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Sérendipités littéraires
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Résumés et critiques - Histoire, histoire de l'art, roman, philosophie, poésie - Textes écrits par Naomi Melville
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le--yad · 5 years ago
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David Diop, Coups de pilon
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Un véritable bijou : inattendu, piquant, voilà comment décrire d’abord le recueil Coups de pilon, dont on regrettera la brièveté (moins d’une cinquantaine de poèmes et deux articles, l’un portant sur la possibilité d’une poésie nationale noire, l’autre sur l’éducation scolaire en Guinée nouvellement indépendante – 1958). L’auteur, dont la vie fut écourtée par un accident aérien, avait donc une demi-génération de différence avec Césaire (dont on retrouvera une certaine expression du lyrisme énergique) et Léon Gontran-Damas.
Par-delà cette filiation, Diop trouve son unicité dans l’emploi d’images claires, percutantes, mais non moins délicates : les « mers glacées où se noient les moissons » côtoient l’éclair converti « en clinquant monotone ». Si le thème dominant reste la (dé)colonisation du continent africain, à travers les champs lexicaux de la soumission, de la force physique, de l’humiliation, prenant forme à travers de nombreuses citations historiques (le bagne de Poulo Condor au Viêtnam, les sept de Martinsville – afro-américains condamnés à mort pour viol alors que la peine capitale n’était pas applicable aux blancs…), le référentiel de son écriture s’élargit aux autres peuples encore colonisés au XXe siècle. Diop permet l’immersion – voire l’identification – à nombre de ses poèmes, qui s’achèvent souvent sur le ton d’un chant d’espoir : revalorisation de soi, reprise de pouvoir sur le cours d’une existence personnelle ou collective, ouverture des possibles, des choix et des décisions.
Rares sont les recueils qui plaisent sans réserve : voici donc les miennes. Trois des poèmes du recueil sont construits à la manière d’apologies de la beauté physique d’une femme, du désir qu’elle suscite. Reste à savoir si leur analyse doit être faite en considérant le regard de l’auteur comme celui, non spécifique, d’un homme sur une femme, ou s’il faut s’attarder sur le fait que ce soit un homme noir parlant d’une femme noire au sein d’un recueil chantant l’indépendance de l’Afrique. Lire ses textes de ce point de vue est-il restrictif ? Les lire sans ce prisme, n’est-ce pas passer à côté d'une partie du propos ? On note dans tous les cas que seules des femmes sont décrites aussi précisément – les hommes disparaissent dans des masses, des foules, des groupes de camarades. A première vue, je n’y vois qu’une réduction. Mais si l’on inclut le contexte, je peux percevoir ces textes comme une remise en valeur de la femme noire dont la beauté a été dépréciée dans l’inconscient collectif. Bien sûr, je pense à l’écueil décrit par Fanon dans Peau noire, masques blancs ; l’esclavage a fait de la force physique un caractère positif du noir, ayant ensuite muté en une perception exclusivement sexuelle, par laquelle le blanc peut se sentir lésé. Mais l’engagement de Diop me donne l’assurance qu’il est bien conscient de ce dernier. Alors, enfin, je perçois le poème comme une critique, empreinte de cynisme, des formes naïves et folkloriques qu’il emprunte lui-même (le tam-tam, la panthère, le piment, la mangue, le griot).  
Si l’on passe au-delà de cette réserves – et cela vaut largement le coup – on en retient l’aptitude admirable de Diop à mêler sonorités, langage, rythme et engagement.
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David Diop, Coups de pilon, 1973, ed. Présence Africaine, 82p., 6,20€
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le--yad · 5 years ago
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Forough Farrokhzad, La nuit lumineuse
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Forough Farrokhzad est une poétesse iranienne ayant brièvement vécu au milieu du XXe siècle, alors que ses compatriotes publiés étaient majoritairement des hommes. Elle a alors l’audace de consacrer une grande partie de son œuvre au désir et aux sentiments amoureux tels qu’expérimentés par une femme – et non pour une femme –, en dépassant les métaphores fleuries et timides et en renouvelant radicalement les formes traditionnelles de la poésie persane.
Je ne suis pas particulièrement portée sur les récits d’amour ; il m’a été possible d’aborder ceux-ci en appréhendant l’héritage par rapport auquel s’est située l’autrice. Bien que déçue de constater que ses textes étaient très mal traduits, j’ai persisté dans ma lecture parce qu’elle constituait un riche document sur la société iranienne d’alors.
Effectivement, est paru aux éditions Lettres Persanes un second volume réunissant les lettres que l’autrice a adressées à son époux, durant les cinq années de leur mariage, à son père, son frère, ses amis, des critiques et nouvelles rédigées par elle, plusieurs entretiens, des documents sur ses influences littéraires et le storyboard d’un court-métrage documentaire sur une léproserie dont elle a été la réalisatrice. A travers cette matière se dessinent les coutumes maritales, la structure et l’organisation familiale d’alors, le statut valorisé mais ultra-précarisé et masculin de l’artiste iranien. A force de fragments, il devient aussi possible de saisir l’existence de Forough Farrokhzad et l’authenticité de toutes ses contradictions. Sa volonté de s’émanciper de sa famille, par son art, est contrée par le carcan marital qu’elle s’impose au nom du sentiment amoureux qu’elle s’est engagée à vivre pleinement ; son désir d’une sincérité simple et profonde, dans l’écriture comme dans le quotidien, se traduisant par un attachement persistant, bien que diminué, aux traditions religieuses et familiales, se heurte à leurs propres limites. Ses angoisses la maintiennent dans une solitude aimée mais subie qui la prévient de se nourrir entièrement des rencontres intellectuelles qu’elle est amenée à faire.
Son œuvre se construira à travers de nombreuses ébauches de projets et de rôles (au sens propre et figuré) dont une grande partie ne sera pas menée à terme, du fait d’aléas extérieurs et financiers. Mais à travers ces tentatives et ses réalisations, elle nous dépeint d’une manière terriblement juste une large palette de sentiments humains : au-delà de l’amour, la honte, le mépris et l’affliction ; au point qu’on se retrouvera, avec surprise et même un peu de gêne, dans chaque brève pensée, chaque geste machinal qui nous est décrit.
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Forough Farrokhzad, Oeuvre poétique complète, traduit du persan par Jalal Alavinia, ed. Lettres persanes, 1954-67, 366 pages, 25 euros.
Forough Farrokhzad, La nuit lumineuse - écrits : lettres, récits, nouvelles, entretiens, scénario..., traduit du persan par Jalal Alavinia, ed. Lettres persanes, 411 pages, 25 euros
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Image ci-dessous : Trisha Donnelly, Untitled, 2010, marbre blanc 
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le--yad · 6 years ago
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Herman Bang, Maison blanche, Maison grise
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Quelle étrange écriture que celle d’Herman Bang, qui, brumeuse, nous fait pénétrer par interstices dans la frise d’un temps suspendu, alors que les saisons continuent de passer et le climat de changer.
Maison blanche, maison grise est un récit en deux volets dont le premier est porté par un regard d’enfant, jamais nommé bien qu’il en soit le narrateur. S’attachant aux détails significatifs graduant cette enfance – la récolte du raisin, les « étoiles de givre ourl[ant] les branches des arbres », les visites et les fêtes, les personnages (la femme du maire, « énorme paquet de vêtements ») aux traits presque fantasmagoriques – il nous en livre une vision hautement esthétique, en lumières et en reflets.
Ces pages sont rythmées par la poésie et les chants de « mère », pâle et silencieuse, existant dans ses élans de nervosité parfois maniaques (sa crainte d’avoir des vers dans les dents...), mais aussi de joie ; chants qui ressurgiront à la toute fin du second volet. Au fil de la lecture, son personnage se charge d’angoisse et de tristesse, et les raisons de sa solitude immense seront en partie dévoilées quand on découvrira que « père » la néglige, voire la trompe.
La « maison grise », celle de Hvide, le grand-père, vieux médecin, se situe à Copenhague. Noyée dans la pénombre, aux murs chargés de motifs dorés et de portraits de célébrités ou d’ancêtres, elle fait écho à toutes les autres demeures où ce dernier se rendra, soulignant le déclin de cette bourgeoisie danoise. Il faudra ouvrir de lourds rideaux, ôter des abat-jours pour qu’entrent quelques rayons qui nous fassent découvrir le visage des patients de Hvide, mais aussi la nature de leurs liens : outre le soin, la défiance, les dettes et de nombreuses vieilles rancœurs les unissent. Leur cynisme s’étendra aux relations familiales et amicales du médecin, animées par l’argent et les messes basses.
Rapport de supériorité aux domestiques assimilé dès l’enfance par le narrateur de Maison blanche, sérieux et pompe tournés en ridicule par celui de Maison Grise : on comprend progressivement le désamour et la distance qu’a expérimentés Herman Bang pour son milieu. Homosexuel, qualifié de libertin, malade chronique sévère, Bang est mis au ban de son milieu d’origine dès la diffusion de son premier roman, Familles sans espoir. Il s’exile à travers l’Europe, et il fréquente notamment le cercle littéraire de Lou-Andréas Salomé (c’est d’ailleurs d’après ses citations que j’ai découvert l’auteur) et de Rainer Maria Rilke.
Une douloureuse allégorie de l’impermanence dont je ne sais que penser. La linéarité du récit m’a empêché de pleinement l’apprécier. Mais, après lecture, il en demeure une impression de puissante originalité. L’œuvre, à l’image de son contenu, mérite sans doute du temps pour être appréciée.
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Herman Bang, Maison blanche, Maison grise, Stock, La bibliothèque cosmopolite, 1898 - 1901, 358 pages, 8,20 euros.
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Image : Vilhelm Hammershøi, Intérieur, Coin de salle à manger, Strandgade 30, 1899
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le--yad · 6 years ago
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Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs
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Ecrit en 1952, un siècle après l’abolition de l’esclavage en France, Peau noire, masques blancs, qui devait à l’origine constituer la thèse universitaire de psychiatrie de Frantz Fanon, et ne s’intéresser qu’à la complexité des rapports post-coloniaux entre Blancs et Antillais, se révèle bien plus large tant dans sa forme que dans son sujet.
L’auteur s’interrogera non seulement sur le statut politique et social de l’Antillais face au Blanc, mais sur celui du Noir face à l’Antillais et au Blanc, et enfin, sur celui du Juif. Ces derniers sont bien entendus explorés d’un point de vue systémique, sur la base d’entretiens et d’une expérience collective.
Si la thèse a été refusée comme telle, c’est qu’elle se ramifie et s’enrichit en explorant des pistes sociologiques, anthropologiques, philosophiques, d’analyse littéraire, historiques et, comme attendu, psychologiques, psychanalytiques et psychiatriques. Les références y sont nombreuses : à Anna Freud et à sa théorie de « l’évitement du déplaisir », à Alfred Adler et à l’ancrage de ses recherches dans l’exploration de l’enfance, à la poésie de Léon Gontran-Damas (dont je vous conseille vivement les Pigments-Névralgies), à l’écriture d’Abdoulaye Sadji. Tout ceci en revisitant les théories eurocentrées pour les adapter, à partir de ses observations de terrain aux Antilles mais aussi en Algérie, aux patients et plus largement à une population magrébine, antillaise ou noire.
Les paroles directes de Fanon et la qualité de sa plume rendent son discours facilement accessible. Il y explique crûment comment l’individu Noir est perçu comme possédant une puissance sexuelle inaccessible au Blanc, comment il y est réduit et incarne alors la figure du castrateur, voleur de femmes.
L’auteur est également l’un des premiers théoriciens de l’intersectionnalité : il démontrera que le racisme n’est pas l’apanage des dirigeants seulement, mais aussi celui de la classe populaire instrumentalisée par ces derniers afin que la discrimination lui permette de s’envisager elle-même dans un rapport de supériorité.
Enfin, et pour souligner la richesse de cette courte thèse, L’expérience vécue du Noir est un chapitre singulier, rédigé à la première personne, où le Je est tour à tour possession de l’auteur et d’un autre qui subirait l’oppression systémique d’une société européenne en l’analysant sur le vif, sans l’avoir auparavant déconstruite et théorisée.
Vous l’aurez compris : ce livre est riche en pistes à explorer, toutes déjà vivantes dans cet essai. Seul (gros) bémol : la psychanalyse telle qu’initiée par Freud, Lacan et Jung est reprise ici encore empreinte de ses caractères misogynes et de sa volonté à analyser l’homosexualité comme névrose familiale… Si l’on s’en tient toutefois au cœur du sujet, on y trouvera un discours poignant et on constatera – avec inquiétude – que les schémas qu’il cherche à bouleverser sont toujours d’actualité.
Si vous souhaitez vous documenter de manière complémentaire sur les recherches de Fanon, ses Ecrits sur l’Aliénation et la Liberté, qui m’ont fait découvrir son travail, regroupent en un document très complet une partie de ses articles de psychiatrie, sa thèse (celle qui fut effectivement publiée), ses publications dans le journal de l’hôpital de Blida, des textes de théâtre dont il fut l’auteur et une partie de sa correspondance.
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Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Editions du Seuil, collection Points Essais, 1952, 225 pages, 8,30 euros.
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le--yad · 6 years ago
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Luis de Góngora, Solitudes
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Lorsqu’un intérêt pour la poésie débute par la lecture d’auteurs contemporains, quoi de mieux, pour en comprendre les enjeux, que de se plonger dans des ouvrages plus historiques ? Et quoi de mieux que ceux-ci soient eux-mêmes avant-gardistes, proposant vers déconstruits et strophes en mille-feuilles ?
L’auteur de ce long poème en prose a été le père du mouvement cultiste, courant littéraire baroque espagnol usant à outrance de références littéraires et figures de style, dans le but de s’éloigner de la forme narrative de l’épopée alors en vogue, pour faire ressortir la préciosité du contenu. Tour à tour oubliée puis exhumée, Solitudes a suscité la controverse à chacune de ses réapparitions.
C’est donc une lecture difficile d’abord, véritable exercice d’escalade où il s’agit d’osciller avec adresse entre la version originale en vers, sa transcription en prose, et les nombreuses notes éclaircissant telle référence à la mythologie grecque, tel usage d’un mot détourné de son sens, tel néologisme, tel élément propre à son contexte historique.
Car ils abondent. Mention cryptée de l’œuvre de Virgile, de Glaucus, citation tout aussi allusive des exploits d’Hercule… Góngora, fin connaisseur du latin et du grec, en transpose littéralement les constructions syntaxiques et les racines des mots dans sa langue espagnole. En surgissent des images, aussi surprenantes et soudaines que celles qu’amènent les oxymores (« pondéreuse vaine pesanteur »), les métaphores et autres comparaisons.
Une fois le rythme pris, on découvre des scènes magnifiquement préservées ; natures mortes où sont dépeints un bol de buis sur une nappe blanche, les mailles d’un filet emprisonnant un congre ; paysages dignes de la peinture romantique ou flamande où sont captés, en quelques lignes, la lumière, la densité de l’air, l’écho entre les immuables constructions humaines et la nature. L’agencement déroutant des prépositions – un adjectif peut s’appliquer à un nom cité trois ou quatre vers plus tôt – rend possible la déambulation dans la trame de l’écriture, et l’appréciation des associations et des sonorités incongrues, parfois sublimes.
Solitudes me parvient comme un bijou dans son écrin : image puissante par sa richesse et sa précision, mais objet si précieux qu’il demeure très – trop – intellectuel.
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Luis de Góngora, Solitudes, version bilingue français/espagnol, annotations et postface Robert Jammes, Editions Rue d’Ulm - Versions françaises, texte de 1613, édition de 2017, 370 pages, 25 euros.
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Photo : Pieter Brughel le Jeune et Sébastien Vrancx, Palais royal de Bruxelles, 1627
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le--yad · 6 years ago
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Jean-Luc Nancy, Exclu le juif en nous
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Ce court essai de Jean-Luc Nancy traite de l’antisémitisme en tentant de chercher ses racines au plus profond de notre culture européenne. Le sujet est d’ailleurs introduit par une référence à Hannah Arendt, et par une reprise de son utilisation de la notion de banalisation du mal sous le terme « d’historialité » faisant référence à une inclusion des gènes de cette haine dans une série d’évènements assimilés, déjà noyés dans les profondeurs de l’inconscient.
En analysant l’évolution des modes de croyance des empires grecs et romains, l’auteur cherche à déconstruire l’apparition du christianisme, puisant dans certains de ces modes, et prenant racine dans le monothéisme juif. Il décrit cette nouvelle religion animée d’une volonté d’autonomie totale de l’Homme, condensant en lui la présence de l’au-delà divin (notamment par la consommation de l’hostie). Autonomie allant bien plus loin que la simple volonté de maîtrise technique et intellectuelle du monde ayant précédé la naissance du Christ, et qui, opposée à l’hétéronomie assumée de la religion juive, serait la source de cette haine jamais disparue pour celle-ci.
L’hétéronomie assumée du peuple juif, apparaissant comme une exclusion choisie de tout groupe plus large, de toute nation, s’opposerait alors à la notion même du groupe (qui, pour se constituer, doit exclure et non s’exclure) ; et cela viendrait heurter l’égalité manichéenne prônée par le christianisme, qui, pour exister sans entraves, se devrait d’abolir cette préservation dans l’appel de la religion juive. Plus tard, reproduisant ce schéma, le capitalisme – ne tolérant qu’un seul modèle, celui de son essence productiviste – reproduira cette hostilité par l’évènement de la Shoah, en lui appliquant un caractère industriel et pratique et en faisant du Juif l’obstacle par excellence à son développement.
L’écriture de Jean-Luc Nancy est, comme dans La création du monde ou la mondialisation, schématique, belle et formelle, ramenant les notions à un ensemble de points qui se lient et se concrétionnent au fil de la réflexion.
Pourtant, familière de son écriture comme de celle des philosophes de sa génération, il m’a fallu lire deux fois ce texte. Ce qui, en soi, n’est pas un mal, et révèle même sa richesse, me questionne quant à son inaccessibilité pour des lecteurs moins familiers du registre ; qu’est-ce qu’une réflexion sur un sujet aussi brûlant si elle est seulement réservée à une frange de la population ?___________________________________________
Jean-Luc Nancy, Exclu le juif en nous, Editions Galilée, 2018, 69 pages, 14 euros.
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Photo : Pietro Nicosia, Sensazioni - La festa di S. Agata, Catania
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le--yad · 6 years ago
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Nathalie Quintane, Les années 10
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Nathalie Quintane nous propose, aux éditions La Fabrique, un opus en neuf chapitres et en caractères assez larges, sur papier assez simple pour nous donner envie d’annoter notre lecture. Sous le titre Les années 10, cette réflexion construite autour de la notion de peuple et de celle de pauvreté se décline sous des formes assez variées, mais questionnant toujours notre manière de nous adresser à l’Autre : une immersion dans les pensées de Marine Le Pen, une lettre tirée d’une correspondance de l’auteure avec l’écrivain, philosophe et photographe Jean-Paul Curnier, un retour critique sur l’œuvre d’Annie Ernaux.
Si ce texte a une vocation philosophique ou sociologique, il fait aussi danser : la répétition de certains termes, un jeu autour de nombreuses prépositions, au cœur de l’un des chapitres qui interroge leur sens, la longueur des phrases qui transforme la prose en mélopée l’inscrivent dans un genre poétique.
Chacun des chapitres ne peut éviter de culminer, à un moment donné, en apothéose, ce qui peut être agaçant : on se sent hélé, en plein meeting, face à un discours qui assume d’être pleinement, directement politique. Mais on ne peut retirer à leur autrice le mérite d’avoir à la fois trouvé un langage aux mots simples et qui déconstruit et met en évidence le regard – si ce n’est les automatismes de pensée – très souvent portés sur les classes populaires, à la fois avec humour et réalisme cru, en s’interrogeant sur leurs possibles dans notre monde contemporain. Références « lettrées » et populaires sont mises sur un pied d’égalité : Mitterrand, Pasolini, Bataille, Les Black Panthers, Tupac, Loana, Musso, Bolt, la pastorale Maurel se côtoient.
Par-delà tous ces éléments, le texte est beau ; il fait surgir des images, il les accumule, et en plaçant côte à côte la « tête curviligne projetée » des réverbères, la ville qui défile par « la vitre bleutée » du tramway, et le « papier peint marron à grosses fleurs », le « paquet de chips XXL », ce sont aussi des odeurs qui viennent à nous, des lumières, celle d’une réalité qu’on comprend, après lecture, ne pas pouvoir entièrement, et justement, saisir.
Selon le dernier chapitre, « l’extrême gauche », à laquelle s’identifie l’autrice, ne lirait pas de littérature : et comme cet ouvrage englobe des champs bien plus larges, il devient possible de le lire et relire sous autant de perspectives différentes.
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Nathalie Quintane, Les années 10, La Fabrique éditions, 2014, 216 pages, 13 euros.
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le--yad · 6 years ago
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Lou Andreas-Salomé, Ma vie
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Ma vie de Lou-Andreas Salomé traînait, depuis plus de deux ans et dans une édition datée des presses universitaires françaises, dans ma pile de livres en attente. C’est l’envie de lire un récit autobiographique, après avoir écouté une longue interview de Maria João Pires, qui m’a décidée à l’ouvrir. Lou Andreas-Salomé, compagne intellectuelle de, notamment, Rée, Nietzsche ou Freud, a laissé dans l’ombre des dizaines d’écrits, essais, romans ou poésie, absorbés par le passage des hommes qu’elle a fréquentés.
Je n’ai pas été déçue : ce livre, récit à la fois biographique et d’auto-analyse psychanalytique et philosophique, rassemble, outre des contenus aux couleurs variées, un très important corpus de notes (d’une centaine de pages) retranscrivant des lettres dans leur entièreté, situant historiquement et géographiquement tous les personnages cités, et complétant quelques élusions dans la narration de LAS (l’éditeur l’ayant personnellement fréquentée).
S’il n’y a aucune illustration dans l’ouvrage, la présence de descriptions de photographies complète le regard de l’autrice, déjà fouillé et très étendu, par le point de vue d’un tiers, qui nous raconte « Nietzsche [tenant] la poignée et [regardant] au loin, tandis que Rée, effleurant le timon, semble extérieur à ce qu’il se passe et regarde l’objectif. »[1]
A travers l’un des premiers chapitres, Expérience de la Famille, qui précédera celle de la Russie, sont posés les éléments principaux du décor : le pays pré-révolutionnaire, le changement progressif du statut du prolétariat, son rapport à la classe des paysans, la notion de collectivité décrite par LAS comme un don réciproque (au moment de la Révolution) de valeurs culturelles et humaines entre l’intelligentsia et le « peuple ». Dans ce cadre, s’inscrit l’histoire plus intime de sa famille et en particulier de ses frères.
L’ensemble du récit, de façon globale assez rapide à lire (les descriptions nous font rebondir sur les portraits de la société russe, allemande ou encore française de la fin du XIXe – début du XXe siècle, les envolées effusives sur les réflexions d’apparence plus froides), pourrait s’apparenter à une longue fresque représentative à la fois d’une épopée personnelle, et d’une époque. Effectivement, les cercles intellectuels et artistiques successifs que LAS observe ou qu’elle contemple font écho à ses rêveries d’enfance : des récits adressés d’abord à Dieu, puis à elle-même, peuplés d’innombrables personnages anthropomorphes, ou qui, plus exactement, prennent successivement les traits d’un arbre, d’un écolier, d’un vieillard. Parmi ces visages, certains demeurent plus flous, et d’autres, grâce à quelques détails (celui d’une activité, celui d’une souffrance) se détachent de l’ensemble.
Ce qui donne à la narration son rythme de fleuve, ce sont aussi ces passages sensoriels, presque poétiques, qui l’entrecoupent. Une descente en semi-obscurité dans la montagne, l’atmosphère épaisse où se mêlent les alpages, le lait et la brume, et cette nuit où « quelque chose ou quelqu’un semble [lui] faire signe – et il [lui] faut partir »[2].
Et puis, il y a bien sûr des portraits, qui jalonnent tout l’ouvrage, plus ou moins longs, et qui diffusent plus ou moins à travers le livre dans son entier. Celui de la mère de LAS, celui de Paul Rée, de Nietzsche ; de Rainer Maria Rilke, au travers de leurs péripéties et d’une ouverture sur les conflits intérieurs propres aux poète, puis d’une annexe, sorte d’hommage empreint de regrets ; celui de Freud, qui laisse peu de place à l’expérience personnelle, contrairement aux autres portraits ou thématiques abordées qui, bien qu’initiées par une introduction « théorique », plongent rapidement dans les remous de l’expérience ; celui de Friedrich Carl Andreas, qui nous apparaît entre ses étudiants et ses livres, sa précision et son inachèvement, près des fenêtres donnant sur les « tilleuls aux larges branches », des couloirs ponctués des « bigarrures des broderies paysannes russes »[3].
Le vocabulaire employé par LAS lorsqu’elle rédige des passages plus réflexifs ou philosophiques est loin d’être académique. L’objectivité n’est pas le but recherché, et cela, loin de rendre le texte maniéré, donne sa couleur à la personnalité de l’autrice, comme la rehaussent certains de ses gestes qui y transparaissent, comme sa manière de découdre les feuillets de ses livres pour être plus à l’aise lors de leur étude. Et, loin de nous plaire entièrement, suggérant même une certaine antipathie parfois, elle nous présente très simplement ses conceptions, teintées de celles de la haute société européenne d’alors : ses fantasmes récurrents autour de « l’Orient », partagés avec son mari, un certain féminisme auto-réfreint. L’ensemble est direct, complexe mais d’une grande simplicité à la lecture, et ravive l’envie d’explorer le rhizome de nos vies.
[1] Lou Andréas-Salomé, Ma vie, éditions P.U.F, notes de fin d’ouvrage, p.239
[2] Lou Andréas-Salomé, Ma vie, éditions P.U.F, p.104
[3] Ibid, p.174
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Lou Andreas-Salomé, Ma vie, PUF/Perspectives critiques, 1977, 296 pages, commentaire par Ernst Pfeiffer.
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le--yad · 6 years ago
Photo
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C'est en décembre dernier que j'ai commencé ma lecture de Crimen e Ilusión, un ouvrage théorique aux allures de roman que m'avait recommandé un ami, chercheur en littérature. Il a été, comme le fait entendre le titre, rédigé en espagnol. Heureusement, la construction des phrases est assez simple, et avec un dictionnaire sous la main, un niveau de langue assez basique suffira pour le comprendre. 
On s'attend à découvrir les enjeux de la peinture espagnole du Siècle d'Or (qui fait le pont entre la fin du Moyen-Age et le début de la Renaissance), et ses enjeux théoriques aussi bien que ses formes (cet ami m'avait mentionné un rideau, s'ouvrant annuellement sur une sculpture aux origines mystérieuses...).
Le contenu du livre est plus riche et plus complexe que ce qu'il y paraît. L'auteur, Felipe Pereda, relate sept récits s'étant déroulés entre la fin du XVIe et le milieu du XVIIe siècle, en nous en détaillant les personnages, leurs relations sociales, leurs voyages, leur caractère. On retrouve ces derniers (Velázquez, son beau-père, Francisco Pacheco, peintre et théoricien de l'art, et de nombreux autres, membres de l'église, hommes de pouvoir ou artistes) tout au long des chapitres. C'est à travers leurs débats et leurs rencontres que l'on comprend peu à peu que l'histoire de l'art était l'alliée de la politique et de la juridiction de l'Espagne, et donnait corps aux débats religieux au sein de l'Eglise. L'art ne faisait pas que soutenir ces domaines : il s'agissait plutôt d'une construction commune, mettant en exergue l'omnipotence de cette dernière.
Un débat autour de l'inscription placée au sommet de la Croix nous plonge entre les pages de bibles d'époque, et retient notre attention sur les enjeux majeurs d'une question d'apparence si banale, qui aurait pu finalement illégitimer certains courants de la chrétienté. Nous sommes enfin en possession des clefs permettant de comprendre les portraits sur fond sobre et sombre de Velázquez et la volonté de l'artiste de recréer tout le documentaire d'une vie mouvementée, celle d'une Soeur, Jeronima de la Fuente,  au travers d'un visage et de deux simples phrases. On constate alors l'envie, étonnante pour l'époque, de se rapprocher au plus près d'un "concept", "contexte",  générateur d'images, évoquant clairement certaines vocations de l'art contemporain. Le chapitre V souligne encore le travail commun des artistes, des juges et des historiens du Siècle d'Or : la juridiction se basant alors notamment sur des "preuves visuelles" (la possibilité physique d'un témoin d'avoir vu la scène d'un crime, un linge tâché de sang, peu importe sa provenance), des peintures capables reconstituer la scène d'un crime de manière plausible pouvaient en faire partie. L'art pouvait ainsi dénoncer, tuer, statuer sur une hérésie, même de façon mensongère. L’histoire de cinq marranes juifs, dénoncés sur une déclaration hasardeuse validée par la capacité de quelques peintres à reconstituer une scène où ils auraient “brûlé un crucifix”, est ainsi racontée.
La question de l'abstraction, de la conceptualisation et de l'étonnante modernité de cet art religieux qui pourrait sembler poussiéreux est plusieurs fois mise en avant. Effectivement, les Véronique de Zurbarán, au fil de sa carrière, tendent de plus en plus à déconstruire le visage figuré, à l'assimiler à l'arrière-plan de la toile. Le chapitre V nous fait découvrir des inscriptions en lettres d'or, précurseuses de l'actuelle bande dessinée, traversant la toile de part en part à partir de la bouche d'un personnage. Et certains peintres et intellectuels de l'époque, en désaccord sur la manière dont aurait été crucifié le Christ (pieds joints ou séparés), décidèrent de représenter les têtes des clous, grossies à la loupe, comme deux gros œufs de métal au premier plans, masquant entièrement les pieds. Enfin, tout au long du récit, nos yeux sont guidés sur la perspective d'un parquet, sur des larmes de résines et des ongles de marbre, devant le secret d'une lettre raturée et sur des reproductions d'anciennes cartes de géographie.
Aussi bien devant ce foisonnement de détails, de reproductions d'images d'excellente qualité, qu'à travers ces pages se lisant à la manière d'un roman, il y a de quoi être transporté. La reprise régulière de faits, déjà explicités dans un chapitre précédent, dénoue l'obscurité qu'ils peuvent avoir à la première lecture. C'est une véritable enquête que mène Felipe Pereda, et qu'il semble filer au même rythme que nous, pour nous en présenter les résultats au travers du filtre de son propre étonnement.  
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Crimen e Ilusión - El arte de la verdad en el Siglo de Oro, Felipe Pereda, 2017
Marcial Pons, 425 pages, 38 €
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le--yad · 6 years ago
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Pascal Quignard, La haine de la musique
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J'ai attendu ma première lecture de Pascal Quignard avec beaucoup d'impatience. Je souhaitais découvrir l'auteur par Boutès, un essai romancé retraçant l'histoire d'un des marins ayant accompagné Ulysse dans sa rencontre avec les Sirènes, mais je n'ai pu me procurer cet ouvrage. Comme je m'arrête souvent aux belles couvertures, mon choix s'est fixé sur La Haine de la musique.
Une fois ma lecture finie, j'ai cru être très déçue. Mais au vu du nombre du passages que j'avais marqués afin de pouvoir les relire, j'ai un peu revu mon opinion.
L'ouvrage est en fait un agrégat de paragraphes plutôt courts, assemblant un grand nombre de fragments de récits, certains issus des mythologies grecque, romaine ou égyptienne, de la culture bouddhiste, une réinterprétation de passages de l'Ancien et du Nouveau Testament, des contes populaires, un passage dans les camps de concentration allemands et un détour par le XVIIIe siècle français. L'ensemble est rythmé par des annotations, ou réflexions, de l'auteur, liant, questionnant les passages précités. Si l'ordre chronologique est plus ou moins respecté, tous ces extraits mentionnent la musique, sa naissance, ou plutôt l'émergence de certains sons marquants, le cri du coq ayant fait pleurer Saint-Pierre, un concert joué par des cochons, un ensemble de cloches refondues en armes de guerre. Ces sons jusqu'alors isolés et chargés de sens (que Quignard, entre eux et à travers les âges, connecte brillamment), se transforment en un brouhaha continu bien qu'orchestré, qui nous suit, nous envahit (jusqu'à Auschwitz ou à Dachau, les sifflets des SS côtoyant les compositions de Simon Laks), et nous isole finalement d'elle.
Certains passages sont d'une extrême délicatesse, mentionnant des bruits qui se matérialisent devant nos yeux, celui des baguettes derrière une cloison que l'on se figure d'albâtre, ou celui du "cornet à dés", figeant et nous faisant l'offrande d'un instant multi-sensoriel ; la cloison se déploie alors, plus conceptuelle, comme unité de toute architecture et de tout rythme.
L'emploi de nombreux termes latins ou grecs se fait indispensable lorsqu'ils signifient quelque chose que la langue française ne pourrait pas saisir, et, de plus, quand ils apportent une sonorité particulière à cette chose. Ils arrivent pourtant qu'ils se fassent redondants, notamment lorsqu'ils sont utilisés dans des phrases courtes à visée poétique mais qui -selon moi- s'entendent comme des lieux communs ou des sermons chargés d'intellect.
Il y a beaucoup de prénoms, beaucoup de personnages que l'on approche sans pudeur en abordant leur quotidien avec familiarité (Concini tapote sa dentelle, Georges (de la Tour) vend des larmes 650 francs et Simon frémit). Inversement, un peu plus loin, on se retrouve devant un paysage composé de petites figures dans la cité, petits guerriers, qui progressivement se transfigurent en petites lettres sur les pages d'un livre, d'un « volumen »). Il y a, dans cette familiarité, un trop-plein de solennité, celle d'un journal de notes que l'on aurait embelli avant de le faire imprimer.
Les passages que j'ai précieusement mis de côté m'ont transportée. Mais ils sont contrebalancés par de nombreuses et longues pages à mon goût trop lyriques, lourdes d'impressions en attente d'un lecteur. Il s'agit d'une lecture tout en modelage, en textures fines et poussiéreuses, en tons subtils dans les bleus et les ombrés, de "l'or tombant de l'unique lucarne". L'ensemble constitue un exercice virtuose, mais trop technique pour qu'il m’ait vraiment touchée.
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La haine de la musique, Pascal Quignard, 1997
Folio, 297 pages, 9 €
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le--yad · 6 years ago
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Albert Memmi, La statue de sel
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La statue de sel est une fiction d'inspiration biographique d'Albert Memmi, auteur majoritairement connu pour ses oeuvres de théorie politique. Celle-ci traite pourtant, à travers une écriture romancée, des mêmes questions qui animent le reste de l'oeuvre de l'auteur : la décolonisation du Maghreb et son identité juive, difficile à définir dans ce contexte où chaque point d'attache potentiel (son pays de naissance - la Tunisie -, la France, Israël en pleines turbulences) a un goût doux-amer.
Le livre se décompose en trois parties, radicalement différentes bien qu'elles soient agencées dans une logique d'échelle croissante du regard. La première consiste en un nuancier de souvenirs d'enfance du narrateur, à la porte du ghetto juif de Tunis. Ses pensées adoptent un ton souvent naïf, descriptif et sensoriel (l'odeur de la fumée, des couvertures, des ruelles, le bruit de la toux du père, le long couloir ombragé bordé d'arcades au lycée, l'obscurité des habitations miséreuses). L'écriture, progressivement, se fait courant plein d'espoir, tournée vers un futur rêvé de médecin, engagé et humanitaire, usant de sa richesse pour s'éloigner du ghetto mais aussi le transformer. Ma lecture a été plutôt lente, j'y ai retrouvé un goût de tableau social à la Zola : la construction du récit demande un certain effort de projection et un temps d'assimilation.
La seconde partie, "Les autres", surprend dans ses premières pages tant elle tranche avec la première. Le récit s'ouvre sur un lendemain de pogrom qui donne immédiatement le ton désillusionné des chapitres suivants. C'est cette seconde partie que j'ai lue avec le plus de fluidité. L'écriture, sur le mode de l'introspection, amène à celle du lecteur. Les chapitres, cette fois, s'enchaînent, tissent, enchevêtrent les différentes "options identitaires" qu'envisage Alexandre-Mordechaï, notre narrateur, qui rejoint un groupe communiste musulman, tranche avec tout précepte religieux en faisant l'expérience du quartier du bordel, infiltre des ateliers de scoutisme destinés à des juifs laïques en y intégrant des cours de cabbale. Ses remises en questions successives, donnant son relief au récit, nous poussent à ne prendre aucune cesse dans la lecture, des sommets vers les creux et réciproquement. Si sa désillusion se fait croissante, et qu'Alexandre se durcit, il garde une certaine estime naïve de soi et une croyance aveugle dans le pouvoir du travail acharné.
"Le monde", ultime volet de l'ouvrage, est surprenamment court, en regard de la complexité du sujet qu'il traite : l'invasion allemande et la vie dans les camps de travail en Tunisie. Alors qu'il aurait pu être réformé, Alexandre-Mordechaï s'y engage, mu par la volonté d'aider les co-détenus par l'apport de discours philosophiques et religieux. On y suit rapidement son parcours et sa découverte de l'inutilité de son intervention. Je ne sais pas si j'ai apprécié la brièveté de ce passage. Peut-être trouve-t-il son intérêt dans sa présence qui rappelle le strict nécessaire. Peut-être aurait-il été appréciable d'avoir davantage de détails sur la situation en Tunisie.
Le roman s'achève de manière surprenante, par une sortie totale d'Alexandre de notre champ de vision. Si l'écriture, dans sa forme, est plutôt classique, la lente métamorphose des pensées du narrateur, qu'elle suit de près, nous fait vivre à travers elles sa prise d'indépendance. 
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Albert Memmi, La statue de sel, 1966, préface d’Albert Camus.
Folio, 8,40 €
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