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Par Michael J. Socolow, Professeur associé en communication et en journalisme à l'université du Maine (Etats-Unis). Billet originellement publié en anglais sur The Conversation et republié sur Méta-Media avec autorisation.

La presse américaine semble obsédée par Fox News et ses propriétaires, la famille Murdoch. Récemment, le New York Times a prétendu expliquer « Comment l’empire de l’influence de Rupert Murdoch a refait le monde ». Cet article fait suite à l’enquête du New Yorker sur « la fabrication de la « Maison Blanche Fox News ». Les deux articles prétendent révéler le véritable impact politique de Fox News et du patriarche Rupert Murdoch sur la politique contemporaine.

Roger Ailes, fondateur de Fox News, aurait très certainement apprécié ces deux articles, lui qui a tout fait pour forger cette identité de marque qui caractérise Fox News, réaffirmée jour après jour par la presse « respectable » des années après sa mort. Il affirmait que Fox News resterait toujours cet outsider qui serait à jamais dénigré par ses rivaux traditionnels. Bien que Roger Ailes ait été licencié lorsqu’il a été accusé d’agression sexuelle, la programmation actuelle de Fox News reflète encore en grande partie sa vision. Comme le magicien d’Oz, Roger Ailes a renforcé l’image de sa propre puissance et de celle de son réseau. Les derniers événements en date, comme l’élection de Donald Trump, le confirment.

Pourtant, lorsqu’on lève le voile, les preuves selon lesquelles Fox News et Rupert Murdoch, qui ont créé et entretenu la période politique actuelle, apparaissent beaucoup plus circonstancielles. Et l’idée que le pouvoir de la chaîne émerge d’une relation sans précédent avec l’administration Trump ont fait qu’elle est devenu l’objet de toutes les attentions.

Rupert Murdoch. Reuters/Mike Blake

Des échecs, pas des victoires

Imaginons que la victoire de Trump en 2016 ait pu être attribuée à Fox News. Une telle affirmation serait beaucoup plus crédible si Rupert Murdoch et Roger Ailes voulaient que Donald Trump soit le candidat républicain de 2016. Mais ils ne l’ont pas fait. Le New York Times et le New Yorker le reconnaissent. Alors plutôt que de mettre Trump à la Maison Blanche, Ailes et Murdoch ont été incapables d'empêcher les Républicains de voter pour lui.

Mais cet échec à convaincre les républicains en 2016 n’est pas vraiment une surprise.

Remettons les pendules à l’heure.

En 2008, la chaîne a soutenu d'autres candidats, mais les électeurs républicains ont choisi John McCain. John McCain a répondu en retour qu’il se considérait comme « un républicain Reaganien. […] Pas comme un républicain d’un talk-show ou de Fox News ».

De même, en 2012, Mitt Romney a remporté la primaire des Républicains bien qu’il n’ait pas reçu l’appui de la direction de Fox News. Ceux qui dénoncent les éminences grises de Fox News semblent avoir oublié que Rupert Murdoch avait fortement soutenu Rick Santorum cette année-là.

Ni le Times ni le New Yorker n'expliquent ces échecs. Pourtant, ils sont incontestablement « pertinents » pour évaluer le pouvoir d'influence de Fox News.

Les nombreux spécialistes qui affirment que « Fox News est un acteur d’une importance capitale dans la politique américaine… [qui] remodèle activement l’opinion publique américaine » minimisent également les nombreux échecs de Fox News. Il y a trop d'échecs à énumérer dans cet article, mais l'un d'entre eux est particulièrement marquant. Même en la payant 1 million de dollars par an et lui accordait beaucoup de temps d’antenne dans ses émissions, Fox News ne pouvait pas faire de Sarah Palin une personnalité républicaine respectée.

Former Alaska Gov. and vice-presidential candidate Sarah Palin on Fox News, June 17, 2013. Fox News screenshot

La bulle « spéculative » Fox News

Les journalistes et les universitaires minimisent la réalité de la faible audience de Fox News. En 2018, Fox News a attiré en moyenne environ 2,4 millions de téléspectateurs aux heures de grande écoute. C’est un chiffre impressionnant. Il a fait de Fox News la chaîne de télévision par câble la plus regardée en 2018. Mais la population américaine en 2018 était d’environ 327 millions d’habitants, ce qui signifie que 99,3% des Américains ne regardaient pas Fox News.

Environ 26% des électeurs inscrits sont soit adhérents aux Républicains ou s'identifient comme tels. En 2018, il y avait environ 158 millions d’électeurs inscrits. Ainsi, chaque soir de 2018, même si tous les téléspectateurs de Fox News étaient des adhérents au parti républicain (et ils ne le sont pas), 94,2% des Républicains aux États-Unis ne l’écouteraient toujours pas.

Combien de personnes regardent réellement Fox News ? L'émission d'actualités qui enregistre les plus faibles scores d’audience du réseau de diffusion - « CBS Evening News » - a enregistré une moyenne plus du double du nombre de téléspectateurs de Fox News en 2018.

Avec de tels chiffres, il n’est pas surprenant que Fox News soit plus à la recherche de ses téléspectateurs que l’inverse. En d’autres termes : il est plus probable que Fox News s’occupe de la base partisane préexistante de son public, certes restreint mais loyal, que Fox News change réellement l’opinion de quiconque.

Histoire du confort médiatico-présidentiel

Il y a ensuite l’idée que le vrai pouvoir de Fox News provient de sa relation étroite avec l’administration Trump.

Plus précisément, la nomination de l’ancien dirigeant de Fox News, Bill Shine, à un poste de supervision des communications à la Maison Blanche - alors qu’il était toujours payé par Fox News – montre qu’il y avait des objectifs de communication identiques et partagés entre la Maison Blanche et la chaîne câblée.

Mais il existe depuis longtemps des liens étroits entre les sociétés de radiodiffusion et la Maison-Blanche, avec de nombreux exemples des mêmes types d’ententes en coulisses qui se produisent probablement encore à l’heure actuelle avec d’autres.

Par exemple, comme l’historien David Culbert l’a révélé, lorsque le président Roosevelt voulait que le commentateur Boake Carter sur CBS, fervent critique de sa politique, soit retiré des ondes américaines, il avait simplement demandé à son attaché de presse d’annuler l’émission.

En ce qui concerne les relations documentées entre les médias d'entreprise et les administrations présidentielles, il est probable qu'aucune administration ne surclassera jamais le bilan du président Lyndon Johnson.

L’essor politique de Johnson a été soutenu par les revenus de KTBC, sa station de radio d’Austin, au Texas. Alors qu’il était au Congrès, Johnson a placé la licence de la station au nom de son épouse, tout en faisant pression sur CBS pour obtenir un contrat d’affiliation lucratif. Frank Stanton, le dirigeant de CBS avec qui il noua une relation profonde tout au long de vie, a scellé l'accord commercial. Stanton devint plus tard président de CBS, et lorsque Johnson se rendit à la Maison Blanche, les deux hommes se rencontrèrent régulièrement. Dans une conversation enregistrée le 6 février 1964, Stanton, informe le président Johnson sur une réunion à venir avec le comité de rédaction du New York Times.

Pourtant, leur conversation ne se limitait pas au journalisme.

« Que pensez-vous des candidats républicains [de 1964], que font-ils ? Ils progressent-ils ? », a demandé Johnson.

« Je ne pense pas qu'ils progressent du tout », a déclaré le président de CBS au président des États-Unis.

Il est probable que des conversations similaires se déroulent maintenant régulièrement entre le président Trump et plusieurs personnalités de Fox News.

Mais étant donné que ce type de communication s’est déjà produit, on ne peut pas qualifier ce cas de « sans précédent ». Et contrairement à l’accord commercial entre Johnson et CBS, il ne semble pas que Donald Trump ait un intérêt financier direct dans Fox News.

Une crédibilité due à une mauvaise interprétation

Faire état d’un précédent historique pour expliquer les liens étroits qui peuvent lier Fox News avec la Maison Blanche n’excuse en aucun cas le conflit d’intérêts évident du journalisme de la chaîne, tout comme souligner que le pouvoir d’un réseau limité ne signifie pas l’approbation de ses messages.

Faire les deux fournit toutefois un contexte important pour ceux qui cherchent à atténuer l’impact de la chaîne. Les journalistes et les universitaires prétendant révéler l’immense influence de Rupert Murdoch et Roger Ailes pourraient perpétuer ce pouvoir sans le savoir.

La réalité est que la plupart d’entre nous ne vivons pas sur « Planet Fox » et ne sommes pas non plus des sujets de l’empire de Murdoch. Les critiques du New Yorker et du New York Times ne font qu'aider Fox News à gagner en crédibilité auprès de ses électeurs - les téléspectateurs à la maison et le Parti républicain à Washington. Une telle attention prouve que Fox News continue à effrayer ses ennemis.

Roger Ailes n'a jamais craint les critiques des médias « respectables ». A l'instar du magicien d'Oz, Ailes était bien plus inquiet que lui et « sa création » puissent être révélée comme faibles et inefficaces.

C’est pourtant ce que suggèrent une grande partie des données et de l’histoire récente.

Fox News n’a pas pu empêcher l’élection ou la réélection de Barack Obama ou la vague bleue de 2018. Et malgré la promotion répétée et permanente de l’administration actuelle, rien ne semble faire bouger le taux de popularité « incroyablement stable » du président Trump.

Il ne fait aucun doute que Fox News a un effet vérifiable sur les marges politiques. Cela incite incontestablement les républicains à voter pour les républicains.

Mais son pouvoir de persuasion peut être qualifié de « marginal ».

Bien caractériser l’influence de Fox News et son pouvoir électoral limité se révélera bien plus dommageable que le journalisme d’investigation qui continue de promouvoir les mythes autour de cette chaîne.

Image de Gerd Altmann via Pixabay

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