Tumgik
lcupiote · 6 years
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Eclipse - A story by Jack
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Elle n’aimait pas le monde.
C’est comme ça qu’on aurait pu décrire Luna aux premiers abords. Froide, distante, elle ne se mêlait jamais aux autres élèves du lycée ; mais elle m’a un jour avoué qu’elle avait juste peur de tout le monde. Peur d’être rejetée, mal comprise.
En fait, Luna avait peur du monde.
Elle était simple, Luna. Elle savait ce qu’elle n’aimait pas, ce qu’elle aimait. On savait ce qu’elle ressentait quand elle fronçait les sourcils ou qu’elle faisait cette petite moue avec ses lèvres roses qu’elle pinçait régulièrement. Ses yeux – mon Dieu ses yeux. Ils étaient d’un bleu si sombre qu’on les aurait cru noirs. Ils pouvaient vous engloutir tout entier, si vous restiez fixé sur eux trop longtemps. Mais ça n’arrivait pas souvent, parce qu’elle était toujours la première à baisser le regard par peur d’être trop audacieuse.
Ce qui m’a frappé quand je l’ai rencontrée la première fois – enfin, la seconde, puisque je l’avais déjà vue en classe – dans la salle d’arts plastiques, c’était ses dessins. Pas qu’elle dessinait horriblement mal ; elle était d’ailleurs super douée et imaginative. Non, ce qui m’a perturbé, c’était l’absence d’expression des personnages qu’elle dessinait. Les rares qui possédaient des visages terminés portaient toute cette étrange neutralité, comme si peu importait toutes les aventures qui leur arrivaient, comme si, malgré leurs corps et leur genre différents, ils étaient tous les mêmes. Je pensais, j’étais convaincu, que c’était normal ; que par ce biais-là, elle voulait exprimer quelque chose. Ce n’est qu’en apprenant à la connaître que j’ai su la vérité.
Luna ne savait dessiner ni les visages, ni les expressions.
Il a fallu un moment pour qu’elle daigne m’adresser un mot. Ma technique, c’était simplement de faire le pitre et de m’installer à côté d’elle en cours. Un jour comme ça, j’ai du trop l’agacer et elle m’a crié de changer de place. En plein cours de philosophie. Celui qu’elle détestait le plus. Au final, on a tous les deux réussis à obtenir une heure de colle un mercredi après-midi durant lequel elle me décrocha des regards qui auraient pu me tuer si elle avait eu des rayons-lasers en guise d’iris. Ça m’a fait rire. Au moins, elle me remarquait : chose dont je n’étais pas sûr auparavant.
Un mois plus tard, en cours d’arts plastiques, je lui ai demandé pourquoi elle ne terminait pas ses personnages. Elle m’a répondu : « Occupes-toi de ce qui te regarde, » mais elle n’est pas allée plus loin. Elle aurait pu me frapper. Mais elle ne l’a pas fait. Durant ce même cours, elle m’a simplement expliqué comment fonctionnait les proportions d’un corps, comme une poésie qu’elle avait apprise par cœur de son cahier de CE1. Je me suis demandé où elle avait appris tout ça et quand j’ai formulé ma question à haute-voix, elle m’a répondu « sur Internet, » avant de reprendre son activité première. Et puis je me suis rendu compte qu’elle m’avait parlé. Non pas en s’énervant. Non pas en fronçant les sourcils. Non pas en donnant l’impression de vouloir m’étrangler. Juste…
D’égal à égal.
Il a fallu quelques semaines avant que finalement, on fasse autre chose que dessiner. Après l’art, on est allés prendre un café dans un petit bar à dix minutes à pieds du lycée. J’ai payé – je suis un gentleman – malgré ses réticences et elle a choisi la table la plus au fond du bar possible. Comme si elle voulait qu’on ne nous remarque pas. Dans tous les cas, je l’ai suivi et nous nous sommes installés. Elle a siroté son chocolat chaud sans un mot, le regard fuyant et j’ai compris qu’elle était intimidée par l’endroit, par la situation. Alors bien sûr, j’ai commencé à faire le pitre. Ça à détendu un peu la tension, mais sans grand succès.
Alors on a parlé de dessin. Elle s’y connaissait bien plus que moi, c’était le seul sujet que je m’autorisais à toucher et surtout, le seul sur lequel elle s’ouvrait quasi-instantanément. Elle avait déjà attrapé un crayon pour gribouiller son monde sur la serviette du bar, pour me montrer ce qu’elle voulait me dire. J’ai trouvé ça marrant et attendrissant. On s’est séparés et elle avait l’air beaucoup plus décontractée qu’avant.
On a continué à parler. Le dessin, le dessin, le dessin. Toujours. On n’osait pas aller plus loin. Parfois, on parlait de mangas, de styles qu’elle préférait. En philo’, je l’aidais à se cacher, ou à comprendre ce que la professeur essayait désespérément de nous faire comprendre. Les auteurs, les textes, tout ça, on voyait bien qu’elle n’en avait rien à faire. Du moment que la prof’ la laissait tranquille, elle était OK. Moi, je la regardais. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’on n’apprend jamais plus qu’en observant les gens faire ce qu’ils aiment. Et Luna, j’adorais la regarder.
Bref. Un jour, en cours d’art, j’ai eu une idée un peu idiote. Il fallait qu’on fasse un truc à deux pour la fin de l’année, qui serait exposé dans le hall du lycée. Une sorte de petite exposition, juste pour nous, parce qu’on savait que très peu étaient les élèves qui prendraient le temps d’observer notre travail. Mais on ressentait quand même une certaine fierté. Luna, elle, n’aimait pas vraiment exposer ses dessins, puisqu’elle ne les finissait jamais. Ou parce que ça attirerait l’attention sur elle. Enfin, je lui ai proposé qu’on fasse un truc un peu fou. Un manga ensemble. On travaillerait sur l’histoire ensemble, elle aurait la charge des personnages et moi, des visages, pour les différencier. Ironiquement, c’était moi qui était le plus doué pour les visages, parce que c’était le truc que je foirais le moins dans un dessin. J’imagine qu’à force de pratiquer uniquement les visages, j’étais devenu doué.
Elle a accepté. Je crois que c’est vraiment ce jour-là que tout a vraiment commencé.
On se retrouvait après les cours pour parler. On allait toujours dans le même café. On commandait toujours la même chose. On écrivait toujours dans le même carnet. Elle relevait toujours ses longs cheveux noirs en une queue de cheval épaisse, en laissant quelques mèches retomber le long de son visage. En cours de philosophie, on écrivait aussi. En fait, dès qu’on parlait, on parlait de notre projet commun. Et à chaque fois, ça dessinait un sourire sur son visage. Je pense qu’elle adorait ça, parce que ça donnait un minimum de sens à sa présence ici, dans cette classe, avec moi. Où à sa vie en général.
Enfin, on a avancé tellement vite qu’en deux semaines on avait toute l’histoire. Courte, mais le début de ce qu’on jugeait une œuvre d’art. En deux semaines de plus, et après plusieurs essais qu’elle jugeait ratés, on avait nos personnages.
La première planche nous a rapproché encore plus. Elle m’avait invité chez elle parce que ses parents étaient sortis et que, bien sûr, ils ne savaient rien de tout ça. Elle m’a confié qu’elle les aimait profondément mais qu’elle ne savait pas comment leur parler. Et j’ai sentis combien ça lui pesait. Elle s’en voulait de ne pas pouvoir leur parler comme quand elle était petite, alors elle se réfugiait dans le dessin, et que la plupart de ses dessins s’adressaient à eux. Bien sûr, elle ne les donnait jamais, mais je pense qu’ils sont heureux aujourd’hui de les avoir.
La voir aussi fragile, elle qui voulait tellement être forte, j’ai trouvé ça touchant. Je pense que je peux décemment avouer que c’est ce jour-là que je suis réellement tombé amoureux d’elle.
Nous avons continué à dessiner, ensemble, mais je n’ai jamais avoué que je l’aimais. J’ai continué à la regarder quand elle dessinait, à la taquiner pour la voir rire, et surtout, j’ai continué à tomber encore plus amoureux d’elle. Quand j’étais seul à la maison et que mes parents se hurlaient dessus, j’espérais secrètement qu’elle vienne me trouver. Un jour, je suis allé chez elle parce que justement, je ne pouvais plus supporter ça. Quand elle m’a vu pleurer, elle a paniqué et elle m’a pris dans ses bras. Elle se moquait de ce que pouvait demander ses parents : elle savait que j’avais besoin d’elle. Je l’avais tant soutenue qu’enfin elle pouvait me rendre la pareille. Ce jour-là, une fois que j’ai fini mon histoire, elle m’a sourit et m’a dit :
« Toi et moi, on est comme le Soleil et la Lune. Toi tu es le Soleil parce que tu brilles tout le temps, et moi la Lune parce que je me cache, et on a tous les deux des faces que personnes ne voit. »
Aujourd’hui, je peux dire que nous étions une éclipse. Pour deux raisons. La première parce qu’effectivement, elle était la Lune et moi le Soleil. Et la seconde, parce que nous n’avons été réunis qu’un an. Nous étions une éclipse.
Alors… En mémoire de la personne qu’à été Luna. Je voudrais que vous vous attardiez tous sur les œuvres exposées ici, dans le hall du lycée. Vous ne l’avez peut être jamais connue, mais c’était une personne exceptionnelle. J’espère qu’elle se sent bien, là où elle se trouve. Merci pour votre écoute. C’était Jack. Le Soleil Jack.
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