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#Sa Tyrannie SMS (mention)
la-tour-de-babel · 2 years
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La Crêpe Ratée - Pièce de Théâtre en quatre Actes
DISCLAIMER : Le saviez-vous ? C'est très peu pratique de poster des pièces de théâtres, sur Tumblr. Le format ne passe pas très bien. Du coup, eh bien, vous avez l'incommensurable chance d'avoir un lien Google Doc à la place. La pièce est toujours sujette à réécriture, en plus, donc c'est tout benef'.
RESUME : Nous sommes dans un nouvel AU, abordable même sans avoir lu La Tour de Babel. Paul entre en contact via vidéoconférence avec une créature répondant au doux pronom de Lui. Pourquoi ? C'est simple. Il a besoin qu'on répare sa vie.
PAIRINGS : Alphonse Bertrand / Maître Alphabet x Paul Saulter / Programmation.
TRIGGER WARNING : Mention de suicide, de mort, et basiquement, on part complètement dans les principes de #unreality. Manipulation, bien sûr, parce qu'Il est l'un des personnages. Et beaucoup de discussions autour de la Théorie des Crêpes.
Sur ce, et bien. Enjoyez, si vous en êtes capables.
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la-tour-de-babel · 3 years
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Burning Flower [Fiction - Happiest AU Ever]
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Disclaimer : Premier OS en exclusivité sur ce blog Tumblr ! Basiquement, juste un peu de Friendship et Hurt/Comfort. Ca fait toujours plaisir. Suit globalement la chronologie de l’AU, et se situe donc peu de temps après “The house that Heinrich built”. 
TW : Mention de blessures (brûlures).
Pairings : Platonique Stefan Maximilian Saulter / Sa Tyrannie SMS x Heinrich Attinger / Haut-Alémanique. 
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Il y avait une lueur de mauvais augure, dans le lointain.
 Au début, il n’en pensa rien. Une lueur, d’accord, et certes, dans la direction approximative du camp de SMS ; mais la nuit était tombée, et il pouvait très bien s’agir de quelques lampes allumées. Cela, où l’un des soldats avait mis le feu à une tente. Il semblerait que ce soit une routine- une routine vaguement inquiétante, mais, apparemment, MMS « gérait grave bien la situation », et Haut-Alémanique aimait également prétendre qu’il n’accordait pas grande importance à la sécurité des habitants du camp.
 (Il aimait bien prétendre, mais c’était l’un de ses mensonges les plus éhontés, et il le savait)
 Seulement, voilà. La lueur ne se faisait que plus intense, orange, rouge, dorée, et semblait s’étendre ; juste assez pour qu’il ne se redresse, accoudé à la fenêtre de sa chambre, et darde sur le paysage un regard nettement plus alarmé. Il ne rêvait décidément pas : la lueur, en plus de s’accentuer, prenait de plus en plus d’espace ; et il réalisa, avec un effroi qui ne correspondait pas tellement à sa morgue habituelle, que ce n’était pas juste une tente qui était en feu : c’était, ça semblait être le camp tout entier. Et Haut-Alémanique s’en foutait, des autres. Vraiment, il s’en tapait, il n’en avait rien à foutre. Mais- et bien, depuis quelques temps, il s’était retrouvé bien malgré lui… impliqué. Impliqué, émotionnellement, auprès de gens qui étaient devenus, il ne le savait trop comment, ses amis ; et les habitants de ce camp- au moins deux d’entre eux, trois, s’il comptait Smiley -les jours où il était particulièrement charitable-, étaient tout simplement ses plus proches amis. Et il s’en foutait, évidemment qu’il s’en foutait.
 C’est ce qu’il se répéta en enfilant, en catastrophe, chaussettes et chaussures, pour ouvrir la porte de l’entrée de chez lui tout en grand – cette porte que MMS lui-même avait posé, pas plus tard que le mois dernier- pour détaler à pleine vitesse sur le petit chemin de terre battue qui menait au camp, manteau oublié, chemise pas tout à fait bien boutonnée.
 La vérité, c’était qu’il était difficile de ne pas s’inquiéter. Souvent. Tout le temps, peut-être même. Mais- mais Haut-Alémanique n’avait pas l’habitude, vraiment pas l’habitude, d’avoir dans son esprit un espace dédié aux autres. N’avait pas l’habitude de penser à quelqu’un et de se dire, « j’espère qu’il va bien ». Avec Gallois, oui, peut-être… bien sûr. Mais Gallois avait longtemps été la seule exception.
 (« Je suis toujours… inquiet, » lui avait récemment confié MMS, en lui versant une tasse de thé- - il avait semblé vraiment soucieux, et Haut-Alémanique avait été agacé contre lui-même lorsqu’il s’était rendu compte que, par conséquent, il en était rendu soucieux aussi. « C’est comme si nous étions toujours… entourés d’ennemis. Et que tous, tous… en voulait à Monsieur. A SMS. »)
 Mais il y avait eu MMS ; MMS, qui, sans la moindre raison, lui fabriquait toute sorte de vêtements qu’il n’osait pas même porter tant ils étaient élégants, qui lui parlait comme à un ami de longue date, qui l’invitait régulièrement à boire le thé, qui se pliait en quatre dès l’instant où il soupçonnait seulement qu’Haut-Alémanique puisse avoir besoin de quelque chose. Et puis, il y avait SMS.
 (« Ils l’ont déjà fait brûler », une fois, avait continué MMS, le regard perdu dans le lointain. Haut-Alémanique n’avait pas osé comprendre tout de suite. Il n’avait pas voulu penser que ça puisse être littéral.)
 Il manqua de trébucher sur une branche, le souffle déjà court. En temps normal, il aurait fait bien plus attention à sa respiration ; ce soir, il n’y avait pas vraiment pensé. Le camp était à, quoi- un kilomètre ? Deux kilomètres ? Un peu plus, peut-être ; il pouvait se passer beaucoup de chose, en deux kilomètres et des poussières, dans un camp en feu. Et puis, quand bien même, que pourrait-il y faire ?
 (« Des sujets d’Espagnol ont mis le feu aux tentes… à sa tente », avait murmuré MMS, et sa cuillère avait tinté contre la porcelaine de sa tasse. « Il n’est pas sorti à temps. C’est tout son manteau qui a pris feu. Je n’ai pas eu le temps… »)
 SMS, c’était un gosse. C’était l’être le plus jeune que connaissais Haut-Alémanique. C’était aussi le premier qui l’avait appelé « Bester Freund », comme cela, comme si c’était une chose naturelle qui n’avait aucune raison d’être remise en question. C’était un gamin, pas même un siècle, qui se plaignait beaucoup, qui grondait comme un caniche furieux, un peu pathétique, un peu idiot, sur certaines choses ; c’était quelqu’un de bien, et c’était son ami.
 (« Le temps que nous arrivions au puit, que nous… l’y plongions… il n’était même plus conscient. Brûlé de la tête au pied. J’ai cru… eh bien, il était comme mort, tu vois… ? Parce que je n’ai pas été suffisamment… rapide. » Et Haut-Alémanique avait bu un peu de thé, parce que sa bouche était terriblement sèche, et qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il aurait dû répondre. L’une des rares fois où il regrettait d’être resté silencieux.)
 Il était jeune, SMS, et, grâce à tout ces immondes connards avec lesquels ils partageaient ce monde, avait déjà traversé des choses… des choses ! Haut-Alémanique n’était pas un être compatissant, n’était pas vraiment empathique, et il avait lui-même subi sa part de malheur, comme tout le monde- mais il était difficile, inconcevable d’associer l’image d’un être si petit, si frêle, avec certains récits que lui contait MMS d’un ton d’horreur muette, que lui contait SMS lui-même d’un ton de plaisanterie badine.
 (« G mi d moi à guérir, » avait ri SMS, comme si c’était une blague, comme si c’était drôle. « Karbonisé, timagine bi1. Lé grife 2 la nui koi. » Et il avait ri, SMS, la tête basse et l’air honteux. « Je lé zé mèm pa entendu venir. »)
 Il faisait froid, comme en février, bien sûr, comme en février sans manteau. Mais déjà, il sentait venir la chaleur du feu. Il arrivait en vue du camp, maintenant. Une bonne nouvelle, deux, même. Premièrement, il s’avérait que ce n’était pas le camp en lui-même qui était en proie aux flammes ; deuxièmement, ces flammes étaient déjà considérablement réduites- il apercevait la chaine de soldat, contrôlée par la haute silhouette de MMS, qui passait seau d’eau sur seau d’eau, sans relâche et sans répit. La mauvaise nouvelle- la mauvaise nouvelle, c’était que le feu avait pris dans le champ. Dans le champ fleuri de SMS. Là où personne ne serait blessé- mais là où Haut-Alémanique savait, pertinemment, que ça allait le plus heurter le propriétaire des lieux.
 Il tenta d’accélérer le pas. Tout ce qu’il parvint à accomplir, c’est donner apparemment lieu à un certain fracas ; il vit la tête de MMS qui se tournait vers lui. Les yeux bleus du soldat s’écarquillèrent, ses sourcils se haussèrent, visage haut découpé par les flammes et la nuit- comme si son arrivée précipitée et catastrophée était véritablement inattendue.
 (Elle devait l’être, songea amèrement Haut-Alémanique ; après tout, il s’en foutait, n’est-ce pas, de ce qui pouvait arriver aux autres ?)
 « Haut-Alémanique, » salua doucement MMS, baissant vaguement le képi, avant de passer un seau bien trop large au soldat le plus proche. « Tu n’as… pas de manteau ? Tu pourrais… attraper la mort. »
 Le champ était en feu, et bien sûr, évidemment, c’était pour lui que MMS s’inquiétait. MMS qui sentait la fumée et les cendres, en nage, le front perlé de sueur, petits trous percés par les braises le long des manches de son manteau. Haut-Alémanique ne comprenait pas, ne comprenait vraiment pas, c’était au-delà de sa compréhension. Et l’officier pouvait prétendre tant qu’il le voulait qu’il était calme, et paisible ; Haut-Alémanique savait maintenant reconnaître les lignes soucieuses qui ourlaient ses yeux, son front, hantait son regard. Pas une trace de SMS, dans les alentours.
 « Besoin d’aide ? » s’enquit-il, aussi sobrement qu’il était possible de le faire, essoufflé comme il l’était, inquiet comme il se savait être.
 MMS cligna des yeux ; Haut-Alémanique savait que sa tentative de paraître désintéressé, détaché par la situation avait échouée. Il n’en était pas outrement surpris. Et quel contraste étrange, entre le vent glacial du soir et le brasier du champ… ! Aucune fleur n’y aurait survécu, et il le savait- allons bon, voilà que son cœur se serrait pour quelques plantes brûlées.
 « Le feu est… sous contrôle, » articula MMS, après quelques secondes d’hésitation, regard tristement planté dans les flammes. « Mais, Hochalemannisch, si ce n’est pas trop demander… »
 « Tout ce que tu veux, » répliqua-t-il immédiatement, sans se donner le loisir de jouer les impassibles.
 MMS s’humecta les lèvres, avant d’ôter son képi. Le geste était étonnamment défait. Haut-Alémanique serra les poings. Qui ? Qui était responsable de ça ?  
 « Monsieur est… dans sa tente, » lui expliqua l’officier. « Je ne peux le rejoindre, pour l’instant… mais je crois, je suis certain qu’il doit avoir besoin de compagnie. »
 Haut-Alémanique hocha la tête, sans conteste soulagé d’apprendre que SMS, effectivement, allait bien. Physiquement, du moins ; il y avait bel et bien eu une minute, deux, peut-être, où il avait craint qu’il se soit aventuré dans le champ pour sauver quelques pivoines. Déjà, il avait pris le chemin de la tente, sous le regard de MMS, qui ne le quittait pas. Etant au cœur du camp, il savait que la tente serait intacte ; et, effectivement, elle l’était. Une lanterne était allumée à l’intérieur.
 Un instant, il hésita sur son pas. Il supposait qu’il était encore temps de faire demi-tour ; il s’étonna que la pensée ne lui soit pas venue avant, avant qu’il ne soit arrivé là. Il s’étonna plus encore de se voir la balayer avec tant de nonchalance. Déjà, il soulevait légèrement le pan de la tente, et s’y faufila- un toussotement discret pour seul signal de son arrivée. L’intrusion n’était manifestement pas attendue, puisqu’il vit distinctement la silhouette de SMS sursauter, de là où elle était assise au sol.
 Assise ? Plutôt recroquevillée, oui. Dos contre le lit, genoux contre la poitrine, entourés de ses bras, tête basse, épaules voûtées. Il ne portait ni képi, ni manteau- et c’était la première fois qu’Haut-Alémanique le voyait sans, et c’était tout simplement aberrant de constater qu’il semblait plus petit encore, privé de ses sinistres atours noirs.  Cheveux en bataille, lunettes de travers, visage humide, regard rougi, écarquillé, fixé vers lui, stupéfié sur place. Il le vit, d’un geste paniqué, un peu convulsif, passer ses mains sur ses yeux, sur ses joues ; puis, face à l’inefficacité du geste, se frotter un peu furieusement le visage de la manche de sa chemise : renifler, détourner la tête… et non, oh non, il pleurait.
 Haut-Alémanique en resta figé. Il n’avait jamais su quoi faire, dans ces situations, absolument jamais… ! Et SMS ? SMS n’avait jamais pleuré devant lui. Ce n’était pas comme Gallois, qui pleurait quand il faisait un cauchemar, qui pleurait quand il se blessait, qui pleurait parfois simplement parce qu’il était triste. SMS, il ne le connaissait pas depuis si longtemps que ça. Et ça ne voulait pas dire, que, par conséquent, Haut-Alémanique n’en avait rien à faire : ça voulait dire qu’il avait encore moins de foutre d’idée de la marche à suivre.
 « Je vé bi1, » hoqueta SMS, si peu convaincant que c’en était déchirant. « Tkt, Hochalemannisch. Keske tu fé là ? San manto, en + ? »
 Bon sang. Le type était en pleurs, recroquevillé dans sa tente, et il prononçait à la perfection le nom du type qui s’introduit sans autorisation dans sa tente, et il prenait le temps de noter exactement la même chose que MMS. Haut-Alémanique déglutit. SMS avait le regard complètement dérobé à sa vue, maintenant ; résolument fixé de l’autre côté de la tente. Il ne voyait qu’une partie de son visage, de sa nuque. Il l’entendait renifler. Que devait-il dire ? Que devait-il faire ?
 (« Tu as faim ? » N’était-ce pas exactement ce qu’il avait déjà dit à Gallois, dans une situation semblable ? Pathétique.)
 « J’ai vu le feu, de loin », tenta-t-il, prudemment, avant de se décider à faire un pas en avant. « Il semble y avoir beaucoup de… eh bien, dégât. »
 Ce n’était apparemment pas la bonne chose à dire. Bien sûr que non ! Beaucoup de dégât ? Mais enfin ! Bonjour, SMS, est-ce que tu as remarqué que toutes tes fleurs ont cramé ? Oui, probablement, mais tu sais quoi, je vais te le rappeler quand même. Quel connard il faisait. La prise que le plus jeune tenait sur ses propres jambes se resserra plus encore. Il ne répondit pas tout de suite ; alors, Haut-Alémanique prit une courte inspiration, et s’assit à côté de lui.
 « … CT ke d plante, » murmura finalement SMS, tout bas, beaucoup trop bas. « Je men fich. »
 Il dit ça, puis, il renifla encore une fois. Haut-Alémanique ne pouvait toujours pas voir son visage ; il en conclut -enfin !- que cela signifiait simplement que SMS ne voulait pas être vu. Alors, il cessa d’essayer de le voir. Un silence ; on entendait, dans le lointain, les cris des soldats, le crépitement des flammes. Haut-Alémanique se mordilla les lèvres, malaisé, avant de se décider à fixer le sol. Un sol de terre. Tu parles d’un confort. Et SMS pleurait toujours, probablement, juste plus silencieusement, parce qu’Haut-Alémanique était la plus grande merde qui soit lorsqu’il s’agissait de consoler quelqu’un en détresse.
 « C’était tes plantes, » articula-t-il, finalement. « Tu y tenais beaucoup. »
 En voilà encore une chose bien pourrie à dire. Tu sais, SMS, ces plantes qui crament ? Tu les aimais vraiment, vraiment bien, hein ?  Il s’en serait foutu une claque. Mais SMS était bien trop charitable pour la lui foutre lui-même ; il le vit simplement hausser les épaules, en périphérie de sa vue- avant d’entendre, quelques secondes plus tard, un pauvre « oui » bien trop misérable pour être tolérable. Il se mordit un peu sauvagement la lèvre inférieure, le corps tendu. Non, décidément, il ne savait pas consoler les gens ; il aurait même pu croire que SMS serait sans doute bien mieux sans lui, tout compte fait, si celui-ci ne s’était pas légèrement rapproché de lui quand il s’était assis. Il était évident qu’il ne trouverait pas les mots, pas ce soir ; peut-être que c’était MMS qui les trouverait, une fois qu’il en aurait fini avec les flammes. En attendant, il ne pouvait rien faire, si ce n’était… être présent.
 (Ils l’ont fait brûler. Espagnol a essayé de me décapiter. Tout le temps, des insultes… des ennemis partout…)
 Mais la situation… la situation ne pouvait pas être tolérée plus longtemps. Haut-Alémanique serra les poings, considéra un instant la silhouette tremblante de l’un de ses meilleurs amis. Sa mâchoire se crispa.
 « Ils le payeront cher, SMS, » s’entendit-il murmurer, après quelques minutes de silence. « Je t’en fais la promesse. »
 SMS ne répondit rien. Haut-Alémanique eut l’impression douloureuse qu’il ne le croyait tout simplement pas.
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 « Des graines de tournesol. Ça t’intéresse ? »
 Sa Tyrannie SMS leva la tête, pris de court par la voix qui venait de se manifester sans préavis. Son regard se posa immédiatement sur un petit sac de toile, minuscule, qu’une main ferme tenait devant son visage. Il était accroupi par terre, manches retroussées, les bras et les mains maculées d’engrais ; depuis quelques jours, presque deux semaines, il s’acharnait à replanter tout son champ, vindicatif, furieux, dépité et indubitablement bouleversé, malgré le vent qui soufflait sans pitié. MMS et Smiley était venu lui prêter main forte, bientôt suivi par quelques soldats ; il y passait ses journées, une partie de ses nuits, incapable de supporter la vue de la terre brûlée. Il avouait cependant qu’il ne s’était pas attendu à voir Haut-Alémanique les rejoindre, après son absence quelque peu remarquée des derniers jours.
 (SMS avait assumé, résigné, qu’il ne donnait pas signe de vie à cause de la gêne qu’il avait éprouvé, ce soir-là, face à un gamin comme lui qui se comportait de façon si pathétique.)
 (Bien sûr, il ne pouvait pas savoir qu’Haut-Alémanique avait passé ses deux dernières semaines à essayer de trouver un moyen de fabriquer des graines de fleurs, n’importe lesquelles, par magie. Dès l’instant où il avait réussi, il avait pris le chemin du camp.)
 « Oh, » murmura SMS, attrapant sa cigarette du bout de ses doigts boueux avant qu’elle ne tombe au sol. « Uh, oué. Merci bokou. »
 Haut-Alémanique hocha sobrement la tête, le visage figé dans cette espèce d’expression qu’il avait toujours quand il essayait très fort d’avoir l’air neutre et désintéressé. Ça ne fonctionnait pas très bien, à l’humble avis de SMS, mais qui était-il pour juger ?
 « Très bien, » dit la langue germanique, déposant son petit sac à côté des autres- avant de faire quelque chose de très, très surprenant : il retroussa les manches de sa chemise, sauta par-dessus la barrière, et pris place à côté de SMS. « Comment puis-je t’aider ? »
 SMS cligna des yeux, remontant maladroitement ses lunettes sur son nez ; puis, tout à sa confusion, il replaça sa cigarette dans son bec, et en tira une bouffée. Il songea un instant à tenter de dissuader l’autre langue (Haut-Alémanique en avait déjà fait bien assez, et il était hors de question qu’il soit un fardeau pour lui), mais l’autre semblait déjà plus que décidé- et SMS était trop fatigué pour protester.
 « Uh, é bi1, pour linstan, on creuz lé trou pour lé grène. Tu- euh, tu veu 1 truel ? »
 Haut-Alémanique hocha simplement la tête ; et déjà, MMS -occupé jusqu’ici à arroser les quelques graines déjà plantées- lui tendait une truelle orange. Sans rien ajouter, et définitivement sans moufter, Haut-Alémanique s’attela à la tâche, consciencieusement, sans piper mot ; et SMS, après un instant d’hésitation, se remit au travail. Juste le son de la terre qu’on grattait, sèche et aride -il doutait sincèrement pouvoir faire repousser quoique ce soit là-dedans avant quelques années, mais évitait soigneusement d’y penser de peur de fondre une nouvelle fois en larme- ; le son des petits lopins retournés, creusés, des graines que Smiley laissait tomber dans les trous, des gouttelettes que MMS arrosait. Juste assez longtemps pour que l’arrivée d’Haut-Alémanique soit pleinement acceptée, et que SMS en oublie une partie de sa gêne, de ses doutes, et de son embarras. Il ne fallut pas plus d’une demi-heure pour que se lance, d’abord timidement, une conversation- entre MMS et Smiley, qui avait un débat sur la nécessité d’arroser avant ou après avoir remis la terre. Et puis, Haut-Alémanique s’y joint- certainement pas pour être objectif, de l’avis de SMS, mais juste pour le plaisir d’être sarcastique sans rien apporter d’intéressant à la question. Enfin, naturellement, il y eut quelques rires- et si SMS lui-même ne se sentait pas le cœur à joindre la conversation, il devait admettre que ça mettait un peu de baume au cœur. De la camaraderie, tout simplement.
 Et puis, Haut-Alémanique tourna légèrement vers lui, impassible (le visage en ‘-‘, comme aimait bien le dire Smiley, même si, personnellement, SMS lui attribuait plus un è-é), et, le ton suffisamment bas pour ne pas être entendu de Smiley, lui glissa :
 « Des nouvelles des responsables ? »
 SMS se mordilla pensivement l’intérieur de la joue. Souffla sa bouffée de cigarette à l’opposé de son meilleur ami- parce qu’il était hors de question qu’il empuantisse l’atmosphère d’Haut-Alémanique avec sa merde. Puis, prudemment, définitivement maladroitement il tenta d’esquisser un sourire mesquin. Il tremblait, ce sourire, mais il était là : c’était déjà beau.
 « Maran ke tu mensione sa, » répondit-il, imitant le ton bas de l’autre langue. « Parske lé responsabl, com tu di -Alfabeto é Gramàtica-, ba il son venu se DnonC, é sexQsé, tou seul. »
 « Mh ? » fit Haut-Alémanique, mine de rien, en plantant sa truelle dans le sol.
 L’intuition avait été bonne, donc. Haut-Alémanique pouvait dire ce qu’il voulait, mais il n’était pas très doué pour jouer la comédie, et encore moins les innocents ; pas étonnant qu’Allemand ait toujours été convaincu qu’il faisait masse de conneries. Le sourire de SMS s’élargit, se fit nettement plus franc. Petite bulle de gratitude- presque assez pour noyer l’amertume.
 « Tu devinera jamé, » continua-t-il, décidé à jouer le jeu. « Aparemen, qlq’1 leur a fé tré peur. Lé a konv1Q 2 venir. E genr, il zavé D bleu partou. Et c pa lé seul à ètre venu, en +. Pl1 2 gen on DcD 2 venir sexcuzé, genr, duran la semène, just com sa. »
 « C’est très étonnant, » dit Haut-Alémanique, qui n’avait pas du tout l’air étonné.
 « Ahah, ouais, 1 genr 2 fol ko1ssidanse » rit SMS ; puis, après quelques secondes d’un silence définitivement confortable, il ajouta, nettement plus bas « Merci, Hochalemannisch. »
 La langue germanique ne réagit pas, pendant un instant. Puis, Haut-Alémanique tourna la tête vers lui. Impassible, comme toujours, illisible, même ; un regard qui semblait sombre, sérieux, et tranchant. Mais, définitivement -et il ne pensait pas se tromper-, il y avait l’ombre d’un sourire, venue étirer ses lèvres. Un pétillement de satisfaction.
 « De rien, SMS. »
 FIN
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Tu gères, @mimmixerenard​​
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la-tour-de-babel · 3 years
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Routine [AU - Happy Ending]
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Disclaimer : Il s’agit d’un texte qui peut probablement se lire indépendamment du livre, quoique plein à craquer de personnages. Majoritairement, juste Alphabet passant une bonne journée, ce qui, évidemment, est très drôle pour toute personne n’étant pas lui. Merci à l’incomparable, l’inégalable @mimmixerenard​ pour le dessin Probet de couverture !
Pairings (masse de pairings, vraiment) :
- Alphonse Bertrand / Maître Alphabet x Paul Saulter / Programmation
- Sa Tyrannie SMS / Stefan Maximilian Saulter x Supérieur MMS / Maxime Maelic Schreider (Messaging Services est indéniablement plus facile à dire)
- Larousse x Collins (mention)
- Francis Leroy / Président Français x Edward Short / Sa Royauté Anglais
- E x Tkt
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4h05
Une explosion. Il avait entendu une explosion. Pas le moindre doute là-dessus.
Maître Alphabet se releva prestement. Bien sûr, par « relever », nous voulons signifier « tenta de se redresser vivement, échoua, se prit le pied dans ses propres draps en flanelle, et s’écroula lamentablement au sol comme n’importe quelle personne tirée si cavalièrement de son lit ». Sa première expérience de la journée fut donc la merveilleuse rencontre symbiotique entre son délicat menton et le marbre de Camargue du sol de sa chambre, suivie par la distincte sensation de sa prémolaire gauche qui se fendillait sous le choc.
Souffrance.
Il resta donc étalé à terre, sonné, la bouche béante, les paupières clignotantes comme une retranscription d’un code morse particulièrement complexe. Il n’y avait, bien sûr, pas à douter que ce susdit code morse se serait retranscrit en des termes approximativement semblable à « ô rage, ô désespoir » - l’équivalent, vous l’aurez compris, du très vernaculaire « putain sa maman l’arbre inutile je douille bordel ».
Cependant, la situation n’était, apparemment, pas propice à un instant de contemplation métaphysique sur la vie, la mort, et ces lego qui prenaient un malin plaisir à se faufiler sous la plante de votre pied. Il y avait eu une explosion.
Or, on n’était pas dans le camp de Sa Tyrannie. Ici, il n’y avait pas un soldat mdr pour parcourir le camp au grand galop, hurlant comme un cheminot en grève, lance-flamme et dynamite à la main, parce qu’il désirait brûler le moustique qui venait de lui piquer le bout du nez. On était dans un palais de gens civilisés (Conjugaison mise à part) où tout le monde respectait le sommeil des autres (encore une fois, Conjugaison mise à part) et où personne ne faisait jamais rien exploser (évidemment, Conjugaison mise à part). Il était donc parfaitement inquiétant d’être réveillé à une heure aussi ingrate que celle-ci par un son qui n’était pas sans rappeler les cuisines de Sa Royauté Anglais.
C’est donc avec une bravoure remarquable et tout à fait digne d’admiration qu’Alphabet se releva, titubant légèrement, et entreprit de se sortir des bras transis d’amour de son agresseur de drap. Applaudissez-le, lecteur. Vous savez à quel point c’est dur de détacher le tissu de vous quand vous avez passé la nuit à transpirer dedans ?
Mais Alphabet était, bien sûr, un grand héros à la concentration inébranlable. Tout ses sens étaient aux aguets. Il entendait, déjà, au loin, les vociférations de Conjugaison, les rugissements du Président- deux personnes très attachées à leur grasses matinées, vraiment. Il fallait faire vite ; si ces deux là tombaient sur le coupable avant lui, c’en était fini de celui-ci. Alphabet ne pourrait plus rien faire pour sauver la pauvre âme. Il serait immédiatement, et douloureusement, mis à mort.
(La légende raconte que ce serait le sort échu au Petit Robert. Qui sait. Le mystère reste complet.)
Pas le temps d’enfiler un pantalon. Alphabet se drapa glorieusement dans son drap, et fit irruption dans les couloirs du palais.
Les lumières commençaient déjà à s’allumer, une à une, le long des ailes de la bâtisse ; des têtes ébouriffées sortaient, timidement, pointaient par l’entrebâillement de leurs portes, juste pour voir passer, au pas de course, une silhouette blafarde toute drapée de blanc.
(« C’était le spectre, » affirmera plus tard Littérature, « Le spectre-statue qui emporta Dom Juan dans l’Enfer où est sa place. »)
Remonter la source de l’explosion n’était pas bien dur. Il suffisait de suivre précautionneusement l’odeur de la fumée, et les délicates volutes qui se faufilaient entre les tapisseries. Alphabet prit un virage très serré, glissant sur ses pieds nus avec une grâce et une élégance toute particulière. Il fit semblant de ne pas remarquer que Conjugaison était aussi sortie de sa chambre, et s’échinait à retirer une imposante épée aiguisée du présentoir où elle était exposée.
Il n’y avait nul doute quant à l’usage qu’elle comptait en faire. Alphabet accéléra le pas.
Il ne lui fallut que quinze minutes et trente-trois secondes pour traverser tout le palais, haletant comme un buffle, pour attendre la salle de trône, d’où provenait vraisemblablement le son tonitruant. A son grand désarroi, il constata que le coupable n’avait pas eu la présence d’esprit de déguerpir, loin de la scène de crime ; il entendait distinctement le son et les clameurs d’une dispute étouffée, ponctuée de nouveau petits bruits d’explosions – bien heureusement, plus discrets, cette fois-ci.
Il ouvrit la porte en grand, surgissant dans la salle sous le son du grincement gutturale que celle-ci émit. Cheveux en bataille, yeux exorbités, respiration sifflante, pieds nus et en caleçon, il avait l’air d’un parfait illuminé suffisamment dangereux pour avoir été envoyé en prison après avoir commis le meurtre sanglant d’une bonne centaine d’innocentes personnes. Ce qui n’était pas le cas, bien sûr. N’ayez pas de pensées si dures envers notre pauvre Alphabet, voyons, lecteur !
Enfin, visiblement, son entrée remarquée eut l’effet escompté. Les coupables sursautèrent, se turent tout net, et braquèrent sur lui deux regards de lapins effarés. Parce que oui, les coupables étaient du nombre de deux ; et Alphabet eut le (second) désarroi de se rendre compte qu’il les connaissait tous les deux.
Le premier coupable, c’était nul autre que E. La petite peste semblait complètement foudroyée sur place ; elle tenait encore entre ses mains trois bâtons de dynamite qui avait eu l’immense bonne grâce de ne pas exploser, et avait les trois quarts de sa chemise calcinée par un évènement qu’Alphabet déduisait sans peine.
L’autre, c’était la soldate tkt, enfouie dans les méandres de son uniforme trois fois trop grand, le casque de guingois sur sa tête trop petite, les bras pleins de grenades, de dynamites, et même (peste) de ce qui ressemblait fortement à un obus.
Il y eut un long instant de silence, pendant lequel les trois protagonistes s’observèrent en chien de faïence. Puis, E se fendit d’un sublime sourire de gamine innocente, et cacha l’objet de son crime derrière son dos. Comme si Alphabet n’avait pas passé dix secondes à observer le susdit objet avec des yeux ronds.
« Eheh, Alpha’, quelle bonne surprise ! Tu ne devineras jamais, on a vu un individu louche s’enfuir avec des bombes, juste à l’instant ! »
« Oué, tro, » fit tkt, visiblement dans l’optique louable de soutenir la thèse de sa comparse, mais hélas incapable, elle, de cacher les innombrables armes qu’elle tenait dans son dos. « Louch é tou, encor + ke vou. »
Alphabet se pinça fortement l’arête du nez. Tkt fit accidentellement choir l’une de ses grenades, qui roula un peu plus loin, et se heurta au pied d’une superbe statue de Victor Hugo.
« S’il vous plaît, faites-moi la grâce de ne pas me prendre pour le dernier des idiots. »
« On n’oserait pas, » osa répondre E, toute en sourire insolent.
« Oué, tro pa, » approuva encore tkt, qui avait l’air de manquer de souffle, avec son chargement.
Alphabet allait être honnête avec lui-même. Il était quatre heures du matin. Il avait mal à sa prémolaire. Il était en caleçon dans l’ancienne salle de trône. Il avait les pieds gelés par le marbre glacial du sol. Il n’était pas d’humeur à supporter ce genre de connerie. Et il était à deux doigts de livrer ces deux imbéciles à la furie Conjugiesque qui devait certainement avoir réussi à récupérer son épée.
Mais non. Alphabet était trop bon. Prenons tous exemple sur Alphabet.
Il préféra donc darder un regard à la fois terrible et soupçonneux sur la suspecte N°1, à savoir, l’intrue certainement responsable de l’introduction de matériaux explosifs dans l’enceinte de son palais.
« Qu’est-ce que tu fais là, toi ? MMS sait que tu t’es tirée du camp ? »
Le regard de la soldate s’écarquilla en une panique presque comique. Manifestement, elle avait agi sur un coup de tête, et s’était barrée sans songer à la réaction qu’aurait le Supérieur MMS face à son action de la matinée.
Alphabet eut une seconde de pur sadisme où il espéra férocement que l’implacable soldat lui fera récurer l’intégralité de l’infirmerie avec sa brosse à dent.
« Ba, non, » fit-elle, l’air très légèrement inquiet, « mé il é pa obliG 2 le savoir, 1 ? »
Si, si. Alphabet allait de ce pas rédiger une lettre et l’envoyer au camp. Juste par esprit de vengeance et de vendetta pour sa prémolaire. Peut-être même qu’il ferait un P.S pour Sa Tyrannie.
Sûrement que son esprit un peu trop revanchard du se lire dans ses yeux, puisque la soldate tenta aussitôt de justifier son injustifiable cause.
« Mé, je vou jur, je voulé pa vou révéilé, je voulé just fèr 1 fE dartifice pour E ! Juré ! »
Un feu d’artifice. Dans la salle de trône. Avec des dynamites, des grenades, et des obus. Mais bien sûr.
« Elle dit la vérité, » coupa tout à coup E, avec un soupir et un roulement dramatique des yeux. « Elle ne sait juste pas comment on en fait, des feux d’artifices. Et j’étais justement en train de lui expliquer que ce n’est pas parce qu’on entendait une explosion quand il y en avait que ça voulait dire qu’il suffisait de faire exploser des trucs pour en faire. »
Misère.
Alphabet avait déjà fait remarquer à SMS et MMS que les soldats étaient particulièrement stupides ; il comprenait maintenant l’étendu du « tu n’as pas idée… d’à quel point » que lui avait adressé ce dernier.
Il soupira. Lourdement. Profondément. Joignit les mains devant son visage, comme s’il tentait d’adresser une prière à un quelconque dieu qui n’aurait rien d’autre à foutre que l’écouter.
« Admettons, » se força-t-il à prononcer. « Mais pourquoi chercher, dans un premier lieu, à le faire, ce feu d’artifice ? »
Tkt fit alors, accidentellement, tomber son obus ; et il y eut de longues secondes d’affreuses anticipation angoissée, pendant lesquelles ils fixèrent tout trois l’objet avec l’horreur commune aux gens qui sont certains de mourir très vite.
Par absolu bonheur, la chose n’explosa pas. Alphabet brûla mentalement un cierge à sa bonne étoile.
« E bi1 en fèt C trè s1pl, » reprit bravement tkt, redressant son casque d’un geste bravache. « Ojourdui C laniversèr 2 notr rencontr, donk on fèt sa. »
« Parce qu’on sort ensemble, en fait, » ajouta E, comme si c’était une chose parfaitement sensée à dire.
Désespoir.
Pourquoi l’une de ses lettres étaient allée s’acoquiner avec l’un des soldats de SMS ? Bon, d’accord, Alphabet s’était lui-même lié d’amitié avec MMS, SMS et Smiley. Mais, à sa défense, eux n’allaient pas faire exploser des obus dans l’espoir de faire un feu d’artifice.
… Du moins, pas à sa connaissance.
« Très content pour vous, » trancha-t-il, « Mais franchement, je ne pense pas que- »
« Que quelqu’un me livre immédiatement le coupable, » rugit la voix très connue de Conjugaison, qui venait d’entrer en trombe à son tour, le regard fou, les cheveux dressés autour de sa tête comme une Méduse enragée, épée en avant.
Misère.
Il était trop tôt pour ces conneries.
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5h49
« Des feux d’artifices… avec un obus. »
Même sa chemise était parfaitement repassée.
Alphabet hocha vigoureusement la tête, poing gauche sur les hanches, main droite agrippée au col de la soldate tkt qui boudait résolument. Le Supérieur MMS arqua un délicat sourcil, visiblement tiraillé entre son envie viscérale d’être désespéré par les abysses de stupidité des soldats, et celle de ricaner allégrement au visage d’un Alphabet si gonflé d’indignation, encore porteur des traces de son réveil difficile.
Ce n’était pas juste, ça, d’ailleurs. Il n’était même pas six heures du mat’, et, comme n’importe quel être vivant normalement constitué, Alphabet n’était pas très frais. Il avait des cernes, des cheveux décoiffés, et la bouche pâteuse. Il avait tout juste eu le temps d’enfiler une tenue décente avant de se précipiter hors du palais et traîner tkt avec lui, dans le but louable de la rendre à ses propriétaires. MMS, par contre, bien que très cavalièrement tiré de son lit de camp par ce même Alphabet plein d’outrage justifié, était impeccable. Pas un cheveu de travers, le regard clair, la mine épanouie.
Alors qu’il avait dormi avec.
C’était de la sorcellerie, pas d’autre explication.
« Moi sa métone pa, » intervint Sa Tyrannie SMS, comme s’il ne venait pas de surgir dans le dos d’Alphabet sans prévenir. « é pui, il on fé pir. Pa vré MMS ? »
Alphabet passa très près de l’arrêt cardiaque – comme à peu près chaque fois qu’il venait au camp de Sa Tyrannie – et lâcha, par réflexe, le col de tkt. Celle-ci aurait certainement bien voulu se carapater, mais il suffit d’un haussement de sourcil de SMS pour la figer sur place.
(SMS, qui avait aussi bonne mine qu’Alphabet. Pourquoi est-ce que c’était le seul humain du groupe qui échappait aux lois de la physique ?)
« C’est vrai, Monsieur, » fit immédiatement MMS. « Nous nous souvenons… de l’affaire du sucrier. »
SMS prit un air dramatiquement mystérieux, ramenant les pans de son manteau contre lui pour se protéger du froid. Alphabet prit conscience qu’il n���avait qu’une chemise (froissée, merci bien) et un pantalon en toile. Il était pieds nus.
Il compatissait.
Comment MMS avait-il fait pour enfiler ses bottes, déjà ?
« Oh oui. Bordel. Le sucrié, » renchérit Sa Tyrannie, comme si ça avait le moindre sens. « Slt, o passage, Alfabé ! Keske tu fé ici si tô ? Pour 1 foi ke je dormé bi1. »
Alphabet se sentit absurdement coupable. Parce que SMS était doué pour vous faire vous sentir coupable. Mais ce n’était pas de sa faute… !
Il avait déjà dû tirer la soldate des griffes de Conjugaison. Il avait été obligée de l’évacuer avant que Français ne décide de faire sombrer son courroux divin sur elle, par-dessus le marché.
« Eh- oui, je sais, je suis sincèrement, profondément, absolument, ineffablement désolé, mais je devais vous ramener cette petite gourgandine. »
Il pointa tkt d’un doigt accusateur. La soldate fit la moue, et shoota dans un tapon de terre. SMS plissa les yeux, et tourna la tête vers un MMS très manifestement, et très secrètement, hilare.
(Pouvait-on être secrètement et manifestement hilare ? Alphabet aurait juré que non, jusqu’à aujourd’hui.)
« Inéfablemen ? Gourgandine ? Mé keskil coz lui là ? »
« Il utilise des mots savants… pour cacher le vide de son argumentation. »
« Ah, je me disé bi1. On né pa dup Alfabé. »
Bien sûr, Alphabet fut outré. Et, comme toujours quand il était outré, ou vexé, ou désemparé, il se mit à tripoter sa cravate. Sourcils froncés et moue boudeuse. Pour un peu, et il y aurait eu des larmes de frustration par-dessus le marché.
« C’est pas du vide ! J’ai été tiré du lit par votre sale gosse mal élevée à vous ! »
« Seigneur, Alphabet renie… le « n » de la négation, » répondit MMS, qui, manifestement, se payait sa tronche.
« Olala, mé ke cé mal Alfabé ! On va te dénoncer à ton boss, » reprit, bien évidemment, SMS.
« Ce n’est pas drôle ! » insista bravement Alphabet, prenant grand soin d’insister sur le « n ». « Je me suis presque cassé la prémolaire avec toutes ces histoires ! Vous ne pourriez pas apprendre à vos soldats, je ne sais pas, moi, à se contenter d’envoyer des cartes postales avec des petits cœurs, plutôt qu’un arsenal de guerre ? »
Il se tourna dramatiquement vers MMS, poussant le vice jusqu’à lui saisir le col pour le baisser comme il le pouvait vers des hauteurs plus accessibles.
« J’ai dû affronter Conjugaison, MMS ! Conjugaison ! »
Le visage du soldat, cette fois ci, se tordit d’une sincère et ingénue grimace de compassion. Alphabet se figura qu’il devait toujours avoir une image très vive de son propre nez rencontrant les murs du cachot.
Douce satisfaction de se sentir compris et accepté comme le martyr qu’on était. Dommage que MMS décide de gâcher cette si belle osmose en lui tapotant paternellement le haut du crâne.
« Allons, allons. Ça va bien aller. »
Si la condescendance avait un visage, Alphabet était certain que ce serait celui de MMS. Avec ses stupides cheveux parfaitement coiffés. Même le col de sa chemise était resté suspicieusement intact, malgré l’empoignement vigoureux d’Alphabet.
« Mé du cou, » reprit subitement SMS, les yeux légèrement écarquillés par la curiosité, derrière le verre de ses lunettes. « C koi, cet istoir de Krte avek D keur ? »
Tkt bomba le torse. Son énorme casque se balança un instant sur son crâne ; Alphabet eut la saisissante impression de voir une passoire posée sur la tête de l’enfant.
« C T pour E ! » brailla-t-elle, pleine de cette délicatesse qu’on connaissait naturellement aux soldats sms. « C ma petite ami, dabor. »
Il y eut quelques instants de silence. Un deuxième sourcil se haussa sur le visage de MMS, qui cacha son inénarrable étonnement en allumant la lanterne accrochée à l’entrée de sa tente. Une idée brillante (lumineuse, dirait un auteur en manque de mauvais jeu de mots), puisque, admettons-le, on y voyait croûte, à une heure pareille.
SMS, cependant, se fendit d’un sourire si peu rassurant qu’Alphabet crut presque qu’il était de nouveau Corrompu. Mais non. Il se pencha vers tkt, regard perçant, plein d’un intérêt tout renouvelé.
« Pour 2 vré ? Rakont~ »
C’était presque pire que la Corruption, en soi. Alphabet avait accidentellement réveillé la commère qui dormait au plus profond de SMS ; et il savait qu’il venait, à l’instant, de perdre toute chance d’avoir une discussion sérieuse.
Il ne s’était, bien sûr, pas trompé ; puisqu’au bout d’une minute ou deux de babillage quasiment incompréhensible de la part de la soldate, Sa Tyrannie, qui avait l’air absolument ravi par le ragot, se redressa, et beugla simplement un « Smiley ! Fo ke tu enten2 sa ! :D » qui en disait très long sur les attentions qu’il avait de poursuivre la chaîne du commérage.
« Ouiii, Monsieur ? OwO » fit Smiley, qui, par il ne savait quel miracle, avait réussi l’exploit de les rejoindre quasiment à la seconde, encore vêtue de son sublime pyjama « Pink fluffy unicorn on a RAINBOW ! » qu’Alphabet trouvait honnêtement très laid. Même mis en rapport avec les tendances vestimentaires habituelles de la demoiselle.
Misère.
Peut-être qu’Alphabet pourrait tenter de s’éclipser discrètement… ?
« Tkt é en coupl avek 1 D fransé ! »
« Nooon ? :O »
Alphabet tenta un pas en arrière. Mais il y avait quelque chose qu’il n’avait pas anticipé ; il n’était pas le seul à être absolument désemparé par la tournure des évènements. MMS était au moins aussi peu enthousiasmé par la perspective d’une longue et éprouvante discussion sur les affaires amoureuses de deux gamines ; et il entendait bien – sans mauvais de jeu de mot, évidemment- ne pas subir ça tout seul.
Le traître posa donc simplement sa main sur l’épaule d’Alphabet, tout en sourire tout à fait courtois comme le gros hypocrite qu’il était, et l’empêcha purement et simplement de bouger. Il l’avait toujours su, de toute façon, que MMS était le plus grand sadique que ce monde n’ait jamais porté.
Alphabet admit sa défaite ; ses épaules s’affaissèrent, et il entreprit de suivre cette conversation débordante d’enthousiasme avec un air de chaton mouillé.
« Deux commères, » marmonna-t-il, juste pour lui-même, et juste parce qu’il était certain que ni SMS, ni Smiley ne pourraient l’entendre.
« C’est vrai, » murmura, en retour, MMS, avec, dans le regard, une drôle de petite lueur pleine de chaleur et de tendresse, alors qu’il observait SMS gesticuler comme un enfant excité. « C’est pour cela… qu’on les aime. »
Malgré tout – le vent, la prémolaire, le réveil cavalier et la fatigue évidente- Alphabet se sentit sourire. Il tenta un petit coup de coude dans les côtes du Supérieur, qui ne répondit qu’en lui broyant amicalement l’épaule de sa longue main fine.
« Surtout un, eh ? »
Sûrement que si la lanterne n’avait pas été allumée, quelques secondes plutôt, Alphabet n’aurait pas vu la petite rougeur qui vint ramper sur les joues du soldat. Mais il savait qu’il n’aurait, vraiment, pas pu manquer le sourire si spontané qui vint étirer les lèvres de MMS.
« C’est vrai. Smiley est… comme une sœur. Monsieur… c’est un tout. »
« Moi aussi, je t’aime, MMS, » fit SMS, un peu plus loin, comme si c’était la chose la plus naturelle à dire, entre deux remarques enflammées partagées avec Smiley.
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Alphabet aurait juré que MMS s’était mis à rayonner, comme un petit soleil. Il échangea une œillade d’absolue satisfaction avec Smiley.
Pour un peu, il serait presque heureux d’avoir été tiré du lit, tiens.
8h23
Finalement, non. Il n’était pas heureux d’avoir été tiré du lit. Pas du tout.
Oh, bien sûr, il avait réussi à soudoyer suffisamment MMS pour pouvoir échapper à une discussion qui devenait de plus en plus gênante (notamment à cause de SMS qui avait décidé de l’inclure en l’interrogeant un peu trop précisément sur la nature de ses rapports avec Programmation), mais cela avait signifié qu’il avait dû rentrer prestement au palais.
Et cela signifiait qu’il s’était retrouvé nez à nez avec une Conjugaison aussi aimable et agréable qu’accoutumé, qui avait décrété (avec le soutien du reste des figures d’autorités de la langue Française) que puisque c’était l’une des lettres à lui, Alphabet, qui était en partie cause du ramdam matinal, eh bien ce serait à lui, Alphabet, de rattraper cela en se chargeant de l’organisation du petit déjeuner.
Il n’avait même pas eu le loisir de protester ; déjà, il devait se tenir en bout de table, tentant comme il le pouvait de persuader COD de ne pas envoyer son bol de chocolat chaud au visage de COI, de convaincre les pronoms de Conjugaison de ne pas glisser l’intégralité du pot de confiture de fraise dans le col de la chemise de Métaphore, de maintenir un semblant d’ordre entre ses lettres à lui et les verbes irréguliers qui tenaient absolument à lancer une bataille de croissant, à éviter les inévitables projectiles qui se ruaient vers lui dès lors qu’il tentait de faire preuve d’autorité- somme toute, Alphabet, à peine remis de sa nuit gâchée, se voyait confiée la lourde, très lourde tâche de faire en sorte que les centaines de sujets de la langue française se conduisent de façon civilisée pendant plus d’une heure de laborieux déjeuner.
« Maintenant, tu nettoies. »
Nous sommes certains, lecteur, que vous mesurez tout à fait la difficulté de la tâche. Preuve en est, l’Alphabet qui sortit, finalement, de cette zone de guerre, fut un Alphabet couvert de la tête au pied de café, de sucre, de pâte à tartiner, de beurre et de confiture ; et ce fut un Alphabet qui se trouva face au regard sec de Grammaire, et ne put même pas sortir de la salle à manger pour se changer.
A la place, celle-ci lui tendit, lèvres pincées et moue sévère, un seau, une serpillère, et un torchon.
Alphabet jeta un coup d’œil au champ de bataille derrière lui. Les chaises renversées, les pots et la vaisselle brisés, la nourriture écrasée au sol, aux murs, aux plafonds, les miettes de pains disséminées un peu partout, Conjugaison qui le fixait droit dans les yeux en vidant ostensiblement son verre de jus d’orange par terre.
Ses épaules s’affaissèrent.
Le lustre malmené vacilla, et s’écrasa bruyamment derrière lui.
« Peut-être que ça t’apprendra à tenir un peu mieux tes affreux petits monstres. »
Misère.
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10h56
« Alphabet, je peux te demander un service ? »
Le susdit Alphabet retint, de justesse, un très long soupir. Ses muscles étaient fourbus, sa mine était tirée ; c’était tout juste s’il avait eu le temps de se changer, de se coiffer convenablement, et de nouer sa cravate, avant que Larousse ne vienne l’aborder, l’air absolument innocent et ingénument bienveillant.
C’était bien parce que c’était Larousse, d’ailleurs, qu’Alphabet daigna s’arrêter pour écouter sa requête, quelle qu’elle soit. On n’ignorait pas Larousse. Parce que Larousse était devenu un véritable papillon de lumière, depuis qu’il avait Collins et Harraps. Et qu’il serait vraiment, vraiment regrettable d’agir comme un fils de son arbre avec lui, et de le renvoyer à l’état de papillon de dépression pluviale.
Et puis, ça ne pouvait pas être si terrible. Larousse lui souriait de toutes ses dents.
« … Oui ? »
Larousse enroula l’une de ses mèches rousses autour de son index ; un geste qui n’était pas sans rappeler la façon dont Alphabet tordait sa cravate entre ses doigts dès lors que se profilait le moindre petit malaise.
« Eh bien, vois-tu, je suis supposé aller voir Collins, aujourd’hui. »
Il n’y avait rien de bien étonnant à cela. C’était même une très bonne nouvelle, aussi loin qu’Alphabet était concerné. Il aimait beaucoup Larousse, après tout, et c’était un vrai bonheur que de le voir heureux. Aussi commit-il la naïve stupidité de se laisser sourire, comme le pigeon et la bonne poire qu’il était.
Parce que oui, Larousse était son ami, Larousse allait beaucoup mieux, mais Larousse conservait résolument un vicieux petit côté roublard qu’Alphabet avait sans doute un peu trop tendance à oublier.
« Mais c’est une très bonne idée ! Tu lui diras bonjour de ma part ! »
Larousse croisa les mains dans son dos, mine réjouie, sourire décidément trop large pour être honnête. Alphabet aurait même juré qu’il y avait déjà une petite lueur de victoire dans les yeux noisette de son collègue.
« Bien sûr, je n’y manquerais pas ! Le problème, seulement, c’est que j’ai quelques responsabilités… Rien de bien important, bien sûr… Mais je ne pourrais pas les assumer, pour quelques temps. »
En toute logique, le radar à douille d’Alphabet aurait dû se dresser, aurait dû clignoter, aurait dû huer et crier et gesticuler pour attirer son attention sur l’évidence du petit coup un peu sale que lui préparait Larousse. Mais Alphabet était une bonne poire, et une bonne pâte.
Larousse le savait. Et il en jouait.
Et puis, vraiment, qu’était quelques petites responsabilités quand on pouvait aider son ami ? Alphabet avait beaucoup de travail ; mais il pensait qu’il pourrait bien assumer une petite charge supplémentaire.
Naïf qu’il était.
« Je peux m’en charger pour toi, si tu veux… ! »
Evidemment, Larousse s’illumina ; s’illumina tant qu’il étendit spontanément la main pour initier de son plein gré un contact physique, à savoir, un tapotement de l’épaule gauche d’Alphabet.
« Formidable ! Je suis sûr qu’Harraps sera ravi de passer la journée avec toi~ »
Alphabet fut absolument certain que son visage dû se décomposer, juste un peu. Larousse fit semblant de ne pas le voir, et fit signe à son fils de s’approcher. Fils, qui était en fait caché derrière une tapisserie depuis le début, et qui sautilla vers eux avec un sourire si large qu’on aurait presque cru y voir la réplique exacte de l’enthousiasme de Collins.
« Harraps, tu vas être bien sage avec Alphabet. D’accord ? »
Le gosse hocha vivement la tête. Regard vert pétillant, cheveux roux en bataille. Il aurait certainement ressemblé affreusement à Sylvia, s’il n’y avait pas en lui tant de Collins, tant de Larousse. Alphabet en fut presque attendri, malgré la certitude absolue qu’il avait que travailler avec cette boule d’énergie pure à ses côtés allait le drainer de toute volonté.
« Oui ! (Yes !) » clama fièrement Harraps, comme un petit militaire faussement sérieux.
L’expression de Larousse se fit sincèrement tendre ; il ébouriffa les cheveux de son fils, avec cette espèce d’impalpable fierté qu’avaient, parfois, certains parents, et le poussa doucement vers Alphabet.
« Parfait. Je reviendrais te chercher ce soir, avec Collins. Merci encore, Alphabet~ »
L’outrecuidant personnage eut l’absolue audace de lui décocher un clin d’œil clairement narquois, avant de prendre, tout bonnement, la poudre d’escampette. Mais Alphabet était bonne pâte, et bonne poire.
Il fut incapable de lui en vouloir.
« Oncle Alpha’, on va faire quoi ? (Uncle Alpha’, what are we going to do?) »  couina Harraps, tirant sur la manche de sa chemise avec un enthousiasme un peu trop débordant.
Alphabet songea aux immenses piles de dossiers qui l’attendaient sur son bureau. Il songea aux monceaux de travail à abattre, il songea à toutes les lettres qu’il devait rédiger, toutes les démarches qu’il devait accomplir.
Il essaya de concilier mentalement tout ceci avec la présence de l’enfant.
Et soupira avec désespoir.
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12h11
« J’ai faim. (I’m hungry.) J’ai faim. (I’m hungry.) J’ai faim- » 
Alphabet poussa un soupir à fendre l’âme, laissant tomber, juste un instant, son occiput frontal contre le bois de son bureau.
« Je sais. Un peu de patience. Le déjeuner, c’est dans vingt minutes. »
Harraps le contempla un instant, la mine sérieuse, comme s’il cherchait vraiment à peser le pour et le contre de ce que venait de dire Alphabet. Petites mains agrippées aux accoudoirs de sa chaise, jambes se balançant dans le vide. Image de l’innocence.
« … (I’m hungry.) »
Alphabet était, à cet instant précis, l’allégorie même du désespoir. Il releva lentement la tête ; et sûrement que son air désemparé aurait eu plus d’impact s’il n’y avait pas eu l’une de ses feuilles pour rester collée, quelques secondes, à sa joue droite.
Il aimait beaucoup Harraps. Il l’adorait, même. Larousse lui reprochait souvent de se montrer bien trop gâteux avec lui. Mais même Alphabet avait sa limite. Et sa limite, c’était quand après trois parties de UNO, un jeu de chat perché, une course poursuite dans les couloirs, un cache-cache dans l’aile Est du Palais, une histoire lue et un jouet offert, Harraps refusait toujours de le laisser travailler en paix, et se mettait à répéter, pendant plus de vingt minutes, une litanie de « j’ai faim » scrupuleusement traduite. 
Oh, bien sûr, Alphabet n’avait pas pour intention de se mettre à hurler sur cet adorable bambin. Il n’était pas un sauvage. Mais il était prêt à se lancer dans une très longue, très complexe, très savante explication sur le nécessité de respecter les horaires et faire preuve de patience face aux épreuves de la vie.
C’était sans compter sur la porte de son bureau qui s’ouvrit toute grande, sur un Programmation visiblement très empressé, en sueur, filet à papillon sur l’épaule gauche.
« Alphabet, tu ne d’vineras jamais, » s’exclama-t-il, comme si son sourire de gosse avait la moindre chance d’adoucir la réaction d’Alphabet.
Alphabet, qui se frotta longuement les yeux, et soupira, encore une fois. Profondément. Programmation avait souvent cet effet-là, sur les gens.
« Tu as perdu tes modules ? »
« Exactement ! » s’enthousiasma Programmation, s’affalant sur le fauteuil qui faisait face au bureau- bureau sur lequel il mit ses pieds sans la moindre hésitation. « Salut, gamin. »
« Salut ! (Hey !) » répondit Harraps, en oubliant manifestement son inénarrable envie de manger.
« C’est vraiment des saloperies, ces trucs, ça se barre tout le temps. Un vrai calvaire. Enfin, toi-même tu sais, » poursuivit Programmation, comme si Alphabet en avait actuellement quelque chose à taper, déposant son filet à papillon sur une pile de dossiers triés aux prix de la sueur du maître des lettres. « Bébé frère m’en a déjà rendu deux ou trois, et je crois qu’il me fait la gueule, parce qu’il y en a un qui a boulotté l’une de ses fleurs. »
« Formidable, » grinça Alphabet, qui aurait sûrement été ravi de le voir, en d’autre circonstance. « Et qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? »
Programmation passa une main dans le champ de bataille qu’étaient ses cheveux, et lui décocha un sourire si impeccable qu’on l’aurait cru tout droit sorti d’une pub de dentifrice.
« Eh bien, tu sais, cette histoire n’est pas canon, donc on peut se permettre de faire plaisir aux fans. Et faire des clins d’œil à l’un de leurs ships. »
Alphabet arqua un sourcil – une mimique qui n’était pas sans rappeler celle de MMS. Ce n’était pas la première fois que Programmation faisait des allusions au « canon » ; et Alphabet n’était toujours pas sûr de savoir ce dont il s’agissait, bien qu’étant à peu près certain que ce n’était pas une histoire d’arme de guerre. Maintenant, il admettait que « ship » était nouveau, et déduisait, logiquement, que si « canon » ne voulait pas dire « canon », alors « ship » ne devait pas vouloir dire « ship », et qu’il n’était pas en face d’un anglicisme du mot « navire ».
« Ne me regarde pas comme ça, Alphachou, tu sais bien que je suis le seul personnage, avec Traducteur Automatique, capable de briser le quatrième mur. »
Ah, oui. C’était vrai. Cette histoire de quatrième mur. Encore une chose très obscure qu’Alphabet n’était pas en mesure de comprendre. Une chose qui lui donnait envie de répondre quelque chose de particulièrement inélégant, du genre « la seule chose que tu brises, actuellement, ce sont mes c- ». Il choisit donc de changer de sujet, pour éviter de lâcher accidentellement quelque chose de vulgaire ou d’inapproprié.
Il y avait un enfant, dans la pièce, après tout.
« Et donc, quel est le rapport avec ton histoire de module… ? »
A sa grande stupéfaction, Programmation se redressa, posa ses coudes sur son bureau, joint les mains, et lui décocha un regard de chien battu. Image même de la supplication caricaturale.
« Parce que, Alphachou, lumière de ma vie et tout le blabla, j’ai besoin de ton inestimable aide. »
Evidemment. Parfois, Alphabet avait l’impression qu’on ne venait lui parler que pour lui demander quelque chose. Quelque chose de souvent désagréable- Larousse en était la preuve absolue. Mais, enfin, Programmation, c’était différent. Alphabet n’était pas du tout immunisé à ce regard-là. Surtout pas quand l’imbécile se mettait à battre dramatiquement des cils.
(Quand il faisait ça, il ressemblait tant à SMS que c’en était presque douloureux.)
Alors, il ferma très fort les yeux, et articula, à contre-cœur :
« Ah oui ? Et pourquoi ? »
Il était trop bon. Beaucoup trop bon. Et il n’avait même pas besoin de rouvrir les yeux pour savoir que Programmation abordait sans doute un air de triomphe complet. Parce qu’il savait déjà qu’il avait gagné. L’auteur le lui affirmait, après tout.
« Eh bien, tu sais, certains modules se sont barrés dans Foreign Forest. Or, tu sais que l’autre connasse d’arbre m’a dans le pif, à cause d’une sombre histoire de racines en feu qui n’était ab-so-lu-ment pas de mon fait, parole d’honneur, ce n’était qu’un regrettable accident. Il faudrait donc que quelqu’un qu’Elle a la bonne accepte d’y aller à ma place. Et, évidemment, j’ai tout de suite pensé à toi, fantastique et superbe personne que tu es. »
Programmation en était réduit à user de viles flatteries. Ce n’était pas spécialement rare, évidemment, mais c’était toujours vaguement déstabilisant. Enfin, Alphabet supposait qu’il y avait de quoi. Compte tenu de ce qu’il lui demandait.
Il s’appuya au dossier de son fauteuil, s’appliquant à faire passer toute l’étendue de son scepticisme dans son regard. Il échoua. Parce qu’Alphabet était trop une bonne poire.
« Tu veux que j’aille dans la Forêt. »
« Ouep ! »
« Pour chasser tes modules. »
« Ouep ! »
« Alors que j’ai du travail. »
« Ouep ! »
« Et que je dois garder Harraps. »
« Ouep ! »
Misère. Alphabet savait, bien sûr, que l’argumentation serait une perte de temps. Ça ne veut pas dire qu’il n’essaya pas, malgré tout. Juste par esprit utopiste et naïf.
« Et pourquoi je ferais ça ? »
Programmation battit une nouvelle fois des cils. Son sourire avait pris une tournure si ourlée qu’on aurait presque cru voir un sourire félin. Cet espèce d’incubus.
« Pour mes beaux yeux ? »
C’était terrible. Parce que l’argument était indubitablement mauvais, indubitablement peu constructif, et très aisément réfutable d’un simple « non », ou même d’un élémentaire « lol », si tant est qu’Alphabet eut été du genre à user de ce genre de vocabulaire. Mais il n’y avait même pas besoin de vraiment se pencher et observer pour voir que cet argument était, malgré tout, parfaitement efficace, si on se fiait à la moue défaitiste qui était venue se placer sur les lèvres pincées d’Alphabet.
« Et puis, si tu veux, je le garde, le môme. Hein, gamin ? »
« Oh, cool ! (Oh, cool !) » fit immédiatement Harraps, les yeux pétillants et scintillants. « Je peux rester avec Programmation, Oncle Alpha’ ? (Can I stay with Programing, Uncle Alpha’ ?) »
Voilà qu’ils s’y mettaient à deux, maintenant. Alphabet ferma de nouveau les yeux, s’emmurant résolument dans son silence pour s’épargner l’indignité de céder si facilement.
« Et, tu sais quoi, je te prête même mon filet à papillon. »
Que pouvait-il bien répondre à cela, vraiment ? Rien du tout. Parce que ça reviendrait littéralement à argumenter avec deux enfants en bas-âge.
Alphabet prit une grande inspiration, et se força, finalement, à se relever. Autant se débarrasser de cette tâche ingrate tout de suite. Avec un peu de chance, il pourrait, s’il se dépêchait, gratter un peu de temps de travail en solitaire, en laissant Programmation jouer les nourrices. 
« Très bien. Mais tu gères Harraps jusqu’au retour de Larousse et de Collins. Tu ne casses rien du tout, tu ne fais pas le mariolle dans les couloirs, et tu ne vas pas te fourrer dans les pattes du Président. C’est clair ? »
« Oh, Alphachou, tu sauves ma misérable vie, » gazouilla Programmation, qui, décidément, en faisait beaucoup trop. « Je te revaudrais ça, promis. »
Alphabet ne daigna pas gratifier cela d’une réponse ; il se contenta de saisir dignement le manche du filet à papillon, et sortir de la pièce, tête haute, dos droit, comme si la prestance pouvait être acquise si simplement.
C’est tout juste s’il eut le temps d’entendre Programmation s’exclamer « eh, gamin, tu veux apprendre des insultes ? » et les bruits pleins d’enthousiasme d’Harraps, avant de claquer la porte derrière lui, et de prendre la direction de Foreign Forest.
Oui.
Alphabet était définitivement une bonne poire.
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15h59
Outre le risque évident de se perdre à tout instant…
Dans son plan brillant pour s’octroyer une fin de journée en solitaire, sans Harraps qui, bien qu’adorable, était très handicapant pour travailler, Alphabet avait négligé un point très important.
Chasser des petits cubes bleus dans une forêt gigantesque, ce n’était pas, mais alors, pas du tout une sinécure.
(Il avait fini, à un moment donné, devant le Palais du Tsar Russe, en évitant de justesse d’entrer accidentellement dans le territoire d’Antigone.)
(Antigone étant le nom que Programmation semblait donner à la dame émeraude.)
(Alphabet trouvait que c’était cohérent.)
… Il était, évidemment, extrêmement difficile de repérer quoi que ce soit, de trouver quoi que ce soit, sans se prendre aléatoirement la tête dans une branche trop basse, ou le pied dans une racine trop haute. Et il avait cherché partout. Partout.
A peu près.
Autant qu’il le pouvait.
« Puis-je vous venir en aide ? Vous semblez bien morose. »
Et sa recherche se révélait infructueuse. Alors, il se trouvait à présent tout seul. Traînant misérablement des pieds dans cette partie de la Forêt. Celle où les arbres luisaient d’azurs, où les feuilles murmuraient, où les spectres se glissaient entre les troncs. Filet à papillon lamentablement posé sur son épaule gauche, tête basse, estomac grondant, parce qu’il avait ratée l’heure du déjeuner.
Un martyr, tout bonnement.
Alphabet sursauta, et se tourna vivement vers la source de la voix. Certainement qu’il se serait étalé par terre, en trébuchant comme il l’avait fait sur une pierre particulièrement sournoise, si la main du spectre ne s’était pas automatiquement tendue pour le retenir.
« Euh- eh bien, je- Vous n’auriez pas vu, par hasard, un cube bleu bondir par ici ? »
Le spectre arqua un sourcil. Toute sa physionomie se dépeignit d’un air sincèrement amusé. Il avait l’air jeune, ce spectre. Bouille encore ronde, visage jovial, ouvert. Cheveux sombre, une mèche en accroche cœur. Un foulard écarlate, une chemise blanc cassé, un costume rayé, un dahlia blanc à la boutonnière. Il avait l’air jeune, et distingué. Tant par son apparence, que dans sa diction. Une diction maîtrisée, contrôlée, distinguée, qui n’était pas sans rappeler l’accent Brahmane qu’on avait coutume d’entendre pendant les années folles.
Alphabet le connaissait de nom, ce spectre. C’était Service Secret.
« Laissez-moi deviner. Mon fils les a encore malencontreusement égarés ? »
« Ah, je crains qu’il ne s’agisse d’un trait de caractère qu’il tient de moi. J’ai toujours été affreusement tête en l’air. Je serais ravi de vous prêter main forte, si cela vous convient… ! Voilà bien longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles des vivants. »
Rien de tel qu’un père pour connaître l’étendue de la négligence de son fils. Alphabet hocha vivement la tête, faisant de son mieux pour ne pas paraître trop vexé par la situation. Cela fit rire le spectre.
Une véritable famille de sadique.
Service Secret ponctua ses mots d’un petit redressement du menton. Un geste fier, sans nul doute. Alphabet savait maintenant de qui SMS le tenait, celui-là.
« J’en serais plus que ravi, » s’empressa-t-il de répondre, parce qu’il n’allait certainement pas cracher dans la miraculeuse soupe de soutien. « Je n’ai aucune idée d’où je pourrais les retrouver. »
Service Secret fit mine de réfléchir. Blafard, luisant d’un bleu à peine perceptible. Etrange sensation, que de discuter, littéralement, avec un mort.
Il claqua des doigts, comme mu par une soudaine illumination.
« C’est très simple, somme toute. Les modules aiment se trouver des coins dégagés, pour bondir à leur aise. Il y a fort à parier que nous les retrouverons au pied de notre Mère à Tous. »
Evidemment. Parce que cette journée n’était pas suffisamment mauvaise. Il fallait y rajouter une entrevue avec Elle, et une chasse aux modules dans la clairière de cendre. Merveilleux.
Alphabet prit un air renfrogné, qu’il ne chercha même pas à cacher, et prit aussitôt la direction de la clairière. Le spectre lui emboîta joyeusement le pas ; et il y avait une canne qui s’était, apparemment, matérialisée dans sa main gauche. Parce que, de toute évidence, il fallait aussi que sa démarche soit tout autant distinguée que le reste de sa personne.
« Dites-moi, cher ami, quelles sont les nouvelles ? Comment vont mes enfants ? »
Alphabet caressa, juste quelques secondes, l’idée de répondre par un simple « ils vont si biens qu’ils n’ont cesse de rendre ma vie plus difficile ». Mais ce serait faire preuve d’une certaine dose de mauvaise foi. Et puis, le spectre était suffisamment aimable pour lui venir en aide ; Alphabet pouvait bien faire cela pour lui.
« Oh, très bien, » répondit-il, d’un ton presque évasif. « Service Secret Junior a l’air d’assumer ses responsabilités avec brio. Programmation déborde toujours autant d’énergie- d’ailleurs, si vous savez comment la canaliser, ce serait avec plaisir. Et SMS est guéri, maintenant. Il a l’air parfaitement heureux. »
Il y eut, très distinctement, une pression qui disparue des épaules du spectre. Sa démarche se fit encore plus tranquille, plus sautillante. Il avait un air satisfait de gros chat heureux. Ou, peut-être, tout simplement, d’un père comblé.
« Parfait, parfait. Je me suis inquiété, vous savez, avec les rumeurs qui circulait… Sur la Corruption, entre autres. Je dois vous remercier, par ailleurs. Si vous l’aviez laisser entrer dans cette partie de la Forêt, qui sait ce qui serait arrivé à SMS… ! »
Alphabet frissonna. C’était une question qui le hantait encore. S’il avait suivi le plan, s’il avait laissé la Corruption rejoindre la clairière… comment tout cela se serait fini ? Est-ce que tout le monde s’en serait aussi bien sortis ? Il en doutait.
Service Secret aussi, de toute évidence.
« Mieux vaut ne pas trop y penser, » articula-t-il, avec précaution. « Mais vous n’avez pas besoin de me remercier, bien sûr. Je ne savais même pas ce que je faisais. »
« Qui peut se vanter de le savoir ? » répondit Service Secret, d’un ton qui était presque chantant. « Voici la clairière, semblerait-il. »
Le spectre avait raison ; Alphabet venait d’émerger à l’orée de la clairière, face au tronc gigantesque de l’Arbre. Elle semblait dormir. Et c’était sans doute tout aussi bien. Il avait toujours eu une certaine forme d’angoisse vis-à-vis d’Elle.
Et puis, bien sûr, Service Secret avait vu juste. Trois modules bondissaient allégrement au milieu des cendres, émettant toute sorte de petits bruits enjoués. Bien. C’était l’occasion d’en finir avec cette tâche ingrate, et de pouvoir rentrer, victorieux, au palais.
Il se tendit, raffermit sa prise sur le filet à papillon, sur le regard clairement intéressé de Service Secret. Puis, il bondit en avant, et dévala la pente qui le menait à la clairière, et aux modules.
Mais Alphabet n’avait ni l’énergie, ni la souplesse de Programmation. Il n’avait pas le poignet leste, n’avait pas le talent nécessaire à la capture de cubes surexcités et bondissants. Alphabet n’était pas agile. Alphabet n’était pas un homme de terrain. Tant et si bien qu’à un moment, durant sa course, il se prit les pieds dans quelque chose. Quoi ? Il ne le saurait jamais.
Toujours est-il qu’il se retrouva subitement à terre, le nez dans la poussière, prémolaire gémissante, les particules et les cendres, filet à papillon roulant loin de lui, modules déguerpissant immédiatement loin du vacarme et du danger de la capture, sous le rire tonitruant d’un spectre qui n’avait certainement pas eu une telle occasion de se fendre la poire depuis des siècles.
« Pardonnez mon franc parlé, » articula Service Secret, absolument hilare, « mais c’est là la pire tentative de capture qu’il ne m’eut jamais été donné de voir. Vous n’y êtes pas accoutumé, n’est-ce pas ? »
Alphabet étouffa un juron.
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23h02
Alphabet poussa la porte du palais, harassé. Il avait les muscles en compote. La chemise maculée de terre, de cendre, de traces verdâtres. Des brindilles plein les cheveux. Le visage maculé de boue.
Mais il tenait, dans le filet à papillon, les trois modules indignés, qui bondissaient les uns sur les autres dans l’espoir de pouvoir s’enfuir loin de cet inconnu. Le pire, dans tout cela, c’est que le mérite de cette capture ne revenait même pas à Alphabet ; c’était Service Secret qui avait fini par avoir pitié de lui, et qui avait pris le filet à papillon pour mettre un terme à ses souffrances.
Alphabet avait passé plus de dix heures à galoper après ces horreurs. Service Secret avait mis cinq minutes. Rien de gratifiant, vraiment. Il aurait même plutôt tendance à dire que ce fut très humiliant.
Alors, véritablement- Alphabet était fourbu, Alphabet était au bout de sa vie, et il n’aspirait plus qu’à une chose : trouver de quoi grignoter, et s’étaler dans son lit jusqu’à nouvel ordre.
(Certes, cela faisait deux choses, et non pas une. Mais quand Alphabet était fatigué, il en perdait ses chiffres, aussi bien que ses lettres.)
Il se traînait donc tristement vers ses quartiers, comme la pauvre âme en peine qu’il était, lorsqu’un éclat de voix attira son attention.
“Fuck you, French! Stop cheating, damnit!”
Alphabet entendit distinctement le ricanement du Président Français, qui avait l’air très satisfait de lui-même.
« Je ne triche pas, mon chou à la crème. C’est simplement toi qui ne sais pas jouer. »
« What- how dare you! »
Et bien sûr, le monarque, aussi clairvoyant puisse-t-il être parfois, n’eut cure de l’état d’épuisement où se trouvait Alphabet. Il le saisit par le bras, et pointa dramatiquement un plateau d’échec derrière lequel souriait narquoisement Français.
Routine, quand tu nous tiens. Alphabet accéléra discrètement le pas. Il savait que s’il était repéré, il serait contraint de venir s’impliquer dans la conversation. Et il n’en avait pas envie. Pas du tout.
Hélas, en passant devant la porte de la salle d’apparat, il eut le grand malheur d’être repéré par Sa Royauté Anglais en personne, qui semblait être sur le point de s’éclipser dans une tornade de mécontentement.
« Look, Alphabet! Your boss is an abominable cheater. Tell him! »
Non, Alphabet n’allait pas se tourner vers son Président pour l’insulter. Non, Alphabet n’avait aucune envie de se mêler à une septantième dispute de couple. Non, Alphabet n’avait aucune envie de dire quoique ce soit, surtout pas à une heure si tardive que même Traducteur Automatique était parti se coucher.
Il adressa donc un simple regard malheureux vers Français, dans l’espoir que celui-ci ait la présence d’esprit de le laisser prendre congé.
Evidemment, ce ne fut pas le cas. Français se releva gracieusement, reboutonnant sa veste grenat d’un geste très détaché, et darda un regard quelque peu réprobateur sur le pauvre Alphabet. Envolée, l’aisance badine du flirt. Bonjour, les réprimandes d’un patron envers son employé.
« Alphabet, quelle bonne surprise. Il me semble avoir remarqué que ton travail d’aujourd’hui n’a pas beaucoup avancé. Où sont les dossiers que je t’avais demandés ? »
Injustice absolue.
Anglais le relâcha, certainement mû par une forme de pitié compatissante. Il alla même jusqu’à lui retirer une branche de ses cheveux.
“Come on, French, don’t be a bitch. He’s obviously exhausted. Give him a break.”
Français roula des yeux, évacua la question d’un petit geste de la main gauche. C’était terrible, tout de même. Cet homme là n’écoutait même pas le bon sens d’Anglais. Alphabet sentait parfaitement venir la montagne de reproche.
Et il était fatigué.
Il n’avait pas cessé de courir, partout, toute la journée, depuis quatre heures du matin. Il avait toujours mal à sa prémolaire, il avait la dalle absolue, un spectre s’était payé sa tronche, et il voulait juste disparaître sous ses draps. Ce n’était pas comme s’il avait glandouillé !
Certainement, Français pourrait comprendre ça, non ?
« Mais non, mais non. Il est important qu’Alphabet comprenne qu’il ne peut pas passer l’intégralité de ses journées à ne rien faire. »
Alphabet lui décocha un regard torve.
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4h05
Un cor de chasse. C’était un cor de chasse.
Alphabet rouvrit brusquement les yeux, le visage enfoui dans son oreiller, filet de bave aux lèvres, chemise froissée, draps enroulés autour de ses jambes, de celles de Programmation.
Programmation, qui s’était redressé en sursaut, délogeant le bras du pauvre Alphabet, qui avait eu le malheur de se poser sur lui pendant la nuit.
« Mais qu’est-ce qui se passe ? » s’affola-t-il.
Alphabet aurait bien voulu répondre ; mais il était, à cet instant précis, encore perdu dans son état comateux de demi-sommeil incohérent. Tout ce qui sortit de sa bouche, ce fut un grognement absolument tout sauf délicat, qui était autant une ode de détresse envers la douleur de ses pauvres muscles qu’une protestation sonante et claire envers ce réveil injustifié.
C’est ce moment que choisi Conjugaison pour ouvrir tout grand la porte de sa chambre, l’envoyant claquer contre le mur. Elle avait l’arme du crime à la main, ce fichu cor de chasse ; et elle darda sur eux un regard d’intense jubilation revancharde, que ne faisait qu’intensifier son sourire mauvais.
« Dans ta tronche, Alphabet ! Si tu crois que tes lettres peuvent me réveiller, mOi, et bien attend toi à ce que je fasse pareil ! »
Et cette démone toute droit sortie des enfers porta l’instrument à sa bouche, se penchant vers lui jusqu’à quasiment le lui coller à l’oreille, et souffla un grand coup.
Misère.
C’était reparti pour un tour.
FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
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Blooming in Adversity [Fiction - Human!AU - WW2]
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TW : Mention de blessures et de sang. C’est la guerre, quoi.
Disclaimer : Mes connaissances autour de la Seconde Guerre Mondiale se limitent à ce que j’ai pu lire, à mon propre intérêt pour la chose ; mais je ne suis pas historien, et il peut y avoir (beaucoup) d’incohérence. Je m’en excuse d’avance.
Pairing : Stefan Maximilien Saulter / Sa Tyrannie SMS x Maxime Maelic Schreider / Supérieur MMS
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Il y avait un homme dans ses géraniums.
Enfin, un homme. Un très jeune homme, dans ce cas. Maxime n’était même pas certain qu’il soit majeur. Il était étendu dans l’herbe, au milieu des fleurs, avachi, étendu d’une telle façon qu’il était évident qu’il y était tombé, sans avoir réussi à se relever. Il était toujours conscient, pourtant. Des yeux noisette, parsemés d’éclats dorés, grands ouverts, écarquillés, terrifiés qui se fixait vers lui comme s’il craignait que Maxime ne l’achève sur place. Ne l’achève, oui. Parce que le tout jeune homme portait un uniforme allemand. Un simple soldat de l’armée de terre, pas la moindre trace de gallons. Sa veste était déchirée, tâchée de boue, de poussière, de terre, et de sang. De sang- beaucoup de sang. Le soldat était blessé. Gravement, si Maxime s’en référait à la lividité cadavérique de son teint, à la quantité de rouge qui tâchait les mains pâles de l’allemand, à la forme écroulée de son corps, au voile vitreux que ne perçait rien de plus que la terreur. Ce n’était pas très difficile de savoir comment ce soldat était arrivé là. Il y avait eu des combats, tout le matin durant, à deux pas de la ferme de Maxime. C’était plus que probable que l’allemand se soit fait toucher, et ait été laissé pour mort par ses troupes. Et il avait dû se traîner jusqu’ici, désorienté, vers la seule bâtisse des environs- la sienne.
Maxime était français. Il n’avait jamais rejoint l’armée. Pas par choix, mais par obligation : il était sourd, et personne ne voulait de lui sur le front. Infirme, donc inutile. Ça n’importait pas qu’il soit doué pour se battre- il ne pouvait pas entendre, alors, il n’était pas utile. Et Maxime savait parfaitement que n’importe qui, dans sa condition, aurait été outré, gonflé d’orgueil patriotique, et aurait tout fait pour partir défendre sa patrie. Lui ? Non. Il aimait son pays, bien sûr, comme tout le monde. Mais il était un pacifique. Il n’avait jamais cru en la guerre, ne l’avait jamais vraiment comprise. Peut-être qu’il aurait fait un excellent officier, s’il en avait fait sa vocation- s’il en avait eu le choix. Mais ce n’était pas une perte qu’il pleurait. Il n’y avait rien de glorieux, selon lui, à gorger les plaines françaises d’un sang qu’on qualifiait, en ce mois de mai de l’année 1915, d’ennemi.
Alors, il était évident que n’importe quel autre homme français, éconduit de l’armée, trouvant un soldat allemand blessé dans son parterre de géraniums, se serait fait un plaisir -un devoir- d’achever l’ennemi. Maxime n’était pas n’importe quel autre homme. Lorsqu’il trouva ce jeune homme, cet adolescent, blessé et terrifié et terriblement humain, il ne prêta pas la moindre attention à la couleur et à la coupe de l’uniforme. Il jeta un regard, un seul, à la forme vacillante, et lâcha aussi sec son seau empli du lait de ses vaches pour se précipiter vers lui.
« Tout ira bien, » assura-t-il, calmement, doucement, alors qu’il s’agenouillait à côté du soldat, pressant résolument ses propres mains sur la blessure pour en endiguer le flot que celle de l’allemand n’était plus assez forte pour contenir. « Tout ira bien. Je ne vais pas… vous faire de mal. »
C’était évident que le soldat allemand ne le comprenait pas. Il ne devait pas parler un seul mot de français. Pourtant, Maxime vit distinctement la terreur s’évanouir derrière un voile de soulagement, lourd, épais, sournois. L’instinct primaire et animal, l’instinct de survie dût se taire sous son influence : le soldat ferma les yeux, et le français comprit très vite qu’il avait perdu conscience. Sous son corps, la terre, les pétales des fleurs étaient gorgés de son sang.
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Il y avait un soldat allemand allongé dans son lit.
Maxime était parvenu à le rentrer dans l’abri de sa ferme. Sa demeure était modeste, puisque le terrain était largement occupé par les enclos de ses vaches- de sa vache, seule survivante de la tourmente, et du potager qu’il s’efforçait de cultiver sur ces terres battues des bombes qui explosaient au loin. Le lit était fin, un matelas qui semblait bien moins matelas que paillasse. Les draps étaient rêches, froids au toucher, qu’importait combien on se pelotonnait dedans. Les murs étaient de pierre, laissaient passer, sans pitié, les bises nocturnes, le moindre coup de vent froid : il fallait constamment garder la cheminée allumée lorsque venait la nuit, même en plein été. L’eau n’était accessible que par un puit, à deux kilomètres d’ici. Il n’y avait pas la moindre trace de médecine. Tout ce qu’il y avait, et en abondance remarquable pour une époque comme celle-ci, c’était de la nourriture : des pots de confitures, des conserves, des légumes, du pain, des fruits, des œufs, du fromage. Rien de cela n’était utile pour sauver la vie d’un jeune homme criblé de balles.
Il en avait reçu trois, en tout. La première, dans l’épaule gauche, n’avait touché à rien, et s’était logée dans sa clavicule. La seconde, dans la jambe droite, et avait bien manqué de sectionner une artère principale ; bien heureusement, elle était ressortie, et Maxime n’avait pas eu à l’extraire. La dernière, la plus inquiétante, avait trouvé sa place dans le côté gauche du soldat, entre deux de ses côtes, à quelques millimètres de ses poumons. Une opération absolument catastrophique à envisager. Et Maxime, bien sûr, n’était pas médecin. Il avait fait des études, néanmoins- c’était avant qu’il ne décide de tout laisser tomber pour plutôt profiter du calme de la campagne. Des études de droits, en même temps que l’un de ses vieux amis, Alphonse. Là était la clé : Maxime n’était pas médecin, mais Alphonse, lui, l’était. Et il se souvenait suffisamment de ce que lui avait dit l’autre homme, lors de leurs après-midi de révision à la bibliothèque de l’université, pour stabiliser un tant soit peu l’état d’un blessé. Alors, c’était ce qu’il avait fait. Il avait soigneusement retiré la veste poisseuse, les bottes, le pantalon lourd de boue. Il avait épongé, puisant dans l’eau qu’il avait tiré du puit le matin même. Il avait bandé les blessures, sommairement, juste suffisamment pour qu’elles cessent de saigner ; il n’avait pas couru le risque de retirer les balles. Avec quoi, de toute façon ? Ses fourchettes ? Ses couteaux ? Autant immédiatement torturer l’allemand. Cela reviendrait à la même chose.
Et puis, il était parti. Il avait laissé le jeune homme inconscient, torse nu sur sa paillasse, enveloppé de bandage sanglant, pâle et maigre et fiévreux, et il avait couru. Il y avait toujours des combats en cours, non loin de là. Maxime ne les entendait pas, mais il sentait la terre trembler sous ses pas, il voyait, du coin de l’œil, les éclats enflammés des obus qui explosaient. Cela ne l’arrêta pas le moins de monde. Il bifurqua, empruntant le petit chemin sinueux qui traversait les bois de Favrieux, droit vers le petit village en contrebas. C’était un trajet d’une heure, deux heures de marche, environ. Il le parcouru en quarante cinq minutes, sans ralentir, sans faillir, le devant de sa chemise tâchée d’un sang qui n’était pas le sien, le cœur battant la chamade- le soldat était allemand, mais Maxime ne pouvait penser à autre chose qu’au fait qu’il était jeune, qu’il était humain, et qu’il y avait peut-être un être humain en train de mourir sur la paillasse de sa ferme.
Alphonse, béni soit-il, était bel et bien présent. Il était le médecin du village. On lui avait demandé, à maintes reprises, de se proposer pour l’effort de guerre. Il n’avait pas accepté. Bien sûr, le Docteur Bertrand soignait des patients en hôpital militaire -trois fois par semaine, tout le jour durant-, mais il avait refusé d’abandonner ceux qui restait derrière, ceux qui avait toujours besoin d’un médecin. Certain le trouvait lâche. Maxime n’en pensait absolument rien ; mais, aujourd’hui, il en fut tant soulagé qu’il aurait presque pu le remercier profusément d’être resté sur place. Il était tout à fait probable qu’Alphonse ne s’était pas attendu à voir Maxime, à bout de souffle, quasiment à l’instant où il ouvrit la porte de son cabinet. Ses yeux s’étaient écarquillés, figés sur l’état de sa chemise.
« C’est du sang ? » s’était-il étranglé, et Maxime ne l’entendait pas, mais il devinait que sa voix devait avoir la sonorité d’un couinement de poulet qu’on étrangle- comme il en entendait parfois, lorsqu’il était petit, et que son père décidait qu’il en avait sa claque de voir ceux du voisin qui venait gratter dans la terre de son potager.
« Ce n’est… pas le mien, » avait immédiatement répliqué Maxime, comme si c’était là une chose rassurante à dire. « Il faut que tu viennes, Alphonse… j’ai besoin de toi. »
Alphonse ne posa pas la moindre question, et c’était tout à son honneur. Il hocha la tête, saisit sa trousse de soin, et suivit docilement son meilleur ami, au petit trot, au travers des bois- sursautant et tremblant à peine aux bruits des combats trop proches. Il ne se plaignit même pas de la fatigue, de l’essoufflement, en arrivant aux abords de la ferme. Il lui épargna de grand éclat horrifié en s’avisant de la quantité de sang qui gorgeait ses géraniums. Et puis, il entra, juste à la suite de Maxime, et ne s’arrêta pas plus d’une seconde, une infime seconde, en s’avisant de la veste d’uniforme allemand, sur le dossier de sa chaise en bois. Une seconde, pendant laquelle il décocha un regard ébahi, horrifié, vers Maxime ; une seconde, après laquelle il repéra enfin le blessé, et l’ébahissement s’effaça. L’horreur, elle, resta. Il ne s’agissait plus de l’horreur qui accompagne la trahison, cependant : il s’agissait de l’horreur d’un homme plein d’empathie face à un autre humain en détresse. Horreur, donc, et détermination nouvelle. Alphonse remonta d’autorité les manches de sa chemise, posa sa sacoche sur la chaise, image même de la conscience professionnelle, et demanda simplement à Maxime de retourner chercher de l’eau.
Il lui fallut des heures pour venir à bout des blessures visibles ; juste assez pour que le soleil ne se couche, dans le lointain, un éclatement d’orange, de rouge et de jaune, pour ne laisser que le bleu royal de la nuit. La pièce se trouvait envahi de linge ensanglanté, de bassines d’eau sanglante- jamais Maxime n’avait eu l’occasion de faire tant d’aller-retour vers le puit. Une forte odeur de médicament flottait dans l’air, nauséabonde et écœurante ; elle avait au moins le mérite de couvrir celle du sang. Les deux balles restantes trônaient, narquoises, écarlate, sur une petite assiette, à même le sol. Et la cheminée crépitait, chaleur diffuse, alors qu’Alphonse s’essuyait consciencieusement les mains, l’air épuisé, mais soucieux. Maxime profita un instant de l’accalmie, assit sur sa chaise, le regard rivé vers le visage du soldat. Jeune, oui, décidément. Peut-être pas tant que ne l’avait fait paraître sa terreur initiale ; mais il s’agissait peut-être là d’un effet de la moustache. Il devait avoir l’habitude d’en prendre soin, de cette moustache. Mode américaine, étonnante à voir sur un soldat allemand. Qu’importait. Il était jeune, et blafard, et blessé, et c’était peut-être un soldat allemand, mais Maxime se sentait envahi d’un singulier élan protecteur.
Un mouvement, sur sa droite. Il leva la tête, croisa le regard d’Alphonse.
« Il est déshydraté, » expliqua le médecin, toujours professionnel, mais le front barré d’un pli soucieux. « Et il aurait bien besoin d’un bon repas. Je ne sais pas quand il se réveillera, mais il faut espérer que ce soit assez tôt ; je doute qu’il tienne plus longtemps comme cela. En attendant, il faudra changer ses bandages régulièrement. Ne t’en fais pas, je rendrais visite tous les soirs. »
Maxime hocha doucement la tête. Il ne répondit pas. Il attendit. Il savait qu’Alphonse voulait ajouter quelque chose- il le voyait bien s’humecter les lèvres, hésitant, inquiet. 
« Maxime, » reprit effectivement le médecin, « sache que je te soutiendrais là-dedans. Le serment d’Hippocrate ne stipule pas qu’il est de mon devoir de trier mes patients en fonction de leurs origines. Mais- mais soit prudent, tu veux… ? Il y en a beaucoup qui ne verrait pas d’un bon œil ce que nous venons de faire. Sans compter l’armée elle-même. Et puis, tu ne sais même pas comment il réagira, lorsqu’il se réveillera. »
« Je… comprend ton inquiétude, Alphonse, » répondit posément Maxime, croisant délicatement ses mais, devant lui. « Je peux t’assurer que je serais… on ne peut plus prudent. »
Alphonse pinça les lèvres, comme s’il brûlait d’ajouter quelque chose. Puis, il se résigna, et secoua lentement la tête. Sa main se leva, pour tapoter timidement l’épaule de Maxime.
« D’accord. Préviens-moi, lorsqu’il se réveillera. »
S’il se réveille, fila le non-dit.
Maxime se fendit d’un simple sourire, que le médecin tenta faiblement de lui rendre. Au loin, par la fenêtre de la ferme, le ciel s’illuminait d’éclair qui n’avaient rien de naturel.
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Il fallut trois jours pour que le soldat allemand émerge. Trois jours durant lesquels Maxime fut certain, chaque fois qu’il entrait dans la pièce, qu’il allait le trouver mort ; trois jours durant lesquels son état sembla stagner, entre l’immobilité macabre et oppressante, et la fièvre qui le faisait se tordre dans les draps. Trois jours, durant lesquels Alphonse se présenta sans faillir, chaque soir, l’air un peu plus soucieux à chaque fois, secouant péniblement la tête chaque fois qu’il constatait qu’il n’y avait pas eu d’amélioration.
Et puis, enfin, il se réveilla.
Il se réveilla au beau milieu de l’après-midi, alors que Maxime, à côté de lui, brodait, comme chaque fois qu’il était inquiet, comme chaque fois qu’il se sentait mal, comme chaque fois que quelque chose lui pesait. Il se réveilla lentement, au rythme d’infime petits mouvements- le tressaillement d’un doigt, des paupières, de la tête, qui eurent tôt fait d’attirer l’attention du fermier français. Lorsqu’il entrouvrit les yeux, péniblement, deux fentes, parce qu’il ne devait rien y voir sans ses lunettes que Maxime avait retrouvé brisées, à côté des géraniums, le soleil filtrait par les volets fermés de la ferme. Un rayon doré qui capturait les poussières en suspension dans l’atmosphère, qui creusait l’ombre des draps blancs, qui caressait la peau du bras qui gisait immobile sur le matelas, embrassant la courbe fragile du poignet, du coude, et allumait quelques reflets roux dans le brun d’acajou des cheveux en bataille, sur la taie de l’oreiller. C’était un étrange spectacle, suspendu dans le temps, et, pendant un instant, Maxime en oublia de respirer.
Et puis, le regard se tourna vers lui, plissé et perdu et encore enfoncé dans les voiles de l’inconscience, et l’horloge qui cliquetait derrière lui repris la course folle de ses nombres. Maxime se redressa, abandonnant son matériel, pour s’approcher un peu plus du lit. Pas trop près, bien sûr- prudent, comme lui avait si pressement demandé Alphonse. Curieux, pourtant, et empressé, incapable de savoir comment agir, ce qu’il fallait dire, s’il y avait même une chance que l’allemand le comprenne. Et pourtant, la confusion du soldat ne sembla que s’intensifier, alors qu’il prenait visiblement conscience qu’il ne reconnaissait pas Maxime, qu’il ne reconnaissait pas l’endroit où il se trouvait.
« Tout va bien, » tenta-t-il, « Vous êtes en sécurité. »
L’allemand ne parlait pas français, mais il devait reconnaître le langage. Ses yeux s’écarquillèrent, comme saisi une nouvelle fois de terreur. Un instant fugace, pourtant. Très vite, la confusion revint, plus pressante encore. Il fronça les sourcils, doigts crispés sur les draps- il devait certainement se rappeler, un peu plus, au fur et à mesure, de ce qu’il s’était passé. Devait prendre conscience qu’il n’avait pas mal, pas trop, du moins, et qu’il n’était pas maltraité, qu’il était sur un lit, dans des draps, baigné par un timide rayon de soleil. Sa bouche s’ouvrit. Il dut dire quelque chose- quelque chose que Maxime ne parvint pas à comprendre. Deux syllabes. Patiemment, il leva la main, juste un peu, pour lui faire signe d’attendre ; le soldat tressaillit. Puis, à son tour, il sembla comprendre que Maxime ne parlait pas allemand. La confusion se coupla d’une pointe de frustration.
Un problème de communication qui aurait pu être de taille ; seulement, Maxime avait plus ou moins prévu la chose. Il n’eut qu’à tendre la main pour saisir le dictionnaire que lui avait ramené Alphonse, et qu’il avait soigneusement posé près de la tête de lit, au cas où. Croisant élégamment les jambes, sourcils légèrement froncés, il entreprit de tourner les pages de l’ouvrage, sous le regard d’abord perplexe du soldat. Puis, il sembla comprendre- et Maxime fut quasiment certain de le voir former un mince sourire. Rien de bien marqué, évidemment. Il semblait encore à deux doigts de reperdre connaissance.
Enfin, le mot qu’il cherchait. Il y apposa le doigt, et tourna le dictionnaire en direction des yeux curieux de l’allemand.
Bonjour – Hallo.
Le soldat cligna des yeux, et hocha imperceptiblement la tête. Sa main se leva à son tour, comme pour réclamer le dictionnaire. Il était pourtant évident qu’il lui serait compliqué de tourner les pages lui-même, et plus encore de tenir l’ouvrage en lui-même. Il s’en rendit compte en même temps que lui- la main retomba, et la frustration s’accentua. Alors, patiemment, Maxime entreprit de tourner les pages lui-même. Il ne fallut qu’une poignée de seconde pour que son patient inattendu comprenne ce qu’il cherchait à faire, et ne se décide à lui donner les lettres qu’il devait chercher- une tâche qui allait se révéler ardue, parce que Maxime ne l’entendait pas, et qu’il n’était pas usité à lire la prononciation allemande de l’alphabet. Cahin-caha, page par page, ils finirent par se comprendre ; et voilà le nouveau mot qui se présentait enfin sous le doigt de Maxime.
Warum - Pourquoi
Les pages tournèrent, une nouvelle fois. Rapidement, bien plus aisément ; déjà, Maxime commençait à s’y retrouver. Déjà, le regard du soldat se faisait un peu plus vif, perçait le voile de la morphine. Il ne se redressait évidemment pas sur le lit, mais sa tête était tout à fait penchée sur le côté, maintenant- et il fixait moins les pages du dictionnaire que Maxime lui-même, les yeux larges, emplis d’une drôle de frome de curiosité. On entendait beaucoup de choses mensongères sur les allemands, depuis le début de la guerre ; il était évident que ce soldat là était bien loin de l’image sanguinaire qui était venu aux oreilles -aux yeux- de Maxime.
 Empathie – empathie
Ah, parfait, c’était un mot transparent. Le soldat sembla surpris. Il cligna une nouvelle fois des yeux, avant de s’humecter les lèvres. S’humecter- oh. Vivement, à la visible surprise de l’allemand, il reprit sa recherche dans les pages du dictionnaire.
 Soif – Durst
Puis, d’un geste qui lui sembla un peu pathétique, il pointa le soldat du doigt. Cette fois-ci, il y eu décidément une forme de sourire pour étirer les lèvres du jeune allemand. Maxime le vit articuler – oui. Probablement l’un des seuls mots français qu’il connaissait ; l’effort lui arracha à son tour un fin sourire, et il se releva immédiatement. Souple, rapide, aisé, il était revenu avec un verre d’eau -judicieusement tirée du puit ce matin- et entreprenait de l’aider à boire. Incliner la tête, la maintenir de sa main gauche, doigts glissés sous la nuque du soldat, emmêlés dans les mèches brunes, et presser le verre contre les lèvres, juste assez pour que l’eau ne s’y précipite pas trop vite. Il avait vu Alphonse faire cela à de maintes reprises ; c’était un réflexe aisé à adopter. Puis, bien sûr, en attendant d’aller chercher de quoi manger, il lui sembla nécessaire de reprendre une nouvelle fois le dictionnaire.
 Nom – Name
Le soldat plissa les yeux, tentant manifestement de déchiffrer ce qui était écrit. Puis, son regard se braqua directement dans celui de Maxime.
« Stefan, » articula-t-il.
Il y eut quelques secondes de flottement, pendant lesquelles Maxime répéta ce qu’il venait de lire, pour s’assurer qu’il s’agissait bien du bon prénom ; puis, Stefan le pointa du doigt à son tour, presque timidement- une question muette. Retour du fin sourire du fermier français.
« Maxime, » se présenta-t-il, posément.
Et Stefan lui sourit en retour. Une fossette creusée dans sa joue gauche.
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C’était une étrange cohabitation. Tout compte fait, Stefan – Stefan Maximilien Saulter, appris bientôt Maxime- ne sortait pas du lit ; il ne pouvait pas vraiment. Alphonse avait prédit (non sans inquiétude, bien sûr) qu’il lui faudrait certainement plusieurs mois pour se remettre complètement ; au moins quelques semaines pour ne serait-ce qu’être capable de sortir du lit. Le médecin avait beaucoup échangé avec son patient, d’ailleurs, parce qu’Alphonse parlait allemand, contrairement à Maxime. Le problème, apparemment, avait été que le soldat voulait rejoindre son armée le plus rapidement possible ; lorsqu’on lui avait demandé pourquoi -et Maxime se doutait qu’Alphonse n’avait pas dû s’empêcher de glisser un commentaire sur à quel point c’était impoli d’être si pressé d’envahir des braves gens français qui n’avaient rien demandé-, il s’était simplement contenté de répondre qu’il n’aimait pas la guerre, mais qu’il devait retrouver quelqu’un- à condition que cette personne soit encore en vie, bien sûr. Ça avait adouci Alphonse, et ça avait certainement achevé de sécuriser la place de l’allemand dans la ferme de Maxime. Stefan avait vingt et un an, avait trois ans de moins que Maxime, et ne voulait partir en guerre que pour suivre quelqu’un qui lui était cher- comment ne pas ressentir une forme d’empathie ?
Ils ne se parlèrent pas beaucoup, au début- problème de cohabitation obligeait. Seulement pour manger, pour les besoins quotidiens, pour les nécessités ; Maxime n’était pas nécessairement souvent présent dans la bâtisse elle-même, devant évidemment s’occuper de ses propres affaires, mais, lorsqu’il s’y trouvait, il constatait bien vite que la compagnie constante, bien que muette, était loin d’être désagréable. Certes, elle signifiait que Maxime se trouvait à dormir sur le vieux canapé ; c’était le seul inconvénient qu’il se trouvait. Stefan, il le soupçonnait, était plutôt timide, et n’était pas du genre à imposer sa conversation- avait même plutôt tendance à tout faire pour ne pas se faire remarquer. Il passait ses journées le nez plongé dans le dictionnaire que Maxime lui avait laissé- et, à sa grande surprise, l’allemand avait bien vite fait des progrès ; suffisamment pour ne plus en avoir besoin dans le cadre d’une simple discussion. C’était aussi ainsi qu’il avait fini par comprendre que Maxime était sourd : en lui demandant poliment de corriger sa prononciation. Il avait été surpris de l’apprendre- et puis, comme si de rien n’était, il avait décidé de trouver un autre moyen d’attirer son attention.
Ce moyen, c’était « prendre le petit miroir qui gisait sur la table de nuit, se débrouiller pour trouver une source de lumière à proximité du lit, et la faire miroiter vers le visage de Maxime ». Désagréable, mais ingénieux. On pouvait lui reconnaître qu’il ne faisait cela que par absolue nécessité- la nécessité étant, Maxime perdu dans ses broderies et ses coutures. Les broderies et les coutures, d’ailleurs.
Il n’était pas rare qu’il lève les yeux de son travail, de temps à autre, et qu’il croise le regard de Stefan, curieux, mais dépassant juste assez des pages du dictionnaire pour observer discrètement ce qu’il faisait. Comme si les mouvements en eux-mêmes le fascinait ; comme si ce que produisait Maxime était digne d’une attention si accrue. C’était… eh bien, c’était flatteur. Ce fut peut-être pour cela qu’il décida de coudre de nouveaux vêtements pour l’allemand- autre chose que son uniforme ensanglanté, ou que les chemises bien trop grandes que Maxime lui avait prêtées.
Oui, la cohabitation, dans un premier temps, avait été muette, avait été un peu étranges, comme s’ils dansaient tout deux, marchant sur des coquilles d’œufs, tâtonnant sans vraiment savoir vers quoi ils se dirigeaient. Et puis, petit à petit, sans qu’il n’en prenne tout de suite conscience, les conversations se faisaient plus nombreuses. Maxime se trouvait à expliquer quelques règles de grammaire et de conjugaison française ; Stefan, en retour, lui enseignait des mots allemands, des expressions. Maxime se trouvait à tirer sa chaise près du lit pour broder, et Stefan, très vite, ne cacha même plus qu’il le regardait faire. Maxime se trouvait à lui enseigner la pratique du point de croix, et Stefan s’y échinait, motifs floraux sur motifs floraux. Maxime se trouvait à parler de sa vie, et Stefan, de la sienne. Maxime se trouvait à l’observer, sans vraiment y songer, alors qu’il était penché sur son dictionnaire, langue à demi-sortie, l’expression fermée par une concentration presque enfantine. Maxime se trouvait à sourire, chaque fois qu’il le voyait, et Stefan ne manquait jamais de le lui rendre. Bientôt, une poignée de semaines qui passèrent bien vite- le temps que mai se fondent en juin, juillet, et n’atteigne le début du mois d’août, la cohabitation s’était muée en une étrange forme de camaraderie, d’amitié- au point que, parfois, Stefan se joignait aux conversations lorsqu’Alphonse était dans les parages, sans trop hésiter.
« Maxime Maelic Schreider, » disait Stefan. « On dirait, c’est allemand. »
« D’origine, seulement, » répondait Maxime, et le soldat lui souriait, largement.
Cohabitation, camaraderie, amitié- tendresse inattendue, émotion naissante qui semblaient bien décidées à ne pas quitter le creux de sa poitrine où elles avaient trouvé racines. Dehors, pourtant, la guerre faisait toujours rage.
Etrange bulle hors du temps.
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Les motifs floraux brodés maladroitement par Stefan auraient dû être un indice ; mais l’allemand aimait, adorait le jardinage. Tant et si bien que le premier jour, littéralement, où Alphonse l’autorisa à quitter le confort du lit, ce fut tout juste s’il ne se trépigna pas face à Maxime pour qu’il le laisse l’accompagner dehors. Non pas qu’il puisse en avoir eu besoin ; il lui suffisait tout simplement de sourire, ce sourire qui creusa sa fossette, l’air innocent et les yeux larges, cheveux en bataille et col de la chemise froissée, et Maxime ne pouvait rien faire d’autre qu’hocher la tête, et lui accorder tout ce qu’il souhaitait.
« Il te mène par le bout du nez, » avait plaisanté Alphonse, alors que l’allemand s’était un peu éloigné pour s’extasier sur les plantes grimpantes qui couvraient la façade ouest de sa ferme. « C’était peut-être ça, son plan, depuis le début… ! »
« Terriblement machiavélique, » avait approuvé Maxime, plus par désir de cacher sa gêne qu’autre chose.
Alphonse l’avait observé quelques instants, comme s’il n’était absolument pas dupe du tout ; puis, doucement, il avait tenté de lui filer un petit coup de coude. « Tenté » étant le mot clé, puisque Maxime avait pris grand soin de lui immobiliser le bras d’une poigne aussi courtoise que sévère.
« Je crois qu’il t’apprécie aussi, » avait ajouté, bien plus bas, le médecin- et, cette fois, Maxime n’avait pu cacher la gêne.
« Qu’est-il arrivé… à tes exhortations à la prudence ? »
« Il y a des choses qui ne se contrôle pas ! » avait répondu Alphonse, avec un petit sourire. « Je suis content pour toi. Je sais que tu es suffisamment intelligent pour ne pas attirer l’attention des imbéciles qui auraient quelques choses à y redire. »
Peut-être, avait pensé Maxime. Ce n’était pas pour autant que le problème n’était pas épineux. Tant de variables à franchir. La guerre, les obus qui semblaient éclater toujours plus près de chez lui. Les mentalités. La réciprocité, aussi, évidemment. C’était une amitié, une drôle d’amitié- peut-être plus, ou peut-être pas. Beaucoup de risques à prendre pour un résultat incertain. Pourtant, songea-t-il, mains dans la terre, suivant les indications enthousiastes de Stefan qui baragouinait dans un mix de français et d’allemand pour lui apprendre à prendre soin d’un parterre de bégonias- pourtant, c’était peut-être quelque chose qui en valait amplement la peine.
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Une petite bulle de paix qui ne pouvait pas durer éternellement, bien sûr. C’est un beau matin de la fin du mois d’août qu’Alphonse surgit, à bout de souffle, après avoir visiblement couru jusqu’à sa ferme ; et son apparition impromptue avait trouvé Maxime dans son étable, en train de traire sa vache.
« L’armée arrive, » lui avait signalé le médecin, entre deux inspirations tremblantes, les jambes flageolantes. « L’armée française. Elle fouille les maisons, réquisitionnes des objets, pour l’armée. Des poêles, des casseroles, de la nourriture- Maxime, ils vont forcément se rendre compte que tu as un allemand chez toi ! »
Maxime, bien sûr, n’avait pas perdu une seconde. Il avait abandonné son seau, et s’était précipité, Alphonse sur ses talons, vers la ferme. Stefan devait les avoir entendu arriver, et devait déjà avoir compris que quelque chose se tramait ; il était déjà debout, malgré l’heure précoce, et finissait de boutonner sa chemise.
« L’uniforme… » marmonna Maxime, scannant la pièce du regard. « Où donc ai-je mis… l’uniforme ? »
« L’armée ? » s’enquit Stefan, manifestement inquiet, mais s’efforçant de rester droit, menton et tête haute, malgré sa posture vacillante.
« Oui, » répondit Alphonse. « Comment cacher votre accent, votre identité ? »
Maxime, du coin de l’œil, vit l’allemand se mordiller la lèvre inférieure- il devait chercher dans sa mémoire pour comprendre, dans un premier temps, ce que lui disait Alphonse, et ensuite, trouver une solution. Il se pencha en avant, saisissant le fameux uniforme qui était resté, plié, dans la vieille armoire, depuis près de trois mois, maintenant.
« Alphonse, » appela-t-il doucement, attirant l’attention des deux hommes vers lui. « Trouve un endroit… pour cacher cela. »
Le médecin sembla soulagé d’avoir quelque chose à faire ; déjà, il s’emparait de l’uniforme, des bottes, et sortit en trombe dans la pièce. Stefan dressa la tête ; Maxime comprit qu’il devait entendre, dans le lointain, le bruit des véhicules qui s’approchaient. A pas décidé, il le contourna, et se planta face à lui.
« Vous êtes… mon cousin. Muet. »
« Muet ? » répéta Stefan, sourcils froncés.
« Ne parlez… surtout pas. »
Le message sembla passer, bien heureusement. Le soldat hocha la tête, un geste rapide, saccadé, militaire. Par la fenêtre, Maxime vit Fiat 15 se garer dans l’allée de sa ferme, sous une folle fuite endiablée des quelques poules qui y picoraient- juste au moment où Alphonse revenait, se glissant par la porte arrière de la ferme. En descendirent un sergent, suivit de quelques soldats, qui se dirigèrent sans la moindre hésitation vers la porte laissée ouverte par l’entrée précipitée d’Alphonse et Maxime. Les trois hommes s’échangèrent un regard ; puis, bravement, se fut Alphonse qui s’avança, et qui se présenta.
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Lorsque les soldats partirent enfin, la ferme avait été quasiment saccagé. Plus la moindre casserole, plus le moindre pot. Plus de confitures, de pain, de fromage ; Maxime s’estimait heureux qu’on lui ait laissé ses légumes et ses meubles. Ils se trouvaient tout trois attablés, comme encore hébétés par l’entrée inattendu, par ce rappel brutal de la guerre qui se jouait.
« Ils auraient pu te laisser plus de choses, quand même, » s’indigna Alphonse, secouant lentement la tête, de gauche à droite, répétitif et frustré. « Ils ne doivent pas avoir besoin de tant de casseroles. »
« Si, » murmura Maxime, en retour. « Ce n’est pas très… grave. »
Stefan semblait particulièrement perplexe, sur sa propre chaise. Il s’y était effondré à l’instant même où la porte s’était refermée ; il n’aurait pas du pouvoir rester debout si longtemps, mais il était évident que ses blessures ne pourraient faire autre chose qu’attirer une attention qui était bien loin d’être bienvenue.
(« Il a l’air bien livide, votre cousin, » avait dit le sergent ; Maxime était certain qu’il ne pouvait pas avoir été le seul à s’être liquéfié sur place. Béni soit Alphonse et son jargon médical obscur.)
« C’est… normal ? Faire ça ? » s’enquit finalement Stefan, tripotant machinalement les manches de sa chemise. « Voler… euh, des trucs ? » 
« C’est une façon de participer à « l’effort militaire », » expliqua Alphonse, avec un soupir. « Quand on est du mauvais côté d’une invasion militaire, personne n’est vraiment prêt, et c’est les civils qui finissent par en pâtir. »
Stefan n’avait probablement pas tout compris. Il avait dû en comprendre assez. Il baissa simplement la tête, contemplant ses doigts d’un air un peu fâché, avant de jeter un bref coup d’œil vers Maxime.
« Voilà pourquoi j’aime pas la guerre, » dit-il. « On sait jamais qui la subit. »
Personne, dans la pièce, n’y trouva quoi que ce soit à redire.
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Il pleuvait. Seulement, voilà ; il ne s’agissait pas de gouttes de pluie. Il pleuvait, et les obus, lorsqu’ils s’écrasaient sur le sol meuble des champs alentours, incendiaient le monde d’ocre, d’orange et de rouge. Eux-aussi faisaient pleuvoir, autour d’eux. Faisait pleuvoir la terre, les débris, les corps, aussi. De loin, du haut du tout où Maxime s’était perché avec Stefan, c’était comme un feu d’artifice morbide. On voyait se découper le champ de bataille, au-dessus de la cime des arbres des petits bois ; on voyait pleuvoir les obus, lâchés par les avions qui survolaient la zone, silhouettes sombres et lugubres, corneille dans le ciel nocturne. Pas de lune, pas d’étoile, derrière la fumée et les nuages. Tout aurait été noir, sans ces lumières-là. Le spectacle, de leur perchoir, était beau à sa manière. Beau comme un chant de cygne. Beau et lancinant, beau et terrifiant. Eux, pourtant, étaient en sécurité. Enveloppés tous deux dans une couverture, protection contre le froid glacial du vent d’octobre. Et Stefan, à côté de lui, avait l’air grave, le regard perdu dans le lointain. Il fronçait les sourcils, comme bien souvent. Cheveux ramenés en arrière, légère moue, profil illuminé de temps à autre par l’intervalle des explosions lointaines.
« Je suis presque guéri, » dit-il finalement. « Ça veut dire que je vais devoir partir. »
C’était ce que Maxime craignait. Cela faisait quelques jours, maintenant, qu’il se torturait, sachant pertinemment que ce jour n’était plus très loin. Qu’il voyait Stefan marcher de mieux en mieux, presque sans fatigue ; boitant légèrement, épaule trop raide, respiration plus courte- mais guéri, ou peu s’en fallait. Cinq mois, et Maxime ne parvenait déjà plus à imaginer sa vie sans cette présence là- sans les rires et les remarques et les sourires et les fleurs qui s’épanouissaient dans son jardin. Il savait que ça allait arriver. Ça n’empêcha pas son cœur de sombrer.
« Je… comprends, » souffla-t-il, du bout des lèvres.
Stefan tourna la tête vers lui. Pensif, peut-être. Grave. Contrarié. Triste. Maxime savait bien qu’il n’était pas le seul à s’être habitué à cette proximité- peut-être même qu’il n’était pas le seul à s’être attaché ainsi, au-delà de toute raison. Il en eut l’implicite confirmation lorsque l’allemand, lentement et timidement, vint couvrir sa main de la sienne.
« C’est mes frères, » lâcha le soldat. « Les personnes que je dois trouver. Paul et Simon. Je peux pas les laisser croire que je suis mort. Et faut- faut, uh, sich schützen zwischen Brüdern. Entre frères ? »
Maxime inspira profondément. Ses doigts, naturellement, vinrent se mêler à ceux de Stefan. La main de l’allemand était bien plus petite que la sienne. Elle semblait fragile. Lorsqu’il le voyait comme cela, assis au bord du toit, les épaules sous le poids de sa couverture, jeune et frêle et fragile, et qu’il savait, savait que c’était lui qui allait bientôt se retrouver sous le feu d’une lancinante beauté des obus, il ne pouvait chasser la nausée qui montait. Il songeait à l’uniforme ensanglanté, il songeait aux blessures qu’il avait soigné, à la certitude qu’il avait eu, plus d’une fois, que Stefan allait mourir. Il déglutit péniblement.
« Ich liebe dich, » prononça-t-il, sans vraiment pouvoir s’en empêcher, comme si les mots ne pouvaient tout simplement pas rester en lui plus longtemps.
Les yeux de Stefan s’écarquillèrent, largement. Sombre et noir dans la nuit. Lointaine lumière du champ de bataille, au coin de son regard. La main, dans la sienne, serra plus fort ; elle tremblait, de froid, de peur, Maxime ne saurait le dire. Le sourire s’esquissa, vacillant, creusant sa fossette.
« Moi aussi, » répondit Stefan, et il n’y avait rien de joyeux, là-dedans ; rien de plus que la saveur d’un adieu.
Un long silence. Un instant muet. Un avion les survola, l’oiseau de mauvais augure. Stefan reporta son attention sur le paysage. Il n’y eut que sa tête pour venir se reposer, lasse et triste et grave, contre l’épaule de Maxime. Blottis sous la même couverture. Le monde enflammé à leurs pieds.
« Promets moi de revenir, » souffla Maxime. « Lorsque cette folie… sera finie. Peu importe… qui aura gagné. Reviens… s’il te plaît. »
« Je le promets, » murmura Stefan.
Il n’y avait pas besoin d’entendre le ton de sa voix pour savoir qu’il n’y croyait pas, pas une seconde. Son regard s’exprimait de lui-même- un voile lointain d’une mort assurée.
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« Il va s’en sortir, Maxime. Il est têtu, et il est coriace ! Trois balles ne suffisent pas à l’abattre… Il reviendra, Maxime, tu verras. »
La pièce semblait vide. Le lit, défait. Plus de sourire, plus de rire, plus d’éclat noisette d’un regard qui semblait piqueté d’éclat doré. Plus de dictionnaire, non plus. Stefan était parti avec- Maxime avait refusé de le lui reprendre. Un comble, parce que ce dictionnaire, ce n’était même pas le sien.
Alphonse se trouvait juste face à lui. Il lui parlait. Il essayait de rassurer- rassurer Maxime, et se rassurer, lui-même. Stefan était parti, il y avait cinq minutes de cela, par le petit chemin sinueux du bois de Favrieux. Dans son uniforme lavé, recousu, un simple soldat allemand- l’ennemi. Mais un ennemi qui avait un nom, qui avait un rire, qui avait un sourire, qui avait une famille et des rêves et des passions. Derrière lui, il laissait un trou que rien ne semblait pouvoir remplir.
Deux kilomètres plus loin, la guerre grondait, prête à l’avaler tout entier.
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 Epilogue
1919. La guerre était finie depuis quelques temps, maintenant. C’était une drôle de pensée ; comme si chaque instant qui passait était voué à s’achever en explosion, à s’achever sous l’éclat de la poudre des fusils qui tiraient, des mitraillettes qui massacraient. La France avait gagné, disait-on ; la vie de Maxime n’en était pas pour autant métamorphosée. Il gardait sa ferme, sa vache, ses poules. Le soleil se levait et se couchait. Les aiguilles des montres défilaient. Alphonse venait et repartait. Les champs gardaient leurs visages ravagés. Les fleurs qu’avaient plantées Stefan étaient fanées depuis longtemps. La guerre était finie ; et le soldat allemand n’était jamais revenu.
Et Maxime continuait sa vie. En automatisme. Chaque matin, il se levait. Chaque soir, il se couchait. Chaque instant, il guettait le petit chemin sinueux, guettait les silhouettes qui s’y profilaient. Trop grandes, trop petites, trop féminines, trop Alphonse. Ce n’était jamais la bonne. Alors, il continuait. Se levait. Se couchait. Guettait.
Chaque jour qui passait, c’était un espoir qui s’effaçait. La guerre était finie, et le soldat allemand ne revenait pas. Peut-être qu’il l’avait oublié. Peut-être qu’il était mort. Se lever. Se coucher. Guetter.
Vint le mois de mai. Les fleurs qui bourgeonnaient. Les oiseaux qui volaient. La chaleur qui montait. Un espoir qui s’amenuisait, s’amenuisait, s’amenuisait… Se lever, se coucher, guetter. Se lever, se coucher… guetter. Se lever, se coucher. Se lever. Se coucher. Se lever. Se coucher. Depuis quand avait-il cessé de guetter ? 
Se lever. Se coucher. Se lever…
“Kleiner Bruder ! Ich habe es gefunden!”
Maxime cligna des yeux. Il était assis sur son petit tabouret, à côté de sa vache, seau entre les jambes, en train de traire machinalement. Plongé dans ses pensées, automate- lorsqu’avait surgis, entre deux pis roses, un visage jovial, familier sans l’être, barré d’un large sourire. Chemise au col désordonné, cheveux ébouriffé, manches retroussés, regard noisette- familier, douloureusement familier, sans l’être vraiment. Un vétéran de guerre, sans le moindre doute.
« Paul ! » s’exclama l’inconnu si, oh, si semblable à Stefan. « Paul Saulter. Schön, Sie kennenzulernen, zukünftiger Schwager ! »
Maxime ne répondit pas. Figé sur place. Routine explosée, cheminement de pensée brisé, envahi par l’éclat d’un nouvel espoir bien trop fort. Et voilà qu’il y avait du mouvement, derrière Paul- le grand frère de Stefan, comprit-il. Si familier, sans vraiment l’être. Ce mouvement, c’était Alphonse qui trottinait dans leur direction, foudroyant l’allemand du regard (« Ich habe Sie gebeten, Sie nicht zu bewegen ! » qu’il piailliait, le pauvre médecin); et ce mouvement, c’était…
« Bonjour, » salua Stefan, timidement, penché par-dessus la croupe de la vache bien trop complaisante. « Je suis en retard, je crois. »
Il n’avait pas changé, ou si peu. Sourire à peine esquissé, fossette creusée. Regard parsemé d’éclat doré. Souriant, timide, inquiet- vivant. Un petit miracle inespéré, un rescapé- recraché par la guerre, un acte de bonté que personne n’aurait songé à lui prêter. Et le soleil, derrière lui, le soleil de mai qui l’avait vu venir, trois ans plus tôt, était radieux. Il inondait la grange, inondait la paille et les arbres derrière eux. Un tableau idyllique, un tableau paisible- la petite bulle hors du temps qui venait se réinstaller, à ses côtés.
La guerre était finie. Enfin, il en mesurait le sens.
La guerre était finie ; Stefan était revenu.
Maxime se sentit sourire.
 FIN
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