Chapitre 2 : Un joyeux Noël
Dans l'aube grise du matin de Noël, Jo fut la première à s'éveiller. Il n'y avait pas de bas pendus au manteau de la cheminée, et pendant un instant elle se sentit aussi désappointée qu'elle l'avait été longtemps auparavant quand sa petite chaussette était tombée, trop pleine de présents. Puis elle se souvint de la promesse de sa mère et, glissant la main sous l'oreiller, en tira un petit livre à la couverture écarlate. Elle le connaissait bien, car c'était la vieille et belle histoire de la meilleure vie jamais vécue, et Jo se dit que c'était là un vrai guide pour tout pèlerin au début d'un long voyage. Elle réveilla Meg d'un « Joyeux Noël, » et l'invita à regarder sous son oreiller. Un livre à la couverture verte apparut, avec la même image à l'intérieur, et quelques mots écrits par leur mère qui rendirent ce présent très précieux à leurs yeux. Beth et Amy s'éveillèrent à leur tour et trouvèrent leur petit livre - l'un gris tourterelle, l'autre bleu, et toutes s'assirent pour les contempler et discuter tandis que le jour naissant rosissait le ciel d'orient.
En dépit de sa coquetterie, Meg avait une nature pieuse et douce, qui influençait inconsciemment ses sœurs et particulièrement Jo, qui l'aimait tendrement et lui obéissait car ses conseils étaient si gentiment offerts.
« Les filles, » dit sérieusement Meg, s'adressant aussi bien à la tête échevelée à côté d'elle qu'aux deux petites en bonnets de nuit dans la chambre à côté, « Mère veut que nous lisions et aimions ces livres, et que nous nous en inspirions, et nous devons commencer tout de suite. Nous avions pris de bonnes habitudes, mais depuis que Père est parti et que toutes ces affaires de guerre nous ont perturbées, nous avons négligé beaucoup de choses. Vous pouvez faire comme bon vous semble, mais je vais garder mon livre sur la table de chevet et en lire un peu chaque matin dès mon réveil, car je sais que cela me fera du bien et m'aidera au cours de ma journée. »
Puis elle ouvrit son nouveau livre et commença à lire. Jo passa un bras autour d'elle, et joue contre joue, se mit aussi à lire, avec cette expression tranquille si rare sur son visage animé.
« Comme Meg est bonne ! Viens, Amy, faisons comme elles. Je t'aiderai avec les mots difficiles, et elles expliqueront ce que nous ne comprenons pas, » murmura Beth, très impressionnée par les jolis livres et l'exemple de ses sœurs.
« Je suis contente que le mien soit bleu, » dit Amy. Puis les chambres se firent très silencieuses tandis que l'on tournait doucement les pages, et le soleil d'hiver se glissa par la fenêtre pour illuminer et saluer ces visages sérieux en ce matin de Noël.
« Où est Mère ? » demanda Beth, quand Jo et elle descendirent une demi-heure plus tard pour la remercier des cadeaux.
« Dieu seul le sait. Quelque pauvre créature est venue quémander, et votre maman est partie de suite voir ce qui lui manquait. Il n'y a jamais eu de femme comme elle pour ce qui est de donner victuailles et boisson, vêtements et chauffage, » répondit Hannah, qui vivait avec la famille depuis la naissance de Meg et était davantage considérée comme une amie que comme une servante.
« Elle sera bientôt de retour, je pense, alors préparez vos gâteaux, que tout soit prêt, » dit Meg en regardant les cadeaux rassemblés dans un panier qui avait été glissé sous le sofa, prêt pour l'occasion. « Tiens, où est la bouteille d'eau de Cologne d'Amy ? » ajouta-t-elle en ne voyant pas le petit flacon.
« Elle l'a prise il y a une minute, et est partie pour y mettre un ruban, ou quelque chose comme ça, » répondit Jo, qui dansait autour de la pièce pour assouplir les nouvelles chaussures.
« Mes mouchoirs ont bon air, n'est-ce pas ? Hannah les a lavés et repassés pour moi, et je les ai marqués moi-même, » dit Beth en contemplant fièrement les lettres quelque peu irrégulières, fruits de son dur labeur.
« Oh, regarde ! Elle a écrit "Mère" au lieu de "M. March". C'est trop drôle ! s'écria Jo en en prenant un.
— Ça ne va pas ? J'ai pensé que ce serait mieux parce que les initiales de Meg sont aussi M.M., et je veux que personne d'autre que Marmee ne se serve de ceux-là, dit Beth, l'air troublée.
— C'est très bien, ma chérie, et une très jolie idée - et pratique aussi, car personne ne pourra se tromper maintenant. Cela lui plaira beaucoup, je le sais, » dit Meg avec un froncement de sourcils pour Jo et un sourire pour Beth.
« Voici Mère. Cachez le panier, vite ! » s'écria Jo quand une porte claqua et que des pas résonnèrent dans le hall.
Amy entra précipitamment, et eut l'air plutôt gênée quand elle vit que ses sœurs l'attendaient toutes.
« Où étais-tu, et que caches-tu dans ton dos ? » demanda Meg, étonnée de voir, par son bonnet et son manteau, qu'Amy la paresseuse était sortie si tôt.
« Ne ris pas, Jo ! Je voulais que personne ne sache avant le dernier moment. Je suis seulement allée changer la petite bouteille pour une grande, et j'ai donné tout mon argent pour l'avoir, et j'essaie vraiment de ne plus être égoïste. »
Tout en parlant, Amy montra la bouteille élégante qui remplaçait la moins chère, et elle avait l'air si sincère et si humble dans son effort de s'oublier que Meg la prit dans ses bras sur le champ, et Jo déclara qu'elle était « une perle », tandis que Beth courut à la fenêtre et cueillit sa plus belle rose pour orner l'imposant flacon.
« Vous voyez, j'ai eu honte de mon présent, après avoir lu et avoir discuté d'être bonne ce matin, alors j'ai couru au magasin et je l'ai échangé dès que je me suis levée, et j'en suis bien contente, car mon cadeau est le plus beau maintenant. »
Un autre claquement de la porte d'entrée renvoya le panier sous le sofa et les filles à table, pressées de prendre leur petit-déjeuner.
« Joyeux Noël, Marmee ! Et bien d'autres à venir ! Merci pour nos livres. Nous en avons lu un peu, et comptons en lire chaque jour, crièrent-elles en chœur.
— Joyeux Noël, mes petites filles ! Je suis heureuse que vous ayez déjà commencé vos livres, et j'espère que vous continuerez. Mais je veux dire un mot avant de nous asseoir. Non loin d'ici vit une pauvre femme avec un nouveau-né. Six enfants sont pelotonnés dans un seul lit pour ne pas geler, car ils n'ont pas de feu. Ils n'ont rien à manger, et l'aîné des garçons est venu me dire qu'ils souffraient de la faim et du froid. Mes filles, voudrez-vous bien leur offrir votre petit-déjeuner comme cadeau de Noël ? »
Elles avaient toutes inhabituellement faim, ayant attendu près d'une heure, et durant une minute personne ne parla. Une minute seulement, car Jo s'écria, « Je suis si contente que tu sois venue avant que nous ne commencions !
— Puis-je venir et aider à porter les choses pour les pauvres petits enfants ? demanda Beth avec enthousiasme.
— Je porterai la crème et les muffins, » ajouta Amy, abandonnant héroïquement ce qu'elle aimait le plus.
Meg recouvrait déjà les crêpes, et empilait le pain sur une assiette.
« Je savais que vous le feriez, » dit Mrs. March avec un sourire satisfait. « Vous allez toutes venir et m'aider, et quand nous rentrerons nous aurons du pain et du lait pour petit-déjeuner, et nous nous rattraperons au déjeuner. »
Elles furent bientôt prêtes et la procession se mit en route. Heureusement il était tôt, et elles passèrent par les petites rues ; aussi peu de gens les virent, et nul ne rit de l'étrange convoi.
Quelle pauvre chambre c'était : nue et misérable, sans feu, avec des draps en haillons, une mère malade, un bébé hurlant, et un groupe d'enfants pâles et affamés pelotonnés les uns contre les autres sous une couverture, essayant de se tenir chaud.
Comme les grands yeux s'écarquillèrent, et les lèvres bleuies sourirent quand les filles entrèrent.
« Ach, mein Gott ! Des anges venus à nous ! dit la pauvre femme en pleurant de joie.
— Drôles d'anges, en capuchons et mitaines, » dit Jo, et tout le monde rit.
Quelques minutes plus tard, on eût vraiment dit que de bons esprits s'étaient mis à l'œuvre. Hannah, qui avait porté le bois, fit du feu, et colmata les vitres brisées avec de vieux chapeaux et sa propre cape. Mrs. March donna du thé et du gruau à la mère, et la réconforta avec des promesse de l'aider, tandis qu'elle habillait le bébé aussi tendrement que s'il eût été le sien. Pendant ce temps les filles dressèrent la table, installèrent les enfants autour du feu, et les nourrirent comme des oisillons affamés - tout en riant, parlant, et essayant de comprendre leur anglais étrange.
« Das ist gut ! Die Engel-kinder ! » criaient les pauvres petits tandis qu'ils mangeaient et réchauffaient leurs mains empourprées devant l'agréable brasier. Les filles n'avaient jamais été appelées des anges auparavant, et trouvèrent cela très agréable, particulièrement Jo, qui avait été considérée comme un vrai « Sancho » depuis sa naissance. Ce fut un petit-déjeuner très heureux, quoiqu'elle n'en eurent pas une miette. Et quand elles s'en furent, laissant une famille réconfortée, je pense qu'il n'y avait pas en ville quatre personnes plus heureuses que les petites filles au ventre creux qui avaient offert leur petit-déjeuner pour se contenter de pain et de lait le matin de Noël.
« C'est cela, aimer son prochain mieux que soi-même, et cela me plaît, » dit Meg, comme elles disposaient leurs présents pendant que leur mère était à l'étage à rassembler des vêtements pour les pauvres Hummel.
Ce n'était pas un spectacle époustouflant, mais il y avait beaucoup d'amour dans les quelques petits paquets, et dans le grand vase de roses rouges, de chrysanthèmes blancs et de lierre qui trônait au milieu de la table, lui donnant un air tout à fait élégant.
« Elle arrive ! Vas-y, Beth ! Ouvre la porte, Amy ! Trois hourras pour Marmee ! » cria Jo en sautant partout, tandis que Meg allait se placer pour conduire Mère à la place d'honneur.
Beth joua sa marche la plus gaie, Amy ouvrit la porte en grand, et Meg tint son rôle d'escorte avec une grande dignité. Mrs. March était à la fois surprise et touchée, et souriait, les larmes aux yeux, tandis qu'elle examinait ses présents et lisait les petites notes qui les accompagnaient. Elle enfila aussitôt les pantoufles, un nouveau mouchoir fut glissé dans sa poche, parfumé par l'eau de Cologne d'Amy, la rose fut ajustée à son corsage, et les jolis gants furent déclarés parfaits.
Il y eut beaucoup de rires et d'embrassades et d'explications, de cette façon simple et aimante qui rend ces célébrations domestiques si plaisantes sur le moment et si douces dans les souvenirs, et puis il fallut se mettre au travail.
Les actes de charité et les cérémonies du matin avaient pris tant de temps que le reste de la journée fut consacré aux préparations pour les festivités du soir. Étant encore trop jeunes pour aller souvent au théâtre et ne pouvant se permettre de dépenser beaucoup pour des représentations privées, les filles se creusaient la tête, et nécessité étant mère de l'invention, fabriquaient ce dont elles avaient besoin. Certaines de leurs créations étaient très ingénieuses - guitares en carton, lampes antiques faites de saucières à l'ancienne mode recouvertes de papier d'argent, magnifiques robes de vieux coton étincelantes de copeaux métalliques récupérés d'une usine de conserves, et armures couvertes des mêmes débris en losanges qui restaient après la découpe des couvercles. La grande chambre était la scène de bien des révélations innocentes.
Aucun homme n'était admis, aussi Jo jouait tous les rôles masculins que son cœur désirait et trouvait une immense satisfaction en la possession d'une paires de bottes fauves données par une amie, qui connaissait une dame qui connaissait un acteur. Ces bottes, un vieux fleuret, et un pourpoint à crevés utilisé autrefois par un artiste pour quelque peinture, étaient les plus grands trésors de Jo et apparaissaient à toutes occasions. La petite taille de la compagnie obligeait les deux actrices principales à endosser plusieurs rôles, et elles méritaient bien des louanges pour le difficile travail accompli en apprenant trois ou quatre rôles différents, en changeant de costumes à multiples reprises et en gérant les coulisses en plus du reste. C'était un excellent entraînement pour leurs mémoires, un amusement inoffensif, et qui occupait bien des heures qui autrement seraient restées oisives, solitaires, ou passées en compagnie moins bénéfique.
Le soir de Noël, une douzaine de jeunes filles s'entassèrent sur le lit qui était le balcon, et s'assirent devant les rideaux d'indienne bleue et jaune avec une impatience des plus flatteuses. Il y avait des froufrous et des chuchotements de l'autre côté du rideau, un rien de fumée de lampe, et un gloussement occasionnel de la part d'Amy qui avait tendance à se mettre dans tous ses états dans l'excitation du moment. Puis une cloche sonna, les rideaux s'ouvrirent, et la tragédie lyrique commença.
« Une forêt lugubre », selon l'unique programme, était représentée par quelques arbustes en pot, de la feutrine verte au sol, et une grotte dans le lointain. Cette grotte était constituée d'un étendoir pour le toit, de bureaux pour les murs, et à l'intérieur était un petit fourneau au dessus duquel se penchait une vieille sorcière. La scène étant plongée dans l'obscurité, la lueur du fourneau fit son petit effet, tout spécialement quand la sorcière ôta le couvercle de la bouilloire et que jaillit de la vraie vapeur. Un temps fut accordé pour permettre au premier frisson de se dissiper, puis Hugo, le vilain, entra d'un pas raide avec une épée au côté, un chapeau tombant, une barbe noire, une cape mystérieuse, et les fameuses bottes. Après avoir fait les cent pas avec beaucoup d'agitation, il se frappa le front et se mit à chanter avec furie sa haine pour Rodrigo, son amour pour Zara, et sa plaisante résolution de tuer l'un et de conquérir l'autre. Les tons rauques de la voix d'Hugo, ainsi que ses cris occasionnels quand ses sentiments prenaient le dessus, étaient très impressionnants, et l'audience applaudit dès l'instant où il reprit son souffle. Saluant avec l'air de celui habitué aux louanges du public, il se faufila jusqu'à la caverne et ordonna à Hagar de venir avec un « Holà, maraude ! J'ai besoin de toi ! » plein d'autorité.
Apparut Meg, le visage encadré de crin gris, dans une robe noire et rouge, avec un bâton et une cape couverte de dessins cabalistiques. Hugo lui demanda une potion pour gagner l'adoration de Zara, et une pour détruire Rodrigo. Hagar, dans une jolie mélodie dramatique, lui promit les deux, et appela l'esprit qui lui donnerait le philtre d'amour.
« Accours, accours, de ta demeure,
Esprit de l'air, je te convoque !
Né des roses, nourri de rosée,
Peux-tu concocter charmes et potions ?
Porte-moi donc à tire d'aile
Le philtre parfumé dont j'ai besoin.
Fais le doux et fort sans pareil
Esprit, réponds à mon appel ! »
De doux accords résonnèrent, et au fond de la caverne apparut une petite silhouette dans un nuage de blanc, avec des ailes scintillantes et une guirlande de roses sur ses cheveux d'or. Agitant une baguette, il chanta :
« Me voici descendu,
De mon domaine
Dans la lune lointaine.
Prends cette potion
Et fais-en bon usage
Ou son pouvoir s'évanouira ! »
Et, laissant tomber une petite bouteille dorée aux pieds de la sorcière, l'esprit disparut. Un nouveau chant de la sorcière provoqua une autre apparition - bien moins aimable, car c'est un vilain lutin noir qui se manifesta dans un bang !, croassa sa réponse, jeta une fiole sombre à Hugo et disparut avec un rire moqueur. Ayant chanté ses remerciements, Hugo glissa les flacons dans ses bottes et s'en alla. Puis Hagar informa l'audience qu'il avait tué quelques unes de ses amies autrefois et qu'elle l'avait maudit pour cela, et entendait se venger de lui en contrariant ses plans. Puis le rideau tomba, et le public se reposa en mangeant des bonbons tout en discutant les mérites de la pièce.
De nombreux coups de marteaux résonnèrent avant que le rideau ne s'élève à nouveau, mais quand apparut le chef d'œuvre de charpenterie qui avait été mis en place, personne ne se plaignit du délai. C'était véritablement superbe. Une tour s'élevait jusqu'au plafond, avec, à mi-hauteur, une fenêtre où brûlait une lampe. Derrière le rideau blanc apparut Zara dans une belle robe bleu et argent, attendant Rodrigo. Il s'en vint porteur d'une somptueuse parure : chapeau à plume, cape rouge, longues boucles brunes, une guitare, et bien sûr, les bottes. Agenouillé devant la tour, il chanta une sérénade d'une voix suppliante. Zara lui répondit, et, après un dialogue musical, consentit à fuir. Alors vint le grand effet de la pièce. Rodrigo fit apparaître une échelle de corde à cinq échelons, en jeta l'extrémité, et invita Zara à descendre. Timidement elle se glissa hors de sa croisée, posa la main sur l'épaule de Rodrigo, et se trouvait sur le point de sauter gracieusement, mais « Hélas ! Hélas pour Zara ! » elle avait oublié sa traîne - elle se prit dans la fenêtre et la tour vacilla, s'inclina en avant, tomba avec fracas, et enfouit les amants malheureux dans ses ruines.
Un cri général s'éleva tandis que les bottes fauves s'agitaient en tous sens dans les décombres et qu'une tête blonde émergeait en s'exclamant, « Je te l'avais bien dit ! Je te l'avais bien dit ! » Avec une merveilleuse présence d'esprit, Don Pedro, le père cruel, se précipita et traîna sa fille hors de là avec un rapide aparté :
« Ne ris pas ! Fais comme si tout s'était bien passé ! » Puis, ordonnant à Rodrigo de se relever, il le bannit du royaume avec colère et mépris. Quoiqu'il fut encore bien secoué par la chute de la tour, Rodrigo défia le vieux gentilhomme et refusa de bouger. Sa détermination enflamma Zara, qui défia également son père ; et il ordonna qu'on les enferme tous les deux dans les oubliettes du château. Un serviteur petit et corpulent apparut avec des chaînes et les emmena, l'air très effrayé et ayant de toute évidence oublié le discours qu'il aurait dû tenir.
L'acte trois démarrait dans le hall du château, et Hagar fit son apparition, étant venue pour libérer les amants et en finir avec Hugo. Elle l'entend venir et se cache, le voit verser les potions dans deux coupes de vin et commander au timide serviteur, « Porte-les aux captifs dans leurs cellules, et dis-leur que je serai bientôt là. » Le domestique prend Hugo à part pour lui dire quelque chose, et Hagar échange les coupes pour deux autres, inoffensives. Ferdinando, le « sbire », les emmène, et Hagar repose la coupe contenant le poison destiné à Rodrigo. Assoiffé après un long discours, Hugo la boit, perd ses moyens, et après moultes gesticulations et piétinements, tombe raide mort, tandis que Hagar lui apprend ce qu'elle a fait dans un chant à la mélodie puissante et exquise.
C'était véritablement une scène palpitante, bien que certains aient pu penser qu'une soudaine cascade de longs cheveux gâchait quelque peu l'effet de la mort du vilain. Il fut rappelé devant le rideau, et apparut avec beaucoup de dignité, tenant Hagar par la main, dont le chant était considéré plus merveilleux encore que tout le reste de la pièce.
L'acte quatre mit en scène un Rodrigo désespéré de l'inconstance de Zara qu'on venait de lui rapporter, et sur le point de mettre fin à ses jours en se poignardant. À l'instant où la dague se pose sur son cœur, une charmante chanson résonne sous sa fenêtre et l'informe que Zara lui est fidèle mais est en danger, et qu'il peut la sauver s'il le veut. On lui jette une clé, qui ouvre la geôle, et dans un accès de ravissement il arrache ses chaînes et se précipite pour retrouver et sauver sa dame.
L'acte cinq ouvrit sur une discussion orageuse entre Zara et Don Pedro. Il souhaite l'envoyer au couvent, mais elle s'y oppose, et après une touchante plaidoirie, est sur le point de s'évanouir quand Rodrigo fait irruption et demande sa main. Don Pedro la lui refuse, au motif qu'il n'est pas riche. Ils crient et gesticulent furieusement mais ne parviennent pas à se mettre d'accord, et Rodrigo est sur le point d'enlever une Zara épuisée quand le domestique timide entre avec une lettre et un sac venant d'Hagar, qui a mystérieusement disparu. On apprend qu'elle lègue une fortune inouïe au jeune couple, et promet un destin tragique à Don Pedro s'il ne les rend pas heureux. On ouvre le sac, et une avalanche de pièces en fer-blanc inonde la scène, brillant maintenant de mille éclats. Cette vue adoucit complètement le père intraitable. Il consent sans un murmure, tous entonnent un joyeux chorus, et le rideau tombe sur les amoureux agenouillés pour recevoir la bénédiction de Don Pedro dans des attitudes romantiques pleines de grâce.
Un tonnerre d'applaudissements suivit mais s'interrompit de manière inattendue quand la couchette pliante sur laquelle se trouvait le « balcon » se referma d'un seul coup sur l'audience enthousiaste. Rodrigo et Don Pedro volèrent à la rescousse, et tout le monde s'en tira indemne, quoique plus d'une fut incapable de parler à force de rire. L'excitation était à peine retombée quand Hannah apparut, avec les « Compliments de Mrs. March », et pria ces dames de descendre pour le souper.
C'était une surprise même pour les actrices, et quand elles virent la table, elle se regardèrent l'une l'autre avec un étonnement ravi. Cela ressemblait bien à Marmee, de leur préparer un petit cadeau, mais elles n'avaient rien vu de tel depuis les jours d'abondance passée. Il y avait de la crème glacée - il y en avait même deux bols, blanche et rose - et du gâteau et des fruits et des sucreries françaises amusantes, et au milieu de la table, quatre grands bouquets de fleurs de serre.
Elle en eurent le souffle coupé, et contemplèrent la table avant de se tourner vers leur mère, qui semblait s'amuser immensément.
« Est-ce l'œuvre des fées ? demanda Amy.
— C'est le Père Noël, dit Beth.
— C'est Mère qui l'a fait. » Et Meg arborait son plus doux sourire, en dépit de la barbe grise et des sourcils blancs.
« Tante March a eu un accès de bonté et a envoyé le souper, » s'écria Jo prise d'une inspiration soudaine.
« Rien de tout ça. Le vieux Mr. Laurence l'a envoyé, répondit Mrs. March.
— Le grand-père du jeune Laurence ! Qu'est-ce qui a bien pu lui mettre une telle idée en tête ? Nous ne le connaissons pas ! s'exclama Meg.
— Hannah a tout raconté au sujet de votre petit-déjeuner à l'une de ses servantes. C'est un étrange vieux gentleman, mais l'histoire lui a plu. Il connaissait mon père il y a bien des années, et il m'a envoyé un mot poli cet après-midi, disant qu'il espérait que je lui permettrais d'exprimer ses sentiments amicaux envers mes enfants en leur envoyant quelques friandises en ce jour de fête. Je ne pouvais pas refuser, et ainsi vous avez un petit festin ce soir pour compenser votre petit déjeuner de pain et de lait.
— Ce garçon le lui a mis en tête, j'en suis sûre ! C'est un type épatant, et j'aimerais que nous puissions faire connaissance. Il a l'air d'en avoir envie mais il est timide, et Meg est si collet monté qu'elle ne me laisse pas lui parler quand nous le croisons, » dit Jo, tandis que les assiettes circulaient autour de la table, et que la crème glacée disparaissait des bols à vue d'œil, avec des oh et des ah de satisfaction.
— Vous parlez des gens qui habitent dans la grande maison voisine, n'est-ce pas ? demanda l'une des filles. Ma mère connaît le vieux Mr. Laurence, mais elle dit qu'il est très fier et n'aime pas se mêler à ses voisins. Il garde son petit-fils cloîtré, quand il n'est pas en train de chevaucher ou de se promener avec son tuteur, et le fait étudier très dur. Nous l'avons invité à notre fête, mais il n'est pas venu. Mère dit qu'il est très gentil, bien qu'il ne nous parle jamais, à nous les filles.
— Notre chatte s'est sauvée une fois, et il l'a ramenée, et nous avons parlé par dessus la barrière, et nous nous entendions formidablement bien - à discuter du cricket, et ainsi de suite - quand il a vu Meg arriver et est parti. J'entends bien le connaître un jour, car il a besoin de s'amuser, j'en suis sûre, dit Jo avec détermination.
— J'aime ses manières, et il a l'air d'un petit gentleman, aussi je n'ai aucune objection à ce que tu fasses sa connaissance si une opportunité se présente. Il a apporté les fleurs lui-même, et je lui aurais bien demandé d'entrer, si j'avais été sûre de ce qui se passait à l'étage. Il avait l'air si pensif quand il est parti, en entendant vos rires.
— Heureusement que tu n'en as rien fait ! dit Jo en riant et en regardant ses bottes. Mais nous jouerons un jour une autre pièce, qu'il pourra voir. Peut-être qu'il nous aidera à jouer. Ne serait-ce pas splendide ?
— Je n'ai jamais eu un si beau bouquet ! Comme c'est joli ! dit Meg en examinant ses fleurs avec grand intérêt.
— Ils sont charmants. Mais j'aime mieux le parfum des roses de Beth, » dit Mrs. March, en humant la fleur à demi fanée à son corsage.
Beth se blottit contre elle, et murmura doucement, « J'aimerais pouvoir toutes les envoyer à Père. J'ai bien peur qu'il ne passe pas un aussi joyeux Noël que nous. »
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