PAUVRES CREATURES - L'année cinéma commence très fort avec "Poor Things", dernier bébé-monstre de Yorgos Lanthimos, qui nous livre ici une satire sous forme de conte initiatique, en mode relecture très inspirée de Frankenstein.
Dans une époque vaguement victorienne peut-être hybridée à celle des années 2075, un savant crée Bella, une femme adulte avec l'esprit d'un enfant. Créature qui va néanmoins très vite se développer. Bella découvrira le monde, les femmes, les hommes, et surtout le sexe.
La première demi-heure, en noir et blanc, nous plonge directement dans une ambiance très malaisante. Mêlant du body horror aux pires intentions humaines, elle nous invite à embarquer pleinement dans le coeur de ce récit initiatique coloré et passionnant.
Les acteurs sont fantastiques. Emma Stone incroyable dans le rôle cette "créature" qui grandit intellectuellement, et découvre son corps, son esprit, le monde, la place attendue de la femme. L'actrice donne par ailleurs allègrement de sa personne, on croule sous des scènes les unes plus trashs que les autres. Impossible de ne pas citer Mark Ruffalo, désopilant en séducteur invétéré, qui voit peu à peu son monde d'effondrer alors que sa "sex doll" mûrit et lui échappe.
La direction artistique est démente. On est dans une espèce d'univers steam punk avec de l'Art Nouveau à tous les étages. Yorgos Lanthimos utilise énormément les grands angles, montrant toutes les coutures de ce monde poétique, du moins tel que Bella le perçoit. Les costumes certainement tout droit sortis des ateliers des créateurs les plus fous, sont sublimes.
Le récit comporte pas mal de lourdeurs et de temps morts, trop longs pour être porteurs. Et pourtant malgré quelques détours largement inutiles du scénario, et la très grande créativité de sa mise en forme, c'est le propos qui prime très rapidement.
Certains (beaucoup) ont réduit Pauvres Créatures à un film féministe, mais ses thèses débordent largement cette apparence première. "Poor Things" parle de parentalité, de religion, et de relations entres les hommes et les femmes. Avec certes, la place des femmes dans la société, et la façon dont elles sont perçues et/ou contrôlées. Mais on est très loin du pamphlet stérile et redondant de tant d'autres films opportunistes.
Personnellement j'y ai surtout perçu une mise en scène très pertinente de ce que nous apprendrait l'intelligence artificielle sur le fonctionnement mécanique et désincarné des humains, et de nos sociétés dépourvues de leurs emballages moraux, changeants et relatifs. C'est très vite à travers ce prisme que le film m'est apparu captivant : une généalogie de notre morale, de nos comportements et de tous les travers d'un féminisme souvent contradictoire, vue non par Nietzsche, mais sous l'angle des ChatGPT et autres programmes qui nous "singent" littéralement…
Bref, "Poor Things" est riche d'idées, de sensations, de perspectives nouvelles, et remue le bide.
C'est aussi un long-métrage très drôle. Comme dans les précédents films de Lanthimos, l'humour est absurde, noir, cruel, et souvent inattendu. Si vous adhérez au style du réalisateur, vous y trouverez très largement votre compte !
NOTE 17/20 - Ce voyage fantastique et fantasmatique regorge d'idées de génie, d'images sublimes et riches, le tout directement sorti du cerveau à la fois complexe, étrange et extraordinaire de Yorgos Lanthimos.
La génétique du réalisateur de The Lobster semble être composée de Mary Shelly et de Ruben Ostlund et de bien d'autres, dans une version remanipulée d'extravagance et de baroquisme flamboyants.
On est choqués, éblouis, embarqués par une créativité aussi rare qu'impressionnante.
Ames sensibles, s'abstenir.
6 notes
·
View notes
Comment votre travail a-t-il commencé?
J’avais fait avec lui Les Caractères de La Bruyère (1965) pour la
télévision scolaire et une petite prestation dans La Carrière de
Suzanne. Il m’a dit : «Je vais faire un troisième volet des “Contes
moraux” qui va s’appeler La Collectionneuse. Je voudrais savoir
comment les gens parlent entre eux aujourd’hui.» Il connaissait
le milieu des Cahiers, le milieu de sa famille, mais il prétendait
ne pas connaître le monde estudiantin parisien. Il n’était pas
sûr des tours de phrase. Qu’est-ce que deux garçons seraient
capables de se raconter l’un à l’autre à propos d’une fille? Quels
mots emploieraient-ils et jusqu’où iraient-ils? Rohmer s’intéressait à la vie de ses personnages, à leur manière de parler, d’être,
de s’habiller, de se présenter. La première chose qu’on a faite
était des entretiens autour d’un magnétophone Uher, qui lui
permettait de saisir nos tournures et de les mettre dans le texte.
Il a fait un enregistrement avec moi, avec Haydée, avec Daniel.
J'ai fait venir Daniel Pommereulle qui était un grand copain.
Pommereulle, de son côté, avait suggéré l’écrivain surréaliste
Alain Jouffroy, qui a une longue séquence dans l’ouverture de La
Collectionneuse.
PATRICK BAUCHAU, acteur dans LA COLLECTIONNEUSE, dans AU TRAVAIL AVEC ÉRIC ROHMER : Entretiens avec ses collaborateurs
0 notes
My films, you say, are literary: The things I say could be said in a novel. Yes, but what do I say? My characters’ discourse is not necessarily my film’s discourse. […] What I say, I do not say with words. I do not say it with images, either, with all due respect to partisans of pure cinema, who would speak with images as a deaf-mute does with his hands. After all, I do not say, I show. I show people who move and speak. That is all I know how to do, but that is my true subject.
Eric Rohmer 1920–2010, “Letter to a Critic: Concerning Contes Moraux (Moral Tales)
23 notes
·
View notes