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La Deuxième Vie de Philippe Sollers n’aurait pu se déployer ni se livrer (tel le verbe chair, se faire livre, roman) sans une expérience personnelle, continue et secrète du Temps, et par là même de la mort, et par là même du néant.
Ici, la vie et la mort s’étreignent, se confondent, et le corps du Deuxièmiste, dépris du fardeau de son cadavre : « Dans la Deuxième Vie, on est heureusement débarrassé de ce boulet sans que les souvenirs physiques les plus lumineux soient éliminés », rappelle celui de Dante au chant XXXIII du Paradis, capable de voir, vivant mais délié du nuage de sa mortalité, ce qui ne peut être vu qu’après la mort.
L’intempestive formule de la Juliette de Sade citée en exergue, « le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir », et pour laquelle Sollers imagine une Juliette postromantique en déclamer la maussade antithèse : « le passé me déprime, le présent m’accable, j’ai peur de l’avenir », donne le ton. La même citation se retrouve au début du roman, où l’écrivain interpelle un lecteur qui n’est autre que lui-même réfléchi dans le temps : « Si je publie un jour un roman intitulé La Deuxième Vie, j’inscrirais en exergue, contre toutes les évidences négatives de mon temps, la formule de la Juliette de Sade », comme si, dans une sorte de pré-diction, le roman s’était écrit lui-même depuis le néant.
La dernière phrase du roman inachevé, « si le néant est là, il est là, en train de regarder le monde éclairé par un soleil noir », plus exactement, la dernière phrase que Sollers écrit, indique que c’est bien « là », au cœur même du néant, de cet être-néant, que La Deuxième Vie s’écrit —« Si le néant est là, il est là, plume d’or, encre, espace infini de la feuille où je suis en train d’écrire, et le néant qui vous afflige, que vous réduisez à la nullité ou au négatif dépressif, n’est pas le néant essentiel depuis lequel la Deuxième Vie se déploie, il n’est pas celui que je vis, que je suis ». Plus encore, et telle est la force magique, sacrée, de l’écriture, et en elle de la littérature, cette dernière phrase devient la pierre d’attente à laquelle toute l’œuvre considérable de Sollers, romans et essais, doit être rattachée. Autrement dit, tous les écrits de Sollers doivent être à présent relus rétroactivement, en partant de La Deuxième Vie. La fin renvoie au commencement. Tel que La Divine Comédie et Le Temps retrouvé, La Deuxième Vie est à la fois le nom d’une pensée et, au sein de l’expérience poétique et historiale qui le révèle, le lieu d’accomplissement de cette pensée dans une forme, le roman ici, où La Deuxième Vie et la Deuxième Vie coïncident. « Oui, un tout autre roman, en plein 21ème siècle, et qui fait exploser l’espace, la vie, la mort, le temps. »
La Deuxième Vie est donc nucléaire, par elle et en elle le temps s’ouvre, rentre en lui-même, et n’en finit pas d’aller, de venir, de jaillir, de rebondir. Elle réalise que les moments de la première vie, si lointains, si infimes, si dispersés soient-ils, dès lors qu’ils ont eu lieu uniquement pour avoir-lieu, viennent se concentrer, se répondre et se révéler mutuellement leur présence dans le silence actif de la pensée : « la Deuxième Vie se tait, elle a appris que la pensée est un acte. » Dans une floraison invisible et subtile, dans cet intervalle jouissant intensément de lui-même, où « tout paraît aller de soi de façon claire, lumineuse, facile », la Deuxième Vie recoupe le plus proche, le plus lumineux, le plus essentiel de la première : « Je suis enfin arrivé là où je devais aller, les indicateurs le signalent. »
Dès l’instant en effet que Sollers remplace — « remplace », dans l’esprit de ce mouvement de la contradiction en acte réveillé par Isidore Ducasse en épigraphe des Poésies — « le vieux Dieu » mortellement atteint de moraline et d’ennui par « le dieu nouveau », qui « n’entre jamais en conflit avec les dieux qui l’ont précédé, puisqu’il les comprend tous, bien mieux qu’ils ne se comprennent eux-mêmes », qui ne dit jamais « nous » mais « choisit uniquement des singularités », qui « guérit », « prévient », « sauve », « peut surgir d’un rayon de soleil ou d’un léger coup de vent. », qui est divin sans être religieux, et grâce auquel l’écrivain « sait que sa Deuxième Vie fonctionne », de là, tout s’ajuste et se tient, tout fait voûte. De là encore, tout serré dans l’expérience des oppositions, s’articule et se libère le mouvement propre à la pensée vive de l’écrivain, la négation de la négation, tout ce que la vie du Deuxièmiste révolutionne et retourne dans sa nervure métaphysique, ce qu’elle contre et ajuste nouvellement, ce dont elle se dégage, ce qu’elle approche, rejoint : « La révélation la plus positive de la Deuxième Vie consiste à percevoir, de façon la plus éblouie, l’ajustement du monde. Tout est différent, mais tout se tient au millimètre près dans un emboîtage parfait. L’ancien dieu aura été un prodigieux ajusteur. Je comprends pourquoi je suis devenu un spécialiste des contiguïtés. »
Le mouvement s’intensifie, le cercle s’élargit, le centre s’approfondit, « plus le temps va vite, plus le temps est lent, plus l’espace grandit, plus il se centre, plus la mort est proche, et moins elle fait peur. » Il ne s’agit donc pas de LA mort sociale et biologique mais de SA propre mort « qui ne ressemble à aucune autre, vit sa vie, et la diffuse, de plus en plus, dans une pleine présence », non pas de ce faux temps de plomb, grégaire et uniforme, planifié par la société du spectacle intégralement intégré, mais de l’instantanéité claire, sphérique, ronde, libre et ravissante d’un « là depuis toujours ». Car « la Deuxième Vie est là depuis toujours ». Ce pourquoi « on n’entre pas dans la Deuxième Vie », ce pourquoi encore « la première vie évoque souvent la Deuxième, soit par de grands silences solennels, soit par des éclairs d’une rare intensité ». Je pourrais citer ici des dizaines d’extraits de romans ou d’essais de Ph. Sollers, qui témoigneraient de ce « là depuis toujours », mais deux passages en particulier me reviennent en mémoire…
« Et voilà : les deux géométries rentrent l’une dans l’autre, le Bien et le Mal, la pointe de méditation et de présence, et la plus grande absence de soi, l’altération, le relâchement. Et ces deux mouvements n’en font qu’un, maintenant, au-delà du désir brûlant, comme au-delà de la lucidité reposée fraîche. Et les deux volumes se superposent, l’un destructeur, sombre ; l’autre calme, illuminé, sans bords. L’un où chaque seconde compte, est chargée au maximum ; l’autre où, au contraire, une heure passe comme trois minutes, un après-midi comme un coup de vent. L’un où chaque geste doit atteindre un but, une fin, tactile ; l’autre où le corps entier n’est plus qu’un geste vide, une ondulation du vide. Le bonheur, c’est très exactement, par-delà ces deux espaces contradictoires, d’en être encore un troisième. (Je souligne) Plusieurs vies pour rien, comme ça, remplis à ras bord du même étonnement, d’un émerveillement sans cause… Cinq heures, déjà. Le vent et le soleil sont plus froids. La marée monte. Je reviens à ma table. Les mots sont les mots. »
« Disposer un cahier devant soi, un cahier Clairefontaine, 80 pages, référence 312, pourquoi 312, mystère, bleu de préférence […] ouvrir son stylo, le remplir au flacon Mont-Blanc bleu rapporté de Venise, ouvrir et refermer le stylo cent fois, et allez. Le moment approche où l’espace va donner sa permission, l’autorisation, dans un déclic, d’être là sans être là, d’être vraiment le spectre du lieu, l’aventurier immobile. » (Je souligne.)
Le fait que ceux-là se trouvent dans le Portrait du Joueur n’est peut-être pas un simple hasard.
Car joueur, jouisseur, Sollers l’a été, de tous ses sens. La jouissance du corps ne va pas sans celle de l’esprit. La deuxième contient la première, la première contient également la deuxième. Doué d’un corps libre, musical, qu’il ne cesse de mettre en jeu, l’écrivain comprend très tôt qu’« il faudrait user de soi comme d’un instrument, savoir se jouer ».
Les paris sont audacieux, mais la chance sourit aux audacieux. Il s’agit de rebattre les cartes de l’éternité, de se défausser des vieilleries philosophiques et poétiques répétées à son sujet. L’enjeu de l’un porte sur la vie éternelle : esprit libre et athée, si vous gagnez vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien. Intrigué, le joueur se lance, pourquoi ne pas considérer que le véritable interdit réside moins dans la jouissance que dans la découverte de son principe ? « Vous êtes réaliste, vous demandez l’impossible. Votre curiosité est piquée à vif, vous aimez le grand jeu, vous suivez votre ligne, vous décidez de jouer à la vie éternelle ». L’autre, corollaire sensible du premier, « il faut qu’à la fin vous pensiez vos propres sens », gage sur l’Éternel Retour : te risqueras-tu à penser que chaque instant de ton existence reviendra éternellement ? Interroge-toi, penses-tu que ton existence est apte à la répétition éternelle ? Comprends-tu qu’il s’agit d’éterniser l’instant ? « À partir du moment où cette pensée est là, toutes les couleurs se modifient, il existe une nouvelle histoire ». Éclat nouveau de l’instant : « Être là, simplement là, était ma préoccupation constante. Ma boussole était d’être-là. ». Ce là où être et avoir-lieu reviennent au même : « Il poursuit donc sa mission, dont il ne saurait dire le nom, à part quelle force lui a été confiée dans une première vie orageuse, avec une ponctuation très intime. Il aime qu’elle n’ait ni but ni raison, qu’elle ait eu lieu uniquement pour avoir lieu. » (Je souligne.)
Si dans la Deuxième Vie l’écrivain découvre que « tout est double et se répète indéfiniment », c’est donc que non seulement le pari de l’Éternel Retour est gagné, mais que la Deuxième Vie double la mise. Non seulement la double, mais permet, du même coup, d’accéder au caractère le plus inattendu de l’éternité. Car le pari de fond de Sollers, dont la « concentration vient de son Graal intérieur », et qui sous-tend les deux autres, porte sur l’exercice de la pensée et de l’écriture. « Contrairement aux spiritualités connues, une telle pratique ne demande aucune ascèse, au contraire. » Or, à très haute dose, la pratique intense de cet exercice provoque une mutation réelle du corps, de ses cellules, de sa substance. L’éternité attendait donc ce corps-là pour s’y révéler son caractère le plus inattendu. Quel est-il ? La démonstration se poursuit. Dans la Deuxième Vie, surgissant en premier, « les éléments négatifs sont éliminés et chaque moment est perçu instantanément pour la deuxième fois. Le caractère le plus inattendu de l’éternité est donc la vivacité. » La conclusion revient au poète, à l’alchimie du verbe : Elle est retrouvée ? Quoi ? L’éternité. « C’est d’un vif mouvement que la mer se mêle au soleil. »
La Deuxième Vie extrait la quintessence de la première, le temps vrai, bloc d’or au fond d’un bourbier. Comme si le Sujet de la première vie réservait à l’infini la traduction de la Deuxième. Ponctuation intime, silence. La Deuxième Vie est une lecture cognitive, « gnostique », de la première. L’initiation s’opère à travers des lectures éclairées. La bibliothèque est revisitée et retournée dans sa nervure tout à la fois physique, « le trou noir est un corps condensé dont le champ gravitationnel est si intense qu’il empêche toute matière et tout rayonnement de s’en échapper », et métaphysique, « un écrivain (Stendhal, Proust, Artaud, les autres) est une sorte de trou noir dans le cosmos humain ». Dès lors, « à partir de n’importe quel point » de ce nouvel espace-temps « vous pouvez vous lancer dans une virée rapide. L’Histoire est à vous. » Le temps s’accélère à l’envers, « ce qui donne au passé une nouveauté stupéfiante ». Les révélations qui en découlent sont de plus en plus électriques, radicales : « La vie est une mort, la mort est une vie, c’est une révélation très tardive, une révolution radicale ». Le corps change au fur et à mesure que la connaissance augmente et commence ainsi à expérimenter de nouvelles qualités : impassibilité, clarté, agilité et subtilité. La théologie fleurit soudain avec plus de sève et d’énergie : « En langage théologique, dans la résurrection des morts, il s’agit des « corps glorieux ». Ils n’ont besoin de rien, sont radieux, se déplacent instantanément avec la rapidité de la pensée et traversent, sans résistance, tous les obstacles. En sanscrit ça donne ça : « Celui qui connaît le souffle du souffle / la vue de la vue, l’ouïe de l’ouïe, celui-là a pénétré l’absolu, / On ne peut le voir que par la pensée. » Et c’est justement parce que tout ceci est très sérieux que le rire demeure : « Pour l’instant, comme on voit, je m’entraîne à mourir, en espérant trouver la clé d’une résurrection radicale. C’est un peu compliqué, mais j’y arriverai. »
Au plus près de l’abîme, dans « les insomnies de trois heures du matin, les plus dures, les plus inquiétantes, les plus éclairantes » l’horloge n’est plus ce dieu sinistre et effrayant au doigt menaçant. Nul besoin de presser la gangue des minutes pour en extraire l’or, la couleur : « chaque jour est octroyé comme un jour de plus, ce qui change la couleur de chaque minute », plus précisément : « chaque heure a sa couleur propre. Le trois est noir, le quatre est rouge, le cinq est gris, le six bleu foncé, le sept bleu clair, le huit blanc, le neuf vert ». Sollers aura fixé la couleur des heures, Rimbaud celle des voyelles, mais à l’avenant, il s’agit d’un même avènement, celui d’une langue qui retrouve son intensité de concentration, rejoignant ainsi ce qui lui était destiné depuis toujours. Avec « une clarté souveraine, sans quitter le grec comme but, le français peut désormais absorber l’hébreu, l’arabe, le sanskrit, le chinois avec une souplesse incomparable », car « le français est vif, imprévu, sa tendance claire et révolutionnaire est connue ; il traduit tout ce qu’il touche. » Allez lire Paradis vous-mêmes si vous ne voulez pas me croire.
Langue de la traduction, mais aussi langue par excellence de l’ironie et de l’écart, le français est fait pour « dégager, abréger, juger et tuer ». La preuve avec une petite dystopie, elle fait recette ces jours-ci… Là où beaucoup ne proposent que des pastiches de canevas vieillots et usés jusqu’à la trame, Sollers décape le genre par son style. Pas de morale, pas de pathos, aucun effet de dramatisation, mais une manière corrosive de dire en quelques mots ce que d’autres ne sauraient pas dire en mille : « Une guerre de plus et l’arrière-grand-mère américaine se découvre russe, joue à la Babouchka, rêve de posséder la planète de façon plus juste, mais découvre qu’elle ne sera jamais, malgré ses efforts, tout à fait chinoise. Ce conflit s’éternise, la démographie s’en mêle, toutes les mères porteuses sont mobilisées. Déjà en pénurie, la qualité du sperme diminue, et un nouveau virus, inconnu jusque-là, attaque directement les ovocytes. L’angoisse est à l’horizon dans chaque corps, la première vie se transforme en enfer où rien ne semble amorcer une autre vie possible. »
À son point d’intensité le plus culminant, le nihilisme paraît étonnamment passif, fasciné, envoûté par la mutation finale de sa volonté de puissance, volonté inconditionnée qui n’a d’autre but qu’elle-même, volonté de volonté, sur le fonctionnement de laquelle son moteur infatigable, l’esprit de vengeance, se règle, se calibre. « Le comble sera atteint lorsque l’esprit de vengeance voudra se venger de l’esprit de vengeance. C’est peut-être maintenant. » « Si l’humanité est contrainte de reconnaître ses mensonges et ses crimes », l’être humain, trop humain, « vient buter sur la négation. Il se trompe à son sujet. Il croit être une positivité, il se gonfle, il s’affirme, grenouille qui se prend pour une vache ou un bœuf. Démenti, il en veut à la terre entière. Il rumine cette injustice, cette absurdité, voudrait tuer, se tue. Malentendu »
Malentendu quant au temps, puisque l’esprit de vengeance est le ressentiment de la volonté contre le temps et son « il était » des corps angoissés, pétrifiés, arraisonnés, corps morts, tout au contraire du corps amoureux.
« Quant à l’amour, qui ose prétendre faire durer le temps dans le temps, éterniser l’instant, et, pourquoi pas, mouvoir le soleil et les autres étoiles ? Laissez-nous rire. Le soleil d’autrefois n’est qu’une super-bombe thermo-nucléaire, et les étoiles brillent par leur absence dans les imaginations. La marche à l’étoile ? De quoi parlez-vous ? Et la mort ? Ce détail ? Bien entendu, vous n’allez pas observer au télescope comment l’amour meut le soleil et les autres étoiles, vous perdriez votre temps. Il s’agit d’une révélation qu’on ne peut avoir que dans l’amour, c’est-à-dire dans une autre vision du Temps. »
Julia Kristeva, dans son texte « Le vivace aujourd’hui », nous confie ceci : À l’hôpital, Sollers a demandé à relire la traduction par Jacqueline Risset du chant XXXIII du Paradis de Dante, hymne à « l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles. »
D’un Paradis l’autre : « soleil voix lumière écho des lumières soleil cœur lumière rouleau des lumières moi dessous dessous maintenant toujours plus dessous par-dessous toujours plus dérobé plus caché de plus en plus replié discret sans cesse en train d’écouter de s’en aller de couler de tourner de monter s’imprimer voler soleil cœur point cœur point de cœur passant par le cœur », Eva, « l’amour fou » qui accompagne le Deuxièmiste Sollers dans son aventure, est le soleil de ce soleil. Son négatif photographique. « Il y a du nouveau sous le soleil noir de la matière noire. J’apprends à ne pas être d’un seul côté, mais aussi de l’autre. » Le Migrant précise : « Eva, à cause de ses fonctions au FMI, influenceuse puissante, m’apprend beaucoup de choses intéressantes, que je ne connaîtrais pas sans elle, puisque je vis retiré de toute apparition sociale ». Eva, clair-obscur, Perséphone de l’entre-deux, qui fréquente aussi bien l’obscurité de l’enfer que l’étincelle d’or de la lumière nature, « regarde, sur son ordinateur, le flux incessant des milliards terrestres qui transforme la vieille humanité en continent numérique ». L’écrivain regarde donc ce négatif en face, séjourne près de lui. Ce séjourner est un néantiser. D’une périphrase, « le plus grand penseur de notre temps », qui démontre ironiquement l'aveuglement, Sollers nomme le penseur innommable en passant. L’essence de la toute-puissance du nihilisme dans sa phase terminale ne saurait en effet être questionnée ni pensée dans son énigme sans lui. « Peut-être, écrit Heidegger, l’essence du nihilisme réside-t-elle dans le fait qu’on ne prend pas au sérieux la question concernant le néant. Le nihilisme signifie alors ceci : l’essentiel non penser à l’essence du néant. Lorsque Heidegger parle du « néant », il vise l’être lui-même et évoque comment la richesse insondable de l’être s’abrite dans le néant essentiel. » Partant, « il faut éprouver le néant afin d’échapper à la puissance. L’acteur final a appris à jouer de cette contradiction. »
Lorsque Julia Kristeva évoque les derniers instants :
« Le 10 mars 2023, rétabli à la maison, il trace cette maxime, en pressentant, sans le savoir encore, qu’elle serait finale : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir. »
Son état s’aggrave. Lumineux regard qui prolonge la pensée dans les combats du corps, ultime signe du sacré : « Je pars. » L’iris marron s’assombrit, presque « outrenoir » comme dans la toujours présente Étreinte. Le blanc de l’œil disparaît, rien que l’irruption d’une énergie noire, inhumaine, étreinte absolue. Je m’entends dire : « Avec toi. » Philippe se tourne vers le cahier, sa voix frémit : « C’est tout, c’est bien. On part ? » Je confirme : « On part. » Plus tard, j’ai trouvé cet accord déjà scellé dans L’Étoile des amants (2002) »,
Il devient dès lors possible d’entendre à nouveau se dérouler, dans toute sa portée, la dernière phrase du roman. Cette fulgurance, dont la forme tautologique fait écho à ces mots du premier vers du VIe fragment du Poème de Parménide : Est en effet être, renvoie à cette autre fulgurance, celle du « plus grand penseur de notre temps » : « Toutefois, si nous apercevons cette éclipse en tant qu’ombre, c’est que déjà nous nous tenons dans une autre lumière, sans trouver le feu dont la lueur émane. L’ombre même est non pas assombrissement, mais déjà quelque chose d’autre. » (Je souligne)
Il est possible que Sollers ait trouvé ce « feu », ce quelque chose d’autre, que le penseur souabe appelle l’autre commencement.
C’est sur ce fond de méditation historiale que la Chine, passion fixe de l’écrivain, fait signe,
« Deux chansons des tiges de bambous
Saules verdoyants au bord de la rivière calme ;
J’entends le son de tes chants sur le torrent.
À l’est, le soleil apparaît, à l’ouest, il pleut ;
L’éclaircie n’est pas là, elle y est pourtant. »
Les vers du poète Liu Yuxi, né à la fin du 8e siècle, entrent soudain en résonance, avivant un agréable goût d’encre de Chine, avec les dernières phrases de L’Éclaircie : « Mes peintures imaginaires d’un côté, mes manuscrits bien réels de l’autre. Je viens de recevoir les remerciements du Recteur de l’Université de Shanghai pour le don de mes manuscrits effectué par « une personne qui souhaite garder l’anonymat ». Sacrée Lucie ! Vite fait, bien fait. J’irai un jour là-bas pour voir mon écriture sous vitrine. Une jeune chercheuse est déjà à l’œuvre, et j’apprends en même temps (voyez le roman) que Trésor d’Amour va être traduit par une nouvelle maison d’édition créée en février 2010 à Pékin. C’est le moment exact de ma rencontre avec Lucie et de l’arrivée du manuscrit de Casanova à Paris. On se la joue mégalo sur plus de deux siècles. Pari. »
Au moment où je transcris ces lignes sur mon cahier, prenant soin de souligner de deux traits les deux dernières phrases, j’aperçois de ma fenêtre un rouge-gorge picorer les baies de la vigne vierge. Il se pose un instant sur le garde-corps, puis jette un furtif coup d’œil dans ma direction avant de reprendre son envol. Petite fusée perçant les feuilles du jour.
Sous les deux traits tracés, deux mots accompagnent cet envol : Je parie.
L.S.
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Zao Wou-ki — Triptyque juillet-octobre 1997-janvier 1998 - Exposition : “Il ne fait jamais nuit”, Musée Caumont, Aix-en-Provence, 11 août 2021.
Je m’y suis rendue et séjourne encore dans les traits, les couleurs, le shen-ch’i des œuvres merveilleuses. Il semble que celles-ci se déploient et se métamorphosent en moi, comme Souffle dans Vide. Grande plénitude. L'œil écoute le mouvement d'où jaillit le chant.
Les aquarelles peintes à la Cavalerie - j’y vois des gerbes de lauriers roses -, fleurissent et vibrent continûment. Cordes sensibles de pensées sans cesse renouvelées par une loi interne dont on sent et respire le parfum subtil, la présence unifiée.
Et puisque le cœur du peintre rejoint la pulsation du monde dans un profond et intime remerciement, nombreux sont les hommages : Cézanne, Turner, Matisse. Grâce à Henri Michaux, Zao Wou-Ki reviendra à la calligraphie, à l’encre de la source ; grâce à Cézanne, il apprendra “à se trouver soi-même, à se retrouver peintre chinois.”
L’espace ouvert et vivant des tableaux atteint pleinement et porte, dans toute la force de son allant, la mémoire liquide, le temps sensible du peintre. Parfois diptyque ou triptyque, les peintures se déroulent lentement, laissant le temps au corps d’y trouver là le lieu — le Centre — où l’eau, le ciel, la terre, le feu rose d’un soleil et l’éclat bleu d’une lune s’entretiennent et se rejoignent, cet entre l’être et le non-être où « il ne fait jamais nuit ».
C’est dans une petite salle carrée que se clôture l’exposition. Quatre pans, quatre tableaux et une parole cubique : « Peindre, peindre, toujours peindre, encore peindre le mieux possible, le vide et le plein, le léger et le dense, le vivant et le souffle. »
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Extraits :
“Ce recueil d’apparitions, autant de féeries, retrace la venue d’un temps arrachant. Ses rapts et ravissements sont semblables au frêle glissement du pied de la jeune Europe sur la surface écumeuse des eaux : tandis qu’elle s’accroche fermement aux cornes et aux flancs haletants du taureau blanc, divin ravisseur, le sillage crépite. Et comme une aile dans les ramages réveille le pollen et les particules endormis, les recueille et les sème à son vol repris ; ainsi quelque chose continue à se déployer dans l’échappée. Le ravissement céleste se retire, mais un appel lointain bouillonne encore, une trace argentée se devine sous les ondes mercurielles ; parfums, couleurs, vapeurs, chants et voix débondent au sein de cette silencieuse parade. Rémanentes offrandes qui, dans le sang de l'encre, s’articulent et s'illuminent en lettres et mots.
Quelque chose qui a eu lieu vibre et s’étend sous la peau, dans le cœur absolu ; quelque chose d’aussi simple, je l’espère, qu'une phrase musicale.” p.10
“Manet peint avec une matière nouvelle, fraîchissante, d’une sonorité spéciale ; la matière dont il (s’)est lui-même créé et pétri ; matière coulée dans des noirs d’encre, de carbone, de houille et de peau grasse d'anguille, bleutés et violets, infinis et profonds ; des gris de cendre, de perle, de tintement de métal et d’écailles, de figue, d’huître et de houle ; des blancs lilas, de beurre frais, d’écume, de sel et de draps ; des bleus soyeux, mousseux, d’iris ou de myosotis, de cobalt et de Prusse, laiteux roi céleste ou d’outremer ; des violets purs, de clématite, mats, changeants et empourprés ; des verts de prés buissonnant, de pomme et de raisin, de coque d’amande fraîche, d’émeraude et de clairière, de feuilles de lierre et de chêne sacrés ; des jaunes pâles et crémeux, de citron ou de poudre de pollen ; des terres de Sienne, d’asperge et d’arène ; des ocres brunes, de cuivre bourdonnant, d’or brioché et de miel ; des rouges éclatant en rubis grenade et corail, cramoisi, cardinal ou coq de roche, vermillon de grondin ou de rouget ; des roses de pivoines bouillonnantes, très veloutés, de pêche et d'œillet, de saumon nacré, poudrés, argentés, de longs baisers sur des chairs superbes ; les couleurs de la vie.“ p.142
“Si les choses de ce monde semblent affluer, passer, se heurter pour enfin disparaître dans une indifférence et une surdité effarantes, un regard, celui d’Édouard Manet, s’arrête sur un corps, une vie, et cela n’a rien d’ordinaire. Le peintre du Déjeuner sur l'herbe démontre que ces choses-là, ni objets ni images, sont en vérité des manières, chaque fois uniques, de convoquer et de recueillir le déploiement du monde ; qu’une matière noire, patiente, invisible et inouïe, œuvre sans discontinuer à l’éclosion de ce même déploiement.
Or Manet travaille cette matière noire autant qu'elle le travaille : dès l'instant que son regard, « hanté de certain noir », et passant immédiatement par sa main, rencontre et aimante le là de son modèle, c’est-à-dire l’événement étincelant de sa venue en présence, dans le même temps, sa propre présence s’y enveloppe, s’y contrescelle. D’où ce noir Manet, si lumineux, si singulier.
En ce sens, Manet n’est pas un ténébriste : il ne part pas du noir mais le regagne comme un point, substance d’une mémoire qui s’épaissirait ; comme un retour après un long voyage en soi. Une énergie mystérieuse, poétique — à la fois expansive, puisqu’elle délivre et dispense l'immense opulence du visible, la vision jaillissant à chaque touche de pinceau, et répulsive, qui préserve comme sacré l’inapparent dont tout paraît —, traverse la toile devenue infinie, allusive, perpétuellement nouvelle.
Aussi G.Bataille verra-t-il dans Le Balcon « une peinture hallucinée » où « le sujet est, dans le même temps, donné et retiré » ; ou bien encore, parlant de la douceur insaisissable de La Femme au perroquet ou de l’apparition spectrale de l’Angelina, que « quelque chose dans les plus simples de ces figures se détourne, se dérobe ».
Manet, son œil, sa main la pression sentie et claire, peint l’éclosion froide d’une échappée : riche poudroiement du néant, bourdonnement et chant, dans l'orbe duquel l’être-là de ses modèles, ayant-été, se retire et se réserve, tendu vers un surgissement arrivé de toujours, qui s’en ira partout ; le nouvel amour, qui change la nature même du temps, le toujourise par […]” p.136
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Qui convertit l'aiguillon en fleur arrondit l'éclair

Rondeur, orbe, circularité.
Roue(t).
Cercle : plein, vide, troué.
Motion : comme cœur en corps, le geste dans l’œuvre bat encore.
Espace vibratoire.
Échophanies : Échos visuels laissant paraître l’éclair(cie) tissé(e) de nuit.
Souple épais et lourd rideau de velours rouge, empourpré dans ses plis et replis, tirant au clair l’obscur, dévoilant la scène, son bruissement fleuri de murmures.
Floraison.
Flocons de laine traînant çà là, amalgamés comme un nuage suspendu dans un ciel ocre, prenant, furtivement, d’un vif coup d’œil, la rugissante apparence d’une tête de lion à crinière cotonneuse.
La roue tourne, tourne, tourne… tant et tant qu’une étincelle de cuivre crépite du mouvement constant pour devenir, ici et maintenant, ce point de miroitement visible : une tache de lumière jaune sur la jupe d’argile de la jeune fille, soulevant le souple épais et lourd rideau de velours rouge, empourpré dans ses plis et replis, se penchant sur un vieux visage (le plus vieux de tous) au fuseau filant calmement — yeux mi-clos, pattes rentrées, aux pieds de la déesse métamorphosée, un chat gonflé de sérénité imite le ronronnement bruyant du rouet — les vies qu’à un fil ne tiennent.
Tout vient du dedans.
Nus pieds* sont-elles, toutes, sentant ainsi la poussiéreuse et terreuse âpreté d’un sol rose brûlé. Ce même sol parsemé de la toison brute prête à être cardée par une autre jeune fille assise à la croisée de l’atelier, au centre de la scène des murmures, là-précisément-où l’obscurité ambrée ennoie, dans sa précipitation diffuse, le canevas de ses traits. Elle tourne le dos à l’autre scène. Elle tourne le dos aux déclamations connues, reconnues : un art, un défi, un divin orgueil blessé, une main levée, une mort, un châtiment, et, accrochée au mur de cendres, touchée par ce brumeux rayon bleu lacté, sous le sombre regard borgne de l’oculus, l’œuvre à l’insupportable perfection tissée grandiose de fils d’or et d’argent, et dont les bleus, les roses : froids, célestes, s’argentent et tremblent dans la nitescence d’un jour à l’écorce terrestre — j’entrevois l’étoffe aux tons de roses incarnadins et lointains onduler et frissonner sous le vent violent d’un ciel rougeoyant.
Viens ! dans l’Ouvert !
Alors, un visage, lustral, rose intrigué, surgissant d’un temps à lui seul appartenant, se tourne vers une terre d’ombre, de pénombre, exsudant mille reflets chauds et miellés. Et les visages, les visages qu’il voit et que nous ne verrons jamais… Le nôtre, à cet instant regardant ; celui d’une silhouette à la robe bleuet rayée de lames d’argent, pareille à une fleur d’hibiscus trempée de rosée que l’on aurait, une fois cueillie, retournée dans le velours de sa chair.
Involutif mouvement.
Mais le regard se porte sur elle. Elle, inondée, pourfendue, baignée et frappée de lumière sur la diagonale. Elle. Encore : jupon émeraude, cheveux bruns ramassés en chignon, assise sur une étoffe rose lointain rappelant celle qui, si proche, ondule et frissonne sous le vent d’une mer déchaînée par le ravissement. D'une main-papillon elle enroule en peloton le fil aux reflets d’acier, celui-là même qui servît à la confection de « l’insupportable perfection ». Le noir profond de ses cheveux et de son bracelet se replie sur la blancheur de sa peau — écho aux teintes nacrées de la ceinture et du chemisier. Tandis qu’à sa droite une autre jeune fille dépose un panier, à l'échancrure des deux, une troisième apparaît : tête très légèrement baissée, oubliée, effacée, évaporée, comme la nuée vibrante étreignant la jeune Io. Elle aura laissé l’empreinte voilée de sa présence dans l’air chaud de l’atelier.
Jeu d’échos, donc : visage, étoffe, teintes… et d’empreintes vibrantes et voilées. L’espace ne se déploie pas du dedans au dehors, mais roule, s’enroule, autrement dit, se reploie du dedans en dedans — secret voilé dans un secret. Sans désemparer, chaque chose affleure, s’enveloppe et se succède tour à tour à soi-même. Espace vibratoire, remettant sous le pli ce qui était jusqu’ici mis à nu — la peinture, sensuelle, est une histoire de pudeur…
Flagrance :
ce qui est à l’œuvre dans l’œuvre Comme ce cœur en corps, sentir
voir
le geste (du peintre) battre encore. Traverser le champ époqual (faire place : distribution merveilleuse de l’espace) : Il y a lieu (d'être) de chercher « à saisir le mouvement de la chair et du sang à travers le (Il y a) temps » .
Floraison du temps : ce que le peintre a ensemencé dans la matière (car le peintre apporte son corps), et qui, à présent, quoique de manière furtive, éphémère — alors que la nuit descend, que le jour se retire ; et que la poussière baignée par les derniers rayons du soleil poudroie la terre, le ciel, de couleurs de plus en plus intenses —, n’en finit pas d’éclore et d’avenir.
Pourtant, l'accorte suspension du geste de la Lydienne montre que la merveille qui impartit, toujours, se dérobe à la déclosion sans limites. Comprenons qu'il n'est pas nécessaire qu'une chose apparaisse en pleine lumière — la Lydienne montre mais ne se montre pas — pour que celle-ci vienne à nous, nous approche, atteigne, et, d'une douceur véhémente, nous ravisse au plein coeur du monde : cet éclair tissé de nuit.
Car Il y a lieu, Il y a temps, transie, de chercher quelque chose de tout autre.
— Ce que je cherche à saisir, c'est le mouvement de la chair et du sang à travers le temps. L. S. * "Vous n'alliez pas nus pieds pour faire moins de bruit ?" - P. Scarron, Le Jodolet ou le Maître valet. © 2013-2018 Ludivinesereni.net
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"Ce qui m’a le plus ravi en Espagne, ce qui, à lui seul, vaut le voyage, c’est l’œuvre de Velázquez. C’est le peintre des peintres ; je n’ai, cependant, été nullement étonné ; j’ai trouvé chez lui la réalisation de mon idéal en peinture ; la vue de ces chefs-d'œuvre m’a donné grand espoir et pleine confiance...
Extrait d’une lettre d’Édouard Manet à Henri Fantin-Latour, 3 septembre 1865, un dimanche matin. Le couperet tombe : Velázquez est le "peintre des peintres". Tant pis pour tous ceux qui depuis n'ont fait que passer ! Manet exprime ici le temps réjouissant de leur rencontre... Mais ce temps est arrachant. Aussi faut-il entendre ce ravissement, non pas seulement comme la joie du regardeur, parfois même un peu hébété devant tant de beauté — expression bouffonne —, mais à* l’avenance**, comme rapt, emportement, vibrant en soi — et égarée au possible (à ce qui est possible!). À présent, la peinture de Velázquez résonnera dans celle de Manet : écarter du ciel Velázquez l'azur, qui est du noir Manet... Et puisqu’elle modifie la saisie, la façon dont "je" rencontre immédiatement le monde, et se trouve : "j’ai trouvé" — dégagement rêvé —, la peinture transporte mais ne foudroie pas ("je n’ai, cependant, été nullement étonné"). Elle ne tue pas ("grand espoir et pleine confiance"), ne laisse pas sur place ; mais ravit et fait place, afin que l'énergie du mouvement demeure en mouvement. * (entendre) à : être disposé(e) à. ** mais (à l'avenant) à l'avenance (venue qui concerne). Traduction : "mais à l'avenant être disposé(e) à répondre à la venue qui nous regarde"
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10 avril 2013 - 10 avril 2016.
Marseille, 10 avril 2016. Nuit douce. Semis d'étoiles. Cassiopée visible et retroussée.
C’est toute l’histoire d’une peinture que le jeune Picasso tient tout contre soi. Héros d’une épopée picturale, conquérant d’un monde scellé, cloué ferme dans la chambre des possibilités infinies ; cherchant, trouvant la fortune alchimique personnelle — puisqu’au fond, tout ne tient qu’à soi —, tour à tour, dans une danse, incarnant El Geco, Ribera, Zurbarán, Velázquez, Goya, Manet (si, si) ; au cours de son très physique séjour, extrait et tire la matière brute lovée dans sa rugosité grise : éminence abritant tout, et laissant parfois échapper en quelques pulsations colorées de roses cendrés, perlés, couronnés de bleuités, les influx de vigueur et de tendresse réelle qu’elle recèle en secret. Les règles de la perspective atmosphérique organisent l’espace pictural ? Les objets, les êtres, les visages s’éloignent en apparences, se grisent ? Non pas ! Ici, le gris rend l’espace, et la vie s’y déployant, tangibles, palpables. Il avive et mouvemente, ce gris, un peu comme ce poisson aux écailles métalliques qui devient visible dès l'instant que sa nage serpentine vînt troubler la surface au demeurant calme, impassible. Gris d’acier tremblé : Marque de sauvagerie et de subtilité, écorchure froide des terres cendrées et suffoquées, soleil de plomb voilé dans le frémissement sec et vaporeux de l’azur bas bleu-blanc. Coiffé d’une vallée d’esprit au double versant : ubac gris d’ombre essoufflé ; adret endroit du bleu frotté d’acier aux reflets violets, le jeune peintre sourit dans une entaille faite au vide ; et le paysage, infiniment, déferle dans une courbure-vague dérivant en terre du regard (l’œil y bombe et renfle sa noire pupille). La main ramène le pinceau au plus près du cœur irradiant bleu le corps peint, comme un saignement dont la couleur distingue. Ce corps ne contient plus. Il accueille. Il recueille. En lui, par l’amour de la chair qui sait son nom, s’éveillent et s’animent toutes les voix peintes ; mais aussi les langueurs, les torpeurs, les chants suaves, les danses de volupté scandées de mains frappées, la brume des cierges et des encensoirs dans la nef d’or des églises ; et les couples se baisant aux lèvres dans l’ombre des piliers, et les murs pétris par les corps assaillis de souffrance ou d’extases dans les nuits chaudes d’œillets rouge et tigré au parfum de fleur de couteau — sang versé du taureau que le sable d’or, de larmes, de cris, égrène depuis la frénétique fascination du sacrifice accompli. Que voyez-vous, dites, des lauriers, des forêts, des sentes et des rues d'hélianthèmes, des choses, des ondes et des êtres laissés là, surpris par l’orage ; que voyez-vous, à présent, si ce n’est le ruissellement lent, l’écheveau subtil au cœur duquel se prolonge une forme dans une autre sans que, jamais, vos yeux en soient blessés ? Picasso est cet intempestif orage surgissant à l’heure propice — « Je suis le Ténébreux, le Lumineux, l’Éclair, le Peintre aux Frontières abolies : — et ma peinture constellée porte un Soleil bleu aux mille rayons infiltrant voracement, véracement, le tissu ruché du monde, son Ilya." Picasso, Le jeune peintre, 14 avril 1971 Portrait de l’artiste en jeune homme… Marseille, 10 avril 2013, lui à l'esprit. Oui, après tout, tel ce jeune peintre, il faudrait — Expérimenter la vie, y déceler la clarté singulière de l’aube ; pouvoir dire : me voilà enfin paré de gris, de bleu, sourire accompli et plein, les yeux ronds et profonds, petites billes mobiles, trouées de noir ; maîtriser avec aisance l’infini mouvement ; porter avec panache cette trouvaille de l’esprit. Il faudrait encore vouloir prêter à confusion, se définir afin que nul autre ne cherche – en vain ! faussement ! – à le faire. Osciller : partout. Dérouter : toujours. Est-ce pinceau ? plume ?… Est-ce palette ? encrier ?… Est-ce toile ou papier ?... Mêmeté du geste poétique, tout ce qui explore les soubassements du Temps. Voilà ce qu’il fallait retrouver, inscrit en filigrane dans l’espiègle regard du faux-trouble : l’évidence implacable et nette. Vient alors ceci : jeune longtemps, jeune tardivement. Ainsi s’entend sonner le glas d’une peinture s’épuisant à ignorer les richesses infinies qu’elle recèle.. : son prodige… : le don inépuisable de la matière… La peinture, territoire de liberté intense, espace de la création sans crainte ; temps-amour dont on s’éprenne qu’il vienne et exulte et affirme ; touche après touche… traçant harmonieusement les contours discrets d’un monde encore inconnu que toi seul - monstre faut-il que tu sois ! -, nommeras. L. S.

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LA CONFÉRENCE DES OISEAUX (I)
À la Conférence des Parties, je préfère celle des Oiseaux… À l'inaltérable grisaille des négociations, la lumière changeante de cent merveilles inépuisables…
Tous les oiseaux du monde sont ici assemblés, ceux des proches contrées et des pays lointains. Leur pépiant débat agite vivement les ramages alentour — ainsi, pareil au col-vert irradiant l'étang vif-argent de ses ondulations, le Sycomore, frissonnant de pied en cap jusqu'à la pointe de son faîte, inscrit dans l'air pommelé sa danse invisible et sacrée. Caressés par cent, par mille plumages, les feuillages si verts, si jeunes jusqu'alors, se teintent ici d'un rouge cuivré, là, d'un jaune or défiant les lueurs les plus prononcées d'un clair jour de mai.
Farid-ud-Din ‘Attâr, poète soufi persan, parle de réflexions émues, à mi-voix, en bruissements craintifs : “ Est-il sur cette terre un royaume sans roi ? Aucun sauf un, le nôtre, et cela n'est pas bon. Unissons-nous, cherchons, trouvons enfin celui qui conduira nos vies, sans lui, que sommes-nous ? Une foule sans âme, un peuple chaotique, un désordre ambulant !”
Mais voici que, avançant au-devant des plumages, apparaît la huppe ; fasciée, éblouissante. Elle a survolé les hauts chemins. Elle a traversé les vallées profondes, et les mers et les océans ; elle est allée jusqu'en Chine, a même séjourné en Grèce quelque temps - Aristophane n'est pas si loin, il distille son langage ailé par-delà les saisons et les pays : “ Torotix, torotix. Torororo rorototorotix, kikkabau, kikkabau, torotorotorotorolililix.” Quête d'une cité non corrompue — Vous avez le coucou de la Cité-des-Nuées ! Quête d'un roi. Quête du politique ici, ailleurs, nulle part - u-topia… Mais entendez ceci : “Ma voix est inaudible à la raison commune. Écoute sans oreilles. Entends comme l'on sent.” ´Attâr, Aristophane nous murmurent que seule… seule la poésie importe… elle est la langue originelle… périlleuse… il faut savoir la distinguer du barbouillage, du bavardage — inévitables.
Qu'apprend-on sur cette messagère ? Un espoir avive son regard. Sur sa poitrine est inscrit le signe des chercheurs de vie et sur son front resplendit la couronne de vérité. Elle distingue le bien du mal. Elle connaît le chemin juste. Plus divin : elle possède l'art rare et précieux de guider les êtres. Jadis confidente, messagère et aimée du roi Salomon : “ Il ne pouvait vivre sans moi”, qui est-elle désormais ? “Je suis la servante de l'Aimé, du Bien-Aimé”, et pourquoi venir jusqu'ici ? “Je connais tout de mon Seigneur. Pourtant sans votre compagnie, je ne peux rejoindre son nid”. Son nid ? Le temple saint, enfoui plus haut que tout, lumineux au-delà des plus sombres ténèbres. Cent mille rideaux de soleil et cent mille de nuit profonde voilent son seuil à tout regard. Son nom ? Simorgh. Comment le splendide Simorgh apparut-il aux yeux vivants ? Ce fut au royaume de Chine, un soir vers l'heure de minuit. Il envahit soudain le ciel. Nul ne l'avait encore vu. De son corps tomba une plume. Elle se posa sur le pays. L'émoi parmi les gens en fut si prodigieux que la rumeur de leurs murmures et l'onde de leurs tremblements coururent des hautes montagnes jusqu'aux rivages de la mer. La plume de Simorgh était indescriptible. Sa forme et ses couleurs, à peine vues, changeaient. Chacun n'en perçut qu'un instant, un éclat, mais ce fut assez pour que les cœurs soient épris. On peut aujourd'hui la trouver dans la galerie des peintures de ce royaume où elle tomba : “Partez en quête du Savoir, cherchez-le partout, jusqu'en Chine !” Ce qu'on peut voir de cette plume ? Autant de vivants en ce monde, autant de métamorphoses, autant de contours, de couleurs, autant d'œuvres nées d'un regard, autant d'empreintes passagères de son incessante beauté.
[…]
LA SUITE AU PROCHAIN NUMÉRO.
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TROPOLOGIE (I)
Alors ils s'en allaient, dansant dans les rues comme des clochedingues, et je traînais derrière eux, comme je l’ai toujours fait quand les gens m’intéressent, parce que les seuls qui m’intéressent sont les fous furieux, les furieux de la vie, les furieux du verbe, qui veulent tout à la fois, ceux qui jamais ne bâillent ou ne débitent un lieu commun, mais qui brûlent, brûlent, brûlent, pareils aux feux jaunes des chandelles romaines crépitant comme des poêles à frire à travers les étoiles et, au milieu, on voit éclater le bleu du pétard et chacun fait: «Aaaah !» Quel nom donnait-on à cette jeunesse-là dans l’Allemagne de Goethe ?
Extrait mille fois cité, ressemblant à ces papillons épinglés dans la proprette vitrine d'un collectionneur, séparés de l'air où ils volent, du soleil qui les irise, des fleurs qu'ils courtisent, et des parfums de l'été et du vent qui les dévie. De cet œil à l'intérieur de l'œil, ressaisir l'extrait en sa substantifique moelle : ses tours et détours, ses suspens, ratures et blancs, ses ellipses ses élans… tournures d'une écriture retraçant l'espace secret des carnets remplis, bleuis, projetés dans le frénétique tempo des phrases tapées à la machine, POUR SA SEULE JOIE (Le flux sacré raconte l'histoire du monde - sa fiction -, et le souffle, frissonnant dans la poitrine, ce qui préside à son apparition. Gardant la trace de chaque jour armorié dans son matin, simple d'esprit, saint d'esprit —Tel que je suis, je dois vivre ! Écrivant en souvenir de soi)… L. S.
#Goethe#road#danse#jack kerouac#principes#écriture#federico garcia lorca#étoiles#awww#oeil#joie#carnets#tropologie
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CELUI-QUI-NE-DOIT-JAMAIS-SE-LÂCHER-LE-MENTON

On dit souvent que ce sont les peintres qui ont inventé la Photographie (en lui transmettant le cadrage, la perspective albertienne et l’optique de la camera obscura). Je dis : non, ce sont les chimistes. Car le noème « Ça a été » n’a été possible que du jour où une circonstance scientifique (la découverte de la sensibilité à la lumière des halogénures d’argent) a permis de capter et d’imprimer directement les rayons lumineux émis par un objet diversement éclairé. La photo est littéralement une émanation du référent. D’un corps réel, qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher, moi qui suis ici ; peu importe la durée de la transmission ; la photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile. Une sorte de lien ombilical relie le corps de la chose photographiée à mon regard : la lumière, quoique impalpable, est bien un milieu charnel, une peau que je partage avec celui ou celle qui a été photographié. R. Barthes, La Chambre claire, 1980 Il y a un bourdonnement grave des choses de l’instinct dans ce théâtre, mais amenées à ce point de transparence, d’intelligence, de ductilité où elles semblent nous rendre d’une manière physique quelques-unes des perceptions les plus secrètes de l’esprit… Antonin Artaud, « Le théâtre balinais », Le théâtre et son double, 1937
D’aucun(e)s disent que les photographies de Martin Gusinde en Terre de Feu demeurent encore aujourd’hui, malgré un remarquable travail de restauration, très largement inaccessibles ; que la proximité photographiant-photographié ne fait qu’exacerber – terme à la mode, ça exacerbe beaucoup ces temps-ci – cette inaccessibilité. Comme si notre appétence de spectateur restait, regard et ventre creux, sur sa faim. Comme si nous étions quelque part en droit et en mesure d’en demander plus. Comme si, dans une époque où la technique rend tout ce qui entre en présence immédiatement accessible, représentable, productible, et donc, disponible en temps réel (sic) – drôle de croyance ! −, les photographies du missionnaire désespéraient l’entendement et émettaient un couac au cœur de la tonalité arraisonnante de notre siècle. Comme si, en définitive, prenant les vessies de l’inaccessibilité pour les lanternes de la lointaineté, nous étouffions dans l’œuf ce qui, puissamment, se réserve dans l’apparente contradiction : la proximité accuse la distance. Car la vraie proximité, négatif de l’autre comme mise-à-disposition-immédiate-de-toutes-choses, déploie, sans discontinuer, l’horizon ouvert à demeure à ce qui survient, inépuisablement, et se réserve en un lointain arrivé de toujours...
En somme, l’aporie de cette assertion vient moins de ce qu’on y réduit la proximité à une représentation « objective » des rapports spatiaux ; moins de ce qu’on y assimile l’inaccessibilité au lointain ; que de son malentendu quant au temps : les photographies de Gusinde représentent ce qui n’est plus – le voici, l’envers du temps réel : aversion envers l’irréversible. Or la Photographie ne dit pas (forcément) ce qui n’est plus, mais seulement et à coup sûr, ce qui a été. Cette subtilité est décisive pour peu que l’on éprouve que passer est autre chose qu’avoir été.
Dehors, la chaleur plombe et embue la place romaine d’où le bourdonnement grave des voix s’enroulant sur elles-mêmes s’élève jusqu’ici, par l'embrasure des fenêtres gémellées, pour finalement s’y éteindre. Un souffle traverse la pièce, frôle et irradie les photographies accrochées, le temps de l’exposition, sur des cloisons éphémères et grèges. Il semble alors que les pierres du cloître, assises sereinement dans leur solidité souple, observent les étranges clichés aux mille éclats argentiques ; mais avec plus d’attention, d’intensité et de réserve que ne le font certains visiteurs fantomatiques, absents à la présence, jugeant ce que leur raison regarde comme une bizarrerie du passé, comme ce qui n’est plus et n’a plus lieu d’être...
Et pourtant ; rien à faire : interdite, restant là, tu sens vivement une distance faisant place à une étrangeté planante, un entre-deux magnétique aiguillant ton regard… magie du regard dans ce regard noir tout en pupille…un instant encore… face à ce qui a été – et partant ne cesse d’être – face aux esprits s’incarnant jusqu’au moindre petit grain de « poudre d’ocre rouge et de blanc d’os broyé ». La photographie est en noir et blanc, mais tu as encore à l’esprit certains fragments de phrases cueillis en quelque légende explicative – discours scientifique, anthropologique : tonalité didactique, marques évidentes d’objectivité et de neutralité ; bien entendu nécessaire, utile. Ainsi à gauche de ce portrait d’acteur : « Appelé Kataise par les hommes et Halahâches par les femmes, cet esprit appartient à l’inframonde. Son nom provient de celui du poisson cornu Hachai. Il est à la fois comique, grotesque et effrayant pour les femmes. Tenant toujours son menton dans son poing, il fait mine de frapper et tuer plusieurs hommes, sous les jets de neige et de boue des femmes. Ses victimes sont ramenées à la vie par le guérisseur Olum, depuis l’intérieur du Hain. Lors du Hain de 1923, cette scène fut jouée deux fois ». Fais donc saillir, ici et maintenant, d’un trait de plume, à même le texte réécrit tel un palimpseste faisant sortir les phrases de leurs gonds, les mots : Appelé Esprit Kataise pour les hommes Halahâches pour les femmes Inframonde Poisson cornu Comique Effrayant Toujours Menton Poing Fait mine Frapper Tuer Ramener à la vie Guérisseur Hain Scène jouée, et tu entendras un silence pétri de pensée crépiter entre chaque membre d’une phrase désyntaxisée ; semis d’éclats d’or disséminés çà et là dans la poussière fauve d’un langage alchimique. Appelle l’esprit par son nom « HalaHâcHes » ; ressens le rythme syncopé, haletant, cahotant ; éprouve le chant épistrophique, la musique-trissée-du-H-chamanique perçant des galeries sonores aux ramifications descendantes, souterraines, en bouquet, ramenant l’ordre au pandémonium de ta voix pour qu’enfin affleure ce rire lointain plus divin, plus insaisissable que les larmes, dont l’écarquillée rondeur vocalique, « Hâ », signe le primordial effroi. Car plus encore que le rouge, plus encore que le sang, effrayante est la blancheur incantatoire polarisant noir sidéral un regard dramatique et glaçant.
Fais le vide, mime le geste magique, conjurateur : alors même que tu prends ton menton dans ton poing, tu te déprends du discours conçu – Assez vu… Assez eu… Assez connu ... Tu es un théâtre rien d’autre qu’un théâtre… Garde la posture encore un moment, JOUES-EN :
« Occidentalement, ce geste indique une réflexion…
―. Est-il possédé par l’Esprit ou le possède-t-il ? Et d’ailleurs, qui est ce « il » ? Si je le considère acteur, le verbe « jouer » ne doit-il pas se substituer au verbe « posséder » ? Ainsi fait, qu’en est-il de ce Jeu ? N’est-ce pas le Théâtre dans sa forme la plus pure, la plus concrète, la plus physique ? Que remue-t-il, ce théâtre de quintessence ? que met-il en scène sinon le mouvement même du jeu du monde au cœur d’un drame essentiel, métaphysique – à condition d’entendre dans cette histoire de physis, non pas la simple nature, mais l’éclosion, l’éclat de notre propre être-au-monde, dont la puissance d’émergence, configuratrice du monde, est ce combat, père de tout, roi de tout, faisant apparaître les uns comme dieux, les autres comme hommes ? N’est-il pas encore et en ce sens ce que A. Artaud distinguait déjà dans le théâtre balinais : un théâtre alchimique, Double d’une autre réalité dangereuse et typique, où les Principes, comme des dauphins, quand ils ont montré leur tête s’empressent de retourner dans l’obscurité des eaux… Mais qu’a-t-on vu, entendu de cette éclaboussante venue hors des eaux sinon l’écho d’une lutte où ce qui apparaît, visiblement, s’arrache un temps à un mystère plus initial, et qui, en dépit de sa coïncidente évanescence, laisse dans son sillage la ténuité d’une rumeur troublante, dégorgeante ; tout en vibrations-pulsations ? Et n’est-ce pas cette même lutte qui innerve le rite théâtralisé du peuple Selk’nam où chants, gesticulations, couleurs, cris, mimiques, artifices et masques d’écorce sont en soi Poésie dans l’espace, Parole où ce que l’on dit le plus vivement ne s’exprime pas par des mots, mais par des signes ; où on ne dit pas, mais montre — c’est que la vraie poésie, qu’on le veuille ou non, est toujours métaphysique ?
―. Holà ! avant que tu ne t’aventures plus loin en pensée, ne faudrait-il pas que tu rappelles dès à présent les différentes étapes de la cérémonie du Hain ?
―. Soit… Dédié à Xalpen, puissance chtonienne belliqueuse, nymphomane et cannibale, maîtresse des ténèbres et avatar de la lune, le cycle rituel du Hain débutait au plein cœur de l’hiver, et se déroulait sur plusieurs mois, jusqu’au solstice d’été, l’englobant. Les femmes, spectatrices, étaient exclues des performances rituelles. Seuls les hommes, acteurs, pouvaient en effet incarner les esprits auxiliaires de Xalpen. Anne Chapman, dans son fourmillant écrit Quand la lune voulait tuer le soleil, Rituels et théâtre chez les Selk’nam de Terre de Feu, note que les femmes n’étaient pas censées savoir que, sous les esprits masqués, violents et destructeurs, incendiant leurs huttes, faisant mine de les frapper ou de les violer, se trouvaient les hommes de leur propre famille − au passage, cette forme singulière d’intrusion acteurs/spectatrices montre que l’espace scénique du rite, taillé en pleine matière, en pleine vie... est un lieu des forces agiles débordant, sans limites, libre pour le jeu, sa répétition. Qu’importe la mascarade ! les femmes doivent absolument croire en ce qu’elles voient. Cette croyance, pour ne pas dire crédulité, déconcerte Chapman : comment peuvent-elles croire en toutes ces abracadantesques mises en scène dont les hommes tirent les ficelles ? D’autant plus que l’ethnologue a pu observer une étape essentielle du cycle : à l’intérieur même du Hain, les femmes, à travers divers exercices burlesques, parodient l’ensemble de la pantomime.
―, Chemin faisant, pluie de questions en Terre de Feu aride. : Si on garde à l’esprit que le Théâtre « constitue un moyen d’illusion vraie » (Artaud), qu’en est-il exactement de la nature de cette croyance ? Est-elle, elle aussi, feinte, jouée, théâtralisée ? En ce cas, les femmes Selk’man n’ont-elles pas, elles aussi, et en tant que spectatrices du cycle, un rôle déterminant à jouer au cours du processus cérémoniel ? Considérant cet entracte parodique, ne peut-on envisager que le rôle, la fonction, proprement féminine du Hain trouve sa parfaite réalisation dans la comédie et le rire ― façon de briser en quelque sorte la violence et la brutalité du cycle, de s’en distancier ; façon de reprendre le pouvoir qu’elles ont mythiquement perdu : en ce temps où les femmes dominaient la société et incarnaient les esprits lors de la cérémonie du Hain, jusqu’à ce que les hommes exclus, subodorant et découvrant la supercherie, arrachèrent aux femmes leur pouvoir et inversèrent l’ordre sexuel du rite - ?...
―. Peut-être… Mais il y a là le danger, toujours menaçant, d’occidentaliser la portée de l’événement, autrement dit de tarir la ressource féconde d’une luxueuse gratuité, de sectionner le nerf vital du rite que l’on doit désigner par ce mot devenu pour nous exsangue, dont la signification marcescible ne soulève plus le moindre questionnement — au mieux résonne-t-il toujours comme ce qui a trait au religieux ; s’y confinant cependant — : le Sacré. Connaissant en effet l’ampleur de sa férocité, les femmes se gardent bien de tourner en dérision la figure sacrée de la démone. Pour se faire une idée de cette cruauté, rappelons seulement que le Hain est avant tout un rite initiatique au cours duquel les initiés, les kloketten, sont livrés à Xalpen afin qu’elle en fasse ses amants et les tue dans une impitoyable et frénétique étreinte. Et tandis que l’on sort les faux cadavres de la hutte cérémonielle, les femmes, reconnaissant leurs fils dans ce cortège de corps inertes aux bras ballants et faux sang, se perdent en cris, larmes chants et supplications. Ils sont morts, nos fils, et seul le guérisseur Olum pourra les ramener à la vie ! Vie-Mort-Résurrection concentrées dans un seul temps, brassant le même et tempétueux air scénique. À la fin du solstice, Xalpen revient sous la forme d’une baleine, gnostique, qui sait ? au cœur ambre et spunk. Mais la sacralité du rite Selk’man va plus loin : quiconque dévoilera le secret, à savoir que les esprits sont incarnés par des hommes, devra payer tribut à la nature.
―. Le pacte théâtral serait donc plus sacré que la terrible figure consacrée…
―. Il s’agirait de revenir sur l’origine de cette violence. Le Sacré : Principe sans principe reposant dans sa sérénité, sa fermeté, son immédiateté – car il comprend tout en lui-même ; cœur inébranlable an-archique reposant en sa vérité bien arrondie ; béance chaotique fondant l’appartenance au monde et l’appartenance réciproque des dieux et des hommes − car seul le sacré décide originairement des hommes et des dieux, s’ils sont, comment ils sont et qui ils sont et quand ils sont. Violence originaire médiatisée par la figure de Xalpen, laquelle, loin d’être figée, statufiée dans pierre brute comme objet d’idolâtrie, s’anime, prend vie, se fictionne. La théâtralisation du rite Selk’nam est-elle ainsi l’expression vivante, POÉTIQUE du Sacré en tant qu'il permet, par un jeu subtil de miroirs scéniques, l'entrevu des dieux et des hommes. La photographie prend ici une tout autre dimension, et devient, comme l’explique Barthes, le prolongement de la sacralité : « Si la photographie appartenait à un monde qui ait encore quelque sensibilité au mythe, on ne manquerait pas d’exulter devant la richesse du symbole : le corps est immortalisé par la médiation d’un métal précieux, l’argent (monument et luxe) ; à quoi on ajouterait l’idée que ce métal, comme tous les métaux de l’Alchimie, est vivant. » Et puisqu’il faut que le dernier mot de ce poème retourne au sacré, telle la démone à ses Ténèbres, le Sacré retourne à sa Sérénité pleine de l’obscure clarté.
Dehors, la chaleur plombe et embue la place romaine… Tandis que le vent violet chasse le damier, te parviennent le parfum de miel de résine faisant le sang plus épais et l’âme plus silencieuse, le froissement minéral des pierres d’aimant et des pins, … La terre que tu vois, bruissante, hérissée d’herbes rares et sèches, partiellement enneigée, décor théâtralement foulé à chaque cérémonie du Hain, s’embrase encore sous les pas dansants d’Halahâches aux pieds blancs. Tel du destin des hommes et des femmes Selk’nam de la Terre de Feu est la couleur démasquant notre humanité hostile et grimaçante — Dites, c’’est qu’il se fait un peu tard sur cette planète, vous ne trouvez pas ?
… Ce qu’il remue ce théâtre, c’est le MANIFESTÉ. C’est une sorte de PHYSIQUE PREMIERE, d’où l’Esprit ne s’est jamais détaché. L. S.
Pileface — Celui-qui-ne-doit-jamais-se-lâcher-le-menton.
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APRÈS LE DÉJEUNER... La Chanteuse des rues, Manet Édouard.
J’entends Après dans une histoire vivante, allant de fait et décidément à l’encontre d’une “Histoire des Arts” rigidement arrimée à son étroite vision du temps : chronologique linéaire sectionnée en “époques et mouvements” - La Chanteuse des rues, vers 1862, Le Déjeuner sur l’herbe, 1862-1863. Dates dont nous devons tenir compte, sans pour autant nous y réduire.
“L’art a sans doute une histoire, mais cette histoire n’a guère d’intérêt si elle devient l’affaire d’érudits professant ex cathedra dans de sombres universités.”

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FIGURATION

Portrait de Jeune Fille d’après Cranach le Jeune - P. Picasso, 1958 "Qui voit la figure humaine correctement ? Le photographe, le miroir ou le peintre ?" P. P.
De même que Ducasse dans ses Poésies, Picasso, par le truchement du plagiat, pratique le “détournement” - insistons donc : ce plagiat-là n’a jamais pour finalité la copie bête et disciplinée ; il est toujours un moyen, un motif propice au jeu des variations, des permutations - entendre polygraphiquement dans “motif” : espace libre pour le jeu du temps. Combattant l’esprit de sérieux : la douleur, le malheur, l’atrabilaire ressentiment, la monomanie, la monotonie, l’œil atone et moite, la pseudo-musique (spectaculaire, que l'on voit mais que l'on n'entend pas), les affectations niaises, les mouvements grandiloquents, les sacralisations caduques, les faux raisonnements ou sophismes de la folie, l’académisme coincé, les gémissements chromatiques, les sécheresses intarissables du cœur et de l’esprit…, l’opération est forcément des plus sérieuses ; suit une logique pure ; recrée tout un langage ; et vise ainsi la vérité pratique - et fait d’ailleurs cent toiles avec cette même vérité. En ce sens, la peinture de Picasso est une peinture insurrectionnelle. Elle met en mouvement, révèle, élabore, fouille, tourne, raffine, abolit, expérimente, trouve, invente, déclôt et aère ce qui était en passe de se naphtaliner dans un ronron conforme et catégorique. Écoutons seulement : "Celui qui met du rouge quand il n’a pas de bleu vous invite dans un monde barbouillé de couleur, de poésie, et de vérité. Qui l’aime le suive !" Voilà, nous y sommes : couleur, poésie, vérité. Aurions-nous là trouvé quelque chose comme la clef de l’amour ? Affaire à vivre… Allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire. Picasso travaille en miroir. Le portrait, son entière disposition, s’inverse. Port de tête, chignon, mains - dont les curieux yeux soutiendront des regards de plus en plus absents -…, nef de détails virant à tribord. La figure découpée, dédoublée en profils, croissants d’une lune aux rayons traçant blanc son tribal à l’étoile ; et dont les caractères se (re)déploient en ondes jusqu’aux métamorphoses, lesquelles, dans leur sillage imbibé de noir, émaillent la dame de bleu, de rouge, de blond ; tandis qu’au théâtre du visage, des pastilles incarnates se font chair… Tels sont les signes d’une parole, d’un monde s’incarnant secrètement dans le tracé synthétique, appelant d’autres terres à mettre en lumière, sinon une primitivité, du moins une expressivité. Toile dévoilant toile : “Vous comprenez, dirait le peintre, ce n’est pas le temps “temps retrouvé”, mais le temps à découvrir.”
L. S.
#Isidore Ducasse#Poésies#Lautréamont#Picasso#peinture#Cranach le Jeune#portrait#tribal#détournement#appropriation#création#temps#variations#expressivité#couleur#toile#texture#académisme#Ludivine Sereni#Portrait#représentation#Occident
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Francis BACON (1909-1992) Seconde Version du Triptyque 1944 - 3. Corps cireux et cendre sur fond rubescent et table de bois au bord juché... Bouche immense, cou s'étirant long dans cri du silence poussé loin aussi que possible d'une fumée de poudre noire… Ils ne sont plus que bouches. L. S.

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ludivinemargueritesereni:
Picasso, Le Baiser, 1969
Festin nu (Elle veut faire de son amour un grand festin). — Composition savante et géométrique, floraison des motifs : les mains-éventails s’impriment sur la taille, tandis que les seins, cœur inversé, renversé, se durcissent et blanchissent à l’enchâssement des formes. Mouvement concentrique : c’est par le baiser que tout se fait. — Elle veut faire de son amour un grand festin : yeux grand ouverts ; toujours ! — sans ça, impossible d’entendre les couleurs s’épanouirent. Nul embarras des corps ici : les formes se répondent en pénétration vive. Mutuelle dévoration : un, deux, trois nez (tels les satellites d’une orbite elliptique) pour lui ; et yeux ouverts et clairs sur visage sombre, ombre d’éclipse sous chapeau d’ocre jaune ; lui encore, lutinant sa belle, sa tourterelle. Ça ne tâtonne pas, ça sait parfaitement où ça va. Pas de fusion, pas de confusion — soudaine et habile découverte des solitudes ; des aptitudes. L. S.
FESTIN NU

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LENNIE OU L’ANIMALITÉ DE SOIE Les calculs de côté, l’inévitable descente du ciel, et la visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête, et le monde de l’esprit. N’écoute pas avec tes oreilles mais avec ton esprit ; n’écoute pas avec ton esprit, mais avec ton souffle. Lennie apollinien : posture rectiligne et longiligne, élégance évidente ; très léger remuement des lèvres, et tête un tantinet baissée tandis que les papillonesques battements de paupières dénotent, dans les notes, une autre mais toute proche présence. Dionysien Lennie — dans les mains — : fin et long doigts sidérants de souplesse, lesquels, dans une animale course latérale s’entrelacent se torsionnent — s’animent. La main gauche, sans cesse taquinée par la droite, garde inexpugnablement son cap, sa ligne, son esprit ; et bat et marque grave le fond perlé, foulé du rythme. Extrême maîtrise — donc — au cœur même d’une énergique tension ivre de ses propres répétitions, matérialisant, fragilement, le mouvement incandescent. Tristano, pianiste-alchimiste cellulaire, détriste la matière ; la convertit en ondes vives, celles-là mêmes qui se renouvellent et se renouvelleront à l’infini — dussent-elles pour chaque temps traverser cet inquiétant point sourd gorgé de nuit. Do ré mi fa sol la, ici et maintenant tangibles : son, musique. À présent, descente syncopée en piqué et reprise du rythme en variations, do ré mi fa sol la si, jusqu’au couronnement du drame. Moment où la vision sonore s’affine, do ré mi fa sol la, se raffine : les cordes, tels de ténus poissons aux écailles de nacre et de métal, frétillent et palpitent d’un bout à l’autre de l’embarcation laquénoir[ ] déroutant la mort dans une corrodante mélodie d’ivoir[e] - “En fin de vers, l‘“e” muet ne se prononce pas.” L. S.
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PRÉDICATION

"Au-delà du nord, de la glace, de la mort – notre vie, notre bonheur... Nous avons découvert le bonheur, nous connaissons le chemin, nous avons trouvé l'issue de ces milliers d'années de labyrinthe." — Nietzsche "Char propose comme devise : Liberté, Inégalité, Fraternité." — A. Camus, Carnets, 1957 "ce ne seraient pas des individus distincts, s'ils n’étaient pas inégaux." — K. Marx, Critique du programme de Gotha Sujet Bac Philo 2014 : Doit-on tout faire pour être heureux ? (correction proposée : philomag.com/bac-philo/serie-l-doit-on-tout-faire-pour-etre-heureux-9735). M***, 23 août 2014
Je lis ceci : « Sujet sans difficulté particulière »… « formulation classique »… ou encore « notions du programme : la morale et le bonheur »… « importance du verbe devoir »… Soit. Mais que dire de ce « on » ? Est-ce celui de la doxa, du Gros animal ? du micmac plébéien (sachant que, comme le dit justement Nietzsche, la Plèbe se trouve aussi bien en haut qu’en bas) ? Le « on » béélant après sa rééclame publicitaire lui imposant, en images, mornes et plates, ce que doit être absolument, totalement, COLLECTIVEMENT, le Bonheur, que l’on emmasjusculera pour l’occasion ? Ou bien, serait-ce le « on » des nouveaux fanatiques, ces malades de la persécution, ces victimes larmoyantes du système privés du meilleur par un complot diaboliquement ourdi depuis les siècles des siècles ? Serait-ce plutôt… peut-être… Eh non ! ce serait trop… trop beau !... d’une façon plus subtile et plus profonde… la voix des enfants invoquant et entendant l’appel à une raison nouvelle dans une précise et musicale illumination – « on t’en prie » ?... Et que dire de cette périphrase, sonnant presque comme une voltairienne antiphrase, semblant si commodément traduire « Bonheur » : « être heureux » ? Que dire en effet de cet être ? M. H. ne serait-il pas un précieux voire un incontournable guide à notre méditation, à notre cheminement (car la pensée est une affaire physique : marcher, laisser aux sens le temps de bondir dans la pensée) ? – Ah non, pas encore ! Un peu de conscience morale que diable, un peu de décence ; ON vous en prie : pas de H. ici ! – … L’automne ne se précipite pas sur le cœur qui exige la branche avec son ombre – Quoi ? Que dites-vous ?... ON a cru entendre… entendre une autre voix… Impossible. – 11 septembre 1966. (Coup d’œil furtif alentour, air perdu, douteur. Puis l’affairement reprend.) J’aimerais toutefois, et aussi indécemment que possible, faire remarquer que cette formulation dite « classique », autrement dit métaphysique, et principiellement métaphysique ! – à l’instar de nombreux sujets philosophiques, pour ne pas dire tous –, trahit d’emblée… quoi ? une impasse ? – plus encore qu’une impasse puisque celle-ci est le battement mat de la tradition métaphysique inaugurée par Platon dans ses splendides (et d’une précision, d’une virtuosité même, rhétorique et poétique toujours saisissantes) dialogues aporétiques – un IMPENSÉ fondamental et initial parcourant en filigrane l’ensemble de la philosophie occidentale. Raison pour laquelle les corrections du sujet proposées se révèlent à la fois fascinantes et éclairantes. Fascinantes, quant à l’obstination d’un aveuglement, d’une surdité au carré ; éclairantes, quant au sujet même de cet emmurement : le sens de l’être. Comme si, au fond, il n’y avait pas à questionner cet état de FAIT ; et que l’être, notion bien acquise, joliment assise, apparemment indigne de question (inquestionable, dirait A. R.) – s’était subito éclipsé dans l’éblouissant et plein soleil métaphysique. Que nous révèle encore cet « être heureux »1, qui, de toute évidence, doit en passer par l’être ?... Faisons donc tourner l’anneau de Cucufa vers cet étrange bijou afin qu’il nous dévoile le cœur de ses intrigues. Tendons oreille : « le trait fondamental de la pensée métaphysique, autrement dit, traditionnelle s’est figé dans un SYSTÈME DE PRÉDICATION…» (Mais la recta-métaphysique s’en défend, voudrait faire taire cette voix aussi délétère que délatrice… En vain, le bijou se sent à son aise et poursuit.) «… ce que le ON entend par pensée est exposé et transmis dans une doctrine qui porte le titre de LOGIQUE. Cette dénomination signifie : « énoncer quelque chose de quelque chose ». Dans ce contexte, énoncer ne veut pas dire « prononcer par la parole », mais EXPOSITION de quelque chose comme quelque chose, FIXATION de quelque chose comme quelque chose. » Tirons conséquences de ces confidences. Le suprême péril, au sein duquel l’humain arraisonné2 à des fins commerciales, financières, scientifiques, dont la plus précieuse substance est INSTRUMENTALISÉE, provient moins d’un sujet toiseur prédicateur surpuissant, posant et disposant la réalité comme objet, que de son passif corrélat : un « sujet » (faux, d’où les guillemets) fantoche et asservi ; courbant avec un plaisir pour le moins suspect l’échine, roulant sans encombre dans la seule, et partant, bonne ornière – alors qu’il y en aurait mille autres, rapides tel un défilé de féeries – ; et appliquant par réflexe pré- et re-conditionné cette égalité de droit et de fait : Etre heureux = Bonheur. Deux remarques, essentielles, concernant cette égalité. Avant tout, celle-ci est le signe devenu INSIGNIFIANT d’une évaluation, qui, en tant que telle, vient confirmer l’absence de questionnement quant au sens 3de l'être. Attribuer, ou plutôt prédiquer à l’être une VALEUR : « heureux » – comme si la réalité n’était plus qu’un espace unidimensionnel sur lequel s’alternent platement et sempiternellement des égalités aprioristiquement données4 –, est tout autant l’expression directe de la pensée calculante, que l’itération de la préférence métaphysique concédée à la visibilité – soit le début du règne de l’étant en Occident, sachant que le terme « Occident » ne dit finalement pas autre chose que ce règne : ce qui est, est forcément visible dans la limite de l'apparence, de l'aspect que l'idea attribue à chaque étant. Préférence se faisant au détriment de l’être, étant donné que ce dernier n’est plus qu’un élément permettant de distinguer deux notions métaphysiques indélogeables : essencia et existentia. Entre parenthèses, les penseurs qui se sont frottés à cette distinction et aventurés dans les noirs confins d'une tradition – Spinoza, Hegel, notamment ; Nietzsche, douloureusement, car il y trouve quelque chose de bien plus inouï. Soutenant alors, en l’écrivant, le déchirement, et ne sombrant dans la folie que pour mieux inaugurer ce geste grandiose d’accomplissement : fermer l’histoire de la métaphysique exigeait en effet qu’il s’y laisse enfermer5… En ce sens, la folie de Nietzsche n'a rien d' une folie ordinaire ; elle est celle d'une histoire plus que millénaire, d'une humanité oxydée. Sentait-il d'ailleurs ce fatum lorsqu’il affirmait : « Celui qui a conçu ce qui est grand doit aussi le vivre. » –, subodoraient déjà le nœud métaphysique. Car il ne s’agit pas de trouver un au-delà, une limite, mais de tordre les barreaux d'un ciel occidental, de dynamiter le Système de l’intérieur. En vérité, il n’est possible d' atteindre le point nodal : nerf intime de la métaphysique, qu’en en faisant soi-même, nouvellement et intimement, l’expérience délirante (et seul ce délire sauve de la folie humaine ; trop humaine), en commençant par les horizons où l’autre s’est affaissé. Nietzsche, encore et à ce propos, confie ceci : « Telle est mon expérience ; et je ne doute pas qu’il ne faille remonter à des millions d’années en arrière, pour trouver quelqu’un qui ait le droit de dire : « C’est aussi la mienne. » Grands, très grands penseurs que ceux-là ; mais penseurs éminemment métaphysiques ! Et pour cause… En domaine métaphysique, nous sommes encore. En territoire métaphysique au sein duquel tout est vu, pensé, analysé, depuis le prisme de l'étant qui, à force de frottements et de polissements, finit par devenir hyperdéformant – Nous sommes encore ! D’autre part et logiquement, cette égalité est garantie par un sujet d’ensemblisation et d’indistinction : ON. Et c’est précisément ici que la psychose métaphysique atteint son plus haut degré de sophistication. Impossible en effet d’arguer un quelconque refoulement, une possible forclusion, puisque le ON est censé tout com-prendre. Le ON demeure dans la moyenne de ce qui est conforme, convenable ; de ce qui mérite l’assentiment. Ce souci de la moyenne SURVEILLE tout ce qui aurait tendance à FAIRE EXCEPTION, tout en mettant insidieusement en avant l’originalité, la particularité, le pittoresque, l’anticonformisme ou encore, plus trash, plus moderne : la marginalité. Or l’exception est tout autre : elle n’est ni visible, ni spectaculaire, ni divertissante. Une fois encore, la métaphore épicurienne et matérialiste du CLINAMEN exprime parfaitement ce surgissement : les exceptions : grains de poussière insignifiants au demeurant, atomes libres et folâtres dont l’écart vient contredire la pluie monocorde et régulière de la matière. Le ON, quant à lui, prêche le nivellement, l’équivalence des possibilités d’être – c’est-à-dire : l’impossibilité d’être. S’incorporant, pour mieux EXPROPRIER les corps de leur LIEUDIT, le ON s’exprimera comme SOCIÉTÉ. Dès lors, il suffira que cette dernière prescrive les représentations et valeurs non plus comme conditions de possibilité mais comme impératifs catégoriques – qu’il faut entendre ici, de manière ensembliste, comme le DISPOSITIF MÉCANIQUE de mise en ordre –, tout en prenant soin de laisser aux amnésiques aphasiques les illusions classicomiques : libertruc, égalimachin, fraterbidule... INCIPIT COMEDIA « — … et ils ne seraient pas distincts s’ils n’étaient pas inégaux. »… —Quoi ?... ON a cru entendre… Hum… Hum… Oui, ON disait donc : si le Bonheur, cette idée neuve en Europe, devient ce que tout le monde désire, chantons donc à l’unisson et appliquons, citoyens camarades consommateurs spectateurs, sans plus tarder, les directives données. Commençons tout d’abord par émonder le paysage trop de vert et nuancé ramages… «— Et pourquoi y a-t-il dans ce fait tout simple de tracer des mots sur une page, et d’accompagner ces mots, et de devenir un peu ces mots jusqu’à commencer à parler du milieu des mots, et d’être dans les mots le rythme qui détruit ces mots, et de remonter ce rythme en pensant son sens comme rythme – pourquoi y a-t-il là (et là seulement, j’en suis de plus en plus persuadé), le lieu de la grande subversion, du grand scandale - quelque chose comme l’origine de toutes les subversions, de tous les scandales ?... Comme une perle blanche sur un front blanc… Par toi s’ouvrent d’eux-mêmes tous les trésors du Verbe ; tout Etre veut devenir Verbe, tout Devenir veut apprendre de toi à parler… Ma parole vient d’ailleurs, même lorsqu’elle parle du monde. Voilà pourquoi on l’entend si peu. On voit de même très mal celui qui la porte ; car il ne ressemble pas. C’est dommage, parce que l’existence d’un irrégulier interroge celle de ses contemporains… C’est alors que le génie prend sa lampe et l’allume, et que l’oiseau solitaire, sauvage, inapprivoisable, brun et triste de plumage, ouvre son gosier, commence son chant, fait retentir le bocage et rompt mélodieusement le silence et les ténèbres de la nuit… Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent, en ces instants décisifs où l’éclair d’une illumination splendide traverse la totalité du monde… »-— Hum ! Hum !... ON n’entend rien. — La libre expression des talents individuels qui peuvent s’exprimer en même temps que les autres, voilà une véritable démocratie. Trio, quartet, quintet… Musique. Le chant à l’unisson est toujours le signe de la tyrannie. (Ici les ressemblants aux autres, volontairement serviles, se regardent dubitativement, un instant ; mais la monophonie reprend). — ‘faut impérativement égaliser l’affaire, uniformiser, étroniformiser, l’ensemble. Prenez, coupez tout ce qui ose dépasser la mesure… Allez, coupez ! Coupez encore !... Etêtez, écrêtez ! Faites tomber têtes apostasiées dans puants paniers d’osier… (Devoir accompli, liberté chérie! Affairement braqué, ventres mous, yeux exorbités, têtes molles, bouches immenses et arrogantes – voilà, ils ne sont plus que bouches… Tableau : corps cireux et cendre sur fond rubescent.) – ON finira bien par le balancer ce foutu mot « égalité », à tout prix ; à toute vie ! Un petit épisode de rien du tout la Terreur, anecdotique, cas isolé, jamais répété… d’ailleurs, « Terreur », comme c’est exagéré ! Juste quelques têtes plantées sur aiguisés piquets ; juste quelques corps marqués, parqués, embarbelés, gazés, empilés. Juste… Oh la jolie mascarade ! Thermidor, matador ; C’EST LA MORT ICI QU’ON ADORE ! (mais alors ces mots s’éclairant comme les facettes d’un rubis dans le cri : « Ni regrets, ni démence désormais. La mort sanctifiée à leur manière. Ce n’était pas la mienne. Certes, il est d’autres rives… La mort est notre Salut, mais pas celle-ci… Mort, où est ta victoire ? », tandis que la déclame assassine reprend.) — Regardez, citoyencamaradeconsommateurs (pris dans le CERCLE DE L’USURE) ce que le ON vous offre en contrepartie… (Chuchotements, persiflages, puis balancement du ssssslogan.)« Principe de Liberté contre Principe de Bonheur». (Le Bonheur se fait fatalité. L’imposture s’affuble ici du masque de la tragédie. Mais le masque est bien trop grimaçant ; dès les premiers mots, il sonne faux.) INCIPIT IMPOSTURA (Revenu du bout de la nuit, l'écrivain flaire immédiatement l'embrouille). « — La grande prétention au bonheur, voilà l’énorme imposture !... Le moindre obstrué trou du cul ; se voit Jupiter dans la glace. Voilà le grand miracle moderne. Une fatuité gigantesque, comique. L’envie tient la planète ne rage, en tétanos, en surfusion… » — Comment ? Tu ne trouves toujours pas le Bonheur ?... Cherche donc la cause de cette incapacité ! Quoi ? Qui ? Il y a forcément un ennemi à étriper ! «— t’es victime du système ! Je vais te réformer l’Univers ! T’occupe pas de ta nature ! T’es tout en or ! Je vais te nommer Empereur ! Veux-tu ? Je vais te nommer Pape et Bon Dieu ! Tout ça ensemble ! Boum ! Ça y est ! Photographie !... Et à nous les balivernes ! A notre renfort tous les supposés cataclysmes ! Les ennemis rocambolesques ! Il faut occuper les tréteaux ! Qu’on réforme pas les coalitions farouches ! Les complots charognissimes ! Les procès apocalyptiques ! Faut retrouver du Démon ! Le même à toute extrémité ! Le bouc de tous les malheurs… ». (Le ON ne saisissant l’ironie surenchérit.) — Haro sur le maudit, celui qui te rend bileux et malade… Pouah ! Mauvais goût, dégoût, rancœur, aigreur… Ah çà, le Bonheur c’est pas donné, c’est comme tout, ça a un coût ! Et pourtant, il y a là quelques autres, si peu nombreux, infimes à vrai dire – mais là quand même !, qui (et de quel droit je vous prie ?) semblent avoir trouvé quelque trésor sans prix… ‘faut juste s’empresser de régler le compte à ces émancipés, ces renégats affichés… S’empresser de réparer l’injustice, l’inégalité… Pourquoi rit-il, pourquoi sourit-elle, sans maudire ? Ils ne respectent en rien les règles prescrites. ON est certain ; a vérifié, contrôlé, évalué, examiné. Bah, laissons-les dire, ON instillera par les porches de leurs oreilles la létale distillation... Un fin libertin ripostera placidement, avec sourire (et quel sourire !) : « Tout est paradis dans cet enfer ! ».
L. Sereni 1. Autre remarque, toute aussi indécente, je le crains. Il n’est pas question que le sujet, dans sa formulation, laisse le choix au féminin, « être heureux ou heureuse ». Bien que le sujet semble se compromette d’entrée de jeu en donnant une vision collective, et uniquement collective du Bonheur ; il faut néanmoins souligner que ce ne serait pas la première fois, de manière symptomatique, que l’on trouverait au côté de l’être cet autre grand refoulé de la philosophie occidentale : la substance féminine. Dit autrement : la féminité en tant que possibilité d’être. Mais, entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de défendre la froide et dominante position matriarcale qui, aujourd’hui, se manifeste par une navrante et confondante niaiserie sentimentale et sexuelle – nouveau masque de l'hystérie. 2. Arraisonnement. La matière première « homme » au bénéfice de la production technique de la possibilité de tout fabriquer. 3. Jean Beaufret : " La question du sens de l'être n’est pas tant celle du sens que peut avoir le mot être, que l’acquisition d’un sens, comme on dirait un sixième sens, ou comme le dit Hölderlin : "le roi Œdipe a un œil de trop, peut-être..." 4. La notion de synonyme est ici écartée dans la mesure où la synonymie tisse des liens entre sensations de degrés divers , et que le mot, traduisant ces sensations, n’est pas encore étêté dans sa présence comme il peut l’être dans une simple égalité qui ne serait plus que le résultat acquis, définitivement, d’un mouvement dont on oublie, systématiquement, le déploiement. 5. Mais nous laissant comme un bout de tissu effiloché et coincé dans l'embrasure d'une porte, et qu'il suffirait de tirer pour qu'un fil vienne à nous guider dans ce labyrinthe. Cette possibilité que laisse Nietzsche est la Volonté de puissance, non pas seulement en tant que Volonté, mais aussi et surtout en tant que "Éternel Retour du Même." Heidegger saisira ce fil, d'où "Être et Temps".
#Prédication#être#Bonheur#exceptions#clinamen#imposture#comédie#Jean Beaufret#F. Nietzsche#A.Rimbaud#métaphysique#kazimir malevich#Karl Marx#Albert Camus
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“J'ai appris à jouer sur le piano maternel, rescapé de nos années « bourgeoises ». Adolescente, je suis admise au conservatoire quand, en 1968, ordre est donné d’expédier tous les élèves des écoles d’art en rééducation. Je vais passer cinq ans à creuser des canaux avec des pelles et à transporter des excréments. Seule la musique m’a permis de rester humaine.” — Zhu Xia-Mei En 2010, dans une émission radiophonique française, elle évoque ce qui la sauva : emprisonnée dans un camp, elle oublie peu à peu la musique classique. Jugées contraire aux idéaux de la Révolution culturelle, des milliers de partitions seront ainsi brûlées… Mais un beau jour, quoique très malade, elle décide de jouer sur un petit accordéon traînant là – improbable survivant –, le Concerto de Mozart 2ème mouvement. Impossible de jouer, déclare-t-elle. Autre tentative, avec la deuxième étude de Chopin cette fois : même incapacité, même impossibilité. C'est l'inquiétante amnésie, le grand bond, oui, mais dans la nuit… La frustration est à son comble, dit-elle, jusqu'à ce jour, terriblement glacial, où, pour réchauffer ses mains engourdies par le froid, elle décide de jouer sur un piano rescapé quelques notes du Clavier Bien Tempéré… —"Bach m'a sauvée !“ Rares et surtout clandestines, les partitions circulant à l'intérieur du camp étaient soigneusement recopiées. Ce travail de copiste permettait, ajoute-t-elle, de comprendre la prodigieuse écriture de Bach, de visualiser la sonorité vibrante des contrapuntiques, bondissantes virevoltantes étourdissantes, compositions. Ainsi, sous couvert de chansons et de mélodies populaires (bon nombre de gardiens, précise-t-elle, laissaient passer), la musique de Bach résonnait dans le camp et prodiguait sa "non-violence” au cœur même de l'enfer. Bach est un peu chinois, n'est-ce pas ? La poésie chinoise et Bach ? Indissociables, selon cette sensible interprète esquivant habilement les écueils habituels : romantisme et sentimentalisme. L.S.
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PROPOSITION XXXIX, V.

Gilles, à part, en soi. — Me voici seul… bon… je vais rester à cette distance-là... vais pas trop m’approcher pour le moment… c’est suffisant. D’ici je distingue la finesse de ses traits, son sourire rieur et enfantin, le jeu de lumière et d’ombres, les volumes… Ah çà, cette très légère et charmante inclination… Il semble que je veuille suivre l'enfant dans son mouvement… frêle un peu, je suis, appuyé sur ma frêne canne… la hanche, surtout, est douloureuse. Les pieds sentent la froideur de la pierre… J’entends le brouhaha, les pas des passants pressés de ne rien voir… Comme c’est étrange… pour en avoir tant parlé, pour l’avoir tant lu et étudié… J’y pense bien chaque fois que je porte ce manteau, mais là, c’est différent… c’est encore autr’chose… c’est plus fort, plus prégnant… J’expérimente, voyez… Oui, c’est ça… Je sens et j’expérimente que je suis éternel, ici et maintenant… Il m’en aura fallu du temps… J’étais dans le savoir sans la sensation… ah, cette fichue manie de la séparation... si occidentale... Juste ce jour où l’on me shoote dans le dos comme pour m’abattre… oui… le tir photographique peut être fatal. Mais allez-y, tirez !... Trois points sur une ligne invisible, question d’équidistance, d’espace et donc de temps… Moi, au centre, traversé de part en part… C’est le monde qui soudain me transperce et vient à moi… Ne pas devenir vieux, misérable et lent dans un coin du monde… Bon… Restons attentifs : sentons et expérimentons que nous sommes éternels… D’où parlé-je au juste ? Suis-je déjà mort au sens où je me suis dépris, dépossédé même, au cours de mon existence, de toutes ces choses extrinsèques qui n’étaient, nécessairement, qu’une valeur ajoutée, un enrobage, si vous voulez… autrement dit, une partie provisoire qui ne participe déjà plus de ce que je suis de toute éternité ?... Car je crois… oui… je crois avoir fait au fond ce qui m’importait vraiment, essentiellement... En cela la mort n’emportera qu’une partie dérisoire de ce Corps se tenant là, et que l’on shoote à l’instant de son intime et silencieuse bénédiction… J’expérimente… et je sens, simultanément, l’irréductibilité de cet être que je suis de toute éternité… L’existence actuelle du Corps ? Qu’est-ce, sinon un moment... du reste nécessaire... manifestation... oui, on pourrait dire ça comme ça : manifestation de la présence de mon essence, et possibilité de son devenir... Et l’essence du Corps, alors ?... On ne peut pas séparer l'essence de l'existence... non, vraiment...'peut pas... Nous sentons que notre Esprit enveloppe l’essence du Corps sous l’aspect de l’éternité… 'dit des choses comme ça, Spinoza... Proposition 29, p. 5 : « Tout ce que l’Esprit comprend sous l’aspect de l’éternité, il le comprend, non de ce qu’il conçoit l’existence présente actuelle du Corps, mais de ce qu’il conçoit l’essence du Corps sous l’aspect de l’éternité. » Ou bien, Proposition 23 p.5 : « L’Esprit humain ne peut pas être absolument détruit en même temps que le Corps ; mais il en reste quelque chose qui est éternel. » Bon… Reste à parler de cette subsistance... d'en écrire le récit... la fiction vivante... Allez-y… Tirez !... Je vais rester encore un instant… éternellement…
L.S.
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