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manniecrit · 2 years ago
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L'autoroute de la vie
Je me suis enfin achetĂ© une voiture. Te rappelles-tu Ă  quel point nous en parlions constamment ? Depuis l'instant oĂč j'ai eu mon permis de conduire, avoir une voiture Ă©tait notre rĂȘve, Ă  toi et Ă  moi. Nous n'en pouvions plus de cette petite ville minable. Elle est sĂ©parĂ©e par une autoroute qui semble nous couper du reste du monde. Cette autoroute dont nous rĂȘvions fouler le bitume Ă  toute allure hurlant par-dessus l'autoradio. Au lieu de cela, nous regardions les vĂ©hicules dĂ©filer de notre point de chute, choisissant, comme si nous Ă©tions fortunĂ©s, celui qui convenait le plus Ă  nos goĂ»ts de luxe. Une voiture rouge, voilĂ  sur quoi nous nous Ă©tions mis d'accord. Qu'importe le modĂšle, sa puissance et son Ăąge, qu'elle soit rouge Ă©tait tout ce qui importait. 
Nous passions nos journĂ©es ensemble Ă  errer dans les rues et Ă  se prĂ©lasser dans les hautes herbes Ă  cĂŽtĂ© de l'Ă©glise. Nous rĂȘvassions sur notre avenir jusqu'Ă  ce qu'il soit l'heure pour moi d'aller au travail. 
"Je ne veux pas que tu partes, me disait-elle à chaque fois en m'étreignant. 
-Pense à la voiture, répondais-je inlassablement."
Ce dialogue Ă©tait devenu un rituel mais aussi une sorte de lien qui nous unissait. Avec la voiture, nous irions oĂč elle voulait. Nous aurions parcouru le monde. Nous aurions trimballĂ© nos valises et nos cartons. La voiture nous aurait emmenĂ© en lune de miel et aurait transportĂ© la chaire de nos chaires sur ses siĂšges arriĂšres. Cette voiture Ă©tait un serment pour l'Ă©ternitĂ©. 
C'est pour cet avenir lĂ  que je travaillais autant. J'ai eu mon premier boulot Ă  seize ans oĂč j'Ă©tais animateur dans des centres aĂ©rĂ©s. À la fin de l'Ă©tĂ©, j'avais assez d'argent pour financer mon permis. Au bout de quelques mois, je l'avais obtenu avec la totalitĂ© des points. 
Je n’ai pas achetĂ© la voiture tout de suite. Elles Ă©taient trop cher et je n’avais plus un rond, pas un centime de cĂŽtĂ©. Pour moi tout seul, je n'en ressentais pas non plus l'utilitĂ©. Je me plaisais dans cette petite ville bordĂ©e par les champs. Tout a changĂ© quand je l'ai rencontrĂ©e. Mon chez-moi de toujours Ă©tait devenu trop petit et suffocant. Nos parents Ă©taient constamment sur notre dos. On avait besoin de se retrouver seuls, de crĂ©er notre propre bulle. C'est lĂ  que j'ai trouvĂ© mon deuxiĂšme boulot : McDo. Je mettais quarante-cinq minutes en vĂ©lo pour y aller. Cela pouvait sembler courageux de ma part mais je n'y prĂȘtais guĂšre attention Ă  l'Ă©poque.  Je le faisais pour elle, pour nous, pour notre libertĂ©. 
Aujourd'hui, je possĂšde la voiture mais je ne l'ai plus elle. Je ne pourrai expliquer ce qui s'est passĂ© car moi-mĂȘme je n'ai pas tout compris. Elle est juste partie. Elle m'a quittĂ© sans crier gare, sans dĂ©bat, sans Ă©moi. J'ai appris par une amie en commun qu'Ă  la rentrĂ©e elle partira Ă  la facultĂ© dans une grande ville. Cela explique peut-ĂȘtre pourquoi, je ne sais pas. Elle est partie de ma ville et de ma vie. Je ne ressens rien, ni haine ni tristesse. Je reste stoĂŻque et je me surprends moi-mĂȘme, parfois, Ă  fixer le mur en face de mon lit dans un silence de cathĂ©drale. Je crois que je ne rĂ©alise pas encore tout Ă  fait. 
Je suis au volant de ma voiture rouge. Je roule sans destination particuliĂšre mais en empruntant un itinĂ©raire non pas choisi au hasard. Je m'insĂšre sur l'autoroute, j'accĂ©lĂšre, pĂ©dale contre plancher. Une fois sur la voie de droite et la vitesse stabilisĂ©e, j'allume l'autoradio. La musique se lance : drivers licence de jxdn. Je mets le son au maximum. Mes doigts tapotent le volant, ma tĂȘte se balance au rythme de la musique. Le refrain arrive et je chante Ă  pleins poumons. 
"Cause I know we weren't perfect
But I've never felt this way for no one
And I just can't imagine
How you could be so okay now that I'm gone
Guess you didn't mean what you wrote in your song about me
'Cause you said forever, now I drive alone past your street."
août 2023
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manniecrit · 2 years ago
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La quĂȘte
Quand j’étais petit, mon papi avait organisĂ© une chasse au trĂ©sor. Il avait dessinĂ© sur une grande feuille une carte des environs et avait cachĂ© des petits bouts de papier qui constituaient les Ă©nigmes et leurs indices. Je ne sais pas combien de temps cela lui avait pris pour tout organiser, de tout crĂ©er de toute piĂšce, mais il l’avait fait, rien que pour moi. Je me le rappelle, c’était pendant les grandes vacances. Ma mĂšre avait pour habitude de me laisser un mois entier chez mes grands-parents pendant l’étĂ©, dans leur campagne perdue, dans un village coincĂ© entre deux montagnes. A l’époque et tout comme aujourd’hui d’ailleurs, il n’y a rien Ă  y faire. Il n’y a pas de piscine municipale, de centre de loisirs ou de centre commercial. En ville se trouvent seulement les commerces essentiels. C’est Ă  peine si il y a une librairie. Le rĂ©seau, n’en parlons pas, je ne capte rien. A l’époque, Ă  part ma Nintendo DS et les Ă©missions de tĂ©lĂ© de ma grand-mĂšre, pas grand chose n’arrivait Ă  m’occuper et l’ennui Ă©tait souvent lourd et profond. Aujourd’hui, cela n’a pas changĂ© Ă  part que je ne cesse de verrouiller et de dĂ©verrouiller mon tĂ©lĂ©phone dans l’espoir que quelqu’un vienne me sauver de ma solitude. 
Quand j’étais petit, donc, mon papi avait organisĂ© une chasse au trĂ©sor. J’avais dĂ» passer au travers de grandes herbes, enjamber les pierres d’une riviĂšre, me faufiler entre deux barriĂšres, longer les clĂŽtures d’un prĂ©s Ă  chevaux, escalader une meule de foin. Cela m’avait pris des heures avant de dĂ©chiffrer les Ă©nigmes, d’effectuer le parcours dans le bon sens et de parvenir jusqu’au trĂ©sor. Le trĂ©sor, quelle dĂ©ception ! C’était un vieux coffre en bois, Ă  demi enseveli sous terre, qui contenait des vieux francs datant de l’époque oĂč ils Ă©taient encore la monnaie officielle du pays -c’est-Ă -dire avant ma naissance, il y a fort longtemps- et une sorte de faux rubis en forme de cƓur. A cĂŽtĂ©, il y avait une note qui me fĂ©licitait pour ma dĂ©couverte et oĂč Ă©tait inscrite cette phrase, je me souviens : 
“C’est le chemin qui compte et non la destination.” 
Quand j’avais dĂ©couvert le contenu du coffre, une forme de colĂšre avait pris possession de mon ĂȘtre. Je ne sais pas ce que j’avais bien pu espĂ©rer mais la dĂ©ception Ă©tait grande. Peut-ĂȘtre m’attendais-je Ă  un vrai trĂ©sor de pirates ou Ă  quelque chose d’inestimable, de rarissime, que je serai le seul ĂȘtre sur terre Ă  possĂ©der. Quoiqu’il en soit, j’avais laissĂ© tout mon butin, avais refermĂ© le coffre d’un coup sec et Ă©tais parti fort contrariĂ©. Mon papi m’avait interrogĂ© mais, je ne me souviens plus trĂšs bien, il me semble que mes rĂ©ponses lui avaient infligĂ© une grande peine. 
Je repose le tĂ©lĂ©phone. Je ne capte rien. Parfois, Ă  la fenĂȘtre ou quand j’étire le bras, j’arrive Ă  intercepter une barre de rĂ©seau mais l’effort est grand et la rĂ©compense trĂšs mĂ©diocre. Pour me distraire, j’ai retournĂ© toute ma chambre d’enfant. J’y ai retrouvĂ© des vieux dessins, ma fidĂšle Nintendo DS et ses jeux, le scrabble jauni, des peluches Ă  l’odeur douteuse. En fouillant dans le tiroir de la commode, parmi des vieilles photos, j’y ai retrouvĂ© la toute premiĂšre lettre de la chasse au trĂ©sor. Quelle relique ! Je ne m’attendais pas Ă  la retrouver ici. Je me souviens encore du dĂ©but d’aprĂšs-midi, lorsque je montais dans ma chambre aprĂšs le repas pour somnoler devant Mario Bros. et de la dĂ©couverte de cette lettre jaunie qui sentait le cafĂ© posĂ©e sur mon oreiller. Je la saisis, la porte Ă  mes narines, la hume : elle sent toujours la mĂȘme odeur. Je la dĂ©plie soigneusement et la parcours des yeux. L’encre a bavĂ© par-ci, par-lĂ , je remercie ma maladresse qui l’avait faite tomber dans la riviĂšre lors de la traversĂ©e. Dans l’ensemble, elle est toujours lisible. Je la relis, encore et encore. Je souris, mes paupiĂšres se plissent, ma vue se floute, mes yeux sont larmoyants. Mon papi s’était donnĂ© tant de mal pour la confectionner. Je regarde par la fenĂȘtre, il fait beau, il n’y a pas un nuage Ă  l’horizon. 
D’un bond, je me lĂšve, retire mon jean et enfile un bermuda pour ĂȘtre plus confortable, mets un tee-shirt kaki pour passer plus inaperçu. Au moment oĂč je m’apprĂȘte Ă  passer le seuil de la porte, mon portable vibre. Je capte ! Je tends le bras pour le saisir mais renonce aussitĂŽt. J’ai une mission plus importante Ă  faire. Je trottine dans les escaliers et me dirige vers la porte d’entrĂ©e. Mamie est devant la tĂ©lĂ©, assise dans son fauteuil habituel. 
“Je sors, Mamie ! A tout à l’heure ! 
-Fais attention à toi, mon p’tit.” 
Je ne m’arrĂȘte pas. Je dĂ©plie la carte et compare les dessins au paysage. Rien n’a changĂ©. Me voilĂ  parti. Je me faufile entre les grandes herbes qui m’arrivent jusqu’au genou et non plus Ă  la taille. J’enjambe la riviĂšre en passant sur les pierres plates et manque de glisser Ă  nouveau. Je me contorsionne pour passer entre deux barriĂšres et mon manque de souplesse me rappelle les annĂ©es qui se sont Ă©coulĂ©es. Je longe les clĂŽtures d’un champ et croise les mĂȘmes chevaux, ou peut-ĂȘtre ne sont-ils pas les mĂȘmes depuis le temps. J’escalade une meule de foin, ce qui me parait plus facile que dans mon souvenir. Et lĂ , s’impose au loin, le grand arbre au pied duquel Ă©tait enterrĂ© le coffre. Je creuse, je creuse, Ă  la simple aide de mes mains. Une forme d’empressement m’anime. Soudain, mes doigts butent sur quelque chose : une forme plate, apparente Ă  du bois. Le coffre, enfin Ă  portĂ©e de main. Je creuse encore plus profondĂ©ment, encore plus vite. Je le saisis et parviens Ă  le sortir de son trou. Je le dĂ©poussiĂšre d’un souffle et l’ouvre. Les francs sont toujours lĂ , les fleurs et les brindilles d’arbres ont sĂ©chĂ© et s'effritent quand je les touche. Tout au fond, il y a le cƓur. Sa couleur rouge bordeau est toujours aussi intense. Il intercepte les rayons du soleil et brille quand je le tourne. Sa beautĂ© me fascine. 
Mon coffre sous le bras, je mets du temps à rentrer. Lorsque je passe la porte, Mamie est toujours dans son fauteuil. Je la regarde un instant. 
“Alors ? C’était bien dehors ? 
-Oui. 
-Qu’est-ce que tu as fait ? 
-Tu te souviens de la chasse au trĂ©sor que Papi avait faite quand j’étais petit ? J’ai trouvĂ© la lettre et les Ă©nigmes lĂ -haut. J’ai rĂ©ussi Ă  retrouver le trĂ©sor.
-Oh ! Fais-moi voir ça.” 
Elle s’extasie, son sourire est grand. Je m’approche, lui montre le coffre, elle lit les lettres. Ses yeux brillent, ses fossettes apparaissent. 
“Ton papi s’était donnĂ© du mal, remarque-t-elle. Oh ! Des anciens francs ! Ça fait longtemps qu’on n'utilise plus cet argent-lĂ .” 
Je sors le cƓur rouge de ma poche et le lui tends. Elle le prend entre ses doigts arthrosĂ©s et rit aux Ă©clats. 
“Ton papi me l’avait offert à notre premier rendez-vous. 
-Votre premier rendez-vous ?
-Oui. On Ă©tait allĂ©s Ă  la fĂȘte foraine et il me l’avait gagnĂ© Ă  une machine. C’était un porte-clefs mais il s’est cassĂ©.”
En effet, il y avait un petit arc arrondi oĂč avait Ă©tĂ© accrochĂ© autrefois un petit anneau de fer. 
“Il y a des vieilles Ă©critures derriĂšre mais c’est en anglais. On n’a jamais su ce que cela signifiait.” 
Je le lui reprends, le retourne et, en effet, une petite inscription est écrite au dos. Comment ai-je pu ne pas la voir avant ? 
“Alors ? 
-Home is where your heart is. 
-Ça  veut dire quoi ?
-Ton chez-moi
 ou la maison si tu prĂ©fĂšres, est lĂ  oĂč est ton cƓur. 
-C’est beau.” 
Elle sourit, Ă©mue. Au bout de quelques minutes, je me dĂ©cide Ă  monter dans ma chambre, mes prĂ©cieux sous le bras. Je m’allonge sur le lit, joue avec le cƓur entre mes doigts. 
“Home is where your heart is” rĂ©pĂšte-je. 
Mon tĂ©lĂ©phone vibre. J’ai plusieurs messages non lus. Je ne prends pas la peine de les lire et balance mon tĂ©lĂ©phone au plus loin possible de moi. Mes yeux se perdent dans le dĂ©sordre de ma chambre. Les peluches, les vieilles photos, les jeux de sociĂ©tĂ©, toute l’armoire est rĂ©pandue au sol. J’entreperçois le scrabble. Je me lĂšve, le ramasse et sors de la piĂšce. J’arrive dans le salon. Mamie est toujours dans son fauteuil. 
“Mamie ? Ça te dit une partie de scrabble ? Ça fait longtemps.” 
juillet 2023
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manniecrit · 2 years ago
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La conversation
Cela fait deux mois qu’elles ne sont pas parlĂ©es. Pendant ces nombreuses semaines, elles se sont ignorĂ©es, ne s'adressant qu'Ă  peine un regard lorsqu’elles se croisaient. Leur sĂ©paration a Ă©tĂ© compliquĂ©e. Elles n’ont pas su la gĂ©rer. Chacune de son cĂŽtĂ©, elles ont essayĂ© de se protĂ©ger, de guĂ©rir et d’avancer, bien que cela se fit au dĂ©triment de l’autre. Pendant deux mois, elles ne se sont pas parlĂ©es. Aujourd’hui, la premiĂšre a souri Ă  l’autre alors, la deuxiĂšme, suivant son instinct, a dĂ©cidĂ© qu’il Ă©tait temps que le guerre s’achĂšve.
La conversation a Ă©tĂ© longue et, en quelque sorte, Ă©prouvante. Elles parlent chacune leur tour, se passant un bĂąton de parole imaginaire dans la main, s’écoutent avec prĂ©caution. Comment en sont-elles arrivĂ©es Ă  se dĂ©tester ? C’est la question Ă  laquelle elles ont rĂ©pondu.
Lorsqu’elles finissent par n’avoir plus d’argument et comprennent que la guerre est enfin finie, l’une dit :
“Tu crois qu’on pourrait se reparler par message ?
-Si tu en as envie.
-Non, dis-moi si toi tu aimerais qu’on se renvoie des messages.
-Oui je veux bien, mais pourquoi ?
-Pour prendre des nouvelles.
-Oui moi ça me va.
-T’es sĂ»re que ça t’irait ?
-Oui.
-Je voudrais pas que ça fasse bizarre, je suis passée à autre chose.
-Tu es passée à autre chose ?
-Oui.
[...]
-Et toi ?
-Oui.
-On pourra peut-ĂȘtre se rĂ©ajouter une Instagram, rĂ©agir Ă  la stroy l’une de l’autre. Si tu le fais, je ne trouverai pas ça bizarre.
-Je ne le ferai sans doute pas si tu ne le fais pas avant. C’est toi qui ne voulais plus qu’on se parle.
-Je sais, j’avais besoin de temps.
-Je sais.”
Depuis le commencement de ce dialogue, les deux filles ne s’étaient pas regardĂ©es dans les yeux. Leurs regards s'Ă©taient Ă  peine effleurĂ©s. Mais enfin, Ă  cet instant, aprĂšs prĂšs d’une heure, leurs yeux se rencontrent. Pupilles contre pupilles, elles ne se quittent pas. Elles Ă©changent encore quelques paroles, puis l’une conclut :
"Je sais que toi tu as demandĂ© Ă  ne pas avoir de mes nouvelles mais moi j’en avais quand mĂȘme. MĂȘme si je n’en demandais pas Ă  tes amis, j'arrivais Ă  en avoir. Toutes les semaines j’avais mon petit rendez-vous : tes vidĂ©os. Je les regarde chaque semaine et ça m’a permis de savoir que tu allais bien. Par exemple, je sais que tu as dĂ©mĂ©nagĂ© et quand je voyais que t’étais chez tes grands-parents et chez ta mĂšre, je savais que tu Ă©tais bien parce que, ĂȘtre lĂ -bas c’est ta bouffĂ©e d’oxygĂšne."
mai 2023
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manniecrit · 2 years ago
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Partie
"OĂč est-ce que tu es ?"
J'aimerais ne pas avoir à partir d'ici. Je suis partie sans rien dire à quiconque. Mes amis, ma mÚre, mes collÚgues, mes chefs d'équipe, personne ne le sait. Ce matin, en se réveillant, ils ont scrollé sur Instagram et ont simplement regardé une story d'un grand ciel bleu, d'un soleil, d'une plage au sable doré et d'une mer bleue et calme. Certains ont simplement swipé, d'autres ont aimé, une a commenté :
"Tu ne m'as mĂȘme pas prĂ©venue.
-Je suis désolée, ai-je répondu, ça s'est fait comme ça, à la derniÚre minute. J'avais besoin de partir.
-D'accord, mais tu reviens quand ?"
J'ai ouvert le message mais je n'ai pas rĂ©pondu. J'ai mon tĂ©lĂ©phone en mode avion, je l'ai rangĂ© dans mon sac et j'ai fixĂ© la mer. Je l'ai regardĂ©e pendant trĂšs longtemps, peut-ĂȘtre mĂȘme plusieurs heures durant. Elle ondulait de façon harmonieuse et redondante, telle une Ă©ternelle valse oĂč les deux partenaires tournent et tournent sans ne jamais s'arrĂȘter.
Je ne sais pas pourquoi je suis venue ici, Ă  cet endroit prĂ©cis. Pourquoi le sud, pourquoi Palavas-les-Flots. Peut-ĂȘtre avais-je entendu ce nom dans une conversation un jour, une connaissance qui Ă©tait partie lĂ -bas en vacances. Je ne sais pas, j'avais juste besoin de la mer et d'un peu de chaleur. J'ai de la chance, MĂšre Nature m'a offert tout cela.
Hier soir, quand j’ai terminĂ© le travail et que je suis rentrĂ©e chez moi, j’ai immĂ©diatement senti que je ne pourrai pas revenir le lendemain. Je ne sais pas comment dĂ©crire cette Ă©motion. C’était plus un pressentiment. C’était comme si je sentais qu’il Ă©tait temps d’arrĂȘter. Je sentais au plus profond de moi que mon corps allait dĂ©finitivement lĂącher la rampe et que, lorsque cela arriverait, mon cƓur n’aurait plus le courage de le relever. Cette angoisse s’était emparĂ©e de moi. Mon souffle s’était coupĂ©, je n’arrivais plus Ă  respirer, j’avais l’impression d’étouffer. J’ai eu peur, alors j’ai fui. Je me suis connectĂ©e sur le site internet d’une compagnie ferroviaire, j’ai rĂ©servĂ© un train qui partait loin, Ă  l’autre bout du pays. Un seul billet, pour une personne, un aller sans retour. J’ai ensuite rĂ©servĂ© une nuit d’hĂŽtel, une seule, au cas oĂč je me rende compte que ce que je suis en train de faire est complĂštement fou et incohĂ©rent.
“Tu n’as pas rĂ©pondu.”
Une nuit pour changer d’avis. Une nuit pour changer de vie.
avril 2023
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manniecrit · 2 years ago
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La derniĂšre lecture
Il fait beau aujourd'hui. Assise sur un banc, je suis sortie de chez moi pour lire dans le parc qui se trouve en bas de la rue. Je suis entourĂ©e par les arbres et leurs branches qui forment un toit au-dessus de ma tĂȘte. Il n'y a pas grand monde, seuls quelques enfants en trottinette et des inconnus avec leurs chiens passent devant moi. Le parc est calme et une douce odeur de terre humide emplit mes narines.
Il fait si beau que la page blanche de mon livre me brĂ»le les yeux et je suis obligĂ©e d’abaisser les paupiĂšres pour en dĂ©chiffrer les images et les mots. C'est un roman graphique dans lequel les dessins dansent avec les lettres. C'est une histoire d'amour oĂč cette fois, contrairement aux contes pour enfants, la romance ne se termine pas comme on l'aurait souhaitĂ©. La fin est tragique bien que, en relisant l'histoire pour la seconde fois, je me rends compte qu'elle Ă©tait prĂ©visible. L'amour certain qui unissait les personnages n'Ă©tait pas suffisant. Les sentiments omettaient la confiance perdue, les tromperies et les dĂ©ceptions. C'est triste, leur relation Ă©tait belle et douce lorsqu'elle avait dĂ©butĂ©.
La brise fait danser les feuilles au-dessus de moi. Je tiens le livre fermement entre mes doigts. Je n'arrive pas Ă  me concentrer. Je relis la page encore et encore, mon regard s'attarde sur chacun des dessins, marquant une pause Ă  chaque nouvelle case. Les deux personnages se sont endormis. Les rideaux sont ouverts, les lumiĂšres de la rue les Ă©clairent Ă  peine. Ils sont dos Ă  dos, un creux les sĂ©pare. Ils ne se touchent pas. L'un des deux se rĂ©veille, se tourne. Son bras se tend vers le corps de son amoureux. Il hĂ©site, il reste en suspens. Finalement, il vient se blottir, torse contre dos. Le corps endormi —l'est-il vraiment ?— se crispe, il le sent, mais il ne bouge pas et s'accroche Ă  lui, comme dĂ©sespĂ©rĂ©. MalgrĂ© cette proximitĂ©, une distance s'est créée. Il lie ses jambes aux siennes. Ils sont en fusion, comme ils aimaient dĂ©crire l'entremĂȘlage de leurs corps. Ils fusionnent et il se sent un Ă  nouveau.
Je lÚve les yeux et regarde au loin. Je soupire. Leur couple s'effondrait déjà. Pourquoi ne m'en étais-je pas rendue compte plus tÎt ? Pourquoi ne m'étais-je pas attardée sur les petits événements, les sentiments et les impressions ? Comment avais-je pu passer à cÎté de ce malaise ambiant, de cette peur, lors de ma premiÚre lecture ?
"Lucie ! Attends-moi !"
Je lĂšve la tĂȘte. Une petite fille passe devant le banc sur lequel je suis assise. Elle me jĂšte un regard furtif, interrogateur. Elle est suivie par une femme, sa mĂšre, je suppose. Elle marche d'un rythme rapide. Elle est contrariĂ©e, cela se lit sur son visage. Ma tĂȘte pivote, mon regard la suit, me voilĂ  perdue. Mes yeux fixent l'endroit oĂč la femme a disparu, lĂ -bas derriĂšre le bosquet, bien que cela fasse bien longtemps qu'elle n'est plus visible. J'observe le vide, un brin de mĂ©lancolie transperce mon cƓur. Ma concentration est nulle, mon corps ne rĂ©pond plus, les pages glissent sous mes doigts. Les pages dĂ©filent les unes aprĂšs les autres et, au bout de trĂšs longues secondes, mon cerveau ordonne enfin Ă  mes mains de les arrĂȘter. Quand je reviens Ă  moi, quand ma tĂȘte et mes pensĂ©es sont de nouveau rattachĂ©es Ă  mon enveloppe corporelle, mes yeux se baissent vers mon livre et je dĂ©couvre la nouvelle page. A peine ai-je vu les dessins qu'ils agissent comme un flash-back. Je suis retournĂ©e en arriĂšre. Je n'ai pas besoin de lire les bulles que je sais dĂ©jĂ  ce que se disent les personnages. C’est la fin de l’étĂ©. Les deux amoureux sont assis sur un poton en bois, prĂšs d’un lac. Il fait beau et encore doux, leurs bras sont dĂ©couverts. Ils sont assis l’un Ă  cĂŽtĂ© de l’autre puis deviennent de plus en plus proches. Ils se chamaillent, se bousculent. L’un est en tailleur, l’autre entre ses jambes. Ils sont face Ă  face et se regardent tendrement entre deux baisers et enfantillages. Lorsque le soleil finit par se cacher derriĂšre les arbres et que l'air devient plus frais, ils se redressent et dĂ©cident de rentrer. Ils commencent Ă  remonter la butte de pelouse quand l’amoureux s’enfuit en courant et revient quelques secondes aprĂšs avec des petites fleurs sauvages Ă  la main. Il sait que sa moitiĂ© les gardera Ă  vie car elle aime les fleurs autant qu’elle l’aime lui. Avec elle, il n’a pas peur. Il n’a pas peur de parler et de tant donner. Avec lui, elle n’a pas peur. Elle n’a pas peur d’aimer et d’ĂȘtre elle-mĂȘme. Ils ne sauraient expliquer pourquoi, pourquoi cette personne, pourquoi eux ensemble, pourquoi si vite, pourquoi maintenant. Ils ne rĂ©flĂ©chissent pas. Ils foncent, ils s’aiment. Ils foncent vite, avec ƓillĂšres, droit dans le mur.
Je referme le livre et le pose Ă  cĂŽtĂ© de moi, sur le banc. C’en est trop pour moi. Je ne veux pas lire cette histoire Ă  nouveau. Je ne veux pas relire les mots qui ont planĂ© au-dessus d’eux tel un mauvais sort, revoir les gestes qui les ont brisĂ©s. Je ne veux pas revivre tout cela.
Je me lĂšve et quitte le parc.
"Madame ! Vous avez oublié votre livre, me crie une passante.
-Non, je le laisse ici, réponds-je. Prenez-le si vous voulez."
Je m’en vais, d’un pas lent et Ă  la fois dĂ©cidĂ©. Le livre est toujours sur le banc. Je m’en vais et laisse cette histoire derriĂšre moi. J’espĂšre qu’elle trouvera nouveaux lecteurs et leur apportera autant qu’elle m’a apportĂ©e.
mars 2023
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manniecrit · 2 years ago
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En scĂšne
Il est tard. La nuit est tombĂ©e il y a dĂ©jĂ  plusieurs heures. Peut-ĂȘtre est-il vingt-deux heures trente, vingt-trois ou peut-ĂȘtre bien minuit, je ne sais pas. J'ai oubliĂ© ma montre ce matin en partant et mon tĂ©lĂ©phone est perdu au fin fond de mon sac. Nous marchons d'un pas rapide pour nous rĂ©chauffer. Par je ne sais quel miracle, le froid ne nous a pas dissuadĂ©s de sortir. Mes amis marchent devant, emmitouflĂ©s dans leurs doudounes et leurs grosses Ă©charpes. Ils sont ivres de bonheur. De façon naturelle, je me tiens en position d'observatrice. Sans que je ne le dĂ©cide rĂ©ellement —peut-ĂȘtre est-ce ma rĂ©ponse au bonheur— mon corps se met en retrait et en quelques secondes Ă  peine je ne fais plus partie de la scĂšne. Je me tiens un pas en arriĂšre. La longue chevelure de l'une volette dans son dos Ă©lĂ©gamment, l'un jette sa tĂȘte en arriĂšre et rit Ă  gorge dĂ©ployĂ©e, l'autre en mini-short illustre sa blague par ses gestes, le couple Ă  cĂŽtĂ©, un peu isolĂ©, glousse penchĂ©es l'une vers l'autre. Ils se tiennent par le bras, marchent en bande, tous en cadence. Je ne peux m'empĂȘcher de les regarder, de faire attention Ă  chaque dĂ©tail, chaque sourire, chaque geste, de remarquer chaque trait qui les rend uniques. Ils sont beaux. Leur joie est contagieuse. J'ignore pourquoi ils rient mais je me surprends Ă  sourire moi aussi. L'un se retourne et nos regards se croisent. Ses pommettes se soulĂšvent, ses dents blanches apparaissent, ses yeux semblent plus petits tant il sourit. Il s'arrĂȘte Ă  peine une seconde et me voilĂ  Ă  sa hauteur, prise bras dessus-dessous, Ă  nouveau sous la lumiĂšre.
Nous arrivons au bar. Les basses rĂ©sonnent jusqu'Ă  l'extĂ©rieur, les ombres dansent Ă  l'intĂ©rieur. Nous sommes samedi soir, jour oĂč le bar ferme plus tard, jour de sortie, de fĂȘte, de rencontres et de retrouvailles. Mon ami sert mon bras :
"Ce soir on boit et on danse ! Tant pis pour le travail demain ! One life, on a dit."
Je hoche la tĂȘte, aussi dĂ©terminĂ©e que lui. On s'Ă©change un sourire entendu, empli d'espiĂšglerie.
Le serveur nous accueille et nous conduit Ă  notre table. Nous devons nous faufiler entre les clients, faire attention Ă  ne bousculer personne, ne pas renverser le moindre verre. On se dĂ©shabille, enlĂšve nos couches et sous-couches et nous voilĂ  dans nos plus beaux habits. Illico presto, nous commandons nos verres. Mojito, rosĂ©, kir, coco-cola, aperol spritz
 Nous buvons quelques gorgĂ©es et nous sommes en piste. Les lumiĂšres illuminent nos sourires, les hanches dessinent les mĂ©lodies, les cƓurs battent au rythme des basses. Bien que la piste de danse est bondĂ©e, je ne vois personne d'autre que nous. A part mes amis, plus rien ne semble exister. Nos danses sont dĂ©sordonnĂ©es et nous ne sommes pas trĂšs souvent en rythme mais nous sommes une seule et mĂȘme voix lorsque nous chantons.
Dans la foule, nous croisons des tĂȘtes connues. Dans le quartier, les soirĂ©es du samedi soir sont rĂ©putĂ©es et tout le monde finit par s'y retrouver sans mĂȘme se concerter. J'aime revoir ces individus qui faisaient tant partie de mon quotidien Ă  une certaine Ă©poque et pour une soirĂ©e, une soirĂ©e une seule, faire comme si rien n'avait changĂ©. Il me plaĂźt de rĂ©aliser que je comptais pour eux autant qu'ils comptaient pour moi. Alors que j'Ă©tais occupĂ©e Ă  faire un rĂ©sumĂ© de ces derniers mois Ă  un ami que je n'avais pas croisĂ© depuis longtemps, on vient interrompre la conversation :
"Chloé ! Chloé ! Elle est là.
-Qui ?
-A ton avis."
Pupilles dans pupilles, pas besoin de mot, nous nous comprenons. Mon regard dérive, je scrute le moindre visage parmi la foule.
"DerriĂšre moi sur ma gauche."
Ma tĂȘte tourne lĂ©gĂšrement sur la droite et en effet, elle est lĂ . Chevelure blonde, courte, habillĂ©e de noir, veste en cuir. Elle rit. Mon oreille ne distingue pas son rire mais je l'entends tout de mĂȘme. Je souris. Elle est lĂ . Mon cƓur bat plus vite, plus fort. Elle est lĂ . Tout va bien, tout ira bien. Elle lĂšve les yeux et son regard se pose directement sur moi, comme si elle savait que j'Ă©tais lĂ , depuis le dĂ©but.
Je contourne mon amie qui, je crois, me crie quelque chose mais je n'entends pas. Je me dirige vers elle, d'un pas volontaire, dĂ©terminĂ©. Plus rien ne compte, plus personne n'existe, plus personne ne danse, plus personne ne chante. Il n'y a plus qu'elle. Au fait, avec qui est-elle ? Est-elle venue seule ? Non, elle ne viendrait jamais seule dans un bar. Qu'importe, plus rien n'a d'importance. Sans m'en rendre compte, j'avais espĂ©rĂ© qu'elle soit lĂ  ce soir. Je ne peux m'empĂȘcher d'espĂ©rer.
Je suis face Ă  elle. Nous sommes Ă  quelques centimĂštres de l'une et de l'autre. Mon cƓur bat vite, si vite qu'il bondit dans ma poitrine et m'en coupe la respiration. Elle sourit et Ă©carte les bras. Je viens me plonger contre sa poitrine. Son odeur est familiĂšre et rassurante. Je sens son cƓur battre contre le miens. Mon corps est incontrĂŽlable. Je lutte pour ne pas m'Ă©crouler, pour que mes jambes me retiennent. Je tremble lĂ©gĂšrement. Ses bras se dĂ©tachent de mon dos. "Ne me laisse pas", j'ai envie de crier. Nous nous Ă©cartons mais cette proximitĂ© est toujours lĂ . Alors aussitĂŽt, mes lĂšvres se posent sur les siennes. Nous nous embrassons avant mĂȘme que mon cerveau ne le rĂ©alise, avant mĂȘme qu'elle ne comprenne la situation, avant mĂȘme que mes amis n'aient dit quoique ce soit. Il me semble, je ne peux en ĂȘtre entiĂšrement certaine bien qu'intimement convaincue, qu'elle m'ait rendu mon baiser.
Nos lÚvres se détachent et j'ai, encore une fois, envie de hurler. Quelqu'un me devance :
"Attends, vous n'étiez pas séparées ?"
Le bar est bruyant. La musique est trop forte, la foule chante mais les paroles sont imperceptibles. Les lumiÚres dansent sur nos visages. Mes amis ont les yeux braqués sur moi. Je suis face à eux, tel un comédien sur son estrade pendant un monologue : seule, attendue, jugée, observée. Ils sont comme un public, ou pire, des critiques assis dans leurs fauteuils rouges, un carnet et un stylo à la main, silencieux, attendant. Je me tourne vers elle et elle aussi me regarde. Ni elle ni moi ne répondons. Je cherche de l'aide désespérément. Je me tourne vers mon amie, celle qui a parlé, la suppliant de me dire que c'est faux.
mars 2023
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manniecrit · 3 years ago
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Un simple souffle
Tu as allumĂ© quelque chose en moi qui Ă©tait Ă©teint. Une toute petite bougie, pas trĂšs belle, un peu abĂźmĂ©e, Ă  moitiĂ© fondue. Elle Ă©tait Ă©teinte et tu l'as rallumĂ©e. Que tu en prennes soin ou non, que tu la protĂšges des vents ou non, que tu l'abrites de la pluie ou non, elle n'a jamais perdu sa lumiĂšre. Tu l'as allumĂ©e et tu l'as laissĂ©e se consumer. La bougie a perdu de sa hauteur, petit Ă  petit, jusqu'Ă  ce qu'il n'en reste plus qu'un simple filament que la mĂšche ne dĂ©passe Ă  peine. La flamme, elle, n'a jamais cessĂ© de brĂ»ler. Elle a vacillĂ© de nombreuses fois, au point oĂč j'ai cru la perdre. Elle s'est pliĂ©e, elle a crĂ©pitĂ©, elle a crachĂ© sa fumĂ©e. Le claquement de la porte l'a faite s'Ă©teindre pendant un milliĂšme de secondes mais ta voix, ton regard, tes messages n'ont cessĂ© de l'Ă©toffer et de la rendre encore plus vive et encore plus forte Ă  chaque fois que tu revenais.
Que veux-tu ? Pourquoi t'amuses-tu à la regarder s'éteindre pour aussitÎt la sauver de sa suffocation ? Aime-la, embrasse-la, embrase-moi ou, par pitié, souffle sur cette flamme une bonne fois pour toute.
décembre 2022
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manniecrit · 3 years ago
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La fĂȘte des morts
Les douze coups de minuit vont bientĂŽt retentir. Cela fait plusieurs jours que je me prĂ©pare, je ne peux plus attendre, je suis bien trop impatient. J'enfile ma plus belle veste, celle que mon voisin m'a prĂȘtĂ©e. Il ne veut pas y aller, il m'a dit qu'il Ă©tait condamnĂ©. Je noue mes lacets et claque la porte derriĂšre moi. Je me faufile Ă  travers les rues sombres et emprunte plusieurs raccourcis dont je connais dĂ©sormais tous les secrets. Me voilĂ  sur l'allĂ©e principale, enfin. Il y a foule, comme je m'y attendais. Chacun veut arriver le premier. Ça commence Ă  se bousculer. J'inspire l'air vide, comme si celui-ci pouvait soulager mon anxiĂ©tĂ©. Je ne ressens rien. J'entends un homme qui hurle Ă  quelques mĂštres devant moi. Un autre lui rĂ©pond. Ça s'insulte, ça dit « ArrĂȘte de pousser ou je t'en mets une ! ». Il peut toujours lui en mettre une mais ça ne risque pas de lui faire grand mal, peut-ĂȘtre qu'au contraire, lui, y perdra un doigt. Mon voisin m'a dit, l'autre jour, qu'un de ses amis avait perdu une main, un matin, en se rĂ©veillant. Elle s'Ă©tait simplement dĂ©crochĂ©e. Il avait eu beau la chercher, il ne l'avait jamais retrouvĂ©e. Elle s'Ă©tait volatilisĂ©e.
L'alarme retentit. La foule s'exclame. C'est l'heure. Les yeux vides s'illuminent, les cordes vocales usées expriment leur joie. Les haut-parleurs millénaires en forme de crùne commencent à crépiter :
"Le Monde des Morts vous souhaite Ă  tous une bonne fĂȘte ! Profitez de vos familles et de vos amis et, n'oubliez pas, revenez avant le lever du soleil !"
Les morts autour de moi applaudissent. C'est la premiÚre fois que j'entends ce bruit si étrange des os s'entrechoquant. Je regarde mes mains, elles sont encore bien charnues, j'ai le temps.
Le portail s'ouvre. Il est grand, majestueux, autoritaire, infranchissable excepté en ce jour si précieux. Les premiers s'engouffrent entre les grilles. DerriÚre, on s'exclame :
"DĂ©pĂȘchez-vous, bon sang !"
AprĂšs de longues secondes qui m'ont paru interminables, j'y suis, c'est mon tour. Je cours, le plus vite possible. L'avantage d'ĂȘtre mort, c'est qu'on ne ressent aucune faiblesse. Je dĂ©passe des familles, toutes se tiennent par la main. Au loin, je vois le tunnel sombre dont mon voisin m'a tant parlĂ©. Une chose me trouble : les personnes devant moi disparaissent dans la pĂ©nombre telle un trou noir qui les emporte. Je ne les vois plus. OĂč sont-elles passĂ©es ? Lorsque j'atteins l'obscuritĂ©, j'en comprends la raison. Un trou, puis une chute. Une chute de plusieurs mĂštres, de beaucoup de mĂštres, de trop de mĂštres, de kilomĂštres ? J'y suis. Je m'Ă©crase au sol de façon peut Ă©lĂ©gante. J'essaye de me redresser. Ma hanche fait des siennes. Je la remets en place vite fait, bien fait. Lorsque je relĂšve les yeux, des milliers de bougies orangĂ©es sont allumĂ©es. Des fleurs et des cadeaux ornent les tombes. Des personnes, vivantes, m'encerclent. Elles ne me voient pas. DerriĂšre moi, une femme dit :
"Tu as vu comme elle a grandi ? Elle doit avoir au moins... neuf ou dix ans, non ? Le temps passe si vite !"
Mon instinct me dit d'aller vers la gauche. Je l'Ă©coute. Je parcours les allĂ©es de pierres tombales. Elles ont toutes Ă©tĂ© dĂ©corĂ©es pour ce jour de fĂȘte. Une Ă©trange vĂ©gĂ©tation a envahi les sentiers Ă©troits. Les visiteurs la traversent pĂ©niblement, font de grandes enjambĂ©es, grincent des dents lorsque cette plante mystĂ©rieuse touche leur peau. Je dĂ©passe ces malheureux, incapable de ressentir la moindre douleur. Je trouve ma tombe, recluse dans un coin perdu et broussailleux du cimetiĂšre. Je dĂ©couvre mon nom gravĂ© sur une pierre tombale pour la premiĂšre fois. Un sentiment inexplicable envahi mon ĂȘtre. Je ne me sens pas triste mais plutĂŽt comme un ange dĂ©chu, perdu dans un monde qui n'est plus le mien. Les statuettes des saints sont tombĂ©es au sol, cassĂ©es en mille morceaux. Il n'y a pas que seulement ma tombe qui est en pagaille, les autres aussi. La tempĂȘte du mois dernier a fait de gros dĂ©gĂąts. Je m'assois sur le marbre, attendant ma seule et unique visite.
AprĂšs avoir observĂ© les passants et jouĂ© au golf avec des cailloux et une de mes jambes en guise de club de golf, je la vois enfin. Ma grand-mĂšre arrive, clopin-clopante, sa canne Ă  la main. En un an, elle n'a pas pris une ride et est toujours la mĂȘme.
"Bonsoir, mon p'tit" dit-elle simplement en sortant de son sac à main une boßte à gùteaux. "Je t'ai fait tes cookies préférés, je sais que tu en raffoles."
Elle pose le tupperware sur ma tombe. Les gùteaux de Mémé sont tellement bons ! J'en ramÚnerai à mon voisin, je sais qu'il les adorera aussi.
Pendant de longues heures, jusqu'aux derniÚres minutes avant le lever du soleil, ma grand-mÚre me raconte les derniÚres nouvelles du village et polémique sur le changement de façade de la maison d'en face. A dire vrai, je ne l'écoute que d'une oreille. Ce qu'elle raconte ne m'intéresse guÚre mais, je reste là, pour elle et pour sa voix. Pour sa voix dont j'ai du mal à me souvenir depuis que je suis mort. J'essaye de retenir son accent et ses intonations qui lui sont propres. Elle me manque.
"Il faut que j'y aille, Mémé. Le jour va bientÎt se lever."
Comme si elle m'avait entendu, elle se lÚve, se tenant fermement à sa canne. Avant de partir, elle déplie énergiquement un sac plastique, enfile des gants et, avec un couteau, commence à arracher la végétation. Elle en récupÚre un gros sac, rempli à ras-bord.
"Et c'est qui qui va manger une bonne soupe d'orties ce soir ? C'est Mémé ! Allez, à l'année prochaine, mon p'tit !"
MĂ©mĂ© touche le marbre du bout des doigts et reprend le chemin par lequel elle est arrivĂ©e. Quelque chose la retient. Elle s'arrĂȘte, le dos Ă  moi, immobile.
"Oh, et, tu m'manques."
Elle reprend sa route, clopin-clopante, son sac d'orties Ă  la main.
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manniecrit · 3 years ago
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Un cƓur Ă  l'arrĂȘt de bus
Le paysage dĂ©file Ă  travers la fenĂȘtre du bus. Les demeures des beaux quartiers se succĂšdent. Mon regard ne s'attarde sur rien en particulier. Les Ă©couteurs dans les oreilles, mon esprit divague. Les ombres des arbres dansent contre la vitre. Le trajet qui ne dure qu'une vingtaine de minutes s'Ă©ternise. Mon impatience transforme les minutes en heures. Les nombreux arrĂȘts se suivent jusqu'Ă  ce que le mien finisse par arriver. J'appuie sur le bouton rouge et au bout de quelques instants, je me retrouve dehors. Il fait frais. Je regarde ma montre, il est 19h. Le soleil a dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  se coucher. L'Ă©tĂ© est fini, l'automne arrive. Je sors mon tĂ©lĂ©phone et pianote un message rapidement :
"Je suis lĂ ."
Je place correctement mon sac à l'épaule, remonte la fermeture-éclair de ma veste jusqu'au col, range mon téléphone dans ma poche et me mets en marche. Il ne me reste plus qu'à descendre la rue et tourner sur la gauche. Je marche droit devant, sans me préoccuper du monde extérieur. La musique au plus haut volume, plus rien ne semble compter. Une brise vient faire danser les branches du saule pleureur sur ma gauche. Je ne sais pourquoi, mais je ressens un attachement particulier pour cet arbre. Il est beau, grand et majestueux. J'ai beau avoir croisé sa route des centaines de fois, il m'émerveille toujours autant.
Mon téléphone vibre. Je le sors et sur l'écran verrouillé est affiché :
"Je sais."
Une silhouette apparaĂźt au bout de la rue. L'individu ne bouge pas. Il se tient droit. De lĂ  oĂč je me trouve, je ne distingue pas son visage mais son physique et sa corpulence me laissent deviner qui il est. Il lĂšve le bras Ă  hauteur de bassin et d'un geste dĂ©licat et timide, agite la main en ma direction. Je m'arrĂȘte et retire mes Ă©couteurs. Un large sourire se dessine sur mon visage. Nous restons plantĂ©s lĂ  un instant, jusqu'Ă  ce que je lui rende son geste. J'accĂ©lĂšre le pas. Je marche si vite que j'en courrais presque. Sa silhouette se fait de plus en plus nette. Il porte un jean large, un sweat Ă  capuche noir avec sa veste en jean par-dessus, un petit sac blanc en bandouliĂšre vient barrer sa poitrine. Un petit point lumineux orange brille au bout de sa main. Je parcours les derniers mĂštres en trottinant. Ça y est, je distingue enfin son visage. Il me sourit. Mon ventre se serre, ma respiration s'entre-coupe. Il est magnifique. De façon un peu brusque, je viens me plonger dans ses bras. Il m'enlace fort. Il porte son parfum, celui dont j'aime tant l'odeur, celui qui me rend folle, celui qui se colle Ă  mes vĂȘtements des heures aprĂšs que l'on se soit vus, celui qui m'obsĂšde. Mon cƓur bat la chamade. Je lĂšve la tĂȘte et plonge mes yeux dans les siens. Ils sont foncĂ©s, presque noirs. Le sombre de ses pupilles et le clair de sa peau m'ont toujours dĂ©routĂ©e, Ă©merveillĂ©e.
"On rentre ?"
Je desserre mes bras de sa taille non sans regret. Il se retourne, saisit ma main et m'entraĂźne jusqu'Ă  chez lui. Ses doigts jouent avec les miens avant de les enlacer. De son autre main, il monte la cigarette jusqu'Ă  ses lĂšvres et la place entre sa commissure. Il en aspire la fumĂ©e et, quelques secondes plus tard, la recrache. J'aime le voir fumer. MalgrĂ© ma haine profonde envers le tabac, je ne peux m'empĂȘcher de le trouver beau. Ce geste lui donne un cĂŽtĂ© hors d'atteinte. Il tourne la tĂȘte vers moi et me fait une grimace. Je glousse, peut-ĂȘtre de façon un peu trop forte, un peu trop niaise, un peu trop amoureuse. Il se penche pour embrasser ma joue. Nous zigzaguons quelque peu en riant, jusqu'Ă  atteindre la ruelle de gauche. Il n'y a ni voiture, ni passant, tout y est calme. Il y fait mĂȘme plus sombre. Nos deux ombres disparaissent ainsi, dans la pĂ©nombre de la nuit, sous la lumiĂšre jaune des rĂ©verbĂšres, titubant d'amour.
"Prochain arrĂȘt..." annonce la voix robotique du bus.
Je ne suis pas descendue. Le vĂ©hicule s'Ă©branle et reprend sa trajectoire. La rue, ta rue, est perpendiculaire Ă  celle empruntĂ©e par le bus. Je passe sans m'arrĂȘter, mais malgrĂ© tout je ne peux m'empĂȘcher de me retourner pour apercevoir la maison dans laquelle nous nous retrouvions pratiquement chaque nuit. Elle est lĂ  et je suis attirĂ©e par elle instantanĂ©ment. J'aimerais hurler au chauffeur de s'arrĂȘter. J'aimerais descendre et courir jusqu'Ă  elle pour te rejoindre. Mes yeux s'humidifient, ma vue devient floue. Je ne vois plus rien. Je dĂ©tourne le regard, j'augmente le volume de la musique. J'aimerais tant te retrouver, toi, tes bras, tes baisers et ton amour.
Je passe, je ne m'arrĂȘte pas. Ma respiration s'accĂ©lĂšre. Au fur et Ă  mesure que la distance grandit entre cette maison et moi, la douleur devient plus intense. Une sensation atroce et effrayante s'empare de moi : celle d'ĂȘtre sĂ©parĂ©e en deux, comme si une dĂ©chirure s'Ă©tait créée entre mon corps et mon Ăąme. Je baisse les yeux vers ma poitrine. Une tĂąche sombre est apparue. AffolĂ©e, je tĂąte mes seins et ma cage thoracique. La douleur est insupportable. Il y a un trou bĂ©ant Ă  l'intĂ©rieur de moi. Je le sens, il y a un creux dans ma poitrine. Il manque quelque chose. Je me recroqueville sur moi-mĂȘme, mon front touche presque mes genoux, une main contre mon cƓur. J'ai mal, trĂšs mal. Une larme de douleur coule le long de ma joue. Soudain, je rĂ©alise que je ne sens rien. Il n'y a aucun battement qui vient taper contre ma paume. Je comprends alors que pendant que le bus continuait sa route, mon cƓur, lui, est descendu Ă  ton arrĂȘt. Durant je ne sais combien de temps, je le sais, il attendra que tu viennes le chercher.
novembre 2022
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manniecrit · 3 years ago
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La veste en cuir
Un soir, alors que j'avais froid, on m'a prĂȘtĂ© de quoi me rĂ©chauffer. Il Ă©tait tard dans la nuit, l'humiditĂ© avait créé une lĂ©gĂšre brume. J'Ă©tais frigorifiĂ©e. Mes dents s'entrechoquaient, mon menton tremblait. Ce cadeau Ă©tait apparu comme une bĂ©nĂ©diction, la grĂące du ciel.
Ce présent était une veste en cuir. Quand on me la tendit, elle paraissait lourde au bout de mon bras. Lorsque je l'enfilais, j'eus la confirmation qu'elle l'était effectivement. Elle était si épaisse qu'elle me donnait l'impression d'avoir un poids sur les épaules. En plus de cela, elle était bien trop grande pour moi. Elle me couvrait les fesses, les manches descendaient jusqu'aux mains. La veste était imprégnée d'une légÚre odeur de cuir et du parfum de son propriétaire. A peine l'avais-je enfilée que je m'y sentais bien. Son poids autour de moi ressemblait à une embrassade forte, comme si je revoyais la personne qui m'aimait le plus au monde aprÚs un long moment et qu'elle me prenait dans ses bras. C'était un cocon chaud, fort et douillet. Immédiatement, je m'y sentis en sécurité. Telle une chenille, je me recroquevillais dans ma chrysalide.
J'Ă©tais rentrĂ©e chez moi, la veste toujours sur mes Ă©paules. C'Ă©tait Ă  l'Ă©clairage de mon appartement qu'enfin je pus remarquer toutes ses subtilitĂ©s. Elle Ă©tait de couleur taupe. Elle Ă©tait agrĂ©mentĂ©e par de nombreuses marques d'usure. Par endroit, le cuir Ă©tait Ă©raflĂ©. À d'autres, il avait noirci. Certaines fermetures Ă©clair fermaient mal. Tous ces petits dĂ©fauts me laissaient penser que cette veste Ă©tait vieille, trĂšs vieille, et qu'elle avait rĂ©chauffĂ© plusieurs Ă©paules avant les miennes. Elle possĂ©dait une histoire et j'aurais donnĂ© cher pour connaĂźtre ne serait-ce que quelques bribes.
En l'enlevant, j'apercevais que l'intĂ©rieur Ă©tait un tissu trĂšs fin blanc cassĂ©. Il y avait un dessin brodĂ© dessus. En Ă©talant la veste sur mon lit, je remarquais qu'il reprĂ©sentait une carte du monde. Les terres Ă©taient en vert, les ocĂ©ans en marron. Les Ă©critures Ă©taient un peu passĂ©es mais on pouvait les lire encore clairement. Je ne m'attendais pas Ă  voir autant de dĂ©tails. J'Ă©tais dĂ©sormais persuadĂ©e que cette veste avait parcouru le monde et avait vu des choses que je ne verrai probablement jamais. OĂč Ă©tait-elle allĂ©e ? Avec qui ? Quand ? Il y avait tant de mystĂšres.
Je pensais Ă  cela souvent. Ces questions m'obsĂ©daient, le manque de rĂ©ponse me frustrait. Alors, de temps en temps, j'autorisais mon esprit Ă  se donner Ă  quelques spĂ©culations. J'imaginais la veste sur le dos d'un motard chevauchant sa Harley-Davidson sur la route 66, d'un archĂ©ologue s'aventurant dans la forĂȘt tropicale, en plein IndonĂ©sie, Ă  la dĂ©couverte des statues de Bouddha les plus rares ou d'un soldat rentrant chez lui aprĂšs la guerre, son baluchon vert Ă  l'Ă©paule. J'aimais ce jeu auquel je m'adonnais et trĂšs vite celui-ci devint mon passe-temps favori. Je crĂ©ais ces scĂ©narios Ă  toute heure et Ă  tout moment. Petit Ă  petit et sans que je m'en rendĂźs compte, que je fus seule ou en plein milieu d'une conversation, la fiction Ă©tait devenue un vaisseau sur lequel je navigais et qui m'emmenait loin. Je ne vivais dĂ©sormais plus que dans un monde imaginaire oĂč la veste Ă©tait l'hĂ©roĂŻne de toutes mes aventures.
Les semaines s'Ă©coulĂšrent et la veste Ă©tait devenue comme une seconde peau. Je ne la quittais plus et la portais jour aprĂšs jour. Sortir sans elle Ă©tait inconcevable. Le soir, quand je devais la retirer, mon cƓur semblait se dĂ©chirer en deux. Je me sentais nue et vide. Son poids sur mes Ă©paules me manquait. J'avais froid Ă  nouveau et cette sensation m'Ă©tait insupportable. Je n'arrivais pas Ă  vivre loin d'elle. Elle Ă©tait devenue un refuge. Lorsque j'allais mal, je me recroquevillais sur mon lit et me couvrait d'elle, comme une couverture. Parfois, je la posais tout prĂšs de mon oreiller pour sentir son odeur de cuir et le fameux parfum.
La personne qui m'avait fait cadeau de cette veste s'en Ă©tait allĂ©e, pas longtemps aprĂšs que la veste fĂ»t arrivĂ©e. J'avais essayĂ© de la retenir, de lui prouver Ă  quel point je l'aimais, mais cela n'avait pas suffi. Du jour au lendemain, sans crier gare, sans mĂȘme un mot, elle Ă©tait partie. Un sentiment d'abandon et une veste, c'Ă©tait tout ce qu'elle m'avait laissĂ©. Au lieu de faire face Ă  ma solitude et Ă  ces sentiments dĂ©chirants, je m'Ă©tais cachĂ©e dans mon refuge. C'Ă©tait nĂ©faste, je le savais, et pourtant une partie de moi ne pouvait s'en empĂȘcher.
Un ami, un jour, me fit remarquer que mon comportement avait changĂ©. Que depuis quelques semaines, je m'Ă©tais renfermĂ©e sur moi-mĂȘme. Moi qui Ă©tais une personne si joviale et si ouverte, je m'Ă©tais complĂštement transformĂ©e, selon ses dires.
"Je ne te reconnais plus. Depuis que vous n'ĂȘtes plus ensemble tu n'es plus toi-mĂȘme."
Je refusais pourtant de l'Ă©couter et de prendre ses conseils en compte, peut-ĂȘtre n'Ă©tais-je pas encore prĂȘte Ă  les entendre. Ses paroles avaient eu l'effet d'une sonnette d'alarme. RenfermĂ©e, je l'Ă©tais encore plus. Seule, Ă©galement. Je ne sortais pas de mon appartement sauf pour me rendre au travail. La veste, qui m'accompagnait dĂ©jĂ  oĂč que j'allĂąs, ne me quittait plus. Je la portais Ă©galement chez moi et en intĂ©rieur quand bien mĂȘme le chauffage Ă©tait Ă  son plus haut niveau. Le soir, je ne pouvais pas m'endormir si je ne sentais pas son poids sur moi. Elle Ă©tait ancrĂ©e en moi au point que mes trapĂšzes et ma nuque en Ă©taient douloureux. Bouger la tĂȘte Ă©tait devenu un calvaire. J'avais essayĂ© tant bien que mal de soulager ces maux, mais chaque massage s'accompagnait de rictus et de gĂ©missements de souffrance.
Voici donc à quoi se résumait mon quotidien jusqu'à ce que le propriétaire de la veste en cuir ne refßt surface. Il débarqua un jour de week-end. Lorsque je vins lui ouvrir la porte, je fus surprise à la fois par sa présence et également par l'immense ciel bleu qui s'étendait au dessus de lui. Cela faisait plusieurs jours que je n'avais pas mis les pieds dehors et que je n'avais pas ouvert mes volets.
"Qu'est-ce que tu fais lĂ  ?
-Je suis venu récupérer le reste de mes affaires.
-Tu aurais pu appeler avant, pour prévenir.
-Je l'ai fait et je t'ai laissé des messages mais tu réponds pas.
-DĂ©solĂ©e, mon tĂ©lĂ©phone doit ĂȘtre en silencieux quelque part.
-C'est pas grave, je suis juste venu là pour mes affaires. Ça prendra deux minutes."
Il entra et vida tout son tiroir dans un minuscule sac. Il se retourna et aperçut la veste en cuir posĂ©e Ă  cĂŽtĂ© de mon oreiller. Elle devait ĂȘtre encore chaude, je la portais juste avant qu'il n'arrivĂąt. Je n'avais pas eu le temps de dire quoique ce fĂ»t qu'il s'Ă©tait emparĂ© d'elle, l'avait prise sous le bras et s'Ă©tait rapprochĂ© de la porte d'entrĂ©e. Avant de partir, il se retourna et me dit :
"Je te souhaite une bonne continuation. J'espĂšre que tout ira bien pour toi."
Je ne rĂ©ussis pas Ă  prononcer un seul mot. Une petite brise souffla. Je mis un pied dehors, il faisait frais. Je croisa les bras contre ma poitrine pour me tenir chaud. Le feuillage des arbres dansait. J'aperçus le ciel bleu entre les feuilles oranges et les bogues des marronniers. Je leva les bras vers les branches et m'Ă©tendis de tout mon long. Mes Ă©paules Ă©taient encore endolories. Je savais cependant, qu'avec le temps, la douleur s'Ă©vaporerait. Je pris une profonde inspiration et souffla longuement. Je me sentais plus lĂ©gĂšre, comme un papillon qui sortait de sa chrysalide et qui Ă©tait prĂȘt Ă  prendre son envol.
novembre 2022
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manniecrit · 3 years ago
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Juste un cauchemar
Kevin avait toujours pris son rĂŽle de pĂšre au sĂ©rieux. Quand son fils aĂźnĂ© est venu au monde, il avait arrĂȘtĂ© les conneries. Il n'avait pas su les arrĂȘter pour sa femme mais il l'avait su pour son fils. Kevin Ă©tait un bon pĂšre. Il Ă©tait attentionnĂ©, drĂŽle et toujours disponible. Il Ă©tait l'un de ces pĂšres qui emmenait son fils jouer au foot le dimanche ou aprĂšs l'Ă©cole dans le parc. Il Ă©tait l'un de ces pĂšres qui se marrait avec lui comme s'ils Ă©taient copains. Kevin Ă©tait l'un de ces pĂšres qui avait toujours rĂȘvĂ© d'avoir un fils. Il l'avait eu, son fils, et il dĂ©crocherait la lune pour le rendre heureux.
Quand sa femme, Mélanie, lui avait appris qu'elle était enceinte pour la seconde fois, Kevin était tombé des nues. Aussi bien elle que lui ne s'attendaient pas à cette nouvelle. Ils n'avaient jamais parlé d'avoir un deuxiÚme enfant. Hugo leur suffisait amplement, l'enfant réclamait beaucoup d'attention à seulement trois ans. Quoiqu'il en fût, le deuxiÚme était en route, il fallait pour les deux parents de solidifier leur situation. Le travail de Kevin au marché ne lui rapportait pas grand chose et Mélanie, secrétaire dans un cabinet dentaire, touchait le SMIC. A la fin du mois, ils peinaient déjà à joindre les deux bouts, avec un deuxiÚme enfant à charge, ce serait deux fois plus compliqué.
Une petite fille naquit. Ils l'appelÚrent Anissa, comme la grand-mÚre de Mélanie. C'était un sage bébé. Elle ne pleurait jamais et était parvenue à faire vite ses nuits. Elle n'était pas dérangeante. A vrai dire, elle l'était si peu, qu'il arrivait à ses parents de l'oublier. Mélanie oubliait de lui changer sa couche, Kevin de la sortir de son berceau à l'heure du repas. Seul Hugo semblait se soucier d'elle. Il ne l'oubliait jamais, si bien qu'il devint son protecteur ou, plutÎt, son baby-sitter.
Lorsque Hugo et Anissa eurent sept et dix ans, MĂ©lanie perdit son travail. A leur Ăąge, ils ne comprenaient pas trĂšs bien ce qu'il en Ă©tait. Ils savaient juste que c'Ă©tait grave car leur pĂšre et leur mĂšre ne faisaient que de se disputer et MĂ©lanie restait tout le temps Ă  la maison, mĂȘme quand eux Ă©taient Ă  l'Ă©cole. Elle Ă©tait lĂ  quand ils partaient le matin, elle Ă©tait toujours lĂ  quand ils revenaient le soir. Par contre, leur pĂšre, lui, ils le voyaient de moins en moins. Ils faisaient des marchĂ©s tous les jours, mĂȘme le week-end, et il avait en plus trouvĂ© un travail de livreur. Il conduisait un Ă©norme camion. Hugo trouvait ça cool, alors Kevin l'avait pris avec lui, un aprĂšs-midi. Il s'Ă©tait amusĂ© comme un fou, Ă  bidouiller tous les boutons du tableau de bord et Ă  ĂȘtre maĂźtre de l'autoradio. Kevin leur manquait, Ă  Hugo et Ă  Anissa, ainsi que les sorties au parc. Leurs moments prĂ©fĂ©rĂ©s Ă©taient les quelques heures passĂ©es au square, aprĂšs l'Ă©cole. Ils goĂ»taient tous ensemble sur un banc ou assis dans l'herbe et, soit ils faisaient une partie de foot, soit ils jouaient aux jeux pour enfants. Ils – y compris Kevin – aimaient faire du toboggan, de la balançoire et toutes sortes de jeux Ă  bascules. Ces quelques heures Ă©taient importantes, pour eux trois. Anissa oubliait qu'il Ă©tait dur pour elle de se faire des amis Ă  l'Ă©cole, Hugo faisait l'impasse sur ses mauvaises notes et les mots des professeurs dans son carnet de correspondance et Kevin se rappelait ce que c'Ă©tait d'ĂȘtre un enfant avant que les problĂšmes d'argent ne vinssent le ramener Ă  la rĂ©alitĂ©.
Les problĂšmes d'argent survinrent peu aprĂšs le licenciement de MĂ©lanie. Bien que les enfants ne surent pas trĂšs bien ce qu'ils impliquaient, ils aperçurent des changements qui s'opĂ©raient au sein du foyer familial. D'abord, le nouvel emploi de Kevin lui prenait tout son temps et l'obligeait Ă  rentrer Ă  des heures parfois tardives. Puis, l'arrĂȘt soudain d'achat de marques alimentaires et des cĂ©rĂ©ales prĂ©fĂ©rĂ©es de Hugo. Ensuite, l'apprĂ©hension de MĂ©lanie avant d'ouvrir la boĂźte aux lettres et cette inquiĂ©tude qu'elle avait toujours sur son visage lorsqu'elle ramenait des enveloppes tamponnĂ©es de l'insigne rouge "DERNIÈRE RELANCE".
Hugo et Anissa ne parlaient pas de tout ça entre eux. Hugo jugeait qu'Anissa Ă©tait trop jeune et ne comprendrait pas. Lui se considĂ©rait comme un grand et bien qu'il ne connaissait pas la raison des tourments de ses parents, il savait que quelque chose allait mal. Au moment oĂč il trouvait que la situation Ă©tait la plus critique et oĂč il pensait que Kevin et MĂ©lanie allaient divorcer comme les parents de Lucas, une accalmie Ă©tait apparue. Un soir, Kevin Ă©tait rentrĂ© Ă  la maison avec un bouquet de fleurs. MĂ©lanie Ă©tait toujours triste ces derniers temps mais, ce soir-lĂ , elle avait souri. Kevin l'avait prise dans ses bras, il l'avait embrassĂ©e et avait murmurĂ© tout bas :
"Ça va aller, ne t'inquiùte pas, ça va aller."
C'était à partir de cet instant qu'ils avaient recommencé à faire des trucs de grands. Ils sortaient le soir et Hugo et Anissa restaient seuls à la maison. Les enveloppes au tampon rouge se faisaient de plus en plus rares, leurs parents retrouvaient un peu plus de leur joie de vivre et la bonne humeur était de nouveau présente.
Cependant, l'accalmie n'avait Ă©tĂ© que passagĂšre. MĂ©lanie avait trouvĂ© un nouveau travail. Elle Ă©tait caissiĂšre dans un supermarchĂ©. Ses horaires ne lui permettaient pas de passer beaucoup de temps avec sa famille. Elle rentrait le soir vers vingt-et-une heures et Ă©tait extĂ©nuĂ©e. Cet emploi avait nĂ©anmoins permis Ă  Kevin de lĂącher celui de livreur et ainsi, de finir plus tĂŽt ses journĂ©es. Quand les parents rĂ©unirent les enfants pour leur apprendre la nouvelle, ces derniers s'en Ă©taient rĂ©jouis. Ils pensaient que tout allait redevenir comme avant, que les goĂ»ters dans le parc allaient de nouveau faire leur apparition dans leur vie. Ce fut le cas, d'une certaine maniĂšre. Kevin allait, certes, chercher tous les soirs les enfants Ă  l'Ă©cole et ils prenaient leurs encas dans le square, mais le pĂšre se montrait trĂšs prĂ©occupĂ©. Il profitait d'ĂȘtre en dehors de la maison pour voir ses copains, ceux dont MĂ©lanie se mĂ©fiait. Il demandait Ă  Hugo et Ă  Anissa de jouer aux jeux d'enfants et de les laisser discuter entre adultes. Quand Hugo se tournait vers eux, ils parlaient avec intensitĂ© et ils s'Ă©changeaient de nombreuses poignĂ©es de mains, avant de s'assurer que personne ne les regardĂąt. Cet homme, celui qui venait tout le temps, il ne l'avait jamais vu auparavant. Hugo avait un jour surpris une dispute de ses parents dans laquelle MĂ©lanie reprochait Ă  Kevin de traĂźner avec un certain Teddy, "un individu peu frĂ©quentable" selon ses propos. Pour Hugo, ce Teddy n'avait pourtant pas l'air peu frĂ©quentable. Il le trouvait mĂȘme sympathique. Il leur ramenait des sucettes quand il les rejoignait au parc et il leur racontait toujours des blagues hilarantes. Quoiqu'il en fĂ»t, ce n'Ă©tait pas l'avis de MĂ©lanie et le jour oĂč elle apprit que Kevin le voyait frĂ©quemment, elle devint folle de rage. Les enfants Ă©taient enfermĂ©s dans leur chambre, ils Ă©taient assis sur le lit d'Anissa. Pour la divertir, Hugo essayait de lui lire une bande dessinĂ©e en interprĂ©tant les personnages avec des voix diffĂ©rentes mais MĂ©lanie hurlait tellement fort que lui-mĂȘme n'arrivait pas Ă  se concentrer. Au final, ils se mirent tous les deux Ă  Ă©couter aux portes. Ils n'entendirent que des bribes de conversations.
"Je n'arrive pas à croire que tu puisses le revoir aprÚs tout ce qu'il t'a fait. AprÚs ce qu'il nous a fait !
-Il a changé.
-Bien sĂ»r que non il n'a pas changé ! ArrĂȘte d'ĂȘtre aussi naĂŻf !


-Tu nous mets en danger !
-Je sais ce que je fais !
-Oh vraiment ? La premiÚre fois tu savais également ce que tu faisais, il me semble. Non ?


-Et regarde oĂč ça nous a mené ! On a Ă©tĂ© obligĂ©s de dĂ©mĂ©nager.
-Ted n'est plus l'homme qu'il a été. Il a changé. Il ne fait plus de trafic. D'ailleurs, je suis allé chez lui l'autre fois et il a un enfant ! Une petite fille à peine plus ùgée qu'Anissa !
-T'as Ă©tĂ© chez lui ? Non mais je crois rĂȘver !
-Oui, je suis allé chez lui et c'est une trÚs bonne chose !
-Et pourquoi ça ?
-Il a trop de choses Ă  perdre, MĂ©lanie ! Il a une femme et un enfant, une famille, comme moi ! Qui serait assez bĂȘte pour perdre tout ça ?..."
Anissa et Hugo, les oreilles collĂ©es contre la porte, n'entendirent plus rien. Avec ces derniĂšres paroles, Kevin avait rĂ©ussi Ă  l'apaiser. MĂ©lanie n'Ă©tait nĂ©anmoins pas plus sereine Ă  l'idĂ©e que son mari frĂ©quentĂąt l'homme qui leur avait gĂąchĂ© la vie il y avait de cela une dizaine d'annĂ©es, quelques temps avant la naissance de Hugo. A chaque fois que Kevin sortait, elle spĂ©culait. Et s'il ne revenait pas, aujourd'hui ? Chacun de ses retards Ă©tait pour elle une source d'angoisse. La peur avait pris possession de son ĂȘtre, une boule s'Ă©tait créée au creux de son estomac.
Un soir, son cauchemar s'Ă©tait transformĂ© en rĂ©alitĂ©. Kevin avait plusieurs heures de retard. Il n'Ă©tait pas passĂ© chercher les enfants Ă  l'Ă©cole. La maĂźtresse les avait gardĂ©s Ă  la garderie alors qu'ils n'y restaient jamais. Elle tĂ©lĂ©phona Ă  MĂ©lanie qui dut quitter son travail et venir les chercher en urgence. Lorsqu'ils rentrĂšrent Ă  la maison, Kevin n'y Ă©tait pas. Il ne dĂ©crochait pas son tĂ©lĂ©phone, son patron l'avait vu partir Ă  l'heure habituelle, son ami et voisin ne l'avait pas vu rentrer. Il Ă©tait nulle part. Si Kevin n'Ă©tait pas Ă  la maison, c'Ă©tait que quelque chose le retenait. MĂ©lanie ne pouvait s'empĂȘcher de spĂ©culer sur la mort plausible de son mari ou sur sa sĂ©questration.
"S'il est en danger, nous aussi ?" se demanda-t-elle.
Elle se revoyait dĂ©jĂ  faire ses valises en moins de deux heures et fuir, comme elle l'avait fait il y avait dix ans de cela. Ce fut Ă  l'instant oĂč elle se dĂ©cida qu'elle et les enfants passeraient quelques jours chez sa mĂšre qu'elle entendit la porte d'entrĂ©e s'ouvrir. Elle se pencha, le buste en avant, pleine d'apprĂ©hension.
Kevin traversa le couloir d'un pas lent et lourd. Lorsqu'il arriva dans la lumiĂšre, MĂ©lanie eut une vision d'effroi. Il avait le nez ensanglantĂ©, la lĂšvre fendue et un Ɠil au bord noir encore bien rouge.
"Chéri ! Qu'est-ce... Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?"
Elle l'assit sur le canapé et s'empara d'un gant de toilette humide avec lequel elle tamponna le sang séché qui recouvrait son visage.
"C'est Teddy ?"
Il acquiesça silencieusement. Mélanie soupira. Elle aimerait lui dire qu'elle avait raison depuis le début, mais elle s'en abstint. Kevin avait déjà assez souffert comme cela.
"Il faut qu'on parte.
-On ne peut pas.
-Rien que quelques jours, chez ma mĂšre.
-Mélanie, on ne peut pas.
-Pourquoi ?
-Ils ne me lĂącheront pas.
-Explique-moi.
-Je lui ai emprunté de l'argent."
Le bouche de Mélanie s'entrouvrit mais se referma subitement. Elle bouillonnait de l'intérieur. Comment son mari avait-il pu faire une erreur aussi stupide ?
"Comment ça, tu leur as emprunté de l'argent ?
-On avait besoin de fric. On ne s'en sortait pas, mĂȘme avec ton nouveau travail. J'ai voulu garder mon taf mais on n'avait personne pour s'occuper des petits et on n'avait pas de quoi payer la garderie...
-Du coup t'en as demandé à Teddy ?
-Non, bien sûr que non ! C'est lui qui me l'a proposé. Il m'avait dit que c'était juste une aide, pour me dépanner, et que je lui rembourserai quand j'aurai les moyens... Il a commencé à me faire chanter. Je devais faire passer des trucs d'une cité à l'autre.
-Quels trucs ?
-Des produits de contrebandes, à ce que j'ai compris... Mais ce sont des colis fermés, je ne sais pas ce qu'il y a dedans !"
MĂ©lanie s'Ă©croula sur le canapĂ©. Les larmes lui montĂšrent aux yeux. Elle avait cette Ă©trange impression de dĂ©jĂ -vu, sauf que ce n'Ă©tait pas une impression, elle vivait le mĂȘme scĂ©nario, Ă  la diffĂ©rence prĂšs qu'elle avait deux enfants en bas Ăąges. Les enfants... Que Kevin les mĂźt, lui et elle, dans la galĂšre Ă©tait une chose, mais pas les enfants. Il ne bousillerait pas leur vie.
"Je veux que tu rÚgles ça. C'est ton problÚme. Je veux qu'il n'y ait aucun impact sur la vie de mes enfants, t'as bien compris ? Si un soir, tu rentres encore comme ça, aussi mutilé que tu l'es aujourd'hui, tu ne nous reverras plus. On partira loin. C'est compris ?"
Elle s'Ă©tait levĂ©e, le surplombait de sa hauteur. Il hocha la tĂȘte. Kevin ne pouvait pas lui en vouloir de le dĂ©tester. Il se dĂ©testait encore plus.
Deux mois s'Ă©taient Ă©coulĂ©s. Depuis ce soir-lĂ , s'en Ă©taient suivis des lettres de menace, des tentatives d'intimidation et du harcĂšlement Ă  outrance. Par chance – enfin, si Kevin pouvait appeler cela de la chance – Teddy n'incluait pas MĂ©lanie et les enfants dans ses histoires. Il lui insinuait nĂ©anmoins que s'il ne payait pas dans la semaine ou dans le mois la somme, qui avait considĂ©rablement augmentĂ© soit dit en passant, il lui enlĂšverait ce qu'il avait de plus cher au monde. Bien que Kevin pensait que la majoritĂ© de ce que disait Teddy Ă©tait du bluff, il ne pouvait pas prendre de risque. La vie de sa femme et de ses enfants Ă©tait un jeu, il n'avait pas le droit de perdre la partie.
Un soir, alors qu'il rentrait de l'Ă©cole avec Hugo et Anissa Ă  ses cĂŽtĂ©s, toute une horde de voitures de police contrĂŽlait le quartier. Au moment de passer le panneau annonçant la rĂ©sidence Aristide Brian, un policier l'arrĂȘta.
"Vous habitez le coin, Monsieur ?
-Oui, j'habite au L.
-TrĂšs bien. Vous pouvez passer, mais je vous demanderai de ne pas traĂźner pour rentrer chez vous, Monsieur.
-Qu'est-ce qu'il se passe ?
-Oh, des histoires de rivalité entre cités et des échanges douteux."
Kevin déglutit avec difficulté. Il prit la main de ses enfants et se dirigea à grands pas vers sa cage d'escalier. Lorsqu'ils arrivÚrent à l'appartement, Mélanie n'était pas encore rentrée. Jusqu'à son retour, il essaya de s'occuper l'esprit. Il aida les enfants à faire leurs devoirs, à préparer leurs cartables pour le lendemain et à se laver avant de souper.
Alors que Kevin était en train de préparer à manger, il entendit la porte d'entrée claquer. Les pas qui s'approchaient de lui étaient précipités. Mélanie courait presque.
"Kevin ! Kevin !" Hurlait-elle.
Kevin se prĂ©cipita dans le cadre de la porte du salon. Ils faillirent se percuter. MĂ©lanie se jeta dans ses bras et serra fort le buste de son mari contre elle. Elle Ă©tait essoufflĂ©e, son cƓur battait Ă  un rythme effrĂ©nĂ©.
"Tu es là ! La police est en bas ! J'ai cru qu'ils t'avaient arrĂȘté !"
Sa voix était saccadée par sa respiration haletante. Kevin passa sa main dans son dos et le caressa de maniÚre rassurante.
"Je suis lĂ , Mel. Ne t'en fais pas."
Il la conduisit vers le canapé sur lequel elle se laissa tomber. Sa respiration retrouva un rythme normal. Kevin lui apporta un verre d'eau qu'elle but par petites gorgées.
"Pourquoi les flics sont là ?
-Je crois qu'ils ont découvert le trafic de Ted."
Personne ne parla pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce que Mélanie brisa le silence :
"Il faut qu'on déménage.
-Quoi ?
-On ne peut pas rester ici. On doit déménager.
-Qu'est-ce que tu racontes ? On est en pleine année scolaire. On ne peut pas partir comme ça et laisser tout en plan.
-Kevin, si les flics ont découvert ce que Teddy manigance, c'est qu'il s'est foiré et qu'il ne va pas tarder à débarquer ici ou à te balancer !
-On n'est pas sûrs à 100% que c'est le trafic de Teddy qu'ils ont découvert, alors ne nous précipitons pas et attendons un peu.
-Je n'attendrai pas qu'on te jette en taule."
Sur cette derniĂšre phrase, elle se leva et se dirigea d'un pas dĂ©cidĂ© vers la chambre parentale et referma la porte. MĂ©lanie avait raison, si le trafic de Teddy avait Ă©tĂ© interceptĂ©, il ne tarderait pas Ă  dĂ©noncer ses complices. Le premier Ă©tait d'ailleurs dĂ©jĂ  tombĂ©. A quelques mĂštres de l'immeuble de Kevin et MĂ©lanie, Vincent Ă©tait la raison de tout ce remue-mĂ©nage et de la prĂ©sence des voitures de police. Il avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour avoir stockĂ© les marchandises de Teddy dans sa cave. Kevin l'apprit le lendemain soir, Ă  la sortie de l'Ă©cole. Il croisa un homme qu'il connaissait par le biais de son travail avec Teddy et qui attendait lui-mĂȘme son enfant.
"T'as appris pour Vince ? Lui dit-il.
-Non. Qu'est-ce qu'il a ?
-Il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©."
Dans la tĂȘte de Kevin, les piĂšces du puzzle s'Ă©taient assemblĂ©es. Les flics auraient bien pu l'arrĂȘter lui. Il a eu de la chance, cette fois.
Kevin resta songeur quelques secondes.
"Je compte partir un moment. Tu devrais faire pareil.
-Partir ? Partir oĂč ?
-Je ne sais pas. Loin, dans la famille, à l'étranger, chez des amis, qu'importe. Il faut partir et s'éloigner de Ted. Tu sais que c'est lui qui a dénoncé Vince, hein ?"
Kevin ne répondit pas.
"Il a voulu arrĂȘter de travailler pour Teddy mais il a oubliĂ© que ça ne marchait pas comme ça. On ne peut pas quitter Teddy... Oh ! VoilĂ  la plus belle", s'exclama-t-il en se tournant vers le portail de l'Ă©cole.
Une petite fille, mĂ©tisse, avec un nƓud rose perdu dans ses cheveux en bataille, accourut vers son pĂšre. L'homme s'agenouilla et serra fort sa fille contre lui. Il la prit dans ses bras et se leva.
"Ça a Ă©tĂ© ta journĂ©e, mon cƓur ?
-Oui ! Mais Kilian m'a enlevĂ© mon nƓud et la maĂźtresse me la remit !"
Il embrassa sa tempe et au moment de partir, il se tourna vers Kevin.
"Tu devrais suivre mon conseil Kev. Prend ta famille et barre-toi."
A cet instant, Hugo et Anissa déboulÚrent en trombes en hurlant ce qui leur était arrivé aujourd'hui à l'école. L'esprit bien trop préoccupé, Kevin n'arrivait à déceler ce qu'ils disaient. Lorsqu'il se retourna, l'homme avait disparu parmi la foule de parents et d'enfants agités.
"Allez les nains, on rentre.
-Quoi ? Maintenant ?! ProtestĂšrent Hugo et Anissa d'une mĂȘme voix."
Kevin, sans mĂȘme vĂ©rifier qu'il Ă©tait bien suivi par ses enfants, prit le chemin de la maison. Une fois Ă  l'appartement, il autorisa les enfants Ă  goĂ»ter devant la tĂ©lĂ©vision et les envoya faire leurs devoirs dans leur chambre. Alors qu'il se retrouvait seul dans le salon et qu'un silence de plomb vint l'accabler, il Ă©tait dĂ©sormais sĂ»r et certain qu'ils devaient partir. MĂ©lanie avait raison. Ils avaient tous raison et Kevin avait Ă©tĂ© trop naĂŻf pour ne pas croire que son tour allait arriver. Il viendrait, mais avant qu'il ne vint, ils seraient tous dĂ©jĂ  loin. En attendant que MĂ©lanie rentrĂąt, Kevin commençait Ă  rassembler leurs affaires. Un petit sac de voyage suffirait pour le nĂ©cessaire des parents, ils avaient seulement besoin de quelques tenues de rechange. Il s'accroupit devant la table de chevet. Il sortit du tiroir une enveloppe blanche. Il jeta un Ɠil Ă  l'intĂ©rieur. Elle contenait environ mille euros en liquide. Il ne savait pas pendant combien de temps ils seraient partis, mais ils devaient ĂȘtre prĂȘts Ă  faire face Ă  n'importe quelle situation. Il referma l'enveloppe et la glissa entre les deux piles de vĂȘtements.
Mélanie rentra. Kevin la rejoignit dans le salon. Elle déposa sur le plan de travail des sacs de courses.
"Je suis passĂ©e faire des courses aprĂšs le taff. Il n'y avait plus de yaourt et j'ai vu que le paquet de cĂ©rĂ©ales de Hugo Ă©tait presque vide... Quelle journĂ©e ! J'ai eu un client, un petit vieux, un habituĂ©, qui s'est plaint parce que la date de pĂ©remption de son pot de fromage blanc Ă©tait dans deux jours. Il voulait une remise dessus. Et quand je lui ai dit que ce n'Ă©tait pas possible, que ce n'Ă©tait pas moi qui dĂ©cidais des rĂ©ductions, il s'est mis Ă  gueuler, le vieux ! Non mais je rĂȘve ! Ils se croient vraiment tout permis... Kev ?... Tu peux le dire si je te fais chier avec mes histoires."
Kevin reporta son attention sur Mélanie. C'était vrai qu'il ne l'avait pas vraiment écoutée. Il était plus concentré sur la façon dont il allait dire à sa femme qu'ils devaient plier bagages et s'en aller loin d'ici.
"Il faut que je te parle, Mel."
Elle leva les yeux de ses sacs de courses et regarda son mari. Elle comprit par son air sĂ©rieux que c'Ă©tait grave. Il lui expliqua tout, sans langue de bois, sans omission. Ni une ni deux, ils s'Ă©taient dĂ©cidĂ©s : demain soir, ils mettraient les voiles. Ils partiraient quelques jours chez les parents de MĂ©lanie avant de pouvoir reprendre leur vie lĂ  oĂč ils l'avaient laissĂ©e ou avant d'en commencer une nouvelle. Aux enfants, ils dirent qu'ils partaient tous en voyage chez papi et mamie. Hugo trouva cela Ă©trange mais il Ă©tait si heureux de retrouver ses grands-parents qu'il ne chercha pas Ă  en savoir d'avantage. La question de l'Ă©cole ne lui vint pas en tĂȘte, Ă  Anissa non plus, elle Ă©tait bien trop enjouĂ©e de ne plus voir "les nazes de sa classe". Les enfants emballĂšrent leurs vĂȘtements dans des sacs et sĂ©lectionnĂšrent quelques jouets pour le voyage. Ils allĂšrent ensuite se coucher, les yeux plein d'Ă©toiles, en attendant hĂątivement d'ĂȘtre au lendemain. Kevin et MĂ©lanie, quant Ă  eux, Ă©taient beaucoup moins excitĂ©es que les enfants. Au lieu d'Ă©toiles, c'Ă©tait la prĂ©occupation qu'ils avaient dans les yeux.
Le lendemain matin, Kevin emmena les enfants à l'école. Mélanie et lui s'étaient mis d'accord sur le fait qu'il fallait prévenir le directeur et les instituteurs, ainsi que leurs employeurs de leur départ soudain. Kevin n'alla pas au travail ce jour-là. Il était convenu qu'il chargeùt la voiture, qu'il allùt chercher les enfants à l'école et qu'il récupérùt Mélanie à son travail. AprÚs tout cela, seulement, ils partiraient.
A 16h30, la voiture Ă©tait prĂȘte et garĂ©e devant l'Ă©cole. Hugo et Anissa accoururent et grimpĂšrent dans le vĂ©hicule avec enjouement. Ils prirent la route pour rĂ©cupĂ©rer MĂ©lanie au supermarchĂ©.
AprÚs avoir quitté le centre-ville, ils arrivÚrent dans une zone désertique, voire apocalyptique. La route goudronnée était longue et large. Des vieux champs à l'abandon en attente d'accueillir de nouveaux géants de bétons s'étalaient sur la droite. A gauche, des vieux immeubles bas désaffectés périssaient. Au loin, devant eux, la ville et ses hauteurs s'étendaient.
"Tout est mort ici", pensa Kevin.
Une Ă©trange sensation se dĂ©gageait de ce lieu. Tout Ă©tait mort. Il n'y avait pas forme humaine, animale ou mĂȘme vĂ©gĂ©tale vivante. Cet endroit Ă©tait peut-ĂȘtre maudit, peut-ĂȘtre pas, mais Kevin sentait comme une malĂ©diction planer sur eux.
La voiture roulait lentement. Plus elle avançait, plus sa vitesse diminuait. Le pied levĂ© de l'accĂ©lĂ©rateur, Kevin fronça les sourcils. Une ombre noire couchĂ©e sur la route se rapprochait, ou du moins, le vĂ©hicule s'en approchait. De loin, il n'Ă©tait pas Ă©vident de savoir ce que c'Ă©tait. Un Ă©norme sac poubelle noir s'Ă©tait-il envolĂ© et dĂ©posĂ© là ? Plus la voiture s'avançait, plus le sac plastique Ă©tait grand, Ă©lancĂ© et son apparence se prĂ©cisait : un corps humain Ă©tait Ă©tendu sur l'asphalte. Kevin arrĂȘta la voiture. Les enfants ne cessaient de hurler Ă  l'arriĂšre pour la Game Boy que Hugo ne voulait pas prĂȘter Ă  Anissa.
"Les enfants... Dit Kevin, d'une voix absente. Restez-là, d'accord ? Je descends, j'en ai pour une minute."
Les enfants se turent et observĂšrent leur pĂšre qui descendait du vĂ©hicule. Ils se penchĂšrent tous les deux entre les siĂšges avant pour ĂȘtre au plus prĂšs de la scĂšne.
"ArrĂȘte de me pousser, Anissa !
-C'est toi qui m'as poussée en premier !"
Leurs cris retentirent de nouveau dans l'habitacle. Pendant ce temps, Kevin s'approcha du corps qui lui tournait le dos. Il était habillé d'un jean noir et d'une grosse veste de motard en cuir. De loin, il n'arrivait pas à déceler le motif de la veste mais désormais plus proche, Kevin reconnut le célÚbre logo des Guns' N' Roses.
"Cette veste... J'espĂšre que ce n'est pas..."
Kevin se pencha au dessus du corps. Il reconnut Vincent immédiatement. La police l'avait-il relùché ? Oui, sinon il ne serait pas là, pas comme ça. S'il avait été relùché, c'est qu'il avait donné des informations à la police. Avait-il dénoncé le trafic de Teddy ? Avait-il été tué de sa main en signe de vengeance ? Pris par une vision d'effroi, Kevin recula.
"Il faut se barrer d'ici, et vite !" s'écria-t-il.
A cet instant, une ombre apparut devant lui. Elle se tenait debout, au bout de la rue : Teddy. Teddy Ă©tait lĂ . L'homme qu'il avait tant fuit se trouvait Ă  une cinquantaine de mĂštres de lui. Kevin se tourna vers la voiture, elle se trouvait Ă  la quasi mĂȘme distance. Il se tourna vers Teddy de nouveau. Un bras parallĂšle au ciel, il s'Ă©tait saisi d'une arme Ă  feu qu'il pointait en sa direction. Son autre main, la paume vers Kevin, lui signifiait de ne pas bouger. C'Ă©tait Ă  peine si Kevin respirait. Il voulait hurler mais son corps ne rĂ©pondait pas.
Quelqu'un toqua au carreau de la voiture. Anissa et Hugo sursautÚrent. Ils se tournÚrent vers la vitre. A leur droite, une petite fille se tenait devant eux. Elle avait de longs cheveux noirs et lisses qui tombaient sur ses épaules. Elle les regardait avec des yeux froids et intenses.
"Qu'est-ce que tu veux ? Lui cria Hugo.
-S'il vous plaßt, vous pouvez m'ouvrir ?
-Pourquoi faire ?
-J'ai vraiment besoin que vous m'ouvrez.
-Pourquoi ?! Hurla à son tour Anissa.
-C'est pour mon papa. Il a besoin de la voiture, il lui ait arrivé un truc grave.
-Quel truc grave ? Demanda Hugo d'une voix suspicieuse.
-J'ai pas le droit de l'dire.
-Alors on peut pas t'ouvrir.
-Ouvrez, s'il vous plaĂźt. J'ai besoin de la voiture.
-On t'a dit NON !"
En rĂ©ponse au ton criard d'Anissa, la petite fille dĂ©gaina de derriĂšre son dos un pistolet qu'elle pointa sur la vitre. Anissa et Hugo se jetĂšrent contre la vitre opposĂ©e. Hugo n'en avait jamais vu en vrai. Adepte des jeux vidĂ©os oĂč les flingues sont l'arme favorite de ses hĂ©ros, il savait Ă  quel point ils pouvaient ĂȘtre dangereux.
"Oh ! Qu'est-ce que tu fais ?! T'es malade !
-J'ai besoin de la voiture. Ouvrez-moi les portes !
-Pas question !"
En une fraction de secondes, l'enfant appuya sur la gùchette, le coup partit, le carreau de la voiture se brisa en mille morceaux. La balle atteignit l'épaule d'Anissa.
Attiré par le détonation du coup de feu, Kevin se retourna en direction de la voiture. La portiÚre arriÚre gauche était grande ouverte. Il ignorait la scÚne qui précédait. Teddy s'était rapproché de lui, ils étaient désormais à quelques mÚtres l'un de l'autre.
"C'est quoi ce bordel, Ted ? Qu'est-ce qu'il se passe ?! Hurla-t-il.
-T'as voulu jouer, t'as voulu me défier, t'as voulu te défiler...
-Non !
-Qui sĂšme le vent, rĂ©colte la tempĂȘte."
L'index de Teddy glissa vers la gùchette mais il n'eut pas le temps de la presser que Kevin lui avait lancé au visage le seul objet qu'il possédait sur lui : son téléphone portable. Il l'ignorait auparavant mais lancé avec force, celui-ci peut faire des ravages. Teddy se couvrit une partie du visage de sa paume, Kevin s'élança vers la voiture sans se retourner. Il n'y avait aucune trace des enfants. La Game Boy toujours allumée était tombée sur la moquette, du sang avait giclé su l'écran lors de l'impact de la balle.
"HUGO ! ANISSA !"
Kevin partit en courant, oubliant Teddy, oubliant Mélanie, leur grand départ, la contrebande. Il n'avait qu'une seule volonté : retrouver ses enfants en vie.
Hugo avait passĂ© le bras d'Anissa derriĂšre sa nuque et la soutenait au niveau des cĂŽtes. A deux, ils peinaient Ă  avancer. Ils voyaient les larmes de sa sƓur qui dĂ©valaient ses joues. Son pull rose prenaient une teinte rouge sang de plus en plus grande. DerriĂšre eux, ils entendaient la petite fille les appeler. Elle leur demandait de revenir, elle leur hurlait qu'elle n'avait rien contre eux, que son pĂšre voulait le leur. Ils continuĂšrent d'avancer jusqu'Ă  ce qu'ils trouvĂšrent un vieux morceau de mur dĂ©crĂ©pit. Hugo dĂ©posa avec dĂ©licatesse Anissa sur le sol et l'appuya contre le mur. Il regarda la plaie : elle saignait beaucoup. Il l'ignorait mais la balle n'ayant touchĂ© que l'Ă©paule, Anissa s'en sortirait.
"Hugo.. Je vais mourir ? Demanda-t-elle entre deux sanglots.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que non.
-Ça me fait vraiment trùs mal.
-Je sais. Il faut juste qu'on retrouve Papa. Lui, il saura quoi faire. Tu peux te lever et marcher ?
-Je sais pas, j'ai mal.
-Tu peux essayer ? Pour moi ?"
Anissa essuya une larme qui coulait le long de sa joue avec sa manche et hocha la tĂȘte.
"Super ! T'es géniale !"
Hugo l'aida Ă  se lever, elle gĂ©mit quelque peu. AppuyĂ©s l'un contre l'autre, ils s’extirpĂšrent des gravas et abandonnĂšrent leur cachette. Alors qu'ils contournaient le muret, la petite fille leur fit face. Elle Ă©tait Ă  deux mĂštres deux, son pistolet plus qu'Ă  un, tenu Ă  bout de bras.
"Je vous ai trouvĂ©, dit-elle avec un sourire. Il est oĂč votre pĂšre ?
-On sait pas, répondit Hugo.
-Tu mens.
-Non, c'est vrai ! On sait pas ! La derniÚre fois qu'on l'a vu, il était sorti de la voiture, t'es arrivée et tu nous a tirés dessus !
-Dites-moi oĂč il est.
-Mais on-ne-sait-pas ! Combien de fois il faut t'le dire !"
La petite fille Ă©tait fort déçue que son plan ne se passĂąt pas comme elle le voulait. Cela aurait dĂ» pourtant ĂȘtre simple : son pĂšre lui avait dit de rĂ©cupĂ©rer la voiture et lui s'occuperait du pĂšre des deux enfants. Cependant, il a fallu qu'ils la contredissent et que son pĂšre perdĂźt Kevin. Tout avait capotĂ©.
"Dites-le moi."
Hugo fit un "non" de la tĂȘte. La petite fille appuya sur la gĂąchette. Hugo et Anissa s'Ă©croulĂšrent.
A peine une minute plus tard, Teddy débarqua :
"Cynthia ! Qu'est-ce que tu as fait ?! Il ne fallait pas leur faire du mal ! Ça ne faisait pas partie du plan ! Vite, il faut qu'on se barre de là !"
Sa petite fille sous le bras, Teddy disparut dans les ruines des immeubles désaffectés. Anissa se redressa et regarda son frÚre. Du liquide couleur rouge sombre s'écoulait de son abdomen en grande quantité. Un petit filet de sang était apparu le long de sa commissure des lÚvres.
"Hugo ?"
Il toussota, du sang sortit de sa bouche. Tout autour, des petites gouttelettes s'étaient déposées sur son visage.
"Ça va, ça va... Il faut... Il faut chercher Papa."
Courageux comme il était, Hugo parvint à se redresser. Une fois debout, il posa la main sur son ventre. A peine l'enleva-t-il qu'elle était marquée de son sang.
"Papa... Faut qu'on le rejoigne... Anissa, il... Il faut que tu m'aides."
C'Ă©tait Ă  son tour dĂ©sormais de s'appuyer sur sa sƓur. Les deux mutilĂ©s marchĂšrent pendant un moment. Ils eurent du mal Ă  enjamber les gravats qui encombraient leur passage mais une fois fait, ils dĂ©ambulĂšrent sur une grande route oĂč les voitures les dĂ©passĂšrent rapidement. Ils arrivĂšrent Ă  un carrefour. Les feux de signalisation Ă©taient trĂšs hauts dans le ciel, des fast food se trouvaient Ă  chaque croisement. Ils Ă©taient arrĂȘtĂ©s au niveau du passage piĂ©ton. Les voitures roulaient vite, trĂšs vite. Hugo vacillait d'avant en arriĂšre. A tout moment, il se voyait sous les roues d'une voiture. Anissa, aussi maigrelette qu'elle Ă©tait, avait du mal Ă  le soutenir.
"HUGO ! ANISSA !"
L'aßné se retourna faiblement. Kevin courait vers eux. Une fois à leur niveau, il les prit tous les deux dans ses bras. Il hurlait, il parlait vite, Hugo ne comprenait pas ce qu'il disait. Lorsque son pÚre se détacha de lui, son corps ne le soutint pas, il s'écrasa sur le bitume. Kevin retint son buste en posant une main dans son dos. Ce fut à cet instant qu'il vit tout ce sang et cette entaille qui déchiquetait son ventre. Kevin retira son pull et le mit contre l'abdomen de son fils pour faire compresse. Depuis combien de temps s'était-il pris cette balle ? Depuis combien marchait-il ? Depuis combien de temps le sang coulait-il si abondamment ? Le pÚre pleura, il ne savait pas quoi faire d'autre.
"J'aurais pu faire ça aussi, déclara Anissa d'une petite voix.
-Mais non, ma puce. Tu ne pouvais pas savoir. Toi aussi tu as mal ? Dit-il en remarquant le sang sur son pull.
-Oui mais Hugo m'a porté quand j'avais vraiment trÚs mal.
-C'est vrai, ça ? Tu as portĂ© ta sƓur ? Demanda-t-il Ă  Hugo. Il hocha la tĂȘte. C'est bien, mon grand. Tu sais, je suis vraiment trĂšs fier de toi. Tu t'es comportĂ© comme un grand garçon, tu as protĂ©gĂ© ta sƓur. Je suis vraiment fier de toi, et de toi aussi, ma puce.
-Hugo, c'est un peu mon super-héros ? Demanda Anissa.
-Bien sûr, le plus fort et le plus courageux. C'est le super-héros de la famille."
Hugo sourit. Anissa, aussi. Kevin, aussi. Par hasard, une ambulance passa. Elle s'arrĂȘta Ă  leur niveau. Les ambulanciers prodiguĂšrent les premiers soins Ă  Hugo en prioritĂ©, puis Ă  Anissa et Ă  Kevin. Ils les emmenĂšrent tous les trois vers l'hĂŽpital le plus proche.
***
Le temps était brumeux ce matin-là quand Kevin et Anissa descendirent au bord de la mer.
"Je peux faire une montagne de galets ?
-Oui si tu veux, ma puce."
Kevin s'assit sur les galets, au plus prÚs de la mer. AprÚs plusieurs minutes, Anissa s'assit à ses cÎtés. Ils fixÚrent l'horizon.
"Tu penses que Hugo nous voit ?
-Bien sûr qu'il nous voit. Pourquoi ne nous verrait-il pas ?
-Je sais pas. Je me dis qu'il doit ĂȘtre drĂŽlement occupĂ©.
-Il fait quoi, à ton avis ?
-Il joue à la console, au foot, il mange des pains au lait avec une barre de chocolat devant la télé, il continue sa collection de cartes Pokémon... Tout ça, ça doit lui prendre du temps."
Anissa marqua une pause. Elle vint se blottir contre son pĂšre.
"Tu crois qu'il s'ennuie sans moi ?
-Je ne pense pas, non. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'il est tout-le-temps-là. Tout le temps, quoi que tu fasses, ou que tu ailles. Il est tout le temps là, au prùs de toi. Dùs qu'il s'ennuie, il vient te rendre visite. Ça tu le sais pas parce que tu le vois pas mais je te promets que c'est vrai.
-J'espĂšre qu'il vient te voir quand mĂȘme un peu, et ses copains aussi.
-Bien sûr."
Kevin sourit.
"Papa ? On peut renter ? Je commence à avoir froid."
Ils se levÚrent. Kevin regarda la sculpture d'Anissa. Elle avait empilé des galets du plus grand au plus petit, tel un mémorial. A son sommet, elle avait déposé la Game Boy de Hugo.
"Tu la laisses là ?
-Je n'ai plus envie d'y jouer.
-Tu devrais la garder. Il aimerait que tu l'aies.
-Tu crois ? Il se fùchait toujours contre moi quand je voulais jouer avec.
-C'Ă©tait pour t'embĂȘter. Il voudrait que tu la gardes.
-D'accord."
Anissa récupéra la console et la rangea dans la poche de son imperméable rose.
"Je la garde mais je te promets que je ne jouerai pas avec."
Elle fit cette promesse en regardant l'océan. Anissa glissa sa main dans celle de son pÚre. Ils se retournÚrent, dos aux vagues et remontÚrent les planches en bois. Kevin emporta avec lui l'urne vide qui avait contenu les cendres de son fils. L'océan, symbole de l'infini et de mystÚres gardait désormais en son antre le plus courageux ange qui n'ait jamais existé.
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manniecrit · 3 years ago
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Transparent mais pas invisible
Qui es-tu ?
Ton visage m’apparaüt parmi tous ces inconnus
Qui dans la rue se bousculent.
Ils se bousculent et tout est flou. 
Sauf toi qui restes droite et fiÚre comme un houx. 
Toute aussi solide et piquante.
Quel est ton prénom ?
Il me vient en tĂȘte comme une vieille chanson, 
Dont la mélodie est aussi douce que ta voix.
Ta voix qui résonne comme dans un coquillage 
Auquel on collait l'oreille quand on était encore sages
Et qui renferme les secrets de l'univers.
Connais-tu mon nom ?
Mon coeur se briserait si tu me rĂ©pondais “non”, 
Pourtant je sais bien que pour toi je n’existe pas.
Je n’existe pas mais toi, tu es bien rĂ©elle.
Aussi rĂ©elle qu’une fĂ©e qui dĂ©ploie ses ailes 
Et qui me bénit de sa magique poussiÚre. 
OĂč va-t-on ? 
Je te suivrai qu'importe la destination 
Si seulement tu ne faisais pas que passer.
Les passants sont jaloux que tu m'aies frÎlé, 
Que j'ai pu sentir le parfum de ta chevelure dorée. 
Toutefois, la souffrance empale mon cƓur.
"Salut ! Comment s'est passé ton week-end ?"
Non, je ne suis pas invisible, 
Je le suis juste Ă  tes yeux.
Transparent mais pas invisible. 
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manniecrit · 3 years ago
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Le lac
Nous nous sommes rencontrĂ©s lors d'une soirĂ©e entre collĂšgues. Je ne te connaissais pas, tu ne me connaissais pas et pourtant, je ne sais qui, je ne sais quoi, nous a poussĂ©s Ă  nous rapprocher. Cependant, il faut l'avouer, je t'avais remarquĂ©. En arrivant, quand je descendais la pente et que je m'approchais du terre-plein prĂšs du lac, le lieu de la fĂȘte, je t'ai vu au loin. Tu Ă©tais entourĂ© de tes amis, Ă  part, et tu riais. Il me semble que tu t'es tournĂ© vers moi et que tu m'aies regardĂ©e. Peut-ĂȘtre est-ce mon imagination, peut-ĂȘtre ne m'as-tu pas rĂ©ellement vue et Ă©tais-tu seulement curieux de voir les nouveaux arrivants. Sans doute Ă©tais-je mĂȘme transparente Ă  tes yeux. 
La soirĂ©e battait son plein, la musique Ă©tait forte, l'ambiance Ă©tait chaleureuse, tous paraissaient enjouĂ©s. La fumĂ©e des cigarettes et de la chicha planait au-dessus des tĂȘtes. L'alcool transvasait de la bouteille au verre jusqu'Ă  la bouche Ă  une vitesse fulgurante. L'ivresse et l'euphorie s'emparaient des corps en mĂȘme temps que la nuit tombait. Moi, j'Ă©tais entourĂ©e de mes collĂšgues et flĂąnais de groupe en groupe, saluant par-ci par-lĂ  les personnes que je connaissais. L'humeur Ă©tait lĂ©gĂšre et tous profitaient de cet instant pour relĂącher la pression. Alors que certains se considĂ©raient chanceux d'ĂȘtre en repos le lendemain, d'autres se haĂŻssaient d'avoir trop bu et craignaient dĂ©jĂ  le rĂ©veil qui ne sonnerait plus que dans quelques heures maintenant.
“Et toi, ChloĂ©, tu travailles demain ?
-Non je suis en repos demain et aprĂšs-demain.
-Oh la chance ! Mais dis-moi... C'est moi ou tu as le mĂȘme verre depuis tout Ă  l'heure ?
-Oui, j'y vais doucement. Je conduis aprùs et je dois raccompagner Micka. Lui, par contre, n'est pas trùs frais.”
En prononçant ces derniers mots, je n'ai pas pu m'empĂȘcher de m'esclaffer. MickaĂ«l est mon meilleur ami de boulot, voire mĂȘme mon meilleur ami tout court. Nous travaillons ensemble depuis presque un an et bien qu’il soit arrivĂ© quelques mois aprĂšs moi dans l’entreprise, nous sommes devenus insĂ©parables.
Mon regard parcourut l'assemblée. Mickaël ne se trouvait pas dans mon champ de vision. Des collÚgues lui avaient fait boire des quantités trÚs peu raisonnables pour une personne qui tient si peu l'alcool. Cela m'inquiétait de le savoir seul ou, pire, en mauvaise compagnie.
“Tu ne saurais pas oĂč il est, d'ailleurs ? Je ne le vois pas.
-Euh, non. Ça fait un moment que je ne l'ai pas vu.
-Oh, d'accord. Je vais essayer de le trouver et voir si tout va bien.”
Partir à la recherche d'un petit gars ivre parmi d'autres gens ivres est comme chercher une aiguille dans une meule de foin. J'essayais de me focaliser sur mon ouïe car Mickaël possÚde un rire si particulier lorsqu'il est ivre qu'il est facilement repérable. Mes pieds se glissaient entre les bouteilles d'alcool, les paquets de chips et les gobelets en plastique. J'étendais mon cou, essayant de repérer des bouclettes blondes parmi la foule, mais je ne distinguais rien. La nuit était tombée, tout se mélangeait, les couleurs se fondaient.
“Hey !”
Une voix m'interpella pendant ma quĂȘte. Je me retournai, espĂ©rant que ce fut mon ami mais ce n'Ă©tait pas lui. Un homme grand, fin, au large et radieux sourire se tenait devant moi. Toi.
“Comment tu vas depuis ce matin ?”
Je jetais un coup d’Ɠil rapide autour de moi. Étais-je la personne Ă  qui tu t'adressais ? Non, cela ne pouvait ĂȘtre qu'une illusion.
“Depuis ce matin ?
-C'est bien toi qui étais en salle de réunion ce matin, vers onze heures ?
-Oh oui, c'est bien moi ! J'étais venue mettre à jour les infos du PowerPoint.
-Ha-ha ! Je me disais bien aussi ! Ça a Ă©tĂ© la journĂ©e aprĂšs ça ?”
C'est ainsi que la conversation avait dĂ©butĂ©. Nous nous sommes racontĂ©s notre journĂ©e, avons Ă©changĂ© des anecdotes drĂŽles sur les clients, parlĂ© de nos projets professionnels. Du travail, nous avons abordĂ© des sujets un peu plus intimes. J'ai appris ton prĂ©nom, ton Ăąge, le lieu oĂč tu habites. Tu m'as prĂ©sentĂ© ta meilleure amie. Les mots coulaient de façon fluide, comme si nous avions dĂ©jĂ  dĂ©passĂ© le stade oĂč il est angoissant d'ĂȘtre soi-mĂȘme, oĂč il est inquiĂ©tant de dĂ©voiler notre pensĂ©e la plus profonde, oĂč on sĂ©lectionne ses mots avec soin pour ne pas brusquer l'inconnu. Cette rencontre ressemblait Ă  des retrouvailles, des retrouvailles d'une ancienne vie.
“CHLOEEEEEE !”
Voilà mon petit Mickaël qui vint se jeter à mon cou, les yeux à moitié fermés. Il avait un sourire doux et naïf, le sourire d'un imbécile heureux.
“T'Ă©tais oĂč ? Je t'avais perdue.
-C'est moi qui t'avais perdu ! Je t'ai cherchĂ© partout ! Ça va, toi ?
-OUAAAAAAIS !”
Il resserra un peu plus son Ă©treinte. Son cĂąlin Ă©tait Ă©touffant, presque blessant, tant il s'accrochait Ă  moi. Son grincement qui lui sert de rire rĂ©sonna dans mon oreille Ă  m'en donner des frissons. Je m’en plaignais, bien que je ne pus cacher mon amusement. Quand MickaĂ«l a un coup dans le nez, il devient lĂ©ger, affectueux et drĂŽle. Il est la seule personne dont l'ivresse ne me dĂ©range pas. Toi, tu Ă©tais toujours lĂ , face Ă  nous. Tu nous regardais, un sourire aux lĂšvres, mi-attendri, mi-amusĂ©.
“MickaĂ«l, je lui expliquai.
-Chloé ? S'imposa Mickaël. Et si on allait voir Emy ?
-Oui, d'accord.”
Je me tournai vers toi et dis :
"Bon
peut-ĂȘtre Ă  tout Ă  l'heure ?" 
Je ponctuai ma phrase d'un rire gĂȘnĂ©, Ă  laquelle tu rĂ©pondis, toi aussi, d'un rire gĂȘnĂ© et, sans une ni deux, MickaĂ«l m'emmena loin de toi. 
Je passais le reste de la soirée avec des amis et bien que la fatigue me gagnait petit à petit, je restais pour m'occuper de Mickaël. Je m'étais promis de le raccompagner chez lui. Le savoir sain et sauf était ma seule préoccupation. 
Il Ă©tait 1h30 du matin. La plupart des personnes qui Ă©taient arrivĂ©es Ă  la fĂȘte en mĂȘme temps que nous Ă©taient dĂ©jĂ  rentrĂ©es. Seuls restaient les retardataires et ceux qui avaient fini le travail tard. Je sentais qu'il Ă©tait temps pour nous aussi de rentrer. Bras dessus, bras dessous, MickaĂ«l et moi remontĂąmes l'allĂ©e que nous avions foulĂ©e quelques heures auparavant. Au loin, j’aperçus un groupe d’individus assis sur un banc. Dans la pĂ©nombre, je peinais Ă  distinguer les visages mais il me semblait reconnaĂźtre ta silhouette. Nous nous approchĂąmes et j’eus la certitude que oui, c’était bien toi, lorsque tu te retournas. Tu nous souris et dis : 
“Ne me dis pas que vous partez dĂ©jĂ . 
-Ha-ha, si, malheureusement. On est fatigués, je crois.
-Hey. ! Tu es ChloĂ©, c’est ça ?” 
Ton ami s’imposa dans la conversation et ne nous laissa plus repartir. Je ne sais combien de temps la conversation dura. Il Ă©tait complĂštement ivre et stone Ă  cause de la fumette. Il parlait, parlait et parlait. MickaĂ«l et moi nous jetions des regards plein de dĂ©tresse Ă  chaque fois qu’il entamait un nouveau sujet. J’ai toujours dĂ©testĂ© les hommes, qu’ils fussent ivres ou sobres, qui me tiennent la jambe pendant une heure alors que je n’ai qu’une seule envie : partir. C’était ce qui Ă©tait en train de se passer. Il radotait, en prime. Plus le temps passait, plus MickaĂ«l s’appuyait sur moi. Il se tenait tout contre moi, le bras autour de ma hanche. Il participait Ă  la conversation avec de simples onomatopĂ©es. L’alcool et la fatigue l’écrasaient. Son poids se faisait lourd. 
Cet instant aurait pu ĂȘtre le moment le plus long de ma vie mais, pourtant, je ne me souviens pas qu’il m’ait paru si dĂ©sagrĂ©able. Seule ta prĂ©sence peut justifier cela. Ton rire doux, ton sourire contagieux, tes yeux fatiguĂ©s et attendrissants, tes rĂ©pliques intelligentes; tu rendais ce moment supportable. Parce que tu Ă©tais lĂ , j'aurais pu Ă©couter ton ami dĂ©blatĂ©rer jusqu’au lever du soleil. 
“Tu vas rĂ©ussir Ă  rentrer ? Lui demandais-je. 
-Bien sĂ»r. Je n’ai pas bu tant que ça. 
-Tu es ivre, ça se voit. 
-Je connais mes limites.”
Tu as soutenu mon regard avec cet air de dĂ©fis et un sourire arrogant. J’ai levĂ© les yeux au ciel, tu as ri. 
“Vous m’écoutez, oui ?!”
Ton ami t’a donnĂ© une frappe dans le dos Ă  t’en faire perdre l’équilibre. Bien que tu connaisses tes limites, ton corps a vacillĂ© vers l’avant. Par rĂ©flexe, je t’ai rattrapĂ© par le bras. Je ne sais pourquoi, je ne cesse de me rĂ©pĂ©ter la scĂšne dans ma tĂȘte, mais, je crois qu’elle a Ă©tĂ© le moteur de l’histoire. Sans ma main sur ton bras, sans ce geste qui Ă©tait pourtant si anodin et si innocent, jamais nous ne nous serions rapprochĂ©s. Au moment oĂč j’ai voulu te lĂącher, tu m’as retenue. Tes doigts ont saisi les miens, tu nous les as entrelacĂ©s et tu m’as tenu la main pendant de longues minutes. J’ai mis cela sur le compte de l’ivresse et ce besoin d’avoir une personne stable, un pilier au cas oĂč un vertige te reprenait. Aujourd’hui, je ne connais toujours pas la rĂ©elle raison.   
Cette soirĂ©e, je pense, t’a marquĂ©e autant qu’à moi. Une fois rentrĂ©e, j’eus la surprise de dĂ©couvrir un message de ta part sur mon tĂ©lĂ©phone. J’y rĂ©pondis et s’ensuivit une correspondance virtuelle jusqu’au petit matin.
Des messages, il y en aura tous les jours, pendant plusieurs semaines, tout comme des appels qui dureront de longues heures. Des conversations Ă  n’en plus finir, une complicitĂ© qui s’installe, la dĂ©couverte de toi, un “nous” qui devient plausible. Nos rencontres au travail Ă©taient ponctuĂ©es de regards discrets, de sourires entendus, de moments cachĂ©s loin des collĂšgues. Sans que personne ne le sache, nous nous retrouvions une fois la journĂ©e terminĂ©e. Nous allions chez toi. Toutes mes angoisses et mes peurs semblaient ne plus exister, comme si elles savaient que tout cela devait arriver. Face au destin, elles ne faisaient pas le poids et se taisaient donc. Ton appartement Ă©tait devenu une grotte dans laquelle nous nous retirions. Nous y passions des journĂ©es entiĂšres, loin de tout. Nous faisions des marathons Star Wars, tu nous cuisinais des bons petits plats, nous parlions avenir, on se donnait la tendresse que chacun avait besoin. C’était un amour pur et innocent, sans rĂšgle ni condition. Nous Ă©tions dans notre propre monde, un monde qui n’appartenait qu’à nous deux. Du moins, c’est ce que je pensais.
Un jour, je t’ai senti plus distant. Tu parlais moins. Tu Ă©tais trop occupĂ© pour me voir. Les habitudes qui avaient façonnĂ© notre quotidien pendant prĂšs de deux mois avaient cessĂ© du jour au lendemain, sans que je n’en comprenne ni la cause ni la raison. Tu semblais vouloir me fuir. Tu t’échappais. Je n’ai pas essayĂ© de te retenir : on ne peut pas lutter contre une personne qui veut partir. 
Un jour, je t’ai croisĂ©, par hasard. Le hasard, non, le destin, car je suis encore persuadĂ©e que c’est ce qui a guidĂ© toute notre relation. Tu Ă©tais seul, tu venais de finir le travail et tu te dirigeais vers le parking. Lorsque tu m’as aperçue, tu m’as souri et tu as Ă©cartĂ© les bras pour que je vienne me blottir contre toi. Comme d’habitude, comme si tout Ă©tait comme avant, comme si rien n’avait changĂ©. 
“Tu vas bien ? Tu as demandĂ©. 
-Ca va et toi ? 
-CrevĂ©. J’ai commencĂ© tĂŽt ce matin.
-Oh, je vois. Rentre vite te reposer alors.” 
Nous devions nous quitter ainsi, sans plus, sans rien ajouter, mais je ne pouvais m’y soumettre. Alors que tu t’éloignais, je t’ai retenu, pour la derniĂšre fois.  
“Attends ! Tu t’es retournĂ©. Je crois qu’il faut qu’on parle. 
-De quoi ? 
-De la situation, de nous. 
-Ah... J’sais pas, je me sens un peu mal à l’aise à en parler là, maintenant. 
-Moi j’en ai besoin.”
Tu t’es rapprochĂ© et tu t’es appuyĂ© sur le capot d’une voiture garĂ©e Ă  cĂŽtĂ© de nous. A partir de cet instant, tu ne m’as plus jamais regardĂ© dans les yeux. 
“Ecoute, je t’apprĂ©cie vraiment beaucoup, tu le sais, mais je pense qu’on devrait s’arrĂȘter lĂ  avant que ça dĂ©gĂ©nĂšre. 
-DégénÚre ? 
-Oui. J’ai pas envie que ça se termine mal entre nous. J’ai pas envie que si ça s’arrĂȘte, tu m’en veuilles et qu’on arrĂȘte de se parler. J’veux pas te perdre. 
-Pourquoi tu me perdrais ?”
Tu m’as jetĂ© un coup d'Ɠil rapide, furtif, qui a durĂ© Ă  peine une seconde, et tu as fixĂ© un point devant toi. C’est lĂ  que j’ai su ce que tu allais me dire. Avant mĂȘme que tu ouvres la bouche, j’ai su que c’était fini.  
“J’ai beaucoup rĂ©flĂ©chi ces derniers temps et j’ai rĂ©alisĂ© que je ne ressens rien pour toi. Je ne sais pas pourquoi, moi-mĂȘme je ne comprends pas. Tu es une personne incroyable, je t’adore vraiment. J’ai envie de te garder prĂšs de moi et je sais qu’on est compatibles sur plein de points mais
 Je n’ai pas de papillon. Je ne ressens rien Ă  part cet attachement. Il n’y a pas de passion. Notre relation m’ennuie. Je me fais chier, il ne se passe rien.”
Je m’attendais Ă  cette conclusion, pas Ă  ces arguments. Tes mots ont agi comme l’eau d’un lac gelĂ©, dont la pellicule de glace s’est fendue sous mon poids, et dans laquelle je me noie dĂ©sormais : une gifle, un coup de poignard en plein cƓur, le cerveau qui ne rĂ©pond plus, le nĂ©ant total. Je t’ai regardĂ©. Les larmes montaient et s'apprĂȘtaient Ă  dĂ©border sur mes joues. 
“Je n’ai vraiment pas envie de te perdre, ChloĂ©. Notre relation est bien trop prĂ©cieuse pour moi. Je n’ai pas envie qu’on gĂąche tout.” 
Qu’aurais-je dĂ» dire ? Aurais-je dĂ» me battre pour toi ? Aurais-je dĂ» essayer de te faire changer d’avis ? Aurais-je dĂ» te promettre de faire des efforts pour te contenter ? Aurais-je dĂ» te jurer qu’à partir de maintenant je me transformerai en la femme de tes rĂȘves ? Je ne sais pas. A cet instant, aucun mot ne me venait en tĂȘte. 
“Tu as raison. Avant que l’un de nous deux soit vraiment attachĂ© Ă  l’autre et finisse par ĂȘtre blessĂ©, vaut mieux s’arrĂȘter maintenant.” 
Tu as tournĂ© la tĂȘte vers moi et m’a souri lĂ©gĂšrement. 
“Tu ne m’en veux pas, alors ? 
-Non, bien sĂ»r que non. Ce n’est pas comme si j’étais amoureuse de toi.” 
Tu t’es redressĂ© et tu m’as fait face. Tu as Ă©cartĂ© les bras, en souriant. 
“On reste amis ?” 
J’ai hochĂ© la tĂȘte. Tu as pris ma main et m’a tirĂ©e jusqu’à toi. Mon visage contre ta poitrine, je sentais ton cƓur qui rĂ©sonnait fort contre mon oreille. Le mien battait Ă  peine. 
“Faut que j’y aille, j’ai de la route. Je vais chez ma mùre ce week-end. 
-Oh, oui, pardon. Passe un bon week-end ! Rentre bien ! 
-Toi aussi !”
Chacun partit en direction de sa voiture et nous nous quittĂąmes ainsi, en plein milieu d’un parking. Une fois assise derriĂšre le volant, je me sentai lourde et lasse. Les papillons qui avaient pour habitude de voleter avec gaietĂ© et lĂ©gĂšretĂ© dans mon abdomen semblaient sombrer un Ă  un. Ils ne pouvaient lutter, la chute les attirait. A la surface du lac, ils s’agitaient avec le peu de force qui leur restait. Ils n’arrivaient Ă  reprendre leur envol. Leurs ailes Ă©taient lourdes et les entraĂźnaient vers le fond. Ils finirent par se noyer complĂštement, jusqu’à ce que la rive redevint calme et que le vacarme cessa.
juillet 2022
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manniecrit · 3 years ago
Text
Tumblr media
le lac
juste un cauchemar
la veste en cuir
la fĂȘte des morts
en scĂšne
la derniĂšre lecture
la quĂȘte
l'autoroute de la vie
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un cƓur Ă  l'arrĂȘt de bus
un simple souffle
partie
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la pause café
la conversation
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transparent mais pas invisible
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