat ou sur les outils de leur ordinateur. Ensuite, ils les partagent sur les différents réseaux sociaux, ou groupes, notamment Reddit et Facebook.

Enfin, il est important de noter que les personnes ayant répondu au sondage mentionnent souvent la « culture des mèmes » comme une culture qui se compose de références communes que partagent les internautes. Ainsi, à force d’être en contact avec des mèmes, ils finissent par maîtriser les codes visuels de ces contenus et donc chacun est tenté d’en réaliser pour faire rire les autres et s’intégrer à cette communauté.

« Quelle incidence pensez-vous que les mèmes ont sur la manière dont on se représente les personnalités politiques ? »

Les résultats à cette question confirment pleinement notre hypothèse de départ, car presque 89% des interrogés ont considéré que les mèmes avaient une réelle incidence sur la façon dont les citoyens se représentent les politiciens. Presque tous pensent que le contenu au cœur des mèmes et le partage de ce contenu sur les réseaux jouent un rôle dans le processus d’appropriation du politique par les citoyens. Une majorité de ces personnes, soit environ 69% du total, considère que cette influence est modérée, c’est à dire que les mèmes contribuent à exagérer certains traits des personnalités politiques sans pour autant être l’élément au cœur de ce processus. Et une minorité (soit 23,5% du total), pense quant à elle que l’influence est plus forte, c’est-à-dire que la perception que l’on aura d’un politicien peut être modifiée pleinement lorsqu’on interagit avec des mèmes visant cet homme politique. Ainsi, bien que le nombre puisse paraître faible, presqu’un quart de l’échantillon associe véritablement les mèmes à la politique.

« Qu’est-ce qui explique cette influence ? »

Malgré le fait que certains aient limité l’influence des mèmes à leur caractère humoristique, beaucoup ont essayé de décrire plus précisément l’impact des mèmes en politique. Les mèmes ont un caractère didactique puisqu’ils permettent d’appréhender des sujets d’actualité politique en touchant un grand nombre de personnes.

Une immense majorité a associé les mèmes avec une sorte de « caricature moderne ». Les mèmes seraient donc devenus un des moyens privilégiés pour se moquer des politiciens, pour exagérer certains traits, tout comme les caricatures se moquaient des monarques, ils permettent de renforcer un certain nombre de clichés (ils sont notamment comparés aux guignols). Cette « critique sous le ton de l’humour » permet d’imprégner inconsciemment les lecteurs d’une certaine représentation des personnalités politiques. Le sarcasme qu’ils véhiculent est censé « dépasser le discours politique ». Si pour certains, ils décrédibilisent les élites, pour d’autres au contraire, certains mèmes peuvent attirer la sympathie, et les personnes se sentiront plus proches d’une personnalité politique. Ainsi un interrogé évoque même une « confusion entre l’homme politique et son mème » sur les réseaux sociaux. Comme les mèmes se propagent rapidement, les personnalités politiques sont presque réduites à quelques traits de caractère, ainsi on vulgarise l’actualité en ne faisant ressortir que certains aspects. Le même peut aussi publiciser l’actualité, car des milliers de mèmes peuvent traiter d’un même fait dans la même journée, à tel point qu’on ne « parle plus que de ça » (comme par exemple pour l’affaire François de Rugy).

Les mèmes sont aussi associés aux fake news puisque pour certaines personnes, la connaissance d’un fait va se limiter à un mème qui traite de ce fait, et donc la personne n’ira pas toujours s’informer en détail sur une situation et ne retiendra que la vision caricaturale proposée par le même.

Les mèmes peuvent également révéler des faits peu médiatisés par les autres moyens de communication. L’influence croissante des réseaux sociaux chez les internautes est aussi à lier avec les mèmes, puisque le succès de cette culture mème s’appuie directement sur ces réseaux sociaux.

Les mèmes touchent principalement une population jeune, certains ont donc fait remarqué que cela peut influencer un jeune électorat qui se représente les personnages politiques à travers les mèmes qu’il rencontre sur les réseaux sociaux.

Une personne conclut en disant que « la vie politique est un mème en elle-même ». Ainsi, la vie politique est tellement absurde que les mèmes ne font que refléter les paradoxes politiques d’aujourd’hui.

Cette influence est à nuancer, puisque certains interrogés rappellent aussi que les griefs qui sont révélés par les mèmes ne sont ni plus ni moins que les griefs existants.

« Y’a-t-il un même qui vous ait particulièrement marqué récemment ? »

Si la plupart des interrogés ont répondu « Non » ou ont mentionné un mème qui n’est pas à caractère politique, certaines réponses peuvent éclairer notre enquête. Ceux ayant cité un mème en rapport avec la politique ont principalement indiqué trois noms de personnalités politiques. La première est Greta Thunberg, puisque la jeune militante à été extrêmement médiatisée cette année et a également été parodiée ou moquée sur les réseaux sociaux. La deuxième personne est D. Trump, icône incontournable de la culture mème qui à régulièrement inspiré les créateurs. La troisième personne est J-L Mélenchon, dont l’intervention « La république, c’est moi » a marqué de nombreux internautes. Ainsi, on remarque que les mèmes, en dépit de leur caractère éphémère, laissent une trace chez les internautes et les mèmes qui sont très souvent retenus sont les mèmes qui touchent à la politique et surtout à une personnalités politique. On peut donc en déduire que les mèmes peuvent véritablement focaliser l’attention des citoyens sur certaines caractéristiques ou certaines interventions d’une personnalité politique.

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