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Voie de garage, une bande dessinée de Sophie Adriansen et Arnaud Nebbache
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©Dargaud pour toutes les images de la bande dessinée
Paulin est élevé par ses grands-parents. Comme beaucoup d’enfants, il est passionné par les véhicules et plus particulièrement par les trolleybus. Il vit à Lausanne, ville bâtie sur trois collines et dont les transports publics sont assurés par des trolleybus. Quand il joue dans sa chambre, il reproduit la ville sur le sol avec les moyens du bord: des blocs de bois, des livres, du fil. Il y fait circuler ses petites voitures et son bus. Aux immeubles, il fixe des lignes électriques. Ce sont à ses lignes que les perches des bus trouvent l’électricité nécessaire à leur fonctionnement.
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Parfois, passant à une autre dimension, Paulin organise un bus imaginaire: il aligne des chaises et se construit un poste de conducteur. Il distribue des tickets aux passagers et conduit son bus. Paulin joue jusqu’au moment où sa grand-mère l’appelle pour le repas. Un jour, il récupère dans la rue un chariot de courses, une « charrette pour faire les commis », qu’il bricole. Il passe également du temps à dessiner en contre-plongée le réseau de lignes électriques des trolleybus. Sa grand-mère le poussant à jouer dehors, il y transporte son matériel…
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En grandissant, alors que la plupart des enfants se désintéressent des véhicules, Paulin est de ceux qui s’orientent vers un métier qui les y rattache, mais peine perdue: à l’école, il ne brille pas, hormis en récitation et en géométrie. Devenu adolescent, il rêve de devenir conducteur de bus, mais, incapable de passer son permis de conduire, il continue à faire circuler son bus imaginaire; sa grand-mère fait avec. Il est placé sous curatelle et mis au bénéfice de l’assurance invalidité. La visite du dépôt des Transports Lausannois est un des plus beaux jours de sa vie; il en repart avec un vrai volant et une casquette de conducteur.
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Ainsi va la vie de Paulin qui, désormais, conduit chaque jour son bus dans les rues de la ville. D’un simple chariot de courses, il est passé à un engin plus sophistiqué, avec boutons, manettes et, bien évidemment, perches. Les passants sont habitués à le voir sillonner les trottoirs, agrémentant ses déplacements de dialogues avec ses passagers, ses collègues et de bruits caractéristiques et fort bien imités de sa machine. Les enfants de son quartier l’adorent. Il aimerait avoir une copine, mais les filles sont, dit-il, méchantes avec lui. Alors, il a une poupée.
A la suite d’un reportage filmé, Paulin se retrouve sous les projecteurs. Ses véhicules et ses dessins sont exposés à la Collection de l’Art Brut. Certains Lausannois, que ce « feignant » exaspère, réagissent et se plaignent. Décision est prise de l’interner à l’hôpital psychiatrique. Agressif quand on l’attaque, Paulin serait une menace pour la société et pour lui-même. Le directeur de la Collection de l’Art Brut alerte les médias. La presse se déchaîne. Un avocat se présente à Paulin pour prendre sa défense bénévolement. Des Lausannois manifestent. Paulin restera enfermé plus d’une dizaine de jours et ne pourra quitter l’hôpital qu’après s’être engagé à ne plus « faire le bus » dans les rues.
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Les auteurs se sont passionnés pour un personnage qui a réellement existé et que les Lausannois de plus de cinquante ans ont bien connu. Ils ont relaté à peu près fidèlement son histoire, en changeant toutefois son nom. Martial Richoz, dit l’Homme-bus, faisait en effet partie du paysage local et son histoire, qui est devenue en 1986 « l’affaire Martial », et qui a largement dépassé les frontières de la ville, à la faveur d’une importante couverture médiatique. Pour autant, les journalistes n’ont jamais réussi à obtenir des réponses à leurs questions des protagonistes institutionnels qui avaient fait interner Martial et qui se retranchaient derrière le secret de fonction. Si conflit il y eut, c’est entre Michel Thévoz, directeur de la Collection de l’Art Brut, adepte des théories de l’antipsychiatrie, et Christian Müller, médecin-directeur de l’hôpital psychiatrique de Cery. Ou encore entre ce dernier et le Dr Barthold Bierens de Haan contre qui Christian Müller intenta même un procès.
Sophie Adriansen s'étant prise d'affection pour Paulin, son personnage, le gratifie d'une fin ouverte. Elle a su tirer un enseignement de cette histoire qui pose quantité de questions: l’acceptation de la différence, la liberté et la nécessité de s’exprimer, l’imaginaire, la frontière entre pathologie et normalité, la prise en charge psychiatrique. Dans ses dialogues, elle restitue avec soin la parole et les mots de Martial, souvent émaillés de particularités du vocabulaire local. (Cela me rappelle que, indépendamment du patois, il était courant à Lausanne d’entendre les expressions suivantes: « Il finira à Bochuz » pour « Il finira en prison »; « Un jour, on le trouvera en bas du pont Bessières » pour « Il se suicidera »; « Il est bon pour Cery » pour « Il est bon pour l’hôpital psychiatrique »; « On va te mettre à Eben Hezer avec les toc-toc »… On dira que c’est aussi une manière d’habiter une ville !)
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Arnaud Nebbache a réalisé ses dessins à l'ordinateur en s'inspirant de la technique du pochoir qu'il rehausse de traits au crayon de couleur et dont il a une maîtrise époustouflante. Ainsi s'explique le sentiment d'intemporalité qui s'en dégage. Aussi bien, l’histoire pourrait se dérouler aujourd’hui et pose la question de la place - pour ne pas dire la « non-place » - dans la société et dans l’espace public des personnes atteintes de troubles et de déficiences mentaux. Je vis dans un quartier où est implantée la Fondation Eben-Hezer qui accueille des gens souffrant d’une déficience intellectuelle. Il y a quelques années, on croisait les résidents dans le quartier et dans ses commerces. Ils y mettaient un peu de désordre, d’animation, c’est selon. Ils donnaient au quartier, le temps de leur visite, une apparence de village et ils posaient la question de la réappropriation de l’espace public. Aujourd’hui, on ne les voit plus, ils ne sont plus libres, ou peu, de leurs mouvements. En choisissant comme décor les montagnes plutôt que l’ouverture sur le lac, Arnaud Nebbache nous signifie l’enfermement. Un enferment physique autant que mental. Pour rappel, la ville de Lausanne était, à l’époque, plus rigoriste. Au début des années 1980, une partie de la jeunesse lausannoise exprimait, avec le mouvement « Lôzane bouge », sa révolte contre la course au profit et contre une société qui ne leur accordait que peu de place. Ce mouvement était également agissant dans d’autres villes. Martial, incapable de s’intégrer à un groupe, en l’occurrence à « Lôzane bouge », et ne s’y reconnaissant sans doute pas, n’en éprouvait pas moins un mal-être qu’il a résolu d’une manière originale.
Si l’on cherche à comprendre la raison des mouvements de solidarité en faveur des Paulin, des Martial, ainsi que la nostalgie qui nous prend à l’idée de l’idiot du village, cette bande dessinée pourra nous apporter la réponse. Force est de constater que ces personnages atypiques, qu’on ne connaît finalement pas personnellement, nous apportent une bouffée d’oxygène. A leur manière, ils font ce que nous n’osons faire: se révolter contre certaines normes sociales.
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Comme en témoignent avec finesse, dans la bande dessinée, les dialogues et l’utilisation géniale et en survol de la chanson « Qui s’est celui-là » de Pierre Vassiliu, Martial, qui n’avait pas sa langue dans sa poche, analysait son besoin de jouer l’Homme-bus avec beaucoup de clairvoyance. Car il s’agissait bien d’un jeu, néanmoins nécessaire pour qu’il se sente bien et sorte de la dépression dont, disait-il, il souffrait. Etait-il dépressif ou légèrement schizophrène? Peut-être aujourd’hui serait-il diagnostiqué comme doué d’un Haut Potentiel Intellectuel. Son histoire familiale n’était pas non plus rose malgré l’amour inconditionnel de sa grand-mère.
La bande dessinée de Sophie Adriansen et Arnaud Nebbache porte décidément bien son nom et ceux des chapitres qui la composent également. Paulin entrera « dans les clous ». Le secret médical demeurera, la justice de paix aura fait son travail. Demeurent beaucoup de questions dont celles, très actuelles, de la normalité et de la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiques.
Entretien avec Sophie Adriansen et Arnaud Nebbache
Quel est votre rapport à l’Art Brut?
Sophie Adriansen: J’ai rencontré l’Art Brut avec l’oeuvre fascinante et incomparable du Facteur Cheval. Plus récemment, j’ai découvert le travail textile de Judith Scott, et lu avec intérêt l’ouvrage de Pandolfo & Risbjerg, Enferme-moi si tu peux. Je crois que plus encore que les oeuvres en elles-mêmes, ce qui me touche dans l’Art Brut, ce sont les profils de leurs créateurs et les jugements à leur égard. Pourquoi faudrait-il disposer d’une culture artistique pour créer? Les oeuvres produites après un discours académique sont-elles nécessairement plus valables? Ces questions sont passionnantes.
Arnaud Nebbache: Comme de nombreux dessinateurs, je suis sensible à l’Art Brut. Je suis admiratif d’une pratique artistique ou créative décomplexée, intuitive et spontanée là où le métier nous oriente plutôt vers le labeur, où le contexte éditorial et le format BD nous demandent des intentions précises et nous empêchent de réellement libérer nos réponses.
Comment avez-vous eu connaissance de l’histoire de Martial Richoz?
S.A.: J’ai découvert Martial Richoz et son histoire au travers du seule en scène de Marie Baxerres, Martial l’homme bus, que j’ai vu en 2018. J’ai été touchée en plein coeur par ce personnage. Il se trouve que je porte une affection particulière aux transports urbains et aux individus qui y travaillent ; mon premier livre publié a été le témoignage d’un conducteur de métro parisien. Le personnage de Martial Richoz avait tout pour me plaire.
A.N. : J’ai découvert l’histoire de Martial Richoz à la lecture du scénario de Sophie. Le personnage créé dans ce récit m’a beaucoup touché. La solitude de Paulin en premier puis le personnage de Mémé, dévouée, attentionnée, ouverte, compréhensive et pourtant bien plus seule encore.
Connaissez-vous la ville de Lausanne ? Vous êtes-vous documentés en dehors de ce que vous indiquez dans votre bibliographie ? Et sur la ville et ses particularités linguistiques ?
S.A. : Je ne connais pas bien la ville de Lausanne, mais j’ai en France quelques amis suisses qui m’ont aidée quant au vocabulaire pour cet album. Cette histoire aurait sans doute pu se dérouler ailleurs, mais je trouvais intéressant de souligner les particularités locales qui en font la singularité, sinon le charme.
A.N. : Les décors sont inspirés de la ville Lausanne (où je ne suis jamais allé), mais l’important était surtout que l’histoire soit située dans une ville entourée de montagnes. Je me suis appuyé sur l’idée que Paulin soit enfermé dans cette géographie, mais également sur le fait qu’il puisse apercevoir la nature immense de l’intérieur de la ville (impossible dans les villes en plaine). Dans ce contexte, la neige également est un vocabulaire important dans une image, pour insister sur le silence, le temps long…
Pourquoi avoir choisi de changer les noms, voire la physionomie de certains personnages ?
S.A. : Je n’ai malheureusement pas rencontré Martial Richoz, ni les personnes qui l’ont connu. Surtout, je ne souhaitais pas écrire de documentaire sur la personne elle-même, mais bien construire une histoire à partir d’une base réelle, sans faire mystère de celle-ci. Je voulais notamment camper le personnage dans l’enfance, pour que le lecteur ait le temps de faire sa connaissance avant qu’advienne «l’affaire». Lui donner un autre nom, comme à l’ensemble des protagonistes, me permet d’afficher cette licence artistique.
A.N. : Il me semble important que cette histoire puisse être celle de beaucoup de gens sensibles, entiers et passionnés. J’ai trouvé que l’histoire écrite par Sophie parlait de façon plus générale à ceux qui peuvent être mis en marge, pas seulement celle de Martial Richoz.
J’ai imaginé le physique de Paulin avant de me renseigner sur celui de Martial Richoz, je voulais un personnage trop grand, à l’étroit dans le monde qui l’entoure.
Sophie, a-t-il été compliqué de trouver un épilogue, voire à quel moment terminer votre histoire?
S.A. : Je trouvais important de faire apparaître Martial Richoz d’une manière ou d’une autre dans l’ouvrage. J’ai donc choisi de lui laisser le mot de la fin, et décidé que ses propos accompagneraient le choix du personnage de rester enfermé, mais avec la possibilité de jouer, plutôt que d’accéder à une liberté dépourvue de trolleybus… et de sens.
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Sans titre, entre 1980 et 1984 Sculpture, assemblage en bois de récupération et installation électrique 146.3 x 65 x 87.5 cm ©Collection de l'Art Brut, Lausanne
Martial vu par Michel Thévoz
Martial et le syndrome vaudois
J’ai fait la connaissance de Martial dans les circonstances suivantes : dans les années 1980, je montais la rue du Pré-du-Marché, très passante, qui mène au musée de l’Art Brut, quand j’entends derrière moi le bruit caractéristique des portes de trolleybus qui se ferment et d’un démarrage. Je saute sur le trottoir, je me dis dans un second temps que cette rue n’est pourtant pas desservie par les transports publics, je me retourne, et je vois Martial avec son simulacre de bus qui réussissait à reproduire à s’y méprendre avec la bouche le bruit du système à air comprimé d’ouverture des portes et de la propulsion électrique. J’ai engagé la conversation, ensuite nous avons pris épisodiquement le café dans une boulangerie avoisinant le musée ; de fil en aiguille, j’en suis venu à acquérir deux bus (il en avait des dizaines) ainsi que des dessins pour la Collection de l’Art Brut. Cela revenait à attribuer une valeur artistique à une prestation tenue pour extravagante ou pathologique. Aujourd’hui encore, on ne trouvera pas un Lausannois âgé qui ne se souvienne de Martial et dont le visage ne s’éclaire quand on évoque son cas. Il est remarquable qu’on ait fini par consacrer des livres, des films et des émissions TV à cet individu qu’un juge de paix (et non un psychiatre, il faut le préciser) avait fait interner au motif qu’il était atteint de dérangement mental et qu’il troublait l’ordre public.
Dans un premier temps, encore dans l’ambiance de Mai 68, j’avais salué la prestation de Martial comme une manifestation libertaire et comme un désencadrement de l’art. Je l’avais associée au coup d’éclat du Living Theater à Genève, qui avait été frappé d’interdiction pour être « descendu dans la rue » et avoir ainsi troublé l’ordre public (il est significatif que le juge de paix ait admis « libéralement » que Martial continue à faire l’homme-bus, mais chez lui, pas dans la rue !). Deux décennies plus tard, dans un commentaire de l’exposition Véhicules à la Collection de l’Art Brut, j’écrivais ceci : « Gonflé d’importance, Martial avait visiblement le sentiment de maîtriser le symbole même du pouvoir, de l’ordre et du service publics au milieu de cette espèce de basse-cour que constitue la ville piétonnière. Il admonestait les passants pour les rappeler à la discipline et les exhorter à suivre aussi rigoureusement que lui la ligne qui leur était assignée, sous peine de déraillement. Bref, à l’inverse du « tramway nommé désir », son trolleybus nommé devoir illustrait un principe d’ordonnancement du monde et de la vie sociale. Outre ces bus bricolés qu’il a malheureusement fini par détruire, Martial a représenté la trame des fils électriques de trolleybus qui se découpent sur le ciel comme un réseau à la fois directionnel et carcéral. » J’allais jusqu’à faire la relation avec le Parti des automobilistes, qui, à l’époque, préconisait un alignement de l’organisation sociale sur le règlement de la circulation et sur le traitement informatique du trafic.
Martial prédicateur allumé et réactionnaire, ou artiste de rue soixante-huitard ? C’est à nous d’en décider, décision lourde de conséquences, puisqu’elle revient soit à condamner Martial à la détention psychiatrique, soit à lui ouvrir l’accès au seul mass media digne de ce nom : la rue (notons que la question n’est pas nouvelle : qui donc était paranoïaque, Jean-Jacques Rousseau ou ceux qui lui lançaient des pierres, fallait-il le lire ou le lapider ?). Encore que, opter entre l’art et la folie, c’est déférer à une alternative simpliste et comminatoire. On ne saurait verser purement et simplement Martial dans la catégorie des artistes, comme s’il avait donné la représentation moliéresque d’une névrose collective. Il l’a fait en enfant plus qu’en comédien, et, par le fait, il nous met au défi d’inventer un accueil particulier à sa prestation, qui ne correspond à aucun standard de représentation théâtrale.
Je qualifierais volontiers Martial d’attardé, s’il était possible d’exonérer ce terme de sa connotation péjorative et de lui restituer sa richesse potentielle – prendre acte, en l’occurrence, des ressources expressives d’un individu qui ne s’est pas laissé exiler de l’eldorado des premières années. Martial était resté enfant, on l’a dit et redit – ainsi s’expliquait l’amitié que lui portaient les gamins et gamines du quartier, qui le lavait du soupçon ignominieux de pédophilie. Pour autant, il en avait la conscience lucide, s’exprimant à ce sujet avec une clarté d’élocution qui ne pouvait être le fait que d’un adulte. Enfant et/ou adulte ? On doit reconnaître que cette ambivalence, peut-être persistante chez certains individus, Martial l’a cultivée et théâtralisée pour le divertissement ou l’édification des passants, mais au grand dam d’un juge de paix répressif et d’une poétesse mielleuse (voir l’émission de Temps Présent).
Essayons de débrouiller les choses. « L’enfance sait ce qu’elle veut : elle veut sortir de l’enfance », disait Jean Cocteau. L’enfant, effectivement, veut faire comme les adultes, il essaie de saisir et d’intérioriser les oppositions fondamentales. Dans les histoires qu’on lui raconte, il veut savoir qui est le bon et qui est le méchant ; il fait des bêtises pour qu’on lui trace des limites ; au parc il reproduit à la craie le marquage au sol de la circulation et les sens interdits ; bref, il fait des efforts considérables pour s’initier au code social. L’adulte réagit en sens inverse, mais avec une marge de choix : il peut opter pour l’infantilisme obscurantiste qui le conduira au Parti des automobilistes ou à ses avatars actuels ; il peut opter, tout à l’opposé, pour « l’enfance retrouvée à volonté » des poètes – autrement dit, l’enfance comme ressource ou comme régression. On pense à la corde qui paraît retenir le cerf-volant alors qu’elle assure son envol : va-t-on s’identifier à la corde et à sa raideur contraignante, ou au cerf-volant et à ses évolutions jubilatoires ?
On doit convenir que Martial est resté branché sur ces lignes aériennes directionnelles, allégoriques aussi bien : il a érigé son véhicule et le réseau électrique en modèle éthique et social, comme un miroir grossissant de ce que j’ai appelé le « syndrome vaudois » : ce qui le rangerait dans la catégorie disciplinaire, à l’instar de la plupart de ses concitoyens. Sur le moment, les Lausannois riaient de lui comme d'un enfant attardé, ou ils en avaient un peu peur, comme d'un adulte dérangé. Mais je crois que, au-delà de ces réactions défensives, ils étaient fascinés par une prestation qui les initiait à leur propre aliénation. « Si un homme qui se croit un roi est fou, un roi qui se croit un roi ne l'est pas moins », disait Lacan ; pour autant, celui qui réussit à donner le spectacle de cette aliénation latente et généralisée, on peut dire que c’est un artiste. Martial jouait-il, en enfant ou en comédien ? Ou délirait-il ? Il fonctionnait au courant alternatif, comme ses trolleybus, il pressentait la portée de sa prestation, il la vivait comme une véritable représentation requérant des spectateurs. « Vous pensez bien que je ne me prenais pas réellement pour un conducteur de bus, je ne suis pas fou ! », a-t-il déclaré dans le feu d’une interview.
A tout bien considérer, le diagnostic, c’est lui qui le pose. Il faut revenir au postulat émis par Lévi-Strauss, Foucault, Deleuze, etc., que la présumée « maladie mentale » est prioritairement déterminée par l’attitude et les pratiques du milieu à son endroit, contrairement à ce qui serait une maladie organique. Aux yeux du juge de paix, Martial troublait l’ordre public et relevait de la psychiatrie; aux yeux des passants, il était ce qu’on appelait un « innocent » ; aux yeux des amateurs d’art et d’Art Brut en particulier, on pouvait assimiler ses prestations à des performances avant la lettre, dignes du musée ; dans une société « tribale », cette duplicité aurait été reçue comme une faculté exceptionnelle de plasticité mentale qui eût fait de Martial un shaman. Bref, il nous appartient de nous déterminer à cet égard, et de nous questionner sur notre propre cas.
La question rebondit après même son internement, lorsque, avec les meilleures intentions du monde, les Transports Publics Lausannois ont offert à Martial un trolleybus désaffecté, qu’ils ont installé sur parpaings dans un jardin public de la commune de Coinsins, et qui a été transféré deux ans plus tard dans le parc de l’Hôpital de Cery. On aurait pu penser de prime abord à un cadeau extraordinaire et réparateur, qui aurait indemnisé Martial de son internement. On pouvait penser, tout à l’inverse, à une reconduction symbolique de l’enfermement : on n’avait pas affaire un « vrai » trolleybus, faute d’être raccordé au réseau électrique et de rouler, et pas davantage à un jouet, puisqu’il ne se prêtait plus au bricolage mis en œuvre dans les caddies ; ce pseudo-trolleybus ou pseudo-jouet revenait à dépouiller l’objet de son caractère symbolique, ludique, pratique ou artistique, à postuler que Martial se prenait vraiment pour un conducteur de trolleybus, à prendre par conséquent l’option de la maladie, à enfermer Martial dans ce statut, à l’obliger, de surcroît, sociable qu’il était, à manifester de la reconnaissance. Cependant, Martial s’est montré une nouvelle fois inventif en faisant pour ainsi dire de nécessité vertu : il s’est accommodé de l’immobilisation du véhicule en l’investissant comme résidence secondaire, décorée et tapissée, dans laquelle il lui est même arrivé d’inviter une amie.
Le véritable coup de grâce « pathologique » lui a été asséné par la « thérapie » médicamenteuse, qui l’a fait grossir jusqu’à atteindre 185 kilos et l’a peut-être achevé. Encore une question qui nous est posée, celle du sort que nous réservons à ceux que nous étiquetons expéditivement comme « malades mentaux », une question que nous ne saurions aborder ici, mais qui trouve un développement remarquable dans l’ouvrage de Barthold Bierens de Hahn, "Chronique d’un voyage en psychiatrie". Michel Thévoz
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©Jean-Philippe Daulte (1984)
Martial Richoz est décédé le 29 juin 2024, à l'âge de 62 ans. Dans un article paru le 21 février 2025 dans la Tribune de Genève, le Dr Bierens de Haan dit la chose suivante: «Les psychiatres et leurs médicaments l’avaient transformé, à l’âge de soixante ans, en un nourrisson sumo totalement dépendant de la société. L’ordre public était sauf.» A suivre...
Bibliographie/Sources
Voie de garage, Sophie Adriansen, ill. Arnaud Nebbache, Dargaud, 2025
Enferme-moi si tu peux, Anne-Caroline Pandolfo, ill. Terkel Risbjerg, Casterman, 2019
Martial dit l'homme bus, Michel Etter, Videal Studio, 1983 (film disponible sur youtube)
Affaire Martial: bruits et solitude, André Gazut, Viviane Mermod-Gasser, Temps Présent, Télévision Suisse Romande, 1986 (reportage disponible sur youtube)
"Circulez!", in Véhicules, Collection de l'Art Brut, 5 Continents, 2013, p. 19-29
L'Homme-bus: une histoire des controverses psychiatriques (1960-1980), Cristina Ferreira, Ludovic Maugué, Sandrine Maulini, Georg, 2020
Chronique d'un voyage en psychiatrie, Barthold Bierens de Haan, Le Condottiere, 2024
Série "L'affaire Martial Richoz dit l'homme-bus". Episode 1/2: Un trolley nommé désir. Episode 2/2: Terminus, tout le monde descend, Radio France/France Culture, 2023
"Qui c'est celui-là?", [chanson de] Pierre Vassiliu, 1973
"Ma bonne étoile", [chanson de] Joe Dassin, 1969
Martial l'homme bus, spectacle de et avec Marie Baxerres
A noter: le projet d'un spectacle de rue Phil le conducteur (titre provisoire) monté et joué par Cédric Blacha et la Cie Take Care (2026)
Dessins réalisés par Martial Richoz entre 1970 et 1985
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©Collection de l’Art Brut, Lausanne
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L'Art Brut. Préface de "Lucien et les mystérieux phénomènes". Tome 5
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Qu’est-ce qu’une légende, qu’est-ce que l’Art Brut et qui sont ses auteurs ? C’est ce que tente d’expliquer en une page la préface de « L’Ogre oublié de Sainte Barbe », dernier tome de la série « Lucien et les mystérieux phénomènes ». Cette bande dessinée d’Alexis Horellou et Delphine Le Lac, publiée par Casterman, s’adresse aux enfants de 9 à 12 ans. Elle est complétée par un dossier thématique qui propose des idées créatives et des éléments documentaires. La série est très bonne et je me suis régalée à écrire la préface du tome 5. Un grand merci à Nathalie Van Campenhoudt, éditrice. Grâce à elle, j’ai pu conjuguer deux passions qui m’animent au quotidien : la littérature jeunesse et l’Art Brut.
La voici :
Une légende est une vieille histoire qui court et se transforme au gré de l'imagination de ceux qui la racontent. Elle part souvent de faits réels qui sont amplifiés et déformés jusqu'à devenir fantastiques. Dans cet épisode des aventures de Lucien, des villageois racontent qu'un ogre habitait la région et y rôderait encore. De la même manière, on se méfie souvent des gens qui sortent de la norme, qu'ils soient originaux ou qu'ils soient atteints de troubles mentaux. Les « fous » font peur. C'est à juste titre que les parents veulent protéger leurs enfants, mais les êtres différents ne sont pas forcément dangereux. L'Art brut est produit par des gens différents. On l'a parfois appelé « l'art des fous ». Il est à l'opposé de l'art officiel, institutionnel, qui est pratiqué par des gens qui ont une culture artistique: la plupart ont fait des études dans des écoles d'art où ils ont appris le dessin; ils ont baigné dans l'histoire de l'art et ont visité des musées. Les auteurs d'Art brut n'ont pas eu accès à tout cela. On dit qu'ils sont autodidactes, c'est-à-dire qu'ils ont appris par eux-mêmes et inventé leurs propres règles et systèmes; un peu comme les enfants quand ils commencent à dessiner et à bricoler. Ces artistes-là sont parfois nés avec des handicaps mentaux, par exemple la trisomie 21, ou souffrent de maladies psychiques. Parfois, celles-ci surviennent à la suite d'un traumatisme, un choc terrible. C'est le cas de Corentin dans cette histoire. D'autres ont vécu dans des endroits très isolés, dans la pauvreté, dans des lieux où la culture ne pénètre pas. En général, ils n'ont pas beaucoup fréquenté l'école. Pour Corentin, créer est une nécessité, une manière de soigner son mal. C'est un travailleur infatigable qui pourrait œuvrer jour et nuit, de façon obsessionnelle et répétitive. Le Facteur Cheval dont il est question dans cet album a existé à une époque où les facteurs faisaient leur tournée à pied et parcouraient des kilométres pour distribuer le courrier. En route, Joseph Ferdinand Cheval ramassait des cailloux. Après ses longues journées de travail, il se mettait à la construction de l'œuvre de sa vie : un palais idéal. Il lui a fallu trente-trois ans pour le réaliser. Puis, âgé de soixante-dix-sept ans, il a bâti son tombeau. Cela lui a pris huit ans. Pour notre plus grand bonheur, le Palais idéal du facteur Cheval a été conservé et restauré. Il faut savoir que beaucoup d'œuvres monumentales, de dessins. de broderies, de sculptures réalisés par des auteurs d'Art brut ont été et sont parfois encore détruits, uniquement parce qu'ils sont différents et dérangent. Comme ils ne sont pas produits par des artistes connus et intégrés dans la société, on ne leur attribue pas de valeur. Heureusement, les choses changent et les esprits s'ouvrent. On le doit principalement à un artiste français, Jean Dubuffet, qui s'est intéressé il y a presque cent ans à cet art singulier et l'a fait connaître.
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Lucien et les mystérieux phénomènes: L'Ogre oublié de Sainte Barbe, Alexis Horellou, ill. Delphine Le Lay, Casterman, 2024
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Le phare enchanté de Puisette et Fragile
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« Puisette et Fragile » se décline en deux versions : un spectacle de théâtre et un livre. L’album entre les mains, on ignore lequel du livre ou du spectacle a vu le jour en premier. Son traitement est surprenant et d’entrée, on se dit qu’il ferait un excellent spectacle, avec son décor facile à monter, ses deux personnages - pardon le pingouin de ne pas te compter - et de bons dialogues, même à sens unique. Enfin, les règles du théâtre classique sont quasiment respectées.
Renseignements pris, on apprend que l’album est tiré d’un spectacle dont le processus de création a été initié en 2016 et s’est achevé en 2018. Depuis, « Puisette et Fragile » n’en finit pas de tourner. L’album, publié en 2021, l’accompagne dans ses voyages. Il est remarqué par la presse spécialisée et gagne même un prix.
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Estelle Olivier et Laure Poudevigne sont à l’origine du spectacle et le jouent sur scène. Elles ont également écrit le texte de l’album. Les dessins ont été réalisés par l’illustrateur Samuel Ribeyron. Récemment, on a pu apprécier son album « A vendre » publié chez Hélium. Il a également à son actif des films d’animation.
Vivant dans un phare avec un pingouin, Puisette se croit la seule petite fille au monde. Chaque matin, elle a tout à organiser : refaire la mer, mettre quelques nuages dans le ciel, installer le soleil et les mouettes, gonfler les poissons et ne pas oublier de mettre à l’eau quelques bateaux. Ensuite seulement, elle s’accorde une pause café. Pingouin la suit partout autour du phare, en silence, parce que les pingouins ça ne parle pas, contrairement à Puisette qui, elle, est très bavarde. Peut-être que ça lui donne de l’énergie, car de l’énergie, il en faut pour que tout roule sur la petite île.
Un jour, la mer livre un colis que ni Puisette, ni Pingouin n’ont commandé. A leur grande surprise, une petite fille avec une valise en sort. Puisette se présente, mais l’autre ne répond pas. Peut-être est-elle muette. A l’étiquette « Fragile » collée sur le colis, Puisette en déduit que la nouvelle petite fille se prénomme Fragile.
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Fragile découvre avec plaisir ce nouvel environnement, mais elle est assez maladroite. Cela agace Puisette qui, avec le temps, a pris l’habitude que tout soit réglé comme du papier à musique. La cohabitation s’avère compliquée et Puisette congédie Fragile. Il y a aura bien entendu un retournement de situation et Puisette réalisera l’attachement qu’elle a pour celle qui, mine de rien, était en train de devenir sa petite amie bizarre et comblait sa solitude.
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Samuel Ribeyron a utilisé les papiers découpés pour réaliser les personnages et les objets de l’histoire, dans un style naïf et assez minimaliste qui s’accorde parfaitement à des phylactères. Les dialogues sont délicieux car Puisette concocte ses mots à elle, mais surtout la gamine est extrêmement touchante dans son monde à la fois très concret et imaginaire. Toujours vêtue d’un ciré jaune pétant, signe d’un optimisme à toute épreuve. Le lecteur passe du rire à l’émotion et se régale de cette apologie de l’amitié et de la tolérance.
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Quant au spectacle, les quelques teasers que l’on trouve sur la toile montrent de jeunes spectateurs happés par l’histoire quand ils ne rient pas aux éclats.
Bravo à Estelle Olivier Laure Poudevigne qui ont su adapter avec bonheur leur merveilleuse pièce en un album très réussi. Parole de critique, ce n’est pas si évident. Bravo également à Samuel Ribeyron qui a participé à cet exploit.
Puisette et Fragile (Album) Laure Poudevigne, Estelle Olivier, Samuel Ribeyron Seuil Jeunesse Dès 4-5 ans
Puisette et Fragile (Spectacle) Laure Poudevigne, Estelle Olivier, Samuel Ribeyron Dès 4 ans
Dimanche 22 septembre 2024, à 14h00 Maison Rousseau et littérature Genève
https://m-r-l.ch/evenement/jeunesse/puisette-fragile
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Bienvenue au Danemark, pays des contes et des sirènes
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Ode à la ville de Copenhague, à ses habitants et à l’enfance, la nouvelle bande dessinée de Pandolfo et Ribjerg démarre en fanfare au propre, au figuré et surtout dans un joli désordre! Selon un rituel immuable, la Garde Royale quitte le château de Rosenborg pour rejoindre Amalienborg à midi. Durant une demi-heure, elle défile à cheval, à pied et en musique dans les rues de la ville. Bloquée dans un taxi, Nana Miller, une touriste française fraîchement débarquée, tente de joindre son ado de fille restée à Paris. L’échange est compliqué. Nana a pris quelques jours de vacances sur un coup de tête, sans vraiment avertir sa fille. La musique, la gaieté et les embouteillages occasionnés par la relève de la garde n’arrangent pas les choses. Mais voilà que l’atmosphère change et se transforme en chaos total. Imaginez que le corps sans vie d’une sirène a été découvert du côté d’Amalienborg.
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Commence pour Nana un séjour qu’elle n’aurait jamais cru possible, même dans les livres! En arrivant à son hôtel, elle découvre des employés et des voyageurs en sidération devant le poste de télévision, puis les voilà qui quittent en hâte l’établissement sans dire un mot. Les Danois en émoi sont en passe de se calfeutrer pour plusieurs jours dans un silence pesant. Presque tous car Nana est rapidement prise en charge par le seul habitant de l’hôtel à l’année, Thyge - prononcez « Thüü » - un géant sonore et remuant qui parle un français un peu folklorique. Pour compléter le portrait, il est le maître d’un caniche rose qu’il a appelé « Nom d’un chien ». Les présentations faites, entrons dans le vif du sujet.
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Tant que l’énigme de la mort de la sirène n’est pas résolue, Nana ne peut pas rentrer chez elle. Afin d’accélérer les choses, elle et Thyge vont enquêter et suivre un premier indice : la jeune femme a remarqué à plusieurs reprises un individu louche traînant dans les parages…
Le scénario, émaillé d’avertissements au lecteur, et les dessins sont truffés d’humour. Voyez par exemple, dans les premières pages, cette famille de canards qui eux aussi défilent.
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Terkel Risbjerg excelle à représenter sa ville et les corps en mouvement. Les plans alternent au gré des atmosphères, tantôt inquiétantes ou, au contraire, gaies et folles lorsque nos deux casse-cou de héros et leurs amis sont en scène.
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Les dialogues sont un régal, surtout quand Thyge parle le français. La relation entre Nana et sa fille sonne très juste. L’histoire est rocambolesque et c’est ce qui fait son charme. Pandolfo et Risbjerg auraient eu tort de s’en priver dès lors qu’elle se déroule dans la patrie de Hans Christian Andersen, auteur de La Petite Sirène. Et qui dit contes, dit enfants : notre géant au grand coeur ayant conservé une part d’enfance en lui, il est d’une sincérité touchante quand il dialogue avec les gamins dans l’émission qu’il anime à la radio.
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C’est à croire que Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg se sont amusés à réaliser cette bande dessinée. Sachant la somme de travail que cela représente, au niveau du dessin du scénario et des textes, ce n’est sans doute qu’une impression. Toutefois, il est à relever que Terkel a bénéficié d’une bourse du Staten Kunstfond, le Conseil des arts du Danemark, bourse qui a permis au couple d’envisager leur travail différemment pendant un an. Les artistes vous le diront: la pression est grande et obtenir le soutien d’une institution permet de respirer et d’avoir l’esprit libre pour créer. On le ressent à la lecture de cette bande dessinée que l’on referme en applaudissant.
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Copenhague, Anne-Caroline Pandolfo, Terkel Risbjerg, Dargaud, 2024
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Les orphelins héros
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Voici quatre romans - deux pour adultes, deux pour enfants - qui ont pour héros des orphelins, parus en 2023. Vous verrez qu'ils sont rejoints, en 2024, par un autre...
Convoi pour Samarcande - Gouzel Iakhina
Au début des années 1920, une terrible famine se déclare en Russie. La région de la Volga est particulièrement touchée. En 1923, le gouvernement met en place un programme d’évacuation des enfants, la plupart orphelins, de Kazan, la capitale du Tatarstan, à Samarcande, ville du Turkestan, épargnée par les désastres de la révolution et de la guerre civile. Le voyage se poursuit sur quatre mille kilomètres à travers forêts, steppes et déserts. Deïev, un jeune officier de l’Armée rouge, se voit attribuer la responsabilité d’un train qui accueille à son bord pas moins de cinq cents enfants, tous très atteints dans leur santé physique et parfois mentale. Les accompagnent également la commissaire Blanche, l’infirmer Bourg, un chauffeur, des femmes chargées de s’occuper des enfants et, j’allais oublier, le lecteur pris dans ce périple souvent cauchemardesque dès les premières pages.
Les chapitres s’enchaînent tels les wagons du convoi. Le lecteur ne repose le livre que pour faire des pauses tant la situation est dramatique, mais il le reprend vite, attaché qu’il est aux personnages, aux enfants, incarnés, qui se sont donné mutuellement des surnoms; au gré de petites victoires, par exemple, quand il y a à manger. Mais ce n’est pas tout: même si ces gamins portent sur leurs corps et leurs visages les traces d’un vécu qui les fait ressembler à des petits vieux, ils conservent au fond d’eux des étincelles d’enfance, et les accompagnants en sont bouleversés. Les adultes ne sont pas en reste. On devine chez eux des blessures, en particulier chez Deïev qui, ayant pris part à la guerre civile, cherche à tout prix à expier ses horreurs, au risque de devenir fou. Mais quel héros magnifique, en particulier dans ses bras de fer contre les périls que sont la maladie, la famine, les conflits et dangers qui surgissent en route!
Gouzel Iakhina nous offre un des plus beaux romans parus en 2023 et dont on se souviendra longtemps. Son travail de documentation est à saluer. A la fin du livre, elle a pris soin de faire figurer un lexique avec les noms des enfants et leur signification. Elle les a inventés sur le modèle de sobriquets réels en se basant sur différentes sources. Son humanité leur donne une existence.
Le Verger de poires - Nana Ekvtimishvili
Autre lieu, autre époque. Nous sommes à Tbilissi, capitale de la Géorgie, au début des années 1990. Dans la proche banlieue, et plus particulièrement dans la rue de Kertch, nous faisons la connaissance de Lela, une jeune fille qui a été élevée à l’ « école des idiots ». Cette institution, héritée du passé soviétique, accueille des handicapés mentaux et des enfants orphelins. Agée de 18 ans, Lela y demeure encore - faisant partie des meubles - et y travaille. Elle protège comme elle peut les enfants, les pousse à étudier, malgré la médiocrité des cours, pour qu’ils puissent un jour tenter de voler de leurs propres ailes. Parmi eux, il y a Irakli, un garçon obnubilé par l’idée que sa mère vienne le chercher, ce qu’elle ne fera bien sûr jamais. Un jour, c’est l’effervescence dans l’internat: un couple d’Américains se présente qui cherche à adopter un enfant. Et si c’était Irakli ?
Le roman s’ouvre alors que Lela prend une douche dans le vieux bâtiment des bains. Sous le jet d’eau chaude, elle répète inlassablement : « Je vais tuer Vano… Il faut que je tue Vano. » Vano est le professeur des enfants dont il abuse, comme il a abusé de Lela. Et ce n’est pas le seul. Le ton est donné. Mais reprenons le récit. Voici justement Irakli qui vient chercher Lela. Dali, la surveillante, a besoin d’elle. Nous traversons la cour et découvrons par la même occasion le bâtiment et ses habitants. L’institution fait partie du quartier et sa vie y est imbriquée. Par exemple, les mariages se font dans le grand réfectoire. Les enfants y participent, de loin certes, mais ils assistent aux préparatifs, à la fête - une grande table est dressée pour eux un peu à l’écart. C’est l’occasion de se remplir la panse et de tout observer. Une bien maigre ouverture sur un monde où l’horizon se ferme, pour ses habitants comme pour les orphelins, au-delà de la rue de Kertch.
Malgré tout, Lela, comme d’autres, lutte pour que ses protégés en réchappent. Et une fois qu’elle aura tué Vano, elle partira elle aussi. Ce récit qui décrit bien l’atmosphère post-soviétique n’est pas dénué d’humour, voire d’une certaine naïveté, celle du regard de Lela, héroïne attachante à qui l’on souhaite, ainsi qu’à tous ces enfants grandis trop vite, un avenir un peu moins sombre.
Le Corbeau de nuit - Johan Rundberg
Place à des romans pour la jeunesse. Le premier se déroule à Stockholm en1880. Mika a 11 ans. Elle ignore tout de sa naissance et vit dans un orphelinat. Trop âgée pour aller à l’école, elle y travaille, quand elle ne sert pas à « La Chapelle », une taverne peu recommandable. A l’orphelinat, elle a un oeil sur les enfants qu’elle tente de protéger. C’est l’hiver, la nourriture manque et le froid est glacial. Des gamins des rues tentent régulièrement d’être admis dans l’établissement. En vain. Une nuit, un adolescent s’y présente. Mika lui ouvre la porte et se retrouve avec un paquet dans les bras qui contient un nouveau-né. Le jeune, terrorisé, confie à Mika que L’Ange noir est au courant de l’enlèvement du bébé. Puis, il s’enfuit.
Le lendemain, à la demande de la directrice, un agent de police se présente pour procéder à l'enregistrement du bébé et poser des questions à Mika sur les circonstances de l’abandon. Cette dernière décrit l’adolescent et mentionne l’Ange noir. Cela attise la curiosité d’un de ses collègues, l’inspecteur Valdemar Hoff, qui convoque à son tour Mika. Un crime a été commis la nuit où le bébé a été déposé à l'orphelinat. L’Ange noir en est-il l’auteur ? Le mode opératoire rappelle celui du Corbeau de nuit, un assassin en série qui a été exécuté quelques mois auparavant. Hoff ne met pas long à réaliser que la gamine est futée et ferait une excellente enquêtrice, habituée qu’elle est à tout observer afin d’échapper à de potentiels dangers. Le géant bourru aux méthodes peu conventionnelles et la fine mouche vont s’associer pour élucider une affaire de crimes en série, tous plus horribles les uns que les autres. Pour Mika, ce sera aussi l’occasion de tenter de percer le secret qui plane autour de ses origines; surtout quand elle découvre que, comme le bébé abandonné, elle portait à la naissance un bracelet de cuir orné de petites fleurs…
De ce roman, on aime tout: les personnages hauts en couleur et très attachants - dont le duo improbable de héros -, l’atmosphère sombre et glaciale, les descriptions des lieux, l’enquête palpitante, les moments de douceur entre Mika et le bébé. Le mystère autour de la naissance de Mika ne sera pas résolu, mais quelques indices sont avancés. Et comme, il s’agit d’une série, on a hâte d’en savoir plus et de participer à une nouvelle enquête.
Elisabeth sous les toits - Vincent Cuvellier
A l’âge de 10 ans, Elisabeth s’est enfuie de son orphelinat en Bretagne pour rejoindre Paris où elle pense mener une vie meilleure et obtenir des informations sur ses parents. Arrivée dans la capitale, deux clochards l’adoptent et la conduisent à l’immeuble de la rue Marbeuf où ses parents ont vécu et où elle s’installe dans la clandestinité, se cachant le jour et sortant la nuit. La capitale se répartit en plusieurs territoires: dont, à l’est, celui des apaches, voyous et truands en tout genre, et, côté Opéra, celui les riches. Voyous et bourgeois se côtoient à la Bastille où les Auvergnats ont ouvert des restaurants et des commerces de charbon. Rue de Lappe, les bals musette fleurissent et l’on danse la java. La gamine, qui n’a pas froid aux yeux, n’hésite pas à franchir la porte du Balajo où elle fait la connaissance de Blaise Cendrars qui la prend sous son aile et lui présente ses amis : Picasso, Foujita, Max Jacob, entre autres. Et même un « nègre » danseur de charleston.
On se prend d’amitié pour cette gamine débrouillarde et courageuse qui ne craint ni les Schmolls, petits êtres fantastiques et malfaisants dont son immeuble est envahi, ni les fantômes. Elle nous fait découvrir des personnages et des lieux emblématiques du Paris d’après-guerre et l’atmosphère des années folles. Vincent Cuvellier signe ce bon roman d’aventure lié à l’Histoire. A l’instar de ses personnages, son écriture est vivante, émaillée de mots d’argot, en particulier dans les dialogues. Guillaume Bianco, auteur des illustrations, livre une interprétation très convaincante des personnages.
A la fin du livre figure un bonus avec les paroles de la chanson « Les Goélands », un quizz sur les années 1920 à Paris et trois femmes qui ont fait bouger les Années folles: Coco Chanel, Joséphine Baker et Louise Brooks.
On pensait qu'Alexandre sur les flots serait la suite des aventures d'Elisabeth. Or, si l'on y croise la gamine, ce roman met en scène un autre orphelin, Alexandre, et se déroule à la même époque. Tout aussi réussi que le premier et toujours accompagné des chouettes illustrations de Guillaume Bianco, on y apprend l'origine des Schmolls et on plonge à nouveau dans l'Histoire - principalement la Russie. C'est passionnant. Vincent Cuvellier, pour ne pas perdre son lecteur, se permet même à l'occasion des chapitres où il s'adresse à ce dernier en aparté pour résumer la situation. C'est assez gonflé, drôle, mais bien utile. L'écriture est toujours aussi vivante et le ton de certaines phrases - cela n'engage que moi - m'ont rappelé la série "Emile". A la fin du roman, Elisabeth et Alexandre se retrouvent, font plus ample connaissance et nous laissent envisager qu'on les reverra car tout les lie.
Soie. Les Orphelins d'Argentan - Alice Brière-Haquet
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Quelques jours après la disparition de sa mère, morte en couches, Lise intègre l’orphelinat d’Argentan où les jeunes filles sont formées à l’art de la dentelle. Son père n’a plus donné signe de vie depuis de quelques mois malgré l’approche du terme de la naissance. Aventurier dans l’âme, se lançant dans des projets sensés apporter fortune à sa famille, mais dont l’échec est prévisible, il garde en temps normal le contact avec les siens au moyen de messages. Voici donc Lise séparée de ses frères, l’aîné comme le nourrisson.
A l’orphelinat, il se passe de drôles de choses. Dans des circonstances tenues secrètes, le petit frère de Lise est adopté par une mystérieuse comtesse que tout le monde craint. Au même moment, une commande est passée à l’atelier pour la confection d’une robe de mariée entièrement réalisée en dentelle. Lise, qui n’est pourtant que débutante, est choisie pour y travailler. Le fil que les ouvrières devront utiliser est d’une finesse extraordinaire, mais il est d’un gris terne. Drôle de couleur pour une robe de mariée. Lise va enquêter.
On se prend vite d’affection pour l’héroïne et l’amie qu’elle se fait à l’orphelinat. Bien ficelé, ce roman haletant se lit avec plaisir. Et on apprécie les informations sur la fabrication des toiles d’araignées et de la dentelle que l’on complètera en allant faire un tour sur internet !
Convoi pour Samarcande, Gouzel Iakhina, trad. Maud Mabillard, Noir sur Blanc, 2023
Le Verger de poires, Nana Ekvtimishvili, trad. Maïa Varsimashvili-Raphael et Isabelle Ribadeau Dumas, Noir sur Blanc, 2023
Le Corbeau de nuit, Johan Rundberg, trad. Marina Heide, Thierry Magnier, 2023
Elisabeth sous les toits, Vincent Cuvellier, ill. Guillaume Bianco, Little Urban, 2023
Soie. Les Orphelins d'Argentan, Alice Brière-Haquet, Rouergue, 2024
Alexandre sur les flots, Vincent Cuvellier, ill. Guillaume Bianco, Little Urban, 2024
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Anne Herbauts - parce que parce que parce que. Marion Canevascini - Notre frère
Dans un article de fond publié il y a presque dix ans et enrichi entre temps de nouveaux livres, il était question d'enfants porteurs d'un handicap mental. Anne Herbauts et Marion Canevascini en parlent également, du point de vue de la fratrie.
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On ne sait pas grand chose de la famille qui vit ici. Elle est suggérée par quelques objets, une tasse sur la table, des autocollants sur la fenêtre. C’est un chat qui nous mène, page après page, au gré de ses déambulations, même si parfois il s’en absente. De la maison au jardin; du jardin où poussent des herbes folles et des ronces à la maison, la narratrice, en voix off, utilise le même procédé que le chat pour raconter sa soeur.
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Des herbes folles, apprend-on, il en pousse justement dans sa tête. Et pas que. Il y a aussi « des branches en colère, un jardin en pente, très en pente ». Ainsi va le livre. Le lecteur ignore qui, du chat, de la narratrice, des illustrations, mène la danse. Les pages défilent, réchauffées par un jaune lumineux, entrecoupé de végétation, de chaises de jardin en plastique blanc, comme abandonnées, d’un treillis dont les mailles se défont.
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Dans les livres d’Anne Herbauts, la poésie jaillit de toutes parts, aussi bien du texte que du dessin. Elle prend des libertés dans les mots et les phrases; et dans son dessin, libre lui aussi de migrer d’un lieu à l’autre, elle passe d’un plan serré à un plan large, d’une double page presque vide et à une autre pleine. Dans cet album en particulier, les séquences se suivent qu’on pourrait presque déplacer. C’est à se demander si Anne n’est pas un peu chat.
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Comment expliquer le handicap mental ? « parce que parce que parce que », il n’y a pas à raisonner, rien à expliquer, mais juste à accepter, comme le fait la narratrice, les hauts et les bas, la force et la faiblesse, tout ce qu’on ne comprend pas.
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Marion vit dans une une famille « normale », avec son père, sa mère, son grand frère et sa petite soeur. Quand le frère se met à dire des choses étranges, les parents expliquent qu’il est malade, qu’il ne guérira pas complètement, mais que les médicaments l’aideront.
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Ce n’est pas contagieux et il ne faut pas avoir peur. Les fillettes sont témoins de ses hallucinations. A l’âge de dix-sept ans, un diagnostic est posé: la schizophrénie. Les soeurs se rapprochent de plus en plus, le frère s’isole. Leur enfance se déroule entre tristesse et moments heureux.
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Le jour où elles sont envoyées seules en vacances, la maladie s’éloigne et elles se sentent enfin grandes car malgré tout, c’est le frère qui a toujours été le grand. Quand il quitte la maison pour s’installer ailleurs, elles peuvent commencer à vivre leur propre vie dans une famille comme les autres et atteindre, elles aussi, l’âge de dix-sept ans.
Marion Canevascini a puisé dans ses souvenirs et ceux de sa soeur pour tenter de restituer leurs sensations et faire un bilan de leur enfance… à hauteur d’enfants. Elle relate également les tentatives des parents pour protéger leurs filles en les laissant le plus possible en dehors de leurs soucis. Elle cherche et trie afin de faire ressortir des bribes d’enfance normale, mais ce n’est vraiment qu’au départ du grand frère qu’elles peuvent se mettre à exister, riches du lien exceptionnel qui les unit.
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Après avoir relu ce court roman graphique paru en 2020, mon esprit a glissé vers les deux autres livres de Marion Canevascini, Sables mouvants (2022) et Masterkrep (2023). Il m’a semblé que ce travail sur l’enfance, à l’origine de Notre frère, a offert à l’auteure des clés qui lui ont permis de poursuivre sa voie. Sa sensibilité l’amène à s’exprimer dans des récits intimes et sincères qui conservent une forme de légèreté, parce que simples, à fleur de mots et de descriptions.
parce que parce que parce que / Anne Herbauts. Casterman, 2023 Notre frère / Marion Canevascini. Antipodes, 2020
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En voiture, s'il vous plaît
Les albums "Quel train incroyable!" et "Aller bon train" sont parus récemment. Mais on le sait : un train peut en cacher un autre!
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Léo et sa maman attendent sagement sur le quai l’arrivée de leur train. Ils ont un peu d’avance. Une annonce les avertit du passage d’un convoi qui ne s’arrête pas. Et effectivement, un beau train orange traverse la gare à toute allure. A son bord, on aperçoit une quantité d’oiseaux de toutes espèces et de toutes tailles. Le petit garçon en reste bouche bée.
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La maman n’a rien remarqué, elle cherchait quelque chose dans son sac. Voilà qu’un autre train arrive qui, cette fois, est rempli d’animaux terrestres. Le quai s’est rempli entre temps, mais Léo est toujours le seul à avoir remarqué l’étrangeté de la situation. Enfin, leur train arrive. Les passagers montent à bord, le voyage commence. Quelle n’est pas la surprise du garçon quand, en passant sur un pont, il découvre qu’en contrebas, tous les animaux sont réunis et prennent un bain.
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Léo n’a pas rêvé! il a juste la capacité de voir ce que d’autres ne voient plus. Mais d’ailleurs, le jeune lecteur lui aussi a été témoin du passage de ces étranges trains. Il a pu observer les animaux, voir voler deux plumes après le passage du premier train et déchiffrer les destinations inscrites sur les wagons. Et de s’immerger dans la double page qui se déplie à la taille du train et surtout du vaste plan d’eau où s’ébattent les animaux.
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Comment ne pas penser à l’incroyable Règlobus dans lequel prennent place toutes sortes d’animaux ? Ils sont conduits par une rainette au caractère bien trempé qui a concocté un règlement strict sur la façon de se conduire à bord, lequel règlement n’est de loin pas toujours suivi par ses passagers. Pour ce premier album, Pierre Alexis, a reçu en 2022 la Pépite du livre illustré du SLPJ en Seine-Saint-Denis.
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Une petite fille et sa mère partent en vacances en train. Le voyage sera long puisque, partant le matin, elles n’arriveront que le lendemain. Mais quelle excitation à cette idée ! Le récit commence la veille du départ avec les derniers préparatifs. En plus de son doudou, de son carnet et de ses crayons, la petite a choisi d’emporter un abécédaire à l’intention des voyageurs. Et puis nous, car nous faisons partie de ce périple tout au long duquel nous voyagerons en immersion à travers le regard émerveillé de la gamine. Nous l’observerons, elle et sa maman, mais aussi les passagers, leurs activités, l’intérieur du train, les paysages qui défilent, les arrêts dans les gares. L’album est documenté, copieux. Que ce soit aux niveau des illustrations ou du texte, il prend son temps, à hauteur de ce long trajet.
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En filigrane sous les images, un autre récit prend place en résonance, constitué des aphorismes contenus dans l’abécédaire. Sous forme d’un rail sans fin qui traverse le livre, il amène de la poésie et un peu de magie grâce à des dessins libres, griffonnés par Cati Baur.
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L’album suivant a été présenté dans Le Temps du 20 mai 2023
Demain, à l’aube, nous partons en voyage. Nous verrons le soleil se lever, la ville disparaître. Les décors défileront. A un moment donné, brièvement, nous apercevrons la mer. Il faudra encore attendre qu’elle apparaisse dans toute sa grandeur. Et là, nous serons arrivés. Jusque-là, il te faut dormir. Un adulte décrit à un enfant leur voyage à venir, ce qu’ils verront par la fenêtre, une fois assis dans le train qui les mènera au bord de la mer. Mais pour l’instant, ils sont dans la chambre à coucher et ça, le lecteur ne le sait pas, qui les suit au fil des pages dans les décors qu’ils imaginent, et n’entend que le dialogue entre les deux protagonistes, sans les voir. Les paysages qu’ils décrivent sont parfois ponctués de détails qui rappellent le contenu d’une chambre d’enfant : ici, des briques de construction, là un ourson en peluche. En regardant de plus près, on découvre que la lune et les montagnes ont un visage. Entre rêve et réalité, l’album se clôt en silence dans la chambre où l’enfant est endormi dans son lit. A ses pieds, un train en bois ; près de la porte, une valise avec son ours en peluche, chaussé de lunettes à soleil, prêt à partir. La lune, aussi, a fermé les yeux ; les livres – tous en lien avec le voyage – sont bien rangés dans la bibliothèque.
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Simon sur les rails ? Oui, au sens propre ! Le lapin ayant terminé son travail à l’usine de marteaux, il se rend à la gare pour prendre le train de nuit qui le mènera chez son grand frère où il va passer le week-end. Mais le train est annulé. Alors Simon court, il court le long des rails qu’il quitte ensuite pour prendre un raccourci qui le fait escalader une montagne. Enfin, le village et la gare apparaissent. Simon arrivera-t-il à temps ? Car voilà que le train surgit. En 2012, tout nous surprenait avec cet album : la thématique, le rythme, les cadrages, les couleurs en aplats, le choix des paysages dans lesquels ce lapin blanc semblait tout petit, mais bien courageux. Ce n’était que le début, Adrien Albert n’a cessé depuis de nous surprendre.
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Et d’ailleurs, il nous mène en train dans un autre album paru en 2015 : Train fantôme.
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Nous avions fait la connaissance de la petite Chouchou, de sa maman et de sa mamie Georges dans Chantier Chouchou Debout, une histoire ébouriffante où les girls ont le power. Il est d’ailleurs amusant de noter que la mamie a un prénom d’homme.
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Dans ChocoTrain, paru en 2024, Chouchou a son anniversaire. Mamie Georges est invitée, mais doit venir déguisée à la fête et amener des chocotrains - les meilleurs gâteaux du monde - que l’on ne peut acheter que dans les trains. L’album démarre au quart de tour avec une mamie Georges, toujours de noir vêtue et le chignon bien fait, qui court, court, saute dans le train, ouf ! Après avoir repris quelques forces, elle enfile son déguisement de clown et se dirige vers le wagon restaurant. Quelle n’est pas sa surprise de découvrir les employés ligotés, alors qu’un babouin vert, grimpé sur le comptoir, dérobe tous les ChocoTrains. Cela ne va pas se passer ainsi! Une lutte s’ensuit à travers les wagons qui se poursuit sur le toit du train, puis dans les airs.
Adrien Albert maîtrise le sujet tant on se croirait dans un train à grande vitesse. Une vitesse, d'ailleurs, qu'il utilise pour donner l'élan à son histoire, tout aussi déjantée que les précédentes. Et ce n'est qu'à l'arrivée que mamie Georges pourra s'installer dans un transat, pour autant que les enfants invités à la fête la laissent se reposer. Sans dévoiler le fin mot de l'histoire, on relèvera juste que mémé Lucie, l'autre grand-mère de Chouchou, était également invitée... Voici une petite fille qui peut compter sur ses grands-mères !
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De mémoire, car je ne le possède pas, que vous dire de cet album paru en 2012, sinon qu’il m’avait marquée ? Alors voici ce que dit La Joie de lire de Ligne 135 :
« Dans ce livre, inspiré d’un voyage au Japon, le lecteur suit le parcours d’une ligne de monorail du coeur d’une mégapole jusqu’à la campagne. À l’intérieur du train, une petite fille que sa maman vient de quitter sur le quai et qui va rendre visite à sa grand-mère. Les paysages se succèdent, et les pensées de la fillette défilent à leur rythme : quartier des affaires, quartier populaire, banlieue industrielle, no man’s land, forêt… Un livre sur le temps, son appréhension, mais aussi une critique en douceur et par petites touches de notre monde moderne, un monde qui va vite, trop vite peut-être, engendrant inégalités et pollution… Entre paysages réels et allégoriques, dessinés au rotring par Albertine, en noir et blanc, avec juste une touche de couleur pour le monorail, ce livre est une sorte de mélodie philosophique. »
Et Brigitte Andrieux dans La Revue des Livres pour Enfants : « Pourquoi vouloir faire le tour du monde quand il est déjà si difficile de faire le tour de soi-même ? La petite fille ne comprend pas toujours très bien ce que lui disent sa mère et sa grand-mère mais elle est bien décidée à leur prouver, une fois grande, qu'il est possible de réaliser ses rêves. Un minutieux dessin au trait en noir et blanc d'où ressort le beau train (un monorail) en couleurs nous emmène avec ravissement sur ce chemin des possibles, de la ville à la campagne. Une ode au voyage et à la vie. Un texte juste et concis, à la première personne, un format à l'italienne parfaitement adapté au propos, beaucoup de détails à voir dans l'illustration et une formidable invitation à prendre le temps de savourer l'instant présent et à mordre la vie à pleines dents… ça fait du bien ! »
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Autant on peut hésiter à faire une croisière sur un paquebot géant, autant on prendrait un billet pour voyager dans le train d’Hubert Poirot-Bourdain! Ils ont en de la chance ces deux enfants d’y embarquer. Curieux, ils vont parcourir la rame et s’arrêter dans chaque wagon. Imaginez qu’on y trouve un aquarium, une galerie d’art avec, accrochés aux cimaises, des portraits de personnalités (y figurent, entre autres, Babar, Gaston, un maximonstre de Toni Ungerer et le Bon Gros Géant de Quentin Blake), une piscine, un jardin botanique, une bibliothèque, un cinéma, une cuisine, des couchettes et j’en passe. Arrivés en bout du train, nos deux espiègles s’asseyent sagement. Mais serions-nous à destination car voici la gare ? Heureusement, il faudra bien rentrer et reprendre le train.
L’utilisation du leporello se prête particulièrement bien à cette histoire. En carton et sans texte, il offre, une fois déplié, une vue en coupe sur l’intérieur du train du dernier wagon à la locomotive. Empreint d’humour et à l’aspect un peu enfantin, on apprécie l’utilisation d’un trait noir jeté et rapide et de belles couleurs en aplats.
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On citera encore :
Un Train passe, de Donald Crews. Paru pour la première fois en 1981, ce cartonné sans texte aux couleurs arc-en-ciel est un classique toujours édité.
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Le Train des souris où, pour décider ses sept petits à aller à l'école, Maman Souris a une idée formidable: elle invente une voie ferrée qui passe sous un tunnel. Tous les matins, elle se met sur les rails et fait la locomotive. Ses sept enfants et tous les amis s'accrochent à elle, comme des wagons. Là encore un classique, ce d’autant plus qu’on trouve la Famille Souris dans dix albums.
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Boréal-Express. Il y a longtemps, une nuit, la nuit de Noël, un train s'arrête dans la rue devant la fenêtre d'un petit garçon. Invité à y monter, celui-ci y retrouve quantité d'autres enfants vêtus de pyjamas ou de chemises de nuit. Commence alors un voyage fantastique à travers bois, sur des montagnes enneigées, jusqu'au Pôle Nord, le pays du… Père Noël ! Rêve ou réalité?
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Enfin, rendons hommage aux A.T.I. (Les Ateliers du Texte et de l’Image), à Liège, qui abritent le fonds Michel Defourny, et à Brigitte Van den Bosche, sa responsable. Ils ont monté, en 2022, la belle exposition Trains en jeux.
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Ce dernier article, écrit également par Michel Defourny, est paru dans le numéro 26 (janvier-février 2022) de la revue Lectures Cultures
Bibliographie:
Quel train incroyable!, Tomoko Ohmura, L’Ecole des loisirs, 2023 - Dès 3 ans Règlobus, Pierre Alexis, La Partie, 2022 - Dès 3-4 ans Aller bon train, Pauline Delabroy-Allard, ill. Cati Baur, Thierry Magnier, 2023 - Dès 5 ans Notre Voyage, Romain Bernard, La Partie, 2023 - Dès 4 ans Simon sur les rails, Adrien Albert, L’Ecole des loisirs, 2012 - Dès 3 ans Train Fantôme, Adrien Albert, L’Ecole des loisirs, 2015 - Dès 3 ans Chocotrain, Adrien Albert, L’Ecole des loisirs, 2024 - Dès 3 ans Ligne 135, Germano Zullo, ill. Albertine Zullo, La Joie de lire, 2012 - Dès 6 ans Le Train, Hubert Poirot-Bourdain, La Joie de lire, 2022 - Dès 3 ans Un train passe, Donald Crews, L’Ecole des loisirs, 0-3 ans Le Train des Souris, Haruo Yamashita, ill. Kazuo Iwamura, L’Ecole des loisirs, 1986 - Dès 3 ans Boréal-Express, Chris Van Allsburg, L’Ecole des loisirs, 1986 - Dès 8 ans
Et Sophie van der Linden de rappeler les trains d'Anne Brouillard, du premier Voyage (1994), chez Grandir, au Voyage d'hiver (2013), chez Esperluette.
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Ils font coin coin wouf ou encore cui
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Dans ses livres, Rascal aime insérer une citation. Ici, c’est une phrase de Jean de la Fontaine: « Je me sers des animaux pour instruire les hommes. »
L’album, de format carré, comme le sont souvent les livres pour les petits, n’est pas cartonné, comme s’il pouvait aussi s’adresser à un lectorat un peu plus âgé. Une fois ouvert, il se transforme en format oblong où les images sont en pleine page. Le propos, simple, est de montrer des animaux et d’évoquer leur cri.
Voici un chat noir. Assis à gauche, on ne voit que sa silhouette percée par deux yeux qui nous regardent fixement ; ombre chinoise dans un décor qui se réduit à un sol blanc et un fond de couleur unie, vieux rose. Sur la page de droite, est écrit en noir, comme dactylographié sur une vieille machine à écrire, « Miaou ». Vient ensuite l’âne.
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De profil sur fond blanc, il est coupé à hauteur de poitrail. Sa robe est de couleur sable mouillé. Au fond de l’image, il y a des taches vertes qu’on devine être de l’herbe. L’âne fait « Hi-Han ». Et ainsi de suite. Le livre se referme sur un perroquet posé sur un perchoir. Que dit-il ? Il dit : « Encore ! Encore! » C'est une chute bien amenée, un brin d’humour et un appel communicatif que l’enfant à qui on a lu le livre pourrait bien utiliser.
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D’une grande simplicité, ce livre est une promenade esthétique de toute beauté due à des teintes subtiles et à un dessin extrêmement lisible. Ainsi, animaux et décors sont simplifiés au maximum afin de les rendre immédiatement identifiables, même quand, de la grenouille, on ne voit que les pattes et un bout de l’abdomen, le reste étant caché, on le devine, dans l’eau d’une mare simplement suggérée par le blanc de la page. Usant de techniques mixtes, les gravures ont été scannées, retouchées à l'informatique, puis le choix des couleurs a été fait au moment de l'impression en risographie*. Ce qui veut dire que les originaux étaient dans des couleurs très vives. Ils ont ensuite été scannés pour être passés en quadrichromie. Grâce à ce processus, le lecteur a entre les mains un livre au style à la fois un peu rétro, avec son côté artisanal, et graphique. Le perroquet était-il sous le charme ? Nous on l’est!
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Cet éminent ornithologue connaît tout des oiseaux. Pourtant, il en est un qu’il n’est jamais parvenu à approcher : le canard ! Un comble, car contrairement au flamant rose, point besoin d’aller en Camargue pour le trouver. Ou plus loin, comme en Chine pour le rossignol. Muni d’un appeau qu’il a soigneusement sculpté dans du bois, l’ornithologue sort de chez lui et s’accroupit au bord de la mare. Le voilà prêt à attirer le colvert en imitant son cri. Mais quand il souffle dans l’instrument, le son qui est en sort fait « Côa ». Pire, une jolie grenouille bondit de l’eau. Sans se décourager, notre scientifique rentre chez lui, fabrique un nouvel appeau et sans perdre une minute repart le tester. Cette fois, c’est un « Crôa » qui se fait entendre. Aussitôt, surgit un corbeau ! « Côa » « Croâ » « Croc » « Colin », vous l’aurez compris, on n’est pas près d’apercevoir le bec d’un canard dans cette histoire. Quoique…
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L’effet comique est dû aux tentatives du héros, à leur répétition. Cette structure narrative de type randonnée plaît beaucoup aux enfants dès lors qu’ils peuvent anticiper ce qu’il va se passer. Au fil des pages, on note également une accumulation de personnages. Ainsi et entre autres, la grenouille, le corbeau, un crocodile, un homme prénommé Colin se joignent aux tentatives de l’ornithologue dont les efforts l’éloignent de plus en plus du résultat souhaité. Oui, plus on avance, plus l’histoire devient absurde. C’est ce qui fait son charme et ce d’autant que les protagonistes se retrouveront à faire la fête ensemble. A défaut de canard, c’est déjà pas mal. Quelques mots encore sur les dessins. Et c’est Alexandra Pichard qui prend la parole :
J'ai directement dessiné à l'ordinateur. Pour obtenir des effets de matière, j'ai préalablement imprimé des masses d'encre, sur le même principe que celui de la gravure, puis j'ai scanné ces matières, dans lesquelles j'ai ensuite "découpé", à l'ordinateur, chaque forme de mes illustrations.
Au résultat et comme dans l’album précédent, il y a un petit côté rétro et graphique dans les illustrations. Il n’est pas sans rappeler l’univers de Nathalie Parain. D’ailleurs, une babouchka s’invite dans le récit…
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D'autres albums viennent à l'esprit qui, eux aussi, font "coin", "wouf" ou encore "cui". On pense à :
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Publié en 2009, le tout premier album de Cécile Boyer met en scène un chien, un chat et un oiseau dans leur environnement sans qu'eux mêmes ne soient jamais dessinés. Ils n'apparaissent que par leur cri. Un « cui-cui » perché sur un fil électrique, un «miaou » lové dans un fauteuil, ou un « ouaf » faisant pipi sur un mur, nous en racontent tout autant sur les mœurs et habitudes de ces animaux familiers que s’ils étaient représentés. Ce livre a obtenu plusieurs prix.
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La maman de Georges dit: "Allez, aboie, Georges!" Georges fait "Miaou". "Non, Georges", dit la maman de Georges. "Les chats font miaou mais les chiens font wouf. Allez, aboie, Georges!" Et Georges fait "Coin Coin". Gageons que cet album, paru la première fois en 2000, compte parmi les best sellers de l'Ecole des loisirs! Il est disponible en collection "Pastel" et en collection "Les Lutins".
Bibliographie:
Cui Cui Cui, Rascal, L'Ecole des loisirs, 2023 (Pastel) Le bon coin, Alexandra Pichard, Les Fourmis rouges, 2020 Ouaf miaou cui-cui, Cécile Boyer, Albin Michel Jeunesse, 2009 Aboie, Georges!, Jules Feiffer, L'Ecole des loisirs, 2000 (Pastel)
*Assez facilement reconnaissable, la risographie est une technique d’impression à jet d’encre, aux couleurs vives, et qui n’imprime qu’une seule couleur par passage, comme c’est le cas en sérigraphie. Ce procédé qui a aujourd’hui le vent en poupe est utilisé par le fanzine bruxellois pour enfants Cuistax depuis sa création en 2013.
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Pas l'temps je lis (janvier-février 2023)
Pas l’temps je lis est la chronique que je tiens dans le supplément culture qui paraît chaque samedi dans le quotidien Le Temps. Ci-dessous vous trouverez la liste des livres présentés dans les chroniques. Elle permettra aux abonné.es du Temps de les retouver facilement, offrira des pistes aux lecteur.ices du blog et sera utile aux éditeurs.trices qui verront ainsi quels livres ont été retenus et auront une idée du ton de la chronique.
Retrouvez la chronique sur le site du Temps
25 février 2023 - Parents modèles
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Une Maman si pressée, Sara Lundberg, Seuil Jeunesse, 2023 - Dès 4-5 ans
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Un Livre pour deux, Jean Leroy, Ella Charbon, L'Ecole des loisirs (loulou & cie), 2023 - Dès 1-2 ans
18 février 2023 - Orphelins pour de vrai ou pour de faux
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Le septième étage et demi, Suzanne Aubry, Delphie Côté-Lacroix, Québec-Amérique, 2023 - Dès 9-10 ans
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Trois fleurs sauvages, Liniers, La Joie de lire, 2023 - Dès 6 ans
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Les Enfants Boxcar : Le secret des orphelins, Gertrude Chandler Warner, Novel, 2023 - Dès 8-9 ans
11 février 2023 - Un temps pour tout
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Un Instant sur la terre, Seoha Lim, La Partie, 2023 - Dès 3 ans
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Un Million de points, Sven Völker, Helvetiq, 2023 - Dès 4 ans et pour longtemps
4 février 2023 - La prospérité et ses revers
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La Soupe Lepron, Giovanna Zoboli, Mariachiara Di Giorgio, Les Fourmis rouges, 2023 - Dès 5-6 ans
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Ours d'hiver, Irène Schoch, Les Editions des Eléphants, 2023 - Dès 4-5 ans
28 janvier 2023 - Des métamorphoses pour rire
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Où est mon boa?, Mathis, Ed. Thierry Magnier, 2023 - Dès 2-3 ans
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Les trois souhaits, Anthony Browne, Kaléidoscope, 2023 - De 3 à 6 ans
21 janvier 2023 - Partir ou non
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Cocorico Archie, Matthieu Sylvander, Perceval Barrier, L'Ecole des loisirs (Moucheron), 2023 - Dès 6-7 ans
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N'aie pas peur, Gabriel Cirpacio, Benoît Charlat, Sarbacane, 2023 - Dès 2 ans
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Dix petites souris, Colin Thibert, Haydé, La Joie de lire, 2023 - Dès 3 ans
14 janvier 2023 - Désobéir
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Dans le noir de l'ascenseur, Constance Orbeck-Nilssen, Oyvind Torseter, La Joie de lire, 2023 - Dès 5 ans
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Pas de baiser pour Maman, Mathieu Sapin, d'après l'oeuvre de Tomi Ungerer, Rue de Sèvres, 2023 - Dès 5 ans
7 janvier 2023 - On enquête
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Les Mystères de Sainte-Virginie-les-sapins, Séraphine Menu, Thierry Magnier (En voiture Simone), 2022 - Dès 9-10 ans
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Comment j'ai disparu dans la jungle, Simon van der Geest, La Joie de lire, 2022 - Dès 11 ans
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Griffes, Malika Ferdjoukh, L'Ecole des loisirs, 2022 - Dès 13 ans
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page-a-pages · 2 years ago
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Le sel des albums illustrés : de l’importance du texte par trois exemples
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Ils/elles dessinent, écrivent ou traduisent des livres où l’illustration prime grandement sur le texte. L’équilibre est savant où le texte – même s’agissant d’une courte phrase courant sur la page – est tout aussi important que l’image. Il en est le sel. Les enfants le savent, qui, lorsqu'on leur fait la lecture, perçoivent simultanément texte et image.
A sa sortie, dans ma chronique dans Le Temps, je me suis penchée sur un album d’Olivier Tallec, Le Roi et rien. Voici ce que j’en disais :
Ce roi avait tout. Normal pour un roi, direz-vous. Il avait vraiment tout car il était collectionneur de tout et de rien. Pour vous donner un exemple, il possédait un orage qui refusait de faire des éclairs. Et tous les jours, il commençait une nouvelle collection qu’il rangeait, organisait, numérotait. Tout aurait pu être bien, sauf qu’il lui manquait RIEN. Il chercha bien, mais ne trouva rien ou plutôt ne trouva pas rien. Son entourage fut convoqué, cela ne donna rien. De plus en plus contrarié, il chercha, chercha et eut l’idée de se débarrasser de tout,  même de ses éléphants sans trompe ! Absolument tout ? Si vous vous souvenez de la fin du conte Les Habits neufs de l’empereur, alors vous comprendrez que notre roi finit tout nu. C’est à se demander comment fait Olivier Tallec pour réussir chaque album qu’il publie. Ses personnages, qu’ils soient humains, à poil ou à plume, sont hilarants. Leurs défauts et manies sont prétexte à aborder quantité de thèmes qui font réfléchir. Ici, le pouvoir sur fond de philosophie. Le choix d’offrir à cet album tout de rouge vêtu un format généreux permet d’accueillir une collection à la taille de la solitude d’un roi. La grande classe !
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On notera que je ne parle pas du texte. Pourtant je m’en suis régalée. Pour ma défense, je n’avais droit, peu ou prou, qu’à 1'000 signes. Or, et je l’ai découvert plus tard, si cet album compte particulièrement pour Olivier Tallec, c’est en raison du texte. Il en dit la chose suivante :
Il y a des albums auxquels tu es attaché parce que tu as l’impression d’avoir réussi quelque chose ou d’être arrivé à une étape importante. Et c’est le cas pour ce texte. Je ne pensais pas y arriver, car comment rendre concrète une notion si abstraite si ce n’est en la personnifiant, et en faisant de ce « Rien » une personne, avec toutes les questions qui se sont posées : majuscule ou pas majuscule à « Rien », jusqu’où pousser le jeu avec ce mot ? Et finalement j’ai réussi à l’écrire ! C’est un peu comme une marche de huit heures où tu te dis que tu ne parviendras jamais en haut de la colline, et finalement tu y arrives.
"Et si on faisait un petit feu pour brûler cette toute petite feuille minuscule de rien du tout? Alors il resterait Rien. Mais NON! Parce qu'une minuscule petite feuille qui brûle, ça donne de minuscules petites cendres. Et de minuscules petites cendres, ce n'est pas Rien! Non, non, et non, rien à faire! Rien est introuvable. Ça ne sert à rien d'avoir tout si on ne peut même pas avoir Rien!
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Olivier Tallec, ce jour-là, m'a donné une leçon. Talentueux, au crayon comme à la plume, il conserve toutefois l'étiquette - fort honorable d'ailleurs - d'illustrateur. Illustrateur, il l'est. Et puisqu'il invente des histoires et a des choses à dire, il est auteur-illustrateur. Et si ses livres sont aussi bons, c'est aussi grâce à la qualité de ses textes, ce qui n'empêche pas que certains lecteurs soient avant tout attentifs aux images. L'exemple d'Olivier pose la question de l'enseignement dans les écoles d'art. Combien sont-elles à offrir des cours de narration et d'écriture? A quel moment ose-t-on se lancer dans l'écriture d'un texte quand on a appris le dessin, l'illustration? Pourtant, on sait la valeur qu'ont, pour ceux qu'on appelle "illustrateurs," les livres dont ils sont à la fois auteur et illustrateur. Et de rappeler, une fois encore, que la qualité d'un texte ne se mesure pas au nombre de lignes. Les livres pour les tout petits en sont un bon exemple. Ces questions de perception de la qualité d'un texte ou d'envie se lancer dans l'écriture pourraient être l'objet d'un autre article.
De prime abord, Piloti a un œil bleu, est un album de photos en pleines pages d’un chien dans son quotidien, dans la nature ou en intérieur. D’ailleurs, l’argumentaire de la maison d’édition le présente ainsi : « A la manière des livres des années 50, un album-photo avec le chien Piloti comme héros ! »
Sur les photos qui illustrent le livre, on ne voit que Piloti. Il ne porte pas de laisse, d’où l’impression qu’il est de caractère indépendant. Et, d’ailleurs, on a vite fait de se demander à quoi il pense. Cela nous amène au texte de Julien Baer qui figure sur la page de gauche, entièrement réservée aux réflexions de l’auteur qui n’ont, évidemment, rien à voir avec les images du chien !
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Sur la couverture, le titre, Piloti a un œil bleu, pose un problème au lecteur puisque, sur la photo, on voit bien un oeil bleu, mais l’autre œil est caché dans les poils grâce à une subtile prise de vue.
L’auteur nous tient déjà, alors, vite, on avance. La page de garde est ornée d’un cercle bleu avec à l’intérieur un petit cercle noir.... Le jeu continue à la première page avec une phrase qui nous prend à témoin : « Vous avez remarqué ? » Notre regard se pose sur la photo du chien sur la belle page. On y voit cette fois ses deux yeux et ils ne sont pas de la même couleur : ce chien est particulier ! Et la dernière garde le confirmera avec son beau cercle marron.
Sur la double page suivante, il est écrit : « Piloti est un chien. » Ici, l’auteur nous surprend en n’apportant pas la réponse à laquelle on s’attendait, à savoir : « Vous avez remarqué ? Piloti a un œil bleu. ».  C’est bien égal puisqu’il sait, le malin, que le message est désormais bien ancré : avec ses yeux vairons, Piloti est particulier, mais pas que pour cette raison. D'ailleurs, si, en prenant le livre, nous avions été attentifs à la quatrième de couverture, nous nous serions aperçus que l'éditeur, lui aussi, se joue du lecteur. On rappellera que sur la quatrième de couverture figure souvent un bref résumé du livre avec des éléments qui susceptibles d'accrocher le lecteur.
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On a tenté de nous faire croire qu’il s’agissait d’un album-photo avec un chien pour héros, mais c’est bien le texte, extrêmement simple et quasi philosophique, qui fait l’originalité et la profondeur de ce livre. L’auteur y aborde les sentiments, les questions relatives à l’attachement d’un « maître » à son chien et à leur relation. Fait-il partie de la famille, bien qu’il ne soit pas un cousin ? Est-il un ami ? Que ressent-il ? En résumé, malgré ce que l’on a là aussi tenté de nous faire croire, si Piloti est particulier, c’est surtout pour d’autres raisons que la couleur de ses yeux !
D’entrée, je me suis posé la question de la genèse et de la construction de l’album : de l’œuf ou la poule, du texte ou des photos, quel avait été le déclencheur ? Et ces photos étaient-elles des photos de « famille » ou des photos prises pour le livre ?
Julien Baer m’a renseignée et la simplicité de sa réponse m’a étonnée : Il a tout d’abord écrit un petit texte qui s’apparentait à un poème, entre rimes et prose. Il pensait l’inclure dans un recueil de poèmes pour enfants. Puis, il a pensé à l’illustrer avec des photos qu’il avait prises de Piloti et choisies avec soin. L’histoire ne dit pas s’il a sué sur son texte. Le voici, en respectant son placement sur les pages :
"Vous avez remarqué ? Piloti est un chien. C’est même un teckel nain. Il a trois mois demain. Arrivé sur la Terre entre automne et hiver, Il a un œil bleu et la robe arlequin. Parfois on dirait un renard ou un hérisson, d’autres fois un ourson. Il n’est pas de ma famille, ce n’est pas mon cousin, et pourtant je me sens proche de lui comme si je l’avais toujours connu. Ressent-il la même chose ? Vraiment je n’en sais rien. Soyons raisonnable, Piloti est un chien, pas un être humain, c’est même un teckel nain. Dans les bois il est bien et sur le sable aussi, dans mon appartement ou au cœur d’un jardin. Il est facile à vivre, je suis facile à vivre, nous sommes faciles à vivre, ça tombe bien. Il y a un grand mystère dans notre grande entente. Après une longue réflexion voici ma conclusion : Piloti est un être teckel et moi un humain nain."
Abordons la traduction avec un dernier album, Animaux humains, dont voici la notule parue dans Le Temps :
Il y a des milliers d’années, nous nous levions déjà le matin et nous nous couchions le soir. Certains animaux étaient nos amis, d’autres non. Nous fabriquions nos vêtements et les objets dont nous avions besoin. Nous communiquions par la parole et nous entendions. Dans notre monde dominé par la technologie et la consommation, ce précieux album nous invite à reconsidérer nos origines, la filiation avec nos ancêtres les homo sapiens et notre rapport à la nature. Si les enfants d’aujourd’hui sont passionnés de préhistoire, c’est peut-être parce qu’ils sont en quête du lien à la fois fort et ténu qui nous conduit au mode de vie d’alors, en prise avec les forces de la nature et l’animalité.
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En examinant les pages de garde qui représentent des bustes d’êtres humains d’ethnies diverses, on peine à dire si certains des portraits sont ceux de contemporains ou de lointains ancêtres. En fin d’ouvrage, l’autrice nous adresse un plaidoyer, avec, en regard, des objets et leur descriptif, qui confirment que la culture de nos prédécesseurs avait peu à envier à la nôtre. A noter enfin la qualité de la traduction de Ramona Badescu, où chaque mot, chaque phrase ont été soupesés. Elle est l’autrice, entre autres, des histoires de l’éléphant Pomelo.
On rappellera que Ramona Badescu a quitté la Roumanie pour la France à l’âge de dix ans et que l’apprentissage de notre langue a représenté une âpre conquête. Puis, toujours à l’école, elle a appris l’allemand, l’anglais et le grec ancien. L’italien l’a même tentée, qui lui semblait faire comme une jonction entre le roumain et le français. On peut donc affirmer que Ramona s’intéresse aux langues ! Ayant par le passé effectué plusieurs séjours aux Etats-Unis, c’est à partir de 2016 qu’elle réalise – sur une proposition de ses éditrices de l’époque chez Albin Michel Jeunesse, Béatrice Vincent et Camille Vasseur - ses premières traductions d’albums de l’anglais au français. Ainsi, elle deviendra la traductrice française des albums de Judith Kerr, une autrice dont elle parle avec fierté et émotion.
Ramona Badescu a toujours écouté des histoires. Elle le dit d’ailleurs joliment : « Depuis toujours je suis oreille ». Il n’est donc pas surprenant que la traduction l’ait attirée. Ayant à cœur de conserver précieusement de la place pour son propre travail de création, elle n’effectue qu’une à deux traductions par an, toujours des albums. S’immerger dans un travail qui n’est pas le sien demande beaucoup de sérieux. Elle s’efforce de comprendre, d’être au plus près d’un univers autre qu’il faut respecter et ne pas s’approprier ; ce qui n’empêche toutefois pas de tenir compte du lecteur francophone et des codes qui lui sont propres : par exemple, dans les pays anglo-saxons, les auteurs sont attentifs à ce que texte et image correspondent, ce qui peut paraître redondant chez nous. Dans ses traductions, il lui arrive de prendre la liberté d’éloigner avec subtilité l’un et l’autre afin d’éviter cet effet de répétition. Ci-après, en revanche, il lui a semblé devoir être un peu plus explicite.
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"Everything we had we made." La phrase est traduite par : "Tout ce que nous avions, nous le faisions de nos mains." A noter qu'il est établi que les textes en anglais sont compacts - bien que cette langue soit riche - et que leur traduction en français gagne en longueur. Cela peut influer sur la mise en page, mais ça, c'est une encore une autre histoire!
En découvrant Animaux humains, je ne me suis pas d’emblée posé la question de la traduction. En revanche, j’ai immédiatement été saisie par la justesse du ton, en totale adéquation avec les images. Le texte de cet album est d’une extrême simplicité et chaque mot semble à sa place. D’où l’importance d'apprécier le travail de traduction à sa juste valeur, de tout texte de qualité, à vrai dire ; si cette dernière en est absente, même les belles images n’y feront rien !
Le Roi et rien, Olivier Tallec, L'Ecole des loisirs, 2022 (Pastel) Piloti a un oeil bleu, Julien Baer, Hélium, 2022 Animaux humains, Rosie Haine, trad. Ramona Badescu, Albin Michel jeunesse, 2022
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Pas l'temps je lis (novembre-décembre 2022)
Pas l’temps je lis est la chronique que je tiens dans le supplément culture qui paraît chaque samedi dans le quotidien Le Temps. Ci-dessous vous trouverez la liste des livres présentés dans les chroniques. Elle permettra aux abonné.es du Temps de les retouver facilement, offrira des pistes aux lecteur.ices du blog et sera utile aux éditeurs.trices qui verront ainsi quels livres ont été retenus et auront une idée du ton de la chronique.
Retrouvez la chronique sur le site du Temps
23 décembre 2022
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Dessus, dessous, devant, dedans, Fanny Pageaud, Les Grandes Personnes, 2022
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Tourne, pense, regarde, Beau Gardner, Les Grandes Personnes, 2022
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Pizza 4 saisons, Thomas Vinau, Anne Brouillard, Ed. Thierry Magnier, 2022
17 décembre 2022
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Animaux humains, Rosie Haine, Albin Michel Jeunesse, 2022
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Félixe et la maison qui marchait la nuit, Sophie Bédard, La Ville brûle, 2022
10 décembre 2022
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Photo de famille, Chloé Millet, Delphine Jacquot, Les Fourmis rouges, 2022
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Que fait-on quand il pleut?, Ralph Doumit, Julia Wauters, Hélium, 2022
3 décembre 2022
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Le Festin de Noël, Nathalie Dargent, Magali Le Huche, Gallimard Jeunesse, 2022 (L'heure des histoires)
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Le dernier mouton, Ulrich Hub, Jörg Mülhe, Gallimard Jeunesse, 2022 (Premiers romans)
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Le pire Noël de ma vie, Victoria Kaario, Juliette Binet, Rouergue, 2022
26 novembre 2022
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Le petit livre des grandes choses, Sophie Vissière, Hélium, 2022
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Bravo, maman manchot!, Chris Haughton, Thierry Magnier, 2022
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Un Océan d'amour, Pieter Gaudesaboos, Hélium, 2022
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Björn: une vie bien remplie, Delphine Perret, Les Fourmis rouges, 2022
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Le grand livre de ma planète, Raphaële Botte, Elisa Géhin, Thierry Magnier, 2022
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De Cape et de mots, Flore Vesco, Kerascoët, Dargaud, 2022
19 novembre 2022
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Trésors de collectionneurs, Lucie Brunellière, Albin Michel jeunesse, 2022
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Pirates Bric-à-brac, ATAK, Thierry Magnier, 2022
12 novembre 2022
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Ce Jour-là, Pierre-Emmanuel Lyet, Seuil jeunesse, 2022
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T'es pas mort!, Catherine Pineur, Ecole des loisirs, 2022 (Pastel)
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Où vont les doudous quand ils meurent?, Laurence Salaün, Gilles Rapaport, Seuil jeunesse, 2022
5 novembre 2022
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Mais où est-elle?, Marie Mirgaine, Les Fourmis rouges, 2022
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Tout se transforme, Tony Durand, Motus, 2022
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Anne Crausaz. A fleur de sens
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Vous découvrez ici la version longue d'un article paru dans Le Temps du 22 octobre 2022 où je tiens la rubrique hebdomadaire "Pas l'temps je lis" dans le supplément culture du week-end. Cet article n'en faisant pas partie, je me permets de le faire figurer sur Page à pages.
Les dessins effectués à l’ordinateur nous sont désormais familiers. La technique est si maîtrisée que parfois on ne sait plus quel medium l’artiste a utilisé : crayon, peinture, collage, ordinateur ou leur combinaison, tout est possible. Il y a une quinzaine d’années, quand la Lausannoise Anne Crausaz envoya son livre Raymond rêve à Christine Morault des Editions MeMo à Nantes, le dessin numérique était fort peu courant : ceux qui osaient le pratiquer étaient soupçonnés de ne pas savoir dessiner à la main. L’album reçut le prix Sorcières 2009 et le catalogue de MeMo compte désormais une vingtaine de livres d’Anne Crausaz, tous réalisés à l’aide du logiciel Illustrator. Le dernier en date, Quand il fait mauvais temps, paraît ces jours-ci et développe ce que chacun et chacune, chèvres, canards, escargots, inventent et imaginent quand il fait gris. Et les enfants, que font-ils quand il pleut ?
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Cet automne, Anne Crausaz fait un pas de côté en offrant à la petite structure lausannoise des éditions Askip un album entièrement réalisé à la main et à la gouache, qui porte le titre d’  Imagier des sens, d’ores et déjà en lice pour une Pépite 2022 du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil.  Avec une courte phrase en exergue, « A ce qui nous entoure », l’imagier est bâti en quatre chapitres et fait défiler les éléments - air, eau, terre, feu – qui vont solliciter nos cinq sens : vue, odorat, goût, toucher, ouïe. Au moment de choisir le titre, le mot « sensations » avait été évoqué, puis écarté : les sensations, c’est au lecteur de éprouver en faisant appel à ses souvenirs. Dès la première page, la magie opère à la faveur d’images de toute beauté ; à se demander où va le vent et écarquiller les yeux. Ainsi Anne suscite-t-elle des saveurs insoupçonnées lorsqu’elle met en image un feu de camp. Car le propos de ce livre est bien là : apprendre aux enfants l’importance des sensations – celles qu’ils ont vécues, qu’ils vivront – et réactiver les nôtres ; partir ensemble à leur recherche en toute subjectivité, car si l’odeur de la pluie sur un sol peut évoquer pour l’un des pierres chaudes, ce sera celle du bitume pour l’autre. Une odeur de vacances, c’est parfois aussi, selon d’où vient le vent, celle qui s’échappe de la cheminée d’une usine. Loin de toute idéalisation, Anne brosse par petites touches un monde dans lequel la nature telle que nous avons pu la ressentir fait valoir ses droits. En conclusion, l’ouvrage nous invite à faire un vœu au passage d’une étoile filante. J’ai pensé aux quatre éléments, à ces quatre mots d’une simplicité folle, mais toujours plus problématiques. Qu’en avons-nous fait ?
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©Anne Crausaz
D’emblée, Anne Crausaz a souhaité explorer ces thèmes qu’elle avait déjà abordés par le biais des saisons dans Premiers printemps. Mais ici, plutôt que de documenter, il s’agissait, comme nous l’avons vu, de se concentrer sur les sensations. L’outil informatique, qui permet d’ailleurs des rendus très réalistes, ne lui a pas semblé approprié en l’occurrence ; elle a donc décidé d’utiliser la gouache, qu’elle avait déjà pratiquée dans sa jeunesse, mais à des fins réalistes ; ici matière sensuelle, tactile, alliant la matité et le velours, et qu’elle aime diluer.
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Ici, une illustration à la gouache
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Là, à l'ordinateur (tirée de Bon voyage petite goutte ©MeMo 2010)
Elle nous fait ainsi partager ses propres délectations : la buée, les marrons chauds, un ciel immense, une cheminée, l’odeur des champignons, autant de sensations qui, en fermant les yeux, lui reviennent en mémoire. Il ne lui serait pas venu à l’idée de dessiner des palmiers ! Cet album serait-il autobiographique ? Anne ne l’a pas pensé ainsi ; pourtant, après avoir dessiné une femme qui nage, elle a réalisé avec étonnement que c’est d’elle-même qu’il s’agissait.
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Le film Les Ailes du désir de Wim Wenders  l’a également accompagnée durant tout le projet, dans lequel un ange se dit prêt à renoncer à l’immortalité pour l’odeur du café. De son enfance dans les Cévennes où il n’y avait pas de loisirs organisés, elle se souvient avoir passé des heures à observer et tenter de comprendre les choses ; par exemple ce que devient la neige qui tombe sur l’eau. Il lui en reste le goût de l’expérimentation.
Remy Charlip l’a également inspirée en la poussant à quitter parfois la double page pour mettre en regard des images qui se répondent. Cet artiste new yorkais, touche-à-tout de génie, a réalisé dès les années 1950 des livres pour enfants qui sont devenus des classiques de la littérature jeunesse et ont reçu de nombreux prix.
Fruit d’une collaboration étroite avec l’équipe d’Askip – Hélène Montero, Julia Sorensen et Stéphanie Tschopp –, ce livre a donné à Anne l’envie d’alterner désormais des ouvrages très graphiques à l’ordinateur et d’autres plus sensuels à la main. On osera avancer que les éditrices n’y sont pas pour rien, qui l’ont encouragée à prendre des libertés. Au début de leur collaboration, Anne restait axée sur chaque sens isolément. Il fallait trouver la façon précise de le décrire dans sa relation avec un élément. « Prenons l’exemple de l’eau : on peut l’écouter, la goûter, la toucher et la regarder. Quand il s’agit de la sentir, cela se complique. On peut imaginer de l’eau croupie, mais elle se mélange avec l’élément terre. Un vrai casse-tête.
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En apprenant à faire fi des contraintes que je m’étais imposées, quantité de sensations me sont apparues. » Mais la voilà qui s’inquiète : « Quand les enfants liront le livre, ce ne sera peut-être pas évident pour eux de comprendre que ça c’est l’eau et l’odeur. Au début, j’avais fait en sorte qu’il y ait toujours un verbe qui rappelle le sens. S’endormir au son de la pluie, on l’écoute. Plonger un brin de menthe dans de l’eau chaude, on doit réfléchir à quel sens cela se rapporte. »
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Le projet bouclé, le travail d’équipe s’est poursuivi dans l’atelier de Roger Emmenegger, photolithographe des plus exigeants, jusqu’à ce que le livre, le vrai, voie le jour au Tessin dans la fameuse imprimerie d’Angelo Miele, La Buona Stampa.
A propos d’Askip et de ce projet
Les éditions Askip ont vu le jour à Lausanne en 2020 grâce à la rencontre entre Hélène Montero, relieuse, Stéphanie Tschopp, graphiste, et Julia Sorensen, autrice. Toutes les trois partagent le goût des livres pour enfants, de l’édition, du dessin à la main et des beaux papiers. Julia Sorensen nous en dit un peu plus :
Chez Askip, on fonctionne au feeling, dans la confiance et avec l’envie que l’artiste se fasse plaisir. Ce projet a démarré dans l’enthousiasme. A mi-chantier, nous avons rencontré des difficultés. Et puis il y a eu un déclic qui nous a permis d’avancer, de laisser parler la page et la gouache, de suggérer à Anne qu’elle aille plus loin dans les sensations en ôtant des personnages, des détails, en réduisant le texte à l’essentiel. Anne a fait quantité de recherches et de dessins. Nous étions là pour l’encourager.
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Cette expérience nous a aidées, mes associées et moi, à définir une ligne pour Askip, à assumer notre rythme d’un livre par an - le temps que l’accompagnement du livre d’Anne -, en résumé à faire des livres qui prennent du temps et sont des prises de risques. Car nous souhaitons offrir un espace expérimental à des auteurs.trices dont c’est le premier livre ou à des artistes confirmés qui veulent sortir de leur travail habituel. A côté de cela, nous organisons des ateliers pour les enfants sur la thématique de l’édition où ils expérimentant toutes les étapes de la création d’un livre, de l’écriture et l’illustration à la fabrication. https://askip.ch/ateliers/
L’imagier des sens, Anne Crausaz, Askip, 2022 Quand il fait mauvais temps, Anne Crausaz, MeMo, 2022
Anne Crausaz est une des marraines de ce blog.
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Pas l’temps je lis (août-octobre 2022)
Pas l’temps je lis est la chronique que je tiens dans le supplément culture qui paraît chaque samedi dans le quotidien Le Temps. Ci-dessous vous trouverez la liste des livres présentés dans les chroniques. Elle permettra aux abonné.es du Temps de les retouver facilement, offrira des pistes aux lecteur.ices du blog et sera utile aux éditeurs.trices qui verront ainsi quels livres ont été retenus et auront une idée du ton de la chronique.
Retrouvez la chronique sur le site du Temps.
29 octobre 2022
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La huitième chèvre de M. Seguin, Bruno Heitz, Le Genévrier, 2022
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Pitsi-Mitsi, Marie-Aude Murail, Régis Lejonc, L'école des loisirs, 2022
15 octobre 2022
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Merci pour la tendresse, Myren Duval, Emma Constant, Rouergue, 2022
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Magda cuisinière intergalactique, Nicolas Wouters, Mathilde Van Gheluwe, Sarbacane, 2022 (tome 1)
08 octobre 2022
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Les Couleurs c'est comme ça!, Agnès Rosenstiehl, Gallimard Jeunesse, 2022.
1er octobre 2022
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La petite poule qui volait des perles, Axel Scheffler, La Joie de lire, 2022
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Le Roi et rien, Olivier Tallec, L'école des loisirs, 2022 (Pastel)
24 septembre 2022
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Fluidothèque, Berta Paramo, La Partie, 2022
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Un Vent de paix, Suzanne Arhex, Jonathan Blezard, Hélium, 2022
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Le Voleur de feuilles, Alice Hemming, Nicola Slater, Flammarion, 2022 (Père Castor)
17 septembre 2022
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Jefferson fait de son mieux, Jean-Claude Mourlevat, Gallimard Jeunesse, 2022
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C'est dans la boîte, Edouard Manceau Coco et Moumouche, Mathis Roule, Noisette, Caroline Romanet, Magali Clavelet Petiote, Jane Massey Nathan, 2022 (Mini Bulles)
10 septembre 2022
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La longue marche des dindes, Léonie Bischoff, Kathleen Karr, Rue de Sèvres, 2022
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La Fille du phare, Annet Schaap, L'école des loisirs, 2022 (Médium)
03 septembre 2022
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Arnold, Didier Lévy, Anne-Lise Boutin, Helvetiq, 2022
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Le tout petit monsieur et la très grande dame, Claire Renaud, François Ravard, Gallimard Jeunesse, 2022 (Folio Cadet)
27 août 2022
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Monsieur Paul et le poisson Alfred, Sylvie Neeman, Serge Bloch, L'école des loisirs, 2022 (Mouche)
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Violette contre Diablot 1, Emilie Clarke, Biscoto, 2022
À bientôt !
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Quelques albums militants publiés par des éditeurs romands
Khat : journal d’un réfugié
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Argumentaire :
Le 17 juin 2018, trois bateaux accostent au port de Valence. A leur bord, des centaines de migrants. Ximo Abadia raconte le destin de l’un de ces anonymes qu’il a rencontré.
Le périple de Natan, un jeune Erythréen, commence dès son plus jeune âge. Pour fuir la dictature, sa famille part en Ethiopie. Mais la situation n’est guère meilleure dans le pays voisin. Très vite, l’existence de Nathan devient un vrai enfer. Faim et misère n’entament toutefois pas son optimisme et surtout son instinct de survie. Après une succession de séjours en prison, il décide de tout tenter pour rejoindre l’Europe.
Mon avis :
A mi-chemin entre le roman graphique et l’album illustré, ce grand beau livre entremêle avec intelligence l’histoire bouleversante de Natan - et accessoirement celle de son père - à des aspects plus documentaires qui nous apprennent beaucoup sur la condition des exilés érythréens en Ethiopie et le long chemin parcouru par les réfugiés. Ximo Abadia a choisi de terminer son récit lorsque que Natan pose le pied sur le sol espagnol. Alors, bien sûr, le lecteur aimerait en savoir plus, ce qu’il s’est-il passé ensuite. Mais c’est fort d’arrêter le récit à ce moment-là. J’aime y voir de la pudeur de la part de l’auteur et puis, c’est une autre histoire, une histoire qui n’a pas dû être simple. Du point de vue graphique, le trait et la mise en pages varient au rythme du récit, alternant les couleurs sur un fond jaune pâle, mais offrant aussi parfois au lecteur des pages sombres dans les noirs, les bleus, où les mots n’ont plus leur place et qui disent à leur manière l’horreur, mais sont paradoxalement comme des plages de repos pour ce dernier.
Face à face
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Argumentaire :
Ce livre est l’écho d’un dialogue, d’un face à face. Anisa raconte à Maeva sa vie en Syrie et la fuite de son pays natal après des mois de guerre civile. Elle partage ses défis et ses espérances en tant que femme et mère dans un pays étranger, à Delémont, son nouveau foyer. En réponse, Maeva donne forme à ses confidences en mots et en couleurs. Ces deux vois, portées par des poèmes en arabe et des dessins sensibles, résonnent avec l’espoir de nous interpeler.
Mon avis :
Le récit d’Anisa est posé, comme apaisé malgré le fait qu’elle ait vécu la guerre, eu un enfant qui n’aurait pas dû voir le jour dans ces conditions et quitté sa famille. On ne peut qu'être profondément ému par le parcours qu’elle a effectué avec son mari Khldoun. Leur première fille Marya est née en Syrie pendant la guerre ; Eva, la cadette, en Suisse, à Delémont, où la famille a obtenu le statut de réfugiés. Marya et Eva nous touchent également car elles portent en elles le déchirement de leurs parents. C’est si proche.
Quant au travail de Maeva Rubli, il est d’autant plus impressionnant qu’il a été réalisé dans le cadre de son travail de bachelor. Les dessins (gouache, crayons papier et couleur, pastel blanc), souvent dans des couleurs vives, apportent de la chaleur au récit lorsqu'il se déroule dans l’appartement d’Anisa. Quand il est question de souvenirs, du sang de la guerre et d’un accouchement difficile, Maeva utilise le rouge. Elle y met également une touche sans doute très personnelle et c’est bien. Il y a de la douceur et de la sincérité des deux côtés. On le sent également dans le texte, concis, qui se contente de relater. Ce face à face est décidément un livre de femmes, un livre de mères. Un long poème d’Anisa ouvre le livre en français et il le clôt en arabe.
Celeste: l'enfant du placard
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Argumentaire :
Cette bande dessinée évoque la rencontre de Léane, adolescente d’origine italienne, et de sa voisine, Celeste. Fille de saisonnier italien et enfant cachée dans les années 60/70, Celeste vécu les conséquences du statut de son père qui interdisait le regroupement familial. A travers les yeux de Léane, c’est l’histoire passée de l’immigration italienne en Suisse qui est évoquée.
Mon avis :
Il n'est pas inutile de rappeler cette période de l’histoire suisse et des initiatives Schwartzenbach, le politicien suisse à l’origine de l’initiative contre la surpopulation étrangère à la fin des années 60. Si la première a passé, la seconde a été refusée par le peuple suisse. L’ouvrage est court – un peu scolaire à mon goût - et un volet historique explique le contexte social et politique. Qu’il soit le bienvenu dans les écoles, il a sans doute été pensé pour.
Notre Frère
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Argumentaire :
L’autrice livre un roman graphique évoquant la schizophrénie, une histoire racontée à hauteur d’enfants. La maladie psychique n’y est pas analysée, détaillée, disséquée, mais avant tout ressentie, dans ses dimensions primitives faites de peur, d’incompréhension, de tristesse, d’angoisse, mais aussi d’espoir, d’empathie et de fraternité.
Dans un récit intime, Marion Canevascini livre son enfance et celle de sa sœur au sein d’une famille dont le frère aîné est atteint de schizophrénie. On les suit au fil des années, à hauteur d’enfant qu'elles sont, en fonction de leur âge, de ce qu’elles ressentent, de ce qu’elles observent chez leurs parents qui font ce qu’ils peuvent pour les épargner et garantir à la famille un semblant d’équilibre, quitte à ne pas partager leur tristesse, leurs soucis et leur fatigue. Dans son monde occupé par les esprits, le frère est comme absent de la fratrie. Les liens entre les deux sœurs se font de plus en plus forts, dans l’adversité. Elles grandissent et découvrent la légèreté de la vie le jour où elles peuvent partir seules en vacances. Puis, c’est le fils qui un jour vole de ses propres ailes. Elles vont enfin pouvoir exister et la famille devenir une vraie famille. Pour une première œuvre, l’essai est réussi. Bravo à Marion qui continue d’explorer l’enfance dans son ouvrage suivant, Sables mouvants, qui oscille entre le poème graphique et le récit dessiné introspectif dans lequel une jeune femme se penche sur la petite fille invisible qu’elle était, l’absence du père, les secrets des adultes et l’importance du deuil dans la construction identitaire.
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Khat: journal d'un réfugié, Ximo Abadia, La joie de lire, 2022
Face à face, Maeva Rubli, Anisa Alrefaei Roomieh, Antipodes, 2022 Celeste, Pierdomenico Bortune, Cecilia Bozzoli, Antipodes, 2022 Notre frère, Marion Canevascini, Antipodes, 2020 Sables mouvants, Marion Canevascini, Antipodes, 2022
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Des lectures pour l'été
La plupart des titres jeunesse de cette chronique figurent dans la double-page "Lectures jeunesse pour l'été" du supplément littéraire du quotidien Le Temps, que Sylvie Neeman et moi nous sommes partagée. Ils sont suivis par des romans adultes lus ces derniers mois et que j'ai aimés.
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Qu'on ne s'y fie pas. Si sur la couverture ces deux ont l'air bien tranquilles, dans la vraie vie, c'est autre chose...
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Si je partais en vacances avec petit enfant et ne pouvais emporter qu'un livre, je choisirais "Une vie de chatons". Avec un nombre suffisant de pages, ce livre permet d'y passer du temps, d'y revenir et de piocher dans la journée de Noyau et de Plume qui s'étire de repas en sieste, de découvertes en découvertes qui sont autant de jeux pour ces deux petits. On ne voit qu'eux et le monde qui les entoure, mais leur posture parfois ou encore une phrase nous disent qu'ils ne sont pas seuls. Dans un format presque carré, les illustrations un peu japonisantes alternent les pages d'action et celles qui mettent en avant des détails de leur quotidien à la façon d'un imagier. On peut y apprendre la langue des chats et aussi à compter, découvrir le nom d'animaux et d'objets. Irrésistible, ce bijou de livre est très complet, bien observé et très rythmé.
Une vie de chatons, Fleur van der Weel, La Partie, 2021
L’océan à hauteur de petits scientifiques
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Hôtels, campings, maisons de vacances, amoureux de l’océan... tous devraient avoir à disposition cette bande dessinée documentaire, histoire de la partager en famille et de faire connaissance de ses quatre petits personnages bien croqués qui, le temps d'un week-end, se retrouvent à camper sur une île. Les parents ne sont pas bien loin qui reviendront les prendre à la fin du séjour. De picnics en baignades, ils prennent le temps d'observer, émerveillés, ce qui les entourent, s'expliquer les uns aux autres l’océan dans toute sa diversité ; de sa surface à ses abysses, de ses plages au ciel qui le surplombe, de sa faune à sa flore. Au fil des chapitres, s'ouvrent de temps à autres de larges planches de la taille de quatre pages, histoire pour le lecteur de plonger un peu plus dans ces espaces. A noter que tout a été validé par des scientifiques. Une vraie réussite. Pour preuve, l'album figure désormais dans la bibliothèque de l'hôtel en Bretagne où j'ai passé une semaine tout récemment ! Dès 7 ans et pour longtemps
Le super week-end de l’océan, Gaëlle Almeras, Maison Georges, 2022
Des blagues en veux-tu, en voilà
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Voici les chiens Brioche et Tartine, rois de la farce et de la chamaillerie. Pas un pour rattraper l’autre, même si Tartine est le plus futé des deux. Proches des enfants, les historiettes de cette BD se déroulent en planches de huit cases qui se terminent invariablement par un gag plutôt potache qui les ravira et ce d’autant plus s’ils sont amateurs de blagues Carambar et J’Aime lire. A noter que certains gags pourraient bien devenir des « private jokes » au sein des familles ! Plus délirant, mais tout aussi réussi que l’Ours Barnabé (La Boîte à Bulles)  et Le Club des amis (Editions 2024). Dès 6 ans
Brioche et Tartine. Toutou et n’importe quoi, Violette Vaïsse, La Joie de lire, 2022
Un anti-héros au Moyen Age
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Bientôt, pour sûr, Hagrildur-le-Valeureux sera membre du Grand Ordre des Cavaliers, quitte à risquer de louper l’heure de sa sieste et quelques ripailles. Il part donc en quête du lieu où doit se dérouler la Convention des Cavaliers afin d’être intronisé.  L’accompagnent deux valets empotés qu’il a dégotés et une étrange fille habillée comme un garçon qui l’agace profondément. Mais rien ne se déroule comme prévu. On l’aura compris, dans ce roman médiéval hilarant, Hagrildur fait figure d’anti-héros. Quant aux autres personnages, c’est du même acabit, exception faite de l’énigmatique Gerda. Dès 9-10 ans
Hagrildur le Valeureux et la brigade du renne, Sandrine Bonini, Grasset Jeunesse, 2022
Quel bazar avec Léon !
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Parce qu’il a traité la voisine de dindon, Léon est puni et dans sa chambre s’ennuie.
Couché sur le lit, il boude. Une voix off entre en scène et le questionne sur qu’il pourrait faire. « J’en sais rien, c’est pour ça que je m’ennuie ». Finement observé, le geste - ici l’image - rejoint la parole, où Léon,  toujours sur le lit, fait la bougie… pour l’instant ! On les aime ces petits albums qui sentent le vécu. L’histoire se déroule sans que le point de vue sur la chambre, comme une scène de théâtre sur la double page, ne change. Les dessins en aplats bordés de traits noirs rappellent celles, simplissimes et efficaces, de Lucy Cousins et sa souris Mimi. Dès 3 ans
Léon s’ennuie, Violette Vaïsse, L’Agrume, 2022
En vacances, prendre de la distance pour réfléchir au harcèlement à l'école, ici celui d'un prof, et s'en souvenir à la rentrée
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Un jeune prof aborde sa première rentrée au collège. Même s’il a – c’est normal – un peu d’appréhension, il a hâte de partager sa passion de la littérature. « Quand il entre dans la classe, ils devinent que ça va être facile de lui faire la misère, même s’ils ne savent pas exactement pourquoi. » Dans une des classes, un élève en particulier entraîne les autres et lui mène la vie dure ; de mal en pis jusqu’au drame. Cruel, ce beau roman pour ados aborde la thématique de la mise au ban et également de l’homosexualité. Dès 14 ans
Des Rires de hyènes, Marion Brunet, Editions IN8, 2022
Les couleurs de Keith Haring
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Keith Haring était un chic type, libre et amoureux de la vie, proche de l’enfance et des enfants. Ses graffitis et ses dessins sont présents et copiés dans le monde entier. Avec beaucoup de générosité, il a soutenu quantité de causes et de combats. Homosexuel et mort du SIDA ? Et alors ! Sa vie est un exemple de force et de courage pour petits et grands qui liront cet album dont les couleurs swinguent et où chaque mot est choisi avec pudeur et sensibilité. Le publier, c’est lui rendre « un hommage joyeux et vibrant qui appelle à la créativité ». Le pari est réussi, faites danser vos crayons ! Dès 6 ans
Dessiner sur les murs, Matthew Burgess et Josh Cochran, Versant Sud, 2022
Championnes de mère en fille
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Sa maman devant concourir au championnat de deltaplane, une petite fille passe le week-end chez sa mamie et c’est en deltaplane que sa mère la dépose sur le toit de la maison. Cela tombe un peu mal car mamie a prévu de faire les grands nettoyages. Qu’à cela ne tienne, la petite participera. Pour nettoyer une maison, on la vide et on met tout dans la machine à laver, sauf les verres qui sont fragiles. Ici, tout est possible et quantité de thèmes sont abordés. Pourtant, le récit est factuel et le dessin d’une extrême simplicité. La médaille d’or sera pour la maman. On la partage avec Andrien Albert ! Dès 3 ans
Chantier chouchou debout, Adrien Albert, L’école des loisirs, 2022
Un mensonge pas bien méchant
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Kaia, Kotti et Carmen sont copines, peut-être même « meilleures copines ». Enfin cela dépend des jours car l’amitié chez les enfants est parfois mouvante, surtout s’agissant d’un trio. Aujourd’hui, c’est Kaia qui en fait l’expérience. Les deux autres ont chacune un lapin, un vrai, mais pas Kaia. Pour se rapprocher de ses copines qui l’évitent, la fillette s’invente un lapin sauvage qui vit dans le pré, donc qu’on ne voit pas souvent… Depuis une dizaine d’années sont traduits des albums venant de Scandinavie où le monde de l’enfance est merveilleusement bien décrit, comme ici. Dès 4-5ans
Un lapin sauvage ?, Tove Pierrou et Marika Maijala, Versant Sud, 2022
Des livres pour les adultes
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Juste avant de partir en vacances, j'ai lu...
Un court roman de Claire Keegan, "Ce genre de petites choses", parfait quand on ne veut pas partir avec un livre entamé.
Bill Furlong est né et a toujours vécu dans une petite ville d'Irlande. Sa mère, domestique, est tombée enceinte à seize ans. Sa patronne, une veuve protestante, n'a rejeté ni la mère, ni l'enfant, ayant même assuré une bonne éducation à ce dernier. Bill s'est marié. Il est père de cinq filles et possède une dépôt de bois de chauffage et de charbon. Cet homme bon croule sous le travail, mais c'est ainsi que cela doit être dans cette région sévère et croyante.
La bourgade abrite un couvent. Peu avant Noël, Bill doit y livrer du charbon. Il découvre que les soeurs y exploitent à la blanchisserie des filles non mariées qui ont fauté et sont tombées enceintes.
Abordant le thème des blanchisseries de couvent en Irlande, on apprend que ces institutions, dont la dernière a fermée en 1996, étaient administrées et financées par l'Eglise catholique conjointement avec l'Etat irlandais. Il a fallu attendre 2013 pour que le gouvernement présente des excuses.
L'histoire se déroule en 1985. Les gens y sont si pauvres qu'on a parfois d'être cinquante ans plus tôt. Le thème, l'atmosphère, la description de ce héros simple et des questions qu'il se pose font de ce roman une petite merveille. Claire Keegan est décidément une grande écrivaine. Si vous ne le lisez pas prochainement, faites-le en fin d'année. Vous aurez entre les mains le parfait conte de Noël.
Ce genre de petites choses, Claire Keegan, Le Livre de poche, 2022
Et encore avant...
"Là où chantent les écrevisses" de Delia Owens. L'histoire d'une gamine abandonnée à l'âge de dix ans par sa famille, qui se retrouve à vivre seule dans les marais de Barkley Cove, en Caroline du Nord.
"Nickel Boys" de Colson Whitehead. Dans la Floride ségrégationniste des années 1960, un jeune garçon noir, prêt à intégrer l'université, est envoyé dans une maison de correction où les pensionnaires sont soumis aux pires sévices.
"Le Serpent majuscule" de Pierre Lemaître. Un polar aussi immoral et déjanté que ceux de Hannelore Cayre, puisqu'il n'a pas été sans me rappeler l'héroïne de "La Daronne".
"La Péninsule aux 24 saisons" de Inaba Mayumi. Une femme vivant à Tokyo décide de passer une année loin de la ville, dans une région au bord de la mer. Elle y fera l'apprentissage de la nature, de la lenteur, du travail, au fil des 24 saisons qui composent une année japonaise.
"Coupe sombre" et "La vieille maison" de Oscar Peer. Deux livres qui se ressemblent (à ne pas lire peut-être l'un à la suite de l'autre) où, dans un petit village des Grisons, le héros solitaire et rejeté livre un combat avec la nature dans l'un, avec les hommes dans l'autre. Oscar Peer est un des écrivains emblématiques du canton alpin des Grisons.
Des romans à paraître cet automne
"L'Odyssée de Sven" de Nathaniel Ian Miller. Retenez bien ce titre si vous souhaitez être embarqués par le jeune Sven dans le Spitzberg, île au nord de la Norvège. Il y apprendra l'art de la chasse et de la survie, accompagné de nombreux personnages qui vont et viennent, tous plus étonnants les uns que les autres. J'ai adoré ce roman.
Fans de Gaëlle Josse, réjouissez-vous. Bientôt vous lirez "La Nuit des pères" où une jeune femme qui avait coupé les ponts avec son père autoritaire - et c'est peu dire - est appelée par son frère à revenir au village des Alpes où ils ont grandi. Le père décline et perd la mémoire.
A lire sans doute le court roman "C'est plus beau là-bas" de Violaine Bérot. J'avais beaucoup aimé son précédent roman "Comme des bêtes". Ici, le décor semble tout autre. Un homme se retrouve enfermé du jour au lendemain dans un hangar avec d'autres hommes. Ce texte sur la vie communautaire pose des questions sur ce que nous sommes en train de devenir. On en reparlera.
Pendant mes vacances, j'ai lu et continue de lire...
Les six tomes de la saga "Blackwater" de Michael McDowell qui me rappellent l'appétit avec lequel j'ai dévoré, à l'âge de 10-12 ans, les seize tomes de "Jalna" de Mazo de la Roche que ma mère avait lus. Dans le même esprit, enfant, lors des vacances en famille sur la Costa Brava, je lisais un Agatha Christie par jour. J'avais une telle soif!
Bibliographie des romans adultes
Ce genre de petites choses, Claire Keegan, Le Livre de poche, 2022 Là où chantent les écrevisses, Delia Owens, Points, 2021 Nickel Boys, Colson Whitehead, Le Livre de Poche, 2022 Le Serpent majuscule, Pierre Lemaître, Le Livre de Poche, 2022 La Péninsule aux 24 saisons, Inaba Mayumi. Picquier poche, 2022 La vieille maison, Oscar Peer, Zoé poche, 2022 Coupe sombre, Oscar Peer, Zoé poche, 2020 Blackwater, Michael McDowell, Monsieur Toussaint Louverture, 2022 L'Odyssée de Sven, Nathaniel Ian Miller, Buchet Chastel. A paraître La Nuit des pères, Gaëlle Josse, Notabilia. A paraître C'est plus beau là-bas, Buchet Chastel. A paraître.
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On a supermarché sur la lune. Sébastien Joanniez, d'ado en ado
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Début 2007, Tibo Bérard fait ses armes de directeur de collection à Saint-Paul-Trois-Châteaux, à l’occasion de la fête du livre. Car depuis quelques mois, il travaille pour Sarabacane où il a monté Exprim’, une collection de littérature pour ados connectée à son époque. Quelques années plus tard, suivra Pépix pour les 10-12 ans. Tibo va rester chez Sarbacane jusqu’en 2021, date à laquelle, il choisit de se consacrer uniquement à l’écriture. (voir ici). Si la collection DoAdo, au Rouergue, accueille des auteurs punchy comme Guillaume Guérault et publie des romans de société, Exprim’ n’est pas en reste avec ses jeunes auteurs qui bousculent les codes de l’écriture, y intègrent rap ou poésie et racontent la banlieue. Au début de chaque roman figure une bande son choisie par l’auteur. En 2017, Tibo démarre avec Insa Sané (Sarcelles-Dakar), Anne Mulpas (La fille du papillon) et Sébastien Joanniez (Treizième avenir).
Sébastien Joanniez est lui aussi présent à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Il me raconte sa passion pour le théâtre et je lui achète son roman qu’il dédicace d’un chouette texte pour ma fille. Treizième avenir est écrit en slam et sans ponctuation. Comme beaucoup d’adolescents, son héros ne supporte plus ses parents qu’il trouve étriqués - et c’est peu dire -, les voisins, la banlieue pavillonnaire dans laquelle il vit. Heureusement, il y a Justine avec qui il sort depuis peu et avec qui il va vivre sa « première fois. » L’histoire s’arrête là quand quinze ans plus tard, sur les conseils de Camille Bernasconi de la Joie de lire, j’ai l’occasion de lire le nouveau roman de Sébastien.
Ce roman, On a supermarché sur la lune, est très abouti. Treizième avenir se déroulant sur le temps de week-end et étant, comme dit plus haut, écrit en slam, on le parcourait comme un long poème, sans avoir le temps de s’attacher à son héros. Ici, c’est différent. Durant une année, Rosa raconte ses difficultés à supporter sa famille, l’école, la vie ; quantité de questionnements engendrés par les bouleversements de l’adolescence. Habitué à la prose particulière de Sébastien Joanniez et bien qu'écrit à la première personne, on ne comprend pas tout de suite qu’il s’agit d’un journal intime dans lequel Rosa s’essaye à l’écriture de chansons. Car pour se sortir de sa morosité, elle décide de monter un groupe de musique avec ses amis. Elle tombe aussi amoureuse de Lila, une amie, et cela la trouble. Au fil des mois, l’écriture change, au gré de l’évolution de la jeune fille ; une écriture pleine de trouvailles dont on se régale. Et le jour où Lila fait une fugue, le récit se resserre, s'accélère. Rosa réussit à convaincre sa mère de prendre sa voiture et de la mener en Espagne afin d'aller chercher Lila. Ce long trajet en tête à tête leur permet de passer du temps ensemble, d'aborder certains sujets. Et Rosa de constater que cette maman n’est en définitive pas si nulle que ça, d'autant plus qu’elle se fait à l'idée que sa fille soit tombée amoureuse d’une autre fille.
On a supermarché sur la lune, Sébastien Joanniez, La Joie de lire, 2022 (Encrage)
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page-a-pages · 3 years ago
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Des fourmis rouges, des canards sauvages, des ours bruns
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Tôt le matin, un drôle de canard sauvage s’en revient de la boulangerie, un chapeau haut de forme sur la tête, une baguette sous l’aile et un sachet de croissants à la « main ». D’un pas décidé, il rentre à la maison, tout petit dans la nature qui l’entoure. Lui et ses congénères ont élu domicile à l’écart de la ville dans un grand arbre creux.
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Ce jour-là est un jour particulier puisque tous – et ils sont nombreux - préparent une grande fête à laquelle seront invités leurs amis escargots, papillons, vers de terre, fourmis et on en passe. Du réveil au coucher, on assiste à leur quotidien, aux préparatifs et bien sûr à la fête qui - parole de lecteur – est grandiose. Vient l’heure de dormir et ça, c’est bien ce que préfèrent les canards sauvages.
Adèle Jolivard met en scène un modèle d’habitat participatif où si les rythmes, les particularités, l’intimité sont pris en compte, il y a un réel partage du temps et des espaces, de l’entraide et de la solidarité. Au moment de préparer la grande fête, le collectif se réunit, puis se met au boulot. Et on peut dire que ça roule !
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L’histoire, somme toute simple, pourrait presque se passer de mots, mais les courtes phrases insérées dans les illustrations peine page renforcent l’effet comique qui se dégage de l’album. Car l’humour se niche dans les détails dont il est parsemé. Un régal d’observation qui ravira les enfants et les adultes, et qui est propre au travail de miniaturiste de l’illustratrice.
Adèle Jolivard a suivi le cursus illustration sous la houlette de Anne Quévy, à l’Académie royale des beaux arts de Bruxelles. Avant cela, elle a fait des études à l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysagiste de Bordeaux. Elle est donc parfaitement habilitée à rendre compte de l’habitat d’une colonie de canards sauvages qui, dans le cas présent, ne sont pas des oiseaux migrateurs, mais bien des individus qui ont choisi de vivre un peu à l’écart de la ville et en communauté. Mine de rien, en ces temps anxiogènes, cet album est un baume. En le refermant, j’ai applaudi.
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Tout aussi essentielle est l’histoire contée par la petite fille qui se retrouva à héberger les quatre frères Zzli, des ours maousses qui de fait étaient trois, mais mangeaient comme quatre. Elle vivait seule au cœur de la forêt, s’ennuyait un peu et avait été contactée par son amie la chauve-souris dont les cousins ours – très lointains les cousins ! – cherchaient un endroit où vivre après un long voyage.
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Rapidement on comprend qu’il s’agit de migrants ayant traversé quantité d’épreuves terribles. Mais ils étaient gais, bruyants, pitres. Si la vie de la petite fille s’en trouva agréablement bouleversée, parfois la cohabitation n’était pas de tout repos. Et c'est bien de le mentionner.
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Par ailleurs, les habitants de la forêt voyaient d’un très mauvais œil l’arrivée de ces « envahisseurs ». La situation se dégrada à un tel point que les ours, la petite fille et la chauve-souris quittèrent la forêt à la recherche d’un lieu où tous seraient les bienvenus.
Fort de trouvailles et de fantaisie, le texte d’Alex Cousseau sait aussi être didactique. Quant aux riches dessins d’Anne-Lise Boutin, ils nous rappellent l’illustration russe de la première moitié du XXe siècle, les arts populaires, et ont donc un petit côté rétro, en particulier dans la densité des couleurs employées. Celui-ci de livre, en le refermant, j’avais un peu envie de pleurer et encore plus de m’engager, déjà rien qu’en offrant un sourire et quelques mots aux autres.
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Et parce que je viens de le terminer et l'ai beaucoup apprécié, je ne peux que vous recommander ce court roman de Milena Agus dans lequel elle théâtralise avec tendresse et humour la rencontre forcée de migrants, d'humanitaires et des habitants d'un petit village de Sardaigne. Le choeur des villageoises, dont fait partie la narratrice, va tenter d'apprendre à connaître les "envahisseurs". Ci-dessous, le résumé de la quatrième de couverture:
"Il pleuvait à torrents et personne, vraiment personne, n’était prêt à ouvrir sa porte, et surtout pas à ces individus. Oui, il y avait des Blancs parmi eux–les humanitaires qui les accompagnaient–mais ils étaient tout aussi étranges que les autres malheureux, mal fagotés et mal en point. Que venaient-ils faire, ces envahisseurs, dans notre petit village où il n’y avait plus de maire, plus d’école, où les trains ne passaient plus et où même nos enfants ne voulaient plus venir? Nous nous demandions comment les affronter, où les abriter puisqu’il le fallait. Eux aussi, les migrants, avaient l’air déboussolés. C’était pour ce coin perdu de Sardaigne, ce petit village délaissé, qu’ils avaient traversé, au péril de leur vie, la Méditerranée? C’était ça, l’Europe?"
Les Canards sauvages, Adèle Jolivard, Les fourmis rouges, 2022
Les Frères Zzli, Alex Cousseau et Anne-Lise Boutin, Les fourmis rouges, 2022
Une saison douce, Milena Agus, Liana Levi, 2022 (piccolo)
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