Tumgik
#en réalité
energiologue · 1 month
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LE PAPILLON EST DANS LA CHENILLE
. . VOUS POUVEZ ENTENDRE CE TEXTE EN CLIQUANT SUR LE LIEN CI-DESSUS . Par Philippe François Disparu… il a disparu et on ne l’a jamais revu…!!!Les statues fantômes du château de Vizio sur le lac de Côme, en Italie, sont faites de craie blanche et sont reformulées chaque été par des touristes qui se portent volontaires pour se mettre dans une certaine position. En réalité, ceux qui vivent la…
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perduedansmatete · 1 year
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bon manifestement tous les symptômes de ma grand-mère c'était la polyarthrite, a priori c'est pas neurologique ça aurait été plus chiant, reste à voir la suite des analyses mais c'est pas si étonnant les mains qui se bloquent les douleurs les chevilles qui enflent, c'est juste pas drôle que ça s'active à plus de 80 ans et ça me rend triste car elle a toujours été super active et on lui a toujours donné 10 ans de moins malgré cancer et avc(s) elle tient trop à sa liberté à ses longues balades à conduire à pouvoir faire des trucs seule mais chaque année elle peut moins en faire les avc ça l'avait déjà bien affecté surtout qu'on comprenait pas pourquoi elle en refaisait toujours mais bon c'est normal c'est la vieillesse sauf que ça la rend super mal de se dire qu'elle peut plus partir se balader toute seule à paris toute la journée, qu'elle peut plus aller nager comme elle veut qu'elle peut plus me conduire en alsace comme elle a toujours voulu faire qu'elle se réveille avec des douleurs inconnues le corps bloqué qu'elle peut plus boire autant d'alcool mdr sans quoi elle finit la tête dans la cuvette car antiépileptiques et whisky coca font pas bon ménage bref la polyarthrite c'est vraiment une malédiction surtout quand on sait qu'il y a pénurie de cortisone mais bon le point positif c'est que c'est un sport national dans la famille donc elle pourra avoir tous les meilleurs conseils qu'elle veut
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randomnameless · 1 year
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@lilias42 replied to your post “@dimiclaudeblaigan replied to your post “About...”:
1 Même AG se tire une balle dans le pied avec Miklan vu que bon, Dimitri préfère faire devenir général Miklan qui est un ancien noble malgré le fait qu'il soit un brigand sadique qui pille et tue pour le fun, ravisseur de femme et fratricide et persécuteur d'enfant avéré tout ça parce qu'il n'a pas hérité de Matthias (alors que Matthias le préfère à Sylvain parce que femme dans le frigo et ne fait rien pour protéger son cadet)
​2 plutôt qu'un roturier x s'étant illustré au combat dans son armée (il aurait aussi pu choisir un ancien brigand mais en disant qu'il l'était pour manger, pas pour tout brûler par caprice) Pour quelqu’un qui veut donner une meilleure place aux roturiers, ça la fiche assez mal
Mais non, l'histoire du roturier qui transcende sa condition tellement il est badass c'est la route de Dedel ça! Et apparemment, c'est la backstory de Ladislava, mais elle meurt avant qu'on puisse dire ouf!
Plus sérieusement, je ne sais pas si l'axe voulu c'était le "même sans emblème un quidam (oui il est noble et donc à eu au minimum une bonne éducation dans ces domaines alors ce n'est pas vraiment in quidam) peut devenir général" ou le "seconde chance pour tous : même si vous avez poutré des randoms, essayé de tuer des bébés et fait des bisous non consentis à des femmes, vous pouvez vous racheter!".
Parce que bon, le coup du "mais Sylvain a dit qu'il était ok avec ça" c'est certes gentil pour lui, mais perso, ça renvoie un image plutôt moche du Royaume, si on offre des portes de sortie à des criminels comme ça parce qu'on est en temps de guerre et qu'on a besoin de bras/têtes. Dimitri a aussi demandé aux paysans abusés et aux femmes séduites si elles étaient d'accord avec son plan? C'est quoi ce message, la peine de Miklan est commuée en "il devient général" même s'il est censé être surveillé et peut être exécuté à la moindre incartade (comme n'importe quel autre général qui voudrait faire des "incartades" similaires à ce qu'il avait fait en tant que bandit)?
Encore à la limite si on nous disait qu'il n'y avait pas que Miklan qui a bénéficié de cette "opportunité" mais tout son gang de losers, pourquoi pas - il n'y aurait pas que lui qui bénéficierait de cette "seconde chance" mais aussi les bandits quelconques qui l'accompagnaient pour effacer ce doute et dire à tout le monde, ancien noble ou bandit quelconque, qu'ils peuvent se racheter en défendant le pays, et pas seulement offrir cette opportunité à Miklan parce qu'il est le frère de Sylvain et le fils de Matthias...
Au final, il meurt en héros (pauvre Ladislava, tout le monde s'en fout de sa mort!) donc Dimitri avait fait le bon choix et Miklan a bien saisi l'opportunité pour essayer de se racheter, même si j'aurais quand même préféré voir Dimiri organiser une escouade de gens quelconques, dont aurait fait partie Miklan en tant que soldat (et pas en tant que général) comme "punition" au lieu d'être exécuté, avec, je ne sais pas, entre plusieurs chapitres l'escouade des gens quelconques qui félicite Miklan pour ses actions/rôles et d'autres personnes qui se lamentent sur ses choix passés, préférant mettre ses talents à l'usage de vendetta personnelle contre, euh, le monde? au lieu de faire quelque chose d'utile et de devenir chevalier ou seigneur de son frère - à la limite qu'il soit promu au rang de chef d'escouade si le premier meurt à cause d'une bête démoniaque - pour qu'il finisse comme il le fait dans le jeu, à tenter de défendre Arianrhod.
Peut-être avec une oraison de la part de Gilbert (certes c'est son grand frère qui a un emblème!) - rappelant que si la possession d'emblème est accordée par la Déesse, c'est à chacun que revient de faire le choix d'être une personne qui fait quelque chose de bien de sa vie, ou pas.
En gros, de faire en sorte que l'accent soit moins mis sur Miklan frère de Sylvain et ancien membre de la maison Gautier, mais plus sur Miklan, un quidam qui veut se racheter.
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lilias42 · 11 months
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Acte 5 de “Tout ce que je veux, c'est te revoir…”
Bon, retour à l'histoire des Fraldarius avec la suite de cette histoire... et retour du running gag "j'avais dis dans le dernier billet que le prochain serait le dernier mais en fait non", il va encore avoir un autre billet car cette histoire fait maintenant 600 pages alors qu'elle était censée être courte. Je sais, moi aussi.
Enfin bon ! On reprend juste après les derniers évènements du dernier billet : Lambert est de plus en plus isolé avec Gautier qui s'allie à Sreng et fait sécession, Ivy et Oswald qui prennent les choses en main de leur côté tout comme Ludovic et les habitants de Fhirdiad, Lambert qui a ce qu'il mérite, et Félix qui a enfin retrouvé Rodrigue et Alix.
Comme toujours avec cette histoire, fans de Lambert, Rufus et Gustave, ou ceux qui voient le Royaume comme un gros bloc monolithique avec tout le monde qui suit le roi sans réfléchir, passez votre chemin. Ils sont très clairement antagonistes dans cette histoire, et Lambert va tomber encore plus bas dans la partie 6 alors, ne vous faites pas de mal en lisant cette histoire. Il y en a plein d'autres qui vous correspondront surement mieux ailleurs sur Tumblr et AO3.
Et comme toujours, coucou à @ladyniniane ! J'espère que ça te plaira !
Lachésis fit craquer sa nuque sur sa monture, épuisée alors que le soleil se couchait derrière Fhirdiad. Sa sœur et elle avaient passé des semaines à courir dans tout le domaine royal pour récupérer les ordinaires, et elles avaient dû arracher les sommes réclamées pièce de cuivre par pièce de cuivre !
« Déesse ! Quelle plaie ! Heureusement que nous étions en mission pour les Blaiddyd sinon, le nom de notre famille aurait été terni à jamais… encore plus chez les nobles qui ne veulent même pas mettre la main à la bourse… râla Thècle, épuisée. Et Déesse ! Quelle mauvaise gestion !
– Nous sommes d’accord, nos petits gèrent mieux leur argent de poche, marmonna Lachésis. Pour les baillis qui ont été nommé par Sa Majesté Ludovic ou quand Nitsa était encore là pour éviter les catastrophes, pas de problème, c’était propre, mais pour ceux nommés par Lambert, je préfère éviter de commenter de peur d’être impolie.
– C’était gérer avec les pieds oui… Nitsa serait morte de honte… comment elle a pu tomber amoureuse d’un homme pareil ? Maman n’avait pas tort quand elle disait qu’avoir donné Héléna en mariage à Lambert, c’était comme donner de la confiture à un cochon, sauf que le cochon à l’excuse d’être un cochon pour mettre ce qui est bon pour lui partout, pas Lambert.
– Fallait surtout demander à Myrina vu qu’elles ne se cachaient rien toutes les deux mais, si j’ai bien compris de mon côté, c’était surtout grâce à l’année à Garreg Mach où ils se sont beaucoup rapprochés… et puis, sur la fin, ça sentait mauvais leur mariage, même elle commençait à se détacher… elle lui a même interdit d’entrer dans sa chambre alors qu’elle accouchait, c’est Myrina qui lui a tenu les mains avec Effrosyni alors qu’elle mettait son fils au monde, ça veut tout dire…
– Ça aurait été mieux si Sa Majesté Ludovic avait pu mettre en œuvre son idée de monarchie élective… et si Nitsa avait eu le temps d’envoyer les papiers du divorce dans sa tête d’ahuri…
– Tout ce qu’il méritait si tu veux mon avis. Il l’a épuisée jusqu’à l’os, » gronda l’ainée, les mauvais souvenirs et la peur pour sa sœur refaisant surface, la voyant perdre des forces de jour en jour, comme une chandelle n’ayant plus ni cire ni mèche. « Nitsa avait toujours eu la santé de maman… je m’en souviens, elle n’était jamais tombée malade… pas une seule fois… mais quand elle s’est mariée… je ne sais pas, c’était comme si Lambert était un vampire et lui aspirait la moindre goutte de sang et de vitalité… elle était épuisée et affaiblie tout le temps… enfin, normal quand elle avait son travail et celui de son mari à faire car, elle devait toujours passé derrière lui…
– Quand on sait ça, ce n’est pas étonnant qu’elle ait eu autant de mal à mettre le petit prince au monde… elle qui voulait tant avoir un enfant…
– Et encore, il ne serait peut-être jamais né si Dame Félicia n’avait pas été aussi prévenante avec elle et Sa Majesté Ludovic aussi soucieux d’elle… enfin, on en reparlera plus tard, on doit retourner supporter « l’ahuri en chef » directement à Fhirdiad… les ramena à la réalité Lachésis.
– Je m’étais contenté de l’appeler « l’ahuri » mais, ça lui va bien aussi. En tout cas, je plains Rodrigue qui a dû le supporter tout ce temps ! Surtout qu’on ne peut pas l’ouvrir avec Rufus ! Râla Thècle.
– S’il croit que je vais la boucler sur la gestion de leurs comptes, il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude et continue à s’enfoncer, grogna l’ainée de la fratrie. C’est un gosse immature et irresponsable mais, il va falloir le faire grandir à coup de pied au cul à ce stade. Autant l’un que l’autre.
– Si toi, tu commences à devenir grossière, c’est qu’ils sont fichus. Enfin bon, je propose qu’on passe à la taverne avant d’aller au palais, histoire de voir comment les choses ont évoluées à la capitale. En plus, il est tard, les enfants se couchent tôt.
– Hum… tu as raison, faisons ça, » accepta Lachésis. « Les citoyens de Fhirdiad seront surement plus bavards loin des larbins de Rufus. »
Les deux sœurs se turent en entrant à la capitale, se faisant discrètes, même si les gardes des portes les reconnurent tout de suite. Cependant, ils acceptèrent très vite de ne pas les annoncer – même trop vite – et les encouragèrent plutôt à aller à la taverne dit du père Mercier ce soir.
« On vous jure ! Si vous voulez avoir l’avis de la personne la plus lucide de tout Fhirdiad sur la situation du Royaume, il faut aller là-bas ! Lui assura le soldat avec un gros accent de Dominic, surement un qui avait été levé en masse par Rufus. Vous ne serez pas déçues, croyez-nous ! Et il faut que vous entendiez tout ce qui s’est passé ici ! C’est juste à peine croyable ! »
Les deux sœurs esquivèrent son insistance en jurant qu’elles allaient y réfléchir, même si elles se méfiaient de cette proposition. Vu les antécédents de Rufus, cela pouvait être un guet-apens… mais d’un autre côté, cette taverne était très fréquentée par des soldats de Fraldarius et de Charon, et le propriétaire serait fiable alors, peut-être… elles iraient peut-être avec quelques gardes… surtout qu’elles savaient se défendre, en particulier dans des espaces confinés… et quand elles virent l’état de la capitale, elles se dirent qu’elles n’avaient rien à perdre à connaitre l’avis des habitants…
Les rues étaient sombres et mal entretenues, avec des ordures qui bouchaient les égouts et transformaient la chaussée en mare de boue putride. Les seules personnes bien nourries étaient les rats festoyant au milieu des immondices, et les ratiers chargés de les chasser, même s’ils manquaient très clairement de chat pour tous les exterminer. Sinon, les faces étaient émaciées, creusées par la faim et la fatigue, les yeux vides d’usure après tout ce qui s’était passé ces dernières semaines… le terrain parfait pour le développement d’une épidémie…
« Un seul malade… un seul… et la peste est de retour… c’est pas vrai ! Enragea Lachésis. On avait dit et répété que la somme qu’on laissait à l’entretien des égouts ne devaient pas être utiliser pour autre chose ! On court à la catastrophe ! »
Les deux sœurs passèrent sur la place principale pour voir si rien n’y était placardé, n’espérant même plus que Rufus n’y fasse pas étalage de sa cruauté et de son incompétence. Une grande affiche s’y trouvait bien, juste à côté du gibet où se balançait un corps balloté par le vent, se décomposant déjà. Il aurait dû être dans une fosse commune depuis longtemps… même pas par compassion envers un criminel (et les Charon seraient curieuses de savoir si ce crime en était un aux yeux de la loi ou de ceux de Rufus), juste par mesure de salubrité public histoire que la pourriture ne contamine par l’eau ou les personnes qui passaient à côté… et à la lecture du placard, cela les étonna presque qu’il n’y ait pas plus de monde pendu au gibet… Déesse, Rufus était allé jusqu’à ressortir la réglementation de Clovis ! Heureusement que les juges ne devaient pas la respecter sinon, ce serait une véritable boucherie ! Comment Rodrigue avait pu laisser passer ça ?! Enfin, connaissant Rufus… et si…
« On y va ce soir ? Proposa Thècle.
– Ça me semble plus que nécessaire… » marmonna Lachésis.
S’équipant tout de même d’une armure sous leur manteau et leurs habits de fonctionnaires, ainsi que de gantelets rapides à mettre, les deux sœurs se rendirent à la taverne du père Mercier en compagnie de quelques gardes de confiance. L’établissement était plein à craquer, toutes les tables discutant vivement entre elles, même si le ton se fit plus bas quand leur groupe passaient à portée de voix. Le soldat de la porte les vit passer depuis sa table, sauta de sa chaise et les conduisit au bar où se trouvait le patron de l’établissement, le hélant sans hésiter.
« Eh ! Mercier ! Elles sont là !
– Ah ! Bonsoir mes dames. Je vous sers un verre d’eau ? Leur proposa-t-il simplement. Je n’ai plus rien d’autre.
– Bonsoir, et ne vous en faites pas pour cela, lui assura Lachésis. On aimerait surtout vous poser des questions sur ce qui a bien pu se passer à Fhirdiad, et ce n’est surement pas Rufus qui nous dira la vérité alors, on aimerait avoir la version des citoyens de la ville.
– Elle pourrait parler à l’albinois, il sait de quoi il parle. Et c’est les Charon, elles crachaient aussi sur le Lambert et le connard.
– Hum… je sais pas, il a pas mal toussé… et imagine si…
– Non, c’est bon, ne t’en fais pas, ça ira. C’est juste mes poumons qui sont fragiles… et l’air ambiant en ville ne m’aide pas…
Un jeune homme d’un peu moins de vingt ans sortit de l’arrière-boutique, enveloppé dans une couverture mais, la main qui la tenait était couverte d’encre. Au nom de la Déesse… c’était fou à quel point il pouvait ressembler à Sa Majesté Ludovic dans sa jeunesse ! Lachésis était petite à l’époque du coup d’État contre le roi Clovis mais, elle était sûr que ce jeune albinois aurait pu se faire passer pour le roi à cette époque… le père Mercier se tourna vers lui, le soutenant doucement, prévenant avec inquiétude.
– Fait tout de même attention Ludovic, l’air de Fhirdiad semble être encore plus mauvais pour toi que pour nous autres… ça doit te changer de celui d’Albinéa…
– Oui, il est bien meilleur là où je vivais avant mais, ne t’en fais pas, je peux tenir. On m’a prévenu de votre arrivée, j’imagine que vous êtes les filles de la matriarche Catherine Charon, Lachésis et Thècle, les salua-t-il. Ludovic Hange, albinois et scribe au palais, on m’a beaucoup parlé de vous.
– Enchanté Citoyen Hange, le salua Lachésis à la manière charonis. Nous aurions des questions à vous poser sur l’état de la capitale. Que s’est-il passé pendant notre absence ? On se croirait de retour à l’époque de Clovis ou d’avant les grands travaux d’assainissement.
– Une décision de Rufus, les sommes allouées à l’entretien des canalisations et des égouts ont été redirigés vers le maintien de l’unité du Royaume, et la future expédition punitive contre Gautier… déclara-t-il en s’asseyant face aux deux sœurs, ajoutant en les voyant écarquiller les yeux, elles n’avaient pas dû avoir de nouvelles de la capitale pendant plusieurs semaines. Enfin, commençons par le commencement avec ce qui s’est passé après votre départ…
Ludovic et les fhirdiadais résumèrent les derniers évènements aux charonis, détaillant seulement les éléments les plus importants. À la fin de leur histoire, Thècle passa sa main sur son visage, fatiguée rien qu’à entendre tout ceci…
– Déesse… quelle honte pour Faerghus… il est tellement incompétent qu’il vaut mieux être transformé en loup que de le subir ! Et pauvre Félix quand il va voir son père et son oncle arrivés devant lui en étant des loups ! Et ces méthodes de gouvernement… c’est pas le fils de son père, mais de son grand-père… autant pour Rufus que pour Lambert… c’est une honte d’aussi mal géré ses caisses et son Royaume… qu’est-ce que je dis, il ne doit même pas savoir ce qu’il se passe dans son propre palais alors, dans tout Faerghus, n’y pensons même pas ! Tu m’étonnes que les Gautier se soient barrés chez les srengs ! Et bien en plus si le nouveau margrave a accepté d’espionner le roi pour que leurs émissaires puissent mesurer à quel point il est incompétent ! Et pour qu’il admette nous avoir espionner, il ne doit plus en avoir rien à cirer de Faerghus ! On se retrouve avec le garde-frontière du côté ennemi à cause des conneries de Lambert et Rufus !
– Nous sommes bien d’accord… déclara Ludovic en hochant la tête. J’imagine que la situation dans le domaine royal n’est guère plus reluisante.
– Non… pour résumer rapidement, il n’a plus un sou en caisse dans une bonne partie du domaine royal et on a dû arracher la moindre pièce de cuivre à tous les commerçants et bourgeois vu que Rufus veut des espèces sonnantes et trébuchantes, pas des paiements en nature, sauf si c’est des fournitures militaires. Au moins, on a pu épargner les paysans les plus pauvres qui n’ont pratiquement jamais vu une pièce de monnaie de leur vie mais sinon, on a fait raquer tout le monde, du bailli au commerçant en passant par le curé. Autant vous dire que cela a encore plus sali l’image du roi…
– Et encore Lachésis, ça, c’est pour les ordinaires, image ce que cela aurait été si on avait dû récolter les extraordinaires dans tout le Royaume, lui rappela sa sœur. Là, c’est bon, tout le monde ressortait encore plus les fourches qu’ils ne le font déjà avec les levées en masses d’hommes et de vivres, et on reviendrait à l’époque des Grandes Jacqueries d’avant l’indépendance. On se dirige vers ça de toute manière… enfin, on devait déjà engueuler Lambert mais, on va encore plus lui arracher le crâne…
– Il invoque Héléna pour nous dire de nous calmer comme il l’aurait fait avec Sylvain, je ne réponds plus de rien… ajouta l’ainée. Tenter de le convaincre de parler en invoquant son ami Félix, alors que c’est Lambert lui-même qui a mis la famille de ce gosse en miettes. On va avoir du boulot pour relever le niveau de la capitale… au moins pour éviter que notre sœur soit la femme de l’homme qui a mené Faerghus à sa perte, il a déjà assez souillé sa tombe comme ça…
– Hum… si je puis me permettre, je crois que ce n’est pas la peine de vous démenez pour cette raison…
Les deux sœurs se tournèrent vers une femme de l’âge de Lachésis, proche de la cinquantaine, accoudée au bar alors qu’elle serrait son verre dans ses mains. Un jeune bucheron blessé à la tête s’approcha d’elle, posant sa main sur ses épaules.
– Que veux-tu dire maman ? Tu sais quelque chose en rapport avec la reine ?
– La question, c’est plutôt quelle reine… la femme tourna la tête vers les sœurs et Ludovic, l’air sombre et blasé quand elle annonça. Le roi s’est remarié, ça fait déjà des années à présent. Le petit prince avait trois ans quand c’est arrivé…
Lachésis et Thècle n’en crurent pas leurs oreilles quand cette femme leur annonça une nouvelle pareille. Non… c’était pas possible… leur famille gérait tous les papiers et l’administration du Royaume, ils étaient les gratte-papiers de la couronne depuis des générations ! Ils auraient forcément dû voir les papiers d’un maudit mariage ! Même morganatique !
– Quoi… ne put s’empêcher de lâcher la cadette avant de demander. Comment pourriez-vous être au courant ? Nous n’avons jamais rien vu qui allait dans ce sens ! Avez-vous une preuve de ce que vous avancez ?
– C’est parce que la Dame numéro deux vivait en recluse, même si elle apparaissait parfois officiellement. C’était Patricia Arnim, la « sœur » de Cornélia Arnim, marmonna-t-elle en faisant des guillemets autour du mot sœur. Hein… connerie, elles sont aussi sœurs que vous et moi. Tout ce qui existe dans le Royaume sur cette femme est faux. Je suis bien placé pour le savoir, j’étais une de ses servantes, et croyez-moi que si la paye était suffisamment généreuse pour que je ne révèle jamais son secret, vu le tempérament de chien de cette femme et comment le roi mène sa barque en ce moment, j’en ai plus rien à cirer. Et comme preuve, je dirais simplement qu’une nourrice normale n’a pas un carrosse attitré pour un voyage dans un autre pays, alors que toutes les autres s’entassent avec les autres domestiques. Elle avait eu le droit à une voiture pour elle toute seule car, elle a tanné le roi pour en avoir une afin de voyager avec plus de confort, et en privé, elle disait que c’était également pour donner plus de travail aux ducs de Fraldarius. Sa Majesté les avait mis dans la confidence pour avoir leur avis apparemment. Ils étaient contre mais, Lambert ne les a pas écoutés, évidemment… Patricia et eux ne s’appréciaient pas de base d’ailleurs, avant que cela tourne à la guerre ouverte après ce qui est arrivé au louveteau de la famille, quand il a failli être brûlé vif par Volkhard von Arundel.
– Patricia Arnim… marmonna Lachésis, pesant les arguments et informations qui arrivaient en essayant de ne pas se laisser influencer par son propre ressenti envers Lambert. Je voie de qui il s’agit et certes, le mariage avec une adrestienne de rang aussi modeste aurait pu être l’objet de contestation. Nous n’ignorons pas que nombre de grandes familles ont voulu succéder à notre sœur mais, malgré cette différence de rang, le mariage avec une roturière n’est pas interdit pour le roi. Cela aurait été d’un ridicule consommé quand le roi Loog lui-même était un fils bâtard ayant passé tout le début de sa vie à gagner sa pitance comme laboureur, et quand la quasi-totalité de ses proches alliés étaient également des enfants illégitimes ayant vécu comme des roturiers et étaient mariés à des roturiers. Même si nos relations avec l’Empire sont tendues, si cette Patricia Arnim a coupé tous les liens avec Adrestia et qu’elle a épousé tous les intérêts de Faerghus, il n’y aurait eu aucun problème à ce qu’elle convole avec le roi, surtout si elle est roturière, ce n’est pas la haute noblesse adrestienne, et Cornélia a rendu de grands services à la capitale et a une position considérable. Ils se seraient mariés de manière morganatique, certes, au moins pour éviter des problèmes de succession avec notre neveu mais, Dimitri restera toujours le premier-né du roi, avec un emblème et sa mère est la fille de la quatrième famille du Royaume en importance, et à octante-quatorze voix près, ça aurait été notre ancêtre Sybille qui aurait été élu reine à l’indépendance. Sa position d’héritier est donc complètement inattaquable, sauf si la nouvelle reine était une fille d’empereur, de roi ou de shah, ce qui ne semble pas être le cas, et qu’elle aurait eu un enfant avec un emblème majeur, ce qui n’est jamais arrivé, la Déesse soit louée. Quel intérêt a autant caché cette union ? Nous l’aurions certes mal pris sur le coup dans notre famille mais, la période de deuil était passé et si elle était digne de succéder à Héléna, nous l’aurions accepté, même si je doute qu’elle le soit si même les ducs de Fraldarius ne l’appréciaient guère. Et vous avez également dit qu’elle n’était pas vraiment la sœur de Cornélia Arnim, c’est exact ?
– Oui Dame Charon, elle prétend être sa sœur pour se cacher, et c’est justement là le problème, c’est qu’elle est une membre de la famille impériale d’Adrestia mais, pas par le sang, par alliance. C’était une ancienne concubine de l’empereur Ionius, Anselma von Arundel, ainsi que la mère d’une de ses héritières, la princesse Eldegard qui a l’emblème de Seiros. Cependant, Anselma a fui l’Empire suite à une crise et des tensions au sein du harem et elle est venue se réfugier auprès du roi. Ils se sont rapprochés et sont tombés amoureux l’un de l’autre, ce qui les a amenés à convoler ensemble. C’est pour ça qu’elle a défendu Arundel bec et ongle alors qu’il a failli brûlé vif un gosse, d’un parce que c’était son grand frère, et de deux parce qu’il avait ramené dans ses bagages la fille d’Anselma, Eldegard, pour la protéger d’une autre période de crise à Embarr et la ramener à sa mère. Sans cette sombre affaire, Sa Majesté aurait même souhaité qu’Eldegard reste indéfiniment à Fhirdiad pour faire plaisir à sa femme.
– Attendez… la coupa Thècle. Vous voulez dire que non seulement, Lambert est marié à une épouse de l’empereur et donc, c’est de la bigamie vue que ses concubines sont attachées à lui à vie, qui est aussi la mère d’une potentielle future impératrice… cinquième dans l’ordre de succession mais quand même, c’est tout à fait possible qu’elle le devienne étant donné que les empoisonnement sont monnaie courante dans le harem… qu’elle est la sœur d’un noble frontalier qui a été exilé à vie de Faerghus après une tentative d’homicide sur mineur avec circonstances aggravantes… qu’elle est ici sous un faux nom et avec de faux papiers, ce qui est complètement illégal… le tout pour la cacher de son premier mari, ce qui est compréhensible aux demeurants vu ce qu’elle a dû vivre mais, on n’aurait jamais pu nier être au courant de sa situation si sa véritable identité était découverte un jour, ce qui aurait été un casus belli de premier choix pour Ionius, encore plus si Lambert refusait de la renvoyer de l’autre côté de la frontière… et en plus, il voulait garder la propre fille d’Ionius, qui a les dents longues comme pas possible, qui ne nous a pas attaqué à son arrivée sur le trône uniquement parce qu’il avait peur de Sa Majesté Ludovic même s’il avait la tuberculose et a dû très vite faire face à de grandes oppositions en interne, dans le Royaume ? Dans son propre palais auprès de son fils qui plus est alors, si Ionius décide dans sa grande mansuétude de ne pas nous attaquer pour retenir sa fille en otage, il se contente de l’enlever, il pourrait enlever le fils de notre sœur au passage ? C’est bien ce que vous venez de nous dire ?!
– Oui, même si tout est au passé, elle est morte dans la Tragédie de Duscur… enfin, c’était bien mérité, elle poussait le roi à y aller… elle s’était éloignée de lui après qu’il ait exilé son frère pour tentative de meurtre…
– …Après qu’on lui ait mis la décision de justice dans les mains pour le forcer à prendre une décision vous voulez dire, la corrigea Lachésis en maugréant, comprenant mieux le bourbier où c’était enfoncé Lambert quatre ans auparavant. On ne l’aurait pas forcé à se décider, il serait encore en train de réfléchir si oui ou non, il fallait exiler un homme qui a tenté de tuer un gosse de neuf ans sans raison. Enfin, si c’était le frère de sa… de sa femme… pas étonnant qu’il ait autant hésité à le bannir, même si c’était une sentence extrêmement clémente pour son cas… nous qui croyons que c’était à cause de son habitude de détester mettre les mains dans la boue et se les salir, c’est encore plus pathétique qu’on ne le pensait… il délègue toujours ce genre de jugement, que ce soit aux Fraldarius ou nous… Déesse, Nitsa doit se retourner dans sa tombe ! Arundel mettait même son fils en danger ! Il aurait très bien pu recommencer et brûler vif Dimitri après avoir été à deux doigts de tuer Félix ! Tout ça pour les beaux yeux de cette femme ?! Et c’était quoi son rapport avec Duscur qu’on en finisse ?
– Et bien, elle a dit qu’elle voulait le suivre en Duscur, et que ce serait l’occasion de renouer ensemble pendant ce voyage… si j’ai bien compris, le seigneur Alix est venu lui voler dans les plumes à ce sujet et le seigneur Rodrigue a aussi tenté de le faire revenir à la raison concernant Son Altesse mais, rien à faire, le roi n’écoutait que Patricia et son frère… alors…
Le bruit du poing de Thècle qui s’abattit sur le comptoir la fit taire, son visage furieux éclairé par son emblème. Elle était hors d’elle… tout… tout…
– Tous ces morts… ma grande sœur… mon petit frère… ma propre fille… mes neveux et nièces, mes beaux-frères et belles-sœurs… nos citoyens… tous ces gens… tous ces gens sont morts parce que cet abruti voulait absolument renouer avec sa femme, femme qui est un risque pour la sécurité nationale au passage, qui a eu le culot de le pousser dans cette direction parce qu’elle n’était pas contente car pour une fois, Lambert a agi en roi et banni quelqu’un de dangereux et encore, uniquement parce que notre famille était sur ces talons avec une Myrina furieuse derrière l’épaule ! C’est ce que vous êtes en train de nous dire ?!
La servante hocha la tête, provoquant encore plus l’ire des deux sœurs. Se reprenant un peu, Lachésis demanda, même si elle ne se faisait guère d’illusion là-dessus, histoire de voir à quel point Lambert avait craché sur tout, autant son rôle de roi, de père et de mari.
– Au moins… est-ce qu’au moins, elle était digne d’Héléna ? Lambert, je n’en parle pas, seule une truie est digne de lui, et se serait insulté la truie de lui imposer un mari pareil mais, est-ce qu’au moins humainement, cette Patricia ou Anselma était digne de la grande reine qu’était ma sœur ? Est-ce qu’elle était digne d’être la belle-mère du fils d’Héléna et a été une aussi bonne mère pour lui que notre Nitsa l’aurait été ?
– Hélas non… au début, ça allait mais, je pense qu’elle était un peu intimidée et encore choquée par ce qu’elle avait fui, elle tentait même de se lier d’amitié avec les Fraldarius. Mais assez vite, sa vraie nature est ressortie… elle était capricieuse, il fallait sans cesse que tout ce qu’on faisait corresponde exactement à ce qu’elle voulait, même si c’était impossible à réaliser. Ça devait être pile ce à quoi elle pensait et ce qu’elle voulait sinon, elle n’acceptait rien, que ce soit sa nourriture, ses vêtements, la décoration de ses appartements ou même la réalité. Les Fraldarius lui disaient souvent non et la ramenaient sur le sol de Fodlan alors, elle ne les aimait pas, point. Et elle était aussi extrêmement jalouse, même des gens qui ne peuvent plus rien lui prendre… je pense que c’est une habitude qu’elle a pris au harem impérial mais, elle ne supportait pas que Lambert parle de sa première femme devant elle, même si c’était au prince, alors que Sa Majesté Héléna est sa mère. Un autre point de friction avec les Fraldarius d’ailleurs, ils ne se gênaient pas pour parler de Dame Héléna devant elle. Donc non, elle n’était pas digne de lui succéder à la place d’épouse de roi… c’est pour ça que j’en ai plus rien à secouer de balancer tout ça, j’ai été chassé sans salaire maintenant qu’elle est morte, c’était une patronne horrible et Lambert fait n’importe quoi, il ne mérite pas que je me taise !
– Cette femme est jalouse au point d’envier une morte ? Et au point d’interdire à son mari de parler à son enfant de sa mère qui ne l’a jamais connu ? Mais achevez-nous à ce stade d’indignité !
– J’ignorais également tout cela, marmonna Ludovic après Thècle, attentif sans rien laisser transparaitre. Enfin, en cherchant un peu, on devrait retrouver ce qui est lié à cette Patricia, Anselma ou peu importe. En tout cas, Lambert prouve une fois de plus qu’il pense plus à ce qu’il veut lui et son entourage proche, qu’à ce dont le Royaume a besoin. Il y a eu un conflit avec l’Empire autour du plateau de Brionnic, n’est-ce pas ? Alors, autant éviter un maximum de donner plus d’argument à Ionius pour convaincre son ministre des armées de nous attaquer, encore moins pour « sauver » une personne ou deux au détriment de milliers d’autres.
– Dans les deux cas, il aura de nos nouvelles dès demain, croyez-nous sur parole, menacèrent les deux sœurs, furieuses et humiliées.
Elles descendirent d’une traite leur verre qu’avait rerempli le père Mercier pour se calmer, puis les remercièrent pour ses informations et de repartirent, elles avaient une longue nuit qui les attendaient, surtout qu’elles avaient bien l’intention de prendre Lambert au saut du lit. L’élément crucial d’une embuscade était l’effet de surprise qui empêchait de s’organiser correctement et de se défendre, faute de renseignement ou de préparation insuffisante.
Cette caricature de roi avait envoyé leur famille à la mort dans une embuscade à cause de sa stupidité, il méritait de se prendre un retour de bâton équivalent.
De son côté, le père Mercier regarda Ludovic poser encore quelques questions à la femme, tout en prenant des nouvelles du bucheron avec qui il avait combattu au marché noir, Tristan, même s’il lui passa une tisane avec un peu de menthe forte trouvée à l’orée de la forêt. L’odeur fraiche lui débouchait bien les bronches, même si c’était mettre un bandage sur une jambe de bois. L’air même de la ville attaquait ses poumons sans pitié, comme s’il les pourrissait à l’intérieur même de son corps… ça devait le faire souffrir horriblement mais, Ludovic ne montrait rien et gardait la tête haute malgré tout…
« Le drame de Ludovic, c’est d’avoir un corps aussi fragile et d’être mal-né malgré son emblème… songea-t-il en lui donnant le breuvage tout chaud. Il serait né dans une grande famille, il aurait fait un excellent seigneur, même s’il aurait eu un règne court si sa santé ne suivait pas… »
Le jeune homme prit le verre en le remerciant, le tavernier décryptant son sourire si discret mais reconnaissant.
« Je vous rendrais votre gentillesse, je vous le promets, » souffla Ludovic une fois ses bronches dégagées.
Le connaissant, le père Mercier n’en doutait pas une seconde.
*
Quand il ouvrit les yeux, Lambert mit un peu de temps à comprendre où et quand il était. Il faisait sombre, la nuit ne devrait pas tarder à tomber et des nuages recouvraient le soleil, plongeant le ciel dans l’obscurité profonde et dans un torrent de pluie démentielle… on se croirait en plein milieu de la nuit…
Une petite flamme s’alluma dans le coin de ses yeux, éclairant tout son monde alors qu’il se rendait compte qu’il était dans la grande salle de Garreg Mach… Héléna la tenait dans sa main, illuminant une table où était assis Rodrigue et Alix côte à côte en se partageant un livre, faisant face à sa première épouse et Félicia ainsi qu’Ivy qui était assis à l’envers sur une chaise, les bras croisé sur le dossier et la tête dessus… c’était à la fois si proche et si lointain… à peine vingt ans pourtant et tant de chose avait changé… Lambert se souvient alors de ce jour-là, à l’académie des officiers… un orage de tous les diables les avaient obligés à passer leur dimanche à l’intérieur alors, en se perdant dans la bibliothèque en cherchant de quoi lire pour passer le temps, les jumeaux étaient tombés sur un recueil de chant de Faerghus. Ils s’étaient donc amusés à chanter les différents airs du recueil une bonne partie de l’après-midi pour tout le monde, une petite troupe finissant par se former autour d’eux pour les écouter. Leur voix avait toujours été magnifique…
La lumière de la flamme éclaira le visage halé d’Héléna, faisant revivre ses yeux d’aigue-marine et sa longue chevelure blonde tressée, notant avec nostalgie et regret qu’elle partageait sa crinière indomptable avec leur fils… son visage était à la fois si semblable et si différent de celui de Patricia… comme éclairé par une chandelle, on ne pouvait que voir son calme, son sérieux et son doux sourire à la fois si rare et si précieux… elle rayonnait force et de santé dans chaque morceau de son être…
« Héléna… »
Le veuf leva la main, la tendit vers sa première épouse, cherchant à se rapprocher de sa douce chandelle qui lui avait réchauffé les mains tant de fois, le guidant sur le bon chemin avec sa lumière rassurante…
Les jumeaux changèrent alors d’air, se mettant à entamer la « Supplique de Fraldarius », même si aucun des deux n’aimaient les hypothèses autour de cette chanson. Ils appréciaient la chanter pour toutes les émotions à l’intérieur mais, trouvait que l’interprétation des érudits autour ne collait vraiment pas à ce qu’ils ressentaient dans les paroles…
« Dans la nuit sans étoile, le vent mugit dans le noir,
Les ronces m’écorchent et m’enserrent en riant,
Les chaines cruelles boivent sans soif mon sang,
Ô dieux, à la lune je ne peux que hurler mon désespoir, »
La voix des jumeaux s’immisça dans ses pensées, les parasitant avec leurs paroles étranges et inquiétantes alors que la flamme dans les mains d’Héléna faiblissait…
Deux yeux bleus d’eau percèrent la pénombre, avant qu’en n’émerge une silhouette longiligne, forte et presque invisible dans l’obscurité, avant qu’il ouvre une gueule écarlate, remplie de longs crocs comme d’immenses croissants de lune, coupants comme des sabres… Lambert s’écria alors, même s’il le reconnut tout de suite, mort de peur pour son épouse.
« Héléna ! Attention ! »
« Dans le froid de l’hiver, la bise se moque de moi,
Tous mes os se figent un par un,
Ils se pétrifient jusqu’à la fin,
Ô dieux, à la lune je ne peux que hurler mon effroi,
Cependant, le loup se contenta de lui donner un petit coup de truffe à la jeune femme, attirant son attention avant de lui montrer un chemin. Sans hésiter malgré sa méfiance naturelle, peut-être parce qu’elle reconnaissait ses yeux d’eau, Héléna le suivit sans hésiter, s’enfonçant dans un couloir sombre avec lui.
Fou d’inquiétude et de peur que ça dégénère après sa crise de colère, Lambert les suivit en courant, essayant de les rattraper mais, quand il sortit du boyau, il n’était plus à Garreg Mach… non… non… il était de nouveau entouré des corps Duscur…
Héléna portait à présent sa longue robe blanche et bordeaux, brodé de son emblème et de l’astre céruléen, ses longs cheveux dénoués battant en silence dans le vent à la fois brûlant et glaciale, portant ses mots étranglés alors qu’elle se baissait vers les morts…
« Nia… Momon… »
Elle se releva, ses gestes saccadés faisant penser à ceux d’une poupée désarticulée, choquée en découvrant d’autres corps portant leur emblème, des visages d’adultes qu’elle n’avait connu que pendant leur enfance, des gardes et des fidèles de sa famille…
« Tous… tout le monde… »
Sa voix s’étrangla d’un coup alors qu’elle s’élançait vers la dernière personne que Lambert aurait voulu qu’elle voie, n’arrivant pas à la rejoindre avant qu’elle ne trouve la tâche bleu roi dans cet océan de blanc et de brun-rouge…
« Oh non ! Dimitri ! »
Héléna se précipita vers lui en enjambant les corps comme elle pouvait, le prenant tout de suite dans ses bras en utilisant la magie de soin, murmurant à leur fils, même s’il ne pouvait pas l’entendre, brûlé et étranglé de fumée…
« Dimitri… tient bon… tient bon… je vais te soigner… Mitsos… »
« Dans le noir des ténèbres, même le soleil cruel est ennemi,
Mes yeux déjà asséchés de larmes brûlent,
À sa vue dont ils ne supportent plus la férule,
Ô dieux, à la belle lune j’hurle, elle est ici ma seule amie. »
Le loup réapparut, s’asseyant à ses côtés en passant sa truffe sur les cheveux calcinés du blessé… Héléna se tourna vers lui, le fixant droit dans les yeux, telle qu’elle était avant sa mort. Sa peau semblait livide malgré son teint halé, des cernes sombres et profondes balafrant son visage, ses longs cheveux hirsutes et cassants comme de la paille… tel que la peste l’avait laissé…
« Tel que toi, tu l’as épuisée… susurra le loup sans qu’Héléna semble l’entendre, cette dernière lui demandant sans hésiter.
– Qui… qui a fait ça à mon fils ?
Sans un mot, le loup tourna alors son regard vers Lambert, retroussant ses babines dans un sourire satisfait quand Héléna se redressa, fixant son mari alors que son visage choqué changeait, s’enflammait de colère, le criblant du regard avec fureur.
« Ô Lune, grande lune si belle qui m’écoute toujours chaque nuit,
Ce soir, malgré les ronces qui m’étranglent et toujours me lacèrent,
Je te hurle mon désespoir, je te hurle ma rage, je te hurle ma prière,
Ô Lune, entend mon sort hurler au fond de cette prison de suie ! »
– Lambert… comment as-tu pu… comment as-tu pu emmener notre fils ici… comment as-tu pu emmener mon fils dans une expédition aussi dangereuse ?! Tu aurais dû le laisser au palais en sécurité ! Il n’avait rien à faire dans une expédition pareille !
– Héléna… je… je te jure que je ne pensais pas que ce serait aussi dangereux pour lui… lui promit-il en essayant de s’approcher d’elle, ouvrant ses bras. J’aurais su, jamais je ne l’aurais…
– Tout le monde t’a prévenu, le coupa-t-elle en se fermant, se mettant entre Lambert et Dimitri, comme pour le protéger. Myrina t’a dit et répété que ce passage était très dangereux et qu’il ne fallait surtout pas t’attarder dans ce piège à rat. Kimon t’a dit que tes lettres étaient mal faites et tes promesses irréalistes alors, il fallait travailler à nouveau avec les ambassadeurs pour trouver des accords plus réalistes mais que dans tous les cas, cela allait abimer nos relations avec Duscur, ce qui incitait à encore plus de vigilance. Lachésis t’a dit plusieurs fois qu’il fallait faire arrêter Kleiman et le mettre sous les verrous afin d’éviter qu’il n’aggrave encore plus la situation, et Thècle qu’elle avait besoin de plus de temps pour examiner son cas pour le juger. Tu as refusé et résultat, il continue à massacrer d’autres êtres humains sur la frontière sans que tu ne remarques rien et avec l’accord de Rufus. Rodrigue t’a répété plusieurs fois à quel point c’était dangereux pour Dimitri de l’emmener, et à quel point ils n’avaient pas le temps de tout préparer correctement pour assurer au maximum la sécurité de tout le convoi, Alix aussi te l’a encore répété avec force. Mais tu n’as écouté personne et maintenant, tout le monde est mort par ta faute ! Tu as le sang de notre propre enfant sur les mains !
– Héléna… je… je…
« Même si je suis prisonnier, je m’évaderai !
Même si je ne suis plus que mon désespoir, je m’en servirai !
Même couvert de chaines, jusqu’à la dernière je les lacérerai !
Ô lune ! Au pire des maléfices je me sacrifierai ! »
Il tenta encore de s’approcher malgré tout mais, sa première épouse enflamma ses mains avant de les serrer en poing, prête à frapper pour défendre Dimitri derrière elle, tout semblable à plusieurs représentations de la Flamme Passionnée, protégeant les siens en s’enflammant elle-même. La douce chandelle semblait être tombé dans l’huile, se propageant partout autour d’eux pour plonger la vallée étroite dans des flammes bleues, embrasant un grand bûcher funéraire pour les morts et un cocon protecteur pour Dimitri.
Lambert paniqua, sentit ses doigts fondre dans cette fournaise de plus en plus infernal, emportant Héléna à qui Dimitri s’accrochait à présent, le laissant seul. Il crut entendre la voix de Patricia au loin, l’appelant vers elle mais, ses appels ne firent que rendre les flammes encore plus fortes, plus cruelles, creusant sa peau alors qu’il tentait en vain de trouver une issue, un passage, une échappatoire… n’importe quoi qui pouvait le faire sortir d’ici !
« Que les dieux qui m’abandonnent me haïssent aujourd’hui,
Car moi la pauvre créature enfermée sort ses crocs acérés,
Même si devenir une bête est le pire des sorts à redouter,
Je suis prêt à en être une pour sortir de cette prison honnie ! »
En levant les yeux, suivant l’origine du chant qui résonnait tout autour de lui, l’homme vit à nouveau le loup le fixer depuis le sommet des ravins, la tête sur ses pattes, souriant toujours à pleines dents en le voyant se débattre, se tortiller dans les flammes en essayant en vain de s’échapper.
« Toi… ! »
Emporté par sa propre colère de la farce grotesque que lui imposait le loup qui avait remplacé son ami, Lambert arriva à trouver assez d’élan pour sauter, attraper le rebord de la falaise et à se hisser là où était la bête cruelle, rien que pour lui faire ravaler son sourire après avoir monté Héléna contre lui. C’était sa faute s’il cauchemardait à ce point ! C’était sa faute si elle était aussi en colère et fatiguée !
Cependant, quand il arriva à se hisser au sommet battu par le blizzard, le loup s’était un peu éloigné, riant toujours à la manière de Foa alors qu’il se relevait, un rire saccadé et malade, comme s’il se moquait de lui, le trouvait pathétique de tenter de l’attraper.
« Reviens ! Reviens et rends sa place à…
– Seulement si tu arrives à me rattraper ! Ghia ! Ghihi ! Ghihihi ! Que la Lune voie qui gagne ! »
Il repartit en riant, tâchant la blancheur éclatante des lieux avec sa noirceur de ténèbres, le forçant à s’enfoncer dans le blizzard. Lambert le suivit comme il pouvait mais, il était bien plus lourd que lui, ses pas s’enfonçant dans la neige épaisse, le noyant presque dans la poudreuse tranchante, alors que le loup courrait à vive allure sur le manteau neigeux et craquant, seules de légères traces de pattes vite recouvertes par le blizzard marquant son passage alors qu’il chantait à nouveau.
« La roue du destin tourne et tourne,
Les routes se mêlent et s’entremêlent,
Les saisons passent et vite trépassent,
On ne reconnait plus rien du tout !
Je cherche mon chemin ! S’écria le pauvre fol,
De quel chemin parles-tu ? Répondit la Lune
Le glorieux chemin que m’a destiné la fortune !
Qu’il est orgueilleux ! Ce pauvre fol est frivole !
Car notre chemin n’est jamais par un autre tracé,
Il est toujours fait de milles et milliers de pas bien décidés,
Il est toujours soigneusement pavé par notre seule volonté,
Tu as toi-même décidé par tes choix de te blesser !
Mon pauvre fol orgueilleux ! Ta pitoyable errance…
…n’est que le résultat de ta propre ignorance ! »
« Tais-toi ! C’est faux et tu le sais ! Je n’ai jamais décidé que tout tournerait ainsi ! Jamais je ne voulais que…
– Mais tu as tout de même décidé que tu mènerais le Royaume à sa perte.
Lambert s’arrêta net, figé en découvrant son père au sommet de la montagne, Areadbhar luisant dans ses mains, en grand habit de monarque, la couronne d’or de Loog ceignant son front, illuminé par la Lune… après avoir rencontré Blaiddyd en personne, Lambert ne pouvait que voir que Ludovic avait exactement les mêmes yeux que leur ancêtre… le loup était là aussi, allongé aux côtés de l’ancien roi, toujours aussi satisfait de lui-même, le narguant toujours… c’était encore plus cruel de sa part en sachant ce que son père allait lui faire remarquer…
– Regarde Lambert, lui ordonna son père en montrant la vallée en contrebas. Regarde le résultat de ton indécision et de tes décisions. Regarde les conséquences de tes actes.
Bien obligé d’avancer, l’homme obéit et regarda au bas de la colline. Tout était sombre, tout était plongé dans le noir sans aucun soleil à l’horizon… comme sans lendemain… il n’y avait personne aux alentours, juste des ombres indéfinis, comme vidé de toute vie…
– Non… il y a encore de la vie en Faerghus… on arrivera à se relever… on…
– Tu répares ce que tu as brisé toi-même, répliqua Ludovic avec sa voix froide, serrant Areadbhar entre ses mains. J’avais laissé derrière moi un Royaume sain, prospère après tant d’année de guerre et de terreur… toute ma vie, j’ai travaillé afin que le règne de mon père ne se répète pas… que tant de personnes ne subissent pas à nouveau de telles atrocités…
– Mais je n’ai jamais voulu faire le moindre mal à mes sujets ! Je ne les ai jamais entrainés dans des guerres sanglantes !
– Non, en effet. Mais tu méprises leurs vies tout autant que lui, bien que ce soit de manière différente. Clovis se moquait éperdument de la vie des autres, seule la sienne comptait, et il les envoyait à l’abattoir sans hésiter ou remord. Toi, à cause de ton inconscience et de ta naïveté, tu agis sans prendre en considération les risques qu’encours tout le monde, car tu es persuadé que tout se passera bien et que sinon, ce sera possible de réparer ce que tu as brisé, alors que rien ne peut rendre une vie perdue ou réparer cette absence… le tout en écoutant de moins en moins les voix qui s’élevaient contre toi et te conseillaient d’être plus prudent, et en n’écoutant que les personnes qui ne cherchaient qu’à profiter de la situation… souffla-t-il en passant sa main sur la tête du loup, avant de le fixer droit dans les yeux. Et vois où tout ceci t’a mené… mon plus grand regret est d’être mort aussi tôt, trop vite pour t’empêcher d’accéder au pouvoir. Tu n’as pas les épaules pour être roi, tu n’es pas fait ni digne d’une telle tâche, » sanctionna-t-il alors que du sang tuberculeux coulait de sa bouche, comme quand il retenait ses toux avant de mourir, mais il restait malgré tout droit et ferme, seuls ses poings tremblant de colère. « À cause de ma propre faiblesse, j’ai laissé le Royaume entre les mains d’un inconscient qui a tout détruit sur son passage en étant persuadé de bien agir, et cela l’a conduit à sa ruine. Le Royaume est meurtri par le deuil, la colère et le ressentiment, la faim le gangrène, la maladie guette dans la pénombre, attend son heure pour tourmenter encore plus notre peuple… il se délite même, Gautier est déjà en train de faire sécession vers Sreng où ils ne seront plus obligés d’obéir à tes ordres lunaires, et que crois-tu qui se passera quand Fraldarius apprendra ce que tu as fait à ses ducs ? Quand ils verront Rodrigue et Alix revenir sous la forme de loups tourmentés par le désespoir ? Que pensera Galatéa en voyant que Rufus les a déjà abandonnés ? Charon en voyant ta mauvaise gestion et quand ils apprendront l’affront que tu as fait à leur sœur ? Que penses-tu ce qui va arriver à Faerghus après tout ce que tu as fait et laissé faire ?
Lambert ne répondit pas, regardant son père sans savoir quoi dire… à part pour le fait que les Charon n’apprendront jamais pour Patricia, encore plus maintenant que… il avala sa salive en repoussant tout ce qui avait pu lui arriver…
– Et elle, elle est partie volontairement dans un voyage qu’elle a voulu. Elle n’a pas été arraché de force à ses proches.
L’homme jeta un regard au loup, à présent debout en regardant au loin, semblant chercher quelque chose dans les flammes. De près, on voyait ses côtes saillantes, des blessures sanguinolentes tachant sa fourrure de nuit, que ses grands yeux de chat étaient rougis de larmes… Ludovic se baissa vers le loup pour passer ses mains sur la tête du loup, doux et calme, moins froid avec lui qu’il ne l’avait jamais été avec presque personne d’autre… même si Lambert savait en son for intérieur que son père avait été chaleureux avec lui, souvent même avant que la politique et la question de la succession n’envenime leur relation, il ne put empêcher la jalousie de ronger son cœur, sachant à quel point Ludovic aurait préféré que ce soit ce loup son héritier plutôt que lui…
– Que de vies perdues et ruinées à cause de ton inconscience et de ma propre faiblesse…
Le loup passa un coup de langue sur la joue de Ludovic, avant que l’ancien roi ne se relève et le regarde dans les yeux, sa colère gelant Lambert sur place.
– Que pensais-tu accomplir en te comportant en tyran n’écoutant que ses ennemis ?
Lambert n’eut pas le temps de répondre, Ludovic disparut dans un tourbillon de neige, le lacérant de toute part alors que tout devenait de plus en plus sombre tout autour de lui… le plongeant dans les ténèbres les plus froides et terrifiantes…
Un fredonnement incompréhensible grouilla dans l’obscurité humide, le glaçant malgré sa familiarité…
Les ténèbres se dissipèrent à peine, alors que Lambert échouait dans une forêt noueuse et sombre… il faisait tellement humide, on se serait cru dans l’eau tellement l’air en était saturé… ces bois n’étaient pas éclairés par le soleil, seule la lune, l’Astre Céruléen et les étoiles tâchaient la nuit, éclaboussant les branches noires et emmêlées les unes les autres de leur lueur blafarde… ce n’était même pas ce qui illuminait vraiment sa vision, mais une forme blanche au fond du chemin, appelant encore et encore quelque chose mais, Lambert ne comprenait pas un seul mot de ce que disait la silhouette, floue comme un reflet dans une flaque… il s’approcha, hésitant avant de vraiment de retrouver le loup qui reprenait forme humaine en chantant toujours…
« Au clair de la lune, le vent chante,
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante.
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection si douce te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte,
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
Rodrigue était apparu face à lui, tout différent de celui qu’il était avant de se transformer. Ses joues étaient de nouveau pleines, ses gestes plus assurés et précis, ses pas bien plus stables, son dos bien droit, son maintien fier et royal… il semblait à nouveau en pleine santé, comme avant… une grande peau du loup recouvrait ses épaules comme une grande cape, cachant un peu son habit sarcelle et blanc pur, le rendant presque lumineux au milieu des ténèbres. Son chapelet était autour de son cou plutôt que sur son poignet droit, l’emblème de Fraldarius reposant sur son cœur, de nouveau en bon état alors qu’avec le temps, l’homme l’avait tout abimé à force de faire rouler les perles et de serrer les breloques dans ses prières… Un cercle d’argent orné de pierres de lune ceignait ses boucles noires, vibrant presque avec sa peau si pale… il avait l’air d’un meneur de loup, comme un être de légende sorti tout droit d’une chanson de geste… le roi de la forêt et de la nuit venant voir en personne qui avait osé franchir la frontière de son Royaume…
Ses yeux de chat se posèrent sur Lambert, profond comme le lac, illisibles… ce n’est qu’à ce moment-là que l’homme se rendit compte que le loup… l’homme face à lui… Rodrigue… peut-être… avait un foulard autour de lui, fait pour porter un enfant, vide, ainsi qu’une besace surement remplie de quoi soigner… il devait encore le chercher partout…
« Que… que veux-tu ? Demanda Lambert. C’est toi qui as provoqué tout ceci, n’est-ce pas… ?
– Quoi donc ?
– Tout ce qui vient de se passer ! Héléna ! Ludovic ! Duscur ! Dimitri ! Même la voix de Patricia ! C’est toi qui me les as montrés ! C’est toi qui les as amenés ici et les monter contre moi !
– Toi ou moi ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ? Explique-toi à la fin ! Et pourquoi tu te riais de moi tout à l’heure ?!
– Est-ce tes actions ou les miennes qui les ont rendus furieux ? Personnellement, j’ai ma réponse, se moqua-t-il avec un sourire qu’il n’avait jamais vu sur le visage de Rodrigue. Dans tous les cas, c’est bien mérité. Ce mépris et ce rejet sont tout ce que tu mérites.
Lambert eut un mouvement de recul face à son ami. Même s’il était redevenu humain, tout son comportement ressemblait à celui d’un loup tournant autour de sa proie, l’épuisant avant de sauter sur elle et lui rompre le cou pour la dévorer…
Rodrigue voulait le dévorer… il attendait le moindre signe de faiblesse pour lui sauter dessus et finir de le décapiter, il en était sûr… !
– Comment as-tu pu changer comme ça… osa demander Lambert. Nous… nous étions amis…
– Amis… répéta-t-il en posant sa main sur son menton, l’étudiant avec un mélange de mépris et de sarcasme, jouant encore avec lui en le faisant attendre. Amis ou outils… tu n’as fait que m’utiliser pour faire ton travail à ta place, tout comme Rufus… m’épuiser jusqu’à la dernière goutte de force et d’espoir… comme tu l’as fait pour Héléna… puis tu m’as tout pris… tout… tu m’as pris tout ce qui comptait pour moi, le tout en souriant tout le temps et en étant persuadé de le faire pour le bien de tous, alors que tu ne faisais que satisfaire tes propres désirs et ton égocentrisme…
– Tu sais bien que je ne pensais pas à mal… marmonna encore Lambert en détournant le regard, ne pouvant pas supporter de voir ce qu’était devenu son ami, ce regard froid et cruel sur son visage d’habitude si gentil et chaleureux. Je ne pensais pas que je te faisais souffrir au point de te… !
– Allons, relève la tête, lui ordonna-t-il sur un ton amical et enjoué, encore plus terrifiant que tout le reste ici, comme si tout ceci n’était qu’un jeu pour lui. Ait au moins le courage de regarder tes victimes en face quand elle vienne te demander des comptes. Et tu ne savais pas que tu me faisais souffrir ? Répéta-t-il. Tu ne savais pas qu’emmener mon enfant et mon compère de force dans un voyage aussi dangereux me faisait souffrir ?
Il fit un premier pas de loup dans sa direction.
– Tu ne savais pas que nous forcer à tous la main d’envoyer nos sujets et nos proches à la mort nous faisait souffrir ?
Un autre pas.
– Tu ne savais pas à quel point être obligé de te laisser autant de pouvoir sur Glenn me faisait souffrir ?
Encore un autre pas.
– Tu ne savais pas qu’agir comme si la mort de son père n’était pas importante pour Dimitri, que tu traites la mort aussi à la légère me faisait souffrir ?
Malgré la menace, Lambert était incapable de bouger, happé par le tourbillon de question de l’entité face à lui, harponné par ses yeux si bleu posés sur lui.
– Tu ne savais pas que devoir tout faire pour encore réparer tes erreurs à ta place me faisait souffrir ?
Rodrigue était maintenant face à lui, posant encore et encore des questions avec ce sourire de loup, de plus en plus sombre et menaçant, semblant immense malgré sa plus petite taille.
– Tu ne savais pas que travailler pour l’homme qui a tué mon fils et mon compère me faisait souffrir ?
Rodrigue leva ses mains, armées de longs ongles semblables à des griffes, souriant toujours, la lune se reflétant sur ses crocs blancs.
– Tu ne savais pas que m’arracher mon louveteau et mon frère me faisait souffrir ?
Il enroula ses doigts griffus autour de sa gorge, le tirant jusqu’à ce qu’il soit front contre front en crachant la dernière question.
– Tu ne savais pas à quel point je te hais pour m’avoir tout prit ? À quel point je te hais de toute mon âme depuis ce jour où tu es rentré sans eux ? Que tu es naïf… c’est à vomir…
Il serra en grognant, son sourire et son masque abandonné, ne laissant qu’une émotion brute de haine, de dégout et de détestation gravé au plus profond de sa voix et de son être.
– Rends-les-moi… rends-les-moi ! Rends-moi tout ce que tu m’as volé !
– Rodrigue ! » Protesta Lambert en tentant de se libérer, accrochant ses propres mains à celles de l’homme en échouant à le faire lâcher prise malgré sa force… est-ce qu’il était vraiment devenu un être surnaturel pendant qu’il s’était transformé ?! Il semblait sortir d’un autre monde ! « Je t’en supplie ! Calme-toi !
– Rends-les-moi ! Je veux mes enfants ! Je veux ma famille ! » S’écria-t-il, tout croc dehors, en serrant encore plus fort, assez pour le griffer… du sang coulait le long de sa gorge… il était sur le point de l’égorger ! « Tu as répandu le sang de Glenn et de Nicola pour survivre comme le vampire que tu es ! C’est à cause de toi qu’ils sont morts ! Rends-les-moi tous les deux !
– Je ne peux pas ramener les morts !
– Il fallait y penser avant ! Tu nous demandes l’impossible alors, fait-le aussi ! C’est leur sang qui te permet de vivre aujourd’hui ! Rends-le-leur ! Rends-leurs tout le sang que tu leur as volé !
– Rodrigue… tu m’étrangles !
– Rends-moi Glenn ! Rends-moi Nicola ! Et surtout, rends-moi Félix ! Rends-moi mon louveteau ! Tu es allé jusqu’à me prendre mon seul enfant qui me restait ! La dernière personne que Félicia a rencontrée et aimée plus que sa vie avec Glenn ! Tu nous as pris notre dernier petit ! La personne que j’aime le plus au monde ! Tu as même osé m’arracher Félix par caprice après avoir tué Glenn par inconscience ! Je veux retrouver mon louveteau ! Rends-le-moi !
– Rodrigue ! Je… Lambert haleta, ayant du mal à parler, perdant de plus en plus d’air. Je ne peux pas le récupérer comme ça… Dimitri doit vou…
– Rends-moi mes fils ! Rends-moi le seul fils qui t’a échappé ! Rends-moi Félix ! Arrête de te comporter comme un enfant gâté et rends-moi Félix ! Je veux ma famille ! Lui, tu ne pourras pas me le voler ! Pas lui aussi ! Je ferais tout pour récupérer mon enfant ! Tout ! » Lui jura-t-il en serrant encore plus fort ! Il allait finir par faire sauter sa tête en déchirant son cou ! « Alors, rends-le-moi ! Maintenant !
– Rodrigue ! Par pitié ! Arrête ! »
Lambert se réveilla d’un coup en hurlant, reprenant son souffle à grandes bouffées sans pouvoir s’empêcher de presser ses mains contre sa gorge, s’attendant pratiquement à sentir du sang et des entailles profondes sous ses doigts… il sentait encore les mains de son ami la saisir et serrer… lui hurler de lui rendre sa famille… lui hurler sa haine… non… ce n’était pas possible… Rodrigue ne pouvait pas le considérer ainsi… le haïr avec autant de force… ce n’était qu’un cauchemar… rien qu’un cauchemar… rien de plus…
Pourtant, il entendait encore le cri, le hurlement du loup résonné dans la nuit alors qu’il s’échappait enfin de ce rêve étrange…
« Je te hais ! »
L’homme fit tout pour repousser ce mensonge… c’était un mensonge, c’était forcé… Rodrigue ne pouvait pas…
Malgré tout, le rêve continua à le hanter une bonne partie de la matinée, tellement qu’il finit par se résoudre par aller voir Rufus pour en parler malgré tout… il avait beau jurer qu’il n’avait rien à voir avec les exactions de Kleiman, que c’était juste un appui de circonstance pour une situation très tendue qui demandait tous les bras disponibles pour s’en sortir, Lambert ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine appréhension avec lui… comme si quelque chose dans ses mots sonnaient faux… cependant, Rufus restait son grand frère… son grand frère à qui il pouvait tout dire et tout partager, même les choses les plus inavouables ou gênantes… son grand frère qui l’avait toujours mis en confiance, pour le meilleur comme pour le pire mais, c’était déjà beaucoup quand on passait derrière un roi de la stature de Ludovic… il ne pouvait pas s’empêcher de lui faire confiance pour quelque chose d’aussi étrange qu’un rêve pareil… même si ça concernait Rodrigue et qu’il n’ignorait pas leur antipathie réciproque…
Lambert alla dans le bureau de son frère mais, en voyant qu’il n’était pas là, il décida de l’attendre, il ne devrait pas s’absenter bien longtemps… Rufus travaillait bien plus qu’avant la Tragédie, il avait aussi droit de prendre une pause de temps en temps…
« Même s’il aurait pu en accorder aussi à Rodrigue… enfin, c’est fait maintenant… »
Une petite cassette dans un coin du bureau attira l’attention de l’homme. Elle était tout simple, décoré de quelques vrilles végétales mais, il la reconnaitrait entre mille… Rufus y tenait beaucoup… la seule fois où il avait disputé Dimitri, c’était quand il avait voulu la récupérer pour qu’elle soit le coffre au trésor d’un roi maléfique dans un de ses jeux… même Lambert n’avait jamais vu ce qui avait à l’intérieur… il s’était toujours imaginé qu’il s’agissait de la correspondance intime de son frère, d’où son angoisse que qui que ce soit voit le contenu de cette cassette… même si Rufus avait aussi promis avec aplomb de lui montrer son contenu quand il reviendrait triomphant de Duscur… bon, pour le triomphant, c’était raté mais…
« Non… c’est à lui… c’est sa vie privée… il me le montrera quand il voudra… »
Mais c’était si tentant… et Rufus lui avait dit qu’il lui montrerait en plus…
Il ne perdait rien à juste la manipuler un peu…
La première chose qui étonna Lambert en la prenant dans ses mains était le poids de la boite. Elle semblait pleine à ras bord s’il se fiait à son poids, alors qu’elle semblait plus légère quand Rufus lui avait montré la dernière fois…
« Qu’est-ce qui a bien pu… »
Il ne put résister et força la boite, l’ouvrant sans souci avec sa force.
La cassette ne contenait que du papier, des lettres mêmes à première vue mais, ce qui étonna Lambert, c’était qu’il ne s’agissait pas de l’écriture soignée de Rufus… non… elle était bien plus biscornu, comme écrite par quelqu’un de plus jeune ou un gaucher étalant l’encre avec sa main en rédigeant… et il y avait plusieurs scriptes…
Même s’il se força à penser qu’il s’agissait des lettres de ses amants, des soupçons empoisonnèrent le cœur de Lambert alors qu’il dépliait une missive au sceau déjà cassé…
« Papa, pourquoi tu ne m’écris plus ?! J’ai plus de nouvelles de toi depuis des semaines ! Qu’est-ce qui se passe ?! »
« C’est l’écriture de Félix ! Mais qu’est-ce qu’une de ses lettres pour son père fait là ?! »
Lambert en sortit une autre, reconnaissant l’écriture d’Alix, le début de la lettre étant dans le même ton que la précédente.
« Rodrigue, je sais que tu ne vas pas bien, je le sens, je sens que tu es mal et que ça ne s’améliore pas… je ne sais pas pourquoi je n’ai plus de lettre de toi, est-ce que c’est à cause de ça ? »
Son sang se gelant de plus en plus, Lambert en sortit deux autres, portant cette fois l’écriture de Rodrigue, destinées à son fils et à son frère, également décachetées comme si elles avaient déjà été lues. Son ami parlait de ses mêmes inquiétudes, des lettres qui n’arrivaient pas et de son inquiétude… Même demande, même inquiétude… Déesse ! Qu’est-ce qu’elles faisaient là ?!
« Non ! On m’a volé mes lettres ! Alix a demandé à Ivy de lui faire passer une lettre de sa part où il disait qu’il n’en recevait plus de ma part, alors que je lui écris tous les jours et lui aussi ! Quelqu’un vole les siennes et celles de Félix ! C’est pour ça que je n’ai plus de nouvelles ! »
Il entendait encore le gémissement paniqué de Rodrigue, tout le désespoir qu’il n’avait pas perçu au départ dans sa voix, toute l’inquiétude et la peur qui se mêlaient ensemble à l’intérieur…
« Rufus ne peut tout de même pas être… »
Cependant, malgré tous ses efforts pour trouver des excuses à son frère, Lambert dut se rendre à l’évidence en se rendant compte que toute la correspondance volée de Rodrigue était là… les lettres qu’il avait envoyées, celles qu’il avait reçu… tout… tout était là ! Tout était ouvert ! Rufus n’avait tout de même pas tout lu ?!
Aucun doute, c’était lui le voleur de leur correspondance… mais… mais pourquoi ? Pourquoi faire ça ? Pourquoi faire quelque chose d’aussi cruel ?! Rufus détestait Rodrigue et Alix de toute son âme à cause de Ludovic mais, pas à ce point tout de même !
Lambert pensait ne pas pouvoir être plus horrifié mais, quand il vit des papiers roulés tout au fond de la cassette, semblant plus anciens et usés, même tâchés de sang pour certains, un doute noir lui dévora le cœur… non… non… non…
Il attrapa un rouleau et le déroula en tremblant…
« À mon Royaume, que j’ai toujours désiré servir au mieux… »
L’homme ne put que reconnaitre l’écriture de son père, la plume tremblante de Ludovic… le parchemin était même tâché de ses crachats de sang à cause de sa tuberculose…
Comme happé par le rouleau, Lambert ne put s’empêcher de continuer à lire les mots, même s’il se doutait du contenu… voir même le redoutait plus encore que les fantômes et les cauchemars…
« Malgré l’horreur, je n’ai jamais oublié le règne de mon père. Toute ma vie durant, je n’ai jamais oublié ces rues couvertes de sang, la terreur et la faim mais, ce qui me marqua le plus était son aplomb. Clovis était persuadé d’être dans son bon droit et ne le cachait pas. Même si ces actes étaient immoraux, il s’appuyait sur la loi en la détournant à son profit, devenant inarrêtable dans sa position de roi pour commettre toutes ses exactions. Dès lors, mon seul objectif fut de mettre Faerghus à l’abri d’un autre souverain tel que lui. « Protéger et servir le peuple du Saint-Royaume de Faerghus », tel a été la devise qui a guidé chacun de mes pas avec l’aide de mes proches pour que jamais, je n’en dévie un seul instant…
Lambert sentir son cœur battre à toute vitesse dans sa poitrine. Ce… ce parchemin… c’était le testament de son père… c’était le testament de Ludovic ! C’était Rufus qui l’avait pendant toutes ses années ?!
Cependant, une grande crainte demeurait : comment empêcher un autre Clovis d’arriver ? Comment empêcher qu’un autre souverain tel que lui ne monte sur le trône ? Ne soit imposer par le hasard cruel de la naissance ? Clovis était le fils ainé de sa mère et malheureusement pour l’orgueil de notre lignée, elle n’était guère plus recommandable que son fils. Elle était seulement qu’un peu plus discrète que lui mais, possédait les mêmes torts, centrant de plus en plus de pouvoir sur elle-même au détriment de ses contradicteurs mais, par ce geste, elle détruisait de précieux garde-fous qui pouvaient endiguer les exactions du pouvoir royal, soigneusement construit par Loog le Lion et sa fille Sophie la Sage. Ces deux souverains ont été élus avec peu d’avance, savaient qu’ils devaient composer avec l’ensemble de leur royaume et de leur peuple pour faire grandir Faerghus sans plus de violence après la guerre, que des contradicteurs n’étaient point des ennemis à anéantir mais, des personnes nécessaires à toute remise en question de chaque action, afin de peser le pour et le contre puis, changer d’avis ou camper sur ses positions une fois que nous ayons entendu tous les arguments.
Le passage à la succession filiale nous a assené un coup majeur, nous avons commencé à nous croire tel les Hresvelg, choisis par la Déesse pour régner et le pouvoir nous ait monté à la tête. Notre objectif n’était plus de servir notre peuple comme l’avait voulu le roi Loog, mais que notre peuple nous serve afin de gagner de plus en plus de pouvoir, centralisant toujours plus les fonctions de commandement sur notre propre personne et dépouillant nos adversaires des armes qui leur permettait de nous arrêter quand nos actions devenaient dangereuses pour notre peuple. Au comble de notre hubris, nous avons même commencé à traiter toute une lignée comme des objets jetables, des boucliers qui ne servent qu’à prendre les coups à notre place pour que nous puissions survivre, pendant que cette famille portait perpétuellement le deuil de tous ses membres sacrifiés aux Blaiddyd… Nos ancêtres doivent rougir de honte devant notre décadence…
J’aimerais dire que tout ceci s’est arrêté avec la mort de mon père mais, je ne me fais guère d’illusion. Le hasard fait qu’à chaque fois, à chaque naissance, à chaque génération, il y aura toujours un risque qu’à nouveau, un autre Clovis naisse. Je n’ai échappé à la décadence de ma famille que grâce à mon corps faible malgré mon emblème, inapte à la guerre et facilement malade, ce qui m’a permis de vivre au sein d’une famille aimante et normale, pour qui je ne ressent que de l’affection, et que je ne remercierais jamais assez pour leur accueil et leur amour, même si je les ai à mon tour meurtri d’un deuil dont je porte la responsabilité et la culpabilité chaque jour.
J’ai tout fait pour bien éduquer mes enfants, pour les emmener au plus loin des conceptions de leur grand-père et leur inculquer que ce n’est pas le peuple qui doit servir le roi, mais le roi qui doit toujours servir son peuple en premier lieu. Cependant, je me suis rendu compte que cela ne faisait pas tout… Mon fils Lambert est un homme au grand cœur, gentil et chaleureux, ainsi qu’un guerrier accompli à la force extraordinaire. Je suis fier de ses prouesses au combat et heureux d’être son père malgré notre relation compliquée. Il reste mon fils et je l’aime de tout mon cœur mais, cette amour ne peut masquer l’ampleur de ses défauts moraux.
Il est chaleureux mais, également négligent et naïf. Malgré tous mes efforts, jamais je ne suis arrivé à lui faire comprendre qu’on ne peut aider tout le monde, qu’il fallait choisir qui aider car, tout le monde n’a pas besoin d’aide de la même manière et qu’il fallait concentrer le soutien au plus faible mais, dans une vision naïve de l’égalité, il reste persuadé que le mieux à faire est d’aider tout le monde à part égale, sans se soucier du contexte de départ, ce qui le rend très inefficace et indécis dans des situations où il doit justement trancher un conflit sans pouvoir satisfaire tout le monde. Sa négligence envers ses proches combinée à cette naïveté et son entêtement pousse ces derniers à devoir ajuster tout ce qu’il fait, rattrapant avec les quelques pouvoirs que nous leurs avons laissés ou rendus ce qu’ils peuvent pour éviter de léser le Royaume.
La première victime de cette situation est malheureusement ma belle-fille, Héléna. C’est une femme brillante, avec un grand avenir devant elle, sachant convaincre même les plus entêtés comme son mari mais, cela est se fait au prix de grands efforts et de longues négociations qui ont malheureusement eu raison de sa santé. Puisse-t-elle me pardonner un jour de lui avoir imposer un tel époux, elle qui méritait de pouvoir monter bien plus haut que de se contenter d’être l’ombre balayant derrière le roi. Elle attend à présent leur enfant, et j’espère pouvoir vivre assez longtemps pour pouvoir rencontrer ce petit être que mon cœur sait déjà être exceptionnel, que j’aimerais de tout l’amour qu’il reste dans ma carcasse rongée par la tuberculose, mais mon esprit ne cesse de me rappeler à l’ordre, de me demander s’il ne risquerait pas d’avoir hérité des défauts de son père plutôt que des qualités de sa mère… et dans le même souffle, m’excuser envers lui et sa mère de leur imposer un père que je sais être aussi négligent. Je prie pour que la paternité le rende au moins responsable et prudent avec la santé de son enfant pour que jamais, il ne le mette en danger.
Au fil du temps, il s’est imposé à moi une chose : jamais mon fils ne doit monter sur le trône. Cette nouvelle position peut autant le rendre plus responsable, enfin lui faire prendre conscience des choses mais, je sais que cet optimisme n’est nourri que par mon affection, et je ne puis m’appuyer uniquement sur elle pour confier le destin de Faerghus à qui que ce soit. Ma raison ne peut que me rappeler à quel point le risque qu’il prenne encore plus confiance en lui ne le mène sur une pente glissante, une pente où il n’écoutera plus personne, même ses amis les plus chers à son cœur et ne se fassent manipuler par des ennemis qui sauront profiter de ses failles. Héléna s’épuise bien assez chaque jour pour éviter que cela arrive, je ne veux pas lui causer encore plus de tort.
Aussi trouverez-vous dans les papiers accompagnant ce testament la procédure complète à suivre pour que le prochain souverain soit élu, à la manière de Loog le Lion et de sa fille Sophie. C’est un projet qui me tient à cœur depuis des années et que je voulais mettre en place depuis mon accession au trône mais, mon corps me trahit avant que je ne puit l’organiser moi-même. Il est à peine fini mais, mes poumons me tuent lentement, rongent ma vie et l’absorbent pour nourrir la tuberculose qu’ils abritent. Je vous prie de pardonner mon inconscience et mon retard, tout le temps que j’ai mis avec mes proches à conclure ce système et de ne pouvoir le mettre en place moi-même. Ainsi, ce sera aux citoyens de Faerghus de choisir eux-mêmes le souverain qui leur convient, et ainsi, ils échapperont aux cruels hasards de la naissance, ainsi que de nouveaux garde-fous pour éviter tout débordement tel que le pays en a connu sous trop de mes ancêtres.
Ainsi, en mon âme et conscience, je me dois de l’admettre et reconnaitre que dans la situation actuelle, si je devais voter pour élire le prochain roi, ma voix irait aux jumeaux Rodrigue Achille Fraldarius et Alix Persée Fraldarius. Selon mon expérience, mon esprit et ma propre réflexion, ainsi que l’observation de leurs parcours et décisions antérieurs, ils sont les plus à même de prendre soin du Royaume pour le mener vers un jour meilleur.
Quant à mes fils, je me doute que Rufus ne me pardonnera surement jamais de refuser le trône à son frère. Lambert est de loin la personne qu’il aime le plus au monde, et je remercie la Déesse que mes fils s’entendent si bien mais, la raison doit l’emporter sur l’affection. Bien que je ne puisse pas arracher notre domaine à son contrôle, il sera au moins entouré par des conseillers et des baillis dont la fidélité est acquise à notre peuple et non à notre famille, et je ne doute point que les Charon sauront fournir des personnes compétentes et fidèles à Héléna. Je ne puis qu’espérer qu’elle trouvera quelqu’un qui l’aidera à échapper à tout ceci et si la situation s’empirerait encore, la force de quitter une personne ne lui apportant rien d’autre que de l’épuisement malgré ses sentiments pour Lambert.
Beaucoup diront sans doute que ces lignes ne sont que folies, nourries par la tuberculose qui me rongerait l’esprit mais, je jure devant la Déesse avoir encore toute ma tête. Toute ma vie, j’ai travaillé pour être digne des habitants du Saint-Royaume de Faerghus, digne de ce peuple fort et courageux qui s’est révolté contre l’injustice et la cruauté de l’empereur pour faire nation et vivre selon ses propres aspiration, digne de ce hasard qui m’avait élu roi d’un si grand peuple. Je suis conscient que l’élection du roi ne règlera pas tous les problèmes de notre pays, beaucoup de travail doit encore être fait avant que les sujets… que dis-je, les citoyens de Faerghus vivent dans un pays sain et absout des difficultés que nous connaissons à présent. J’ai commencé à tracer cette voie tout en reconstruisant le Royaume à partir des décombres qu’a laissé Clovis dans son sillage, je regrette de ne pouvoir plus avancer alors que mon corps me trahit. Je garde cependant l’espoir que les prochains souverains qui me suivront sauront tous avancer dans cette direction. Si tel que je l’espère, Rodrigue Achille et Alix Persée Fraldarius, sont élus, j’ai peu de doute sur le fait qu’ils sauront être dignes de cette mission.
Je vous souhaite une vie longue, heureuse et en sécurité à tous. J’espère de tout mon cœur que mes fils continueront à grandir et s’amélioreront avec le temps, bien malgré tous mes doutes. On dirait bien que ma raison ne peut pas complètement prendre le pas sur mon affection, et me pousse à croire à un avenir radieux pour eux. Je prie également pour que mon successeur connaisse un long règne de paix, une paix que mérite ce Royaume si résilient malgré toutes les difficultés qu’il a vécues.
En mon âme et conscience.
Ludovic le Troisième Clodomir Blaiddyd, dit le Prudent. »
Lambert se laissa tomber sur la chaise au fur et à mesure de la lecture, ne pouvant s’empêcher de relire plusieurs fois tout le rouleau. L’écriture était tremblante, saccadé comme si Ludovic s’était arrêté plusieurs fois à cause de ses toux, le parchemin tâché de sang témoignant qu’il avait encore dû en cracher, rendant la fin pratiquement illisible sous le sang, les tâches et l’encre baveuse, comme si on avait roulé le testament avant qu’elle n’ait fini de sécher…
« Ainsi, en mon âme et conscience, je me dois de l’admettre et reconnaitre que dans la situation actuelle, si je devais voter pour élire le prochain roi, ma voix irait aux jumeaux Rodrigue Achille Fraldarius et Alix Persée Fraldarius. Selon mon expérience, mon esprit et ma propre réflexion, ainsi que l’observation de leurs parcours et décisions antérieurs, ils sont les plus à même de prendre soin du Royaume pour le mener vers un jour meilleur. »
L’homme ne pouvait s’empêcher de relire ce passage encore et encore. Les noms étaient recouverts d’une énorme tâche de sang assez épaisse, ce serait surement illisible dans quelques années quand le parchemin aura encore vieilli mais, malgré tout, Lambert ne pouvait que les décrypter, les relisant encore et encore.
Son père l’avait complètement déshérité au profit de Rodrigue et Alix.
Des souvenirs parasites refaisaient surface, rappelant des séances de travail les réunissant tous, autant Héléna que les jumeaux. Lambert parlait beaucoup mais, se faisait souvent rappeler à l’ordre et réexpliquer les choses. Face à lui, Rodrigue analysait les situations en a rien de temps, devinant facilement l’origine des tensions, pendant qu’Alix proposait des solutions et Héléna le cadre pour les mettre en place. L’impression d’être à la traine malgré toutes les explications… le regard fier de son père qui couvait les jumeaux en disant qu’ils ressemblaient à leurs parents… même si Lambert n’avait jamais voulu ressembler à Ludovic à cause de leurs différences de caractère, encore moins à sa mère assoiffée de sang, il ne put s’empêcher de les envier… de vouloir entendre le même compliment sur son travail… comme eux deux… voir son père être fier de lui ainsi…
Ludovic lui faisait si peu confiance qu’il aurait préféré confier aux jumeaux de Fraldarius son précieux royaume, ce à quoi il tenait le plus au monde et pour lequel il s’était battu comme un lion depuis toujours… disait même qu’il s’excusait envers Héléna de l’avoir marié à lui… qu’elle aurait mérité mieux que balayer derrière lui…
À cette lecture, plusieurs souvenirs prirent une teinte différente, même les plus anodins. Même si Ludovic l’avait enlacé plusieurs fois pendant son mariage, Lambert ne put que noter qu’il l’avait aussi fait une fois avec Rodrigue et Félicia, leur souhaitant quelque chose qu’il n’avait pas entendu, même si le sourire de Rodrigue trahissait que c’était des vœux plutôt que des recommandations… sa proximité bien plus calme avec les jumeaux, ainsi qu’avec Héléna, les longues heures où ils pouvaient discuter tous les deux, alors que Lambert avait du mal à lui parler longtemps, cela finissait souvent en dialogue de sourd des deux côtés… même des souvenirs d’enfance prenaient un gout amer, les fois où son père se penchait vers eux pour leur parler, son regard attentionné…
Est-ce que… est-ce que Ludovic… est-ce que son propre père…
« Non… faut que je me reprenne… c’est la tuberculose… elle lui a fait perdre tous ses sens… Ludovic m’aimait aussi… il le dit dans son testament alors qu’il n’a aucun sens… et quand nous étions petit, c’était surtout de la culpabilité pour les jumeaux… Ludovic ne s’est jamais pardonné la mort de Guillaume. Il en a toujours pris la responsabilité… même ici, il le dit… ce qu’il ressentait, c’était surement de l’affection, mais aussi de la pitié et de la culpabilité… il s’en voulait pour la mort de leur père… »
« C’est ma faute… j’aurais dû être plus prudent et mieux anticipé les risques… Guillaume aurait survécu et les Fraldarius n’auraient pas été encore endeuillé par notre faute… à cause de mon inconscience, Guillaume est mort… lui avait déjà dit Ludovic sur la fin de sa vie, le visage encore plus sombre que d’habitude, son deuil ressortant encore vingt ans plus tard. J’espère que tu n’auras jamais à porter une telle responsabilité… autant ce deuil que la mort d’un de tes sujets. »
« Porter une telle responsabilité… le deuil d’un Fraldarius et d’un de mes sujets… si tu savais père… si tu savais ce que j’ai fait… »
Lambert relisait encore et encore le testament, ainsi que les autres travaux cachés dans cette cassette, presque compulsivement pour tenter de comprendre son père, l’entendre peut-être le sermonner pour ce qu’il avait fait, vouloir le faire parler même depuis sa tombe pour savoir quoi faire de ce testament dans une situation pareille, s’il devait le révéler et l’appliquer dès maintenant même si c’était évident que tout avait été écrit sous la dicté de la tuberculose mais, est-ce que cela ne ferait pas exploser le Royaume à un moment pareil ?! Enfer ! Il ne savait même pas s’il voulait que Rodrigue, Alix ou Héléna soient là pour en discuter vu comment Ludovic parlait d’eux ! Mais il avait tellement besoin de leurs bons conseils !
Cependant, la seule personne qui passa la porte n’était ni le Rodrigue qu’il connaissait qui saurait gérer la situation, ni Alix prêt à lui remettre les pendules à l’heure, ou Héléna lui présenter les différents chemins possibles en le conseillant pour le pousser vers le bon, mais c’était Rufus. Rufus qui avait…
Récupérant plus d’énergie que jamais depuis la Tragédie, Lambert se redressa d’un coup en montrant les lettres et le testament, fou de rage et de trahison.
« Rufus ! Tu peux m’expliquer ?! Qu’est-ce que ça faisait dans ta cassette ?!
– Tu l’as ouverte ?! Couina pratiquement son frère, pris au dépourvu par la question furieuse.
– Tu m’avais dit que tu me la montrerais après le voyage ! Et n’essaye pas d’esquiver la question ! Qu’est-ce que la correspondance de Rodrigue, Alix et Félix fait dans ta cassette ?! Et pourquoi le testament de notre père et ses travaux sur la monarchie élective y sont aussi ?! C’est toi qui as appelé les secours quand Ludovic s’est effondré à cause de sa tuberculose ! Est-ce que tu en as profité pour voler son testament et ses travaux ?!
– Calme-toi Lambert, je peux t’expliquer. Ludovic ne m’a pas laissé le choix… il ne savait plus ce qu’il faisait…
– Comment ça ? En quoi ? Et ça ne me dit pas pourquoi tu as cette correspondance ! Rodrigue l’a cherché partout !
– Ludovic allait te déshériter pour donner le pouvoir aux fils de Guillaume ! Il allait détruire notre famille pour préférer celle de son soi-disant grand frère ! Il n’avait aucun respect pour toi ! Il ne pensait qu’à ces foutus jumeaux qu’ils mettaient sur un piédestal en te dénigrant, car il aurait voulu qu’ils soient à ta place ! C’était pour te protéger !
Rufus l’avait pratiquement craché avec tout le venin, toute la haine qu’il ressentait pour Ludovic et pour les jumeaux. Il continua, incontrôlable.
– Ludovic te détestait ! Tu viens de le lire non ?! Il n’avait aucune confiance en toi ! Il te crache dessus dans tout ce foutu papier ! Tu es roi ! C’est toi qui devais devenir roi ! C’est ton héritage ! ça nous appartient ! Notre famille est la famille royale de Faerghus depuis le début du Royaume ! C’est Loog qui a mené la révolte des Bâtards et en a fait la guerre du Lion et de l’Aigle ! C’est lui qui a gagné ! C’est lui qui a été acclamé vainqueur ! Personne d’autre ! Et lui, parce qu’il a rencontré un mauvais roi dans toute sa vie, il en fait une généralité et il a voulu tout détruire sur son passage ! Et il a voulu donner le pouvoir à ces foutus jumeaux car c’était les fils de Guillaume ! Il se cachait derrière son petit doigt en disant qu’ils étaient plus compétents que toi mais, c’est de la connerie ! Il ne voyait que les fils de Guillaume en eux ! Rien d’autre ! C’était les fils de son grand frère alors, tout devait leur revenir ! Il ose même cracher sur ton mariage ! Soi-disant que tu avais épuisé Héléna et fait perdre la santé ! Il était malade et il a perdu l’esprit ! Tu n’as jamais fait ça ! Tu y tenais à Héléna même si elle était trop bien pour toi ! C’était juste la petite créature de Ludovic et de la matriarche Catherine là pour te faire faire ce qu’eux voulaient ! Et même si c’était sa créature, tu ne lui aurais jamais fait de mal ! Il délirait ! Et il a osé me dire de faire ce qui est bon pour le Royaume et pas pour moi-même ! C’était lui qui faisait tout avoir ce que lui voulait au dépend du Royaume ! Tout ce que j’ai fait, c’était pour te protéger ! …
Lambert le fit taire en posant ses mains sur les épaules, le regardant droit dans les yeux en lui demandant.
– D’accord pour le testament. Je veux bien comprendre ton raisonnement, même s’il est complètement faux. Notre père appréciait les jumeaux mais, pas plus que nous. On était ses fils et il nous aimait tous les deux, je le sais. Pour les jumeaux… c’était compliqué… tu sais bien qu’il s’est toujours senti coupable de la mort de Guillaume alors, il tentait de compenser envers eux mais, ce n’était pas de l’affection… juste de la culpabilité… rien de plus, j’en suis sûr… tout comme Héléna, il pensait juste qu’elle ferait une bonne reine pour Faerghus et il a vu juste, pas la peine d’en faire sa créature… mais, je te comprends aussi. Tu es mon grand frère, tu pensais que Ludovic voulait me faire du mal en me déshéritant, même s’il avait sans doute ses raisons à lui et que tu n’avais pas à voler son testament. J’aurais voulu le lire honnêtement, même si ça m’a fait très mal de voir à quel point il ne me faisait pas confiance vis-à-vis du Royaume, encore plus maintenant… je ne sais même pas si je l’aurais appliqué, c’est évident que c’est la tuberculose qui lui a fait écrire tout ça… je veux dire, regarde un peu l’état du parchemin ! Il est couvert de crachat de sang ! Il ne savait plus du tout ce qu’il faisait ! ça aurait été facile de le faire casser… Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu as volé la correspondance de Rodrigue, Alix et Félix ? Pourquoi tu as fait ça ? Elle est même ouverte alors, tu l’as surement lu… pourquoi ? C’était inutile et cruel…
Le visage de Rufus s’assombrit, essayant d’éviter le regard de Lambert alors qu’il marmonnait.
– Il te conseillait mal et te poussait à prendre de mauvaises décisions, comme quand tu as envoyé Dimitri à Charon. Il aurait dû rester ici. Je pensais qu’il finirait par partir si je le fatiguais assez alors, je lui ai pris ces lettres, pour le motiver encore plus à rentrer chez lui.
– C’était mon idée d’envoyer Dimitri à Charon, et on a bien fait, il guérit bien mieux avec le bon air de la montagne qu’ici. Et si tu voulais le faire partir, pourquoi tu as dit que c’était une bonne idée qu’il se soigne ici ? Tu aurais plutôt dû l’encourager à partir, non ? Rufus… il soupira, n’en pouvant plus de tout ceci, trop de question tournant dans sa tête et voulant juste une réponse. Écoute… je t’ai toujours fait confiance et ta parole est vraiment très importante pour moi. Tu es mon grand frère et je sais que je peux toujours compter sur toi. C’est pour ça que je suis très souvent ce que tu me conseilles de faire, car je sais que je peux te faire confiance mais… mais en ce moment, j’ai l’impression que… que c’est plus compliqué. D’abord, il y a la manière dont tu as traité Rodrigue, puis tu as remis des peines de Clovis pour la justice, puis il y a Kleiman qui arrive au palais et prend part à tout alors que c’est lui qui a commencé toute cette histoire, puis on retrouve un sac rempli de têtes humaines dans leurs appartements et ils repartent en trombe, et maintenant, je retrouve la correspondance volée de mon meilleur ami et le testament de notre père dans ta cassette. Par pitié Rufus, dit moi la vérité, qu’est-ce qui se passe dans ta tête ? L’implora-t-il en redoutant le pire. J’aimerais te faire confiance mais, ça devient très difficile avec tout ça !
– Tu ne voyais pas le vrai visage Rodrigue… marmonna-t-il.
– C’est-à-dire ? Explique-toi à la fin !
– C’était un enragé lui aussi ! Toujours à faire ce qu’il voulait et à avantager son fief, toujours à te dire non, toujours à nous mettre des bâtons dans les roues, toujours à être apprécié de tous et de Ludovic le premier ! Je ne sais pas par quel maléfice il réussissait, autant lui qu’Alix mais, ils ont toujours eu la faveur de tous, ils ont toujours réussi partout et charmé tout le monde à tes dépends ! Alors qu’ils ont toujours été plus faible que toi et ce ne sont que des ducs ! Ce ne sont que des ducs et que fait cet imbécile de Jacque quand il leur demande de les prendre à leur service, pour réparer sa « faute » d’avoir laissé Félix seul avec Arundel sans imaginer qu’il pourrait l’attaquer ? Il s’agenouille devant eux en leur demandant à rentrer dans leur garde pour rattraper son erreur, alors qu’il est à ton service ! Ils se comportaient quasiment comme des rois ! C’est pas qu’ils sont devenus des loups, c’est que leur apparence ressemble enfin à ce qu’ils sont vraiment ! C’était tout ce qu’il méritait !
Lambert eu alors un mouvement de recul, comme si son grand frère c’était transformé d’un coup en monstre, comprenant d’un coup tout ce qui était arrivé à son ami et pourquoi il avait dû subir tout ceci, tout son corps fondant d’un coup comme neige au soleil.
– Tu leur as volé leurs lettres par haine… tu voulais le faire souffrir… c’est ça ? Tout ce que tu voulais, c’est faire souffrir Rodrigue… tout ça car… car…
Sans attendre de réponse et un nouveau mensonge de la part de Rufus, Lambert partit sans se retourner, ne voulant pas en entendre plus, serrant la cassette et son contenu contre lui, s’y accrochant presque comme à une ancre, même si elle le noyait par sa simple existence. Comment… comment son frère avait-il pu… comment avait-il pu être aussi ignoble juste parce que… parce que leur père appréciait beaucoup les jumeaux ? Tout ça pour ça ?! Pour un ressentiment envers quelqu’un de mort depuis quatorze ans et alors le Royaume était au plus mal ?! Toute cette souffrance pour ça ? Par haine ?! Qu’il ait vu ça comme une petite mesquinerie ne l’étonnerait même plus à ce stade !
« Alors, même mon propre frère peut me trahir… Rufus… alors qui… qui est encore… »
« Est… ta… faute… ! »
« Tu n’as écouté personne et maintenant, tout le monde est mort par ta faute ! Tu as le sang de notre propre enfant sur les mains ! »
« Que pensais-tu accomplir en te comportant en tyran n’écoutant que ses ennemis ? »
« Je te hais ! »
Seuls les cris et le jugement lui répondirent… les doigts des fantômes finissant le travail de cette hache en l’étranglant encore et encore…
En arrivant dans son bureau avec l’espoir de pouvoir se poser une seconde et réfléchir à tout ce qui c’était passé, il trouva Lachésis et Thècle, visiblement furieuses malgré la façade de froideur.
L’homme avait l’impression d’observer la scène de loin, comme s’il n’en faisait pas partie, spectateur de cette farce qu’il avait écrit lui-même.
Les deux sœurs l’informèrent que l’état des comptes était catastrophique et que les baillis qu’il avait choisis lui-même étaient des incompétents.
« Je comprends… je ferais plus attention…
– Il fallait le faire avant… »
Lachésis lui apprit qu’elles savaient tout ce qui s’était passé à la capitale pendant leur absence, à quel point c’était une honte pour tout Faerghus et qu’elles avaient donc décidé de retourner dans leur famille.
« Ce serait préférable pour le Royaume que vous restiez…
– Pour finir transformer en loup nous aussi et user jusqu’à la corde par votre incompétence ? Il en est hors de question. »
Thècle ajouta que comme le voulait la coutume pour les magistrats en fin de carrière, elles rapporteraient à Charon tous leurs documents, leurs notes et leurs archives de la capitale, ainsi que leurs hommes et une grande partie de leur vivre selon le précédent instauré par Sylvain le Renard.
« Les Gautier en ont eu le droit, je me voie mal vous le refuser…
– Bien. »
Et enfin, elles enfoncèrent un dernier clou dans son cercueil en lui crachant au visage qu’elles savaient pour Patricia, qu’elles savaient ce qu’il avait osé donner comme belle-mère à leur neveu, tous les dangers auxquels il avait exposé le Royaume en l’épousant, et que les Charon n’oublieraient pas cette insulte envers deux d’entre eux.
« Pourquoi ? Finit par demander Thècle, essayant de comprendre. Pourquoi avoir exposé le Royaume à de tels danger pour une seule femme indigne de succéder à notre sœur ?
– Je l’aimais… répondit l’homme dans un souffle sans énergie.
– Si vous l’avez traité comme Héléna, pauvre femme, cracha Lachésis. Et ce n’est guère une raison suffisante pour faire planer un risque d’invasion sur la tête de tous vos sujets. Notre sœur rougirait de honte en voyant votre déchéance. »
Et qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre à ça ? Qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre d’autre ? Comment il pouvait se justifier ? Toutes ses décisions lui semblaient faciles, bancales et inutiles maintenant qu’on lui demandait des comptes sur chacune d’entre elles…
Devant son silence, les deux sœurs lui jetèrent à nouveau un regard mauvais avant de se détourner, partant en claquant la porte.
Lambert leva les yeux vers la chaise face à lui, même s’il savait qu’elle était complètement vide, espérant trouver quelqu’un, une âme bienveillante, un peu d’aide comme il en avait toujours trouvé à ses côtés.
Seul le Rodrigue de son cauchemar répondit à sa supplique, le toisant de haut avant de lui grogner au visage, le lacérant de ses griffes, gravant ses mots dans sa peau avec ses crocs à chaque souffle, chaque morsure…
« Il fallait y penser avant. »
Pour la première fois de sa vie, Lambert se sentit terriblement seul…
*
Rodrigue passa sa main sur sa fourrure, l’approchant pour la première fois depuis qu’ils s’étaient retransformés quelques jours auparavant. Alix et lui s’étaient reposé et avaient recommencé à prendre en main le duché, reconnaissant envers l’excellent travail de Loréa qui avait su le maintenir et résister aux insistances de Rufus. Mais depuis cette nuit, il ne l’avait toujours pas touché à nouveau, contrairement à son frère… ni même se regarder dans un miroir sans col, son cou à présent recouvert d’une grande marque sarcelle, l’entourant tout entier comme un collier… il n’avait pas trop de séquelle à part ses sens plus forts, surtout sa vue de nuit, son gout pour la viande encore plus prononcé, et il était encore plus dans la tête de son jumeau, plus souvent, même s’ils n’étaient pas sûr que c’était à cause de leur état d’esprit actuel ou si ce serait permanent… pour ce qui était positif…
La fourrure était douce sous ses doigts, épaisse et moelleuse, comme pour accueillir un petit voulant faire sa sieste dans un endroit chaud où il serait en sécurité… bien plus rassurante que ce collier gravé dans son cou, apparut un jour après qu’il ait retrouvé sa forme humaine… en regardant au niveau de la gorge de sa fourrure, il arrivait à distinguer le même motif que sur sa propre peau…
« Tu peux attendre encore un peu si tu ne te sens pas près, lui assura Alix, comme toujours à ses côtés. Ça n’a eu aucun effet sur moi mais, c’est toi le magicien et la source de la transformation. Tu es resté en loup bien plus longtemps que moi. On ne sait pas comment tu vas réagir avec ta magie…
– …je ne préfère pas… j’ai peur de la fuir si je repousse trop… les semaines qui ont passé sont déjà flous, je ne veux pas avoir l’impression que l’avenir le sera aussi à cause de cette fourrure… au moins, on sait comment me ramener si je me transforme à nouveau en l’ayant sur les épaules…
– Dans tous les cas, on va mettre un moment avant de se remettre complètement de tout ça mais, si c’est ce que tu veux, c’est toi qui te sens.
Le père lui serra la main en réponse, comme quand ils étaient petits pour ne pas se séparer, cherchant de la force dans sa présence avant de draper la fourrure noire sur ses épaules. Elle n’était pas très lourde malgré son ampleur, l’enveloppant complètement des pieds à la tête… malgré ses craintes, il y avait un côté… apaisant à ce poids, comme un bouclier qui le protégeait… mais, rien ne se passait, rien d’étrange, il restait bien humain… au moins, cela confirmait que cela ne ferait pas comme avec celle des selkies, il ne se transformerait pas dès qu’il mettait cette peau…
– Il n’y a rien… souffla-t-il de soulagement. Il n’y a rien…
– C’est déjà un bon début, lui assura Alix.
Voulant en finir aussi avec cette crainte, Rodrigue fit craquer un éclair dans sa main, faisant un exercice simple en le passant d’une paume à l’autre, avant de le faire disparaitre et de le remplacer par un sort de foi, le nosferatu brillant entre ses doigts avant qu’il ne l’étouffe. Rien non plus pour la magie de base… et il ne pourrait pas tester la magie de plus haut niveau aujourd’hui, Pierrick lui interdisait encore et son corps sortait d’une rude épreuve, il ne devait pas le maltraiter encore plus…
Ses épaules retombant de soulagement, l’homme s’autorisa un instant de répit, se laissant tomber sur son lit avec la fourrure. Alix mit aussi la sienne sur ses épaules, avant d’en mettre un pan sur celle de son frère, ce dernier faisant exactement la même chose avant de se laisser tomber épaule contre épaule côte à côte.
– Il ne s’est rien passé… la Déesse soit louée… il ne s’est rien passé…
– Ouais, on va rester humains pendant un bon moment on dirait… tant qu’on est tous les trois, on le restera…
– Oui… arriva à sourire une seconde l’ainé avant d’avouer, redevenant plus sombre. Je ne me souviens presque rien de ces dernières semaines… juste de quand je t’ai retrouvé, quand on a retrouvé Félix et mon envie de le revoir… de tous vous revoir… tous… souffla-t-il, le cadet comprenant que trop bien le « tous ». Le reste… impossible de le voir correctement…
– …Comme si c’était baigné de brume… compléta Alix. C’est pas bien plus net de mon côté… aucune idée si c’est une bonne ou une mauvaise chose… d’un côté, j’aimais courir partout avec toi mais, je n’ai pas envie de me souvenir de tout ce que j’ai déchiré avec les dents… bon, baffer Rufus, c’est pas mal comme souvenir mais, d’avoir le gout de son sang dans la bouche quand je lui déchiquetais le bras, moins … ni de quand je t’entendais pleurer et chanter tous les soirs en suppliant car, tu étais seul et qu’on voulait se revoir…
– Ça, c’est difficile à oublier… surtout tout ce qui s’est passé avant qu’on se transforme… Rodrigue se recroquevilla dans sa fourrure, comme si elle le protégerait à nouveau de cet homme. Ô Déesse et Lune… cela faisait si mal… je… c’était comme si cela les amusait tous de me déchiqueter le cœur… je n’en pouvais plus… cette transformation… c’était plus une cachette et un échappatoire qu’une vraie solution… juste pour ne plus souffrir…
– C’est normal… tout depuis des mois… c’était juste un cauchemar éveillé, autant en tant qu’humain que loup… enfin, c’est fini maintenant… on ne les reverra pas de sitôt… je ne les laisserais plus te faire plus de mal, c’est promis, lui jura Alix sans hésiter.
– Moi aussi, je te protégerais… d’eux tous et de leurs ordres absurdes… autant toi que Félix… plus rien ne vous arrivera… pas tant que je serais là…
Ils restèrent encore quelques instants l’un contre l’autre, quand ils flairèrent l’odeur du louveteau, arrivant à grands pas, une bonne odeur de groseilles fraiches avec lui… c’était la saison après tout et ils aimaient tous ces fruits dans la famille…
« Papa ? Alix ? Vous êtes là ? Demanda Félix en passant la tête dans la chambre de son père.
– Oui, entre Félix, » l’autorisa en souriant Rodrigue, toujours soulagé de le voir, son instinct lui répétant encore et encore de le garder auprès de lui, lui rappelant à quel point il avait été proche de le perdre, encore plus renforcé par la perte de Glenn si peu de temps auparavant… leur famille avait subi trop de chose en trop peu de temps…
« Il y a encore plein de groseilles dans la forêt, même si vous avez surement déjà deviné, anticipa-t-il, avant de se refermer un peu en voyant les jumeaux dans leur fourrure. Tu l’as mise ?
– Oui… je devais le faire… pour savoir… et pour le moment, rien n’a changé et cela n’a aucun effet sur moi, même quand j’utilise de la magie faible, ne t’en fais pas, lui jura-t-il. Pour le moment, je la contrôle…
– D’accord… mais fait attention quand même. »
Il les rejoignit et Rodrigue ne put s’empêcher de le tirer sur ses genoux, voulant juste rester au plus près de son fils… même s’il faisait tout pour ne pas devenir envahissant, il était devenu très collant une fois redevenu humain, cherchant toujours une trace récente du passage de ses proches, le simple fait de les savoir près de lui, qu’il pourrait arriver rapidement pour les aider et les protéger… heureusement que ses sens étaient devenus aussi aiguisés que ceux des loups, cela aidait dans ce genre de situation… pas plus tard que la semaine dernière, il n’avait pas vu Félix de toute la matinée alors, le père s’était mis à paniquer en l’appelant de toutes ses forces et à retourner toute la pièce où il était afin de trouver une trace de son petit… heureusement que Loréa avait pu vite lui remettre les idées en place, Rodrigue priant pour que Félix n’ait pas vent de ce qui s’était passé… il avait trop peur que son petit culpabilise comme quand il l’avait retrouvé… mais Félix avait senti que quelque chose n’allait pas et avait fait si attention au moindre de ses faits et gestes que Rodrigue lui avait avoué… tout le monde portait des pommes de senteurs avec un parfum spécifique à présent, histoire que l’odeur soit plus présente et que les jumeaux ne fassent pas une autre crise… c’était presque une obsession à ce stade, encore plus que pour Alix… d’après Pierrick, c’était à cause de la séparation trop violente avec sa famille, surtout aussi peu de temps après la mort de Glenn… il les avait déjà perdu une fois alors, son esprit refusait et craignait plus que tout que cela recommence…
« Là aussi, seul le temps vous permettra à tous les deux de guérir… »
Rodrigue priait pour que le médecin dise vrai… au moins, les pommes de senteur les avait un peu aidés, c’était un début…
Pour oublier son angoisse et plus profiter de la présence de son fils, le père croqua dans une des baies fraichement cueillies et passé à l’eau du lac, souriant en retrouvant le gout acide qu’ils aimaient tous.
« Elles sont très bonnes, merci beaucoup Félix.
– Avec tout ça, on avait manqué le début des fruits rouges ! On a du retard à rattraper ! En plus, depuis qu’on envoie plus rien à Fhridiad, étrangement, on a des rations plus grosses pour manger, qui l’eut cru ? Se moqua un peu Alix.
– Tout le monde, et tout le monde mange mieux maintenant, c’est mieux, répliqua Félix en avalant une baie. On est allé en chercher avec Cassandra avant qu’elle n’aille aider la patrouille aérienne…
Cependant, malgré tout, Rodrigue ne pouvait que voir l’air sombre sur le visage de son fils, un peu ailleurs.
– Il y a quelque chose qui ne va pas Félix ? Lui demanda-t-il alors, sachant que le laisser tout seul avec des pensées sombres n’apporterait rien de bon.
– C’est rien… c’est juste que… d’habitude… il fit une pause, cherchant ses mots avant de dire, ces mots si simples qui étaient aussi les plus difficiles. C’est avec Glenn…
Les jumeaux ne comprirent que trop bien, entendant presque l’ainé des deux louveteaux dire à quel point son petit frère était adorable de leur apporter des baies, juste pour le voir s’énerver à cause des taquineries, puis de le remercier en appréciant les fruits avec eux, même tous les jours… encore plus une fois revenu alors que du côté de Fraldarius, les choses commençaient à se tasser après la Tragédie, les gens étaient surtout remonté contre les dernières exactions de la capitale et tournaient toute leur rage contre la famille royale rendu responsable de tous les deuils, et même s’ils étaient dans une situation périlleuse de quasi révolte contre le pouvoir royal, les choses allaient mieux en interne. La disette s’éloignait de plus en plus de leurs foyers mais, les fantômes demeuraient, plus présent que jamais après le choc et les semaines mouvementés pour survivre… il devait encore plus hanté Félix… c’était la première fois qu’il vivait le deuil de quelqu’un d’aussi proche de lui… il était trop petit pour celui de Félicia… il l’était encore… la mort arrivait toujours trop tôt…
Rodrigue posa alors sa main dans son dos, protecteur, alors qu’il murmurait.
– Oui… il devrait y avoir Glenn…
– C’est pas juste… il devrait être là… pourquoi c’est sa chambre à lui qui est vide ?
– C’est toujours injuste, encore plus dans une situation comme celle-ci, souffla-t-il en lui frottant le dos, sentant que ses larmes n’étaient pas loin. C’est toujours dur et ça fait mal… il n’y a que le temps et le soutien qui peuvent guérir ce genre de plaie, même si elle reste toujours…
– Combien de temps ?
– Cela dépends des gens… et tu n’as pas besoin de ne plus avoir mal tout de suite… il faut que tu prennes le temps qu’il te faut pour guérir… pour ne pas être obsédé par la mort de la personne, et arriver à se raccrocher aux bons souvenirs…
– Mais ça fait mal… je veux Glenn… je veux qu’il revienne… mais je ne veux pas avoir mal… marmonna Félix en se serrant un peu plus contre son père, se cachant dans son étreinte, comme si la tristesse et le deuil ne le trouveraient pas à l’intérieur.
– Mais si tu bouches tes émotions ou fait tout pour ne pas être triste, ça va exploser un jour ou l’autre, ajouta Alix en passant sa main sur la tête de son neveu. On a mis un an avant d’accepter que notre père ne reviendrait pas, ça pourrait prendre plus de temps, et c’est pas grave. Le tout, c’est que tu ne te noies pas tout seul dedans, et que tu ne t’isoles pas sinon, ça va te dévorer aussi. Le tout, c’est que ton deuil ne te tire pas vers le bas et que tu arrives à aller mieux.
– Le principal, c’est de ne pas rester seul avec sa propre souffrance et sa tristesse, c’est le meilleur moyen pour sombrer. Tant que nous restons tous ensemble, nous arriverons à surmonter cette épreuve… qu’en penses-tu louveteau ?
– D’accord… moi aussi, je resterais avec toi papa… et avec toi aussi Alix… leur jura Félix, restant encore dans l’étreinte rassurante. « La meute est forte ensemble »… c’est ce que disait Glenn…
– Il avait bien raison, » sourit un peu Rodrigue malgré la tristesse, essayant de s’accrocher aux souvenirs de son fils ainé souriant alors qu’ils étaient en famille.
Ils passèrent un peu de temps ensemble, les jumeaux n’ayant pas encore retrouver assez de force pour travailler toute la journée, même s’ils avaient repris. Ils ne pouvaient pas laisser tout le travail de gestion du duché uniquement à Loréa, ils devaient le reprendre en main mais, Pierrick les mettait en garde contre le risque de rechute. Mieux valait éviter de trop forcer pour le moment.
Félix continuait de leur montrer les leçons qu’il avait pu faire pendant ces dernières semaines. Rodrigue sourit en voyant tout le travail de son fils, fier de voir qu’il s’était accroché malgré tout pour continuer à être assidu dans ses études. Tout ceci lui serait très utile quand il serait grand…
Ils entendirent tous un grondement sortir de sa poitrine.
Sur le coup, l’homme ne comprit pas trop, commençant à s’inquiéter de ce que cela voulait dire qu’il pouvait faire ce bruit et comment il avait pu le faire physiquement, jusqu’à ce qu’après avoir été étonné comme eux, son louveteau se mette à sourire en déclarant.
« Tu ronronnes comme un chat !
Il sourit alors, passant sa main sur la tête de son petit en soufflant, moins anxieux que tout à l’heure à cause de ce grondement.
– C’est parce que je suis très fier de toi… »
*
Quand les côtes de Kleiman sortirent de l’horizon, Ivy regarda tout autour d’elle, tentant d’évaluer encore une fois les forces en présence. Il y avait son navire autant fait pour le commerce que pour les combats maritimes, mais aussi tout un tas d’embarcations diverses et variées, autant de pêche en haute mer que de cabotage, de grands commerces ou fluviales qui avaient osé les suivre sur des eaux bien plus houleuses. Tout le monde savait que Kleiman était dangereux, c’était évident, et plus personne ne pouvait entrer dans sa ville sans que plusieurs marins ne disparaissent alors, entre ça, la colère générale contre l’inaction du pouvoir royal, et les talents d’orateur d’Oswald, les marins de toute la côte nord-ouest de Faerghus les avaient rejoints. Plusieurs langskips srengs glissaient à toutes vitesses devant eux, ayant même eu le temps de se rendre en Duscur pour rendre les têtes des morts à leurs frères afin qu’ils puissent avoir les hommages funéraires, mais aussi les informer de l’objectif de cet escadron de marine hétéroclite, autant pour avoir des renforts que pour éviter qu’ils ne croient à une autre invasion. Bon, officiellement, les duscuriens n’avaient rien répondu pour ne pas encore plus compliqué leurs relations avec Faerghus mais, plusieurs navires de grandes guildes commerçantes avaient pris la mer avec des cargaisons diverses pour les rejoindre, avec la complaisance discrète d’un chef local.
Même après une vie entière à parcourir toutes les mers, Ivy avait rarement vu une compagnie aussi hétérogène, une bonne partie parlant mal la langue des autres mais, le langage des ports permettait de se comprendre entre eux afin de manœuvrer efficacement tous ensemble.
Tout ce monde acceptait de coopérer dans un seul but : arrêter Kleiman et sa soif de sang, autant duscurien que des simples passants dans sa ville.
« Qui aurait pu croire que tout ceci pourrait arriver et qu’on serait entrainé dans une histoire pareille… marmonna Ivy.
– Recommencer est un meilleur mot qu’arriver…
Elle regarda Oswald, son regard sombre braqué vers la côte. Il était en habit simple d’archer, bien protéger par son armure, son carquois rempli de flèche, comme un soldat ordinaire, à l’exception de la capuche tout autour de sa tête pour éviter qu’on le reconnaisse. Elle ne l’avait jamais vu aussi renfermé sur lui-même, même si ses yeux restaient déterminés.
– Les cinq messagers ne sont pas revenus. Ils auraient dû revenir depuis au moins trois jours alors qu’on demandait juste à Kleiman de s’expliquer sur la disparition de vingt-sept personnes. Ma main au feu, nous retrouverons leur tête sur une pique au-dessus des portes du port… ou alors, il va nous les renvoyer couper en morceaux… c’était dans les « bonnes » habitudes de Clovis… j’espérais que tout ceci se serait terminé une fois que Clovis a été décapité et envoyé dans le caveau des criminels… Justine aussi disait que c’était terminé… qu’on aurait pu se dire que nos enfants ne vivraient jamais des choses pareilles, mais tout recommence encore… il serra le poing sur son carquois. Ludovic doit se retourner dans sa tombe en voyant la déchéance de son sang.
Ivy hocha la tête, comprenant le tourment qui l’habitait. Oswald avait surement vu plus de choses dans sa vie que bien des gens avec qui il avait grandi, leur avait même survécu pour la plupart, et il avait survécu au règne de Clovis sans que l’Alliance ne soit envahi avec Justine von Daphnel. Il aurait surement préféré finir sa longue vie sans devoir affronter tout ça.
– On a ça maintenant alors, mieux vaut le régler maintenant avant que ça n’empire et tant qu’on le peut encore. En plus, les espions srengs ne se sont pas fait repérer depuis qu’ils sont infiltrés et ils ont pu saboter les chaines qui protègent l’entrée du port. On est aussi arrivé à avoir une bonne idée d’à quoi ressemble l’intérieur des murailles avec les corbeaux des srengs, et comme vous l’avez dit, on voit d’ici que Kleiman est un seigneur mineur avec juste une grosse maison qui n’est pas construite comme une forteresse, ça devrait nous simplifier la tâche, même si on doit faire attention à ce qu’il nous réserve.
Oswald hocha la tête, arrivant à fendre un léger sourire.
– Vous avez raison. Si les messagers ne reviennent pas, raison de plus pour se dépêcher avant que les espions n’y passent aussi. Nous devons arrêter tout ceci, au moins en coupant la tête du pire, et je fais confiance aux faerghiens pour finir d’arracher les racines du mal. Pour le moment, concentrons-nous sur la bataille qui nous attend. Merci capitaine.
– C’est normal.
– Eh ! Les leicesters !
Oswald baissa la tête vers le navire duscurien juste en-dessous de lui, la capitaine leur hurlant que c’était l’heure. Ivy répondit qu’ils étaient prêts.
Les navires se mirent alors en ordre de bataille comme ils pouvaient malgré leurs différences de structures et d’expérience, celui d’Ivy et des quelques corsaires expérimentés menant les autres afin de les protéger, leur coque étant faite pour résister à des assauts. Entre eux, les navires srengs avaient rangé leurs voiles afin d’être plus discrets, se cachant pour que les défenseurs ne les voient pas foncer vers les chaines sabotées. Derrière, en seconde ligne, les navires plus fragiles se tenaient prêts. Dotés de rames, ils seraient chargés de tous les emmener dans le port, plus rapide et maniable que les grosses caravelles à voiles. Leur objectif était au moins d’atteindre le port, puis s’enfoncer en ville jusqu’à la maison seigneuriale. Une fois là-bas, il faudrait capturer Kleiman et ses hommes de confiances au plus vite et le mettre aux arrêts avant qu’ils ne puissent s’enfuir.
Ils devaient être rapide, précis et tout faire pour éviter de trop grosses pertes à cause de leurs forces limitées et très diverses. Il n’aurait droit qu’à un seul essai sinon, la corde tendue qui les tenait tous ensemble cèderait et ils se disperseraient surement sur le champ…
« Comme quand on a une proie qui ne nous a pas repérés dans notre ligne de mire… »
Oswald empoigna plus fermement son arc, faisant une prière aux Braves et à sa bonne amie Justine. Il ne louperait pas sa cible.
Les navires s’étaient approchés à portée de voix quand un homme leur hurla depuis le haut des remparts.
« Halte-là navires ! Que faites-vous ici !
– Nous sommes de la corporation des marchands de Faerghus et des navigateurs venus d’autres horizons ! S’écria la capitaine qui avait été élue pour les représenter, une pure faerghienne, afin de mettre les gardes plus en confiance que si c’était des étrangers qui arrivaient en masse sans aucun représentant faerghien. Nous avons envoyé cinq messagers auprès de votre seigneur afin de lui demander pourquoi des matelots et des civils disparaissaient aussi souvent dans ce port ! Etant donné qu’ils ne sont pas revenus depuis trois jours, nous sommes venus en masse lui demander de répondre à nos questions et de faire en sorte que ces disparitions cessent !
– Et notre seigneur les a envoyés paitre ! Nous n’avons à répondre que devant son seigneur Mateus et le roi !
– Mais un seigneur, aussi petit soit-il, se doit aussi d’assurer la sécurité sur ses terres ! S’il ne remplit pas ce devoir, nous pouvons venir directement lui demander des comptes ! En vertu de ce droit, nous voulons lui parler tous autant que nous sommes ! Et s’il les a repoussés, où sont passées ces cinq personnes ?!
– Ce n’est pas notre problème ! Foutez le camp maintenant ! Ou nous emploieront la force contre vous ! Que vous soyez faerghiens, leicesters, ou des meurtriers de duscuriens ! Nous sommes déjà très cléments de ne pas avoir incendié les navires qui transportent les assassins de nos frères !
Il eut quelques minutes de concertations entre les bateaux, autant pour vérifier que tous étaient prêt discrètement, que pour éviter que les défenseurs se méfient, ainsi que pour donner un peu plus de temps aux espions à l’intérieur de finir leur travail. La femme finit par hurler, en cœur avec tous les autres navires qui hurlèrent dans leur langue respective.
– Nous refusons !!! Nous rentrerons !!! Et nous libérerons nos camarades !!!
– Vous choisissez donc de finir par le fond ! Arbalétriers ! En position !
– Navigateurs du Midgard ! Cria Oswald en sreng. À vous !
– On a vu ! Que Thor combatte à nos côtés ! RAMEZ !!!
Tous les capitaines srengs abattirent le dos de leurs armes sur le tambour des rameurs, donnant le signal de départ.
Les navires cachés filèrent tout de suite vers les portes, glissant à toutes vitesses sur les eaux vers les dessous de la porte, s’attaquant tout de suite à la chaine qui le fermait. Normalement, des assommoirs étaient placés juste au-dessus des chaines pour contrer ce genre d’attaque sans devoir passer la tête au-dessus des créneaux mais…
– Les assommoirs ont été bouchés ! On a été saboté !
« Les espions srengs n’ont pas volé leur réputation d’être plus redoutables à dix qu’une armée de dix mille soldats ! »
Un énorme trait passa tout près d’eux, endommageant le bastingage. Le prochain tir atteindrait leur coque, c’était sûr ! Oswald repéra aussi vite qu’il put la meurtrière où devait être caché une arbalète de tour, prête à enfoncer leur pont. Il leva tout de suite son arc, se concentra sur la trajectoire qu’avait emprunté le trait, et tira sans hésiter. La flèche arriva à passer la meurtrière et étant donné qu’aucun carreau d’arbalète ne suivit le premier, il avait dû toucher le responsable de l’arme. Kleiman était officiellement un seigneur sans beaucoup de ressource, il ne devait pas avoir les moyens d’avoir plusieurs engins de guerre aussi puissant et couteux qu’une arbalète de tour, ni beaucoup d’homme aptes à la manier. Les assaillants devraient être tranquilles un moment avant que les défenseurs n’arrivent à trouver quelqu’un d’autre pour la réarmer et l’utiliser.
Au bout de quelques minutes, le cri rauque d’un cor se fit entendre.
– Le signal ! Aux navires à rames ! S’époumonna Ivy en quittant son poste en rassemblant ses hommes, Noce répétant ses ordres en volant de partout.
Oswald obéit, sautant lui-même dans le premier navire qui arriva avec la capitaine. Une fois la chaloupe pleine, les marins se mirent tous sur les rames, ramant au rythme du tambour pour s’harmoniser entre eux. Les minutes sans pouvoir rien faire d’autres qu’attendre paraissaient interminables, à la fois dans l’attente d’arriver et prêt à contre-attaquer dès qu’un ennemi était à portée de flèche.
Une fois les portes et les chaines passées, l’archer put mieux voir l’aspect de la ville. Effectivement, petite ville sans trop de moyens et avec des voisins pas trop agressifs… il n’y avait même pas de quais pour débarquer, seulement une jetée où s’échouaient les bateaux de pêche mais, ça les arrangeait.
Les marins attendirent à peine que la coque des chaloupes soient à terre, sautant sans hésiter au sol pour continuer à avancer vers la maison seigneuriale.
« Navires srengs ! Navires duscuriens ! Occupez-vous de tenir les rues ! » Leur rappela Oswald avant de descendre à terre. Les habitants sortiraient moins pour se défendre en voyant des ennemis occuper le terrain, ce qui éviteraient des heurts avec la population de la cité.
Suivant Ivy qu’il couvrait avec ses flèches et remerciant son emblème de l’empêcher d’être trop fatigué malgré ses os qui vieillissaient, Oswald et les autres fodlans s’élancèrent dans la rue principale avant d’entrer dans la maison seigneuriale, peu empêcher par la garde déjà occupée sur le port, et la quelque vingtaine d’hommes restant n’était guère suffisante pour arrêter une grosse centaine de marins déterminés.
Une odeur de cadavre et de corruption piqua les narines des assaillants dès qu’ils rentrèrent dans la cour.
« Cette odeur… Attention ! Les mages noirs sont ici ! Restez sur vos gardes ! Rappela le grand-duc alors que son emblème se calmait une seconde, ayant déjà prévenu tous les navires que Kleiman pourrait utiliser une magie interdite.
– Oswald ! Là-haut !
L’archer regarda dans la direction qu’Ivy lui disait, réagit au quart de tour quand il vit un éclat de magie noire se former et décocha une flèche dessus, la faisant exploser au-dessus d’eux avant que le sort ne touche qui que ce soit. Dans le même temps, Ivy passa sur le côté de l’archer, embrochant un ennemi fonçant sur lui sur le fil de son épée, surveillant derrière son épaule pendant qu’Oswald surveillait le ciel en ordonnant.
– Par ici ! Vite ! Ils sont surement à l’intérieur !
Après avoir enfoncé la porte, les marins entrèrent en trombe dans la grande salle où ils trouvèrent Kleiman, entouré de ses conseillers et de plusieurs mages étranges, avec des motifs qui disaient quelque chose à Oswald…
« Les mages noirs de l’époque de la guerre du Lion et de l’Aigle ! Ils portaient ses motifs-là ! Méfiez-vous des gens en noir ! C’est les plus dangereux ! »
Comme pour souligner ce qu’il venait de dire, une magicienne commença à charger un sort et le lança en vitesse, balayant un marin en un instant, puis un autre qui tentait de l’attaquer par derrière. Le sort ne toucha qu’eux mais, il ne laissa que des sortes de momie complètement desséchées, comme vidées d’eau, de sang et d’énergie vitale, tombant au sol dans un fracas d’os morbide, provoquant la panique et la fuite d’une partie d’entre eux pour éviter d’être le suivant.
Ivy tira Oswald derrière un escalier pour se protéger des sorts, l’aidant alors que la fatigue retenue par l’emblème commençait à l’engourdir et brûler ses muscles vieillissants… C’était pas vrai ! Pile au pire moment ! Sans l’Infaillible pour continuer à le stimuler même pendant un temps calme de la bataille, il disparaissait de plus en plus vite ! Il ne devait pas lâcher maintenant ! La magicienne noire s’approcha comme si elle ne craignait pas de se prendre une flèche ou un projectile, observant tout autour d’elle avec un petit sourire vicieux, les provoquant sans vergogne. Elle empestait la magie noire…
« Les insectes tentent de se débattre à ce que je voie… susurra-t-elle avant d’ajouter en regardant dans leur direction. Enfin, on a aussi un insecte plutôt rare… ça fait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion d’attraper un emblème majeur… allons petit emblème majeur… montre toi… »
« Merde ! C’est quoi cette femme ?! Enragea à mi-mot Ivy. Votre emblème a disparu avant qu’on entre ! Et elle a fait quoi à ces gars ?! C’est ça les effets de la magie noire ?!
– Elle porte les mêmes motifs que ceux du bataillon puant… haleta Oswald. Et c’est bien elle qui sent la magie noire…
– Ah ça pour puer, elle pue… elle comme tous les autres qui ont ce motif d’œil… »
« Allons… lequel d’entre vous est l’emblème majeur ? Honnêtement, il m’intéresse plus que vous tous réunis alors, on peut faire deux choses. Soit, je vous attrape un par un et je vous transforme tous comme les deux insectes qui tombent en poussière sur le plancher pour faire le tri, l’emblème majeur résistera mieux à mes sorts, soit vous me livrez et je vous laisse tous partir en vie.
Un silence retentissant tomba dans la pièce, juste occupée par Kleiman et ses hommes en train de se débattre contre la porte de la trappe qui devait leur servir à s’enfuir, bloquée par une hache qui avait volé quand les assaillants étaient entrés. Ivy et Oswald échangèrent un regard lourd alors que la femme continua, s’échangeant la même question ainsi que la même réponse.
– Cela me semble un marché correct. De toute façon, de misérables insectes tel que vous ne pourrez jamais battre un être qui vous est aussi supérieur tel que moi, vous venez de le voir par vous-mêmes alors, saisissez donc votre chance de survivre et de continuer votre pitoyable existence. Il suffit juste de me donner l’emblème majeur. Vous avez la parole de Bias, la Meneuse Érudite…
Elle fut exaucée quand Ivy poussa aussi violemment qu’elle put Oswald hors de leur cachette, le plus loin possible d’elle. Le vieil homme se recroquevilla sur lui-même, la face tournée vers le sol, sa capuche défaite laissant voir ses cheveux gris et sa fatigue rendant le moindre de ses mouvements tremblants et incertains, se tenant la poitrine comme si son cœur était sur le point de lâcher à cause de toutes ses émotions.
La femme eut un sourire carnassier, s’approchant du vieillard en déclarant.
– Évidemment, vous préférez vivre, c’est bien. Vous avez un minimum d’instinct de survie mais bon, c’est la base pour les bêtes. Et dommage, l’emblème majeur est décrépit et ancien, il ne va plus survivre longtemps et n’a sans doute plus la force de sa jeunesse… les bêtes de votre genre vieillisse si vite… marmonna-t-elle en se baissant vers lui. Enfin, c’est devenu si rare les majeurs à présent, on fera avec… vient donc…
Avant qu’elle n’ait pu finir sa phrase, Oswald se retourna d’un coup et lui envoya le pot minuscule autour de son cou en plein visage, libérant toute la poudre urticante qu’elle contenait, puis l’homme enfonça la pointe d’une de ses flèches en plein dans l’œil, lui transperçant surement le crâne. Bias siffla de douleur en se redressant mais, avant qu’elle n’ait pu s’en débarrasser ou attaquer à nouveau, une épée lui traversa tout le dos pour ressortir de sa poitrine.
– Pour un être supérieur, t’es aussi fragile que les « insectes » qu’on est, marmonna Ivy.
Elle serra le manche de son épée puis, la ressortit d’un coup du corps de la magicienne, laissa un sang rouge très sombre, presque noir s’écouler sur le sol alors que Bias s’effondrait, morte comme tout le monde le serait après une blessure pareille. Les autres mages avec les mêmes motifs qu’elles se mirent tous à paniquer, laissant le temps aux autres assaillants de les maitriser avec Kleiman et le reste de ses sbires.
Reprenant son souffle, Ivy s’approcha Oswald en lui demandant.
« Tout va bien ?
– Oui, ça va, même si ce genre de cabriole n’est plus de mon âge, répondit-il en cherchant un peu son équilibre à cause de la fatigue.
– Bah, pour un gars de quatre-vingts balais, vous vous en sortez plutôt bien, lui assura-t-elle en l’aidant à se rester debout avant d’avouer, même si j’ai eu peur que vous ne vous repreniez pas assez vite.
– J’ai encore quelques ressources on dirait… il eut un sourire en voyant Kleiman ligoté avec ses sous-fifres, alignés le long du mur et désarmés. Au moins, nous les avons attrapé… J’ai bien fait de vous faire confiance. »
*
Une fois Kleiman capturé, la plupart des gardes s’étaient rendus sans trop de difficultés, épuisés par les derniers évènements, même si une partie s’était battue jusqu’au bout en visant particulièrement les duscuriens ou toutes personnes avec une peau un peu sombre, soit à peu près n’importe qui qui passait son temps dehors. Ceux-là avaient refusé de se rendre et avaient préféré se faire tuer plutôt que capturer. Bon, au moins, c’était déjà un problème de régler pour le coup, aussi sordide la conclusion pouvait l’être. Leur patron était tout aussi loquace qu’eux, refusant de dire quoi que ce soit quand Oswald, Ivy et tous les autres le pressèrent de question, se murant dans le silence. On le menacerait de lui arracher la langue qu’il ne parlerait pas, même au sujet de cette Bias.
Et enfin, il restait le groupe de mages étranges avec ce motif d’œil sur eux, rendus inoffensif grâce à des menottes duscuriennes bloquant leur magie. Au début, Ivy crut qu’il faisait partie d’un peuple vivant à Morfis à cause de leur peau extrêmement pale, pratiquement cadavérique, combinée à leur couleur d’yeux et de cheveux très rares mais, ils ne parlaient pas la même langue qu’eux. Enfin, ils semblaient comprendre le fodlan mais, pas moyen de les faire parler eux aussi.
« Rrrrhhhaaaa… ! Pas moyen de les faire passer à table ! Enragea Ivy après une nouvelle tentative de les interroger. Soit ils restent muets comme des carpes, soit ils nous insultent en nous traitant d’insecte !
– C’est vrai qu’ils n’ont pas l’air de vouloir parler mais, restons patient, une partie semble plus se taire par peur que par défi. Ils sont tout maigre et dès qu’on les approche ou élève un peu la voix, ils se recroquevillent sur eux-mêmes quand on arrive comme des personnes battues, fit remarquer Oswald. Les deux qui nous insultent constamment semblent être les sous-chefs après cette Bias et encadrer les autres. Tant qu’ils seront là, ils ne diront rien.
– Hum… alors, autant les séparer et tous les séparer, au moins les chefs de file. Les langues devraient se délier un peu sans eux.
– Oui, et il faut également bien les traiter, cela les mettra en confiance pour qu’ils nous expliquent ce qui se passe ici et nous ouvrent les portes qui nous résistent encore… avec ce genre de personne, un bon repas et de l’attention est le meilleur moyen de les faire parler… »
Sans hésiter, ils isolèrent les chefs de file, puis firent attendre un peu les autres en leur donnant un repas maigre pour le midi. Ce temps seuls avec eux-mêmes et sans nouvelle les angoisseraient sans doute, ils se demanderaient ce qui allait arriver à leurs chefs d’un côté et à eux de l’autre, ce qui rendraient tout geste bienveillant à leur égard plus fort.
Le soir, Oswald leur fit apporter une miche de pain chacun, un grand bol de soupe et une pomme, tout en précisant à ceux qui leur donnerait d’être agréables avec eux. Le petit groupe de sept personnes se tenaient recroquevillés dans un coin, évitant la lumière du soleil couchant, fuyant même la lumière de la bougie en mettant leurs mains sur leurs yeux. Après tout ce qu’il avait vu ces dernières semaines, Oswald devait avouer qu’il serait presque prêt à croire qu’ils étaient comme les vampires des légendes craignant la lumière mais, s’il se fiait à leur réaction quand ils avaient été emmenés ici, c’était plus qu’ils étaient très sensibles à la lumière, comme des créatures des cavernes.
« Veuillez m’excuser, je ne voulais pas vous faire mal, s’excusa-t-il en soufflant sa chandelle, la remplaçant par une petite boule lumineuse plus tamisée. Cela vous convient mieux ?
– … oui… c’est pour nous ? Demanda un homme en montrant les plateaux avec méfiance.
– Oui, c’est votre repas pour ce soir. Vous pouvez manger à votre saoul, leur assura-t-il, ne vous gêner pas.
– De la nourriture d’inférieur, marmonna une femme, le nez retroussé de dégout.
– C’est ça ou vous sautez à la corde alors, fait pas la fine bouche, grogna Ivy, son poignard et son épée à sa hanche afin de dissuader le moindre soupçon d’attaque sur Oswald.
– Une bête qui n’a même pas d’emblème n’est qu’un insecte, rétorqua-t-elle avec bravache.
Cependant, à part ses deux-là, les autres prirent leur propre assiette, tremblant un peu d’appréhension avant de gouter leur soupe. Une d’entre elle eut l’air étonné, regardant son simple bol de brouet comme si elle tenait le plus grand festin de tout Fodlan entre ses mains, avant d’en reprendre une cuillère sans hésiter.
– Vous appréciez on dirait, lui sourit Oswald, affable. C’est encore meilleur si vous mettez du pain avec.
Elle le regarda avec des yeux ronds, se recroquevillant à nouveau quand il lui adressa la parole mais, elle l’écouta, plongeant sa miche dans sa soupe avant de le croquer, ayant à son tour un grand sourire en disant quelque chose dans sa langue qui devait se traduire par « c’est bon », avant de déclarer en fodlan.
– C’est bon.
Elle se fit cependant tout de suite reprendre par la femme qui avait traité Ivy d’insecte, la réprimandant sévèrement à son ton mais, l’homme à côté de celle qui appréciait son repas dû la défendre car, l’orgueilleuse se tut et se résigna à manger son propre repas en ronchonnant. Ils parlaient entre eux une langue étrange… ça ne ressemblait ni au fodlan, ni à l’almyrois, ni au sreng, ni au duscurien, ni à aucune langue qu’Oswald avait entendu pendant sa vie. Soit ils venaient vraiment de contrées reculées, soit ils avaient développé leur propre langage pour communiquer discrètement ensemble.
Celle qui les avait remerciés finit la première en savourant sa pomme après avoir demandé ce que c’était, puis déclara.
– Merci pour ce repas. C’était très bon…
– C’est normal. Je suis content que cela vous ait plu… est-ce que je peux vous demander votre nom ?
– … matricule 456.
– Un matricule ? Vous n’avez pas de prénom à vous ?
– Non, l’Agastya et les grands Meneurs nous interdisent de dire notre nom.
– Ah ? Et pourquoi donc ?
– C’est ainsi, ils nous l’interdisent. Ils sont les seuls à avoir le privilège d’en porter un. Les ouvriers comme nous ne portent qu’un matricule. C’est déjà un grand honneur pour des inférieurs tel que nous d’avoir un numéro attribué par le Grand Agastya…
– C’est débile, ça vous réduit à un numéro alors que vous êtes des humains, comme eux, marmonna la capitaine. Y a que les bagnards et les criminels qui ont des matricules, et c’est pour bien leur rappeler que leurs actes sont tellement horribles qu’ils sont à peine humains.
– Un insecte ne peut pas comprendre que l’on doit le respect aux esprits supérieurs tel que les grands Meneurs et surtout envers l’Agastya, grogna l’orgueilleuse en faisant mine de les regarder de haut, même si Ivy la reprit à nouveau.
– Alors, si nous, on vous appelle par votre matricule, on vous est supérieur étant donné que c’est les « esprits supérieurs » qui vous appelle par des numéros et on est leur ait supérieur car en plus d’avoir un prénom avec un titre, on a en plus un nom de famille alors qu’eux n’en ont pas. Si on est des insectes à ce point, on peut vous appeler par un prénom, et c’est plus agréable pour tout le monde.
– De plus, chez nous, c’est très impoli d’appeler quelqu’un par un numéro, c’est comme ça qu’on parle des criminels comme vient de le dire le capitaine Drake. Par exemple, je m’appelle Oswald, enchanté de faire votre connaissance, déclara-t-il en levant sa main droite. Et vous ?
L’orgueilleuse foudroya la plus bavarde du regard, lui interdisant de parler mais, au bout de quelques secondes et hésitations, elle leva à son tour sa main pour la poser sur son front en déclarant, avant de serrer celle de l’homme.
– Alors… Pomme… ou Soupe… c’est bon… enchanté de faire votre connaissance Oswald.
– Moi de même. Et Pomme est un joli prénom.
L’homme qui l’avait défendu écarquilla les yeux en la voyant serrer la main d’Oswald, lui demandant quelque chose dans leur langue en paniquant, même si Pomme répondit en lui montrant sa paume.
– Bah non… y a rien, tu voies ?
Il eut l’air étonné, puis demanda, visiblement sans voix par cette simple poignée de main.
– Je… je peux aussi ?
– Bien sûr. Enchanté… ?
– Je ne sais pas… Ivy ? C’est joli… si deux personnes ont le droit de porter le même prénom…
– Bien sûr, on ne s’en sortirait plus sinon mais, c’est plus un prénom de femme mais, tu pourrais t’appeler Vivian ? Lui proposa la capitaine. On reste dans les mêmes sonorités comme ça.
Il hocha la tête avant de serrer à son tour la main d’Oswald avec appréhension, avant de la retirer avec étonnement en voyant qu’elle était toujours comme avant. Les trois qui n’avaient rien dit suivirent aussi en se présentant en utilisant apparemment des mots de leur langue, qui eurent la même réaction.
– On… on nous avait toujours dit que pour des ouvriers tels que nous, toucher une bête avec un emblème majeur nous brûlerait… surtout les tarés comme moi et matri… Vivian… avoua Pomme en regardant leurs mains à tous. Que le sang des enfants de la Noyeuse nous dévorerait les mains si on le faisait… quand c’est l’emblème mineur, ça piquerait comme du salpêtre mais, que les emblèmes majeurs brûleraient comme le soleil… que seuls les esprits supérieurs comme les grands Meneurs et l’Agastya étaient assez forts pour résister…
– Et bien, je dois avouer que c’est la première fois que j’entends une telle histoire ! Je vous rassure, je n’ai jamais brûlé personne en leur serrant la main ! » S’esclaffa Oswald, riant à moitié noir. Ces personnes avaient été maintenus dans l’ignorance, surement pendant des années afin de mieux les contrôler, comme dans les sectes les plus dangereuses. Qu’ils ne se rendent même pas compte de ce qu’ils faisaient ne l’étonnerait même pas vu ce qu’il avait devant le nez. Enfin, ça les rendrait plus facile à manipuler maintenant qu’ils voyaient de leurs yeux des preuves de ces mensonges.
Ils finirent tous de manger, le remerciant dans leur langue et en fodlan, avant que le grand-duc ne leur avoue, l’air sombre.
« Merci pour votre confiance. Je dois être honnête avec vous, l’heure en ville est très grave. Énormément de marins ont disparus dans ce port et nous avons des raisons de penser que votre employeur, Kleiman, est à l’origine de ses disparitions. À l’origine, nous sommes venus ici pour retrouver ces disparus et éviter qu’il y en ait d’autres. Après la démonstration de force de cette femme, Bias, nous sommes tous très inquiets pour eux. Étant donné que vous étiez en train de vous enfuir avec lui, nous avons toutes les raisons de penser que vous êtes leurs complices, et vous risquez d’être punis de la même façon qu’eux, même si vous n’étiez que des exécutants… leur apprit-il, voyant leurs joues blêmir de plus en plus au fil de ses mots. Cependant, si vous acceptez de nous aider, on pourra s’arranger pour vous éviter de finir comme lui. Par contre, il va falloir nous aider à retrouver les disparus et nous dire tout ce que vous savez.
Oswald les observa, voyant toute l’hésitation se peindre sur leurs visages anxieux. Pomme finit par ouvrir la bouche, tremblante comme une feuille.
– D’acc…
– Non !!! …
Celle qui les avait traités d’insecte s’énerva, reprenant violemment la jeune fille qui se décomposa, morte de peur mais, Oswald intervient, alors qu’Ivy faisait reculer la femme en colère.
– Cause correct aux tiens, c’est pas des chiens.
– La capitaine Drake a raison, on ne parle pas comme ça aux autres. Écoutez, je voie que vous avez peur et qu’elle vient de vous menacer mais, si vous nous aider et nous avouez tout ce qui s’est passé ici, nous vous aiderons et vous ne serez pas en danger, vous avez ma parole.
Pomme le dévisagea, demandant en tremblant, Vivian se tenant à elle en serrant leurs mains ensemble.
– Même contre l’Agastya ? Même contre l’être le plus puissant ? L’Agastya est l’Agastya, l’incarnation de la connaissance et de la puissance sur terre, le chef suprême des terres de la Grande Sphygi qu’il dirige… per… personne ne doit lui désobéir, le questionner ou lui résister…
– Oui, même contre lui s’il veut vous faire du mal ou vous forcer à faire des choses que vous ne voulez pas. C’est lui qui vous a raconté l’histoire que si vous touchiez quelqu’un avec un emblème mineur, vous serez brûlé ?
Pomme se mordit la lèvre avant d’hocher la tête.
– Pour quelqu’un qui sait tout, il vous a dit de sacrés mensonges, leur fit remarquer Ivy avec un air narquois après Oswald. Et s’il est aussi fort que cette Bias, on devrait s’en sortir, on a eu qu’à lui balancer de la poudre urticante dans la gueule et à l’embrocher avec une épée pour la battre. Même si votre Agastya est plus fort, on devrait arriver à le battre en faisant fonctionner nos neurones. Alors, faites ce que vous pensez être juste selon vous, pas selon votre Grand Con si génial qu’il est obligé de mentir en permanence pour se faire obéir car, un peuple qui réfléchit, c’est chiant à gérer.
– Agastya… crrrrétin… marmonna Noce sur son épaule.
La jeune femme finit par craquer, hochant la tête alors qu’elle prenait peut-être une des premières décisions de sa vie.
– Je vous montrerais et vous dirais tout… maintenant que la Meneuse Érudite est morte, sa magie ne devrait plus rien verrouiller… Juste… juste je ne veux pas retourner à Shambhala.
– Moi aussi, je veux bien vous aider, ajouta Vivian. Mais par pitié, ne nous renvoyez pas là-bas… ils nous tueront pour vous avoir parlés…
– Cela devrait pouvoir se faire, leur assura Oswald.
Les deux mages se levèrent, sous le regard effrayé des trois qui avaient serré la main du descendant de Riegan, et celui désapprobateur des deux derniers mais, ils restèrent fermes sur leur décision et les suivirent hors de la pièce. Les deux amis – peut-être… ça ressemblait à de l’amitié selon le grand-duc mais, il n’était pas sûr qu’ils sachent même ce que c’était… – les ramenèrent dans la grande pièce centrale, leur disant que leur « laboratoire » était sous la grosse dalle par où Kleiman et eux-mêmes avaient tenté de s’enfuir. Avec l’aide de plusieurs forgerons et tailleurs de pierre de la ville, ils arrivèrent à la forcer malgré les déformations, puis des hommes en armes descendirent les premier, suivit d’Ivy, Oswald, Pomme et Vivian.
Le boyau était assez étroit, à peine large comme un chevalier en armure, mais pour des personnes aussi maigres et de petite taille que les deux mages, cela restait praticable. Aucune torche n’éclairait l’endroit, remplacé par des sortes de longs rubans luisant, encastrés de chaque côté du couloir, indiquant le chemin dans la pénombre. Si c’était les lumières auxquels ils étaient habitués et qu’ils passaient beaucoup de temps sous terre, ce n'était pas très étonnant qu’une flamme leur fasse mal aux yeux, manque d’habitude… une odeur de plus en plus nauséabonde envahissait leurs narines alors que les deux mages baissaient la tête, gagnés par la honte… une odeur de cadavre et de fumée… de magie noire…
Le groupe marchait depuis quelques minutes quand Oswald commença à entendre les hoquets de stupeurs des hommes d’armes devant eux, avant qu’il ne voie le laboratoire de lui-même, ne pouvant contenir son incompréhension mêlée d’horreur à son tour. Le boyau débouchait dans une énorme cavité éclairée par des pierres semblables aux veines luisantes, éclairant un ensemble de table semblable à celle des chirurgiens mais, avec d’énormes attaches pour tenir les membres, l’odeur de sang séché et de chair putrifié rendant l’air pratiquement irrespirables prenant tout son sens en les voyant. Plus au fond, il y avait un couloir avec deux côtés bien distincts : à leur gauche, il y avait des rangées de dizaine de tubes transparentes comme du verre où flottaient des sortes de boules, et à droite, un damier de pressoirs énormes, de sorte de cuves surplombés de cheminé, et de grands casiers entre les deux.
C’était ordonné au cordeau… presque scientifiquement…
« Qu’est-ce qu’il y a dans les cuves et les casiers ? Osa demander Oswald, son sang se gelant de plus en plus en devinant ce qu’ils contenaient.
– Vos semblables qu’on a récupéré encore vivant au projet Delta qui a eu lieu quelques lieux plus à l’ouest, et des personnes sur le port, dont je m’occupe, répondit Pomme avec une toute petite voix, les yeux baissés, serrant sa tresse rose vif dans ses mains. Dans les casiers, c’est les corps des morts dont s’occupe Vivian. On est deux défaillants alors, on a la tâche de s’occuper de vos semblables, que ce soit pour les maintenir en vie pour moi ou se débarrasser des restes pour Vivian… c’est ce qui est le plus dégradant.
– Et qu’est-ce qui est pas dégradant pour vous ? » Demanda un soldat duscurien en regardant la scène avec horreur, conscient que plusieurs de ses frères et sœurs avaient dû passer par cette sale macabre. Au nom des Braves, heureusement que les murs ne pouvaient pas parler, même si le simple fait d’imaginer tout ce qui avait pu se produire ici rendait ce silence encore plus insupportable et dérangeant… c’était presque… bien trop calme…
« Assister la Meneuse Érudite… répondit difficilement Vivian.
– C’est-à-dire ? Demanda Ivy, tenant quelques minutes Noce contre sa poitrine pour qu’il se calme malgré l’odeur atroce et le manque de lumière.
– Projet Alpha… continua le mage. Endurcissement des corps et transformation des métabolismes… étude de sujets vivants pour comprendre leur fonctionnement interne et l’utiliser afin de faciliter les expérimentations des Meneurs…
– Attendez… vous êtes en train de nous dire que vous découpiez des gens vivants ?! Mais quel être humain peut être assez tordu pour faire une chose pareille à ses semblables ?! S’énerva-t-elle, Noce contre elle.
– Nous ne sommes pas humains… pas comme vous en tout cas…
– Oui, esprits supérieurs, inférieurs, insectes… tout ça, on connait, vos copains nous l’ont dit tout à l’heure, les coupa Ivy, furieuse et dégoutée, regardant de partout autour d’elle comme si elle cherchait quelque chose. Mais personne ne se sent mal de juste découper des gens encore en vie ?! Vous n’avez pas d’empathie pour eux ?!
– C’est quoi l’empathie ?
Ivy dévisagea Pomme, ne sachant pas si elle devait être en colère ou compréhensive. Aux yeux de cette mage, c’était une question parfaitement normale, elle la posait presque en toute innocence, ne sachant même pas ce que c’était alors que pour la plupart des gens, c’était tout de même la base les émotions et les sentiments. Vu le niveau, c’était même limite énorme qu’elle ait juste osée la poser sa question…
– L’empathie, c’est la capacité à se mettre à la place des autres pour les comprendre et agir en conséquence, expliqua-t-elle lentement en laissant Noce regagner son épaule. Par exemple, quand quelqu’un a mal, tu comprends ce que ça fait et tu tentes de l’aider normalement.
– Ah, c’est comme pour les défaillants comme nous deux alors, comprit Vivian. C’est pour ça qu’on s’occupe des… des « stocks »… c’est pour corriger nos défaillances et nos tares à force…
– Vous voulez dire que l’empathie, c’est pas normal chez vous ? Demanda une guerrière sreng, sans voix.
– Non, c’est les défaillants et les insectes qui s’en font pour les autres. Quand des ouvriers comme nous tombent, tu les laisses par terre, ils n’étaient pas dignes du Grand Plan de l’Agastya… même les Meneurs… nous avons échoué, on sera juste remplacés par d’autres matricules… en particulier ceux comme nous qui sont tarés…
– C’est-à-dire ? Vous avez des problèmes physiques ou mentaux ?
– Non, on serait inepte au travail, on serait déjà mort depuis longtemps, on ne servirait à rien à la cause, c’est notre âme notre problème… on ne sait pas pourquoi… juste… ça fait mal de voir tout ça… marmonna Vivian, complètement perdu, tordant ses longs doigts blancs ensemble alors qu’il secouait la tête, agitant ses boucles orange qui cachait ses yeux de la même couleur perdus dans le vague. On ne sait pas… on ne sait pas… mais, on ne peut pas s’en empêcher… c’est comme si on avait des épingles dans la poitrine… ça fait un peu moins mal quand on leur ferme les yeux et on les met correctement mais, ça fait toujours mal de les entendre… même quand on les entend depuis toujours… et on arrive pas à se concentrer uniquement sur le Grand Plan selon le désir de l’Agastya… on ne sait pas ce qui ne va pas chez nous… on est comme le Traitre Abominable dont on doit taire le nom… on arrive pas à être ce qu’on nous demande être…
– C’est pas une tare alors, c’est juste que vous n’avez pas été cassé par cet Agastya, répliqua Oswald sans hésiter. C’est normal de ressentir de l’empathie pour les autres et d’être mal quand des choses horribles leur arrivent comme… comme tout ce qui a pu se passer ici. Ce Traitre Abominable devait être comme vous et être capable de ressentir de l’empathie malgré tout ce qui lui était arrivé… au contraire, soyez fier de lui ressembler.
Pomme et Vivian échangèrent un regard, perdus, mêmes s’ils firent un signe de tête qui ressemblait à un acquiescement pour eux. Déesse… des êtres vivants incapables de ressentir de l’empathie ou faisant tout pour l’éliminer… c’était la première fois qu’il voyait une telle chose…
Une fois à peu près remis de ce qu’ils venaient d’apprendre, ils se mirent à prendre possession des lieux et à s’organiser pour sortir les rescapés de cet enfer au plus vite. D’après Pomme, le liquide où ils étaient les maintenait en vie et évitait que leurs blessures s’aggravent mais, elle comprit à peu près pourquoi c’était important pour eux de les extirper de ces bocaux.
« Quel était le but de ce « plan Delta » dont viennent toutes ses personnes ? Lui demanda Oswald pendant qu’Ivy et un soldat tiraient une des messagers qu’ils avaient envoyés auprès de Kleiman de sa cuve, étalant lui-même une couverture où l’allonger.
– Je ne connais pas les détails mais, si j’ai bien entendu ce que disait la Meneuse Érudite, ce n’était pas pour nous faire des stocks de cobaye… d’après elle, c’était pour plonger cette partie des protégés de la Noyeuse dans la discorde et le chaos, afin de mieux les infiltrer et de pouvoir faire avancer le Grand Plan. Une autre meneuse est dans votre capitale à vous alors, le chaos l’aidera à avoir plus d’influence… expliqua Pomme en déplaçant des pierres sur une surface rocheuse, semblant actionner des mécanismes par ses quelques gestes alors qu’elle ne pouvait toujours pas utiliser de magie.
– Et vous connaissez le nom de cette meneuse ? Son vrai nom je veux dire, comme Bias.
– … nous, nous l’appelons « Grande Savante » et son prénom, c’est Périandre mais, ce n’est pas sous ce nom que vous la connaissez… et qu’elle a pris la place de quelqu’un d’important… on peut prendre l’apparence des autres de… je vous expliquerait après mais, vous la prenez pour quelqu’un d’autre dont elle a volé le visage et l’identité… je n’en sais pas plus, je n’ai jamais été sous ces ordres, cela fait des années que je suis dévouée au service de Bias… la Meneuse Érudite ! La Meneuse Érudite ! Pardon !
– Allons, ne vous en faites pas, elle est morte à présent, elle ne pourra plus vous faire de mal car, vous l’appeler par son prénom. Et merci, c’est déjà beaucoup d’informations qui nous seront très utiles, » lui assura Oswald, déjà bien content d’avoir trouvé quelqu’un d’un peu plus bavard que Kleiman.
Ils continuèrent à avancer et à tirer les rescapés de Duscur et des enlèvements à Kleiman, quand Ivy se figea, regardant une cuve un peu plus loin.
« Ivyyyy… appela Noce, solidement accroché à l’épaule de son amie.
Elle courut alors d’un coup vers cette cuve, appelant tout de suite Pomme qui arriva sur ses talons avec Oswald.
– Il est en vie ? Par pitié, dit-moi qu’il est en vie et qu’il va vivre… déclara-t-elle, entre le grognement et la supplique, jetant des regards angoissés à celui qui dormait dans ce bocal.
Il s’agissait d’un jeune homme recroquevillé sur lui-même, ses bras forts entourant ses jambes pour les tenir contre sa poitrine pale et couverte de cicatrice de brûlures, surement mortelles si la technologie des « agarthans » – soit le nom de leur peuple ou de leur secte si Oswald avait bien compris – ne l’avait pas sauvé. Sa peau était très pale, contrastant avec ses longs cheveux noirs et bouclés, retenus dans une épaisse tresse qui flottait autour de lui. En le voyant, il comprit tout de suite la raison de la panique d’Ivy…
« C’est fou ce qu’il ressemble à son père… »
– Oui, il l’est. De peu mais, il vivra. Périandre et Myson avaient dit qu’on aurait bientôt d’autres membres de la même famille avec un emblème mineur et un emblème majeur alors, il fallait le laisser de côté pour comparer les trois alors, je l’ai mis au fond…
– D’accord, tu m’expliqueras en détail tout ce que tu sais après mais avant, il faut qu’on le tire de là !
– Bien sûr.
Pomme répéta la même série de mouvements sur la plaque que tout à l’heure, pendant qu’Ivy et l’autre soldat tiraient l’homme inconscient de sa prison de verre, enlevant dans un ordre bien précis les tubes qui le reliaient à sa cuve en trouvant heureusement une respiration qui agitait encore sa poitrine.
La capitaine l’allongea délicatement sur la couverture qu’avait étendu Oswald, l’installant bien avant de lui tourner la tête, comme un noyé pour éviter qu’il ne recrache le liquide de la cuve sur lui ou qu’il reste bloqué dans ses poumons. Puis, tout doucement, les deux leicesters le tournèrent sur l’épaule, l’aidant à vomir.
– Allez… grogna Ivy, tendu comme un cordage de navire. Crache…
– … k… kof ! Kof ! Kreuf !!! Kra…
Le jeune homme rendit tous le liquide bleu luisant présent en lui, crachotant encore alors qu’il essayait de parler.
– Attention, te presse pas trop, t’étouffe pas alors que tu as encore de l’eau dans les poumons…
– I… Ivy… c’est… mais que… les yeux de chat du jeune homme s’écarquillèrent encre plus, même si leurs iris bleu d’eau restaient encore floues, s’affolant à cause des dernières choses qu’il avait vu, surement induit en erreur par l’odeur de sang omniprésente. Non… non… tu dois… les flammes… le sort… Dimitri… tout… ce… krreeeuufff… ! Kof ! Kof !
– Eh ! Je t’ai dit de ne pas t’étouffer ! Le rappela-t-elle à l’ordre alors qu’il crachait encore. Déjà que t’es une vraie pierre, va pas t’étouffer même à terre ! Pour résumer très vite, même si ça c’est mal fini, Dimitri va bien, et même si t’as dû en voir, tu es en sécurité maintenant.
– En… mais… mais comment… ? Je… qu’est-ce… qu’est-ce qui s’est passé… ? Où… où est-ce qu’on est ? Mon… mon père est là ? Et… et Félix ? Tu sais s’ils vont bien… ? Et Alix…
– Là aussi, très longue histoire mais, on va tout te raconter mais pour l’instant, tu dois te reposer. Je te raconterais tout quand tu te seras un peu remis. D’accord Glenn ?
Les yeux du jeune homme rencontrèrent ceux de la meilleure amie de sa mère, cherchant quelque chose de familier et de rassurant… il voulait presque l’entendre raconter ces dernières anecdotes de voyage, leur décrire ses mésaventures dont elle se tirait toujours et si tout c’était passé comme ça l’arrangeait à Almyra… juste pour retrouver quelque chose de normal… tout était tellement flou dans sa tête… la dernière chose dont il se souvenait, c’était des flammes de partout, des cris, et des mages étranges qui le tiraient du mélange de boue, de suie et de sa propre mare de sang… de la sorte de potion immonde qu’ils lui firent boire… puis, plus rien, un grand noir vide et glaçant… il avait tellement de questions… mais Glenn n’arriva qu’à supplier Ivy avant de s’évanouir à nouveau…
– Je veux rentrer chez moi… je veux mon père… Félix… et Alix… je veux retrouver… ma famille…
– Bien sûr, je te ramènerais chez toi, je te le promets, lui jura Ivy en passant sa main sur sa tête.
Glenn se laissa alors happer à nouveau par le sommeil, assez confiant en Ivy pour savoir qu’elle tiendrait parole…
#fe3h#écriture de curieuse#route cf + divergente canon#plus ou moins#j'espère que ça vous plait surtout !#on reprend en douceur après la FE OC Week !#C'étais prêt depuis un moment mais je voulais faire que 5 billets à la base jusqu'à voir le nombre de page et oui...#mieux vaut faire ça en un billet supplémentaire... ce sera mieux et moins condensé en reblog#La distribution de claque recommence ! J'ai beaucoup aimé écrire la scène de rêve ! J'espère qu'elle vous plaira !#(c'est les scènes que je préfère en général : les scènes de rêve ou irréalistes où les persos sont en plein trip#On peut mettre la réalité au placard et y aller à fond sur les symboles et les choses irréalistes tout en gardant la logique propre des rêv#diatribe des avertissements inspirée par une conversation avec un ami hors Tumblr qui a passé +30 minutes à cracher sur un jeu#auquel il n'a pas joué depuis 20 ans et qu'il déteste mais qu'il ne peut pas s'empêcher de cracher dessus en disant que c'est de la m*#avec quelqu'un -moi- qui aime ce jeu vu que c'est sa série de coeur alors pas très agréable à vivre et ça donne envie de rappeler :#Eh... [nom censuré]... ou le dernier jeu est mal fichu. Et si tu n'aime pas cette licence on peut parler d'autre chose...#donc bref : vous aimez pas un truc ou vous n'adhérer pas à un truc soit ne lisez pas soit évitez de le tartiner à la figure de gens l'aiman#ou alors assumez que vous avez donné une chance à quelque chose que vous doutez ne pas aimer pour voir#Enfin fin du négatif bonne lecture à tous !
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spottys-rathole · 2 years
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29/04 : Il y a un an les Croûte essayaient maladroitement de cacher une carcasse de camion
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ciboulo · 1 year
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J’ai revu 2 anciens amis du secondaire et les deux m’ont demandés si je vivais dans un van. Je sais pas c’est quoi les rumeurs sur moi ou ce que je dégage mais apparemment j’ai la vibe vanlife en étant casanier
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sportsallover · 10 months
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Moi @L'Équipe, Lou au micro de Tanguy quand ?? Je veux l'entendre !!
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kalincka · 1 year
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Soooo since ffnet seems to be shitting itself + dying now. À quand la fin de lpdcn?(JOKE THISIS A JOKE
LMFAOOOO ANON YOU BETTER REVEAL YOURSELF WHEN YOU MUST CAUSE ME BRAIN SHOCK LIKE THIS
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energiologue · 6 months
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L’Inquiétude
. . VOUS POUVEZ ENTENDRE CE TEXTE EN CLIQUANT SUR LE LIEN CI-DESSUS . L’inquiétude est la petite sœur de la peur. Être dans l’inquiétude est une contradiction, car il n’y a pas d’être si vous êtes dans l’inquiétude et si ce sentiment vous a occupé et angoissé : L’inquiétude est le précurseur de la peur. Souvent, et à tort, on associe le souci à la responsabilité. Mais c’est fondamentalement…
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superiorkenshi · 2 years
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Still mad about Chase and Camron's divorce tbh
ENCORE À CE JOURS JE LEUR EN VEUX
GENRE C'ÉTAIT SI FRUSTRANT COMME CONCLUSION DE LEUR RELATION
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porciaenjoyer · 2 years
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je jure que cet homme me mettra fin... je le verrai et MOURRAI tout de suite.. je devrai détourner le regard parce que si je le vois j'exploserai. inférez.. ou ne me regardez pas en fait. et ouias mon français est horrible.. désolée!!! mon destin tragique est imminent (<- elle est mélodramatique). c’est embarrassant….
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lilias42 · 1 year
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Acte 4 de "Tout ce que je veux, c'est te revoir..."
Bon... ça va devenir un running gag à force mais bon, cette histoire a grossi BEAUCOUP plus que je ne le pensais à la base ! Donc voilà le 4e acte de cette histoire de "Tout ce que je veux, c'est te revoir..." qui fait suite à ce billet-là et son reblog ! Et comme d'habitude, la suite de cette partie sera en reblog par manque de place.
Là, on reprend à Gautier avec la suite de l'affaire du vol d'Adrastée, la famine et les conséquences que cela dans le Nord mais aussi ailleurs dans le Royaume.
Comme toujours, fans de Lambert, Rufus et Gustave, passé votre chemin, cette histoire n'est pas faite pour vous, ni pour ceux qui voient le Royaume comme un seul bloc monolithique avec tout le monde derrière le roi sans réfléchir mais ça, je crois que vous commencer à le voir dans cette histoire.
Et comme toujours, coucou @ladyniniane
Sylvain faisait le tour des chemins de ronde de la forteresse, demandant si tout se passait bien, pendant que Starkr se dégourdissait les ailes. En plus, ça faisait souvent plaisir aux gardes transis de froid de recevoir un peu d’eau chaude à boire – même s’il n’avait plus ni thé ni tisane à mettre dedans depuis un moment – ou de tenir Foa. Cette renarde était la meilleure chaufferette de tout Gautier et adorait être au centre de l’attention alors, c’était gagnant-gagnant pour tout le monde. Elle riait sous les lourdes caresses d’un vieux soldat aux anges quand ils virent tous quelque chose commencer à briller au loin, petit et peu visible mais, impossible à manquer.
« Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Un feu de forêt ? Proposa quelqu’un.
– En plein hiver et avec une neige pareille ?
– Apportez une longue-vue ! Vite !
On passa à la capitaine le vieil instrument, puis elle le pointa dans la direction de la lumière.
– C’est un campement… importance moyenne… ils sont sur la colline d’en face, c’est pour ça qu’on les voie aussi bien… par contre, il va falloir attendre qu’ils se rapprochent pour savoir si c’est les conscrits qui ont enfin accepter de nous rejoindre ou si c’est les voleurs de Rufus… s’ils avancent normalement et que rien ne les ralentit, on pourra les voir demain soir…
– Ou alors… ils sont sur la colline en face, c’est ça ? Demanda Sylvain, qui appela en ayant le hochement de tête de la capitaine. Starkr ! Revient !
Le corbeau fondit vers lui pour se poser sur le poing que lui présentait son maitre. C’était un corbeau de chef, Fregn lui avait expliqué tout ce qu’il pouvait faire et que Starkr était particulièrement habile alors, ils allaient vérifier s’il était toujours aussi doué que quand il était jeune.
– Tu voies cette lumière Starkr ? Va s’y et ramène-nous un drapeau, un vêtement… tout ce que tu veux tant qu’il y a le symbole de la troupe. Ce sera le dessin qu’il y aura le plus là-bas. Je compte sur toi.
– Vous pensez qu’il sera capable de faire ça ? Lui demanda la capitaine, un peu sceptique. Je sais que ces corbeaux sont très intelligents mais quand même…
– On verra, ça ne coute rien d’essayer. Les corbeaux srengs sont dressés pour ramener ce genre d’informations, histoire d’être utilisable même sans sort d’espionnage peint sur eux. Même s’il rate, on saura surement demain ce qu’on doit préparer pour les recevoir…
Au bout de deux bonnes heures à attendre tout en surveillant les alentours, les soldats gelés virent enfin revenir le corbeau, les serres enroulés autour d’une grosse étoffe bleu roi. Même si le blason dessus était à moitié arraché, ils le reconnurent tous comme celui de Rufus : l’emblème de Blaiddyd barré.
– C’est très bien Starkr… le récompensa Sylvain avec un morceau de son propre diner, le corbeau dévorant le bout de viande sur son poing. Et on l’a notre réponse…
– Le retour des voleurs et des fossoyeurs… » dit un des hommes à sa place, le jeune homme pensant la même chose que lui.
Sylvain félicita encore le corbeau avec une caresse en plus d’une partie de son propre repas pour le récompenser, puis amena l’étoffe à ses parents. Il aurait préféré la montrer à sa mère en premier mais, son père était avec elle, les éclats de voix indiquant qu’ils se disputaient encore.
« …ne me défie pas Fregn… gronda Isidore d’un ton menaçant. Les braconniers font les meilleurs gardes-chasses.
– Encore une fois, ma spécialité n’était pas de voler, et ce n’est même pas les choses que nous visons en premier, c’est toujours les bleds, même si je sais aussi repérer mes semblables pour le contre-espionnage. Si nous vous surveillons beaucoup, nous nous surveillons aussi les uns les autres à Sreng. Je t’avais prévenu que Adrastée se comportait étrangement. C’était à toi de prendre en compte mes avertissements ou de les ignorer, et tu as fait ton choix.
– On sait tous les deux ce que tu es : une espionne et une assassine. Tu es une vipère entrainée à tuer et à semer la zizanie partout où tu passes pour détruire tes cibles. Évidemment que je n’allais pas te croire alors que tu détestes la famille royale quand tu me disais de telles choses. Qui aurait pu croire qu’une agente de confiance de la couronne serait aussi malhonnête ? Cela en va de l’honneur, la base de la confiance et du bon fonctionnement des relations entre le seigneur et son vassal. Je ne peux décemment pas porter de telles accusations sans preuve, encore moins parce que ma sauvage de femme la trouve suspecte.
– Bien que je n’ai pas essayé de le faire pendant tout notre mariage. Malheureusement pour nous, cela fait plus de vingt ans que nous devons nous supporter et ton fief est encore en entier. Tu es bien placé pour savoir que j’ai poussé une ville entière à se détruire elle-même en moins de temps que ça, surtout que ce ne serait pas mon coup d’essai dans la région. Votre roi a été bien plus efficace que moi pour le coup. J’opérerais encore, il serait mon meilleur allié. Aie le courage d’admettre que si tu es aussi contesté, c’est parce que tu t’écrases devant ce roi sans yeux, on avancera plus vite.
– Comme si un sreng pouvait seulement comprendre le concept même de fidélité. Nous, les fodlans, sommes autrement plus fidèle envers le roi qui assure notre protection ainsi que la justice en notre Royaume. Vous, vous égorgez vos propres rois dès que vous en avez l’occasion, et je sais très bien que tu essayes de contaminer Sylvain avec tes pensées de Sreng.
– Et à cause de cette loyauté aveugle, vous vous précipitez tous à votre mort. Qu’importe ce que tu peux en penser, votre roi sans yeux a perdu toute respectabilité, et nous le sentons tous, même toi. Et des fodlans… Gylfe Gautier lui-même est à présent parmi les berserkir d’Odin et combattra parmi eux pendant le Ragnarök…
Sentant que cela risquait de dégénérer en affrontement verbal plus fort, Sylvain toqua à la porte puis entra sans attendre de réponse.
– Pardon de vous dérangez mais, un campement s’est installé sur la colline au sud. Starkr a ramené ça de chez eux. On ne les voie qu’à la longue-vue, et il a mis en gros deux heures à faire l’aller-retour.
– S’il a mis autant de temps, c’est qu’ils doivent bien être à une dizaine de lieues, commenta Fregn alors qu’Isidore prenait le tissu dans ses mains.
Il le fixa avant de grommeler.
– Troupes du régent. Personne n’est encore arrivé et on a pas tout ce qu’il demande… hors de question de leur donner le vöruhus, ce serait signer la mort de Birka, il va falloir leur donner toute notre réserve loogienne.
– Mais on en a aussi besoin pour compléter le vöruhus, on a pas assez pour faire tout l’hiver avec. Et vu toutes les tempêtes qu’on a essuyé et la situation, ça m’étonnerait que beaucoup de villes répondent à l’appel, ce serait bien trop dangereux pour trop de monde d’envoyer les personnes valides et jeunes qui leur reste à Fhirdiad, surtout qu’on se rapproche de la belle saison.
– Je ne te demande pas ton avis Sylvain. Moi aussi, je n’aime pas saigner à blanc Gautier mais, nous avons des devoirs envers la famille royale que nous nous devons de remplir. Obéir aux ordres en fait partie. Tu es le futur margrave de Gautier, le gardien de la frontière du nord, pas un sreng qui va ouvrir la porte aux raids, ne l’oublie pas.
Sylvain se retient très fort de rétorquer que c’était difficile à accepter en ce moment. Son père leur ordonna de partir à tous les deux, allant mettre tout en ordre pour accueillir la garnison.
En sortant de la pièce, Sylvain et Fregn ne dirent rien, avançant sans un mot. Ils saluèrent juste les personnes qu’ils croisèrent. Ils étaient tous maigre, les joues creuses et le regard éteint, tiraillés par la faim et la fatigue. Même eux ne se portaient pas mieux, n’ayant plus que leurs muscles sous leur peau pour leur tenir chaud… si leur corps ne commençait pas à les manger pour ne pas mourir de faim…
En sortant, Sylvain regarda la cour, voyant tout le monde finir de travailler comme ils pouvaient, l’humeur noire. La rumeur de l’arrivée des voleurs de Rufus avait dû se propager dans la forteresse… demain, toute la ville sera au courant et de toute façon, leur camp sera visible depuis les portes… puis il faudra leur donner leurs réserves… voir leur remplir l’estomac à eux le temps que les hommes et les vivres des autres villes arrivent… dire qu’ils n’avaient même pas de quoi manger eux-mêmes… alors que les cadavres s’accumulaient sur les toits… seuls les corbeaux s’engraissaient ici… et ils devraient… après que tout le monde soit mort pour ce voyage à la…
Il serra le poing et demanda en sreng à sa mère, cette langue lui venant toute seule sur le bout de la langue.
« Qu’est-ce que tu en penses ?
– Rien de bon. La nourriture, cela se protège avec autant de force que ses propres enfants sinon, tes enfants meurent les uns après les autres, répondit-elle d’un ton neutre.
– Non plus… et il va falloir qu’on leur donne à ses putains de voleurs… tout ça parce qu’un roi sans yeux a…
Il sentit la main de Fregn se poser sur son épaule. Il la regarda dans les yeux, sa mère déclarant simplement.
– Fait ce qui te semble juste. Pas ce que des promesses brisées t’obligent à faire.
– Des promesses brisées hein… il passa sa main sur les plumes de Starkr, toujours en équilibre sur son épaule, alors que Foa et Mordant l’approchaient aussi, en récoltant quelques-unes à leur tour, s’encrant dans leur chaleur et celle de sa mère. Si Gylfe voyait ça…
– Il avait un vrai roi élu en face de lui, qui n’a jamais fermé les yeux, il n’avait pas de raison de lui désobéir. Ses enfants aussi ont eu une grande reine puis de bons souverains au fil du temps. C’est plutôt quand certains ont commencé à être indigne de respect que s’il aurait été encore là, les rois sans yeux auraient eu à affronter un guerrier d’Odin.
Sylvain hocha la tête, regardant encore une fois les habitants de Gautier finir de ranger, la plupart en noir de deuil… les portes de la réserve loogienne verrouillées et la faim les suivant à la trace…
– Je ne mange pas à la maison ce soir, se décida-t-il en commençant à partir vers la porte.
– Pas de problème Sylvain, fait ce que tu as à faire.
Le jeune homme s’arrêta juste pour faire une bise à sa mère, puis partit rejoindre Matti et les autres, discutant tout de suite des dernières nouvelles.
Fregn ne put s’empêcher de sourire en le voyant prendre les choses en main ainsi, même si elle le camoufla vite pour ne pas se faire repérer. Une bonne épouse fodlan selon Isidore ne devait pas être joyeuse dans une situation pareille. Son mari était trop occupé pour s’intéresser à où leur fils cadet était passé, et une fois qu’elle eut remis Miklan à sa place pour l’empêcher d’aller poignarder son frère en ville, la sreng alla se poster dans sa chambre, au nord. Personne n’avait jamais compris pourquoi elle avait insisté pour avoir celle-là à part Isidore. Malgré toute la haine entre eux, son mari l’avait vite cerné. Une chambre plein nord, vers Sreng, un peu isolé, où il faisait froid et où donc personne ne tardait trop à part les gardes forcés de la surveiller. Enfin bon, ce n’étaient pas eux qui allaient faire quoi que ce soit.
Fregn se mit à la fenêtre, regarda au loin quelques secondes, même si elle dut vite arrêté à cause de la brûlure de l’énergie, comme hier. Ils étaient toujours là, mouillant dans la ville au bord de l’embouchure du fleuve au bord de la mer, quatre royaumes différents, et que des bons rois avec cela. Évidemment, personne n’avait pu leur résister, encore moins à quatre des plus grands Royaumes de tout Sreng, et mêmes les habitants de la ville avaient dû vite se rendre ou les rejoindre vu qu’ils n’avaient toujours rien envoyé à Birka. À une quinzaine de lieues mais, ils devraient arriver demain dans la matinée.
La sreng envoya un messager pour leur donner le départ, puis retourna à ses propres tâches.
Plus que quelques préparatifs, et tout serait prêt.
*
Au petit matin, toute la ville était au courant de l’arrivée des troupes de Rufus pratiquement aux portes, la colère grondant en les voyant avancer vers eux. Les bourgeois sortirent tout ce qu’ils avaient chez eux qui pouvaient servir à se défendre, du couteau de cuisine attaché à un long bâton au fléau en passant par les marteaux de travail ou les frondes de la chasse, avant de mettre tout et n’importe quoi dehors pour boucher les rues en cas de passage en force des forces royales. Même les monts de piété ouvrirent leurs portes pour faire passer les armes et les armures mise en gage chez eux.
« La garnison de la ville a ouvert son stock d’armes ! S’écria Matti en revenant de chez ses camarades. Allez-vous servir là-bas pour ceux qui ont bricolé leurs armes ! Et allez récupérer de quoi vous protéger !
– Je me charge de faire passer le message ! Répondit une femme.
Sylvain la regarda fendre la foule sans souci, allant crier les nouvelles à toute la ville. Il se frotta les yeux, fatigué mais lucide. Il avait passé sa soirée avec les habitants de Birka, tout aussi remonté qu’eux à l’idée de juste voir les agents de la Couronne, presque peu importe ce qu’ils voulaient. Ils venaient leur demander de s’ouvrir les veines pour réparer les dégâts du roi sans yeux, pas question de leur donner quoi que ce soit alors que tout le monde mourrait déjà de faim !
– En plus, Dimitri n’est même plus à la capitale, cela ne l’affectera pas directement… songea-t-il avant de proposer. On devrait renforcer les portes de la ville et faire tomber la herse. Ils n’ont surement pas de bélier et même s’ils peuvent s’en bricoler un avec les arbres alentours, cela leur prendra du temps. On sait ce qu’on fait ses gardes ?
– Aussi remonté que tout le monde, ils sont de notre côté, l’informa Matti. Ils doivent être inspecté dès que les voleurs arrivent à portée de vue normalement, leur capitaine ne va pas comprendre quand ils vont l’accueillir aussi avec des lances pointées en avant.
– Ça m’étonne même qu’il ne se soit pas encore montré à la tête du régiment du fort pour mater la révolte, rétorqua Sylvain. Il faut être extrêmement prudent… on sait ce qui se passe du côté de mon père ?
– Non, aucune nouvelle mais, Orégane est partie travailler ce matin, elle a dit qu’elle reviendrait dès qu’elle avait des informations.
– D’accord, elle ne devrait pas avoir trop de problème alors…
– Eh ! Vous ne devinerez jamais ! La générale Uggla et le capitaine Brahe sont morts !
– Quoi ?!
Sylvain et Matti se tournèrent vers une palefrenière qui arrivait en courant vers eux, agitant un bras pour ce faire voir. Ils la calmèrent un peu avant qu’elle ne continue, clairement choqué.
– Ils… ils sont morts tous les deux ! Une conseillère du margrave aussi est mort ! Mais y a pas qu’eux ! Plusieurs soldats de la garde rapprochée d’Isidore restés au fort hier sont malades ! Certains sont même morts ! Sur toute la troupe, au moins un tiers est malades ! Y en a au moins dix qui sont morts !
– Une telle hécatombe en une seule nuit ?! Hoqueta Matti.
– Tu sais comment ils sont morts ? La questionna Sylvain en essayant de garder son calme. Ça ne peut pas être un hasard s’ils sont tous morts ou tombés malades la même nuit !
– P… pour les soldats, ils ont tous très mal au ventre comme s’ils avaient tous trop bu un mauvais alcool… pour la générale Uggla, elle a été poignardée dans le ventre puis en plein cœur, et pour le capitaine Brahe, on lui a tranché la gorge… et pour la conseillère Kiöping, il avait des traces autour d’ongles et de cordes du cou… et on a retrouvé plusieurs capes abandonnées dans l’étang du palais… au Déesse… quelles morts horribles !
– La vache… en plus, pour tuer autant de gens en une seule nuit, fallait qu’ils soient plusieurs… surtout qu’aucun n’a été tué de la même manière… si c’est un seul gars, ça doit être le tueur le plus inventif du monde ! Les assassins se sont donné le mot ou quoi ? Enfin, c’est peut-être des nôtres, ça nous arrange si tout ce monde est soit mort, soit pas capable de combattre, c’est quand même des proches d’Isidore qui ne nous aurait jamais rejoint.
– Plusieurs meurtres très différents la même nuit hein… marmonna Sylvain, pensif et de plus en plus inquiet. Tu sais où est ma mère ?
– Le margrave a posé la même question dès qu’il a su que quelqu’un était mort mais, elle est introuvable depuis cette nuit…
« Il y a différentes manières de manier le couteau, lui avait déjà expliqué plusieurs fois Fregn lors des entrainements, notamment avant le thing afin de pallier toutes les situations. Cependant, c’est une arme avec une portée très courte, elle ne fait pas le poids face à des armes plus longues et n’est pas capable de traverser les armures alors, la manière dont on l’emploi dépend beaucoup de la situation et de la cible. Si la personne se méfie de toi, elle ne va pas te perdre de vue des yeux alors, le mieux est de frapper dans le ventre ou le dos de bas en haut. Avec cette technique, tu peux passer sous les côtes et déchirer plusieurs organes internes. N’essaye pas de taper dans la poitrine directement, tu risques de taper un os et d’abimer ta lame. Attend que ton ennemi soit à terre pour l’achever. Là, tu peux taper au cœur mais, tu risques encore de toucher le sternum ou une côte, mieux vaut frapper à la gorge. C’est également une très bonne cible pour une attaque surprise ou si tu frappes par derrière. »
– … d’accord… la connaissant, elle doit faire ce qui est nécessaire alors… marmonna-t-il avant de songer. Fait attention à toi maman… »
Ils étaient en train d’aider à monter des barricades dans la rue principales, quand il entendit hurler en ville, la panique se répandant comme une trainée de poudre en ville.
« Les srengs ! Les srengs sont là ! Ils sont aux portes ! »
« Quoi ?! Mais qu’est-ce qu’ils font là ? S’étonna Matti. Ils ne manquaient plus qu’eux !
– Attend, peut-être que ce n’est pas forcément comme d’habitude… le retient Sylvain.
– Et comment tu pourrais le savoir ?
– J’en sais rien, faudrait aller leur demander mais, entre les meurtres des généraux, et leur arrivée à point nommée quand les voleurs de Rufus débarquent au même moment, ça ne peut pas être un hasard. Ma main au feu, ma mère a perdu patience.
– Qu’est-ce que tu… attend ? Quoi ?! Tu crois que c’est elle toute seule qui les as tous tués et appeler les srengs ?! Une femme seule ?
– Pas une femme seule Matti, c’est Fregn l’Ombre, elle en est parfaitement capable la connaissant, et c’est même étonnant qu’elle ne l’ait pas fait avant vu le comportement de Lambert. En plus, pendant le thing, une clause d’assistance à Gautier en cas de danger avait été voté alors, c’est possible qu’ils jouent soit sur ça pour venir, soit sur la coutume de saluer des semblables quand ils passent dans le coin. Ça se fait beaucoup quand un royaume part en expédition, ils saluent tous les autres qu’ils croisent. C’est la politesse, tu salues les semblables pour dire que tu ne viens pas les piller eux et pour assurer les bonnes relations. Je vais voir, on sera fixé une fois qu’on leur aura parler. Ils sont au nord ? Et vous savez quels reines et rois sont présents ? Demanda-t-il en attrapant quelqu’un qui criait à l’arrivée des srengs.
– Euh… quatre aux voiles ! Une voile verte avec deux corbeaux…
– D’accord, ça c’est ma tante Thorgill le Kaenn, le vert des sapins avec les corbeaux d’Odin dessus. Évidemment, elle est là…
– Une autre est rouge avec un vieil homme borgne dessus.
– C’est Odin non ? Demanda Matti.
– Oui et ça, c’est Ohthere la Kraka, la Corneille, indiqua-t-il encore, se souvenant de lui, c’était son voisin pendant le thing, ils s’installaient exprès près des rois sans yeux pour mieux entendre ce qu’ils disaient et pouvoir se servir d’eux.
– Un avec le marteau de Thor sur une voile blanche.
– Kria la Fougueuse ? J’y aurais pas penser mais bon, elle doit avoir vu son intérêt ici.
– Et des voiles bleus avec une femme avec un grand collier dessiner dessus.
– Alors, c’est Solveig la Hundur, la Chienne…
– C’est un nom de reine chez les srengs ça ? S’étonna le crieur, il ne devait pas parler sreng.
– C’est pas dans le sens « sale chienne », ce serait plutôt « rakki » que « hundur » qui veut dire « clébard » mais, ce sens-là, ça n’existe pas dans la langue sreng. C’est pour évoquer la fidélité à son Royaume et le fait qu’elle a du flair pour trouver les bonnes occasions pour son peuple. C’est la successeuse d’Otkatla la Modérée, elle est très habile. Que du beau monde… »
Sylvain essaya de ramener le calme dans la ville sur le chemin vers les murailles de la ville, donnant vers le fleuve. Quand il fut aux créneaux, le jeune homme comprit mieux pourquoi tout le monde paniquait, en plus de voir les srengs aussi près de chez eux même s’ils étaient habitués à les voir débarquer… même si à la réflexion, ils n’avaient pas emmené toutes leur flotte, il y avait au moins une douzaine de navires sur le fleuve, dont quatre avaient accrochés leur figure de proue en forme de dragon, afin de marquer sur lesquels étaient les souverains de chaque royaume. Ajouter à ça que c’était les quatre plus gros ou puissants reines et roi de Sreng qui étaient au bas de leurs murailles, il y avait de quoi avoir peur.
Essayant de garder autant de calme et de contenance qu’il pouvait, le jeune homme repéra le navire de sa tante où étaient rassemblées les quatre souverains, en habits de voyage simples, même si plusieurs broches permettaient d’indiquer leur rang en plus de leur couronne simple. Il leva alors le bras en les regardant, s’écriant de toutes ses forces afin de se faire entendre.
« Salutation souverains de Sreng ! Thorgil de Kaenn ! Ohthere la Corneille ! Kria la Fougueuse ! Et Solveig la Chienne !
– Salutation à toi Sylvain le Renard ! Le salua Thorgil en s’approchant, toujours aussi nonchalante, la rendant encore plus impressionnante malgré son apparence sympathie. Nous étions en route pour Fhirdiad et il aurait été malpoli de notre part de ne pas venir saluer nos frères de Gautier !
– Nous arrivons sans prévenir mais, nous ne voulions pas que vous croyiez au début d’un raid en voyant plusieurs corbeaux volés au-dessus de vos murailles ! Poursuivit Solveig, calme et mesurée.
– Et nous vous remercions de votre visite, lui assura-t-il. Je ne peux que remercier le connaisseurs des courants et des vents d’avoir conduit votre navire jusqu’ici sans tempête.
– Nous de même ! Répondit Ohthere. En signe d’amitié après le thing et le serment d’assistance envers Gautier, nous sommes venus vous saluer, et boire un verre d’hydromel avec le fleuve afin que le connaisseur des vents et des courants nous épaule pendant le voyage !
Sylvain dût réfléchir à toute vitesse à la situation. Les voilà coincés de nouveau. Il pourrait leur dire la vérité et en vertu du serment d’aide du thing, les rois srengs allaient surement les aider à repousser les voleurs. C’était dans leurs intérêts de leur sauver la mise, Gautier leur en serait redevable et les mettrait en porte à faux avec Fhirdiad s’ils acceptaient l’intervention des srengs dans les ordres du régent… ce serait une trahison flagrante… mais l’autre option était de ne pas leur dire que c’était la révolte dans les murs de Birka, les recevoir sur le pont du Kaenn plutôt que dans la ville, ce qui risquait de les vexer. Après les avoir vu en œuvre, le jeune homme savait qu’ils devineraient les tensions internes. Enfer ! Il leur suffirait de lâcher leurs corbeaux pour voir les barricades et l’agitation ! Et cela pourrait aussi affaiblir d’autant plus leur position vis-à-vis des décisions du thing et de tous les royaumes srengs !
Dans le fond, Sylvain savait quel choix il préférait… celui qui était le meilleur pour eux tous selon lui… non, il ne pouvait pas prendre une décision pareille seul… est-ce qu’on le suivrait ? Est-ce que…
Il sentit une main se poser sur son épaule, vit Matti, plusieurs représentants des corporations de la ville, mais aussi quelques bourgeois et un conseiller de son père en la personne de Vigile, sérieux, son épée sur le côté avec son bouclier et sa côte de maille. Il crut un instant qu’il était là pour le ramener auprès d’Isidore, ou lui envoyer ses ordres en pleine révolte mais, l’homme lui dit en sreng.
« Le Renard, fais ce que tu as à faire pour Gautier. Nous te suivrons plutôt que le margrave sans yeux. Tu m’as prouvé ta valeur au thing devant le Bavard, puis devant le reste de la ville avec la voleuse Adrastée. Fais ce qu’il faut Sylvain le Renard.
– Fait ce qu’il faut Sylvain, ajouta Matti. Mieux vaut des gens qui volent pour nourrir leurs gosses, plutôt que des gens qui volent pour s’engraisser. »
Le jeune homme hocha la tête, puis se tourna à nouveau vers les srengs en déclarant.
– Ce serait un honneur de vous ouvrir la porte mais, je dois être honnête avec vous sur le fait que nous sommes pour le moment dans l’impossibilité de le faire. Des voleurs de nos rois sans yeux sont à peine à quelques heures de marches de nos murs. Le margrave a donné son accord pour leur donner tout ce qu’ils réclament mais, nous autres habitants de Birka refusons d’être volé au profit de personnes qui s’engraissent ! Nous avons décidé de faire montre de notre désapprobation à la manière des navigateurs de Midgard ! Nous devons donc régler ces deux problèmes avant de vous accueillir !
– Des voleurs dis-tu ? Alors, par les canons du Grand Thing, il est de notre devoir de venir en aide à nos frères de Gautier ! Vous êtes déjà occupé à régler vos désaccords internes, et le code de l’honneur des vrais guerriers srengs ordonne de ne jamais attaquer pendant ces périodes ! À se battre sans réel défi, on triomphe sans gloire ! Ce n’est pas un combat équitable ! Moi, Kria la Fougueuse, suis prête à vous apporter mon soutien avec mes hommes, mes navires et mes armes afin de chasser les irrespectables de la maison de ceux qui m’ont prouvé leur respectabilité !
– Moi de même. Ce roi sans yeux ne fait qu’affamer son propre peuple, il relève donc de la décence humaine la plus basique de l’empêcher de tuer encore plus des vôtres en vous volant davantage de nourriture ! Moi, Ohthere la Kraka, suis également prêt à vous venir en aide !
– De même pour mes troupes et moi, Solveig la Hundur ! Il n’y a pas de pire déshonneur que de frapper des gens à terre mais, pire encore est le crime de ne pas venir en aide à la personne acculée ! Par Tyr et Odin, il est de notre devoir de chasser ces malfrats de rois sans yeux s’ils refusent d’écouter les bons conseils du Bavard !
– Nous sommes donc tous d’accord entre nous ! Conclut Thorgil le Kaenn. Occupez-vous de votre propre chef sans yeux, nous nous chargeons de ces voleurs selon les canons du Grand Thing ! Quand nous reviendrons, nous trinquerons tous ensemble à notre victoire !
– D’accord ! Au nom du peuple de Birka et de Gautier, je vous remercie et suis reconnaissant de votre aide et soutien ! Que Thor soit à nos côtés !
Chacun se sépara, Sylvain voyant les habitants de Birka au pied des murailles, la plupart armés avec des outils de travail ou de vrais lances, haches et épées de la garde. Il crut un instant qu’ils allaient le lyncher pour avoir traité ainsi avec leurs ennemis jurés depuis pratiquement quatre cents ans mais, personne ne lui jeta la première pierre. Tous les regards se tournèrent vers la forteresse margravine, la colère montant de plus en plus.
« Les rois sans yeux nous ont tellement volés qu’ils ont rappelé à tout le monde qu’à l’origine, nous sommes des srengs, et que les srengs défendent avec autant de force leur nourriture que leurs propres enfants car ils savent que sans nourriture, ils meurent tous autant qu’ils sont au premier hiver… bel exploit, même Clovis n’était pas arrivé à le faire aussi vite… »
Sylvain demanda à Vigile des informations sur ce qui se passait dans la forteresse alors qu’ils avançaient tous ensemble vers elle.
Utilisant de grandes planches de bois comme mantelets de fortune pour se protéger des flèches et des jets de pierre, les émeutiers arrivèrent à forcer la porte en la défonçant à coup de hache et de marteau, à défaut d’avoir un bélier. Donnant ses ordres, Sylvain répartit les différents groupes pour prendre possession des lieux le plus rapidement possible en évitant un maximum de mort.
« Avancez avec toujours un bouclier ou une planche devant vous ! Pour ceux qui prennent les escaliers, que le premier soit quelqu’un de résistant avec une grosse planche ou une plaque de métal très épaisse devant lui ! Ils sont faits pour que ceux qui montent face de bonnes cibles ! Mon père doit être près du donjon ! Soyez prudent ! »
Sylvain avala sa bile, angoissé malgré la fureur de la bataille. Connaissant Isidore, il allait venir les affronter avec la Lance de la Destruction et n’hésiterait pas à les embrocher avec… enfin, il devait se reprendre, ce n’était pas le moment de flancher !
Les défenseurs lâchèrent les chiens de guerre du château mais, dès qu’ils virent Sylvain, ils se mirent en cercle autour de lui, Mordant le premier, avant de se retourner contre le palais quand il leur demanda. Eux aussi en avaient assez d’Isidore et de la manière dont il les traitait visiblement.
Alors qu’ils essayaient de se frayer un chemin dans un des couloirs, le jeune homme vit une chevelure aussi rousse que la sienne disparaitre dans les couloirs, abandonnant son poste et ses hommes. Il devina tout de suite qui était le fuyard…
« Miklan ! Il tente de s’enfuir ! »
Cependant, avant qu’il n’ait pu trop s’éloigner, son frère ainé se mit à hurler, après que Mordant se soit frayé un chemin entre les jambes et les boucliers adversaires, tout comme Starkr qui survola toutes les têtes de la mêlée pour fondre là où Miklan avait disparu.
Après avoir repoussé les défenseurs, le jeune homme trouva son frère au bas des escaliers où il était « tombé » des dizaines de fois, coincé par Mordant et Foa qui grondaient tous les deux, Starkr claquant du bec. Il ne semblait ne s’être rien cassé dans sa chute mais, les bêtes avaient su mordre là où il n’y avait pas d’armure et le maitriser.
Miklan jeta un regard, furieux, lui promettant l’enfer mais, cette fois, Sylvain n’eut même pas peur. Cette fois, c’était son frère qui était coincé au bas de l’escalier, et lui en haut, armé de sa lance…
« Où est Isidore ? Demanda-t-il en gardant son calme. Et où est Fregn ?
– Va te faire foutre le traitre ! Et cette connasse de sreng est allé pourrir en enfer !
Foa le punit pour son ton en le mordant à nouveau, mais Sylvain la rappela vers lui.
– Ne fait pas comme lui, même si c’est une ordure. Ligotez-le, il pourra toujours servir, » ordonna-t-il finalement à deux autres émeutiers pendant qu’il reprenait son chemin.
*
« Margrave ! Un autre soldat de la garde rapprochée est mort !
– Les émeutiers ont barricadés la plupart des rues ! La plupart des gardes urbains ont fait défection de leur côté !
– Des navires srengs se sont également approchés de la ville, se sont arrêtés puis l’ont dépassée ! Ils foncent vers les troupes du régent !
– Apparemment, le seigneur Sylvain leur aurait parlé mais, il est passé du côté des émeutiers avec ce traitre de Vigile.
Isidore gronda, serrant les dents, sa lance dans la main. Donc, entre les agents royaux et la révolte contre les prélèvements pour Fhirdiad, non seulement son propre héritier avait trahi la Couronne pour rejoindre les rebelles mais en plus, il semblait très bien s’entendre avec leurs ennemis de toujours, vu qu’ils étaient allés attaquer les troupes du régent plutôt que Birka… non pas qu’il ignorait le penchant dangereux de son héritier du côté du peuple de sa mère mais, il ne l’imaginait pas à ce point… il avait même contaminé Vigile… enfin, le margrave connaissait la responsable de tout ça.
– Faites portée les malades en lieu sûr et où ils ne nous gêneront pas si les émeutiers attaquent la forteresse. Préparez-vous aussi à vous défendre avec des armes de fer contre eux. Aucune pitié n’est autorisée contre ces traitres à la couronne. Toute fraternisation avec l’ennemi sera sévèrement punie, que ce soit avec les srengs ou avec les émeutiers.
– Et pour le seigneur Sylvain ? Demanda une de ses générales.
– Il a choisi le camp de la trahison et des srengs, il devra en payer les conséquences comme les autres, répliqua-t-il d’un ton froid, ignorant le sourire satisfait de Miklan qui attrapait une hache pour combattre à ses côtés, serrant la main sur la hampe de sa lance. Où est Fregn ?
– Toujours introuvable margrave, marmonna une de ses aides.
– On ne l’appelait pas l’Ombre pour rien… elle s’est évaporée d’un coup sans que personne ne le remarque…
– Mais êtes-vous sûr que c’est elle qui a manigancé tout ceci ? Demanda son plus jeune conseiller. Les meurtres et l’empoisonnement de cette nuit semblent être fait par plusieurs personnes. Une personne seule…
– C’est que vous ignorez tous des capacités de Fregn. Cette femme est la personne la plus dangereuse de tout Sreng et Fodlan réunis. Ma main au feu que le roi Ludovic et ma mère ne me l’ont fait épouser que pour avoir un élément imprévisible dans les pattes de Sa Majesté Lambert, aucun des deux n’avaient la moindre confiance en lui. Il n’y a qu’elle pour provoquer autant de morts en une nuit sans se faire prendre. Non, il faut la retrouver au plus vite, et cela pourra toujours faire une monnaie d’échange ou un otage contre Sylvain. Il ne fera rien si elle est en danger, il a le cœur trop tendre pour mettre en péril sa chère mère, gronda-t-il. Retrouvez-la au plus vite.
– Bien margrave !
– Sylvain est un raté jusqu’au bout, fit observer Miklan mais, Isidore ne l’écouta pas.
Isidore songea à son héritier… malgré ses efforts pour l’endurcir et les « entrainements particuliers » que lui faisaient subir Miklan, il avait toujours été gentil, trop doux pour un Gautier. Il était les gardiens du Nord, les descendants du Protecteur Sauvage, le Brave Gautier qui déchiquetait ses adversaires avec ces crocs pour protéger son peuple et commandait les bêtes.
Lui, il était tout le contraire : un enfant tout rond dès la sortie du ventre, avec un sourire trop vif et une indiscipline déplorable. Fregn n’avait guère perdu de temps, elle avait corrompu son héritier à la première occasion, et l’envoyer chez les Fraldarius n’avait rien arrangé.
Pour sa formation intellectuelle, cela avait fait des merveilles mais, cela n’avait fait que l’adoucir encore et encore jusqu’à le rendre aussi tendre que les jumeaux. Il savait à quel point Rodrigue pouvait être froid et terrifiant quand il protégeait quelque chose mais, sa mollesse et sa trop grande indulgence dans l’éducation de ses fils étaient notoires. Résultat, même si Glenn était le meilleur chevalier de sa génération et de loin avec Cassandra Charon, il avait hérité du caractère dissident de son grand-père, et Félix, n’en parlons même pas ! Un emblème majeur, certes, mais gaspillé par sa trop grande douceur et son côté farouche. Il était comme de l’eau : d’un côté, elle était insaisissable mais de l’autre, elle s’enfuyait à la moindre occasion… alors avec Sylvain qui avait des problèmes de tempérament à la base, cela n’avait fait qu’encourager ses pires travers et empirer sa gentillesse excessive et sa trop grande ouverture envers les srengs. Cela ne lui aurait pas été aussi bénéfique sur un plan martial et intellectuel pour son héritier, et politique pour Isidore qui faisait plaisir aux très puissants ducs à peu de frais, il aurait arrêté de l’envoyer là-bas à la morte saison à la première occasion… Fregn devait être ravie de la situation.
« Fregn… maudit soit-elle… »
Il se reprit en main, sachant que sa femme ne paniquait surement pas. Elle ne prendrait pas non plus confiance et resterait sur ses gardes à tout moment. Autant il la méprisait de toute son âme, autant il savait qu’il signait son arrêt de mort s’il la sous-estimait. Le margrave commettait la moindre erreur, et Fregn le tuerait avant les émeutiers. Il refusait de lui faire ce plaisir.
Enfin, il avait son idée pour la faire sortir de sa cachette. Elle avait beau être une espionne et une assassine endurcie, Isidore était le mieux placé pour connaitre son point faible.
– Si Sylvain n’est plus qu’un traitre, et bien soit. La Lance de la Destruction décidera de son sort.
Ses fidèles le dévisagèrent, incrédules et choqués, mais ils savaient que rien ne pouvait le faire changer d’avis. Miklan sourit de la même manière que lui en grinçant.
– C’est tout ce qu’il mérite pour trahir Gautier et Faerghus.
Sans un mot, Isidore partit chercher sa Relique, enchainée dans la grande salle seigneuriale, demandant à être seul. Il avait lancé son appât, restait à savoir si Fregn allait foncer dessus la bouche grande ouverte, même s’il ne se faisait guère d’illusion, elle avait surement anticipé le coup. Enfin, tout ce qu’il voulait, c’était se retrouver seul avec elle en face à face avant que Sylvain ou ses sœurs n’arrivent. Au corps à corps, il était sûr d’avoir l’avantage avec sa Relique face à son couteau mais, quand il s’agissait de son fils, Fregn pouvait prendre plus de risque alors, quand Sylvain risquait de voir son destin lacéré par les crocs de la Lance de la Destruction, elle allait forcément agir. Elle restait une sreng croyant au destin et terrifié par les Reliques, ainsi qu’une mère adorant trop son fils, même elle tomberait dans le piège.
En entrant dans la grande salle, le margrave ne put que voir sa Relique s’agiter sur sa hampe, semblant vouloir s’échapper de ses chaines pour foncer dans la bataille. C’était assez rare de sa part pour être souligné, elle qui d’habitude semblait plutôt répugner à l’idée d’aller au combat quand c’était lui qui la maniait. Pour sa mère, elle était plutôt calme et obéissante mais, avec lui, la Lance de la Destruction ressemblait à une bête sauvage et indomptable, il fallait être ferme et sans pitié avec ses caprices. Sourd à ses protestations, Isidore la prit dans ses mains, se mettant en position de combat en la serrant entre ses doigts.
En réponse, la Relique les lui mordit durement mais, il était habitué à ce stade. La plupart des plaies sur ses mains venaient de morsures infligées par la Lance de la Destruction elle-même mais, elle menait un combat qu’elle avait perdu d’avance. Froid comme l’hiver et dur comme le roc. Isidore avait toujours tout mené en suivant ces deux principes : armée, fief, guerre, famille… et tout lui avait toujours obéit ainsi alors, cela continuerait ainsi. La Lance de la Destruction était simplement une bête plus teigneuse et dangereuse que les autres mais, il finissait toujours par lui rompre le cou et la faire obéir.
Il sentit une minuscule présence dans son dos.
Isidore se retourna immédiatement et projeta le fer d’os de la Lance de la Destruction, forçant le soldat à reculer. Même sous le casque et le gros col d’hiver, il pourrait la reconnaitre entre mille.
« Tu es toujours aussi discrète. Hélas pour toi, même si tu sais cacher ta présence, tu es obligée de fixer ta cible avant d’attaquer. Je dois admettre que sans ça, je ne t’aurais pas senti arrivé mais, c’est toujours trop faible, comme tous les gens de ton espèce. Tu es devenue prévisible Fregn.
L’espionne répondit en baissant son écharpe, menaçante.
– On sait tous les deux que c’est un piège grossier mais, jamais je ne te laisserais faire le moindre mal à Sylvain, même si c’est plus risqué pour moi. De toute façon, on n’en est plus là.
– C’est bien pour ça que tu es prévisible à présent. Avant sa naissance, tu n’aurais pas mordu volontairement à l’hameçon, alors que tu sais que tu es désavantagé. Depuis qu’il est né et a grandi pour te ressembler, tu t’es attendrie avec lui. Enfin, j’imagine que tu as pu fermer la porte alors, on ne sera pas dérangé.
– Si aimer son enfant est une preuve de faiblesse, j’assume être faible avec fierté. C’est mon fils et je le protégerais avec autant de force que Frigg protège Baldr contre la mort et Loki, envers et contre le destin. Autant de toi que de Miklan, vous qui ne lui avez fait que du mal, répliqua-t-elle avec froideur, cherchant une ouverture dans la défense d’Isidore. Je ferais en sorte que cela cesse.
– J’imagine que c’est toi la responsable de la série de meurtre de cette nuit, ainsi que l’arrivée des srengs à nos portes en même temps que les émissaires du régent, gronda-t-il en ignorant les morsures de la Lance de la Destruction sur ses mains et même ses bras. Reste tranquille et obéit.
– Effectivement, même si tu étais le seul à trouver ça évident.
– Tu es une spécialiste du maniement du poignard, tes coups sont toujours d’une précision chirurgicale. Tu arrives à toucher le cœur sans toucher aux os, même dans le feu de l’instant, peu en sont capable et tu as brouillé les pistes avec l’étranglement, même si tu utilises rarement cette manière de tuer. Trois meurtres en une nuit, cela semble possible pour une professionnelle comme toi étant donné que ta surveillance était plus lâche que d’habitude à cause des émeutes. C’est également une habitude des srengs d’empoisonner les gardes des villes avant un raid, même si vous utilisez une toxine moins violente d’ordinaire.
– Je voie que tu as bonne mémoire malgré tout… et je devais faire en sorte que ces soldats ne se relèvent plus, même après que tu sois renverser. Ce sont tes plus grands fidèles, ils auraient pu être tenté de te remettre sur la chaire du margrave après le changement, ce qui est évidemment hors de question, et il fallait maximiser les chances que l’émeute réussisse. Huld arrive à rendre l’huile de hakarl bien plus toxique en la concentrant, même dilué dans l’eau, et son effet est encore plus dévastateur en l’associant à de l’alcool. Mélangé à un peu de brennivin, c’est indétectable au gout, surtout vu la qualité de l’eau qu’on boit tous en ce moment, expliqua-t-elle froidement, son accent revenant sur sa langue. Pour ce point, je remercierais presque tes rois sans yeux, ils m’ont facilité la tâche. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’eau empoisonnée qu’ils ont bue ne les tue.
Avec un grognement de rage, Isidore s’élança, visant la cuisse de Fregn. Il devait juste la rendre inapte au combat et suffisamment la blesser pour inquiéter mais, ce ne serait pas une bonne chose si elle mourait maintenant. Elle avait plus de valeur en tant qu’otage. La Lance de la Destruction gémit à ce geste, reculant ses pointes comme pour éviter de lui faire du mal, aidant l’espionne à esquiver le coup alors qu’elle se mettait hors de portée. Elle jouait sur le temps… il devait essayer de savoir ce qu’elle avait en tête !
– Obéit et frappe l’ennemi, ordonna entre ses dents Isidore en sentant les morsures de plus en plus profonde.
– Les Crocs de Fenrir seraient plus raisonnables que toi ? Étonnant… enfin, cette lance maudite a toujours préféré Sylvain, elle ne lui a jamais fait le moindre mal à ta différence, fit-elle remarquer, même si c’était évident qu’elle évitait l’arme. Cette abomination née d’un meurtre d’un pacifiste sait mieux reconnaitre une bonne personne que toi, alors que c’est l’arme de la Dévoreuse de Cadavres…
– Peut-être, mais tu en as toujours aussi peur, les habitudes srengs te collent à la peau. Et évidemment, c’est toi la responsable de ce désordre dans ma ville, devina-t-il. Tu étais très douée pour semer la zizanie partout où tu passais…
– Plutôt les vols incessants de la capitale, ce roi sans yeux de Lambert qui a tué plusieurs enfants de chaque ville, et cette voleuse d’Adrastée, ainsi que ta passivité face à tes rois sans yeux sont bien plus efficace que moi pour créer le chaos.
Isidore maudit la Lance de la Destruction quand elle sembla approuver les mots de Fregn. Elle devait fidélité à la Déesse et au roi ! Comme eux tous !
– Je dois obéissance au roi ! Je n’ai pas la trahison dans le sang comme les srengs qui les poignardent à la moindre occasion !
– Pas à la moindre occasion, quand ils ne sont plus respectables, nuance. Nous ne nous insultons pas nous-mêmes en obéissant à l’inacceptable. Ce que vous devriez faire également, surtout que le peuple de Gautier semble d’accord… après tout, vous êtes srengs vous aussi à l’origine, il en reste des traces, certaines choses sont restées au fond de votre mémoire…
– Nous ne le serons pas tant que je serais là et Sylvain finira bien par se conformer. Même si cela met du temps, je finirais bien par le dresser lui aussi et si ton sang de sreng est trop fort, j’arriverais bien à le remplacer avec une vraie fod… argh !
Isidore hurla de douleur, lâchant sa Relique sur le coup en découvrant ses mains et ses poignets en sang, comme si un renard venait de les mâcher avant de les recracher. La Lance de la Destruction frappa le sol dans un grand fracas, se tordant dans tous les sens, brillant d’un éclat sombre, un chuintement sortant d’elle. C’était comme si la gemme à la base du fer le fixait, le jugeait et prononçait sa sentence.
– Et bien… j’ai une alliée inattendue finalement.
Fregn se précipita sur Isidore à ses mots, tentant de le toucher au bras mais, il arriva à la repousser, tirant son propre poignard avec une grimace, se rassurant un peu de se dire que même s’il le perdait, il avait toujours celui de Gylfe, même s’il préférerait éviter d’utiliser l’arme de son ancêtre. Il le gardait sur lui juste pour éviter que quelqu’un d’autre ne le vole à nouveau. Ses mains étaient profondément entaillées, la Relique ne l’avait pas raté ! Mais pourquoi l’avait-elle…
La sreng ne lui laissa pas le temps de réfléchir, fonçant sur lui, sa lame brillante dans la lumière du matin pour l’éblouir avant de frapper. Il para à nouveau avant de tenter de la faucher mais, Fregn était rapide et agile. Elle esquiva en vitesse, puis enfonça profondément sa lame dans son bras droit, le plus blessé des deux par la Relique et lui fit lâcher son arme. Heureusement pour lui, Isidore arriva à donner un coup de poing à la sreng en plein visage, la douleur lui faisant échapper son poignard. Réagissant par instinct, il attrapa le poignard de Gylfe et le tira de sa gaine, jusqu’à ce qu’il remarque une légère lueur sur le haut du bras de Fregn.
« C’est le poignard de Gylfe ! Et Sylvain l’a récupéré des mains de Fregn quand il me l’a donné ! Il doit y avoir le sort de… »
Avant qu’il ne puisse remettre le poignard dans son fourreau, la lame s’enfonça profondément dans son flanc, appelé vers les runes de rappels tatouées dans l’épaule de Fregn, les seuls tatouages qu’elle avait eu le droit de conserver lors de leur mariage. La sreng profita de cette seconde de déconcentration pour enfoncer son autre arme dans la jambe du margrave, le long pic trouvant son chemin dans les articulations de son armure, puis se jeta sur lui de toutes ses forces et de tout son poids pour faire craquer sa mauvaise jambe et le faire tomber au sol.
Se fracassant la tête la première contre la pierre, Isidore se retrouva à moitié sonné, laissant le temps à Fregn de lui attacher solidement les mains et les pieds pour l’empêcher de se débattre quand il retrouva ses esprits.
– Tu as plus de valeur vivant, je ne te tuerais pas. Tu vas servir pour une fois… gronda-t-elle en le bâillonnant, menaçante et avec un léger sourire aux lèvres, tenant sa revanche pour toutes ces années enchainées à lui. Regarde bien, voie ce que désire vraiment Gautier et apprend la vraie valeur de mon fils. »
Isidore ne put rien répondre, même pas se débattre, vaincu par la sreng qui délogeait son pique de sa jambe, l’accrochant à son écharpe et récupérant son poignard pour le menacer de sa lame.
Quand il croisa le regard de la Lance de la Destruction, il eut l’impression qu’elle le regardait sévèrement, puis changea quand Fregn alla ouvrir à Sylvain. Ce dernier entra sans hésité, demandant tout de suite à sa mère.
« Maman ! Est-ce que tout va bien ?! Tu étais introuvable !
– Oui, j’ai fait ce que j’avais à faire pour Gautier… et pour régler quelques comptes que je trainais depuis plus de vingt ans, ajouta-t-elle en désignant Isidore d’un coup de tête dans sa direction, anticipant la question. La Lance de la Destruction l’a rejeté en lui mangeant les mains alors, ne t’en fait pas, je vais bien. Et toi ? Miklan ne t’a rien fait ?
– T’en fais pas, dès qu’il a vu combien on était, il est allé se planqué derrière ses hommes. C’est Starkr, Mordant et Foa qui l’ont rattrapé et arrêté, c’est eux les vrais héros avec tous les habitants de Birka, lui assura-t-il. En tout cas, je suis soulagée que tu ailles bien… je sens que tu as aidé de ton côté et je sais bien que tu es surentrainée mais, soit prudente.
– Un bon espion est toujours prudent et prend toujours des risques quand cela est le plus nécessaire, répliqua-t-elle. Enfin, il reste encore des choses à faire avant que tout soit fini.
– Oui mais, je pense que Thorgil sera contente de te voir en entier en premier, elle ne devrait pas tarder avec les trois autres rois. Faudra que tu m’expliques ton plan d’ailleurs, ajouta-t-il d’un ton plus sombre.
– Bien sûr, quand tout sera régler à Gautier.
Sylvain hocha la tête, et même s’il était visiblement réticent à toucher la Relique, il finit par l’empoigner pour l’éloigner d’Isidore par sécurité. Dès qu’il l’eut en main, ses pointes se calmèrent, son éclat devient plus doux, et une énergie chaleureuse comme la fourrure de Foa l’entoura, protectrice. Le jeune homme fut le premier étonné par cette réaction, dévisageant le fer de la lance en songeant.
« Je pensais que tu me mordrais les mains moi aussi… »
Il n’en fut rien, la Relique continuant à l’entourer de son énergie bienfaisante, comme si quelqu’un posait sa main sur son épaule pour l’encourager. En se concentrant, il pourrait presque revoir l’homme qui l’avait visité dans ses rêves après que Miklan l’ait abandonné dans la forêt, ressemblant bien plus à l’image qu’il se faisait du Bavard que de la Dévoreuse de Cadavre… cela lui donna du courage alors qu’il annonçait.
– La forteresse est prise et Isidore est tombé ! Rejeté par la Lance de la Destruction et le Brave lui-même !
Une grande acclamation de joie se fit entendre, redoublant d’intensité quand ils virent les srengs revenir avec les survivants des voleurs ligotés sur leur pont, le sort des vaincus et des prisonniers de guerre.
Thorgil le Kaenn s’approcha la première, déclarant avec un sourire entendu.
– Trinquons tous à notre victoire, sœurs et frères de Gautier. »
*
Comme prévu, ils burent tous ensemble à la victoire de chaque camp mais, le lendemain matin, ils durent revenir à des choses sérieuses.
« Qui est le margrave à présent ? Demanda quelqu’un. Il faudrait mieux une personne pour parler pour tout le monde avant de commencer à discuter avec les srengs de ce qu’on va faire maintenant, surtout vis-à-vis des accords du Grand Thing et de ce qu’on va faire d’Isidore et de Miklan.
– C’est évident que c’est le seigneur Sylvain ! S’écria Orégane. C’est lui qui a l’emblème de Gautier !
– En plus, c’est lui qui a mené la charge et à gérer avec les srengs ! Ajouta Matti sans hésiter. Si quelqu’un doit être margrave, c’est bien lui ! Autant par le sang que par ses mérites ! Même la Lance de la Destruction l’accepte !
– Il faudrait plutôt demander à tout le monde son avis ? Les refroidit Sylvain, ne voulant pas qu’on le choisisse juste pour son sang ou sur le moment. Ce sera mieux que de choisir comme ça. On pourrait élire temporairement le chef de la ville et du margraviat, puis on verrait à tête reposée. En plus, on va surement devoir reprendre toute l’organisation de Gautier à tête reposée. Si on continue avec la lignée ou juste à l’emblème, on risque d’avoir un autre Isidore, fit-il remarquer.
– Cela semble être une bonne idée, confirma Vigile en hochant la tête. Très sreng mais, ils sont meilleurs pour désigner les bons dirigeants que nous, c’est un fait. Soumettons cette idée à l’ensemble de Birka et voyons ce que cela donne. »
Tout le petit groupe accepta. On fit venir les habitants sur la place principale de la ville, assez grande pour tous les contenir après autant de mort, que ce soit à Duscur ou de la famine. Prenant son courage à deux mains, Sylvain monta sur le socle de la statue de Gautier pour s’adresser à la foule, demandant au Bavard de l’aider et de lui prêter sa langue d’argent malgré tout ce que son ancêtre lui avait fait.
« Peuple de Birka écoutez ! Nous sommes dans des temps difficiles mais grâce à votre courage et votre force, nous arrivons petit à petit à reprendre la main ! Grâce à vous, le règne d’Isidore appartient à présent au passé et nous pouvons choisir tous ensemble ce que nous désirons pour notre avenir ! Cependant, même si les décisions sont à présent prises en commun, nous devons également désigner un représentant de notre ville et temporairement de tout Gautier ! Alors, nous pourrions élire ce représentant afin qu’il représente au mieux les intérêts de tout Birka ! Qu’en pensez-vous ?!
S’il se fiait à l’excitation générale, tout le monde était d’accord. Après quelques discussions supplémentaires, ils mirent en place un vote secret : chacun devrait écrire le nom de la personne représenter après que les candidats se soient présentés à la ville entière, et on mettrait un peu d’encre sur la main de ceux qui avaient déjà voté une fois. Les noms des candidats seraient écrits en très gros au-dessus de leur tête en plus d’une forme simple qui leur étaient associé, afin que les personnes analphabètes puissent les redessiner malgré tout et si elles avaient un doute, des scribes seraient là pour leur confirmer ou réécrire correctement le nom. C’était pas très secret tout ça mais, fallait faire avec ce qu’ils avaient, tout le monde ne savait pas écrire. Ce serait quelque chose que Sylvain devrait corriger s’il était élu… il verrait qui de lui ou des quatre autres candidats seraient désignés par le peuple de Birka, les srengs observant tout avec curiosité et intérêt. Miklan aussi se présentait, par respect du droit de tous de concourir.
Chacun se présenta et parla de ses intentions pour Gautier. La plupart était contre l’idée de donner encore plus au régent mais, le jeune homme faisait partie des plus radicaux, déclarant sans hésiter qu’il fallait reprendre le dialogue avec Fhirdiad mais, plutôt pour les faire revenir sur Fodlan, renégocier les termes de leur fidélité et leur imposer leur nouvelle manière de fonctionner. Tous les habitants majeurs votèrent, même Isidore étant donné qu’il était un habitant de Birka comme les autres, bien qu’étant donné qu’il avait été renversé, son successeur devrait décider de son sort : l’exil ou la mort. Enfin, il verrait en temps voulu…
Quand des lettrés tirés au sort dépouillèrent, Sylvain serra son porte-bonheur, cherchant du courage dans la petite écaille sarcelle. Il n’avait toujours pas de réponse de Félix et vu la situation, le courrier circulerait surement très mal… dans son angoisse de l’attente, il demanda à Frigg que son ami aille bien…
Le chef des dépouilleurs finit par sonner une grosse cloche, annonçant avec sa voix forte.
« Les habitants de Birka ont décidé sous le regard de la Déesse ! Miklan Anschutz Gautier, quinze voix. Tove Persdotter, cent cinquante-cinq voix, Dick Birgersson, deux cent trente voix, Rut Hansdotter, cinq cent quatre-vingt-neuf voix, et avec une très large avance, Sylvain José Gautier, quatre mille deux cent trois voix ! Sous le regard de la Déesse et de lui-même, le peuple a tranché ! Notre représentant définitif à Birka et margrave temporaire sera donc Sylvain José Gautier ! »
Sylvain crut en tomber par terre à l’annonce des résultats. Il était premier avec autant d’avance ?! Bon, d’un côté, vu comment étaient les birkans pendant sa présentation, il sentait qu’il avait ses chances mais, avoir autant de voix… être élu par son peuple… il… il savait à peine quoi en penser… ne savait même pas si c’était à cause de son emblème ou de lui-même… mais ils avaient choisi de lui faire confiance, et il refusait de se défiler ou de les trahir.
Serrant son porte-bonheur entre ses mains pour se donner du courage, Foa sautant entre ses jambes en sentant la liesse ambiante, le jeune homme se leva pour rejoindre le centre de la place, Starkr sur son épaule. Il y fit face à la doyenne de Birka qui devait poser l’anneau du margrave sur sa tête, une large bande d’airain remontant à Gylfe le Berserkr lui-même, gravée de motifs de la mythologie sreng finement réalisés. Une couronne de roi sreng… même si elle avait été reconvertie en couronne de margrave, elle restait tout de même un témoin de ce fait…
Il saluait la vieille femme quand la voix de Miklan résonner dans toute la place.
« Attendez !
Sylvain se tourna vers son frère, bien gardé par Matti et des personnes de confiance, même s’il n’était pas enchainé contrairement à Isidore. Pour le moment, le seul crime reconnu de Miklan était d’avoir été du côté de l’ancien margrave, il ne pouvait pas le punir autant pour sa fidélité, même si elle était complètement intéressée et que Sylvain devait forcément faire un sort aux fidèles les plus proches de son père. Birka aurait d’autre chose à faire que de se soucier d’éventuel complot pour remettre un Isidore haï sur la chaire margravine.
Son grand frère s’approcha autant qu’il put, déclarant sans honte.
– Vous avez décidé de vous comporter comme des srengs alors, ça veut dire que tout le monde peut te défier pour te prendre ta place. C’est comme ça que vous fonctionnez vous les srengs, vous vous entretuez à la première occasion ! Alors, je te défie pour la place du margrave le porte-emblème ! Tu ne peux pas te défiler de toute façon ! Vient te battre contre moi que je t’écrase encore une fois !
Quelques lunes auparavant, Sylvain se serait figé, tétanisé de terreur à la seule idée de croiser Miklan, encore plus s’il tenait une arme, sûr d’y passer et s’excusant envers son frère d’avoir cet emblème dont il ne voulait pas… voir s’excuser d’être simplement né, avec ou sans, et de lui avoir tout prit comme Miklan ne cessait de le répéter pour le graver dans son crâne.
Mais aujourd’hui, le jeune homme avait affronté le Grand Thing et son père, avait vécu la famine et s’opposait frontalement à la famille royale elle-même, avait vaincu bien des adversaires bien plus coriaces et puissants que son frère, avait presque tout le peuple de Birka derrière lui… Miklan n’était plus un adversaire si effrayant. Juste un rival pour la place de margrave persuadé que tout lui était dû car, il était né le premier, et dont il connaissait les faiblesses.
Il lui fit donc face, même plus impressionné par leur différence de taille et de carrure, répondant sans trembler.
– Bien, que nos mots et nos armes désignent qui de nous deux est le clairvoyant et le roi sans yeux !
On fit un peu de place sur la place, chacun récupérant une arme en bois pour s’affronter. Sylvain serra à nouveau son porte-bonheur avant de prendre sa lance en main, alors que Miklan commençait à agiter sa hache pour l’effrayer.
– Allez le porte-emblème ! Approche ! On va voir qui est le plus fort !
– Il me semble que la dernière fois, tu as atterri dans le fumier, et qu’hier, tu fuyais devant les crocs acérés de Foa. Tu devrais plutôt demander ta revanche contre elle, répliqua-t-il en montrant la renarde retenue par Fregn, voulant foncer aider son ami. Ne t’en fais pas, à part quelques petites morsures, elle ne t’aurait rien fait de mal.
Tout le monde éclata de rire à sa remarque, se moquant de la couardise de Miklan qui avait fui devant l’ennemi, encore plus quand l’ennemi en question était une adorable boule de poil toute touffue et pas méchante pour deux sous. En Sreng, le duel serait déjà fini, les spectateurs auraient déjà jeté des pierres sur le prétendant à la fonction de roi puis l’auraient éjecté du village sans attendre. Mais à Birka, les gens n’oseraient surement pas intervenir ainsi et se contenteraient de commenter. Non, s’il voulait empêcher Miklan de devenir margrave et de conduire Gautier à sa perte, il devait le battre non seulement avec ses mots, mais aussi avec sa lance. C’était la seule solution pour le chasser tout en prouvant sa valeur et bien instaurer son autorité.
Miklan gronda, abattant sa hanche sur lui comme un bucheron frappait un tronc d’arbre en criant.
– Je vais te faire ravaler tes mots ! T’es rien à part ton emblème ! À cause de toi, j’ai tout perdu ! Tu as volé le titre qui me revenait de droit en naissant !
– Peut-être, répondit-il en évitant relativement facilement le coup, la frappe étant assez facile à anticiper à cause de sa lenteur, surtout comparé aux duels de force et d’esprit où les armes allaient aussi vite que les mots pendant le Grand Thing. Mais qu’à tu fais pour la regagner ? Qu’as-tu accompli pour prouver que tu méritais plus le titre que moi ?!
– Dans tous les cas, ton foutu emblème m’empêche d’être margrave tant que tu respires morveux !
– Autant dire que contrairement à Glenn Guillaume Fraldarius qui a prouvé sa valeur à maintes reprises, était le meilleur chevalier de tout Faerghus tout en étant un grand frère exemplaire pour son petit frère, tu n’as rien accompli ! Répliqua sans hésité le plus jeune en envoyant sa lance dans les côtes de Miklan.
Le coup coupa la respiration à Miklan qui dut reculer pour reprendre son souffle, de plus en plus rouge d’effort et de colère. Ses yeux brillaient de rage, se délectant d’avance du moment où il le vaincrait, comme quand il l’avait jeté dans ce maudit puits… un frisson remonta le long de son échine à ce souvenir mais, s’encrant sur ses pieds et sur sa lance, entouré par les encouragements des habitants de Birka et des srengs, Sylvain tient bon et resta en garde. S’il devait flancher, il le ferait après, une fois qu’il aurait arraché la marche à Isidore et Miklan pour de bon et les aurait chassés de Gautier !
– C’est pour ça que ce type était un idiot ! Répliqua-t-il après trop de temps, tentant de donner un coup de hache dans la jambe de son frère pour le déséquilibrer mais, il enragea encore plus quand il fut bloqué et que Sylvain retourna hors de sa portée. Il était juste un crétin qui n’arrivait pas à comprendre qu’il aurait dû avoir son duché car il était ainé, mais il cajolait son petit frère qui lui avait tout volé avec son emblème ! S’il s’en était débarrassé… si aucun de vous deux n’avaient été là, ton copain Glenn serait peut-être encore là ! Hurla-t-il en lui fonçant dessus. Il aurait dû faire comme moi et jeter son pleurnichard de frère dans un puits ! Il en aurait été débarrassé ! Comme j’aurais dû être débarrassé de toi !
– Ce n’est pas la naissance de Félix qui a tué Glenn ni la mienne, c’est les décisions irréfléchies du roi sans yeux qui a l’audace de continuer à nous voler après avoir tué plusieurs de nos frères et sœurs ! » Contra Sylvain, entendant tous les cris choqués des birkans, alors que Miklan avouait publiquement qu’il avait déjà tenté de tuer son propre frère dans sa colère. Ses mauvais traitements étaient un secret de polichinelle mais, peu de gens savaient qu’il était allé jusqu’au fratricide, même s’il avait heureusement échoué. Enfin bon, ça l’arrangeait, il n’aurait pas à le dire lui-même et risqué de montrer une faiblesse ou sa réaction en en parlant, et les gens y croirait plus si c’était le coupable qui se dénonçait tout seul. « Et tu parles des autres et te plaint beaucoup mais, tu ne dis toujours rien sur ce que tu as accompli toi !
– J’étais occupé à te reprendre MA place !
– Et pendant que tu geignais, j’ai étudié pour connaitre au mieux Gautier et Sreng, j’ai appris à parler le sreng, je me suis entrainé avec mes amis et j’ai tout fait pour les protéger ! Puis j’ai participé au Grand Thing où j’ai défendu avec force les intérêts de Gautier et de Faerghus et gagné des soutiens et le respect de plusieurs rois clairvoyants ! Puis je suis revenu et j’ai tout fait pour aider notre peuple en proie à la famine ! Et maintenant, je me bats pour le protéger du roi et du régent sans yeux qui veulent encore nous voler jusqu’au dernier grain de bled et la dernière goutte de sang ! Moi, tout ce que j’ai fait, c’était pour notre fief ! Pas pour mes propres désirs égoïstes !
– Remercie ton emblème ! Tu n’es rien sans elle ! Le nargua-t-il en lui courant de nouveau après avec sa hache.
– Je n’ai pas eu besoin d’elle ! Juste de ma tête et de ma langue ! Tu le saurais si tu avais tenté de les utiliser une seule fois pour le bien du fief, et non pour couvrir tes tentatives des pires crimes de sang !
Profitant de la poursuite aveuglée par la colère de Miklan, Sylvain le fit enfin tomber en lui assenant un gros coup de lance en pleine poitrine, priant pour que son emblème n’intervienne pas. Ses mots auraient plus de poids sans lui, et il voulait vaincre son frère sans son aide ! Au moins pour lui-même !
Heureusement, même s’il grondait comme un renard prêt à bondir sur sa proie à l’intérieur de son sang, l’emblème resta docilement en lui, ne sortant que quand Miklan était déjà au sol, vaincu. L’emblème ne brilla autour de Sylvan que quand le jeune homme força son frère à rester au sol en le menaçant du « fer » en bois de sa lance, pointé sur sa gorge.
– Tu as perdu Miklan, déclara Sylvain entre deux souffles, arrivant à peine à croire ce qui se passait.
Maintenant, la situation était vraiment inversée… encore plus que dans les escaliers. Maintenant, c’était lui qui pouvait tenir la vie de son frère entre ses mains et son arme…
– Alors quoi ? Vas-y, tue-moi… le provoqua-t-il, les yeux plantés dans les siens. Tue-moi si tu as les couilles de le faire ! Tue-moi comme le sauvage sreng que tu es !
– … le seul sauvage ici qui vient d’avouer ses tentatives de fratricide, c’est toi. Je ne suis pas comme toi, ce n’est pas Loki qui guide mes pas, je préfère suivre les enseignements du Bavard.
Sylvain resserra sa prise sur sa lance, toisant Miklan avec froideur alors qu’il ordonnait.
– Un prétendant à la place de margrave qui échoue ne gagne que la mort ou l’exil. Celui qui tente de tuer une personne partageant son sang n’est qu’un sous-fifre de la honte des hommes et de la honte des dieux. Le fratricide est le pire des crimes, celui qui entrainera le Ragnarök et qui est condamné par Sothis qui ordonne d’aimer son prochain. Pour un aspirant fratricide comme toi, le seul sort est la mort sans tombe, avec ton corps rendu à la nature pour nourrir le reste du vivant et ainsi payer pour tes crimes. Mais je vais faire preuve de clémence à ton égard. Je refuse de devenir comme toi et souhaiter avoir le sang de ma propre famille sur les mains.
Il releva sa lance, ordonnant sans hésiter.
– Miklan Anschutz Gautier. Pour ton échec du vol des responsabilités de margrave, et pour tes tentatives de fratricide, moi, Sylvain José Gautier, margrave temporaire de Gautier et chef de Birka, ordonne que tu sois condamné à l’exil à vie de Gautier. Tu partiras de ces terres et tu ne devras plus jamais y être revu. Reviens, et ton sort sera moins clément car, ce sera la mort qui t’attendra cette fois. Le même sort sera réservé à Isidore Mihkel Gautier qui est également condamné à l’exil à vie de Gautier. Je me réserve également le droit de choisir là où vous devrez aller. Emmenez-les dans les cachots. Nous les ramènerons à leur maitre s’ils veulent tant servir un roi sans yeux.
Les soldats lui obéirent sans hésiter, enchainant Miklan avant de l’emmener avec Isidore.
Quand personne ne vient le défier à nouveau, Sylvain sut qu’il était vraiment le margrave à présent, ceignant la couronne de son ancêtre en sachant qu’il avait gagné tout le respect des birkans par ses actions et non par son sang.
Il embrassa sa mère de joie et de soulagement que tout cela soit fini, puis passa aux négociations avec les rois srengs sous le nom de Sylvain le Renard, parlant d’égal à égal avec eux tous en tant que margrave clairvoyant, l’intérêt de son peuple toujours en tête et plus déterminé que jamais à récupérer tout ce qu’on leur avait volé.
*
Isidore ne savait pas comment s’en sortir, ruminant dans sa cellule. Sylvain l’avait fait attaché avec des chaines plus résistante que la moyenne, l’empêchant de les briser même quand son emblème intervenait. Les gardes étaient également des jeunes gens de son âge, n’ayant vécu que sous Lambert, connaissant la royauté que par son exemple et n’ayant donc pas le respect qu’ils devraient avoir envers elle. S’il se fiait à leurs discussions, ils étaient complètement d’accord avec son projet de s’en séparer ou d’au moins prendre ses distances avec Fhirdiad, l’ancien margrave ne pourrait surement pas les convaincre de le détacher pour le bien de la cohésion du Royaume. Son fils avait vraiment pensé à tout pour qu’il ne s’évade pas !
Quand la cinquième nuit depuis la révolte tomba, les gardes partirent, le laissant seul avec Miklan qui dormait. Isidore allait tenter à nouveau de se libérer de ses chaines, quand une voix qu’il haïssait se fit entendre.
« Notre fils est un excellent margrave. Tu dois être fier de lui.
Ignorant la douleur dans sa jambe, il se redressa d’un coup sur ses pieds et se précipita vers la porte de sa cellule, la chaine à sa cheville cliquetant quand elle se tendit, ivre de rage en la voyant venir le narguer sans qu’il ne puisse rien faire.
– Fregn…
Sa femme lui fit face. Elle était habillée comme une sreng, une grosse broche ronde tenant sa cape chaude, un poignard et une épée à la ceinture. Une longue épingle d’argent avec une tête en forme d’oiseau retenait ses cheveux bruns, pointue comme le stylet qu’elle était en réalité. Même ses bijoux étaient des armes… Isidore rêverait d’attraper cette épingle pour lui planter dans le cœur comme elle l’avait planté dans sa jambe, afin d’effacer à jamais cet air narquois et satisfait de son visage, exprimant dans cette seule expression plus d’émotion que pendant plus de vingt ans de mariage.
– Rassure-toi, je ne suis pas venu pour vous tuer. Je ne veux pas que votre sang souille ses mains et vous êtes plus utiles vivants pour le moment. Cela ferait mauvais genre s’il faisait assassiner son propre père et son propre frère alors qu’ils sont hors d’état de nuire. Mieux vaut être clément dans ces moments-là.
– Comme si des srengs comme vous connaissaient la clémence.
– A sa place, tu aurais tué Sylvain dès à la fin du duel pour les responsabilités de margrave si tu avais gagné. Je le trouve déjà extrêmement gentil de ne pas être plus sévère avec vous après tout ce que vous avez fait.
– C’est tellement aimable de sa part, gronda-t-il en désignant sa cellule. Je parie qu’il s’entend à merveille avec sa tante et les autres sauvages qui vous servent de rois.
– Estime-toi heureux d’avoir des vêtements et de la nourriture chaude ainsi que des soins, tu faisais croupir les traitres dans le froid avec de la boue gelée comme toute ration. Et effectivement, il arrive à trouver des accords avec les différents royaumes pour leur visite à Fhirdiad. Il doit t’y emmener après tout avec Miklan. Si vous tenez tant aux rois sans yeux, il sera content de vous y emmener et de laisser le Porte-Couronne se charger de vous. Il doit également récupérer tous les hommes et la nourriture qu’il a déjà volé à Gautier. Autant dire que Sylvain prend les choses en main, et que cela permet d’envoyer un message fort d’entrer de jeu : hors de question d’obéir et de respecter les irrespectables. Si Lambert et Rufus veulent qu’il les serve, il faudra qu’ils lui prouvent leur valeur et qu’ils sont dignes de son respect, comme Loog l’a prouvé à Gylfe le Berserkr.
– Il faut toujours tout arracher avec vous… et il ne perd pas de temps pour trahir Faerghus… le voilà convolant déjà avec vous pour défier l’autorité royale en personne…
– C’est plutôt le Porte-Couronne qui a trahi son Royaume en envoyant son propre peuple à la mort, en abusant de ses amis fidèles en les étranglant avec le travail et des obligations sans aucun sens, à part qu’elles ont été gagnées par Loog à la sueur de son front sans qu’il ne le mérite lui-même. Et le Tyran Égoïste n’est guère mieux, lui ne fait qu’agir pour ses propres envies en voulant envoyer encore plus de ses sujets à la mort dans sa vengeance et voler les richesses de personnes qui ne sont surement pas toutes responsables de ce massacre. Il en profite pour nous voler jusqu’au dernier grain de bled, comme un gamin attardé qui fait une fixation sur ce qu’il veut. Enfin, c’est de famille. Sylvain le Renard agit en vrai souverain en refusant de leur obéir pour privilégier la survie de son peuple, plutôt que d’obéir à des promesses brisées depuis longtemps et ne reposant sur rien.
Isidore serra le poing, sachant que quoi qu’il dise, Fregn rétorquera qu’il était indigne de sa position. Autant débattre avec un mur, même si les srengs se vantaient de le faire bien plus souvent que les fodlans. Il se contenta de grogner, sachant que c’était le vrai point de bascule entre l’agacement et la fureur du peuple de SA capitale.
– Maudit sois-tu…. Et maudit soit Adrastée… sans elle… si elle ne nous avait pas volé.
– Effectivement, son caractère odieux a été très utile pour créer une source de détestation supplémentaire qui a fini de rendre les habitants de Birka furieux, surtout qu’elle venait nous voler sur ordre de Rufus. Alors nous voler pour elle-même et son propre enrichissement, il n’y avait qu’un pas… elle était tellement détestable que tout le monde y a cru sans sourciller. C’était la coupable idéale…
En entendant ses mots, Isidore releva plus la tête, dévisageant Fregn. Non, elle ne pouvait pas… il la surveillait encore étroitement à ce moment-là, il contrôlait le moindre de ses faits et gestes ! Elle avait pu commettre autant de crimes cette nuit-là car, il avait dû mobiliser ses hommes sur la défense de la forteresse et la répression de la révolte ! Impossible qu’elle ait…
– Non… ne me dit pas que… que tout ça, c’était toi… mais comment… par quelle diablerie as-tu pu…
Fregn eut un petit sourire satisfait, déclarant sans hésiter.
– Simple question d’organisation, de préparation et de connaissance de l’ennemi. Pour commencer, il m’a fallu des complices et dans l’espionnage, il a trois manières de les trouver : corruption, chantage et connivence. Adrastée m’a donné l’argument idéal pour les recruter : empêcher le vol de la nourriture de nos frères et nos enfants. Je n’ai eu qu’à prendre son apparence afin de parfaire l’illusion qu’elle venait plus souvent que nécessaire, et elle se retrouvait à faire plusieurs fois l’inspection de nos coffres. Ensuite, j’ai échangé ma place avec ma dame de compagnie, qui m’est fidèle depuis des années. Elle est devenue moi et je suis devenue elle. Tu aurais dû choisir une personne avec une corpulence bien distinct de la mienne. Même si nos visages ne se ressemblent pas, j’ai pu atténuer les différents avec les bons accessoires et maquillage, ainsi que la bonne position pour atténuer la différence de taille. De plus, comme je ne suis guère bavarde, personne ne s’est étonné que je ne dise rien pendant des heures. Ensuite, il a fallu piéger Adrastée. Elle était capricieuse et voulait imposer son autorité en nous forçant à obéir aux ordres, tout en prenant les habitants de Gautier de haut car, vous venez de la frontière et seriez donc plus sauvages et moins éduqués qu’à la capitale dans son esprit. Je n’ai eu qu’à jouer le rôle d’une servante maladroite qui a fait tomber « accidentellement » sa boisson sur ses draps pour l’énerver et la pousser à la boire rapidement pour se calmer. Elle n’a même pas remarqué le gout du somnifère, le tout en ayant l’excuse d’avoir pris beaucoup plus de drap que nécessaire pour refaire le lit. Le soir chez les lavandières, j’ai dit qu’elle voulait beaucoup de drap comme une grande dame, et le lendemain, elles ont pensé que c’était son excuse pour avoir plus de draps discrètement et faire son subterfuge.
– C’est donc à ce moment-là que tu as mis tout ce que tu avais volé dans sa chambre…
– Oui, mes jupes m’ont été utiles pour une fois, déclara-t-elle d’un ton froid et professionnel, même si cela n’étonna pas Isidore, elle parlait de son métier après tout. Même un débutant pourrait y penser mais, c’est efficace.
– Et les gardes… comment as-tu pu passer entre ? Je faisais attention à changer les chemins de ronde régulièrement pour que tu ne puisses pas les apprendre !
– Ce qui était plutôt malin de ta part, je dois le reconnaitre, mais même si tu les changes souvent, en plus de vingt ans, tu as eu le temps d’user tous les chemins de rondes possibles. Même si la forteresse est grande, leur nombre est limité. Et pendant toutes ses années, je les ai appris, notés et étudiés, un par un, angle mort par angle mort. Je n’ai eu qu’à comprendre lequel était en place ce soir-là pour me déplacer sans me faire repérer. Toujours sous l’apparence d’une servante portant des draps à la laverie où était enroulée Adrastée, je me suis faufilée dans un angle mort de l’écurie. Là, j’ai pris son apparence en récupérant ses vêtements. Je l’ai mis sur son pégase comme un bagage avec les objets volés et ses affaires. J’ai également fait en sorte que le palefrenier de garde me repère, afin qu’il voie le paquet contenant les affaires et les bijoux volés. Personne ne la connaissait vraiment alors, dans la pénombre et en modulant ma voix dans mon échappe, c’était plus simple de créer l’illusion. J’ai ensuite poussé le pégase jusqu’à l’étang, après avoir attaché le sac de toile à sa ceinture avec des boyaux très fins, qui se sont vite décomposés pour servir de poids et empêcher le corps de remonter trop vite à la surface. Avec un coup à la tête pour donner l’illusion qu’elle a touché le fond de l’étang dans sa chute, et assez de temps pour que les traces du somnifère disparaissent, il devenait impossible de remonter jusqu’à moi. Il fallait que la colère enfle encore un peu à Birka afin d’être sûr qu’une révolte éclate alors, qu’un agent du régent soit aussi malhonnête et voleur de surcroit était le catalyseur idéal. Tes rois sans yeux sont vraiment mes meilleurs atouts pour monter la ville contre eux et toi par la même occasion.
– Une vraie professionnelle, gronda-t-il avant d’ironiser, sachant très bien qu’il n’accepterait surement jamais une telle chose, il avait le cœur trop tendre pour cela. Je parie que Sylvain va être ravi d’apprendre comment sa chère mère occupe ses nuits et lui prépare le terrain pour prendre le pouvoir… si tu lui avoues un jour tes activités évidemment…
– Sylvain est au courant. Dès qu’il a été élu et que les choses les plus urgentes ont été réglés, je lui ai tout avoué de moi-même. Il est moins bête que tu ne le penses, il avait déjà compris que j’étais la responsable des meurtres de la nuit de la révolte, même si apprendre que j’étais celle qui avait mis en scène la fuite et la mort d’Adrastée l’a plus surpris, même si après ma performance de cette nuit-là, il se doutait que j’avais un lien avec sa mort. Il a cependant compris pourquoi j’avais agi ainsi et que je l’avais fait dans l’intérêt de Gautier…
– Tu parles, tu l’as fait dans l’intérêt de Sreng et de ta sœur, contra Isidore, la connaissant assez bien pour deviner ses intentions. Tu dis que je sous-estime notre fils et le traite mal mais toi, tu le manipules afin qu’il se tourne vers Sreng et serve les ambitions de sa tante sans s’en rendre compte. Une mère modèle également…
– C’est vrai, je ferais tout pour que mon fils ne subisse pas un roi sans yeux et soit aussi fort que ma petite sœur, qui est la plus grande reine de tout Sreng. Je n’ai même pas besoin de le manipuler, ton roi est tellement irrespectable qu’il retourne ses fidèles contre lui comme on écaille un poisson. Ses décisions odieuses et ses actes inconscients sont les plus grandes sources de trahison de tout ce Royaume. Entre le créateur d’un chaos digne de la honte des hommes et de la honte des dieux, et celui qui se bat contre lui pour protéger les siens, lequel a plus trahi que l’autre ?
– … !
– Mamma !
Isidore allait répondre quand il entendit la voix de Sylvain appelé sa mère en sreng, Fregn le rejoignant sans souci avec juste un dernier regard froid à son mari. Entre les barreaux, il vit le jeune homme parler à sa mère sans hésitation ni gêne, même en sachant qui elle était vraiment, une assassine aux mains couvertes de sang et à la botte de Sreng. S’il se fiait au fait qu’ils ne parlaient pas fodlan, c’était évident que lui aussi allait basculer dans l’influence de Thorgil le Kaenn… et maintenant, il allait défier lui-même le roi dans sa propre capitale…
Isidore ne put s’empêcher de se laisser tomber au sol. Tout… toute sa vie… tout pour ce quoi il s’était toujours battu… la grandeur de Gautier et de Faerghus… tout…
Fregn avait tout réduit à néant en une nuit, et Sylvain consacrait surement sa vie à annihiler tous ses efforts en tant que margrave…
Si l’objectif de sa mère Erika et du roi Ludovic était bien de mettre des bâtons dans les roues de Sa Majesté Lambert, ils avaient réussi au point de fracturer le Royaume entier par cette seule alliance…
Gautier allait devenir un territoire Sreng… tout ça à cause de cette vipère détruisant tout sur son passage…
*
Rodrigue et Alix dévoraient leurs proies quand ils sentirent une odeur humaine inconnue les approcher. Se redressant, ils filèrent en vitesse, évitant de justesse deux flèches. Ils s’enfuirent en courant, profitant des gros buissons denses et impénétrables par les humains pour distancer les arcs.
« Là-bas ! Lâchez les chiens pour les rattraper !
– On ne peut pas les laisser filer !
– On pourra s’acheter pour six mois de bled pour tout le village si on arrive à récupérer leurs peaux ! »
Rodrigue entendit à peine les ordres des humains, plus préoccupé par l’odeur de chiens qui les poursuivaient, encore plus quand quatre gros molosses leur foncèrent dessus, tous crocs et bave dehors. Ils aboyaient tous des choses incompréhensibles mais, c’était évident que cela ne signifiait qu’une chose : ils étaient là pour les empêcher de retrouver son petit !
Quand l’un d’entre eux lui sauta sur le dos, le père le repoussa en lui mordant la nuque et en l’envoyant valser, pendant que son frère enfonçait ses dents dans la cuisse d’un autre. C’était pas vrai ! Il le ralentissait trop ! Il n’avait plus de temps à perdre ! Son petit l’attendait depuis trop longtemps !
« HORS DE MON CHEMIN !!! »
Des éclairs sortirent alors de son corps, foudroyant les chiens de chasse qui battirent en retraite en gémissant. Rodrigue était affamé et épuisé après une telle attaque mais, ils devaient filer d’ici au plus vite ! Trouvant une issue dans les ronces, les deux frères distancèrent enfin leurs poursuivants, trouvant refuge au plus profond de la forêt.
Quand les chasseurs retrouvèrent leurs chiens, ils étaient tous en vie mais, morts de peur, électriques s’ils avaient été foudroyés.
« Par la Déesse, ils sont en quoi ces loups…
– Vous croyez que ce sont les loups de cendre des rumeurs ?
– J’en sais rien mais, envoyés de la Déesse ou pas, il faut les retrouver… on a besoin de leurs peaux pour pouvoir manger au village… »
*
Une fois sa fièvre complètement tombée, Félix se mit tout de suite à se préparer pour rentrer chez lui. Il n’arrivait pas à s’arrêter, même pas une seule seconde. L’inaction était comme la pire des pertes de temps. Même dormir lui était difficile, tellement il avait l’impression qu’il avait perdu déjà trop de temps ces dernières semaines. Il devait vite rentrer chez lui pour voir si tout allait bien à Egua, puis il foncerait à la capitale pour retrouver son père et son oncle. Il ne savait pas pourquoi Lambert les retenait là-bas mais, il savait que les jumeaux ne resteraient jamais volontairement à Fhirdiad en laissant leur fief seul aussi longtemps ! Loréa avait toute leur confiance et pouvait gérer aussi bien qu’eux mais, ça ne se faisait pas dans leur famille de rester loin d’Egua pendant trop de temps, il fallait toujours être auprès de son peuple…
« J’irais avec Moralta et Aegis s’il le faut mais, je les retrouverais tous les deux ! Hors de question de laisser Lambert les retenir je ne sais où à Fhirdiad ! »
Enfin, c’était enfin le jour de partir pour Egua. Étant donné que c’était quand même urgent et que les routes terrestres étaient dangereuses, ils voyageraient par les airs, un petit groupe de quatre pégases menés par Cassandra qui avait pour consigne de ne pas le lâcher apparemment. Enfin, c’était elle qui avait le plus de chance de l’emmener chez lui sans problème alors, c’était tout ce qui comptait.
« Tu es sûr qu’il peut rester ici ? Lui demanda Dimitri, retenant Fleuret dans ses bras, assis dans son fauteuil roulant.
Ses jambes refusaient de bouger à nouveau, même s’il les sentait encore, encore heureux, ça diminuait le risque qu’elles soient complètement paralysées comme celles de Théo.
Mais si Dimitri se retrouvait handicapé à vie à cause de la connerie de Lambert, ça ferait une raison de plus à Félix de l’étrangler cet abruti, qui aurait complètement ruiné la vie de son propre fils jusqu’au bout.
– Oui, c’est trop rude comme voyage pour lui, il sera mieux avec toi que dans les airs, lui assura-t-il. Il risque de tomber en plus.
– D’accord, je te promets de bien m’en occuper, lui jura-t-il, avant de lui attraper la main en lui souhaitant. Retrouve-les vite tous les deux. Que Fraldarius te protège.
– Merci Dimitri. Tu seras dans les premiers prévenus quand je les aurais retrouvés et que je leurs aurais tirés les oreilles pour ne pas m’écrire.
– J’espère, arriva-t-il à sourire. Bonne chance.
– Toi aussi, t’as intérêt à être de nouveau sur tes jambes quand je reviendrais ! Et Dedue ! Il se tourna vers le duscurien, même s’il se doutait qu’il ne comprendrait pas grand-chose à ce qu’il disait. S’il recommence à parler tout seul ou à fixer quelque chose qui n’existe pas, tu lui fais cracher le morceau ! D’accord ?
– Félix ! Tenta de le reprendre le blond avant de se faire couper par le magicien.
– J’ai pas le temps de m’inquiéter pour ça aussi alors, tu avoues quand ça arrive, on gagnera du temps et on pourra comprendre ce qui se passe avec toi ! Donc, tu le surveilles ! D’accord Dedue ?
Ce dernier répondit dans sa langue mais, à sa tête, il avait compris le gros du message. Dimitri grimaça un peu mais, souhaita encore bon voyage à son ami, alors que Félix rejoignait Cassandra pour rentrer à Egua, après que son père lui ait confier leur Relique. Elle le fit monter devant elle, puis le petit groupe s’élança dans les airs.
C’était une sensation étrange de voler… c’était un peu comme être dans l’eau mais, à cheval… et il devait faire confiance à ce cheval pour ne pas tomber, contrairement au lac où il flottait sans effort, bien protéger par l’onde et son ancêtre… enfin, là, c’était Cassandra qui le tenait, ça devrait aller normalement…
Au bout d’un moment, il jeta un œil vers le sol quand il entendit le bruit d’un groupe de chevaux au galop, en alerte mais, releva vite les yeux en voyant le paysage défilé. C’était aussi bizarre comme air… il bougeait à peine mais, il avait l’impression d’être essoufflé…
« Évite de regarder en bas au début, ça t’évitera d’avoir le vertige, surtout que tu n’es pas habitué à respirer à une telle altitude, lui recommanda la cavalière. Le premier jour, c’est le plus dur !
– D’accord… mais, c’était quoi ?
– Un groupe d’une cinquantaine de cavalier qui semble venir de Galatéa on dirait mais, ils ont l’air d’avoir les couleurs de Blaiddyd sur eux. Ma main au feu, c’est des agents de Rufus qui sont aller leur réclamer de la nourriture !
– À Galatéa ?
– Ouais, on sait, ils sont aussi venus chez nous quand tu étais malade mais, ils ont fait demi-tour quand Dimitri leur a interdit de nous voler quoi que ce soit. Enfin, ils ont l’air de repartir les mains vides alors, espérons que les galatéeins ont su soit leur faire entendre raison, soit les repousser !
– D’accord… c’est quand qu’on arrive ?
– Dans cinq jours et ne me rabâche pas ça sur tout le trajet ! La prévient-t-elle tout de suite. Plus tu demanderas, moins ça arrivera vite !
Ne pouvant pas faire grand-chose à part attendre, Félix se cala un peu plus confortablement sur la selle, pensant à sa maison. Il rentrait enfin chez lui… l’image du lac, de la forteresse, le visage des gens d’Egua, la cuisine de Margot, l’odeur d’eau omniprésente, l’impression de sécurité… tout lui revenait en mémoire, comme ramené par les vagues sur la plage… il s’était à peine rendu compte qu’Egua lui manquait autant… pas autant que son père et son oncle mais, c’était un gros manque quand même…
« Ça fait longtemps aussi que je n’ai pas vu maman… et Glenn… »
Il ravala sa bile en pensant à la réaction de son grand frère s’il avait vu tout ça… il espérait qu’il n’était pas trop en colère…
Inconsciemment, le jeune garçon posa sa main sur la poche intérieure de sa veste, contenant l’éperon de Glenn, la dernière lettre de son père, celle de son oncle et celle qu’il avait reçu de Sylvain pendant qu’il était malade.
« Góðan daginn Félix,
J’espère que tu vas bien ! Je sais que je réponds avec des semaines de retard mais, je rentre à peine du Grand Thing.
En tout cas, j’ai lu toutes tes lettres et tu m’étonnes que tu sois inquiet si tu ne reçois plus de lettre de Rodrigue ! N’essaye même pas de me mentir, je sais que tu t’inquiètes pour lui, je te connais mieux que ça. T’essayes d’hurler très fort que tu es en colère contre lui à cause de ce qui s’est passé mais, même avec des jours de voyages et de l’encre et du papier à la place de ta tête, on sent à chaque mot que tu t’inquiètes beaucoup pour ton père. Honnêtement, vu les derniers évènements (dont je suis au courant si les nouvelles n’ont pas trop de retard – merci les routes enneigées et les tempêtes de neige) c’est normal de s’en faire et même s’il est surchargé de travail, ce n’est pas son genre d’arrêter d’écrire du jour au lendemain, surtout pour toi.
Je ne sais pas trop quoi te dire à part de commencer par être honnête envers toi-même. Si tu continues à nier ce que tu ressens comme dans tes lettres, ça va juste exploser au bout d’un moment et ce ne sera jamais au bon moment. Alors, assumer pourrait être un bon début, même si c’est dur. C’est peut-être sans trop de rapport mais, pendant le thing, je me sentais toujours mieux quand j’assumais mes propres convictions, j’arrivais bien mieux à argumenter et à avancer quand je défendais quelque chose en quoi je croyais. Tu devrais essayer d’appliquer cette logique avec ce que tu ressens. Quand t’auras commencé à assumer, tu pourras comprendre ce que tu ressens plus facilement, et ce sera plus facile d’agir en fonction de ça.
Enfin, encore une fois, c’est mon avis, tu en fais ce que tu veux.
… »
La suite, c’était sur tout le reste de ce que Félix disait dans ses autres lettres. Lui aussi, il lui disait d’assumer…
« Je vais essayer… même si je ne garantis rien… au moins, ce sera déjà ça… »
*
Les fermiers travaillaient dans les champs comme ils pouvaient, mâchonnant des galettes d’argile crue pour occuper leurs dents et oublier leur faim, quand un groupe de personnes étranges arrivèrent. Ils étaient habillés tout en noir avec un grand chapeau ou une capuche, comme les mages royaux. Cela se confirma quand ils présentèrent un document officiel. Bon, il n’y en avait pas beaucoup parmi eux qui savaient lire mais, c’était écrit sur le long côté avec un gros sceau décoré de l’emblème des Blaiddyd, ainsi que le monographe du roi, celui qui était sur tous les documents officiels et les affiches de la capitale, ça devait un vrai…
« Nous sommes à la recherche de deux loups noirs avec des yeux bleus et une taille inhabituellement grande. Ils se déplacent sans meute.
– Hum… ça ne me dit rien…
– Moi non plus…
– Je crois que je les ai vus ! S’exclama le berger.
– Vraiment ? Et où est-ce qu’ils étaient ? Demanda celui avec un œil brodé sous l’emblème du roi sur son habit.
– Ils sont sortis à l’orée de la forêt, là-bas, vers les pâturages du côté du soleil levant. J’ai eu peur qu’ils viennent pour manger un mouton mais, ils ont juste levé les oreilles avant de faire demi-tour.
– Aaahhh… oui ! Tu nous en avais parlé ! Dit un paysan en s’appuyant sur son outil de travail. Tu les trouvais bizarres ces deux-là…
– Ouais. Je crois que c’était leurs yeux… ils semblaient vraiment humains… un peu comme les loups de cendre… je les ai pris pour ça d’ailleurs… mais pourquoi vous les chercher ? Ils semblaient pas vouloir approcher du village…
– Y a aussi des rumeurs que des loups comme ça auraient sauvé plusieurs personnes sur leur chemin… ils n’ont pas l’air méchant…
– Parce que vous avez eu de la chance, on les soupçonne d’être des mangeurs d’hommes ou des animaux anormaux. L’un d’eux a déjà attaqué des humains et l’autre pourrait lancer des éclairs. Nous avons pour ordre de les capturer afin de les étudier, au moins pour savoir comment ils ont pu devenir aussi grand. Faites passer le mot à vos voisins de ne pas les approcher dans tous les cas. »
Les magiciens partirent dès qu’ils surent dans quelle direction aller, en silence, disparaissant comme ils étaient apparus.
« Les inférieurs sont tellement bêtes… marmonna l’un des enquêteurs en jetant un regard derrière eux.
– Cela nous arrange matricule 951. Plus vite on les retrouvera, plus vite nous pourrions étudier les mécanismes de la transformation… Matricule 951 vit son chef Myson sourire, ravi d’avance. J’ai hâte de tester leurs résistances avec l’emblème. En plus, avec de vrais jumeaux, les expériences sont toujours intéressantes pour voir ce qui est dû au hasard et ce qui est dû à l’intervention agarthaise… il faudra également que je compare le cobaye qu’on a récupéré à Duscur avec son géniteur, histoire de mieux cerner pourquoi la progéniture n’a pas eu d’emblème et les différences avec le parent à emblème dû à l’emblème, tout en ayant un point d’appui non-magicien avec son frère. Il faudra également qu’on mette la main sur l’échantillon avec l’emblème majeur mais, si on a son géniteur et un membre de sa lignée, l’emblème majeur devrait tomber facilement dans nos filets.
– Les inférieurs sont grégaires, surtout avec ceux qui partagent leur sang… fit observer l’ouvrier.
– En effet, et on dirait que nos deux futurs cobayes ont changé de cap, leur cible doit se déplacer. Fascinant… mouhouhahah… j’ai tellement hâte de tous les étudier sous toutes les coutures ! Dépêchons-nous de les retrouver tous ! »
*
Au bout de quelques jours, le groupe de pégase se posa enfin à Egua. Félix sauta tout de suite de la selle, bien content de retrouver la terre ferme, vite suivit par Cassandra. Même en ville, une odeur aqueuse s’infiltra en lui, coulant dans son nez et sa poitrine. Ça sentait bon la brise et l’eau du lac… il voulait tellement se jeter dans le lac… enfin, il y avait plus important à faire avant.
Loréa les accueillit avec un sourire, soulagée de les voir. Sans hésiter, la femme le prit dans ses bras, lui faisant un gros câlin en passant sa main dans ses cheveux. Même s’il hésita au début, Félix lui rendit le geste, retrouvant le parfum rassurant de la lavande séchée s’échappant de la pomme d’ambre à sa ceinture. C’était la fille de Nicola après tout, c’était aussi sa famille, il pouvait bien le faire.
« Félix… je suis contente que tu sois de retour, même si j’aurais préféré que ce soit dans de meilleures circonstances…
– … moi aussi Loréa… mais où sont mon père et mon oncle ?
– Je l’ignore, avoua-t-elle avec dépit, sachant que c’était inutile de lui mentir. Nous avons pratiquement perdu tous contact avec Fhirdiad. Certaines de nos missives reviennent mais, il est clair que plusieurs ont été retenues à la capitale.
– Ils retiennent les lettres ? Hum… ils m’ont envoyé une fausse lettre en disant que c’était mon père qui l’avait écrit, à toi aussi ?
Le visage sombre et grave de la femme fut une réponse en soit, cette dernière confirmant avec un hochement de tête.
– Oui… nous avons reçu plusieurs faux qui tentaient d’imiter l’écriture de Rodrigue et d’Alix, ce qui nous pousse encore plus à la méfiance.
– Ici aussi ?! Il faut vite aller les chercher à Fhiridiad alors ! Rufus déteste mon père et Alix car, ils sont plus compétents que lui et son crétin de frère ! Qui sait ce qu’ils sont en train de leur faire ! Il faut aller les chercher !
– Je ne pense pas que ce soit la meilleure des idées de se précipiter ainsi, commença Loréa avant de noter en le voyant ouvrir la bouche. Laisse-moi finir Félix. Nous n’avons plus aucune nouvelle ni de l’un, ni de l’autre, et si j’ai bien compris grâce à une missive du capitaine Drake ainsi qu’aux lettres qu’arrivent à faire passer sous le manteau la capitaine Duchesne et l’adjudant Parjean grâce aux marchands, quelqu’un à la capitale a surement volé les lettres que tu envoyais à Rodrigue, comme celle d’Alix. C’est étrange et inquiétant, ce qui a poussé Alix a allé voir directement à Fhirdiad ce qui s’y passait, et il n’est pas revenu. Je sais comme toi que Rufus haït les jumeaux du plus profond de son âme depuis toujours, autant par jalousie de leur compétence que par rancune contre son père mais…
– Raison de plus pour aller là-bas ! S’exclama-t-il avec force, pointant dans la direction de Fhirdiad, mort d’inquiétude. Rufus a déjà tué quelqu’un pour les menacer et dire que tous ceux qui ne lui disent pas « amen » subiront le même sort ! Il a massacré quelqu’un qui a juste dit la vérité que Duscur, c’était la pire connerie de toute l’histoire de Faerghus ! Ils sont les prochains sur sa liste !
– Justement ! Réfléchit Félix ! Le coupa-t-elle à son tour en posant ses mains sur ses épaules. S’il les retient bien à Fhirdiad, sadique comme le gamin attardé qu’il est, Rufus va vouloir tout leur prendre et leur faire du mal. Eux, ils peuvent encaisser, on le sait tous mais, il y a un moyen de les faire craquer et accepter de faire tout ce que veut Rufus, même le plus absurde et dangereux…
Félix se figea avant de dire, trop conscient de cette vérité.
– C’est moi… c’est moi leur faiblesse…
Un frisson glacial remonta le long de son échine alors qu’il repensait à l’exécution d’Acace, la peur dans le regard de son père après ce massacre alors qu’il décidait de le renvoyer chez eux… le départ de leur dispute alors que Félix refusait de le laisser tout seul et voulait qu’il rentre avec lui…
« Il est toujours comme ça… il fait toujours passer les autres avant lui… même quand il est malade et en danger… même si on pourrait lui couper la tête… c’est toujours le bouclier des autres… et Alix est pas forcément mieux… lui, il fonce tout le temps comme une flèche mais, il cherche toujours à protéger les autres… il est juste plus sélectif… alors… et moi, j’ai… je n’ai même pas pensé à le protéger alors que j’allais bien… je voulais rester, même si ça le mettait lui en danger… et à cause de ça, j’ai… idiot… idiot… idiot… »
– Eh, Félix. Je ne sais pas à quoi tu penses mais, si tu te dis que c’est ta faute, quelque chose comme ça ou quoi que ce soit vis-à-vis de Rodrigue et Alix, enlève-toi ça de la tête, le reprit Cassandra avec un petit coup sur son front. C’est normal que ton père s’en fasse pour toi et essaye de te protéger, pareil pour ton oncle. Ils t’aiment et c’est normal dans une famille saine de vouloir se protéger les uns les autres. En plus, les seuls responsables de tout ça, c’est Lambert et Rufus, personne d’autre. Alors, ne fait pas une Dimitri quand il se blâme de tout, c’est clairement pas ta faute.
Félix hocha la tête, demandant en se tournant vers Loréa.
– Qu’est-ce qu’on peut faire ?
– Pour le moment, pas grand-chose, j’en ai peur. Nous essayons de regrouper des soutiens, et louez soit la bonne gestion de ta famille, le fief est assez uni derrière vous. Beaucoup d’entre nous sont redevables aux jumeaux et même par calcul, c’est plus rentable pour les vassaux d’aider une personne qui les a toujours soutenus, protégé et dont ils dépendent, que quelqu’un qui se fiche de ses subordonnés. Je n’ai honnêtement aucune idée de jusqu’où cela pourra aller mais, c’est notre seule solution pour au moins résister aux vols intempestifs de Rufus. Donc pour toi, à part attendre, il n’y a pas grand-chose que tu puisses faire.
– Mais je veux t’aider ! Je ne peux pas rester les bras croisés alors que mon père et Alix sont là-bas ! Je peux le faire ! Les jumeaux ont fait leur premier plaid quand ils avaient huit ans pour aider leur mère Aliénor ! T’es la mieux placer pour le savoir ! Je peux le faire aussi et t’aider !
– Je comprends que ce soit frustrant et que tu ais très envie de nous aider, ce dont je te remercie mais, il n’y a vraiment rien que tu puisses faire pour le moment. La seule chose que tu pourrais faire, c’est que te voir pourrait encourager des seigneurs réticents ou peu sûr de rester fidèles à ta famille à rester de notre côté. Après tout… maintenant que les jumeaux sont portés disparus, c’est toi le duc en titre, jusqu’à ce qu’on les retrouve au moins… même s’ils ne souhaiteraient pas que tu ais autant de responsabilités qu’eux aussi jeune…
– C’est eux les ducs, pas moi, et ils le seront encore très longtemps, répliqua-t-il avant d’ajouter, faisant tout pour oublier leur galerie de portrait. Eux, ils vivront très vieux, tu verras… Enfin, si ça peut aider Egua, je le ferais. Juste… je veux aider à les retrouver.
– Bien sûr, je te le dirais sans faute. Merci beaucoup en tout cas Félix. Et merci à vous aussi de l’avoir ramené à Egua et protégé jusqu’ici, ajouta-t-elle en regardant Cassandra. Au nom de la famille Fraldarius qui est celle de mes seigneurs, mais également de ma propre famille, celle des Terrail qui est liée à celle de mes seigneurs depuis mon père Nicola, je ne peux qu’exprimer toute notre gratitude.
– C’est normal, déclara simplement Cassandra, avant de dire plus solennellement. Les Charon ont toujours été des amis et des alliés des Fraldarius, et c’est un devoir et normal de s’entre-aider en ces temps difficiles. Mon père, qui assure la fonction comtale le temps qu’on élise la nouvelle comtesse, m’a chargé de veiller sur lui le temps que cette histoire se termine.
– Je voie, nous vous sommes reconnaissants de ce soutien fort, ajouta Loréa.
– En plus, ajouta-t-elle en ressortant du protocole, même si c’est un petit chat qui fait souvent le grand dos et qui crache, il n’est pas désagréable.
– Nous sommes bien d’accord, arriva à sourire Loréa. Merci encore.
Félix ne prit pas le temps de grogner à Cassandra, étant libéré par Loréa. Il embrassa Margot qui leur apporta de quoi manger et se reposer après un voyage aussi rude dans les airs. Cela fit un peu sourire les chevalières mais, le petit garçon but d’une traite son verre, se resservit même plusieurs fois, savourant bien plus l’eau du lac que la nourriture de chez lui. Il n’y avait plus un arrière-gout de vase, juste celui de l’onde claire et pure, pleine d’arôme frais et minéral… Elle lui avait tellement manqué elle aussi… même s’il retrouva aussi avec plaisir le pain frais de Margot…
N'ayant pas grand-chose à faire sur le moment, Félix sauta de son banc et alla réexplorer sa maison. Il déambula dans les couloirs, retrouvant des souvenirs à chaque recoin. Il revoyait de trop longue après-midi d’hiver où il ne pouvait pas sortir, courant au final dans les couloirs avec Glenn pour passer le temps, avant de se mettre tous ensemble au coin du feu, dans une pièce douillette, couverte de tapisseries et de tapis afin de garder la chaleur, un livre ou un travail de couture, souvent une chanson berçant l’atmosphère…
« Eh ! Félix ! Tu viens ?!
– J’arrive Glenn ! Attends-moi ! »
« Louveteau ! Où est-ce que tu coures ?
– J’ai fini mes devoirs ! Je vais nager !
– D’accord ! Fais attention à toi !
– …et ne renverse personne dans ta course louveteau !
– D’accord ! Et oui, je sais Alix ! Je reviens pour le diner ! A tout à l’heure papa ! »
Le jeune garçon se força à ne pas penser à tout ça… ça faisait trop mal sans la colère pour les repousser et se dire que c’était que des mensonges… il osa à peine retourner dans sa chambre, juste à côté de celle de son frère et tout près de celle de son oncle et de ses parents…
Il déambulait dans les couloirs quand il arriva devant la grande salle seigneuriale, fermé en l’absence de seigneur pour recevoir les doléances d’Egua ou des vassaux de sa famille… Félix hésita un peu… puis posa la main sur la poignée et la tira pour entrer.
Dès qu’il rentra, il vit la chaire ducale de son père, soigneusement sculptée avec des motifs de loup et de flots, avec la chaise d’Alix, juste en-dessous de leur blason, un loup assit hurlant à la lune où était gravé leur emblème, faisant face à un banc où pouvait s’asseoir une personne venant porter une doléance. Pile en face, au-dessus de la porte, il y avait les portraits de Guillaume et Aliénor, veillant sur la pièce et les deux sièges. Les jumeaux disaient que cela leur donnait l’impression que leurs parents étaient toujours à leurs côtés de les voir ainsi…
Timidement, le louveteau s’approcha de l’ouvrage en bois d’orme, assez solide pour faire un bateau, passa sa main sur l’un des accoudoirs… Rodrigue le laissait souvent rester avec lui pendant les séances de doléances, Félix l’écoutant attentivement et donnant son avis quand il comprenait un peu ce qui se passait, son père lui souriant ou le corrigeant selon ce qu’il disait… quand il était encore assez petit, son père le prenait même sur ses genoux, l’enveloppant dans sa cape pour le protéger du froid, le laissant parfois s’endormir dans son étreinte… le jeune garçon manquait souvent de patience avec tout ça, autant les doléances que l’administration mais, quand Rodrigue arrivait toujours à le convaincre de continuer à étudier tout ça.
« Il s’agit de notre fief et de nos sujets, des personnes qui dépendent de nous pour leur sécurité. C’est notre devoir en tant que seigneur de les protéger et de faire en sorte que leur vie soit meilleure chaque jour. Si la Déesse nous a confié Aegis, le seul bouclier parmi ses Reliques, c’est afin que nous protégions notre peuple de toutes nos forces, mais aussi notre famille… »
« Papa… il posa sa tête contre le bois. Tu l’as toujours fait toi… comment tu fais ? Comment tu as fait ? Tu m’étonnes que tu ais craqué après tout ce que tu as dû supporter… »
« Miaou… rrrroooonnnn… rrrooonn…
Félix se tourna et vit une énorme boule de poil se frotter contre ses jambes en ronronnant.
– Glaïeul…
Il se baissa pour le caresser, la chatte ronronnant sous ses mains en frottant son museau tout doux contre lui. Ça faisait du bien de la revoir aussi… c’était une des petites de Fleurette alors, c’était un peu sa mère aussi… Rodrigue racontait souvent que quand Félicia avait réussi à convaincre Aliénor de la laisser épouser son fils, cette dernière avait commencé à parler de chats avec elle afin de signifier son accord en partant sur un sujet plus léger. Sa mère était bien tombée pour son mariage, tout le monde aimait les chats dans leur famille…
« Ce qu’on aime pas, c’est plutôt les chiens… surtout ceux comme… »
Il dut se crisper et faire une caresse de travers car, Glaïeul cracha un peu et s’en alla, la queue haute et l’air un peu hautain. Félix le suivit, ne voulant pas que le chat s’en aille mais, il fila se réfugier dans la chambre de ses parents, se faufilant par la chatière ouverte.
Cette fois, le jeune garçon n’osa pas tendre la main vers la poignée, même s’il était rentré des milliers de fois dans la chambre de Rodrigue, n’osant plus le faire tant qu’il ne s’était pas encore excusé…
« En plus… ça ne sert à rien… papa n’est pas là… il n’est plus là… comme Glenn n’est plus là… … … s’il te plait papa… Alix… revenez tous les deux… »
*
Après avoir enfin semé une nouvelle les mages puants, Rodrigue et Alix s’installèrent dans une grotte afin de passer la nuit, après avoir tué l’ours qui s’y trouvait pour leur repas du soir.
« On se rapproche de plus en plus… songea Rodrigue, le cœur prêt à débordé d’espoir.
– Oui, encore quelques jours, et on retrouvera le louveteau ! Surtout qu’il est à la maison maintenant ! Ajouta avec force Alix en déchirant un bout de viande, évitant la peau et les poils avant d’avaler la chair en se léchant les babines.
– Il faudra que j’attrape un faisan quand nous serons tout près de mon petit, » ajouta le père en grignotant sa part coincée entre ses pattes. Il ajouta en voyant l’étonnement dans les oreilles et les traits de son frère. « C’est son plat préféré, je voudrais lui en apporter un après être resté aussi longtemps loin de lui… j’ai tellement de choses à lui dire après l’avoir laissé tout seul aussi longtemps… je sais à peine par où commencer…
– Je comprends… il se pressa contre le flanc de son frère, le soutenant par ses gestes. On lui attrapera le plus gros et le plus gras des faisans de toute la forêt, il va se régaler… et tu vas voir, même si on ne l’a pas, je suis sûr qu’il sera très content de te revoir…
Rodrigue hocha la tête, avant de se lever, regardant la lune brillant de mille feux dans le ciel. À nouveau, il se mit à chanter, priant pour qu’elle porte sa berceuse à son petit, jurant encore et encore.
« Je vais revenir, c’est promis… c’est promis mon petit, je vais bientôt te retrouver… je ne te laisserais plus tout seul, c’est promis… »
Enroulé dans ses couvertures, incapable de s’endormir à nouveau dans sa propre maison maintenant que les jumeaux n’étaient plus là, Félix se tourna et se retourna, cherchant le sommeil.
Se déplaçant dans le ciel, un rayon de lune finit par l’atteindre, inondant toute sa chambre avec sa lueur, comme si quelqu’un avec une chandelle venait d’ouvrir la porte pour vérifier s’il dormait bien. Le jeune garçon sentit un baiser lui effleurer le front, l’endormant en douceur alors qu’il était bercé par la voix de son père…
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godysseus · 2 years
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Je viens de regarder Seul Contre Tous de Gaspar Noé, dont je n'avais jamais vu un seul film.
Je n'ai jamais vu un film aussi répugnant, je suis à la fois ravi qu'il soit terminé et hâtif de voir le suivant de sa filmographie.
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monstersqueen · 2 years
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non mais ceux pour lesquels je m'inquiète c'est merteuil et valmont. les choses vont mal tourner pour eux ! il se passe tant de choses qu'on ne sait pas, tant de choses que eux ne savent pas!
je suis aussi inquiète pour le reste des personnages, mais eux au moins, je sais ce qu'ils ne savent et qui les menacent (merteuil et valmont) et je m'attends déjà à ce ce que les choses se terminent pire pour elles qu'elles ne méritent
(et si je me trompe je serai vraiment soulagée)
mais si les choses se terminent pour valmont et mertueil comme ils le méritent ça sera pire que ce que je voudrais pour eux :(
et ! de plus! encore une fois je sens bien que valmont ne contrôle pas la situation aussi bien qu'il le pense, ou qu'il veut le faire croire, et la lettre de merteuil d'hier me donne l'impression qu'il en ait de même pour elle, MAIS JE NE SAIS PAS D'OU VA VENIR LE DESASTRE et c'est ça qui m'inquiète. quelque chose va mal tourner! il y a la tension qui monte! mais quoi! MAIS QUOI! qu'est-ce qui va mal tourner! *inquiète*
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misericordieux · 2 months
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Mon psychiatre m’a tuer
#pour une fois que j’ose m’auto flatter timidement peut être bah il a tout cassé et la je me rends comptes que ma ‘confiance en moi’ c#c’est un château de cartes et que la bah il s’effondre le château de cartes#putain il m’a tué le peu d’aspiration que j’avais en moi le peu de confiance en moi et les autres que j’avais#bon bah je vais aller le voir que pour les médocs maintenant#oui c’est immature et je vais lui prouver#qu’il a raison que je suis bien immature et dysfonctionnelle émotionnellement#tain 14 ans que je travaille sur ma gestion émotionnelle j’suis au niveau -10 de l’intelligence émotionnelle#mais par contre ah oui je suis grave intelligente intellectuellement comme si c’est sur ça que je travaille depuis plus de 10 ans#oui j’ai pas confiance en moi#oui je suis une boule d’anxiété et oui je suis tellement hyper indépendante que ça me rends émotionnellement labile et que je ne pourrai#jamais guérir cela#autant me poignarder directement et physiquement#ça fera moins mal que de savoir que ce que j’ai mis en place depuis belle lurette ne sert à rien et n’avance à rien#du coup je disais que ma collègue a mentionné qu’elle pense que je suis très bien entourée alors qu’en réalité non pas tout#que ça montre que j’ai des appuis solides et que je suis intelligente émotionnellement et la il me coupe et me dit que non#‘vous êtes très immature émotionnellement ce n’est pas vrai’#y avait besoin de me dire ça maintenant ?#et il a rajouté ‘vous savez que vous avez un fort dysfonctionnement émotionnel et social’#quand je vous dit que mon sourire à quitté mon visage et que je me suis directement sentie humiliée#bref que les anxiolytiques on raconte plus sa vie#text#personal
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summerhighlandfalls · 3 months
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Quand y aura t-il un Disney princess qui est Québécois
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