Le jour du froment - L'avant Kaamelott d'Alexandre Astier
Pour les plus grands fans d'Alexandre Astier d'entre vous (votre shérif en fait bien évidement parti), peut-être êtes-vous passés à côté d'une pépite rare, la dernière pièce de théâtre du bonhomme avant qu'il ne se lance dans l'épopée Kaamelott. Intitulée "Le jour du froment", elle rassemble une brochette de talentueux acteurs qui ont également joué des seconds rôles dans la série à succès. Thibault Roux, Aurélien Portehaut, Lan Truong et Loic Varraut font partie de cette distribution de choix.
Les lyonnais ont eu la chance de savourer cette pièce durant l'hiver 2002, mais elle a ensuite sombré dans l'oubli, comme nombre des travaux pré-Kaamelott d'Astier. Cependant, quelques fans attentifs ont eu le privilège de la voir diffusée sur France 4 lors des premiers mois de la série. Votre loyal shérif a mis la main dessus et c'est avec plaisir que je vous propose de la (re)découvrir.
Je vous laisse pour finir avec le pitch officiel de la pièce:
Un attentat au gaz s'est déroulé dans le métro et le commissariat le plus proche est débordé: le capitaine, dépressif, anorexique et mal secondé, ne parvient pas à faire face à l'afflux de plaignants... Il faut dire qu'il est très mal entouré, entre sa femme retrouvée après dix mois de divorce, son abruti de lieutenant, son commissaire gueulard et vieillissant, un proxénète trafiquant et un jeune stagiaire plus doué pour les crêpes que pour les enquêtes de police.
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34 - "L'espace vide"
Je me devais de commencer par une référence à cet ouvrage de Peter Brook, L’Espace vide, car une partie de mes réflexions est liée à son titre. Je vais y ajouter cette citation : « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé. »
Donc avec peu, même un acte simple devient éloquent. Un rien peut déjà exciter l’imagination du public car au milieu du vide, chaque chose qui apparaît prend de la valeur, un geste devient important, un regard devient essentiel, un seul mot devient une histoire.
Au milieu du vide, oui, mais pas dans une patinoire remplie d’idées et d’individus !
En réalité, je profite des réflexions de Brook sur la magie de créer du théâtre à partir de rien pour mettre les pieds dans le plat sur la question de nos entrées excessives sur scène. Pour que cette magie opère il faut de l'espace et du temps. Dans le match d'improvisation, les scènes durent en moyenne 3 ou 4 minutes pour 12 personnes qui doivent déjà gérer leurs peurs, leurs envies, leur névrose, leur besoin de reconnaissance ou simplement leur envie débordante de s'amuser... et parfois il y a un équilibre qui se fait tout seul : certains rentrent plus, et d'autres moins. On arrive tout de même à une moyenne de 6 ou 7 comédiens par scène pour un spectacle qu'on a estimé bon, et on ne compte même pas combien de fois ils sont intervenus pendant les scènes. Ça fait une personne qui rentre toute les 30" à peu près.
J'ai beaucoup de mal à me dire que ce qu'on propose est vraiment bon quand le temps d'échange avec le partenaire (s'il y en a un) n'atteint pas la minute.
On a pourtant plein de bonnes raisons de venir faire une proposition sur scène. Prenons quelques exemples de présences ou d'entrées en jeu :
Les leads
Les scènes à plusieurs (d'entrée de jeu - en comparée par exemple)
Les entrées pour apporter une info ou une précision
Les propositions sonores
Les propositions visuelles
Les entrées courtes, longues ou récurrentes
Les nouveaux personnages
Notez que je ne m'intéresse pas ici à la qualité ou à la pertinence des entrées en scène, mais plutôt à l'impact de ces entrées sur la dynamique d'une scène, puis sur celle du match. Je parlais plus haut du besoin de temps et d'espace pour les leads. Les autres comédiens devraient en théorie être à l’affût de ce qui se dit et de ce qui se fait pour pouvoir nourrir la scène. La durée du passage ne change rien au fait qu’on a besoin de temps pour jouer la proposition et aussi de profiter des changements qu'elle a pu apporter. De fait, quand vous entrez en jeu, vous laissez moins le temps à d'autres - et notamment aux leads, de le faire dans de bonnes conditions, c'est-à-dire de profiter de ce qui est proposé, dans une scène qui respire un minimum. On voit assez régulièrement les propositions s'enchaîner pendant que les leads traitent les informations sans pouvoir faire exister leurs personnages, leurs réactions et leurs relations.
Il faut voir dans quel état est l'improvisateur sur le bord de la patinoire aussi : est-il conscient que la scène pourrait avoir besoin de soutien ou d'enrichissement, ou est-il en train de se demander comment entrer pour faire quelque chose ? Si je force le trait : sommes nous disponibles et désireux de faire briller la scène et nos partenaires ou attendons nous seulement le moment de prendre la lumière ? Il y a une citation qui dit que le problème est qu'on n'écoute pas pour comprendre, mais pour répondre. Il n'est alors pas étonnant d'observer ce comportement sur scène, mais il faut en prendre conscience pour pouvoir tendre vers une écoute de qualité.
Je me permets quelques lignes sur la mixte, qui est une belle synthèse de ce qu'est l'improvisation dans sa forme la plus pure... et la plus basique : à la fois un total abandon de soi dans la proposition de l'autre, mais aussi un désir d'offrir une proposition qui nous fasse sincèrement plaisir. Offrir son univers, et s'abandonner sans retenue dans celui de l'autre - évidemment aller jouer à fond la proposition de l’autre n’implique pas de lâcher la nôtre ni d’arriver « vide »…
Et on n'a pas besoin de 30" avant de jouer avec l'autre... pour autant, on peut aussi laisser à l'autre le loisir de prendre ce temps-là (il faut arrêter de se jeter systématiquement sur l’autre d’entrée de jeu, sauf si c’est un vrai choix plutôt qu’un mauvais réflexe).
L'improvisation, c'est un saut dans le vide, pas une méthode pour jouer avec soi-même dans sa zone de confort. La technique, l'expérience et l'entrainement sont censés renforcer le lien avec ce vide et avec l'autre. MAIS, c'est aussi une manière d'affirmer son univers... nous ne sommes pas à un paradoxe près; pour autant, s'il fallait trancher, je dirais que cet art se trouve entre nous et "l'autre", quel qu'il soit. Ni entièrement centré sur soi-même, ni entièrement centré sur l'autre.
Mais soyons honnêtes, les gens sont plus souvent auto-centrés qu'ils ne font preuve d'un immense altruisme en jeu. Je vais quand même ajouter : "charité bien ordonnée commence par soi-même", car avant de se plaindre de quelqu'un, il vaut mieux d'abord bien regarder comment on gère ses propres entrées.
Quid des premiers arrivés sur scène ?
Bien entendu il est facile de taper sur ceux qui rentrent trop rapidement, mais il y a aussi de bonnes intentions dans ces entrées. Une des raisons les plus communes : on a parfois la sensation que la scène s'enlise, traîne en longueur ou que les leads ne savent pas quoi jouer. Faisons déjà l'effort de nous souvenir qu'une minute... eh bien... c'est court en réalité. La scène avait-elle réellement besoin qu'on entre rapidement ou avons nous simplement été impatient ? A force d'entraînement, nos cerveaux vont plus vite, les idées fusent, les réflexes sont affûtés, mais notre capacité à attendre s'en trouve également affaiblie. Comme dit Selena Hernandez : « pensez vite, jouez lentement ». Prenez le temps de jouer vos idées, personne n'a envie de venir couper votre élan si vous êtes en train de développer clairement quelque chose. Elle posait également la question : « la scène a-t-elle besoin de vous ?
Non - Alors n’y entrez pas, ce n’est pas nécessaire.
Oui - Alors n’y allez pas, vous y ajouteriez de la confusion.
Apprenons à retenir les chevaux, en somme…
Ajoutons à cela la peur du "retard de jeu". A mon sens, se dépêcher d'ajouter une information ou une action pour fuir cette faute est aussi dommageable que d'étirer une action ou un échange vide de sens.
"Oui mais il y a aussi des débuts de scène éééééclatés et on fait bien d'essayer de sauver ses camarades et le public (oui... hein ?!)"... mais on a probablement cette sensation qu'il FAUT intervenir un peu trop souvent. En réalité il y a matière à réfléchir dans cette citation totalement fictive.
Les leads ont une responsabilité importante : ils posent les premières pierres de ce que sera la scène, dans sa couleur, ses promesses et ses possibles. Ils ont le pouvoir, en quelques secondes, de faire exister un lieu, des personnages, des caractères, et personnalités, des relations, du background (par l'état des personnages ou par des informations), du contexte, des enjeux et de la mise en scène. Se tenir debout à mi-distance et échanger des informations n'est pas suffisant. On a besoin, la plupart du temps, d'ouvrir nos imaginaires et d'offrir des prises de jeu à nos partenaires. Les silences ne peuvent pas être vides, mais les échanges de paroles non plus. Il faut qu'on puisse s'imaginer quelque chose de plus que ce qui se dit ou ce qui se voit. Et si tout est clair, et bien il faut qu'on puisse profiter et de ce qui se joue. Une belle scène n'a pas nécessairement besoin de surprise, si elle est jouée avec intention et présence. C'est déjà captivant pour le spectateur de s'imaginer ce qui traverse un personnage. S'il est bien campé, il ne peut pas se retrouver à court d’idées en quelques minutes et encore moins en quelques secondes - et bien campé implique qu'on trouve à jouer à travers son personnage et son point de vue, mais également qu'il offre aux autres de quoi jouer. Si vous avez un personnage très marqué et que vous êtes si raide que c'est systématiquement à l'autre de s'adapter à vous, peut-être que votre personnage n'est pas très bon puisqu'il vous enferme au lieu de vous ouvrir.
Mais concrètement, comment poser quelque chose de suffisamment complet pour que l’on n'ai pas besoin d’entrer ? La question n’est pas simple mais je crois que si l’on n'a pas la sensation que les leads tissent quelque chose qui évolue, on va plus facilement s’autoriser à entrer. Dans le doute, affairez vous à dessiner votre personnage et celui de votre partenaire : qui êtes-vous ? Quelle est votre relation avec l’autre ? Que partagez vous ensemble ? Utilisez des anecdotes et de l’écoute active pour créer du lien. Si l’on ne connaît pas vos personnages, on se moque de ce qui peut leur arriver ensuite !
Il y a des scènes qui ont besoin de gens, de passages, de rythme et de simplicité. Il y a des scènes absurdes où tout va vite et ou les incompréhensions peuvent être jouissives à vivre et à voir. Mais quand on a un spectacle qui offre de la diversité de thèmes et de styles, et l'embarras du choix pour le nombre de comédiens sur scène, je crois qu'on devrait en profiter un maximum pour créer de la variété dans ce qu'on propose, au lieu d'avoir un enchaînement de scènes quasi identiques en rythme et en couleur. Changer de catégorie n'est pas suffisant non plus, si on joue tout dans la même énergie.
Enfin, moi aussi j'aime entrer en jeu... j'ai envie d’entrer tout le temps, mais je ne le fais pas à outrance : non pas par sacrifice, mais parce que je veux être cohérent avec ma vision de cette variété. C'est une réflexion que je me suis faite il y a des années alors que j'avais moi-même pris une remarque sur mon excès de propositions ! On a tous une responsabilité par rapport à ce que va être le spectacle, et même s'il peut y avoir des gestes ou des mots brillants qui sauvent une scène, personne ne peut sauver un spectacle tout seul. On doit le rendre bon ensemble, c'est ça la magie de l'impro, et c'est aussi ce qui le rend fragile et difficile. J'essaye de ne pas oublier que monter sur scène est quelque chose de précieux, qu'on a de la chance de pouvoir le faire pour s'amuser devant un public et avec nos partenaires.
Faisons en sorte que l'espace de jeu ne soit plus vide, mais rempli de possibles grâce à nos connexions visibles et invisibles.
Remember... Less is More !
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