FRN-1010 : Environnement numérique du langagierTRD-3000 : Traduction automatique et postéditionUniversité Laval
Don't wanna be here? Send us removal request.
Text
Traduction automatique et jeux vidéo : quand la machine décroche une vie

Image de Roberto Vincenzo Minasi sur Unsplash.
Décrire le défi du jeu vidéo multilingue
Le jeu vidéo est aujourd’hui l’une des formes de divertissement les plus mondialisées. Peu importe où l’on se trouve, les jeux sont souvent accessibles dans plusieurs langues, ce qui suppose un travail de localisation massif. Pour répondre à cette demande croissante, de nombreux studios de jeux vidéo ont recours à la traduction automatique (TA). Elle permet de traduire rapidement des milliers de lignes de dialogue, de menus et de descriptions. Mais cette rapidité cache un revers : celui de la qualité. La TA est aujourd’hui souvent intégrée dans un processus appelé postédition, où un traducteur humain révise une version traduite par la machine. Cependant, dans l’univers du jeu vidéo – riche en références culturelles, en dialogues dynamiques, en humour contextuel – la TA atteint rapidement ses limites. Les erreurs ne sont pas rares, et peuvent gravement affecter l’expérience du joueur. Dans ce billet, je me penche sur ces limites, sur les lacunes de la recherche actuelle et sur les pistes de collaboration entre milieux universitaires et industriels pour améliorer la qualité des traductions vidéoludiques.
Analyser les limites de la TA dans les jeux vidéo
Prenons un exemple fictif mais représentatif. Dans un jeu de rôle, un personnage lance un sort nommé Arcane Blast. En utilisant un outil comme Google Traduction, on obtient le résultat Explosion arcanique, alors qu’un traducteur humain irait plutôt vers Désagrégation des arcanes. Ce type d’erreur est risible, mais il devient problématique lorsque la traduction nuit à l’immersion du joueur dans l’univers du jeu. Autre cas fréquent : des expressions idiomatiques mal interprétées. I’m game! devient Je suis en jeu!, ce qui, dans un contexte de dialogue, n’a aucun sens.
Le blogue The Frenchalizer a bien documenté plusieurs cas où la TA, même avec des outils modernes comme DeepL, mène à des résultats absurdes, notamment en localisation anglais-français. Les conséquences ne sont pas seulement linguistiques : elles peuvent impacter la réputation d’un studio, frustrer les joueurs et nuire aux ventes. Ce genre d’erreurs met en lumière une réalité : la TA, aussi performante soit-elle, n’a ni contexte ni sens commun. Elle ne comprend pas ce qu’elle traduit.
Capture d’écran tirée du blogue The Frenchalizer.
Ici, plusieurs phrases anglaises ont été traduites incorrectement en français. L’exclamation Rats! a été traduite littéralement, de même que nail dans l’expression nailing a dish.
Expliquer pourquoi la machine ne comprend pas l’expérience du jeu
Le plus grand défi de la TA dans le jeu vidéo est l’absence de contextualisation. Une machine ne sait pas si un personnage parle à son ennemi ou à son allié, si l’ambiance est dramatique ou comique. Elle ne saisit ni l’intention ni le ton du message. Dans les cours universitaires de traduction, on parle souvent de l’importance du registre, de la voix narrative et du ton émotionnel, autant de paramètres que la TA ignore totalement. L’un des exemples les plus connus provient du jeu Metal Gear Solid 2: Sons of Liberty (2001), où l’on a traduit Copy that par Dupliques ça. Dans le contexte, on dirait plutôt Bien reçu, mais ça, la TA ne le sait pas!

Capture d’écran tirée du jeu Metal Gear Solid 2: Sons of Liberty (2001).
Dans la même lignée, le tout récent jeu d’Ubisoft, Assassin’s Creed Shadows (2025), n’est pas à l’abri des erreurs de traduction, malgré les avancées technologiques entre 2001 et aujourd’hui. Incapable de reconnaître les images, la TA n’a pas pu savoir que Mamushi était un homme, et non une femme. On obtient alors un résultat assez saugrenu, que j’ai moi-même signalé au studio.

Capture d’écran tirée du jeu Assassin’s Creed Shadows (2025).
Identifier les lacunes de la recherche en TA pour les jeux vidéo
Pourquoi ces problèmes persistent-ils malgré les avancées de l’IA? Parce que la recherche sur la TA en jeux vidéo est encore trop cloisonnée. D’une part, les chercheurs ont un accès limité aux données, les dialogues et les scénarios de jeux étant protégés pour des raisons de propriété intellectuelle. D’autre part, la recherche se concentre encore trop souvent sur les performances techniques (mesure BLEU, métriques de précision), sans mesurer l’impact réel sur l’expérience du joueur.
L’article The Problem with Research on ‘Real-Time’ Speech-to-Text AI Translation soulève un point crucial : il manque à la recherche des évaluations en situation réelle, dans des conditions d’usage. Il est donc urgent de développer des approches empiriques et interdisciplinaires qui tiennent compte de la perception des utilisateurs… ici, des joueurs.
Promouvoir la collaboration entre l’université et l’industrie
Comment améliorer la qualité des traductions dans les jeux vidéo? En favorisant la coopération. Il est temps de décloisonner la recherche et d’impliquer davantage l’industrie. Cela passe par la cocréation de corpus anonymisés, par l’ouverture de certains jeux aux chercheurs (sous conditions) et par la mise en place de projets conjoints de développement d’outils spécialisés. Certaines initiatives existent, notamment dans les jeux à visée éducative. Mais il faut aller plus loin, y compris pour les jeux AAA. Les traducteurs doivent être consultés dès la phase de conception des outils de TA. Les joueurs, eux, peuvent être impliqués dans des tests d’expérience utilisateur, pour évaluer non seulement la qualité linguistique, mais aussi la fluidité et la cohérence de la narration localisée. Comme le suggère cet article sur la série Netflix Squid Game, la traduction ne peut pas être une opération purement mécanique. Elle est ancrée dans des choix culturels et humains.
Conclure sur les perspectives d’avenir pour la traduction dans les jeux vidéo
La TA n’est pas un ennemi. Elle peut être un outil puissant si elle est utilisée avec discernement. Mais dans des contextes comme le jeu vidéo, elle ne peut pas remplacer la sensibilité, la créativité et l’intelligence contextuelle du traducteur humain. Pour offrir aux joueurs une expérience immersive et authentique, les studios doivent investir dans des solutions hybrides et collaboratives. Les chercheurs doivent sortir de leurs laboratoires, et les traducteurs doivent faire entendre leur voix dans la conception des outils. C’est ainsi que la localisation vidéoludique pourra réellement évoluer : en misant sur l’humain, même à l’ère de l’automatisation. Comme le rappelle l’article La postédition : synonyme de révision?, la postédition ne suffit pas à elle seule. Il faut une vision critique, une approche multidisciplinaire et, surtout, une passion pour le jeu. Car traduire un jeu, c’est avant tout traduire une aventure.
Médiagraphie
David Orrego-Carmona (2021). Squid Game: why you shouldn’t be too hard on translators. The Conversation. Consulté le 22 avril 2025.
Julián Zapata et Sébastien Polikar (2023). La postédition : synonyme de révision? OTTIAQ. Circuit. Numéro 157. Consulté le 22 avril 2025.
Läubli et al. (2018). Has Machine Translation Achieved Human Parity? A Case for Document-level Evaluation. Dans Proceedings of the 2018 Conference on Empirical Methods in Natural Language Processing, pages 4791–4796. Association for Computational Linguistics. Consulté le 22 avril 2025.
Maria Stasimioti (2025). The Problem with Research on ‘Real-Time’ Speech-to-Text AI Translation. Slator. Consulté le 22 avril 2025.
Miguel A. Jiménez-Crespo (2017). Crowdsourcing and Online Collaborative Translations: Expanding the Limits of Translation Studies. John Benjamins. Consulté le 22 avril 2025.
Sandrine Guyennet (2018). Machine Translation and Game Localization: Common Pitfalls Illustrated with DeepL. The Frenchalizer. Consulté le 22 avril 2025.
#video games#jeux vidéo#translation#traduction#artificial intelligence#intelligence artificielle#localization#localisation#postédition
0 notes
Text
Jeux vidéo : catalyseurs sociaux et cognitifs

Image de Glenn Carstens-Peters sur Unsplash.
Les jeux vidéo ne sont plus seulement des divertissements pour les amateurs de technologie. Au cours des dernières années, les chercheurs ont exploré les nombreux bienfaits de cette forme de média, découvrant des aspects qui vont bien au-delà du simple plaisir de jouer. Poursuivez votre lecture pour vous lancer dans cette exploration des avantages (souvent) insoupçonnés des jeux vidéo.
Stimulant cérébral : un entraînement pour l’esprit
Les jeux vidéo ne se contentent pas de divertir, ils sollicitent également le cerveau – notamment les lobes frontal et pariétal ainsi que l’hippocampe – de manière complexe. Les jeux de simulation, de conduite automobile, de musique et de tir peuvent améliorer, entre autres, l’attention, la perception visuelle, la concentration et le temps de réaction. C’est comme un entraînement mental qui doit être pratiqué non pas plusieurs heures par jour, mais plutôt quelques dizaines de minutes au quotidien. Selon le psychologue Shawn Green, « les joueurs qui joueraient plus longtemps aux jeux vidéo atteindraient un plateau », qui stagnerait dans la performance des capacités cognitives.
Cohésion sociale : des connexions au-delà de l’écran
Contrairement à l’idée préconçue selon laquelle les jeux vidéo isolent les joueurs, de nombreux jeux encouragent la collaboration. Les jeux multijoueurs en ligne, comme Among Us ou encore Animal Crossing: New Horizons, créent des communautés virtuelles où des personnes du monde entier peuvent se connecter, coopérer et construire des amitiés durables. Les années de pandémie et de confinement en sont la preuve irréfutable : le jeu Among Us a réussi à attirer près de 500 millions d’utilisateurs actifs par mois à la fin de l’année 2020, selon les chiffres du site d’analyse de jeux vidéo Stream Charts.
Gestion du stress : une évasion salutaire
La vie quotidienne peut être stressante, mais les jeux vidéo offrent une échappatoire bienvenue. Plonger dans un monde virtuel permet de libérer le stress accumulé, proposant un moyen sain de se détendre et de retrouver un équilibre mental. « Les Québécoises et les Québécois jouent notamment aux jeux vidéo pour les aider à gérer leur stress (75 %), ou encore pour se sentir moins anxieux (62 %) », selon un sondage mené par l’Association canadienne du logiciel de divertissement.
Médiagraphie
CBC/Société Radio-Canada. (2016). Jeux vidéo : le pour et le contre. Curio. Consulté le 30 novembre 2023.
Radio-Canada. (2020). Among Us est le jeu le plus téléchargé sur l'App Store en 2020. Consulté le 30 novembre 2023.
Radio-Canada. (2023). Les jeux vidéo sont vecteurs de bonheur au Canada, selon un sondage. Consulté le 30 novembre 2023.
Stéphane Baillargeon. (2020). La console consolatrice. Le Devoir. Consulté le 30 novembre 2023.
#video games#jeux vidéo#stress#cognitive science#online#multiplayer#friendship#mental health#santé mentale
2 notes
·
View notes