Tumgik
#nouvelles shortstory litterature
Text
“La Celle-Saint-Cloud” de  Florence Didier-Lambert (extrait d’Autoportrait d’une danseuse) aux Editions Rue Saint Ambroise
Tumblr media
Toutes les nuits une danseuse dans mon labyrinthe onirique rencontre des problèmes de grand écart. Pas une nuit où ne surgissent les châteaux, les conservatoires, les studios, les théâtres.
Le plus familial de tous, l’Opéra, long boyau noir, est le lieu préféré de mes fantômes danseurs. Cela a commencé par deux cours par semaine, au château. Le château était un cube de quatre étages avec deux tours demi-rondes de chaque côté. Il était recouvert de grosses miettes de pierres rouges et jaunes, ni en brique ni en granit, agglomérées comme une moquette rugueuse. Il se situait sur les plateaux d’Île- de-France à l’Ouest de Paris. De là il y avait une belle vue sur les courbes de la Seine.
Ma mère garait la voiture devant le perron, je sautais avant qu’elle ne finisse. J’étais toujours trop juste à l’heure. Souvent j’enfilais mon collant dans la voiture, et la gymnastique pour ne pas montrer mes fesses aux autres conducteurs m’énervait.
L’escalier était à mes yeux splendide, large, très sombre, sans fenêtres, en chêne ciré au noir, des marches luisantes, une rampe épaisse. La salle de danse était au dernier étage. Le cours des petites n’étant pas fini, les grandes attendaient à la porte d’être cinq ou six pour traverser le studio et rejoindre le vestiaire. Le professeur arrêtait alors brièvement la classe, nous priait de passer rapidement, sans oublier de le saluer lui et la pianiste par un soubresaut de révérence. Le studio était une rotonde assez belle. Il pouvait contenir vingt ou trente élèves. Des fenêtres au niveau du parquet, un plafond à caisson, des barres en polygone le long des murs. Entre l’entrée et une cheminée monumentale, les mères s’entassaient dans un vieux canapé rouge défoncé. La cheminée servait à notre professeur, pour dans l’âtre mettre son tabouret, ses partitions, son porte-monnaie. Le piano était coincé de l’autre côté, entre la cheminée et le mur. Charline, la vieille accompagnatrice affectueuse, était la seule à se souvenir qu’elle avait été musicienne. Grasse, poudrée, tassée, presque édentée, elle zozotait en postillonnant sur son clavier. Régulièrement elle interrompait le professeur, et sachant qu’il ne le savait pas, elle criait « C’est sur deux temps ou sur trois temps ? ». Le professeur répondait : « Faites-moi une mazurka ou bien une valse. Non, faites-moi un galop. » Derrière son dos, elle marmonnait ses propres observations, encourageait ou consolait les enfants en clignant des yeux.Le professeur était le plus caricatural des professeurs de danse. Tout chez elle sentait le foyer de la danse de l’Opéra des années 30-40. Des jambes courtes mais solides, une taille cambrée comme il n’en existe plus, un cul rebondi, large, toujours très pris dans une jupe de tailleur étroite. Des seins robustes et très en avant. Lementon toujours en l’air, dédaigneux, la voix sonore, le compliment appelant l’argent et des critiques de mégère. Elle enseignait aussi à l’Opéra de Paris. C’était son grand prestige. Elle était le pape dans cette ville de banlieue. Les parents payaient tous les mois au piano. Je regardais comment ma mère lissait son chéquier sur la queue du piano. À ce moment précis le professeur prenait ses grands airs, se dressait sur ses petites jambes, les pieds ouverts, et parlait d’un ton IIIe République de ses élèves à Paris et du dernier concours d’entrée à l’Opéra. Elle feignait de ne s’adresser qu’à la pianiste. Mais toutes les mères et leurs filles écoutaient, les sourcils froncés. Ma mère était la mère chouchoute, parce qu’elle avait une position sociale en vue. Cela voulait dire qu’elle payait en premier. C’est aussi à ce moment-là qu’on recueillait les paroles d’encouragement.Un jour, le professeur prend ma mère à l’écart. « Elle est bien votre fille, on pourrait la présenter à l’examen de l’école de danse de l’Opéra. Il faudrait qu’elle prenne plus de leçons, je lui ferai une variation... Qu’elle vienne au cours des professionnelles à Paris, dans le 17e ». Dans le vestiaire pendant ce temps on s’observait. On devinait celle qui, même toute nue, était la plus riche.Dès lors le professeur m’a mise en valeur, au milieu de la grande barre centrale. Et, à chaque fois que je faisais le pied dans la main, elle forçait la jambe pour la faire toucher ma tête. Tout le monde adorait ça. Je percevais les chuchotements des parents serrés par les petits frères1213qui avaient fini le judo, à l’étage en dessous, et les papas un peu absents. À la fin de la leçon, nous faisions toutes ensemble une longue révérence : un pas à droite en ouvrant le bras, un pas à gauche, puis un penché de buste profond, en pliant les genoux sous soi.J’ai retrouvé exactement cette même révérence décrite par Pierre Rameau dans un traité de danse écrit en 1725. La salle à ce moment était pleine, les fenêtres embuées. Les parents applaudissaient. Moi je ne pensais plus à rien depuis une heure et demie. J’étais concentrée. J’écoutais la musique. Ma mère était émue. On rentrait le soir en parlant des unes et des autres, de l’examen d’entrée à l’Opéra. Elle me donnait des conseils de port de tête, de port de bras. Je la vois mimer dans la voiture les gestes naïfs en lâchant le volant. Elle m’agaçait, elle n’était jamais satisfaite.Le premier examen d’entrée à l’école de danse était médical. Il filtrait les enfants dont la morphologie était conforme aux critères de sélection, pour leur faire suivre un premier stage de trois mois, à la fin duquel aurait lieu le concours final d’admission.Les convocations se répartissent par tranches horaires. À chacune correspond un banc sur lequel il faut attendre. Le bâtiment est bien trop énorme pour que je puisse le voir en entier. Ma mémoire se cogne à des pavés gris, à une porte battante en velours marron et cuir vert clouté. À l’intérieur l’absence de lumière nous déséquilibre. Je sens ma mère très impressionnée. Nous cherchons le banc des trois heures. Nous croisons des dizaines d’enfants et leurs mères, perdus dans ces immenses couloirs en U. Sept cents filles et garçons ont été convoqués durant une semaine. Après avoir reçu un ordre rapide, nous nous asseyons au milieu d’un couloir plein d’enfants. Les murs sont jaunes et sales et le sol carrelé. Tout du long, résonnent des portes qui s’ouvrent et se ferment tout le temps. Les ampoules pendent du plafond. Pas une photo de danseur, pas un visage, pas un corps plus léger que l’autre. La banalité des gens, des voix, nous déconcerte. Je suis appelée rapidement et j’entre dans un cabinet médical assez petit, avec beaucoup de monde les yeux rivés sur moi. Ma mère est restée dehors. Je suis en culotte. D’abord la toise puis la balance, puis une doctoresse en blouse, le stéthoscope entre les seins, m’ausculte le dos. On me demande si j’ai déjà fait de la danse, le nom de mon professeur. Je mets les pieds en dehors et je plie les genoux. Très bien, merci. Je suis admise.À la suite de cette première audition, ma mère a refusé de me laisser poursuivre. Elle a eu peur et moi aussi. J’étais trop petite. Mon professeur était scandalisé. J’ai arrêté de prendre des cours pendant six mois. À ma demande, j’ai repris. J’ai repassé l’examen deux ans plus tard et j’étais de nouveau admise.
Ma vie professionnelle commence. J’ai onze ans. Pour suivre les leçons quotidiennes du stage préliminaire au concours d’entrée, j’ai l’autorisation de quitter l’école plus tôt pour être à l’Opéra à dix-sept heures heures. Un jour je m’attarde sur la rampe de l’escalier. Je descends lentement les marches en laissant traîner ma joue contre le bois. Je regarde le préau couvert, les placards de gymnastique alignés, les tapis en caoutchouc qui sentent la gomme et la poussière. C’est la première fois que je vois mon école en dehors des heures.
Je ne me rappelle plus qui me fait faire le trajet jusqu’à l’Opéra. Je réentends la cour de l’administration... Le chahut des enfants... Les voix des surveillantes... Je revois les filles en chignon... Les six étages à monter... Les couloirs jaunes très longs, les vestiaires, et la leçon.
La classe de danse est une salle rectangulaire longue et étroite, avec un toit de verre, un parquet incliné en pente vers le miroir, des murs bleu ciel très pâle, des poutres et des traverses métalliques.
Plié, dégagé, rond de jambes à terre puis en l’air, battements sur le cou-de-pied, jambe sur la barre, grands battements, relevé, jambe à la main, grand écart. Je demande à ma voisine qui a l’air satisfaite et installée pour une vie à cette barre.
– Il fallait apporter ses pointes ? – Évidemment j’en ai trois paires dans mon sac, pas toi ?
Nous sommes en juin, le soleil de cinq heures au travers d’un des versants du toit tape sur un mur. La barre en face est à l’ombre. La salle est nettement divisée en deux par la lumière.
Extrait d’Autoportrait d’une danseuse de Florence Didier-Lambert aux Editions Rue Saint Ambroise
https://www.ruesaintambroise.com/
Tumblr media
5 notes · View notes
julienphoque · 3 years
Photo
Tumblr media
SOUVENIRS SOUVENIRS... Il y a près de 2 ans, avant le Covid, je publiais mon troisième livre autoédité, REDEVENIR EXTRAVAGANT. C'est un livre bleu comme un ballon de basket, orange comme la nostalgie, on y retrouve les personnages secondaires des Nouilles, a qui une nouvelle est dédiée. (On peut l'apprécier sans avoir lu Les nouilles, même si c'est comme dormir en pyjama plutôt qu'en jean, c'est mieux.) C'est d'inspiration dada, Pata, mais surtout Julien Phoque, on y rencontre David Bowie, Guillaume Musso et des Irlandais. Frédéric Beigbeder m'a dit que "ça rebondissait bien". Astrid, que sa lecture était "un choc" (merci Astrid). Ma maman n'a pas trop aimé. Claire a fait un gentil parallèle avec Murakami. Ça a plu de bout en bout à Justin. Pour autant je n'ai pas eu beaucoup d'autres retours. J'attends les vôtres avec impatience, mais il y a un peu urgence : d'un tirage de 300, il m'en reste aujourd'hui 34 exemplaires. Pour vous le procurer : - mon site www.julienphoque.com - Fnac GARE Montparnasse Jazz 🖤 . . #livre #librairie #litterature #bibliotheque #poesie #paulverlaine #symbolisme #nouvelles #lesnouilles #redevenirextravagant #illustration #illustrationartists #art #artwork #instabook #bookstagram #illustrator #writer #shortstories #mybook #frenchlitterature #davidbowie #autoedition #autoedite #antiedition #gallimard #sollers #club #clique #clac https://www.instagram.com/p/CPc4KXmhpO7/?utm_medium=tumblr
2 notes · View notes
sachastellie · 6 years
Photo
Tumblr media
Une nouvelle #nouvelle terminée pour mon projet de recueil... Ça avance, ça avance... 😊 #ecriture #inspiration #histoirescourtes #shortstory #shortstyles #fridaymood #projet #litterature #edouard #feelgood #instabook @shortbooks_uk_ @editions.nouvelles.plumes @editionsalbinmichel @editionsmichellafon @editionsgrasset @fleuve_editions @editionszulma @ed_addictives @flammarionlivres (à Bordeaux, France) https://www.instagram.com/p/BsfPwqBHzIK/?utm_source=ig_tumblr_share&igshid=se3t0bzu4f9v
0 notes
novaelee · 5 years
Photo
Tumblr media
Cela faisait un moment que je n'avais pas lu de romans et lors de mes vacances à Londres, j'ai fait le plein ! 😎 _______________________________ Le premier que j'ai lu est Broken Stars. Je ne connaissais pas du tout ce livre, c'est sa couverture galaxie qui a attiré mon regard. 😍 Il s'agit d'un recueil de nouvelles de science-fictions toutes écrites par des auteurs chinois et traduit par Ken Liu. Alors déjà, j'étais attiré par la couverture, les mots science-fiction m'ont convaincu un peu plus mais que ce soit de la science-fiction chinoise, c'est bon, j'allais direct à la caisse avec. 🤣 _______________________________ Je ne connais pas du tout la littérature chinoise et encore moins dans le genre de la science-fiction, du coup, j'ai tenté. Ce recueil a été en dents de scie pour moi. Certaines nouvelles étaient incroyables, m'ont transporté dans d'autres mondes (sans nécessairement quitter la Terre 😉) et le style d'écriture était incroyable. Mais il y avait aussi des nouvelles qui m'ont moins attiré. Une en particulière que j'ai carrément passé tellement, je n'accrochais pas à l'histoire et au style. _____________________________ Une des choses qui m'a le plus surprise lors de cette lecture est à quel point le genre de la science-fiction est varié et n'est pas aussi formaté que je pensais. J'ai découvert d'autres manières d'écrire de la science-fiction sans que ce soit nécessairement une histoire dans l'espace, des extra-terrestres, etc.... C'était vraiment passionnant. _______________________________ Ce fut une lecture très intéressante même si j'avoue que la fin de la lecture était difficile et je n'avais qu'une hâte: finir. Mais elle m'a fait découvrir des auteurs, des styles différents, un point de vue mondial différent et une nouvelle perspective sur la science-fiction. 😊 _____________________________ Ma note: ⭐️⭐️⭐️⭐️/5 _____________________________ Broken Stars Collectif, traduit par Ken Liu Éditions Head of Zeus (@headofzeus) _______________________________ #livrestagram #bookstagram #sciencefiction #scifi #novel #shortstories #kenliu #brokenstars #litterature #headofzeus #roman #chineselitterature #china #reading #lecture https://www.instagram.com/p/ByBLmvSowjI/?igshid=1m32hw80t97z3
0 notes
blacherez · 7 years
Photo
Tumblr media
Saki La fenêtre ouverte #currentlyreading #lecturedumoment #lecture #reading #litterature #literature #nouvelles #shortstories #saki #hectorhughmunro (à Mercure Bilbao Jardines de Albia)
0 notes
mademoiselle-uma · 8 years
Photo
Tumblr media
「Plaisir coupable」 Hello les loulous ! ❤ Cela devait bien finir par arriver. Je ne devais prendre que mon livre d'anthropologie à la @librairie_mollat mais... J'ai été faible 🙈 Baudelaire et Gautier... deux amours de jeunesse qui me suivent encore maintenant ! Et j'éprouve toujours le même délice à leur lecture ! 📖 Et vous, quels auteurs vous suivent depuis des années ? ❤ 💮💮💮💮💮💮💮💮💮 Hi there ! ❤ It should finally happen. I was supposed to just pick off my anthropology book at @librairie_mollat but... I've been weak once more ! 🙈 Baudelaire and Gautier are two of my favorite poet and writer for years ! 📖❤And you, who is the writer you love the most ? #book #bookstagram #booklove #booklovers #bookmoment #baudelaire #theophilegautier #lespleendeparis #lesmortesamoureuses #nouvelles #poemesenprose #prose #poetry #shortstory #literature #litterature #blogger #instabook #instablogger #lifestyle #lifestyleblogger #mollat #bordeaux #bordeauxmaville #igersfrance #igersbordeaux #food #hotchocolate #carrotcake #athome #cosy #quiet
1 note · View note