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#actuellement en train de vomir
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It has been brought to my attention that people are aware of my existence and also assume I'm American
Please do not assume I'm american, please, I'm Canadian but like, I'm barely Canadian, please, I've been to the US once and I never wanna go again, leave me out of it please-
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amnesiepsychogene · 5 years
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3 juin 2019
Rendez-vous avec ma psychologue.
Je suis arrivée en pleurant à moitié. À cause de la vue d'une scène qui m'a choqué : un accident. Du sang, des pompiers, des couvertures de survie. Très peu agréable.
Au début de la séance, j'étais incapable de parler. Je n'arrivais pas à prononcer un seul mot, j'étais bloquée.
J'ai fini par lui expliquer que c'était difficile de parler de moi, de ce qui se passe pour moi indépendamment de la vie des uns et des autres.
Elle m'a regardé, mais n'a rien dit. Elle attendait que je me dévoile.
Alors j'ai fini par lui faire une tirade. Avec de longues pauses, mais elle ne rebondissait sur rien, alors je continuais à parler. Je pense qu'elle l'a fait exprès parce qu'elle le sent, quand j'ai besoin d'évacuer mais que je me "censure".
Je lui ai donc parlé un peu de l'opération, comment ça s'était passé, les quelques complications pendant l'opération mais également les quelques complications post-op.
Je lui ai parlé du retour des idées suicidaires, des crises d'angoisse très importantes la nuit, des problèmes alimentaires qui se sont accentués. Tout ça à cause de l'opération parce que trop de médicaments et d'anesthésie : j'ai l'impression que ce sont eux qui s'endorment et pas que je m'endors de moi-même donc je m'endors tendue et forcément ça entraîne les cauchemars et les crises ; et pour l'alimentation, trop de médicaments et substances sont entrées dans mon corps, j'ai l'impression que ça me rend sale alors je mange très peu pour compenser.
En premier lieu, elle s'est arrêtée sur l'alimentation. On aborde jamais ce sujet en détails, du moins jusqu'à présent. Je ne me sens pas légitime d'en parler. Et parfois j'ai l'impression qu'elle peut le prendre à la légère. Alors que ça m'est vraiment très handicapant au quotidien, autant sur le plan mental que physique.
Elle m'a posé beaucoup de questions. Ce que je mangeais, ou non, si je faisais des crises de boulimie, combien de temps je pouvais être en restriction, si je me faisais vomir, quand est-ce que s'est apparu, comment mes parents ont réagi quand ça a débuté à mes 8/9 ans, comment ils ont réagi par la suite quand ça s'est aggravé, etc etc.
Oui je fais des crises parfois, mais ça fait très longtemps que ça n'est pas arrivé, depuis début 2019 au minimum. Oui ça m'arrive de me faire vomir. Les périodes de restriction peuvent être de quelques jours comme de plusieurs mois. Mes parents, quand j'étais petite, se sont inquiétés car à ma naissance, les jours qui ont suivi j'avais perdu beaucoup de poids, je ne me nourrissais pas à cause de problèmes de santé, et forcément, étant leur premier enfant, ils avaient beaucoup angoissé. Par la suite, ils n'en ont plus rien eu à faire, à partir de mon entrée au collège. Juste des "tu as pris du poids" ou "tu as perdu du poids". Ils pensent que ce n'est qu'un caprice pour ne pas passer mes partiels, mon bac, ne pas aller en cours à l'époque du collège, etc. Ils ne veulent pas comprendre, ni voir l'ampleur du problème, comme pour tout le reste, sauf que pour ce sujet particulièrement leurs remarques sont extrêmement blessantes et s'enfoncent plus qu'autre chose alors je ne leur montre simplement plus rien, ne leur dis plus rien, leur mens, et malgré les transformations physiques ils ne réagissent pas.
"Vous trouverez votre équilibre quand vous aurez votre indépendance".
Je n'en suis pas sûre.
Il paraît que l'anorexie mentale est bien plus importante dans mon fonctionnement et mes comportements que la boulimie. Mais sur mon physique c'est l'inverse qui apparaît : je suis en surpoids. Alors que je fais même du sport et que j'ai beaucoup de comportements d'hyperactivité.
Il paraît que c'est le moyen que mon corps a de me protéger. Car si il avait perdu autant de poids qu'il aurait dû depuis ses 10/11 ans de troubles du comportements alimentaires, je serais déjà morte. Alors il stocke énormément, perds vite mais prends très vite aussi pour me protéger de la mort. Mais également pour me protéger du fait d'être attirante selon les codes de la société. Comme si je pensais qu'en étant grosse aucun homme ne pourrait me violer à nouveau. Or c'est faux, une femme en surpoids peut-être tout aussi attirante qu'une femme avec un imc normal. Mais probablement que j'ai essayé de me convaincre de ça pour trouver un moyen de défense. Et l'anorexie serait une volonté de pureté de mon corps mais également de disparaître, de devenir invisible.
Alors voilà, on a enclenché sur le fait que mon "anorexie" venait surtout du refus de faire entrer quelque chose dans mon corps pour ne pas me sentir à nouveau intrusée, violée. Et on a donc reparlé de l'anesthésie de l'opération, qui avait probablement redéclenché le mal-être et les idées suicidaires par le fait que je n'avais plus de contrôle sur mon corps, que quelque chose d'autre était à l'intérieur et le contrôlait et que ça m'a beaucoup perturbé.
D'ailleurs, peut-être que le fait que l'anesthésie n'ait pas marché au début puis "trop" par la suite était psychologique, comme si j'avais moi-même tout bloqué.
"Est-ce vous vous êtes sentie figée par la peur et toutes ces sensations, comme lors des agressions que vous avez subies ? Est-ce vous avez eu l'impression de revivre la même situation ?"
Oui et non. Oui car l'anesthésie provoque cette sensation que j'ai ressenti lors des agressions "je veux fuir mais je suis tellement paralysée que je ne peux pas bouger". Non parce que l'anesthésie ressentie à l'époque était liée à la peur de l'autre, de la violence ; celle de mon opération était juste due à la peur de perdre le contrôle sur mon corps, de ressentir des choses, je n'ai jamais imaginé à un moment que le chirurgien puisse tenter quoi que ce soit puisque c'était une anesthésie locale.
"Face à un trauma il y a trois réactions possibles : la fuite, l'attaque, ou la déconnexion. Vous ca a été la déconnexion et ça l'est encore à l'heure actuelle."
Avant les traumatismes comme elle dit, je n'avais jamais rien ressenti au niveau du corps. Enfin les blessures quand on tombe, etc, mais c'est très peu, car lorsque l'on est enfant on ne fait pas attention aux signaux que peut nous envoyer notre corps. On s'en fiche. Nous n'avons pas encore pleinement conscience de notre corps. J'étais trop jeune pour avoir ressentie quelque chose de vraiment concret.
Et après, inconsciemment j'ai directement déconnecté et tout bloqué. Alors je n'ai jamais rien ressenti au niveau de mon corps.
Pendant toutes les années où j'ai oublié ce que j'avais vécu, je n'ai rien ressenti dans mon corps.
Et quand c'est revenu, j'ai ressenti les douleurs de l'époque. J'ai été choqué. "Ah bon mon corps est capable de ressentir quelque chose ? Ah bon mon corps peut faire mal ?" Mais ça a été tellement violent et brutal que j'ai immédiatement tout rebloqué (ou le plus possible) car c'était le fonctionnement que je connaissais.
Elle m'a reparlé d'une activité physique pour renouer entre mon corps et mon esprit, quand je serais prête.
Elle a compris que je ne ressentais très peu les sensations de faim, de froid, de chaud, etc etc. Je les ressens, mais différemment. Je suis très souvent en pull même en été.
Ça me fait moins peur de tuer mon corps que d'affronter ce qu'ils peuvent ressentir.
"Mais vous ne pouvez pas être juste un esprit."
Puis, je ne sais plus trop comment on en est venues à cela, mais je lui ai exprimé que je ne me sentais pas moi-même, que j'avais l'impression que plusieurs personnalités se battaient en duel, et que j'étais constamment en train de switcher avec mes personnalités.
"On traverse tous des conflits internes mais chez vous il y a quelque chose de vraiment extrémiste, intense".
Elle me demande comment ça se manifeste. Je lui dis que ce sont pas forcément des personnalités à proprement parler mais que selon les personnes je ne vais pas avoir les mêmes réactions, les mêmes façons de m'exprimer, les mêmes attitudes générales.
On en a conclut que ça avait une fonction adaptative pour moi. Qu'à cause de mes traumas, de mon environnement familial, de mon propre fonctionnement à cause du fait que je sois précoce et donc hypersensible et bien je m'adapte à la personne en face pour me protéger 1) d'un potentiel danger, 2) des émotions de la personne pour ne pas me les prendre en plein face et qu'elles me submergent.
Puis on a parlé du fait que, par contre, quand il y a trop de personnes autour de moi je me coupe et devient totalement inexistante et effacée. Parce que c'est trop d'informations à traiter et parce que je ne me sens pas a l'aise d'exprimer des choses ou ma personnalité, j'ai l'impression d'une "surexposition" et j'ai tellement honte de ce que je suis que le montrer à une personne ça va, mais à plusieurs en même temps ça m'est littéralement impossible.
"Oui c'est typique de la précocité et de l'hypersensibilité. Il va falloir apprendre à vivre avec..."
Puis je lui ai dis que je me sentais vide. Que j'avais beau ressentir beaucoup de choses très intensément il y a toujours une part de moi qui se senti vide.
"Vous êtes tout sauf vide, je vous assure."
Je me sens en mille morceaux.
On a dû arrêter la séance là dessus, car elle m'avait déjà gardé 1h30 au lieu de 45 min, car elle n'avait pas de rendez-vous après moi, donc elle en a profité, mais par contre après elle en avait un.
Mais elle m'a dit qu'elle souhaitait qu'on reparle de ces mille morceaux. Alors probablement que ce sera le thème du prochain rendez-vous...
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gauchedecombat · 5 years
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  Ne manquant jamais de suivre quand je le peux l’évolution des affaires  de pédophilie (l’un des crimes les plus monstrueux à mes yeux)  dans l’Eglise, surtout française, j ‘ai été comme beaucoup je pense satisfait de l’annonce de la condamnation du cardinal Barbarin,  dont beaucoup de victimes et d’associations, comme “la Parole Libérée“, dénonçaient depuis longtemps le coupable silence…
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Cette fois, enfin, la justice reconnait la lourde responsabilité du prélat, pourtant incontestable, mais couvert par tant et trop de catholiques, dont des responsables de premier plan, ce qui a fortement contribué à l’impunité si étrangement et trop longuement durable de ce crime  :
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Il semblerait que le (si peu) saint homme aille remettre sa démission à celui que l’on nomme le saint père dans cette fable là. L’acceptera-t-il, comme on sait qu’il l’a si honteusement refusée auparavant ? Qu’importe. En fait, je m’en fous, même s’il m’apparait plutôt souhaitable pour les cathos qu’il le fasse effectivement, et lui propose une place qui l’empêche de continuer à se taire sur des crimes si évidents…. perpétuant ainsi leur faute (je reprends leur terminologie) collective.
Mais ce qui m’amène à m’exprimer ici, en restant fidèle à la vocation et à la ligne éditoriale de ce blog, c’est qu’il se trouve que, malgré l’évidence, et tout ce que l’on sait de cette histoire, j’ai surpris sur twitter un individu médiatique de premier plan (qui n’est pas un inconnu vu son pedigree), soutenir publiquement le prélat coupable :
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C’est vraiment touchant, cette foi et cette charité chrétienne chevillée au corps, Yves Marie Denis André Audren de Kerdrel. Comme on aimerait qu’elle s’illustre davantage à propos de valeurs un peu plus nobles que le silence de l’Eglise sur les crimes commis sur des enfants et des adolescents… Et comme on respecterait davantage cette religion si elle s’ incarnait un tantinet davantage chez vous par l’amour de son prochain, ce qui ne m’est pas apparu très clairement dans un certain hebdomadaire que vous avez dirigé..
Un hebdomadaire plusieurs fois condamné pour provocation à la haine raciale et religieuse… comme pour seul exemple ici :
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… et un torchon raciste qui a profondément choqué l’antifasciste que je me revendique d’être par la couverture médiatique qu’il a pu avoir du procès Méric. Une honte absolue.  Mais cela ne nous étonnera pas quand cela vient de quelqu’un qui nous a tant habitués à une ligne de conduite, sinon éditoriale, marquée par un positionnement si extrêmement droitier, qu’on trouve décidément un peu trop souvent chez les catholiques… Mais… Pas d’amalgame, n’est-ce pas ? 😉
  On informera simplement nos lecteurs.trices sur le fait que la fiche wiki de Valeurs Actuelles, dont il a été jusqu’en 2018 directeur de publication, nous dit que “L’hebdomadaire aux valeurs nauséabondes” (titre de l’Huma)  “suit une ligne éditoriale libérale-conservatrice, qui se radicalise en 2012 avec l’arrivée d’Yves de Kerdrel” (source) Je confirme. Rarement vu un titre de presse si souvent condamné pour ces unes racistes et xénophobes… hormis Minute, peut-être (qui n’existe plus, ou si peu…) ?
Je découvre qu’il  (de Kerdrel) officie également sur Sud radio. (Et dire que moi, je galère pour trouver un job digne, qui me permette de vivre simplement décemment…).  Mais comme je ne suis pas étonné : le même fond de commerce les lie : celui de la haine raciste. Une industrie florissante, aujourd’hui… Ils propagent le même registre de fake news, de propos anti-migrants et xénophobes, et de complotisme, le même anti-gauchisme primaire, avec aussi peu de préoccupations déontologiques. Jusqu’à mettre en danger, pour Valeurs Actuelles,   la vie même d’au moins un informateur dans une affaire de terrorisme, à la manière d’un Jean Poney...  Rien ne les arrête pour satisfaire leur idéologie raciste. Et les intérêts sonnants et trébuchants de leur petite entreprise aux murs repeints en brun.
Et dire que ces gens là se sont prévalu, sur un autre registre, des intérêts supérieurs de l’enfant… Que la honte les étouffe, au jour de leur jugement dernier auquel je ne crois pas, étant fort heureusement athée, quant à moi, ce que je n’ai pas toujours été… Je sais de quoi je parle, pour avoir été confronté aussi dans ma jeunesse à cet univers catholique de l’intérieur… Et je sais fort bien ce qui caractérise en général ce milieu là (il y a des exceptions, bien sûr… Gardons nous du danger de l’essentialisation propre au racisme) : le non-dit et l’hypocrisie. Christianophobie (encore un mot inventé par l’extrême-droite, un marqueur…) chez moi ? NON. Pas plus que d’islamophobie ou d’antisémitisme. Bien qu’athée, je tolère toutes les religions bien qu’elles soient à mes yeux de simples légendes dont les effets m’apparaissent si éminemment toxiques dans les actes…  et si peu respectueuses pour la plupart des droits des femmes, notamment, comme l’est indéniablement l’église catholique. Qui persiste à renier aux femmes le droit de disposer de leur corps alors que sa hiérarchie est exclusivement composée d’hommes… Cherchez l’erreur. Qui, comme les autres religions d’ailleurs,  fait de la sexualité au mieux un tabou, au pire, un terrain de chasse à courre et sa seule propriété sur lequel elle a droit de critique et de cuissage absolu… Comme l’histoire est si clairement et cruellement en train de le démontrer en ce moment… Mais chacun.e croit bien ce qu’il veut. Par contre, la liberté des un.es s’arrêtant où commencent les droits des autres, ce que je ne tolère pas, par contre, c’est la pédophilie, le sexisme, la domination masculine, le racisme, les LGBTQ phobies (belle hypocrisie, quand on sait ce que l’on sait..), la xénophobie, l’islamophobie (si présente dans les tenants de cette religion, comme autrefois l’antisémitisme, d’ailleurs… Normal : une religion concurrentielle, que voulez-vous…), le mépris et/ou la condescendance envers les pauvres, l’anti-gauchisme (très) primaire… etc etc etc. Tout ce que je combats ici, quoi. Qu’il soit présent là ou ailleurs. N’en déplaise à Monsieur de Kerdrel et à ses semblables.
  Rubrique “c’est à vomir” : Où @ydekerdrel de @Valeurs et @SudRadio soutient #Barbarin (dans l’intérêt supérieur de l’enfant ?) #pedophilie Ne manquant jamais de suivre quand je le peux l'évolution des affaires  de pédophilie (l'un des crimes les plus monstrueux à mes yeux)  dans… 973 more words
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yaminahsaini · 5 years
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🏥Dimanche 10 Février 2019🏥
🏥JOUR 13🏥
•5ème hospitalisation psychiatrie•
Résumé:
Bon déjà j’ai oubliée de dire que vendredi mon père m’a ramené mon doudou de la part de ma mère ahah. Ensuite hier après la permission on m’a donnée une feuille à remplir concernant le repas à la maison (comment ça s’est passé etc..). Il est actuellement 9h20 et et j’attend impatiemment de rentrer chez moi.. J’ai pris tout mon petit déjeuner mais les toilettes sont fermé pendant 1h! C’est pas ce qu’on m’avait dit hier pff fait chier...
Pour résumer rapidement la journée : permission d’aller chez moi de 10h30 à 17h30 comme hier. Je suis partie seule mais mon père m’a raccompagnée. On m’a encore donné une fiche pour que je décrive comment étaient les repas. Ce soir au dîner ils m’ont fermé les toilettes donc j’ai vomis dans la poubelles car avant de le faire j’ai bien dit à l’infirmière que je n’en pouvais plus mais elle m’a quand même répondue de retourner dans ma chambre et de patienter.. Je suis épuisée j’en ai marre.. et je me demande quelle va encore être leurs réactions..
Actuellement 20h04 : l’infirmier est venu, à vu le vomis dans la poubelle et m’a dit de la nettoyer (ce que j’ai fais..) c’est horrible ce qu’il m’arrive , ça se passe comme à ma première hospitalisation. Déjà vomir c’est un symptôme, je suis malade donc je n’y peux rien, de deux je vois bien qu’ils ont dû mal à me croire, de trois ils me ferment les toilettes pour sois disant que j’évite de vomir (alors que ça ne change rien), puis on me dit que dès que ça ne va pas que je viennes les voir mais dès que je le fais j’ai toujours le droit à “bah retient toi de vomir et va dans ta chambre” alors que je les prévient que j’en ai marre de ravaler et que je risque de tout salir, résultats je salis et au final c’est à moi de tout nettoyer. Et le pire c’est qu’ils me forcent à manger d’autant plus que mon estomac ne supporte pas autant et qu’ils savent que je vomis après.. Je comprend pas pourquoi on me fais subir tout ça... qu’est-ce que je dois faire à la fin, je suis déjà persuadée que ça va finir par quelque chose de fatal, on m’avait déjà prévenus que vomir autant augmentaient les risques de cancer de l’œsophage, dans ces cas là ils sont en train de me laisser mourir, ils me regardent m’abimer jusqu’à ce que j’en meurt.. j’ai envie de tous leurs gueuler dessus au lieux de rester renfermée avec ma peine..
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redfoxy · 4 years
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Answer to the young me.
“Le plus dur ce n’est pas de ne plus voir la personne en elle-même, c’est tout le reste : Tu passes tes journées seule à vouloir tout raconter à cette personne a qui tu disais tout. C’est ressentir un manque parfois tard le soir, allonger dans son lit et imaginer être dans ses bras. C’est son rire, sa voix, et son sourire qui manquent aux tiens. C’est le quotidien et les projets qui n’existent plus. C’est les rêves partagés qui se sont enfuis. C’est le tout parti sans prévenir.
J’y croyais à ses histoires d’amour de Princesse Maman, j’y croyais le soir comme je croyais au Père Noël et à la petite souris : Pourquoi vous m’avez menti ? Pourquoi vous m’avez laissé espérer des choses qui n’ont jamais existé ? J’y croyais Maman, j’y croyais encore quand tu me montrais ces beaux films d’amour avec ces couples qui finissaient ensemble, et ça même si leur histoire d’amour étaient rempli de difficultés. J’y ai toujours cru et je pensais que j’avais trouvé la mienne, et au final je me retrouve les genoux éraflés, le cœur brisé, les larmes glacées et des yeux rouges et gonflés. Je me suis cassée la gueule du haut de la Grande roue : J’ai sauté et personne ne m’a retenu.
J’avais des rêves avec lui tu sais Maman, je voulais tout avec lui : Je voulais que ce soit lui le premier à me passer la bague au doigt, le premier avec qui je vivrais jour et nuit. Je voulais que ce soit lui le soutient de chacun des jours de mon existence, ma bouffée d’air, l’épaule sur laquelle me reposer, celui qui sécherait mes larmes et me pousserait vers l’avant : Qu’est-ce qui m’est arrivée ? Je suis allée trop vite, trop loin, j’y ai trop cru dis moi ? Ou est-ce que c’est lui qui n’a pas suivi… Ai-je été si naïve et si aveuglée dis moi ? Pourquoi tu ne m’as pas arrêté Maman, pourquoi tu ne m’as pas enlevé ce bandeau noir qui me cachait de la vérité ? Maintenant qu’il est défait, qu’est-ce que je fais moi.
Je me retrouve là, à faire semblant tout les jours d’aller bien, à sourire, rigoler et faire semblant d’être heureuse. Alors que la vérité, c’est que je regarde nos photos, nos vidéos, nos messages, nos souvenirs, tout les soirs en écoutant nos musiques et à pleurer comme si j’étais une enfant qui venait de perdre son nounours. Je ne sais plus à quoi me raccrocher, car même l’espoir m’a déçu. Je sais que je finirais par avancer, me reconstruire et que je recommencerais à vivre comme la petite fille toujours de bonne humeur que je suis normalement, mais quand ? Combien de temps ça va prendre ? Est-ce qu’on se remet d’une telle chose ? J’avais tout mis dedans Maman : mon âme, mon corps, mon cœur, chaque membres qui me composent, chaque sentiments, chaque particules de bonheur, d’espoir, de rêve. C’est comme si je venais de perdre la vie.
Maman, Papa, j’ai si mal si vous saviez, et je suis tellement en colère aussi... Comment on peut en arriver là dites-moi ? Je l’ai aimé comme je n’ai jamais aimé personne et je me retrouve à le haïr, à le détester, à vouloir le frapper, l’engueuler, lui jeter la poubelle à la figure. Alors qu’il y a quelques mois, quelques jours, je voulais l’embrasser, me blottir dans ses bras et ne plus en bouger… Suis-je en train de devenir folle dites-moi, suis-je malade ? Je veux dire, est-ce que je vais bien ? J’ai l’impression que chaque neurones, chaque atomes et chaque molécules de mon corps a explosé, a disparu et s’est envolés à jamais.
J’ai plus envie de rien. J’ai plus envie de sortir de mon lit, de manger, d’avancer, de me construire, de rire, de sourire ni même de pleurer. J’ai juste envie de vomir, de dégueuler sur l’horreur des sentiments, de cracher sur l’amour et m’envoler. “ nov. 2015
Ma petite Manon. À l’époque tu avais 17 ans, tu venais de te séparer de ton premier amour et mon Dieu, je me rappelle comment ça avait été compliqué et comment tu en voulais au monde entier. Mais je vais te dire un truc : tu pensais que jamais tu t’en remettrais, que tu serais malheureuse pour toujours et que tu retomberas jamais amoureuse. Et bien tu t’en es remis, tu es tombée amoureuse deux fois de suite en 2017-2018, on t’a encore brisé le coeur, tu as encore intensément souffert et à chaque fois tu pensais ne jamais pouvoir t’en remettre, et pourtant tu l’as faits, et Dieu sait que les deux relations qui ont suivi ont été bien pire que la première entre viols conjugaux, infidélité et violence psychologique et physique. Mais tu en es là, en 2020, à vivre ENFIN une relation saine et non toxique ; tu as compris tellement de choses en amour et même en relation sexuelle, sur les hommes et sur la vie en général. Tu as bien souffert, mais le bonheur à l’heure actuelle est inconditionnel et je te félicite. Sois fière de toi petite Manon, t’en a chié et maintenant t’as compris, et maintenant, tu sais.
-  © PerotCovi
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payetarequisition · 4 years
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Dès la fermeture des écoles, le Week end qui a suivi j’ai perdu mon grand-père. Sachant que je pouvais être appelée par les services je demande à ma formatrice de me laisser un ou deux jours pour vivre mon deuil, je ne me sentais pas apte psychologiquement à aller au front. 
Finalement j’ai reçu un appel le lundi qui a suivi pour venir travailler le lendemain.  Sans savoir dans quoi j’allais m’embarquer, on me parle de faire un stage, que celui-ci s’inscrit dans la formation. Mais je ne comprends pas qu’est ce qu’on attend de moi ? Dois-je faire un stage infirmier alors que je n’ai ni convention ni feuille de stage ? « On a envers vous des attentes d’étudiants infirmiers de 3eme année » me dit un des responsables du GH.
Le week-end qui précédé je n’ai pas arrêté de vomir, mon médecin m’a prescrit un arrêt de travail pour 2 jours. Je lui explique que je suis actuellement malade et que venir demain ne sera pas possible pour moi « Ah ce n’est rien ça, venez quand même, vous rentrerez chez vous après. » me répond toujours le même responsable. Je ne peux qu’accepter. Je comprends qu’il faut être là, et venir aider quoi qu’il arrive parce c’est une crise et on ne peut pas vaincre une crise s’il n’y a pas suffisamment de monde pour la combattre. C’est le métier que j’ai choisi de faire en rentrant dans cette formation, à situation exceptionnelle mesures exceptionnelles, je dois y aller. 
Le lendemain je m’y rends avec la boule au ventre. Je ressens toujours des nausées. On est environ une dizaine d’étudiants de la promo à être appelé. On m’affecte en maladies infectieuses avec deux autres étudiantes. 
J’ai finalement compris dès mon premier jour que ce « stage » ne serait pas un vrai stage. La cadre nous explique clairement qu’on occupera un poste d’aide-soignante.  Je ne connais rien de ce service et me sens totalement livrée à moi-même. J’ai tout de même eu la chance d’être formée en même temps que l’équipe pour savoir comment s’habiller face à un patient Covid. Mais très vite je ressens des incohérences sur le port du masque ffp2. La direction nous laisse entendre qu’on ne doit porter que des masques chirurgicaux sauf s’il y a un risque de projection de particules virales. Mais comment estimer ce risque dès lors qu’un patient présente des signes respiratoires? Plus les jours défilent et les deux étages du service se transforment tous les deux en unité covid. Je fais au mieux pour me protéger au maximum mais nous faisons tellement de manipulation de matériel que je sais que le risque de contamination est là.  
Deux semaines plus tard, j’ai été contacté par l’école pour me dire qu’un autre hôpital parisien à besoin de moi. J’y vais toujours avec la même motivation de vouloir aider. On me dit de venir le matin. Une fois arrivée à 8h, finalement la direction des soins me dit qu’on est trop d’étudiant, de revenir l’après-midi. Je reviens l’après midi et j’apprend que j’occuperai un poste à la suppléance en tant que renfort AS. Je demande à la cadre d’avoir un casier pour pouvoir y laisser mes chaussures de l’hôpital elle me fait comprendre qu’elle ne me donnera pas de casier. Tous les soirs je transporterai avec moi mes chaussures infectées par le covid jusqu’à ce qu’une étudiante me montre des vestiaires libres au sous-sol. Je change tous les jours de services : Soins palliatif covid, MIT, Urgences, Médecine interne. Je ressens un profond étonnement de voir des étudiants en 3ème année de médecine faire faisant fonction infirmier en n’ayant suivi que 4h de formation à réaliser des soins infirmiers alors que j’ai moi-même un bac+3 en soins infirmiers, en quoi suis-je moins légitime ? 
Chaque service à sa spécificité et je me dois de m’adapter à l’organisation de chacun. J’occupe toujours des postes vacants AS, seule ou avec d’autres étudiants souvent. Rare, sont les fois où j’étais réellement considérée comme un renfort et non pas comme une aide-soignante en poste fixe. Et pendant ce temps, l’école nous parle toujours de stage ? Un stage sans encadrement ?
 Je me dois de réaménager mes moyens de transports pour rentrer chez moi tous les soirs. Car, au-delà du fait que je travaille plus de 7h par jour, à partir de 22h les métros ferment. J’en ai vécu la mauvaise expérience en me retrouvant bloquée à l’intérieur du métro, les grilles étant déjà fermées, ne pouvant sortir dehors sans devoir appeler la RATP.
L’école m’a proposé de bénéficier des taxis gratuits pour les soignants. Je bénéficie des autorisations de mes cadres, c’est cool au moins un service qui facilite grandement ma vie pour ma propre sécurité. Je l’utilise donc tous les soirs de mes mises à disposition. Aujourd’hui j’apprends que je vais devoir créer tout un dossier parce que finalement il y aura des modalités de remboursements au cas pas cas pour les étudiants. 
Ce que je vivais en service était tellement intense et unique, j’étais dans l’action mais dès lors que je passais le palier de mon appartement je réfléchissais à tout ce que je venais de vivre. Nombreuses sont les nuits où les corps des mourants tournaient dans ma tête m’empêchant de dormir. Je préférais aller travailler que de me hanter l’esprit en restant chez moi.  Mais quand on se donne à fond dans les services et qu’on voit qu’on a aucune reconnaissance ni de l’hôpital ni de l’école c’est dur. On se sent seul, lâché dans la nature sans armes. Oui sans armes, parce que j’ai été amenée à travailler en maladies infectieuses covid avec que des masques périmés depuis 2013 a en donner la migraine à force de respirer cette odeur de moisi. Sans parler des surblouses qu’on réutilisais sans cesse. Mais je tiens, il le faut. 
Jusqu’à ce matin, je n’arrive plus à sortir du lit j’ai des courbatures partout, je me sens essoufflée. J’aurai tenu 1 mois. Mon médecin m’a mise en quarantaine. Mais, quel en sera la suite ? Je n’arrive pas à joindre la médecine du travail qui s’occupent des étudiants. Sera-t-il déclarée comme maladie professionnelle ? Ou serais-je désavantagée pour la diplomation si mon état de santé ne me permet plus de retourner en service ? Parce que oui, au-delà de la mise à disposition j’ai un stage pré professionnel de 10 semaines qui m’attend dans 2 semaines. Comment l’envisager quand on nous dis qu’on peut continuer à être mis a disposition en même temps que notre stage? Comment l’envisager quand psychologiquement on sait qu’on est en train de tirer sur la corde ? 
J’ai été dans des services où nous étions quasiment que des étudiants, quand est-ce que les pouvoirs publics vont enfin penser à nous ? Nous sommes tout autant en première ligne que les soignants avec en plus une année à valider et un mémoire à rendre. 
Aujourd’hui quand je pense a notre rôle nous étudiants infirmiers en 3eme année dans cette situation de crise, je suis partagée entre deux sentiments : celui d’avoir accompli notre devoir en tant que futurs soignants envers la société mais aussi celui d’avoir été en première ligne sans y avoir été préparé et être actuellement oubliés et profondément en difficultés.
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erisandmore · 7 years
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(je pète un plomb)
je me sens pas bien, vraiment pas bien. et uniquement à cause de mon physique. si c'est pas superficiel alors qu'est ce que c'est ? je me sens lourde, j'ai l'impression de peser une tonne, je sais plus où j'en suis avec ce problème. mon corps actuel me dégoûte. j'ai essayé de manger normalement pendant une semaine, comment dire que c'est un échec total psychologiquement ? je veux m'en sortir, vraiment, je pensais y arriver seule. mais je me sens comme enchaînée, comme si ça partira jamais. quelque chose me pousse à penser que je suis 10000 fois plus heureuse quand je pèse 40 kg et pas un gramme de plus. je suis plus heureuse quand je mange de la salade et rien d'autre, cette habitude, ce contrôle ça me comble de joie, je me sens réellement en accord avec moi-même. je prends un peu de poids, enfin "un peu de poids" parce que prendre 5kg en l'espace d'une semaine c'est vraiment effrayant.. voilà que je me mets à paniquer dans mon lit, je fais du sport, j'arrive pas à m'endormir, je pense qu'à ça, brûler brûler brûler ces foutues calories. ça me rend complètement folle. sérieux c'est n'importe quoi, faut que je reprenne mon petit train-train habituel parce que je peux pas continuer comme ça, je me sens grosse, grasse, moche à vomir, j'ai meme plus envie de prendre soin de mon apparence. c'est vraiment n'importe quoi, prendre du poids me rend malheureuse, manger comme les gens dits "normaux" me rend malheureuse. je sais pas comment faire pour arrêter ce bordel. je vois que mes cuisses ont doublé de volume avec tout le sport que je fais mais ça me plaît pas, je veux les couper en deux. j'ai envie de prendre une putain de scie et enlever tout ce "trop". qu'est ce qui m'a pris de penser que je pouvais manger normalement ? jsuis complètement à côté de la plaque.
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chachapossum · 7 years
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Le prophète en forme de 4 [2010]
Possum Pizza bonsoir ?
- Oui euh bonsoir c’est pour commander des pizzas…
Bah oui espèce d’abruti tu ne vas pas appeler pour faire la causette avec le pauvre larbin aux tympans saignants que je suis.
- Je vous écoute ?
- Alors y’aurait une Rocka’bacon et une Mozzakipik.
Si je bosse ici c’est dans l’unique espoir d’un jour avoir assez de fric pour consommer les mêmes drogues que les inventeurs des noms de pizzas.
- Deux personnes ? Pâte normale ou crusticrou ?
Une pâte peut elle être anormale ? N’est ce pas de la discrimination d’utiliser de tels qualificatifs ? Mais la pâte à pizza a-t-elle seulement sa place à l’ONU ? Il me faut un café.
- Euh oui oui normale, deux, et…
- Vous payez comment ?
- En ticket resto.
Encore un livreur qui va se faire un bon pourboire.
- Ok, alors une Rocka’bacon, une Mozzakipik en pâte normale à livrer au 5 rue Hector Berlioz ?
- Euh… oui oui c’est ça.
Ah ça t’en bouche un coin que je sache où t’habites alors que hier c’est Medhi que t’as eu au téléphone pour commander ta Granoska hein.
- Vous serez livré dans 45 minutes, merci d’avoir choisi Possum Pizza et à très bientôt.
Je hais ce boulot. Je hais tous ces glandeurs boutonneux aux cheveux gras à qui je parle en souriant. Le sourire s’entend, c’est stipulé à l’alinéa 14 de mon contrat. Donc je dois montrer mes canines à l’ordinateur. Toute la soirée.
Faut bien payer le loyer. Quand j’étais en âge de perdre mes dents de lait je voulais être archéologue. Sortir de ma tente à dix heures du matin pour aller déterrer un squelette de T-Rex à l’aide d’un pinceau. Le rêve.
Puis j’en ai parlé à ma maîtresse qui m’a gentiment expliqué que faudrait faire 20 ans d’études après le CM2 pour avoir la chance d’exhumer des pots cassés en terre cuite avant d’un jour peut être atteindre la consécration en tombant sur un fossile de trilobite.
Moi je voulais un T-Rex après le bac.
J’ai rayé le mot ambition de mon vocabulaire et me suis réorienté. J’adorais écrire. Je passais des nuits fiévreuses à noircir des cahiers entiers jusqu’à la crampe du poignet. Je rêvais d’une histoire gigantesque et divinement bien articulée, avec des retournements de situation à faire pâlir le Scoobygang. Les mots ont un pouvoir fascinant, illimité. On peut même dépasser l’infini à coup de néologismes. Écrivain. J’avais trouvé.
Arrivée au collège j’ai compris qu’un romancier ne pouvait pas se payer un loft en face de Beaubourg à moins de savoir toucher les adolescentes pré-pubères et les mères au foyer fans de Patrick Sébastien qui lisent parce que c’est important de se culturer quand même. J’ai aussi vu tellement de camarades prendre la plume et inonder skyblog de leurs créations... Je n’arriverai jamais à me faire une place.
Alors quoi ? Le journalisme me tendait les bras. Des colonnes lues par d’autres gens que ma mère et mon chat, ma passion serait utile à la société, je n’aurais même pas l’impression de travailler. Donnez moi un sujet, je vous le raconte. Je serais capable de rendre intéressant un article sur les bégonias à un fan de tunning.
C’est au lycée que j’ai découvert à quel point c’était un métier gangréné, qu’on était promu à condition d'arborer la même moustache blanche que Jean Luc Delarue. J’ai décidé de boycotter TF1, c’est Victor qui me l’a conseillé, le pote avec qui j’échangeais des pin's du Che Guevara contre des bracelets cloutés.
Les années ont filé, les diplômes se sont accumulés sans savoir vraiment où est ce que j’allais. Un jour j’en ai eu marre que mon père me gronde lorsque je me couchais après minuit. À 24 ans il était peut-être temps de quitter le nid moisi, et puis je ne pouvais plus faire trois mètres à Paris sans avoir l’impression de croiser mon ex. Je suis partie loin de mes problèmes, sauf qu’ils m’ont suivie dans le déménagement.
- Possum Pizza bonsoir ?
- Bonsoir mademoiselle, j’allais commander une Bouldepux mais votre voix est si suave que je vais me rabattre sur la Rosécarlate
- Vic je bosse là, je finis à 23h et tu sais très bien que je vais devoir mettre fin à cette communication immédiatement
- Mais vous faites erreur, je ne suis qu’un innocent client qui n’a pas encore eu sa dose d’huile et...
Clac. Une commande prend en moyenne 2 minutes et 22 secondes, Possum Pizza a payé une boite spécialisée dans le chronométrage des opérateurs téléphoniques pour obtenir ce chiffre. Si un appel dépasse trois minutes j’ai le droit à une écoute en direct de la conversation par un manager, celui qui gagne dix balles de plus que moi, dix balles de plus que le smic, et le droit de mettre fin à mon CDD.
Parfois on se croirait dans Brazil, la torture en moins. Enfin je crois, j’espère.
Tiens, un numéro inconnu, un nouvel estomac à fidéliser.
- Bonsoir je voudrais commander une Gouinamane s’il vous plaît.
Je me souviens que les premiers jours fallait parfois me mordre la langue jusqu’au sang pour pas exploser de rire à ce nom là. Aujourd’hui mon sourire en carton ne tremble même plus. Je vieillis. Ou j’ai peut-être juste besoin d’une reconversion professionnelle.
- Alors je vais avoir besoin de votre numéro de téléphone fixe, téléphone portable, nom, prénom et adresse s’il vous plaît.
- Oui…
Il trouve ça normal de me photocopier sa carte d’identité pour commander une pizza.
J’ai en moyenne 28 nouveaux tas de cholestérol qui viennent grossir le fichier client quotidiennement. On ne sait pas ce qu’ils ont fait l’été dernier mais on sait tout le reste. L'ordinateur central réussi même parfois à choper la photo du client sur Internet, aidé par un sombre réseau social au nom ridicule quand on ose le traduire en français.
***
- Je préfèrerais subir un toucher rectal par un lépreux plutôt que d’être client chez Possum Pizza.
- Putain Vic t’es sale…
- Non mais sérieusement ça te dégoute pas de travailler pour une boite qui gère autant d’informations personnelles dans le seul but de livrer des pizzas ?
- Ce qui me dégoûte c’est ta barbe recouverte de sauce tomate mec… Et arrête de faire fumer Pixel !
- C’est pas ma faute si ton chat aime nuire à ses spermatozoïdes et réduire sa fertilité, mais il peut se faire aider pour arrêter de fumer en téléphonant au 113… C’est fou les romans qu’ils arrivent à caser sur six centimètres de carton.
Y’a onze ans Victor a fumé son premier joint avec moi. À l’heure actuelle il est héroïnomane et doit prostituer sa sœur de sept ans et demi pour se payer sa dose. C’est ce que Laurence Ferrari aurait bien aimé constater. La vérité c’est que ce soir là, le joint roulé par le dealer contenait autant de shit que pixel de spermatozoïdes.
Pixel est castré.
- Et sinon t’as toujours pas fini ton roman ?
- Tu sais très bien que c’est ni un roman ni un truc à finir et encore moins une chose commencée…
- Mais j’aime beaucoup tout ce que t’as écris, même si finalement c’est vrai que ça veut pas dire grand chose, mais j’suis certain que si tu bossais dessus tu pourrais te faire publier et...
- T’as fait le salon du livre cette année ?
- Bah je pouvais pas y’avait un raid organisé qui tombait pile sur le weekend en question et ma guilde avait vraiment besoin de moi...
- T’as rien loupé. Quand j’ai vu le gratin à la soirée d’inauguration j’ai eu envie de vomir par le nez. Ils sont tous agglutinés dans des carrés VIP entre un p’ti four et trois coupes de champagne, si tu passes assez près tu peux attraper un de leurs “Je suis auteuuuuhrr” sortant de leur orifice bucal en compagnie de postillons au saumon. Ce soir là je me suis dit que si j’avais de l’imagination et savais structurer mes textes, je pourrais atterrir là moi aussi. Je me suis rendue compte que je ne savais pas pourquoi j’écrivais, ni pour qui, mais que je n’avais pas envie de me retrouver à vendre des bouquins au nom d’un p’ti four au saumon.
Vic me regarde à travers un brouillard de nicotine, pas besoin d’y voir clair pour savoir qu’il sourit et n’est pas vraiment convaincu.
- Écoute, je veux pas te tenir de discours de rebelle en crise d’acné mais juste le fait que tu passes 35 heures par semaine à perdre ton temps pour que la pâte crusticrou domine le monde ça me fout un peu les glandes...
- 39.
- Quoi ?
- J’ai fait 39 heures cette semaine.
Le vide intersidéral qu’était ma vie sentimentale depuis cinq mois me laissait beaucoup -trop- de temps à tuer. J’avais fui Paris pour me retrouver paumée à 400km de mon ex. Au moins ici j’étais certaine de ne pas croiser ses sneakers à scratch vertes fluos. Les seules pompes sympathiques rencontrées depuis mon déménagement étaient celles d’un gamin qui courrait en hurlant qu'il avait trouvé la plume magique, il brandissant fièrement une plume de pigeon noire de crasse et sa mère trottinait derrière lui le visage assorti à son rouge à lèvre. Je ne juge pas les gens à leurs chaussures mais je reste persuadée que les êtres exceptionnels balancent des lasers d’un coup de talon.
Et j’avais plus envie de rencontrer autre chose que des êtres exceptionnels.
- Tu repars à quelle heure demain Vic ?
Il sort de son sac le dernier Mad Movies puis en extirpe un ticket racorni siglé SNCF.
- 12h08, j'arrive à 16h47 à Lille, juste à temps pour mon cours sur Malevitch.
- Ne me dis pas que vous êtes encore en train de disserter sur des toiles vierges ?
- T'es trop rustre pour apprécier la beauté du carré blanc sur fond blanc, déjà t'avais pas réussi à reconnaître la puissance du travail de Piero Manzoni, alors Malevitch...
Le jour ou Vic a quitté le palais de Tokyo en larmes après m'avoir traité de pauvre écervelée insensible à la beauté abstraite du monde, j'ai passé trois heures à culpabiliser en observant la toile blanche imbibée de vomi d'albatros en son coin inférieur droit. C'est la seule dispute qu'on ait connue en onze ans, je change donc subtilement de sujet quand on s'approche trop d'une discussion sur l'art content pour rien.
- Ca te dis pas qu’on se mate un film et qu’on aille se coucher ? J'ai reçu L'attaque de la Moussaka géante en version director's cut, mais j'ai aussi La créature du lagon hanté, Le crâne hurlant, Chromosome 3, ou sinon on peut mettre Black Dynamite...
Le visage de Vic s'illumine au fur et à mesure que je liste ces merveilles. L'hémoglobine et la chair putréfiée ont toujours été nos éléments eucharistiques favoris.
“Donuts don’t wear crocodile shoes”
C’est ce que cracha mon ordinateur au moment ou je rejoignis Vic dans les draps de Morphée.
***
J’étais en train de mastiquer une plume de poulet au curry afin d’acquérir le pouvoir de diriger l’armée des ratons laveurs albinos quand on m’annonça à plein volume que la base de données avait été mise à jour.
J’ai frôlé l’arrêt cardiaque et envoyé mon poing directement dans la mâchoire du troubadour, à m’en briser les phalanges. J’aurais préféré un réveil Ricoré. Au lieu de ça j’ai du vider une bouteille de mercurochrome sur mes doigts zébrés de sang en maudissant les sadiques programmeurs d’antivirus. Je n’ai pas pu me rendormir.
Heure du décès 9h14.
Mon PC portable ressemble à un cyclope, son œil béant ouvert sur l’infini de mon 28 mètres carrés. Je viens de commettre un homicide involontaire en la personne de ma seconde vie, celle qui me redonnait le sourire après une nuit passée à dispatcher 133 pizzas.
J’ai acheté World of Wacraft après des efforts monumentalement infructueux pour oublier mon ex... Je m’étais laissée convaincre que seule une immersion totale dans un nouveau monde immaculé de sa présence pouvait me changer les idées. Le fameux jeu vidéo en ligne avait déjà plus de 11 millions de victimes à son actif, il fallait au moins que je teste. Au fur et à mesure que je me concentrais sur mon personnage, c’est à travers ses actions que je ressentais à nouveau de la joie, du bonheur, de la fierté et tout un tas d’autres émotions qui avaient déserté ma vie. J’aidais des vieillards à fabriquer des dentiers en crocs de dragons, je pourfendais des golems de marbre, je me battais à mains nues contre des oursons malfaisants, je sauvais des elfes de la nuit en détresse… Je me sentais enfin utile, je construisais quelque chose de solide entre les champignons grands comme des baobabs et les tigres à dents de sabre domestiques.
Et Vic trouvait ça pathétique.
Et Vic me regarde depuis trois minutes sans oser bouger un sourcil. Il sait que mon salaire ne me permet même pas d’acheter assez de PQ pour le mois, alors un nouvel ordinateur…
- Je veux bien me torcher avec les serviettes en papier de verre de Possum Pizza à chaque fois que je viens si ça peut t'aider… Et j’te prêterai ma Game Boy, j’ai Pokémon Rouge dessus.
J’ai envie de lui dire que non, ce n’est pas la peine de s’en faire, qu’il n’y a pas si longtemps que ça on passait des nuits entières sans écrans, que j’ai des livres qui prennent la poussière depuis Noël, que je vais sortir voir autre chose que le trajet de chez moi à mon boulot et…
- Ma vie est une merde.
Je n’aime pas qu’on fume le matin chez moi, mais lorsqu’il glisse une cigarette entre ses lèvres gercées j’ai presque envie de lui en demander une. De faire quelque chose d’inhabituel, sortir de mes gonds comme un porte de véranda trop bien huilée qui aurait soudain envie d’être un vélux.
Et puis je me rappelle que j’suis pas une porte, ni même une fenêtre. Et quitte à choisir je préfèrerais être un pont-levis. En bois.
Un bois aussi lourd que le battant sur lequel mon frère s’est éclaté le pouce il y a une dizaine d’années dans notre maison de campagne. Une bâtisse en pierre à moitié écroulée au cœur d’un village dont la moyenne d’âge ne descendait jamais sous le seuil des 80 ans. Je me souviens encore de ces matins où on fourrait dans un sac en toile la panoplie complète d’Indiana Jones afin de partir à l’assaut de la lande sauvage traquer les chevreuils. On pouvait être certains que les grognements venus des fougères étaient ceux d’un sanglier en rut que les chasseurs n’avaient pas encore réduit en trophée. Quand nous n’avions pas le regard vissé sur une queue verte à attendre que le lézard repousse, on animait Fort Escargot. La coquille bariolée de gouache, les concurrents devaient se démener corps et bave dans les épreuves impitoyables qu’on avait concoctées. France 2 nous a beaucoup encouragé à traumatiser des mollusques au nom du père Fouras. Le reste des vacances s’écoulait à l’ombre des chênes centenaires ou dans les ruelles du village à éclater des bulles de goudron, on délaissait même la télévision. Quand je regarde cette gamine la face tartinée de rouge à lèvres qui clame à qui veut l’entendre qu’elle est aigle courageux de la montagne rousse et que plus tard elle sera présidente du monde, je me rends compte qu’elle vivait sans arobase.
Pixel me sort de ma torpeur en mordillant mon orteil, Vic a terminé sa cigarette, il caresse ce qui reste de mon ordinateur, l’air désemparé. J’ai la désagréable impression qu’une partie de moi hurle de joie tandis que l’autre s’énerve et s’épuise à chercher des solutions inexistantes afin de retrouver ma vie deux point zéro au plus vite.
Victor n'ose rien dire, il ne sait jamais quoi dire quand je transpire des yeux. J'essaie de réfléchir. Je ne sais même pas pourquoi je vois Gandhi quand je ferme les paupières. Je me calme et pense à mon frère qui aurait déjà réduit en bouillie la bécane blessée en insultant la terre entière. Je me calme et me fais un sermon sur le matérialisme et la société de consommation. Je me calme et retrouve un rythme cardiaque normal. Je me  calme. Ce n'est pas un amas de composants électroniques qui va me guider dans la vie. Je ne m'appelle pas Tetsuo. Je n'ai pas besoin d'ordinateur pour être heureuse. Je me rends compte que je pense comme un alcoolique à qui il ne reste qu'une bouteille de bière Leader Price au frigo. Comment ai-je pu en arriver là ?
- Bon au moins le disque dur est pas atteint je pourrai toujours récupérer mes textes et photos... c'est pas la fin du monde hein... Et puis ça va me faire du bien de faire autre chose que tuer du gobelin et poker mes potes. J'ai même envie de me remettre à écrire, j'ai eu une super idée cette nuit c'est vraiment dommage que je ne fasse pas dans la fantasy parce que c'était un truc du genre à détrôner Tolkien... Mais je vais avancer sur mon roman, le mois prochain je t'envoie des chapitres frais... en colissimo.
Il ne me croit pas une seule seconde.
Forcément. Ce n’est pas la première fois que je lui fais le coup de l’illumination divine qui m’ordonne de réussir ma vie. Au lycée je lui ai promis qu’il serait le premier à avoir mon bouquin dédicacé, j’ai écris vingt deux pages puis j’ai laissé jaunir le papier jusqu’à ce que l’encre soit complètement effacée. L’année dernière j’ai monté une association pour la réinsertion de Burger King en France. Ma crédibilité s’est évaporée le jour où la co-présidente a annoncé en pleine réunion qu’il faudrait remplacer la viande par du tofu si on voulait vraiment concurrencer Ronald. Depuis ce jour je me suis désintéressée de toute forme de politique. Même Sarkozy m’évoque plus un champignon vénéneux qu’un nain sous stéroïdes. Avant de me convertir à Possum Pizza je voulais monter un site web avec Victor pour regrouper toutes nos chroniques de films gores, ceux dont les monstres en carton-pâte sont doublés par des poulets transgéniques. On a passé des nuits blanches entières à en parler sans jamais coder une ligne.
Mais cette fois ci c’était différent. Il fallait que ça marche. Je voulais que ça marche.
- Tu peux me laisser un stylo avant de partir?
***
“Alice pénétra dans l’amphi bondé avec une bonne demi heure de retard, elle ne pensa même pas à regarder à quoi ressemblait son voisin quand elle posa son séant sur le seul siège de libre. Le ptérodactyle qu’elle avait dans l’estomac sentait la présence toute proche de nourriture, ses grognements attireraient bientôt l’attention du professeur avant même qu’elle ait pu enlever son manteau. Il fallait réagir. Elle sortit de sa poche un kiri déformé qu’elle écrabouilla en vitesse sur le morceau de pain rassis qui dépérissait au fond de son sac depuis lundi.
- C’est ton pti déj ou ton goûter ?
Deux grands yeux bleus océan accompagnaient un sourire Colgate qui avait attendu la mise à mort de la tartine pour poser sa question. Hésitant entre consteller son visage de postillons au fromage ou exhiber ses maxillaires la bouche fermée, Alice se contenta finalement d’esquisser un sourire sans trop montrer les dents. C'est le moment que”
L’horreur sans nom qui se posa dans la marge m’arracha un cri. S’éjecter de la chaise. Écraser au passage le stylo bic. Saisir le premier truc qui me tombe sous la main. Tenter de frapper l’intrus. Être tétanisée. Retenir un cri. Hurler. Ne pas avoir réussi à lever le bras. Regarder l'indicible galoper sur le papier. Sur mes phrases. Faire une pause entre deux virgules, repartir vers une majuscule puis escalader la part encore tiède de Torahzola. Je dois réagir. Je psalmodie une prière improvisée aux tortues ninjas puis trouve la force de mouvoir mon bras en soufflant bruyamment. Du courage. Le premier coup fait voler trois rondelles de chorizo, l’ennemi s’embourbe dans le gorgonzola fumant, je frappe frénétiquement de toutes mes forces, il trouve le moyen de se réfugier sous une olive, j’abats mon arme sans pitié pendant que mon tshirt encaisse les giclées de sauce tomate. C’est une véritable boucherie. Ce n'est qu'au bout de trois minutes que je fais une trêve à cause de la douleur qui me vrille le bras. Mon rythme cardiaque redescend tout doucement à mesure que mes crampes disparaissent. J’ouvre avec difficulté des yeux imbibés de sauce piquante pour constater qu’il est impossible de faire la différence entre ce qu’il reste de ma pizza et feu ma petite culotte préférée. Les deux ressemblent à s’y méprendre au masque de leatherface.
Vic aurait été fier de me voir manier un slip avec autant de dextérité.
C’est la seule pensée constructive qui heurte mon cortex alors que je contemple la moitié de la bête frémir à six centimètres du reste de son corps noyé de garniture huileuse.
***
- C’était juste une araignée, tout va bien merci, j’ai juste perdu mon unique stylo dans la bataille.
C’est ce que je déclare à Laura, venue sonner à ma porte car elle entendait son plafond agoniser depuis une dizaine de minutes. Je n’ose même pas imaginer ce qui doit défiler dans son esprit à la vue de ma personne. Les cheveux gluants parfumés au gorgonzola, le tshirt maculé de taches écarlates, les yeux injectés de sang et la main droite encore tremblante, je m’excuse du dérangement et lui souhaite une bonne soirée. A aucun moment je n’avais envisagé la possibilité qu’elle m’adresse la parole. Mes voisins ont pour coutume de m’ignorer.
- Tu écris ?
- Et bien non enfin je, j’essaye d’écrire des trucs mais rien de très constructif… et toi tu débutes ?
Elle rougit en rentrant sous son tshirt un badge doré où son prénom est précédé d’un « je débute » en italique.
- Ah ça c’est pour mon boulot... À la FNAC ils ont une certaine vision de la hiérarchie et de la communication. Je dois porter la mention “Je débute” pendant encore trois mois… Va conseiller quelqu’un avec une pancarte “je suis nouvelle donc incompétente bonjour”. D’ailleurs je dois remonter me préparer, je suis déjà à la bourre là… si tu as d’autres soucis sur pattes hésite pas à venir sonner chez moi, je suis juste au dessus.
Je ne sais pas si c’est le timbre de sa voix ou le simple fait qu’elle ne se soit pas enfuie en courant à la seconde ou j’ai ouvert la porte mais en regardant ses chaussons j’ai presque l’impression de voir les talons clignoter.
Une fois le parfum de Laura dissipé par les relents de pizza, je me laisse tomber dans mon canapé trop mou et essaie de me concentrer sur la suite de ma journée, sur mon seul jour de repos.
Je voulais écrire. Je revois Victor me demander de raconter ma vie sentimentale en 32 tomes car là dessus au moins même sans imagination j’aurais de quoi vendre des pavés qui rendraient jaloux Musso et Lévy… Mais si je crée un roman, je n’ai pas envie qu’il se résume à ce qui a torturé mon myocarde pendant une dizaine d’années, à la limite ça peut être un prétexte pour me lancer mais je veux m’écarter de cette voie le plus rapidement possible, pour aller je ne sais où. Et puis il y a ce scénario proposé par mon ex. Alice rencontre Max, un étudiant impliqué dans la mafia locale, s'en suit une folle histoire d'amour teintée de sang. J'en suis au troisième chapitre et ne connais même pas les noms des futurs cadavres, encore moins leur nombre. Je me demande soudain si écrire sans connaître la fin ni le milieu de son histoire n’est pas une entreprise vouée à l’échec. Des milliers d’heures qui ne mènent à rien, des hectolitres d’encre gâchés, des forêts assassinées gratuitement. Je suis un monstre.
Le stylo git sur le sol, pas besoin de m’approcher pour savoir qu’il est décédé. Ce fin cylindre en plastique contient de quoi écrire trois kilomètres mais si on brise sa carapace de plexiglas non seulement il perd ce merveilleux pouvoir mais en plus devient nocif et noirci tout ce qu’il touche. C’est terrifiant la mort d’un Bic.
***
L’unique avantage de mon boulot réside dans le fait de ne jamais commencer avant que la petite aiguille de ma flick-flack n’atteigne le dix. Mais Pixel n’a toujours pas compris le principe de la grasse matinée. Pas besoin de réveil quand ses griffes traversent la couette à huit heures du matin afin d’allumer le distributeur de croquettes. À mesure que ma main se couvre de poils, je pense à mon roman.
Ce n’est pas un roman. C’est un puzzle géant dont je n’ai jamais vu la boîte. Pas moyen de savoir si j’aurais un chaton ou un poney une fois la dernière pièce posée, de toute façon je préfèrerais un T-Rex. Pixel pose négligemment ses 8 kilos sur mon visage. Il ne compte pas attendre la fin de mes élucubrations matinales pour remplir son estomac.
Après m'être décroché la mâchoire et récuré les yeux je constate que le cadavre du bic n'a pas bougé depuis la veille. Je gratouille Pixel sous le menton et vais relever le courrier.
Échec cuisant. Ma mémoire a décidé d'occulter complètement cette tragédie, technique du poisson rouge. La mort de mon ordinateur n’était pas un cauchemar.  
Vexée comme un pou, je décide de me traîner jusqu’à ma boîte aux lettres matérielle histoire de prendre ma revanche sur le monde virtuel sans attendre. Pourquoi n’a-t-on pas encore inventé ce porte-clés qui répond quand on l’appelle ? Celui dont on parle à chaque fois qu’on cherche son trousseau en se disant que l’exercice est mille fois plus difficile que de trouver Charlie dans la dernière page du bouquin, celle ou il est paumé parmi des centaines d’individus qui ont eu le bon goût de se fringuer avec des rayures rouges et blanches. Même mon mot de passe hotmail est plus facile à retrouver. J’abandonne rapidement, incapable de me concentrer car obsédée par une question existentielle de la plus haute importance : comment savoir qu’un pou est vexé ? Google est mon ami. Mais pas aujourd’hui.
J’ai envie de pleurer. Je hais le matin. Quand j’étais petite, j’entendais dire que araignée du matin : chagrin. Il a fallu que je souffle une vingtaine de bougies pour me rendre compte qu’on pouvait remplacer araignée par à peu près l’intégralité des noms communs du Larousse, ça rimerait toujours avec chagrin du moment que ça se passe le matin.
J’essaie de ne plus penser aux poux, surtout en prenant ma douche. De ne plus penser à mon amis Google devant le miroir.Des cheveux en bataille cachent des yeux bleus aussi jolis que myopes. Peau blanche quasi transparente qui a certains endroits du corps permet de cartographier précisément mon réseau sanguin, une méduse en serait jalouse. Je n’ai pas beaucoup changé depuis hier. J’adresse un clin d’oeil à mon reflet avant d’enfourcher mes lunettes rectangulaires, celles qui me rendent physiquement intelligente.
8h45, je sors les raviolis du micro-ondes. Ce que je préfère dans les raviolis c’est la nappe de gruyère fondu qui croque sur les bords quand le bol a passé la nuit au frigo. Si je bossais chez Buitoni, il n’y aurait pas deux pièces contenant une garniture identique, ce serait 38 mini pochettes surprises dans chaque boîte. Y’en aurait même une au beurre de cacahuètes. J’explique mon projet à Pixel pendant que mon tshirt se transforme en pull angora, il me regarde et ronronne comme s’il croyait en moi et mes formidables idées culinaires. Ce chat est merveilleux. Je balade ma main sur son dos à rebrousse poil jusqu’à l’oreille gauche déchirée.
La blessure de guerre remonte à la période où j’étais un chef indien à mes heures perdues, occupée à explorer le désertique bac à sable en compagnie de Pixelor, mon féroce tigre du Bengale. Je n’avais pas vu arriver le berger allemand, je ne savais même pas qu’un mastodonte pareil pouvait être nommé. Quand il a commencé à boitiller dans ma direction en grognant, Pixel a triplé de volume et s’est mis à cracher en remuant les moustaches. Le molosse s’est arrêté net en face de cette boule de poils qui osait le défier. J’ai lâché mon arc au premier aboiement, mon chat ne bougeait pas, il émettait des sons rauques en continu. Je n’ai pas fait attention à ma mère qui me hurlait depuis le balcon de reculer puis je me suis pissé dessus au moment où le chien a recommencé à avancer vers moi. Pixel lui a sauté à la gorge, planté ses griffes dans l’épaule et s’est hissé sur son dos pour lui labourer la nuque. Une pluie de bave et de sang m'éclaboussait, le chien sautait dans tous les sens pour déloger son adversaire. Puis il roula sur lui même et Pixel s’éjecta juste à temps pour éviter d’être réduit en bouillie par 50kg de muscles. Il galopa  vers la rue, ne devant son avance qu’à la patte blessée du chien enragé. J’ai attendu toute la journée dans le bac à sable en pleurant. Ma mère tenta de me consoler sans succès en épongeant mes litres de morve. Le lendemain Pixel a gratté à la porte l’oreille en sang et le pelage couvert de cambouis. Il s’est mis à ronronner avant même que je ne l’étouffe dans mes bras.
Quand j’ose raconter cette aventure en société je peux déduire lequel de mes auditeur possède un chat, il a toujours les yeux qui brillent à la fin de l’histoire, les autres se marrent tout le long. Surtout Vic.
C'est en posant le bol sur la pile de vaisselle sale que je marche sur mes clés. Vu l'heure qu'il est je vais même avoir le temps de vidanger ma boîte aux lettres.
- Bonne journée mon petit amour, je ne rentre pas trop tard ce soir !
Je claque la porte et me pétrifie quand j'entends un écho. Je n'aime pas trop que mes voisins me surprennent en train de parler à mon chat. Laura dévale les marches, un morceau de croissant entre les dents et des miettes incrustées dans le labelo. Elle me crache un bonjour à la face sans s'arrêter de courir. Avant que j'ai eu le temps d'articuler quoi que ce soit l'escalier est déjà désert. C’est le plus joli sourire qu’on m’ait adressé depuis une éternité. J’ai un faible pour la nourriture.
***
Nina ? Stéphanie ? Vanessa ? Charlotte ? Cécile ? Marine ?
Impossible de me rappeler comment se prénomme la barbie qui pianote sur le poste voisin. Remarque cela ne fait que trois semaines qu'elle occupe cette place, et je me suis promis de n'avoir aucun échange social avec une personne dont le fond d'écran représente un nouveau né souriant à un géranium rose. Chez Possum Pizza, la seule chose qu'on a le droit de personnaliser dans notre espace de travail est le papier peint windows. Depuis deux semaines Edward Norton me souhaite la bienvenue en vomissant ses dents sur la barre des tâches.
- Excuse moi, t'aurais un stylo à me dépanner ?
Elle sursaute et me dévisage trois bonnes minutes. J'ai l'impression qu'elle va me sortir la carte de visite de son esthéticienne ou m'imprimer la liste de ses anticernes préférés. Je hausse mon sourcil droit en gardant le gauche bien à plat jusqu'à ce qu'elle se décide enfin à me donner un de ses 5 stylos Possum Pizza flambants neufs que je glisse dans mon sac avant de la remercier.
11h10. Le premier appel ne devrait plus tarder.
- Possum Pizza bonjour.
La fiche de la cliente apparaît, son double menton aussi. Je me demande quel est l'intérêt d'encombrer les serveurs avec toutes ces photos, est-ce seulement légal ? Je me prépare à noter la commande au moment où je lis son prénom. J'ai toujours pensé que c'était une légende urbaine, ces parents assez malades pour baptiser leur fille Clitorine. Remarque c'est peut être un acte purement artistique ou simplement sadique, ou c'est juste que mon esprit obtus n'arrive pas à percevoir la beauté intrinsèque de ce prénom. Quoi qu'il en soit je transfert l'appel à ma voisine histoire d'éviter de me faire virer pour fou rire intempestif.
Il est très rare que je délègue un appel, même lorsque je tombe sur un bègue ou quelqu'un qui a eu la bonne idée de composer le numéro avant même de choisir sa pizza.
- Possum Pizza bonjour ?
- Bonjour je voudrais une Tikenja à livrer rue des chênes au 14, non attendez plutôt une Razzorizo, la garniture est bio n'est ce pas ?
J'ai même droit à l'éternel indécis. Au bout de trois minutes un œil rouge clignote sur l'écran. Une oreille aurait été plus juste, le manager n'est pas branché en visioconférence, il ne fait qu'écouter. Mais se sentir observé est beaucoup plus intimidant, on se demande même si un bout de ravioli n'a pas échappé au brossage matinal. Sauron aurait-il été aussi terrifiant si il avait décidé de surmonter sa tour d'une oreille enflammée ?
Un appel coupe le fil de mon épique réflexion. Madame Béchade demande si les pizzas végétariennes contiennent des crevettes parce que vous comprenez elles aussi ont un système nerveux. Madame ne fait pas partie des traîtres carnivores qui osent se vanter d'appartenir à la race supérieure des bouffeurs de tofu alors qu'ils croquent sans pitié du poisson mort né.  
Je hais les végétariens. Les raisons obscures qu'ils avancent pour justifier leurs carences alimentaires rivalisent d'absurdité. Je peux encore voir les yeux d'Alex briller lorsque je lui parlais des centaines d'hectares de sapins cultivés dans le seul but d'être sauvagement tranchés pour Noël, combien de litres de sève sa famille avait-elle fait couler depuis sa naissance ? Et en quoi étaient fait son sac Marc Jacobs ? Et qui avait tricoté son top acheté chez Primark ? Puis je l'avais achevée en lui demandant si la viande lui manquait parfois. Non, pas vraiment, et puis c'était tout à fait normal de rêver qu'une dizaine de poulets rôtis l'invitaient à danser la farandole puis qu'elle se battait avec Jeanne Calmant pour avoir droit à du jambon mouliné, non ? C'est après son exposé passionnant sur Borges que j'avais proposé à Alexia de manger avec moi pour éclaircir quelques points. Face à mon assiette de charcuterie elle avait tenté de me faire comprendre qu'élever des bêtes dans l'unique but de les dévorer était une abomination. Je lui avais donc parlé des conifères, de ses fringues fabriquées par des esclaves, du refoulement de ses pulsions, d'une idéologie nuisible à sa santé, puis avait noté que son sac était tissé de peaux mortes et son mascara testé sur des lapins nains. On avait continué de se voir après la fac en préférant les bars aux restaurants.
- Possum Pizza bonjour ?
Ils ne se rendent pas compte qu'ils me dérangent, ils trouvent ça normal de troubler les tribulations de ma pensée toutes les neuf minutes.
À 17h28 je dépose mon casque et gobe un doliprane pour faire taire le grésillement de mes oreilles fondues. J'hésite à en avaler un second pour supporter l'ascenseur. Depuis trois jours l'escalier est condamné pour rénovations, Possum Pizza préfère dépenser ses bénéfices dans un nouveau revêtement de sol feng shui plutôt que dans une augmentation des salaires, normal. Je me faufile dans la boîte métallique aux angles noircis de crasse puis presse le bouton zéro. J'essaie de ne pas penser aux staphylocoques et autres joyeusetés que je viens d'accueillir sur mon pouce. Maintenant que la mâchoire d'acier s'est refermée il n'y a plus qu'à attendre docilement que les chiffres rouges se mettent à défiler. Je ne supporte pas les endroits confinés desquels il m'est impossible de sortir quand bon me semble. Si je ferme les yeux je vois le vide insondable au dessus duquel la cabine tangue au bout d'un câble usé. Se concentrer sur la tâche de sauce tomate qui orne ma braguette est une excellente diversion.
Une fois sortie de mon calvaire métallique j'entends un manager insulter météo france, le peu d'estime que j'avais pour lui est réduit à néant quand il ose m'apostropher.
- T'as vu ce temps pourri ? Une semaine qu'il fait moche !
- Vous avez raison, vivement l'été.
Toujours suivre le manager et balancer une banalité en fin de réplique garantie la possibilité de négocier son planning hebdomadaire.
- Mais on est le 29 juin !
- Oui en effet, il devrait y avoir du soleil.
Je m'éclipse vers la sortie avant que l'échange ne se transforme en dialogue digne de Ionesco. Mes lunettes se couvrent de gouttes avant même que le vent détruise ma structure capillaire. Je lève mes yeux vers les nuages.
À l'âge de huit ans j'étais fascinée par ces gros paquets de mousse dans le ciel, on aurait dit qu'ils étaient posés sur une plaque transparente faisant le tour de la Terre. Et puis un jour Fred et Jammy m'ont expliqué qu'il s'agissait de cumulus établis dans la troposphère. Ils ont brisé ce fantastique dôme de verre à coup de maquettes conçues par des daltoniens sous LSD. Ils en ont profité pour parler des dangers du soleil. Moi j'adorais fixer cette boule de feu jusqu'à la voir devenir noire, ensuite je fermais les yeux et ma tête devenait une discothèque silencieuse.
C'est au lycée que ma myopie est devenue trop handicapante pour continuer d'être ignorée. À force de confondre humains et lampadaires, progressivement plus personne ne s'est mis à me faire signe en souriant le matin. J'ai compris que le monde n'était pas flou, que c'était moi le problème, que mes beaux yeux devaient être parqués derrière des carreaux afin de mettre ma vie sociale et professionnelle hors de danger. Et que j'aurais du suivre les conseils fachistes de Fred et Jammy.
À mesure que je me rapproche du tramway je distingue une masse sombre qui tremble sous le toit de béton. Les gens sont littéralement agglutinés sur la partie du quai protégée de la pluie, on se croirait face à un régiment auquel Biggus Dickus a ordonné la formation en rectangle. Je décide de rentrer à pieds, les gouttes d'eau claquent sur ma peau, sensation grisante, j'aimerais qu'aucune parcelle de mon corps ne soit épargnée. Mes lunettes fondent, le paysage qui m'entoure se rapproche du pays des merveilles kaléidoscopiques. Il fait beau.
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Il règne dans mon appartement un capharnaüm sans nom. Une caverne tapissée de cafards confits ? Je n'ai strictement aucune idée de l'étymologie du mot, en le griffonnant sur un post-it je réalise que je ne connais même pas son l'orthographe. J'irai voir sur Wikipédia plus tard. C'est la première chose qui me passe par l'esprit.
C'est toujours la première chose qui me passe par l'esprit.
La couche de poussière qui orne mes quatorze volumes d'encyclopédie Larousse est vierge de toute trace de doigt. Il est loin le temps où j'avais envie de disséquer un bébé phoque pour savoir si il était rempli de guimauve comme le prétendait mon frère. Mon cerveau s'est mis en veille à la seconde où il a été traversé par une onde wifi. Je suis devenue une assistée du clavier. Après m'avoir assommée, cette constatation déclenche une crise d'angoisse. Aussi aberrant que cela puisse paraître j'ai besoin de savoir d'où vient le mot capharnaüm. Une multitude d'images défilent. Un amas de turbans, une urne en terre cuite, un tas de cafards grouillants, une pierre tombale romaine, mais les romains avaient-t-ils des cimetières ? Je ne sais pas. Internet sait. Mon appartement n'est pas connecté. Il faut que je sorte. Il faut que ça cesse. Il faut que je trouve une explication rationnelle à Laura quand elle ouvrira la porte.
- Euh salut, c'est moi, ta voisine du dessous tu te souviens ?
Elle me dévisage de longues secondes, je grimace un sourire nerveux, une main tendue qu'elle attrape.
- Oui, oui qu'est ce qui se passe ? T'as pas l'air bien... Maïtica est revenue ?
- C'est à dire que j'aurais besoin d'aller sur Internet et mon ordinateur est mort donc je me disais que peut être je pourrais utiliser le tien...
- Ah c'est tout ? Mais rentre, fais comme chez moi, l'ordi est là.
Une plaque d'aluminium à la pomme traine sur le lit, unique meuble de l'appartement. J'essaie de ne pas trembler en relevant l'écran puis me calme lorsque s'affiche le multicolore Google. Je n'ai qu'à taper le début du mot pour qu'il apparaisse intégralement, une pression sur entrée, un clic, parfait. Capharnaüm était une ville de l'ancienne province de Gallilée, sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade au nord de l'état d'Israël, son nom vient de l'hébreu : village et compassion. Tout simplement.
- Tu veux un café ?
Au son de sa voix je déconnecte instantanément et rougis devant l'absurdité de mon acte, je ne me souviens même pas comment j'ai pu réussir à frapper à sa porte. Je m'apprête à bafouiller une réponse lorsque je croise son regard. Il m'enveloppe littéralement. La seule chose qui a le pouvoir de me calmer aussi rapidement c'est un mètre de papier bulle à éclater. Je hoche la tête puis m'entends dire que je ne suis pas contre une tasse du moment qu'elle contient plus de sucre que de café.
- Et ton roman avance bien ? Ca parle de quoi ?
- Euh c'est pas vraiment un roman, en fait je suis coincée au chapitre trois depuis pas mal de temps et ça ne ressemble pas à grand chose...
- Mais t'as pas tout perdu à cause de ton ordinateur au moins ?
- Non, non c'est un manuscrit uniquement papier, au fin fond de mon disque dur il y a mes chroniques de film et des souvenirs en jpeg que je dois récupérer.
Après avoir bu la moitié de son paquet de sucre et raconté ma vie en diagonale, je sors de chez Laura avec la ferme intention d'écrire le chapitre quatre avant l'aube.
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Je n'arrive plus à écrire. Le stylo écarlate tatoué PP me nargue. La feuille est couverte de ratures. Cela n'a aucun sens. Je revois mon ex poser sur moi un regard emprunt de pitié puis me dire que Alix au moins sait exploiter brillamment ses talents de guitariste. Elle ne loupait pas un seul de ses concerts. Je revois sa bouche tordue me cracher qu'il est lamentable que ma plume ne serve qu'à remplir mes statuts facebook.
Quand est ce qu'on a décidé pour moi que je devais être écrivain sous prétexte que j'aimais écrire ?
Pas de message politique à délivrer, pas de révélations extraordinaires à dévoiler, pas d'histoire originale à conter, je n’ai strictement rien de nouveau à offrir en pâture aux libraires, ni aux analphabètes en quête d'auteurs à critiquer. Je remplis des cahiers entiers parce que j'en ressens le besoin, je communique par lettres car je ne peux pas faire autrement. Ce n’est pas une lubie ni une manière de tuer le temps, c’est une nécessité. Le sac de nœuds qui emplit mon crâne se transforme sur le papier, les kilomètres se démêlent pour former des mots, des phrases, du sens. Lorsque j'ai découvert les langues étrangères et la typographie, les limites de l'écriture ont explosées. L'intégralité du monde peut être traduite, même l'absence de mots prend sens. Je ne cherche pas à trouver mon style ou à être publiée, pour cela il faudrait savoir quel lectorat je veux toucher. Seules mes lettres sont véritablement travaillées, je retouche jusqu'aux virgules afin d'atteindre la perfection. Mon correspondant ne doit pas simplement comprendre mon propos, il doit le ressentir. C’est une façon de parler clairement sans être interrompue. Là où j’échoue à articuler un 'je t'aime', une lettre le crie sans que j'ai à écrire une seule fois les mots fatidiques.
Comme à son habitude Pixel me sors de mon état catatonique juste avant que je visage de mon ex submerge mes pensées.
- Merci, j'ai même pas eu le temps de distinguer ses tâches de rousseur cette foi-ci.
Je repousse doucement mon chat du bureau puis relis mon ébauche. Alice était sur le point de postillonner au visage de Greg, le fameux étudiant trempé dans la mafia locale. Mon ex disait toujours qu'un bon bouquin contenait au moins un mort. Quoi qu'il en soit j'avais commencé la rédaction de ce qu'on exigeait de moi : un bébé Goncourt. C'est après avoir terminé le troisième chapitre que j'avais reçu son dernier texto. Il ne m'était absolument pas destiné. Il eu le mérite de m'arracher les paupières, celles que j'avais cousues le jour ou j'avais entendu parler de son pote guitariste pour la première fois. Après la rupture je me suis attachée à cet embryon de vingt huit pages comme on s'agrippe à sa dissertation au moment où le professeur annule l'épreuve. Ce n'est qu'aujourd'hui que je me rends compte que je n'ai jamais voulu écrire cette histoire. Je lance un regard dramatique à Pixel, je suis à peu près certaine qu'il me trouve aussi touchante qu'un cochon d'inde atteint de strabisme divergent. Interminable soupir. Des pages nourries de peur et d'orgueil. Devant moi pourrit une fausse couche gorgée de bile.
Je n'ai jamais voulu écrire cette histoire.
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En quelques secondes j’assassine sauvagement Alice. Pixel s’occupe de réduire son cadavre en charpie mieux que n’importe quel destructeur de documents. J’étais en pleine contemplation de mon nouveau parquet en papier mâché quand mon portable sonna.
- Salut Victor
- Wow je m’attendais pas à tomber sur Daria ! Il t’arrive quoi ? La dernière fois que t’as eu ce ton c’est à la fin de l’épisode ving-deux de la septième saison de Buffy. Me dis pas que t’étais en train d’écouter Thom Yorke gémir en pensant à ton ex ?
- Non, je viens juste de déchirer mon manuscrit en assez de morceaux pour que Valérie Damidot jalouse la déco de mon salon
- Ah mais oui, l’histoire d’amour entre Greg et Alice qui termine dans un bain de sang c’est ça ? Le scénario redoutablement original pondu par ton ex ? C’est pas plus mal que tu t’en sois débarrassée, quoique t’aurais pu remplacer Greg par un fille ça aurait été un pas vers la sortie de la bibliothèque des ménagères ménopausées…
- ouais c’est ça j’ai vraiment envie d’écrire un bouquin sponsorisé par Pink tv, tu sais être lesbienne c’est pas un phénomène socio-culturel fait pour remplir les rayons indés de la fnac hein…
- t’énerves pas je t’appelais juste pour avoir de tes nouvelles, maintenant que t’es plus sur le net je vois des pixels morts partout, sans vouloir offenser ton chat hein..
J’écourtais la conversation, moins parce que Vic m’avait gavé que parce que j’avais envie d’écrire. Le mot lesbienne méritait quelques lignes et si je laissais filer cette envie impulsive elles ne seraient jamais écrites. Je hais ce mot. Je l’entends comme un ongle rayant un tableau noir puis rebondir avec la grasse d’un bourrelet moite pour terminer en une trainée de bave tachant le reste de la phrase qu’il infecte. LESBIENNE.
Ce mot suinte, il me lèche l’intérieur de l’oreille, avec une langue râpeuse comme celle d’un chat, qui laisse des petits grumeaux de pâté saveur lapin partout où elle passe. Je n’assume pas cette intolérance, j’aimerais apprendre à aimer ces neuf lettres. Je les écris au centre d’une page blanche. J’essaie de les regarder sans les lire. LESBIENNE. J’aimerais être analphabète, admirer les caractères sans les lier à un son, prendre les mots comme des illustrations minimalistes stylisées. Je me force à fixer LESBIENNE, le brosse du regard dans tous les sens, je veux le décaper, qu’il soit nu et incompréhensible. LESBIENNE.
La migraine finit par s’installer, j’ôte mes lunettes et frotte mes yeux jusqu’à perdre un cil. Je ne peux pas désapprendre à lire. J’enrage contre mon cerveau formaté qui transforme la moindre matière brute en produit fini, lisse, transparent. La drogue pourrait m’aider à y voir moins clair mais ce serait un artifice, une grossière béquille plus encombrante qu’utile. Le stylo tremble entre mes doigts crispés. LESBIENNE. J’ai encore envie d’écrire sans savoir pourquoi et encore moins pour qui. Cela n’a aucun sens. Je suis Astérion qui se moque de savoir s’il y a une issue, je suis le rat qui prend plaisir à errer dans son labyrinthe. L’écriture est une fin en soi, je ne veux pas créer une histoire comportant un point final. Alors juste un début ? Même l’histoire sans fin a une fin... Ou alors quoi ? Juste un paragraphe ? Et si ce n’est pas une histoire je ne suis pas obligée de lui donner une fin. Ou une lettre ? Je sais écrire des lettres, il faut juste connaître le destinataire, ça n’a pas vraiment de fin ni de début, pas même de milieu, c’est juste des paroles figées. Une manière de s’adresser à quelqu’un en affinant notre propos à l’extrême tout en lui laissant le loisir de prendre son temps pour le lire, le comprendre, et surtout le faire à l’abri de notre jugement. Ce n’est pas un dialogue ouvert qui place l’introverti en position de faiblesse, qui permet par des acrobaties verbales de piéger l’autre, le convaincre ou l’empêcher de s’exprimer. Le papier est sourd, muet, aveugle, le papier ne demande pas une réponse, le papier ne demande pas d’être lu, compris, accepté il existe. Il est ce qu’on devrait être. On devrait juste vivre par et pour soi-même, sans jamais rien attendre de l’autre, vivre gratuitement,  sans exigences déguisées en innocentes demandes, sans sous-entendus.  Lisibles. J’en suis à me comparer à mon moleskine quand les manifestants passent sous mes fenêtres en hurlant. J’ai trouvé à qui écrire ma lettre.
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J’ai compris quand j'étais au lycée. J'avais embrassé la même fille plusieurs fois, c'était ma “copine”, il était temps d'en parler à ma maman. Je savais déjà qu'elle accepterai, mais ne m'attendais pas à sa réponse : “oh tu sais ma chérie, je m'en doutais depuis la maternelle que tu préférais les filles et je suis très heureuse que tu m'en parles, n'oublie jamais que du moment que tu es en bonne santé et bien dans ta vie je suis une maman comblée”. Bon soit dit en passant j'aurais bien aimé qu'elle me tienne au courant que j'étais lesbienne, ça m'aurait évité des nuits entières de questions existentielles du genre “est ce normal d'être jalouse du mec de sa meilleure amie”. La suite de mon coming out s'est très bien passé, jusqu'à ma grand mère de 89 ans me disant qu'elle trouvait ça parfaitement normal, du moment qu’il y avait de l'amour et des personnes majeures consentantes. Oui je sais, j'ai une famille en guimauve, j'assume. Tout ça pour vous dire que j'ai grandi dans l'idée que j'étais parfaitement normale, saine et équilibrée, et que l'amour n'avait pas de sexe (ces idées déviantes ne m'ont pas pour autant fait flasher sur mon cochon d'inde ou me constituer un harem d'amantes). Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je me sens mal d'être lesbienne. Ce qui était une chose anecdotique et que j'avais complètement intégré comme faisant partie de moi est une tare à vos yeux. Je ne comprends pas en quoi je suis moins saine d’esprit que vous, j’ai eu mon bac du premier coup, j’ai raté mon permis, je paye des impôts, je connais mes tables de multiplication. Non, vraiment je ne vois pas en quoi ma vie sexuelle influe de manière néfaste sur tout ça, à vrai dire je ne m’étais pas posé la question. Je n'ai jamais choisi de tomber amoureuse d'une fille, j'ai choisi de bien le vivre et d'être heureuse, tout comme ma meilleure amie a choisi de bien vivre le fait d'être en couple avec un homme. Je suis toujours restée à l'écart de la communauté gay, pour tout vous dire je la méprisais un peu, de vouloir se revendiquer comme des marginaux et afficher des arcs en ciel jusque sur l'élastique du slip. Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je me sens plus à l'aise dans une gay pride que dans le bus. Lorsque je marche dans la rue je dévisage les passants à qui je souriais la semaine dernière, si ça se trouve, lui aussi il défile en lycra argenté en hurlant qu'on ne ment pas aux enfants… Si ça se trouve elle était à Paris le 13 janvier, la dame à qui j'explique mieux qu'un GPS je trajet pour aller au Palais des Beaux Arts. Alors je me retrouve à porter un ridicule bracelet rainbow que j'exhibe au monde entier, un peu comme un bouclier, et je me sens mal. De voir 20 ou 300 000 personnes se rassembler et hurler que je suis différente, contre nature, malade, incapable d’élever sainement un enfant, je me sens mal. J'ai l'impression d'être un sans papier à un meeting UMP. Pour la première fois de ma vie je me sens mal à cause de ma sexualité, c'est complètement absurde, ça ne devrait pas arriver. Je ne fais de tort à personne, et je ne viens pas vous demander quelles sont vos pages préférées du kamasutra, pourquoi vous vous intéressez à ce qui se passe dans mon lit ? C’est censé être utile pour élever des enfants ces détails ? J'ai l'immense chance d'avoir une famille et des proches qui me soutiennent et n'ont pas le discours hypocrite “on est pas homophobe mais tout de même accorder le mariage…”. Il n'y a rien de pire que ces gens qui se disent tolérants, qui pensent sincèrement ne pas être homophobes, mais qui sont en fait l'exemple parfait de l'homophobie latente, celle qui nous explique qu'à certains détails près, on ne doit pas être égaux. Je veux que vous sachiez à quel point je suis blessée de vous voir vous mêler d'une chose qui ne vous regarde pas, de parler au nom de l'enfant, comme si vous lui demandiez son avis avant de le faire, comme si le couple hétérosexuel était le seul capable d'élever sainement des enfants, comme si les milliers d’enfants maltraités étaient issus de couples non hétérosexuels, comme si l’actuelle société ne comptait pas déjà des familles heureuses avec deux mamans ou deux papas, handicapées par l’administration quand tout le reste de leur vie fonctionne très bien, comme si ça allait changer votre vie qu'une minorité de la population payant les mêmes impôts que vous puisse avoir les mêmes droits. Mais si vous faites tout ça c’est pour protéger l’enfant, qu’on lui assure une famille biologique avec des bonnes grosses racines, qu’il puisse remonter jusqu’au moyen âge pour savoir de quel ancêtre il tiens ses yeux bleus. Oui c’est important de savoir d’où l’on vient, et on apprendra pas à nos enfants qu’ils sont nés dans des choux, on ne veut pas transformer le monde, on veut juste en faire partie sur le papier, car on y est depuis le premier homme, nous et des centaines d’autres espèces d’être vivants qui ont des relations homosexuelles, on est déjà là, c’est un phénomène naturel et normal, pas un choix ou un style de vie. Heureusement qu’au vingt et unième siècle on arrive enfin à avoir des droits et ne plus être considérés comme malades mentaux, enfin cela dépends par qui, quand je vous vois défiler dans la rue pour me dire que vous m’aimez bien mais uniquement si vous ne me voyez pas trop. Vous vous trompez de croisade, l’enfant a besoin de repères, de compréhension et d’amour, et ça n’importe quel être humain est capable de lui donner ou de l’en priver, quelle que soit sa sexualité. Vous ne vous rendez pas compte à quel point on se sent mal face à tant d’incompréhension et de jugement, mais si vous êtes dans la rue aujourd’hui c’est qu’il y a un problème de communication. Rencontrons-nous, posez-moi toutes les questions qui vous démangent, comprenez moi au lieu de me »
Une atroce douleur stoppe la course de ma main au moment où j’entame la troisième page. Ma maîtresse de CE1 répétait que je n’étais pas faite pour l’écriture, mes lettres ne tenaient pas en place, mes capitales débordaient sur tous les carreaux, on avait le mal de mer rien qu’en lisant mon prénom. Et puis il y avait ma façon de manier le crayon. C’était une honte de tenir sa plume comme une truelle. À l’époque wikipédia n’était pas là pour définir ce mot barbare qui taillait en pièce le peu de confiance qu’un enfant de sept ans peut avoir en soi, j’imaginais un affreux ustensile et n’osait même pas demander d’explications à ma maman tellement j’avais honte d’être si nulle. Une truelle tout de même, ça devait être plus terrible que tout. Je n’ai jamais appris à manier le stylo proprement, les crampes me rappellent que je suis dans le monde réel. La douleur, rien de tel pour se sentir vivant. Je relis en diagonale ce que j’ai commencé, ça me plaît mais c’est plein de tournures maladroites et il peut se passer cinq ou six lignes sans autre ponctuation que des virgules qui soulignent des répétitions. Je corrigerai plus tard. L’écriture spontanée n’est que matière brute, seuls les dadaistes lui permettent d’exister par et pour elle-même, dans le monde réel elle ne peut se passer de corrections. Corrections. Un mot qui sonne comme une sanction d’écolier, le lire décrédibilise le propos, et pourtant elles sont essentielles et salvatrices, elles transforment un pavé illisible en une phrase claire, un dialogue kitchissime en échange passionnant, une histoire vraie en une histoire crédible. Il me faut un thé.
Quelle force métaphysique pousse l’être humain à boire des infusions quand il emménage dans son premier appartement ? J’ai vus mes amis se convertir au Earl Grey du jour au lendemain, certains ont même acheté des boîtes en métal accordées au papier peint. Je me brûle quelques papilles. Ma langue existe. Ma cuisse droite aussi, celle dans laquelle Pixel enfonce ses griffes pour me signifier qu’il m’aime. Mon chat est formidable, mon Levis est foutu. Dehors les manifestants sont déjà loin et leur slogans enfin inaudibles.
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Il me fait penser à un grain d'orge. Gros. Gras. Grand.
Je sens qu’il va encore payer une langue de veau ou des capotes au piment d’Espelette en pièces de cinq centimes. Le voilà qui attend nerveusement derrière une petite vieille, ses cheveux sont moins gras que dimanche, ou c'est peut être mes yeux qui ont finit par s'habituer à l'éclairage au néon. Client suivant. Je salue sa chemise à motifs auréoles-sous-les-bras puis bipe un os en plastique de 40 centimètres. J'aimerais savoir ce qui pousse les gens à commercialiser des répliques de fémurs humains à destination d'animaux domestiques. Peut-être est ce un complot à échelle mondiale, destiné à entrainer les caniches, ce qui expliquerait la dextérité de ces derniers à choper le mollet du premier coup. Mystère. Après s'être gratté le cortex en passant par sa narine gauche il me tend l'appoint en pièces brunes puis s'empresse de ranger son achat.
Il ne rougit pas autant que le jour où il a acheté dix kilos de litière à la lavande et un masque de plongée.
Bosser comme caissière à monoprix est une expérience anthropologique fascinante, j’y suis tous les dimanches, j’avais le choix entre un boulot en plus ou dix mètres carrés en moins, et Pixel a besoin d’espace. Je préfère bosser chez Possum Pizza, au moins là bas je n’ai que la voix, ici j'ai les postillons qui vont avec, sans mes lunettes j’aurais déjà chopé une conjonctivite.
Client suivant. Pouce. Lui je l'aime bien. L'étudiant qui dépense l'intégralité de sa bourse dans le loyer d'un neuf mètres carrés et des boîtes de cassoulet pouce, celles à 39 centimes avec de la gélatine de porc en forme de haricots et assez de flotte en rab pour avoir droit à la mention "500 grammes".
Parfois je bipe des produits périmés, ça me permet de faire de beaux cauchemars la nuit. Madame Dubroca assaillie de tremblements pendant que sa choucroute bio à moitié digérée lui déchiquette l'estomac, un geyser de sang sortant de son nombril. Ridley Scott devrait exploiter la choucroute.
Aurélie m'a expliqué qu'on pouvait toucher une prime à la fin du mois selon le nombre de produits périmés qu'on avait réussi à vendre. C'est ma deuxième semaine de boulot et j'ai déjà l'impression d'être auteur d'un génocide à coup de vache qui rit moisie.
- Tu savais que le rayon animalerie de Monoprix c’était un peu le sex-shop du pauvre ?
- J’en doute pas une seule seconde Vic’, tu peux m’attendre en terrasse du Sun Café ? J’vais pas tarder je termine à 19h mais si mon boss me voit encore te faire la causette je vais me taper la corvée des cartons et tu me verras pas avant la fermeture du bar…
- Pas de problème, et j’ai une surprise pour toi tu verras !
Je ne sais pas combien de bisounours Vic a mangé dans sa vie mais il est tout le temps heureux, tout est toujours beau, et quand ça ne l’est pas c’est que ça le deviendra, même au fond du trou il serait capable de dire qu’il est content de savoir qu’il ne peut que remonter. En tout cas ça fait du bien, j’ai presque le sourire alors que le client suivant est le collectionneur de bons d’achats, à voir sa liasse du jour j’en ai pour un bon quart d’heure de lecture...
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Comme à son habitude Vic  a attendu la deuxième pinte pour sortir la surprise de son sac, et cette fois-ci ce n’était pas un hand-spinner qui joue du Patrick Sébastien quand il est lancé à une certaine vitesse mais un tas de feuilles A4 vieilles comme le monde, ou plutôt comme notre monde à tous les deux. C’est notre rencontre au collège cristallisée sur un devoir à la maison. Vic avait ramassé la note interdite en rédaction grâce à elles : un vingt sur vingt. Il est tout excité et les agite devant mes yeux en me racontant l’histoire comme si je ne la connaissais pas déjà par cœur. Il était une fois un gamin doué d’une imagination débordante et une enfant née avec un talent certain pour l’écriture, quand en commun ils mettaient leur savoir, leur travail ainsi obtenu était tel un mégazord : un monstre gentil prêt à tout écrabouiller sur son chemin pour triompher du mal et du prof de français. Une amitié était née, que rien sinon Malévitch n’avait pu altérer depuis dix-sept ans maintenant.
- Oui je connais cette histoire Vic, t’avais eu une super note, c’est celle du détective inachevée non ?
- C’est ça ! Et je te propose un truc, j’aimerais terminer cette histoire ! Vingt ans plus tard certes mais j’aimerais vraiment qu’on se remette dessus ensemble, ça te dis ?
Je n’arrive pas à savoir si il est sérieux ou si il fait ça uniquement pour que je me remette à écrire. Il me propose un prétexte, un cadre. C’est exactement ce dont j’ai besoin. Je range les feuillets dans mon sac et commande une troisième pinte.
***
Je m’appelle Mike Hammond. Cette première ligne n’est pas très aguicheuse. Elle n’annonce pas un bouquin original visant à concurrencer Musso. Non. Ce que j’ai à vous raconter n’est pas un récit sorti du bulbe rachidien d’un écrivain. Simplement les cauchemars se sont atténués le jour où j’ai décidé d’écrire cette histoire. Et puis Mike Hamond n’est pas mon vrai nom, c’est juste le premier qui me vient à l’esprit quand je pense à un détective. Le simple fait de coucher sur le papier ce que j’ai pu vivre en 2009 est synonyme de risque. Risque de perdre mon boulot, risque d’être interné en hôpital psychiatrique. Il est bien plus puissant que moi, en un sms il supprimerait mon existence. Ca y est le stylo glisse entre mes doigts moites. Il faut que je me calme pour ne pas céder à la panique et perdre sang froid et lecteur simultanément. Je vais parler en tant que Mike Hamond, cette mise à distance artificielle est un brin schyzophrénique mais salvatrice. Je m’appelle Mike Hamond.
Comme tous les mardis je regroupais mes notes et harcelait mon clavier jusqu’à ce que mes colonnes soient pleines. En sortant du CFPJ dix ans plus tôt je me voyais déjà rédacteur en chef du Monde Diplomatique. Ce n’est qu’après trois moi à vivre chez ma mère sénile en essuyant refus sur absence de réponse que je me suis résigné à chercher du côté des journaux les plus lus. Ceux qui débordent d’histoires sordides qui fond bander monsieur tout le monde, celui dont la vie est si creuse qu’il a besoin de savoir de quoi est morte Amy Winehouse pour se sentir vivant. Je n’ai jamais été très doué pour concurrencer les scénaristes des feux de l’amour, par contre mon ex m’a laissé de quoi remplir des milliers de pages à coup de textes morbides. Je l’ai tuée quatre cent douze fois au cours des nuits qui ont précédé ma décision d’aller voir un psy, de quatre cent douze manières différentes, avec trois cent quarante quatre accessoires divers et variés dont son propre intestin grêle. Mon psy dit que c’est sain d’avoir beaucoup d’imagination. Le Nouveau Détective a été conquis par ma lettre de motivation. L’entretien ne fut qu’une formalité, une visite de mon futur lieu de travail. Au départ j’ai continué de chercher un autre job en parallèle. Entre un article sur le zoophile de Calais et le laboratoire de crack de le none Ghislaine, je trouvais le temps de contacter d’autres journaux, sans oser inscrire le Nouveau Détective à mon C.V. C’était le genre de feuille de choux dont j’avais lu deux ou trois numéros pour animer des soirées alcoolisées, c’était le running gag de l’école, si t’as pas la moyenne tu finiras au ND disaient les copains… j’ai eu mention très bien. Mais quand ma mère a commencé à me confondre avec son amant prussien tous mes préjugés se sont évaporés. J’étais l’homme le plus heureux du monde avec ma nouvelle carte de presse. C’était mon passeport pour sortir de l’enfer et me retrouver dans un purgatoire de trente mètres carrés avec les chiottes sur le palier, le paradis Parisien.
Ce mardi 7 juillet 2009 je n’avais plus qu’un paragraphe à saupoudrer d’adverbes pour boucler ma rubrique, j’avais passé mon weekend à interviewer la mère d’un bébé cannibale, j’avais même récupéré une photo de son téton gauche lacéré, et une autre du petit Teddy et son sourire rouge et blanc, l’auriculaire de son grand père coincé entre deux molaires. J’en étais à effroyablement quand Jack m’a balancé une enveloppe kraft bariolée de hiéroglyphes rouges.
- C’est urgent, bouge ta viande rue des mésanges, au 9, voilà ta carte pour passer les cordons de poulets, allez t’es encore là ?
- Mais Jack j’étais en train de boucler et –
Son front humide s’est barré d’une veine pourpre.
- Putain si je dis d’y aller immédiatement tout ce que t’as à foutre c’est commander à tes guiboles de trainer le sac à cendres qui te sers de tronc hors d’ici et plus vite que ça !
J’étais déjà dehors quand il a claqué la porte de son bureau à en faire péter les gonds. Jack était le genre de mec qui s’excitait rarement mais sûrement. Quatre vingt kilos de cholestérol armés d’une main droite tapissée de verrues était la dernière chose que j’avais envie de contrarier.
J’aurais aimé écrire qu’il pleuvait des cordes, que la ville était voilée de crasse, sépia… Mais la vérité c’est que ma chemise beige avait eu le temps de changer de couleur entre mon bureau et la rue des mésanges, de couleur et d’odeur. Il faisait chaud. Trop chaud.
Un cadavre se décompose trois fois plus vite au soleil, c’est le genre de banalités qu’on apprend dès la première semaine de boulot au Nouveau Détective. Le corps était au salon donc encore frais, je n’avais qu’à faire la mise au point pour que le téléobjectif capte le moindre détail, les flics avaient oublié de condamner les fenêtres, j’ai mitraillé jusqu’à ce que Viviane m’apporte un café à la ricoré, je l’ai poliment remercié en la regardant comme si elle avait encore toutes ses dents, je me souviens encore de ses bigoudis pailletés, ça m’avait surpris qu’on puisse en vendre avec des paillettes.
- Alors vous allez m’interviewer aussi monsieur ? J’aurai ma photo dans le journal ?
Ma carte de presse n’a jamais essuyé un seul refus, ce n’est pas à la flicaille que je la montre mais aux voisins. Mes collègues restent à trois kilomètres de la barrière «CRIME SCENE » en attendant sagement qu’un képi sur pattes accepte un pot de vin contre des renseignements stériles. Moi je contourne le moindre porte-matraque et j’agite ma carte sous les yeux vitreux des plus de soixante ans, ça marche à tous les coups et ce jour là j’ai tiré le gros lot
.
- Et bien Viviane je veux tout savoir, je suis certain que votre témoignage sera le pilier central de mon article !
Après avoir passé six mois à vivre avec ma mère j’avais pris la salle habitude de cimenter mes phrases avec des couches de pléonasmes. Dépasser la précision, transcender la répétition. Communiquer avec un être doté d’un QI d’huitre anémique était devenu ma spécialité. J’observais ses dents blanches parfaitement alignées sur le velours de sa gencive en caoutchouc, j’étais à deux doigts de fantasmer sur ce sourire au moment où elle a plongé sa main dans le verre pour l’attraper entre ses doigts fripés. J’aurais juré que du plancton tourbillonnait désormais à la place du dentier. Mais je n’ai pas eu le temps d’être dégouté, elle a décroché ma mâchoire en une phrase :
- Eh bien monsieur le journaliste détective, c’est mon petit-fils qui a découvert le corps du pauvre monsieur Hubert tout à l’heure, il en a vu d’autres avec ses jeux vidéos mais là c’est pas pareil mon pauvre petit… Léo croyait que monsieur Hubert dormait, il est entré par le jardin comme d’habitude, vous savez monsieur Hubert était très gentil, il laissait ouvert la véranda pour que Léo puisse venir jouer avec ses poissons, il a un très bel aquarium, enfin il avait, oh ça fait tout drôle de parler de monsieur Hubert au passé, mais j’ai des photos de ses poissons, même si je n’encourage pas l’aquariophilie car les poissons sont des êtres sensibles et devraient nager en liberté dans l’océan plutôt que dans un bocal vous savez, et
Aspirine. Doliprane. Lexomil. Valium. Si elle continue je vais avoir besoin d’un goûter chimique. Il faut la guider, je dois parler à son petit-fils, le patron aura son scoop et moi une prime, les dessins de témoins ont beaucoup de succès dans notre journal, surtout quand il s’agit d’un enfant.
- Viviane permettez moi de vous interrompre en vous coupant la parole de la sorte mais je n’ai pas beaucoup de temps, serait-il possible de parler à Léo ?
- eh bien la police doit le garder jusqu’à ce soir mais après peut-être que oui, vous êtes si gentil, vous n’avez qu’à rester dîner à la maison ce soir j’ai fait un rôti végétarien, les parents de Léo ne seront pas là par contre car ils sont au japon en ce moment, c’est moi qui garde le petit bout de chou jusqu’au 10, je me suis proposée car il est vraiment adorable, regardez je vais vous montrer des photos de lui bébé vous allez fondre…
Je ne saurais pas vous dire pourquoi je suis resté, j’avais assez de matière pour remplir une double page, pas besoin de m’infliger le repas de famille je pouvais dessiner moi-même à la place de Léo et demander une photo du petit à Viviane, ça serait passé crème… Mais non. J’ai attendu que le gamin rentre, je voulais voir ce gosse, écouter son histoire. Peut-être étais-je en train de me transformer en lecteur du Nouveau Détective, un zombie malsain vivant par procuration du malheur des autres. Je préférais éluder la question, de toute manière j’avais déjà un énorme travail sur moi même pour me calmer à l’idée de rencontrer un enfant.
Je déteste les enfants. La seule vision d’un être de moins de 12 ans me transforme en framboise. L’urticaire peut s’additionner au rougissement si le spécimen ose m’adresser la parole, le cas échéant je me débrouille pour répondre avec autant d’assurance qu’un bègue à un concours de poésie, en évitant bien sûr tout contact visuel. Si Viviane n’avait pas sauté sur le gosse pour lui expliquer qu’un journaliste détective voulait lui poser des questions j’aurais bredouillé une excuse pour m’enfuir. Mais trop tard, le gamin s’est approché de moi avec des yeux brillants
Et voilà, fin de la non-fin de l’histoire. L’exercice était clair, on devait en quelques pages écrire le début d’un roman policier et s’arrêter juste à temps pour frustrer le lecteur, qu’il ait envie de connaître la suite, qu’il rage et peste contre l’auteur qui le trahit, qui pose un cadre sans le remplir. Vingt sur vingt, faut croire que le prof de français voulait vraiment savoir ce qu’un gamin de douze ans avait à raconter au sujet de sa première rencontre avec un cadavre. Moi aussi je me suis prise au jeu, j’ai bien envie de connaître la suite, le seul problème c’est que c’est à moi de l’écrire. Mais c’est aussi la solution.
- Moi aussi plus tard je veux être détective, j’ai même pas peur du sang !
Portait-il encore des couches ? Devais-je m’abaisser à en faire crisser mes rotules ? Rester debout ? Était-il assez intelligent pour mépriser le Nouveau Détective ? Est-ce qu’il savait seulement lire ? Était-il en CP ou en troisième ? Fallait-il sourire en lui parlant ? À quand remontait mon dernier brossage de dents ? Fallait-il clore chaque phrase par un point d’exclamation pour l’intéresser ? Lui offrir une image ? En une seconde des milliers de questions ont surgit comme autant de pop-up apparaissent sur Internet Explorer sans Adblock. J’avais beau cliquer sur les croix rouges, ça continuait de clignoter.
- euh.. je ne suis pas vraiment détective en fait je suis plutôt un journaliste.. j’écris des mots, avec des lettres pour faire des phrases dans un journal… ton papa lit peut être le journal ? c’est tout plein de grandes feuilles de papier très fin avec beaucoup de pointillés noirs dessus, quand on s’approche on voit que ce sont en fait des lettres, comme des mini dessins différents les uns des autres mais qui ensemble racontent une histoire tu vois…
- Je sais ce que c’est un journal je suis abonné à Picsou Magasine moi !
Une momie dont les bandages élimés laissaient dépasser des plumes sales a surgit de mon esprit. Depuis combien de temps n’avais-je pas lu trois cases des aventures du canard le plus malchanceux et cool de l’univers ? Léo venait à son insu de déterrer les maillons d’une chaîne, l’encre rouillée remontait à présent les parois de ma gorge, et la nostalgie remplaçait le souvenir. Comment avais-je pu me piéger de la sorte ? J’avais bien établi un semblant de plan. Je savais quand est-ce que Mike Hamond allait se prendre une balle, combien de cadavres s’accumuleraient avant l’épilogue, le prénom du meurtrier… j’avais le squelette de mon histoire et m’amusais à le remplir d’organes plus ou moins peuplés de mélanomes. Je n’avais pas réalisé que le monstre pouvait échapper à mon contrôle.
Le caissier du Relay m’a dévisagé quand je lui ai tendu un billet de cinq euros trempé de sueur, je n’ai pas osé ouvrir la bouche pour articuler un merci de peur que l’écume pressant mes lèvres ne lui éclabousse le visage à la seconde où j’oserais desserrer les mâchoires. Rentrer chez moi. Passer la nuit avec Donald. Régresser de quinze années.
***
Je ne sais pas depuis combien de temps Pixel nettoie consciencieusement mon pouce droit de sa langue rose, ma montre indique neuf heures du matin. C’est en voyant une médaille des Castors Juniors sur mon oreiller que je me souviens de ma crise d’hier soir, celle qui m’a poussé à courir jusqu’au kiosque le plus proche et acheter le dernier Picsou Magazine. Tout ça à cause d’une réplique tiré d’une ébauche de nouvelle policière écrite par deux collégiens… Est-ce qu’un écrivain projette inconsciemment des éléments personnels dans ses écrits ? Peut on complètement s’abstraire ?
Pendant que je me prépare un petit déjeuner équilibré je relis en diagonale les feuillets rédigés la veille. Rien. Le piège dans lequel je suis tombée n’est préparé nulle part. Mike Hamond poursuit son histoire en toute logique, selon le schéma dont je suis l’architecte. Puis tout d’un coup il relève la tête et me plante ses crocs. Personne n’a rien vu, j’ai tout encaissé. Cette histoire n’a strictement aucun rapport avec moi, je ne fais que jouer avec des ingrédients déjà existants. Un meurtre, un journaliste, du monologue intérieur, des dialogues… Peut-on envisager l’aliénation à force de manier inlassablement vingt-six lettres ? Un écrivain peut-il perdre le contrôle de ce qu’il produit ? Je me sens comme une mère dont la chair de la chair décide un jour de se faire percer le nombril pour plaire à Kévin, celui qui fait du tunning et cultive le plus beau mulet gominé de Roubaix. Alfred dessinait ses films intégralement avant de commencer le tournage. Il suivait les moindres coups de crayons apposés sur le storyboard au coup de gomme près. Avait-il des surprises ? Un détail qui lui échappait était il considéré comme créatif ? Brillamment hitchcockien ?  J’ai envie d’être prof de philo et infliger aux lycéens une problématique du genre « peut-on contrôler sa création artistique ? ». Je gobe un doliprane. Si j’étais prof de philo je possèderai sans doute déjà la réponse à cette question. Mais les profs de philos n’ont sans doute pas de réponses valables à offrir aux milliers de questions dont ils remplissent les tableaux Velléda. Avant de me demander quelle est l’exacte définition de « réponse valable » j’empoigne mon stylo pour attaquer la description du premier cadavre, ce n’est pas aujourd’hui qu’un canard m’arrêtera.
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bailsdivers · 7 years
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Autour de George Miller : entretien avec Rafik Djoumi
Antoine VERLEY Comment avez-vous découvert George Miller et son cinéma ?
 Rafik DJOUMI J’ai découvert George Miller d’abord par des extraits à la télé, puisqu’à sa sortie Mad Max avait quand même fait parler de lui. Le film était sorti en France dans une version censurée et interdite aux mineurs – en fait, au départ, il avait été menacé d’un classement X, et pour obtenir une interdiction aux moins de 18 ans, ils ont dû le couper. Il faut donc imaginer Mad Max « cutté » ET interdit aux moins de 18 ans. Evidemment, moi je ne pouvais pas le voir, mais comme c’était quand même un phénomène en salles, la télévision en parlait, et en passait certains extraits, dont ce qui est au fond l’extrait le plus choquant du film, qui est la mort de la femme de Max. Je l’ai donc découvert à travers ce plan, le fameux plan de la chaussure et de la balle qui roulent sur la route, et que certains critiques de l’époque avaient confondus avec une tête, d’ailleurs ; ils étaient persuadés qu’on voyait la tête de l’enfant décapité dans cette séquence qui ne fonctionne en fait que sur du montage. On ne voit rien.
 Ma vraie découverte a bien sûr été Mad Max 2, qui, lui, n’était pas interdit aux mineurs, et que j’ai pu aller voir avec un copain après un énorme teasing, parce que je me souviens qu’on avait attendu un mois et demi pour le voir. Ça a été un choc certain, ça ne ressemblait en rien à l’idée que je m’en étais faite, déjà. Visuellement non plus, ça ne ressemblait pas au premier Mad Max (enfin, aux extraits que j’avais vus, en tout cas) : le premier Mad Max avait encore un petit côté « film d’exploitation des années 70 », là où Mad Max 2 marchait beaucoup plus sur les terres de Sergio Leone. Je ne m’attendais donc pas forcément à voir un western post-apocalyptique, ça a été un certain trauma. Je suis retourné le voir, je ne sais plus combien de fois je l’ai vu en salles à l’époque, peut-être trois fois.
 Donc voilà, ça a été mon premier contact avec Miller. Il faut savoir aussi qu’il y avait une forme de caractère revendicateur dans le goût qu’on pouvait avoir pour Mad Max 2, parce que le film avait été un énorme carton en France [2 556 674 entrées] ; chez le public populaire, ça a donc été un film immensément respecté, mais comme à l’époque on n’avait pas toutes ces formes de communications actuelles, l’ « élite » n’avait pas la moindre idée de ce culte, et considérait vraiment Mad Max 2 par-dessus la jambe. J’en veux pour preuve qu’à la fin de l’année 82, il y avait une émission de radio, peut-être sur France Culture ou sur une chaîne comme ça, qui faisait le récapitulatif de tous les films fantastiques de l’année. C’était un événement suffisamment rare pour qu’un enfant comme moi écoute l’émission en entier ! Ils avaient passé peut-être un quart d’heure à parler de Malevil, de Christian de Challonge – parce qu’évidemment, on est cocardier mais on n’ose pas le dire trop fort –, peut-être cinq minutes sur E.T., cinq minutes peut-être sur Poltergeist, ce genre de choses. Et à la fin de l’émission, pendant le générique de fin, alors que la musique du générique était en cours, on entend au micro quelqu’un, de loin, qui dit « mais on a pas parlé de Mad Max 2 ! » Ça donne une idée, je pense, de la place du film dans les médias par rapport à sa place réelle dans la société française. Et qui a duré longtemps, en fait, parce que pendant deux décennies, l’impact réel de Mad Max 2 va être totalement ignoré, notamment par la critique. Il faudra attendre l’arrivée d’une nouvelle génération de cinéastes au tournant des années 2000, qui citent tous sans exception The Road Warrior dans les films cruciaux, formateurs (en gros, 2001, La Horde Sauvage, The Road Warrior. Je résume, mais c’est un peu ça) pour que, très timidement, la presse commence à réaliser que ce film voulait dire quelque chose. Je pense que le fait qu’il soit aussi mal compris par la bourgeoisie a aidé le film à exister comme il a existé. Comme un objet qui appartient au public, qui ne leur appartient pas à « eux », d’une certaine façon.
 Après ça, début 1984, George Miller se retrouve parmi les 4 réalisateurs emblématiques choisis par Spielberg pour réaliser Twilight Zone : The Movie, qui fonctionnait un peu comme un manifeste, à l’époque : on avait John Landis qui venait de faire Le Loup-Garou de Londres, qui était donc encore très bien placé ; Joe Dante qui avait fait Piranhas et Hurlements, qui était un peu la voix du cinéma d’exploitation qui parvient enfin à arriver à Hollywood, et ensuite va faire Gremlins ; Spielberg, évidemment, qui est Spielberg, et George Miller. Le fait que George Miller, ce réalisateur australien, soit accolé à ces réalisateurs américains, lui faisait figure de reconnaissance de pairs. Son sketch, remake de Cauchemars à 20 000 Pieds, pour moi à l’époque, était sans aucun doute le meilleur sketch du film. Il faut savoir que ce n’était pas l’avis du public. Dans mon souvenir, une bonne partie du public préférait le sketch de John Landis, parce qu’il avait un thème ; on est en France, on se refait pas ! Donc il a beau être réalisé avec le cul, le simple fait qu’il parle de racisme, et que c’était quelque chose de très très en vogue à l’époque (on est à l’époque de la constitution de « Touche pas à mon pote »), le film de John Landis aurait presque pu servir de publicité pour le mouvement. Donc le public français avait bien réagi là-dessus, il y avait pas mal de gens qui aimaient le sketch de Joe Dante, et enfin en troisième position se trouvait le sketch de George Miller. Ce qui pour moi était aberrant, puisque je le considérais comme, à tout point de vue, le meilleur. Un critique, je sais plus lequel, peut-être Christophe Gans dans Starfix, avait dit que c’était absolument génial d’être allé chercher le réalisateur des grands espaces de Mad Max 2 pour l’enfermer dans la carlingue d’un avion. Parce qu’il y a une qualité claustrophobe dans ce sketch que j’ai rarement vue ailleurs. Une façon de filmer le personnage dans cet environnement, dont le moindre plan souligne qu’il va exploser. Le sketch débute par une lentille déformante alors qu’il est aux toilettes en train d’essayer de vomir, avec une musique stupéfiante de Jerry Goldsmith par-dessus, qui d’ailleurs préfigure la musique de Gremlins, au passage. Il avait déjà composé ce style de musique dans le cadre d’un sketch de Twilight Zone qui s’appelle « The Invaders », dans lequel une vieille dame, dans sa maison à la campagne, est envahie par des extraterrestres, des petites créatures de la taille d’un lutin. Comme il était limité à l'époque au niveau des instruments (il n’avait pas un grand orchestre pour faire la musique de Twilight Zone), Goldsmith avait privilégié les instruments à cordes, et il avait créé ces espèces de violons pincés, un peu rieurs, que l’on retrouve dans Cauchemar à 20 000 Pieds, et qu’on va donc retrouver dans les Gremlins. Et qui vont faire école : il y a vraiment le côté du lutin maléfique, bien résumé par ce petit violon, un peu tzigane en fait, dans la façon de frotter durement les cordes.
 Donc pour moi, quand j’ai vu Cauchemar à 20 000 Pieds, j’étais très jeune, je devais avoir douze ans, il me restait encore toute ma cinéphilie à construire, mais il ne faisait aucun doute que George Miller était situé parmi les plus grands. Je le mettais à l’égal d’un Spielberg en termes de puissance d’évocation. D’où la déception qu’a été ensuite Mad Max : Au-Delà du Dôme du Tonnerre, où je n’ai pas retrouvé cette puissance d’évocation.
 Ensuite j’ai adoré, vraiment adoré, Les Sorcières d’Eastwick lorsqu’il est sorti. C’est un film qui a eu un relatif succès, mais qui à mon sens n’a jamais été vraiment estimé, notamment pour son incroyable travail de sensualité, que ce soit la photo sublime de Vilmos Zsigmond, la musique sublime de John Williams, les décors… Il y a tout un travail sur les textures dans ce film qui est extraordinaire et qui en plus à mon avis sert le propos, puisqu’il parle encore plus de sexualité que le récit n’en parle. C’était clairement un roman très dandy sur la guerre des sexes, qui agitait l’Amérique depuis les années 70, mais ce que Miller y a amené, c’est cette sensualité quasi-fétichiste dans un travail très patient du décor, et tout simplement dans son filmage : il y avait très peu de réalisateurs qui, comme lui, à l’époque, savaient à mon sens aussi bien cadrer les comédiens. Il a des contre-plongées extraordinaires, et trop rares en fait. Il y a une scène des Sorcières d’Eastwick dans laquelle Nicholson séduit Susan Sarandon en jouant de la musique avec elle, les plans sur ces comédiens, on en voyait jamais de tels, à l’époque. Dans les années 80, on commençait déjà à tomber dans un filmage assez télévisuel, il n’y avait que les nostalgiques, les Carpenter, les Spielberg, pour continuer à essayer de porter le sens du cadre cinématographique dans leurs films, mais sinon, les trucs de James Brooks, Martin Brest et compagnie, c’était vraiment pour moi du téléfilm amélioré, les comédiens y étaient filmés tout platement avec une focale à 50 et un projo dans la gueule. Donc quand on voit un Miller qui, avec un tout petit travelling très discret, vient repositionner sa caméra, en contre-plongée, en ayant pris soin que le plafond soit bien en diagonale… Il y a un tel amour dans la manière de mettre en scène le corps, le physique des comédiens, et surtout de l’utiliser sur toute la largeur du cinémascope, qu’on ne voyait pas à l’époque. J’ai donc été attristé de voir que malgré un film qui montrait patte blanche à la critique institutionnelle (puisqu’il faut le rappeler, un Mad Max 2 ou un Twilight Zone n’avaient absolument aucune chance d’exister en tant que produits culturels aux yeux de la critique : c’étaient de films fantastiques, et la critique, on sait ce qu’elle en pense, surtout à l’époque) ; comme Les Sorcières d’Eastwick était plus un film dans la mouvance de la comédie de mœurs, on pouvait penser qu’il bénéficierait d’un peu plus de reconnaissance. Mais cette année-là, ils ont préféré se palucher sur Camille Claudel, Les Enfants du silence ou je ne sais quelle connerie.
 J’ai enfin eu l’occasion de défendre George Miller à la sortie de Lorenzo. Je travaillais au Cinéphage à l’époque, je venais de débuter dans la presse. On m’avait confié ce film, à mon insistance et aussi parce que, chez mes collègues, ce n’était pas une priorité. Quand je suis rentré au Cinéphage, je pensais que dans le milieu de la presse alternative, il était évident que Miller faisait partie des grands. J’ai découvert, et j’en ai été assez surpris d’ailleurs, que ce n’était pas le cas. Il n’était pas déprécié, mais il n’était pas non plus chéri. Moi, je le mettais vraiment parmi les plus grands. Le seul nouveau, dans les années 80, qui se soit hissé dans ces strates-là, c’était McTiernan. Pour moi, il y avait vraiment Steven Spielberg, John McTiernan, Tsui Hark et George Miller. C’était vraiment le quarté gagnant. J’ai toujours aimé les autres, bien sûr, j’ai toujours aimé Carpenter, j’ai toujours aimé Joe Dante, mais je ne trouvais pas que c’étaient des formalistes aussi puissants que ceux que j’ai cités, des gens qui inventent littéralement le langage cinématographique, en fait. Carpenter, Joe Dante et les autres, sont pour moi des gens qui exploitent merveilleusement bien le langage cinématographique. Ils ont compris les trucs, et savent les mettre de la bonne façon pour faire des films efficaces, et qui nous touchent, mais, pour moi, ils n’ont jamais inventé quelque chose que les autres recopient sans même s’en rendre compte. Je pense que la marque d’un grand est aussi là, dans le fait que les gens ne savent même pas qu’ils s’en inspirent. J’expliquais ça il y a très longtemps dans un article que j’avais écrit pour un site assez populaire qui était DVDrama, où j’essayais d’expliquer l’importance d’un John Ford : je le comparais à un Jean-Sébastien Bach, au sens où tout le monde fait du John Ford, personne ne sait qu’il fait du John Ford. Pour moi, la marque des grands, elle est là : ils ont tout simplement inventé le langage, et le simple fait qu’on parle fait qu’on est à la suite de ce qu’ils ont initié. Pour moi, Miller avait cette capacité-là. Je pense que ça a été un petit peu plus reconnu il y a quelques années, quand est sorti Mad Max: Fury Road et que les gens ont compris qu’effectivement, le cinéma était bel et bien le lieu où devait s’inventer un langage.
 Cette capacité au langage est logique, quand on considère, je pense, les éléments qui ont amené George Miller à faire du cinéma. C’est quelqu’un qui, de son propre aveu, a toujours été fasciné par la transmission, de siècles en siècles et de millénaires en millénaires. Il avait fait pour la télévision australienne un documentaire qui s’appelle 40 000 Ans de Rêve (40 000 Years of Dreaming), qui, au départ, était une commande : il devait faire un documentaire sur le cinéma australien. Il a choisi de l’appeler comme ça parce qu’il faisait démarrer son documentaire aux aborigènes, et pour lui, il y avait un lien direct entre la transmission multimillénaire de la mythologie aborigène et le cinéma. Le cinéma était un rituel. Qui dit rituel dit qu’il y a une prédominance d’un langage qui n’est pas le langage parlé. Dans les rituels c’est la danse, souvent, au cinéma ça sera le découpage ; ou, encore mieux, la danse découpée ! Quand il fait un film comme Happy Feet, qui sort à une époque où moi, de mon côté, j’ai appris non seulement à aimer ses films, mais aussi à connaître le personnage et connaître ce qui le motive, je ne suis pas surpris. Je me souviens qu’il y avait eu une espèce de stupéfaction, du genre « mais qu’est-ce qu’il fait ? Qu’est-ce qui lui prend ?» Les gens s’imaginaient que tout d’un coup, il avait décidé de vendre son âme à je ne sais quel marchand du temple : non. Happy Feet, c'est du George Miller pur jus. Tous les thèmes au cœur de Happy Feet sont des thèmes qu’il porte depuis ses premiers films.
 J’ai aussi découvert, et ça je pense qu’il faut le noter, que ce que j’appréciais chez lui était motivé par ce que je pouvais apprécier dans le cinéma en général, c’est-à-dire une mythologie : pas la mythologie au sens où on l’entend de façon scolaire et académique, mais dans son sens, disons, le plus érudit peut-être, qui est la transmission de l’essence, de l’essentiel. Miller a été à ma connaissance le premier réalisateur de films populaires à citer explicitement dans la presse le nom de Joseph Campbell, juste après que George Lucas l'avait fait. Lucas a dû le citer vers 79-80, et Miller l’a cité à la sortie du premier Mad Max, c’est-à-dire en 80. Il a découvert Campbell à cette époque-là, entre Mad Max et Mad Max 2, et Mad Max 2 est complètement pétri de ses lectures de Joseph Campbell.
 Il y a une grande partie du travail de Campbell qui consiste à parler du rapport entre la mythologie et le corps humain, au sens où l’esprit dialogue avec le corps à travers les rêves, et que la symbolique, les archétypes, et les articulations de récits qu’on trouve dans la mythologie sont motivées et générées par le rapport à notre corps. L’idée de la mythologie, c’est de nous rappeler que nous sommes vivants. Et on est vivants parce qu’on est des corps vivants. On sait très bien, pour parler prosaïquement, que le fait d’avoir trop mangé peut provoquer des cauchemars, parce que la façon dont le corps réagit et dont l’esprit reçoit les messages du corps qui réagit va générer une imagerie qui va dans ce sens-là. Un volcan bouillonnant dans un récit mythologique, il est l’expression d’un corps malade et sur le point d’éclater. Et la psychanalyse a essayé un peu de travailler sur ces questions-là, mais j’ai l’impression qu’à l’exception d’un mec comme Jung, elle ne s’y est pas vraiment engagée à fond. Alors qu’elle est obsédée par le corps, elle sait à quel point il est essentiel dans la constitution de notre psychisme.
 Il y a donc une prédominance du rôle du corps dans le cinéma de Miller, qui est due à sa volonté de parler de l’essence sans avoir recours à des dispositifs artificiels comme le langage, ou des dispositifs limitatifs comme la raison. Il se situe au-delà de la raison, il n’est pas en-dessous comme on pourrait le croire, parce que souvent les intellectuels ont tendance à croire que tout ce qui n’est pas de la raison est en-dessous de la raison et donc le ramènent au pulsionnel ou à l’émotionnel, ou au sentimental, alors que non. Il faut faire comme avec les chakras de la mythologie indienne, c’est-à-dire qu’il faut monter à un niveau, redescendre en-dessous, au niveau inférieur, pour pouvoir remonter au niveau supérieur. C’est-à-dire qu’une fois que tu es passé de l’émotion à la raison, si tu veux la transcender, il faut redescendre à l’émotion, marier ta raison à l’émotion pour pouvoir dépasser ta raison. C’est ce genre de choses que George Miller peut rechercher dans son cinéma. Il veut atteindre ce point. Mad Max : Fury Road n’est pas un film qui nous demande de descendre vers nos bas instincts, c’est un film qui nous élève spirituellement parce qu’il a marié notre raison à nos émotions et nos pulsions profondes, pour nous propulser au-dessus de tout ça.
 Il y a toujours eu chez lui ce travail-là, qui a donc aussi généré des préoccupations profondes, bêtement politiques : je pense qu’il a fallu vingt ans pour que les gens commencent à le comprendre alors que c’était d’une évidence assez cocasse au moment où le film se faisait, que Babe était un film plutôt « vegan » dans l’esprit ! On ne peut pas faire plus propagandiste comme méthode, c’est quand même une histoire d’un être qui cherche à ne pas être mangé… Il y avait d’ailleurs eu à l’époque du film un événement marketing hilarant et complètement accidentel, qui n’avait évidemment rien à voir avec la production du film, qui est que certains petits malins avaient négocié un deal avec McDo pour la sortie aux Etats-Unis, mais comme les gens chez McDo n’étaient pas du tout au courant du sujet même du film, le menu « Babe » proposait en fait un menu avec du bacon ! Donc si tu achetais ce menu, tu avais une espèce de petite sacoche avec des peluches, et dessus il y avait marqué « il en a fait du chemin, le petit cochon » ! Le jour de la sortie du film, il y a eu des drames et des pleurs d'enfants dans les McDo américains, et ça a été la panique pour retirer cette opération le plus vite possible… Mais voilà, ça suffit à souligner le caractère véritablement militant du film au moment où il se fait.
 AV Ca souligne également qu’il était non seulement incompris par la critique, comme vous le signaliez tout à l’heure, mais aussi par les gens chargés du côté commercial.
 RD Absolument. De toute façon, je pense que tous les cinéastes qui travaillent dans ces zones-là, c’est-à-dire au-delà du rationalisme, sont condamnés à être absolument incompris par la presse. Pour la presse, le rationalisme, c’est le maximum auquel elle puisse s’élever. C’est triste à dire, mais l’état de notre civilisation actuelle, il en est là. Et le fait même que la mythologie soit aussi peu comprise dans ses fondements le démontre, pour ne pas parler de la religion. Je n’aime pas utiliser le mot « religion », mais le sacral. Parce que le sacral, dans les films de Miller, il est évidemment central. Je trouve que c’est difficile de ne pas voir le sacral dans un film comme Babe 2, qui ne parle que du dépassement de la lutte pour la survie, d’entraide, de la nécessité de construire un tissu humain qui ne soit pas limité à l’intégrité de l’individu, mais qui le transcende. Les symboles religieux présents dans le film ne sont pas là pour faire du prosélytisme, ils sont là pour appuyer une thématique qu’un enfant de six ans comprend spontanément, parce qu’un enfant de six ans n’a pas encore appris à limiter son être au simple stade, justement, du rationalisme (qui d’ailleurs, soit dit en passant, est souvent un faux rationalisme, en réalité des pulsions à peine transfigurées).
 Mais le fait est que cette imagerie religieuse n’est pas là pour nous inviter à admirer la beauté d’une cathédrale, elle est là pour nous amener à nous rappeler d’où viennent ces concepts. A la sortie de Lorenzo, une partie de la résistance au film était motivée par le fait que le couple Odone que le film met en scène sont des catholiques pratiquants. Et le fait qu’on les voie prier, il y avait un côté « oh la la, je vais me tenir éloigné de ce truc-là », tout de suite on se met à soupçonner le prosélytisme. George Miller n’a jamais eu l’intention d’être prosélyte, il n’a aucun intérêt à être prosélyte. Simplement, c’est impossible de parler du sacré et de la chair humaine sans passer par le christianisme. Il se trouve que l’histoire allait dans ce sens, puisque les Odone, sur lesquels se base le récit, sont effectivement des catholiques. Et le fait que Miller ait choisi de les mettre en scène en tant que catholiques allait dans le sens de ce que son film raconte. C’est un film qui nous parle de la perte totale d’une intégrité. Il parle de cet enfant malade et de parents qui, parce qu’ils sont en contact sacral avec ce que représente l’intégrité de la chair, vont faire l’effort de travailler comme ils l’ont fait, d’apprendre par eux-mêmes et de ne rien attendre d’une société aveugle, parce que, justement, basée sur la rentabilité quantitative du rationnel. C’est ça Lorenzo, c’est « votre enfant ne pourra pas être soigné parce qu’il n’y a pas assez d’enfants malades comme lui ». Là on est quasiment chez René Guénon ; c'est Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps...
 AV La résistance dont vous parlez est peut-être aussi due au fait que la tentation de voir du prosélytisme dans, par exemple, un Babe 2 est désamorcée par le fait que le film a un ton burlesque, alors que Lorenzo est un mélodrame, très premier degré, ce qui empêche certains de prendre du recul par rapport aux symboles qui leur sont montrés.
 RD En même temps, ils ont un problème historique parce que c’est des catholiques, et que c’est semble-t-il en occident la religion à abattre. Mais dans Lorenzo, lorsque les Odone font appel à l'ancien ami africain de leur enfant, et que celui-ci lui fait un rituel africain, là ça ne posait pas de problème au public, alors qu’on est tout autant dans le religieux à ce moment-là. L’idée, vraiment, c’est ça, l’importance du sacral. Il y a autre chose que juste ça. La perte de Lorenzo n’est pas uniquement la perte de son langage et le fait qu’il ne puisse pas dire de mots ; ce que ses parents essayent de protéger, ce ne sont pas les mots, mais l’intégrité de l’être qu’est leur enfant. C’est quelque chose qui a toujours obsédé George Miller, le fait qu’il ait fait des études de médecine et qu’il soit un médecin ayant pratiqué va évidemment dans le sens d’une plus grande compréhension de ce qu’est le corps humain ; ça n’est pas un bête véhicule. Si on parle d’humain on parle du corps. On est complètement au-delà du dualisme cartésien qui nous ramène, justement, à cette question de la raison. L’importance du corps chez George Miller, elle se fait par l’importance qu’il accorde à l’identité profondément humaine et à sa transmission, c’est-à-dire l’idée que le sacral rattaché au corps se transmette. Tous les Mad Max – et ça, je l’ai très peu lu depuis des années – ne sont pas des récits directs mais des récits qui nous sont racontés. C’est-à-dire que ce sont déjà des mythes au moment où ils nous parviennent. A l’exception du premier, mais qui, au moment où il sort, fonctionne un peu sur un mode onirique. Comme c’est un film qui se voulait à la fois post-apocalyptique, c’est-à-dire futuriste, mais qu’en même temps le monde qu’il mettait en scène était un monde qui nous était parfaitement familier, il y avait, je me rappelle, à l’époque où le film sortait, un caractère onirique, comme si ce film était en fait un rêve.
 Mais c’est effectivement à partir du 2 que s’implante cette idée de film raconté, narré, par le « feral kid » dans ce film. Il y a donc l’idée que ce que l’on voit a déjà été transfiguré, modifié dans les mots, modifié dans le sens. On a accès à l’essentiel, c’est-à-dire à ce qu’a été Max, ce qu’a été ce héros, ce qu’il a fait, mais la façon avec laquelle ça a été rapporté est déjà un peu « mensongère », et ça nous ramène à la versatilité des mots dans cet univers, puisqu’on voit bien dans les Mad Max que, comme ça se passe dans un futur plus ou moins lointain, les mots qui veulent dire quelque chose pour nous ne veulent plus dire la même chose pour nos descendants. C’est à nous de déduire ce qu’ils ont pu comprendre dans les mots. Quand on les voit prier le V8 dans Fury Road, ça peut nous faire sourire parce qu’on se dit qu’il a suffi que des manuels de mécanicien soient restés derrière, vue l’importance de la mécanique dans leur société, pour que le V8 devienne immédiatement l’expression d’une divinité. C’est la même chose qui se passe avec les enfants et le tourne-disque dans Au-Delà du Dôme du Tonnerre, lorsqu’ils apprennent le français avec la phrase qui leur fait répéter « je rentre à la maison, je rentre à la maison ». Cette scène-là n’est pas là pour moquer la religiosité de ces enfants, qui croient littéralement au discours de ce tourne-disque, elle est là pour nous rappeler que le fait qu’ils mettent du sens dans ce qu’ils entendent est plus important que ce qu’ils entendent. Il y a plus important que les mots. Il y a l’intention de l’individu, la façon avec laquelle l’individu vit ses mots.
 On se définit par la façon avec laquelle on cherche à donner du sens. C’est pareil avec les mots. Les mots eux-mêmes sont des coquilles vides. On a complètement perdu le contact avec le rapport sacré qu’avaient les civilisations anciennes avec les mots : chez les nordiques des temps premiers, une chose n’existait pas tant qu’elle n’avait pas été nommée, par exemple. C’est dingue, mais elle avait beau être sous tes yeux, elle n’existait pas ! Ce qui la fait exister, au sens du ex-sistere latin, c’était de la nommer. Donc on comprend bien toute l’artificialité du mot, que le mot n’a jamais défini le monde qui nous entoure, il n’est qu’une tentative de négocier avec ce monde-là. Et donc, la façon la plus directe de négocier avec ce monde-là, ce ne sont pas les mots, c’est le corps. La danse joue donc aussi, évidemment, un rôle essentiel là-dedans. Il y a bien sûr Happy Feet qui vient tout de suite à l’esprit quand on parle de danse chez George Miller, mais, en réalité, elle est là déjà avant, cette danse, ce rituel. Elle est là notamment à travers la mise en scène. La mise en scène de Miller, surtout à partir de Mad Max 2, est extrêmement chorégraphique. Et son cinéma ne peut pas faire l’économie de penser les choses sous forme de danse. Déjà parce qu’il s’agit de faire répéter les comédiens dans leurs déplacements les uns par rapport aux autres, on est déjà en train de mettre en place le rapport des corps entre eux quand on fait de la mise en scène, et notamment de la mise en scène aussi précise que la sienne. Sur Mad Max 2, notamment toutes les séquences chez Pappagallo, il y a une complexité dans les rapports des individus aux autres et dans leurs mouvements qui est complètement dingue et qui, évidemment, atteint un point culminant dans la poursuite finale, où là, ce ne sont pas seulement les corps, ce sont les corps entre eux, plus les corps avec les machines, plus les machines entre elles, bref, grande partouze chorégraphique.
 C’est quelque chose qu’on retrouve dans Les Sorcières d’Eastwick, les moments les plus mémorables du film sont des moments qui nous renvoient à la danse : la partie de tennis ; la « ballroom scene », la scène des ballons sur l’opéra Nessun Dorma; le final avec Jack Nicholson qui se ramasse une espèce de tempête de plumes au visage dans la rue, la façon avec laquelle il est malmené dans toute la dernière partie du film, est dansante, d’une certaine façon.
 Donc quand on en arrive à Happy Feet, on est dans cette continuité. Happy Feet, c’est pareil, ça met en scène une communauté de manchots empereurs repliée sur elle-même, qui n’accepte comme expression de l’individualité que les chansons, c’est-à-dire que des paroles mises en musique. Des mots. Et elle se retrouve avec un individu qui s’exprime autrement, et qui fout la merde ! Evidemment qu’il est tellement au-delà de cette communauté qu’il va être obligé de vivre son aventure à part pour, en définitive, sauver cette communauté d’elle-même en lui apprenant la danse. Ça prend des détours encore plus sublimes dans le deuxième où on convoque, à peu de choses près, l’essentiel du vivant, dans ce grand ballet cosmique. Et ce n’est pas caché, tout ça. Moi, quand j’ai écrit mes textes à l’époque du premier, j'entends dire « mais qu’est-ce qu’il raconte, ce mec ? » alors que tu ne fais que décrire les plans que tu vois, c’est ça qui est extraordinaire, c’est que tout est là. Quand tu parles de rapport au cosmos dans Happy Feet et que les gens semblent interloqués, t’as envie de leur dire, mais ça commence dans le cosmos ! Littéralement ! Plus tard, le zoom arrière qui part de Mumble dans sa prison pour nous montrer la terre perdue au milieu de l’univers, je suis désolé, c’est là, je ne l’invente pas !
 Ce rapport au cosmos et au vivant dans le deuxième est fabuleux. Quand Happy Feet sort, la préoccupation écolo a bien avancé dans les consciences déjà, donc le film est pris comme un film écolo, ce qu’il est de toute façon, mais, et je pense que c’est important, c'est un film écolo « dédramatisant », c’est-à-dire un film qui nous explique bien « on ne va pas s’en sortir en flippant notre race, on va s’en sortir en réapprenant à danser ». Et ça, hélas, en Occident, on en est tellement loin, on a tellement du mal à comprendre. Joseph Campbell racontait souvent cette anecdote d'un sociologue occidental assistant à des cérémonies shinto, qui disait au prêtre qu'il ne comprenait pas leur idéologie, leur théologie. Et le prêtre shinto de lui répondre avec douceur « Nous n'avons pas d'idéologie ; nous n'avons pas de théologie. Nous, on danse. » Danser, c’est simplement exprimer le fait qu’on est en vie. Et exprimer le fait qu’on est en vie, c’est exister au sein du cosmos. Voilà, là, on a fait l’intégralité de la carrière de George Miller : si tu n’apprends pas à danser, tu n’existes pas au sein du cosmos. Tu es un objet, en fait. Et c’est le message que lancent les femmes au début de Mad Max : Fury Road en disant « nous ne sommes pas des objets. » , « we are not things. » On n’est pas dans l’utilitaire, on n’est pas, justement, dans le rationalisme au sens de « rationner » les choses, compartimenter, découper les trucs et les ranger dans des cases. Car c’est ce qu’on fait avec les choses. On est au-delà de ça, on est bien plus que ça. Donc dire « on n’est pas des choses », c’est dire « on explose ces limites », et on les explose en apprenant à danser, c’est-à-dire en existant pleinement, et exister pleinement c’est exister à travers son corps. Et donc la façon avec laquelle les corps sont torturés, malmenés, ou sublimés dans Fury Road, elle est essentielle au « discours ». Je mets des guillemets parce qu’il n’y a pas de « discours » chez George Miller ; quand on est dans la transmission de l’essence, on n’est pas dans la transmission d’un discours. En fait, on est plus proches du rituel initiatique, cette idée qu’on ne peut transmettre l'essence qu’à travers une ritualisation.
 Donc quand je vois des gens regarder avec circonspection Fury Road en disant « mais enfin, c’est quoi ces plans sur ces jeunes filles en train de s'asperger d’eau, au ralenti ? » Eh bien, c’est le sens de l’essence, c’est ce que le film est en train de te dire profondément, mis en images. Que tu choisisses d’y voir une sexualisation, une objectification du corps féminin, c’est ton problème, c’est que tu as choisi tes propres limites. Le film, lui, va au-delà de ça. Il raconte bien plus que ça. A ce moment-là, on est en pleine mythologie, ces nymphes (parce que ces « furies » sont aussi des nymphes) ne peuvent pas être autre chose que des créatures sublimes, qui ne peuvent exister dans le film qu’à travers la génération, au sens vital : elles sont dans l’eau, dans le Féminin, il y a donc tout un rapport mythologique au corps féminin et à l’eau qui se termine sur ce pano où il suit la plus belle d’entre elles, pour descendre à son ventre enceinte, pour remonter à Max à qui elle apporte la lance d’eau. La vie vient de là. Elle parle avec son corps, le film parle avec le corps de ses personnages, tout est mis en scène, chorégraphié ; il y a donc une danse, qui prend une autre tournure dans les secondes suivantes lorsqu’il va se battre avec Furiosa. Ce qui est aussi, quand même, une comédie musicale, la chorégraphie de cette séquence, c’est Fred Astaire et Cyd Charisse. Tout ça est lié à cette préoccupation originelle qu’il avait, qui était : « mais comment a-t-on fait pour préserver aussi longtemps le sens du discours ? ». D’où la fascination qu’il avait pour les aborigènes. Ce documentaire 40 000 Ans de Rêve, il veut dire ce qu’il veut dire : en 40 000 ans, transmettre quelque chose d’impossible à mettre en mots, parce qu’en tant qu’êtres humains, on a plus que ça à transmettre. Par la danse, par le cinéma, par les arts, par tout ce que tu veux, tout ça n’est que la transmission de l’essence. Et l’essence, c’est qu’on est en vie. On est vivants. C’est pas « on va l’être un jour », c’est « on l’est maintenant. » Voilà. Je pense que pour moi ça peut résumer idéalement le cinéma de George Miller. C’est un cinéma vivant, au sens plein et mythologique du terme.
 AV Comment voyez-vous l’importance des véhicules dans son cinéma ?
 RD Il y a un rapport fétichiste à la mécanique que les australiens, vivant dans un environnement sauvage, ont toujours eu et qu'ils ont complètement transfiguré dans leur cinéma. Le premier Mad Max, ce n’est pas un film qui vient de nulle part, c’est un film qui arrive presque à la fin d'une grande vague d’exploitation de films de motards et de véhicules. Il y en avait un en 1974, qui s’appelait Stone et qui avait eu un énorme succès. En gros, le lancement de la production de Mad Max s’est fait par rapport au succès de ce film-là et reprend plusieurs de ses comédiens. Sauf que ce fétichisme de la mécanique n’est pas un fétichisme « frigide ». Il prie le mouvement. Il y a une beauté réelle dans le fait de voir une machine prendre vie à l’écran. Et ça, ce ne sont pas les australiens, et ce n’est pas George Miller qui l’a inventé, les français et les soviétiques des années 20 faisaient exactement la même chose. Abel Gance ou Dziga Vertov n’avaient de cesse de filmer tous les engrenages et tous les pistons qu’ils pouvaient trouver sur leur route. Parce que tout ça met en scène quelque chose qui, encore une fois, est de l’ordre du cosmique. Le vivant, c’est ça. Le cœur bat, les poumons s’ouvrent et se ferment, le corps humain est assimilé à une machine justement parce qu’il fonctionne de façon « machinale » et « mécanique ». Sauf que, on y revient toujours, c’est plus que ça ! Le vivant, ce n’est pas juste une simple machine : le rêve des cinéastes, au fond, c’est de pouvoir faire ce que Miller a vaguement tenté de faire dans Babe 2, avec ce chien handicapé qui a deux roues, c’est de pouvoir faire une poursuite de véhicules qui soit faite par des êtres vivants. S’il pouvait faire un Mad Max avec des mecs fusionnés avec leur moto ou leur bagnole, il le ferait, ça serait génial ! Tous ceux qui aiment ce cinéma-là, quand il est bien fait, ces poursuites en bagnole, en rêveraient, de voir ce genre de choses.
 Evidemment qu’il y a une érotisation de la mécanique. Parce que souvent, la critique se sert de ça pour le dégager d’un revers de main dédaigneux : « tout ça, c’est de l’érotisme déviant. » T’as envie de leur dire, « mais enfin, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité », quoi ! En termes de fétichisme et d’érotisation, si on vous retirait toutes les belles femmes qui composent le cinéma devant lequel vous êtes à genoux, on ne sait pas très bien où vous irez ! Désolés de vouloir fantasmer sur plus de choses que simplement des femmes ! On veut fantasmer sur des bottes, on veut fantasmer sur des chevaux, on veut fantasmer sur des mécaniques de bagnoles et de motos, et nos cinéastes à nous, les grands cinéastes populaires, sont des gens qui ont mis en scène ce rapport charnel avec tout ce qui nous entoure. D'ailleurs, tu sais comment Sergio Leone a engagé Bertolucci pour travailler sur ses scénarios ? Il lui a simplement demandé « si tu as un cheval à filmer, où vas-tu mettre ta caméra ? » Bertolucci lui a répondu « je vais me mettre derrière pour avoir son cul qui occupe la moitié de mon écran. » « Ah bon, et pourquoi ? » « Parce que la puissance de ce cheval, on ne la sentira que si on voit son postérieur. » Et là il lui a fait, « c’est une bonne réponse, je te prends ! » Ce scénariste allait comprendre qu’il n’était pas là pour travailler sur des concepts littéraires (des mots, encore une fois) mais qu’il allait travailler sur du profond, du « c’est quoi cette puissance qui nous fascine ? » Pourquoi le cheval, bordel ? Pourquoi cet animal a-t-il une puissance cinématographique qui dépasse celle des autres ? Pourquoi ne se lasse-t-on pas des poursuites de voitures malgré les centaines et les milliers de films à toujours nous représenter les mêmes plans ? Parce que fondamentalement, profondément, ça veut dire quelque chose, et on le sait, que ça veut dire quelque chose, on le sent. On sent que ça nous ramène à quelque chose de vivant. Et George Miller ne fait que ça, du cinéma vivant.
 Propos recueillis et retranscrits par Antoine Verley (Paris, le 17/06/2017)
Remerciements à Rafik Djoumi pour sa disponibilité et sa relecture.
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merzbow-derek · 7 years
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POST-SCRIPTUM 664
PENSER LA PERCUSSION AUTREMENT
Ci-après, un extrait d’un entretien avec Lê Quan Ninh qui fera bientôt partie d’un ouvrage autour de l’underground musical en France ; ouvrage d’ailleurs quasi exclusivement constitué d’interviews, entre autres avec Christian Vander, Jac Berrocal, Dominique Grimaud, Yann Goudon, Dominique Répécaud, Jean-Marc Foussat, Bruno Meillier, Richard Pinhas, Michel Bulteau, Romain Perrot… Une quarantaine à peu près, à paraître chez Lenka lente en mars 2017. Soit un peu de l’histoire de Catalogue, Magma, Vidéo-Aventures, Soixante Étages, Étage 34, M.I.M.E.O., Vomir, Etron Fou Leloublan, entre autres…
EXTRAIT…
Tu joues avec le Quatuor Hêlios dont le répertoire inclut des interprétations d'œuvres de John Cage et Toru Takemitsu. Ta formation musicale est-elle celle d'un musicien classique ?
J'ai commencé la musique des l'âge de 5 ans en entrant dans une école de musique de la région parisienne, puis j'ai été l'élève de Sylvio Gualda au conservatoire de Versailles de 1979 à 1982. C'est donc une scolarité musicale classique que j'ai suivie jusqu'à l'âge de 20 ans. Sylvio Gualda étant à la fois timbalier à l'orchestre de l'Opéra de Paris et soliste interprétant des œuvres spécialement écrites pour lui, son enseignement reposait sur deux axes : la percussion d'orchestre et le répertoire contemporain. Une chose essentielle unissait ces deux aspects de son enseignement : l'importance de la vibration sonore, la vibration optimum des instruments obtenue par un ensemble de techniques éprouvées ou inventées par lui. Pour reprendre un certain vocabulaire, c'est à une approche du corps sonore - de ses profondeurs, épaisseurs et surfaces - que j‘ai été confronté, même si cette approche ne s'exprimait que par la transmission des notions de poids du geste, d'équilibres et d'appuis intérieurs. En tout cas, c'est sans doute ce que je continue de retenir de son enseignement même si cela appartient bien plus aujourd'hui à une mémoire corporelle, à une assimilation, qu'à un ensemble de préceptes. Le. Quatuor Hêlios existe depuis cette période. Isabelle Berteletti, Florent Haladjian, Jean-Christophe Feldhandler et moi nous sommes rencontrés à ce moment-là, avec une intuition de travail nourrie par les œuvres de John Cage qui constituaient notre premier répertoire. Nous avons tenté de rendre cette intuition plus précise en sollicitant des compositeurs pour l'écriture d'œuvres nouvelles. Cependant, après toutes ces années, nous faisons un constat amer concernant la capacité des compositeurs à penser la percussion autrement que par les clichés habituellement attachés à elle. Et la lutherie standardisée d'aujourd'hui n'est pas là pour pousser à plus d'imagination ! Aussi avons-nous resserré notre répertoire actuel autour d'œuvres de Cage, Takemitsu, Vinko Globokar, Daniel Koskowitz, qui toutes obligent à une créativité, tant sur le du plan du choix des timbres que sur celui du déroulement temporel, et qui bouleversent également le rapport à l'instrument que nous avons de plus en plus de mal à appeler la percussion, tant les corps sonores utilisés ne nous apparaissent plus appartenir à une quelconque catégorie. Jean-Christophe Feldhander et moi-même avons écrit des pièces pour le quatuor, ce que nous continuerons sans doute de faire dans l‘avenir.
Comment se fait-il que tu t'intéresses aussi à la musique improvisée ?
C'est un copain de lycée qui m'a fait entendre pour la première fois des musiciens comme Cecil Taylor, Eric Dolphy et Joe McPhee, ce dernier venant juste de sortir ses tous premiers disques sur le label Hat Hut à ce moment-là. Dans mon lycée, j'avais comme professeur de musique le saxophoniste Pierre-Louis Garcia qui m'a d'ailleurs soutenu quand le désir pressant de me consacrer totalement à la musique plutôt qu'à mes études au lycée est apparu. Un peu plus tard, je suivais deux écoles : l'école du jour (le conservatoire) et l’école de la nuit, celle des nombreux concerts de free jazz que je pouvais entendre au Dreher, à la Chapelle des Lombards, au Théâtre Dunois ou à Jazz Unité que Gérard Terronès avait ouvert à La Défense. J‘ai usé mes fonds de culotte au Dunois où jouait une grande partie des improvisateurs et improvisatrices d'Europe, cela dans des formes d'ailleurs très diverses, passant parfois par la dérision et le théâtre burlesque improvisé. Au Dunois, on pouvait voir les vidéos des concerts précédents, et c'est comme ça que j'ai découvert deux personnes qui allaient devenir des amis très proches : Michel Doneda et Benat Achiary. Bien sûr, tous ces concerts indiquaient des directions diverses et différentes de ce qui m'avait été enseigné au conservatoire. Le goût pour la liberté, dans ce qu'elle contient à la fois de joyeux, de grave et d'exigeant, m'a été transmis dans cette école de la nuit, sachant que j'éprouvais déjà une attirance particulière pour toutes formes de manifestations libertaires, qu'elles soient politiques, sociales ou artistiques. D'ailleurs, dès l'ouverture de la bande FM, j'ai animé pendant cinq ans, avec deux amis, une émission sur Radio Libertaire (Paris) consacrée au free jazz, puis à toutes les musiques improvisées, lors de laquelle j'ai pu rencontrer beaucoup de musiciens et musiciennes que nous invitions pour des entretiens. J'ai commencé à pratiquer l'improvisation libre pour les besoins d'un cours de danse que donnait une amie, et j'ai ensuite rencontré le clarinettiste Misha Lobko et le guitariste Jean-Christophe Aveline avec qui j'ai donné mes premiers concerts.
Chemin faisant, tu fais une rencontre déterminante, celle du saxophoniste Daunik Lazro.
J'avais été frappé par l'énergie expressive de Daunik lors d'un débat sur Charlie Parker autour d'un diaporama créé par le photographe Horace. Il avait été présenté comme celui qui allait nous faire, à nous public de 1980, l'effet que produisait Charlie Parker sur le public de 1940. Après avoir fustigé le public et les intervenants à propos du fait qu'au lieu de parler des morts, nous devrions parler des vivants et d'un autre Parker portant le prénom d'Evan qui était en train de révolutionner la pratique du saxophone, Daunik joua vingt minutes d‘une musique d'une urgence extrême qui m’a laissé totalement étourdi. Ce choc artistique a eu pour effet de me faire sentir que la pratique de l'improvisation libre contient un ensemble de relations complexes permettant d'établir des points de vue critiques sur le monde, c'est-à-dire une poétique. Cependant, je considère que toutes les rencontres, même si elles ne sont pas aussi intenses que celle-ci, ont une grande importance, si tant est qu'on soit attiré par le fait de vivre et de découvrir ce qu'un groupe de personnes peut créer collectivement, et sans hiérarchie, plutôt que d'imposer des certitudes ou des doutes avec un soi-disant savoir-faire.
Tu as également joué avec des musiciens issus d'une scène plus « noise », bruitiste. Je pense au guitariste new-yorkais Elliott Sharp, ou au..., ..., ...
( Daunik Lazro, par là )
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camcao · 4 years
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Je ne comprends plus rien. C’est comme si tout se mélangeait, le bien et le mal ne font plus qu’un. Je passe d’une émotion à l’autre, sans transition. Je me sens parfois pleine d’énergie, et pleine d’idées noires. Ou bien j’ai l’impression que je risque de tomber à chaque pas que je fais, tout en ayant plein de projets qui tournent, mais sans savoir comment les atteindre, juste des pensées qui viennent et qui repartent. Au niveau de l’alimentation, c’est tout aussi confus. Je ne veux pas me restreindre comme avant, mais je veux perdre du poids ; je saute des repas, et mange trop aux suivants ; je n’ai plus de force, mais je pars marcher pendant des heures ; je me sens mal après avoir mangé, je ne veux pas vomir, mais finit pourtant parfois par recommencer. J’ai par moments envie de mourir, puis une folle envie de me battre ensuite. Pourtant au fond, je sens que je ne vais pas bien. Peut-être que j’essaye de me convaincre moi-même du contraire à travers tout ça ? Je sens toujours cette boule d’angoisse, qui me tord le ventre par sa puissance ; j’ai toujours ce poids que je me traine depuis des années, qui ne me lâche pas. Ce poids, c’est mon passé. je le traîne tel un boulet qu’on m’aurait accroché de force. De temps en temps, il s’allège un peu, me laissant le temps de respirer un instant, pour m’assomer ensuite.
Mon problème actuel, c’est que je suis perdue ; entre deux mondes, entre le passé et le présent, entre le présent et le futur. Regarder en arrière, au sauter la tête la première vers l’avant. Penser, ruminer, m’infliger des blessures que personne ne pourrait soupçonner. Espérer et pourtant ne pas y croire. Attendre, que la vie passe, que la douleur s’estompe ; attendre quelque chose qui n’arrivera pas. Penser que la vie n’en vaut pas la peine, qu’elle n’a plus rien à m’offrir de bon. Pleurer, durant des heures et sourire face au monde. Sentir mon coeur faire des bonds et ne plus le sentir battre. Fermer les yeux et me réveiller dans un cauchemar, la réalité. Ne plus y croire. Me taire. Faire taire les démons. Panser les plaies, les cacher, les ignorer. Abandonner. Je voudrai tant que le temps s’arrête, ou bien que la vie s’arrête ; c’est plutôt une envie de stopper la souffrance infernale. Un apaisement, un souffle d’air pur, la fin de l’enfer.
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pathieu-blog1 · 5 years
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Une vraie boucherie
January 16, 2017
Pour l’instant le ratio de ce site est d’à peu près un article sordide pour deux articles légers donc nous voici reparties dans les inepties, woop woop ! Je veux tous les bras en l’air !
L’histoire du jour commence ainsi : j’habite au-dessus d’une boucherie. Je passe tous les jours devant un étalage sanguinolent qui me conforte dans l’idée de ne jamais y mettre les pieds. Les trois bouchers riants ne me comptent effectivement pas parmi leurs clients fidèles étant très peu consommatrice de viande pour d’évidentes raisons éthiques mais pas que. Oh, je vous vois d’ici sortir les pancartes : bordel, encore une vegan qui va nous tailler une bavette ! En presque 2017, c’est quand même compliqué de faire semblant de pas savoir ce qu’a vécu la viande avant qu’elle n’arrive dans ton assiette mais chacun gère ça comme il veut, c’est pas à moi de juger si ton karma est lugubre.
Mais non, mon propos n’a aucune velléité d’endoctrinement, revenons donc à nos moutons (merci de les imaginer vivants et sautillants) : la boucherie d’en bas de chez moi, les trois bouchers riants dont un carrément sexy, que nous nommerons : « le boucher sexy ». Je sais, mon imagination est sans bornes. Ledit boucher sexy ne manque jamais une occasion de saluer sa cliente la plus réfractaire quand je défile devant sa vitrine, me lançant régulièrement un plutôt distingué : bonjour/bonsoir accompagné d’un sacré sourire. Mon militantisme n’allant pas jusqu’à m’interdire de consommer le boucher et pas son produit, je lui renvoie allègrement ses courbettes et ne me défends pas de rêvasser sur ce beau morceau. J’ai alors pensé que sortir avec mon boucher serait à coup sûr une source infinie de vannes en tous genres : « Viens palper mon rond de gite », « attendris-moi le rumsteck », « retourne-lui le paleron », « tu me ferais pas sauter la côtelette ? », « rentre-moi dans le lard », « serre-moi l’échine », « caresse ce faux-filet », « tu ne viendrais pas tâter mes boulettes ? »…
IN-FI-NI vous dis-je !  Que d’images paillardes, grivoises et grotesques ! Du rire gras, tendre et gouleyant, de quoi se gondoler le rognon lors des (trop) longues soirées d’hiver.
Loin de moi toute idée réac mais il faut avouer que les métiers high-tech d’aujourd’hui ne permettent pas de si fines métaphores ; jamais d’un community-manager-traffic-development-trader-webmarketing ne naitront d’aussi raffinés traits d’esprit et c’est bien dommage m’est avis. Je laisse à vos cerveaux filous le loisir d’imaginer de quoi glorifier d’autres métiers formidables tels que : plombier, mécanicien ou encore boulanger.
Bien le bonsoir chez vous !
Sans transition.
J’écrivais un article un peu badin sur les rencontres SNCF, pour utiliser intelligemment ces fichues trois heures de train, mais je n’y tiens plus. « Virez d’bord moussaillons ! Tâtez-moi c’beau timon ! À tribord toute ! ». Bref, faut que je vous dise. Aussi, après avoir analysé les personnages qui m’entourent et m’en être très vite rassasiée, j’ai choisi de faire un petit point avec vous.
Mon premier procès est pour la SNCF.
Est-il possible, cher « vous », de m’autoriser un jour à voir la route, la place « carré-contre-sens » ou « duo-contre-sens » que vous m’attribuez systématiquement, au-delà du fait qu’elle me donne une gerbe que je doive dignement contrôler pendant de longues minutes, n’est pas franchement tenable, elle me rend atrabilaire et ne me permet pas de me rapprocher de celui qui m’attire, qui compose mon « duo » / « carré ». J’ai le droit d’être folâtre, ok ?
Mon deuxième est pour les voyageurs SNCF. Et il sera un peu plus long.
À l’aller, la Pathieu, à contre-sens, chose inédite, tombe sur un carré. Passe encore, j’suis rôdée. Là, un groupe de septuagénaires avertis, souriants, pomponnés comme jamais, envoûtants par la dose d’after-shave dont ils se sont enduits – pour le mois entier - le corps, m’encercle. Un peu anxiogène tout de même. Tout se passe bien, dix minutes se sont écoulées même si je maugrée gentiment parce que j’ai oublié mes écouteurs. Le bruit de succion un peu angoissant de mamie, assise derrière moi, qui essaie vigoureusement de décoller son bonbon à la menthe de son dentier est encore tenable. La Pathieu est patiente. Jusqu’à ce que mamie décide de sortir l’objet qui va bousiller mon « contrôle » : une lime à ongles. Et voilà qu’elle s’emploie à raccourcir ce qui lui reste d’ongle pendant de longues minutes. Après avoir terminé avec la première phalange de chacun de ses doigts, je me rassérène. Erreur. Mamie généreuse, la file à papi sa lime à ongle. Et voilà papi qui lui aussi s’énerve actuellement tout-puissant, agresse son ongle, et fait crisser avec barbarie la lime. Mollement n’est pas papi n’est-ce pas. Naturellement, comme j’ai besoin de visualiser le monstre, lui sera flétri, les yeux pendants mais vifs encore, allumés par le feu qu’a déclenché la possession de la lime avec un rictus diabolique et un sourcil relevé. J’ai compté 47 minutes de combat acharné car l’ongle vieux c’est cornu, c’est sacrément dur – faudrait en parler aux Chinois, ils laisseraient peut-être tranquilles les rhino et les éléphants. Ah et on n’oublie pas mamie qui persévérante continue d’essayer de décoller son increvable pour ne pas dire insuçable bonbon. N’y tenant plus je regarde avec indignation les voyageurs qui les entourent pour évaluer si je suis la seule à être sensible à ces incivilités. Pour mon plus grand bonheur, tous étaient équipés d’écouteurs et donc aucun n’a perçu ou compris ma détresse. Le Karma j’vous dis. Alors, je rassemble mes esprits pour ne pas être trop agressive -  respecter les vieux est un mantra -  je compose un petit message dans ma tête destiné à faire cesser cette torture : on se rappelle qu’ils sont quatre et que selon toute probabilité, l’objet risque de passer de moignons en mains jusqu’à la gare.
Miraculeusement, enfin non, puisque je suis un peu pauvre (les joies du professorat : des vacances mais pas une tune pour pouvoir se déplacer avec sérénité), je sors plus tôt du train pour avoir ma correspondance. En me rassurant j’me dis que mes prochains partenaires de voyages ne pourront jamais être pires. Eh bien, j’ai dû rouler sur un chat récemment ou médire sur une pauvre créature, car le karma ne m’épargne pas. Je me retrouve dans un carré – à contre-sens, cela va de soi – avec deux enfants et un papa dépassé. Le grand écart est maximal, je vois ma patience comme un petit morceau de beurre étiré sur une trop grosse tartine. Et l’enfant en face de moi qui ne saisit pas sa chance d’être dans le sens de la marche, livide, a envie de vomir. J’aime ma vie, les petits soubresauts qu’elle me réserve comme autant de petites joies. Papa quant à lui est débordé, les enfants chahutent, parlent fort, les gens murmurent autour, mais pas de réaction. Le coca à 6€ du train lui, est renversé, à deux doigts de mon ordinateur. Et les éclairs que lancent au patriarche, mes nombreux regards n’y feront rien.
Oui décidément, j’aime la vie.
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azveille · 5 years
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AVC: la SFNV en faveur de la démédicalisation des transferts secondaires vers les UNV de recours
La Société française neurovasculaire (SFNV) souhaite que le transfert secondaire des patients victimes d'accident vasculaire cérébral (AVC) vers les unités neurovasculaires (UNV) de recours puisse être réalisé par des paramédicaux, notamment pour pallier les problèmes de disponibilité des équipes médicalisées, a-t-on appris lundi auprès du président de la SFNV, Emmanuel Touzé, du CHU de Caen.
Lorsqu'un patient victime d'un AVC est pris en charge dans une structure de proximité (centre de télémédecine ou UNV de territoire) et qu'il nécessite une thrombectomie, il doit être transféré secondairement vers une UNV de recours.
A l'heure actuelle, la plupart de ces transferts secondaires sont effectués sous la surveillance d'un médecin, notamment parce que "les patients peuvent avoir une perfusion de thrombolyse en cours et être instables sur le plan tensionnel ou de la vigilance", et que les distances à parcourir peuvent être assez longues, précise Emmanuel Touzé.
Le problème, souligne-t-il, c'est que les équipes médicalisées ne sont pas toujours disponibles pour les transports secondaires. Dans certains "territoires un peu lointains" par exemple, il peut n'y avoir qu'une seule équipe, et "si elle est mobilisée sur autre chose, elle ne peut pas forcément se dérouter sur un patient AVC". La conséquence est que le patient doit attendre avant d'être pris en charge.
Afin de pallier cela, la SFNV prône un recours aux paramédicaux pour le transfert secondaire de patients vers les UNV de recours. "C'est un sujet que la SFNV voudrait porter à la réflexion auprès de la direction générale de l'offre de soins (DGOS)", a rapporté à APMnews le président de la société savante.
Un sujet de controverse
Le sujet a été mis sur le devant de la scène jeudi lors d'une session de débat au congrès de la SFNV, à Issy-les-Moulineaux. Une controverse a permis d'entendre les arguments en faveur et en défaveur de la médicalisation des transferts secondaires, avancés respectivement par Yves Lambert, chef de service du Samu 78 à Versailles et Sandrine Deltour, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) à Paris.
Pour Yves Lambert, la médicalisation des transferts secondaires se justifie notamment parce qu'il s'agit d'un "boulot un peu risqué", d'une "chaîne de soins", et qu'il "serait dommage que le transfert soit le maillon le plus faible" de cette chaîne. "On est en train de prendre en charge des patients qui sont dans la phase aiguë, il ne s'agit pas que de soins de routine", a-t-il pointé.
Il a en outre souligné que "la médicalisation, c'est aussi la régulation médicale". "Il me semble impossible de confier cela à des ambulanciers privés qui peuvent disparaître sans aucun lien avec un organisme, comme le Samu, qui fait la régulation."
Prenant l'exemple du département des Yvelines, Yves Lambert a affirmé "s'attend[re] à un plateau en 2018 par rapport à 2017" concernant le nombre de transferts secondaires pour la thrombectomie (environ 200-220 transferts par an). "Donc pour l'instant, on ne va pas être débordés par les transferts secondaires", a-t-il pointé.
Par ailleurs, selon lui, "le transfert médicalisé est 'à fond' dans la dimension de la qualité des soins", qui est définie par 5 points: efficacité, sécurité, accessibilité, réactivité et efficience.
"La médicalisation des transferts secondaires s'est faite autour de l'accidentologie", a rappelé pour sa part Sandrine Deltour. Or, "ici, on parle de médicaliser des patients pour lesquels il y a déjà eu une évaluation clinique, ce sont des patients qui sont stabilisés", a-t-elle pointé.
"On n'est plus au stade du triage patient... le patient est dans le camion et il faut aller très vite", a-t-elle ajouté. "Le maître mot, c'est la vitesse."
La neurologue a présenté, l'une après l'autre, les complications qu'un patient victime d'AVC pouvait présenter au cours d'un transfert secondaire, avant d'avancer les raisons pour lesquelles elle estimait que ces points ne justifiaient pas la médicalisation du transfert.
Ainsi, "la transformation hémorragique grave (4 points de NIHSS) existe, mais le saignement est plutôt à distance [...] et le patient est déjà sur la table de thrombectomie", a-t-elle noté. La crise d'épilepsie est "excessivement rare", concernant 1,3% des patients, et le temps médian entre le début des symptômes et la crise est proche de 24 heures. L'oedème malin est "rare" et survient entre les jours 2 et 5. Quant à l'oedème orolingual lié à la thrombolyse, son délai médian est de 70 minutes mais il "ne s'agit pas de formes graves", a indiqué la neurologue.
Former les paramédicaux et sécuriser le trajet
A l'issue de la discussion, la présidente de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), Agnès Ricard-Hibon, qui co-modérait la session orale avec le président de la SFNV, a souhaité attirer l'attention sur le fait qu'un patient qui se trouve dans un état stable lorsqu'il est "au calme dans un lit d'UNV", peut tout à fait être nauséeux, vomir et avoir des céphalées lors du transfert. "C'est le même patient mais ce ne sont pas les mêmes conditions de stabilité", a-t-elle pointé.
"Une fois qu'on a thrombolysé le patient, on le confie à une infirmière d'UNV qui est habituée aux procédures et qui sait qui appeler quand le patient ne va pas bien", a avancé pour sa part Emmanuel Touzé. "Donc peut-être qu'on n'a pas besoin d'un médecin [pour le transfert], mais d'un paramédical qui serait formé."
Cela pourrait se faire par exemple en formant des infirmiers en pratique avancée, a-t-il dit à APMnews lundi (cf dépêche du 19/07/2018 à 12:32). "Pour l'instant ce n'est que pour les maladies chroniques, mais c'est peut-être quelque chose qu'il faudrait envisager sur les soins critiques également, d'avoir des personnels qui peuvent faire un certain nombre de choses à la place des médecins."
Selon lui, il faut également des systèmes de relais, de sorte que l'on sache où emmener le patient si son état se dégrade durant le transfert, ainsi que des "dispositifs de sécurité" pour que l'ensemble de la procédure "se déroule bien".
"Dans plus de 95% des cas, il n'y a pas forcément besoin d'un médecin", a-t-il conclu.
"Etre utiles" tout en évitant la "crainte des juges"
Par ailleurs, lors de la journée nationale des filières AVC, organisée en marge du congrès, la question des transports médicalisés ou non s'est également invitée après une présentation sur une procédure en drip and ship au CH de Perpignan vers le CHU de Montpellier (cf dépêche du 16/11/2018 à 12:23).
"Le transport secondaire n'est pas médicalisé et globalement, il y a très peu de complications mais les patients peuvent s'aggraver", a rapporté Denis Sablot du CH de Perpignan, confiant sa crainte en cas de problème et de plainte.
Dans l'auditoire, plusieurs voix ont exprimé la nécessité de trouver des accords ou des conventions, d'établir des protocoles, notamment avec les Samu, "pour être utiles aux patients sans être dans la crainte des juges". Présent également, le président sortant de la SFNV, Serge Timsit (CHU de Brest) a approuvé la nécessité de rédiger des recommandations.
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utopiedujour · 7 years
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Washington hors de l’accord de Paris sur le climat – les raisons de Donald Trump, par Alexis Toulet
Billet invité. Sur le propre site d’Alexis Toulet. Ouvert aux commentaires.
Le 1er juin 2017, après quatre mois au pouvoir, le président américain Donald Trump annonçait solennellement sa décision de respecter sa promesse de campagne et de sortir les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat de 2015.
Pourquoi ? Analyser les raisons et arguments de Trump est nécessaire quoi qu’il en soit, c’est de plus fort instructif.
Quoi qu’on en pense, et y compris si c’est pour le vomir ensuite, il est nécessaire d’analyser le discours de Trump. Même si le personnage a bien évidemment ses ridicules, il n’est certainement pas le seul à vouloir la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris, c’est une position qu’il ne fait que représenter, et qui n’est pas soutenue que par des incultes ou des gens qu’on puisse se contenter de tourner en dérision. Sans compter que se moquer ou se scandaliser n’a jamais fait avancer aucun schmilblick.
Trump un simple vandale ?
Ce n’est pas de plaisir de destruction qu’il s’agit
Quelles sont les justifications avancées pour cette décision ?
La détermination de Donald Trump à appliquer cette promesse de campagne de sortir les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat a de quoi surprendre, au vu des contraintes à première vue assez réduites qu’il fait concrètement peser.
S’il a été possible de convaincre pratiquement tous les pays au monde de se joindre à cet accord, c’est avant tout parce qu’il n’est pas contraignant. Il permet à chaque pays de définir ses propres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et ne prévoit aucun moyen de les faire respecter. (lien en anglais)
L’accord de Paris s’appuie sur le pouvoir de la transparence et de la pression exercée par les pairs. Il n’exige des pays participants que de dire ce qu’ils comptent faire et de rendre compte de ce qu’ils ont fait. En un mot, il est basé sur le volontariat.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas important. Les engagements publics sont un moteur puissant. Ils peuvent stimuler et organiser la politique intérieure. L’échec à les honorer endommage la réputation. Mais ils n’ont pas force légale par eux-mêmes.
Alors, pourquoi cette sortie dont le coût politique y compris aux Etats-Unis mêmes risque d’être élevé ?
Une fois mis de côté les – nombreux – effets de rhétorique, il ressort du discours du président américain deux arguments forts :
1. L’accord de Paris est dénoncé comme injuste parce que les efforts ne sont pas également répartis entre tous les pays, les émergents bénéficient de délais importants avant de commencer à réduire leurs émissions, 2030 pour la Chine et l’Inde, tandis que les plus pauvres bénéficient de 100 milliards d’aide à rassembler par les plus développés.
Il s’agit ici d’une remise en question des concessions obtenues par les pays en voie de développement comme quoi les pays développés, ayant plus contribué au réchauffement jusqu’ici, doivent faire davantage d’efforts pour compenser – ils partent en quelque sorte en position débitrice – ce qui tient compte aussi de leurs émissions de carbone plus élevées par habitant, même si inférieures par unité de valeur produite.
Non dit le gouvernement américain : le passé est le passé on ne va pas le prendre en compte, et ce sont les émissions actuelles qui doivent servir de référence, sans que les émergents bénéficient d’un délai supplémentaire pour continuer à augmenter leurs émissions, ni tenir compte des émissions par habitant, lesquelles sont évidemment fortement corrélées avec la prospérité par habitant.
2. Les Etats-Unis sont décrits comme possédant des ressources naturelles immenses, jusqu’à il y a peu encore largement inconnues ou du moins inexploitables – gaz et pétrole de schiste accessibles par fracturation hydraulique notamment – et respecter l’accord de Paris obligerait à ne pas les utiliser, si bien que l’Amérique serait moins prospère, aurait moins d’emplois et moins de croissance.
Il y a ici refus clair et net de laisser dans le sol une partie des ressources en énergie fossile qui pourraient en être exploitables. Ce refus tient pour nul et non avenu les résultats de recherche concordants comme quoi pour maintenir le réchauffement dans des limites moins dangereuses, il faudrait laisser dans le sol une partie considérable des ressources en pétrole, en gaz, et encore plus en charbon qui s’y trouvent.
Non dit le gouvernement américain : puisque l’énergie fossile est nécessaire à la prospérité, laquelle est nécessaire à l’emploi, les intérêts des Etats-Unis commandent d’en utiliser tout ce qu’on peut.
Le fond de l’argumentation de Trump
Le président américain a déclaré, c’est sans doute là le fond de son argumentation, qu’il a été élu pour représenter les intérêts des citoyens de « Pittsburgh, pas Paris »
I was elected to represent the citizens of Pittsburgh, not Paris
C’est pour cela que l’argument de justice – pays développés plus pollueurs dans le passé, pays en développement qui ont besoin de se développer encore – est refusé. Car l’argument de justice dans ce cas précis joue contre les intérêts des Etats-Unis, et Trump estime avoir été élu pour défendre les Américains, et non la justice.
C’est pour cela que laisser inutilisées des ressources fossiles américaines est inacceptable. Car ce serait limiter la croissance du pays, donc la prospérité de ses citoyens, et Trump estime avoir été élu pour défendre la prospérité des Américains, et non l’environnement.
L’argumentation est chauvine – une position « my country, right or wrong« , mon pays qu’il ait raison ou tort, en l’occurrence que défendre ses intérêts soit ou non au détriment d’un intérêt général humain plus large – et elle est à courte vue – prospérité plus grande pour quelques années supplémentaires peut-être, mais problèmes plus graves pour les enfants ou les petits-enfants.
Elle n’est pas fausse. Encore moins ridicule ou absurde. C’est différent : elle est mauvaise sur le plan moral, dans la mesure exacte où défendre un intérêt national au détriment de celui de l’ensemble de l’humanité, tout comme favoriser le court terme de la prospérité au détriment des intérêts de long terme notamment ceux des jeunes générations, sont des actes immoraux.
Comme il serait pratique qu’elle soit fausse, encore mieux qu’elle soit ridicule ! Alors il serait plus facile de la vaincre.
Mais non. Il est effectivement exact que laisser beaucoup de fossiles dans le sol, c’est de la croissance en moins – assez rapidement, il sera plus exact de dire de la décroissance en plus – les perspectives des énergies renouvelables sont fortement exagérées et les formules comme « croissance verte » sont largement illusoires voire de pieux mensonges.(1) Il est effectivement exact que la répartition des limitations d’émissions de carbone entre les différents pays est un jeu à somme nulle, le gain de tel pays est la perte de tel autre, tandis que le président américain est en charge de défendre les intérêts des Américains, pas ceux des autres peuples ni ceux d’une justice abstraite.
Qu’est-ce que cela signifie pour la lutte contre le réchauffement climatique ?
Ce qui se passe n’est pas simplement la foucade d’un personnage public trop facile à ridiculiser, ni la promesse d’un démagogue. C’est beaucoup plus important. Ce qui se passe est la chose suivante : en ce qui concerne le réchauffement climatique, nous sommes en train d’entrer dans le dur.
C’est-à-dire que pour la première fois un dirigeant a cessé de faire semblant de croire qu’une « nouvelle croissance » écologique pourrait remplacer l’ancienne, en même temps qu’il a refusé d’accepter qu’on limite la croissance d’aujourd’hui pour les intérêts des gens de demain ou que des pays plus riches comme le sien fassent des efforts plus grands que les plus pauvres.
C’est la première fois. Rien ne permet de penser que ce sera la dernière.(2)
La situation telle qu’elle est, c’est-à-dire la nécessité de limiter la croissance pour tenter de contrôler les dégâts apportés à l’environnement notamment au climat, c’est-à-dire la justice dans un jeu à somme nulle d’accepter que la limitation de prospérité soit plus importante pour les plus prospères que pour les moins prospères… cette situation au fur et à mesure qu’elle sera de plus en plus clarifiée provoquera sans doute d’autres refus, ouverts comme celui de Donald Trump, ou plus discrets, dans tel ou tel autre pays, maintenant ou bien plus tard.
Et limiter contre le réchauffement climatique nécessitera de les surmonter.
Nul ne sait ce qu’a exactement dit le pape François au président Trump le 24 mai dernier. Il n’a pas réussi à le convaincre. C’était lui pourtant qui avait le plus de chance d’y arriver, parce que Trump quoique d’une autre confession que la catholique est chrétien. Et au-delà même du cas particulier de l’accord de Paris, l’argument pour la limitation de la prospérité au bénéfice de l’avenir des plus jeunes et des générations futures tout comme pour des efforts particuliers des plus riches en ce sens est bien chrétien – si vous l’êtes. Ou bien il est humaniste athée, ou musulman, bouddhiste etc. – suivant quelle est la source la plus profonde de votre morale personnelle.
Parce que cet argument est moral et pas autre chose.
Convaincre Trump de donner priorité à la justice et au long terme ? 
Pas cette fois-là en tout cas
(1) – On ne peut sur ce point que donner raison à Trump : pour l’instant et dans l’état actuel des techniques, la prospérité est basée sur les énergies fossiles, et on ne sait pas « faire sans ». L’illusion est partagée et répandue par beaucoup de dirigeants – ou pour certains d’entre eux peut-être un pieux mensonge – comme quoi on pourrait somme toute assez facilement faire de la « croissance verte ». Dans l’état actuel des techniques, ce n’est pas vrai. Cela pourrait peut-être changer – il faudrait faire les plus grands efforts pour que ça change, en pratique des programmes de recherche façon « Manhattan » ou « Apollo » puissance dix ! – mais ce n’est pas encore le cas.
(2) – Tant que continue l’hypocrisie consistant à prétendre qu’un peu de solaire ou d’éolien, un peu de capture du carbone ou de « charbon propre », et hop les problèmes seront résolus bonjour la prospérité écologique, bref tant qu’on continuera à faire semblant de croire que les solutions techniques sont déjà là ou du moins immédiatement à portée de main, les efforts de limitation des dégâts climatiques et environnementaux d’une part seront viciés et insuffisants, d’autre part même le peu qu’ils peuvent accomplir sera menacé par le premier dirigeant qui utilisera la faiblesse qu’est cette hypocrisie, plus une dose de chauvinisme et de court-termisme classiques pour les attaquer voire les renverser.
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brevesdenatlyn · 7 years
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DANGEREUSE INNOCENCE
Tome : 1.
Nombre de chapitres: 6 / 12.
Pairings: Nick Jonas & Katlyn Itachi.
Synopsis: "Cependant, la poitrine était l'endroit le plus douloureux. C'était comme si ses poumons se consumaient, créant un poids sur sa poitrine, poids qui l'étouffait horriblement. Elle bougea imperceptiblement et sentit une nouvelle douleur. Des chaines barraient sa poitrine en une croix brûlante."
CHAPITRE 6 : ELIMINATION
Katlyn battit douloureusement des paupières. Tout son corps semblait avoir été brûlé au troisième degré. Ses muscles étaient comme atrophiés et refusaient de bouger. Ses fractures ne s'étaient pas arrangées. Ses os n'avaient même pas commencé à se ressouder. La douleur n'émanait d'aucun point en particulier. Chaque cellule de son corps était en feu. Cependant, la poitrine était l'endroit le plus douloureux. C'était comme si ses poumons se consumaient, créant un poids sur sa poitrine, poids qui l'étouffait horriblement. Elle bougea imperceptiblement et sentit une nouvelle douleur. Des chaines barraient sa poitrine en une croix brûlante. Elle était enchainée au mur et ses poignets et sa gorge étaient enfermés dans d'énormes anneaux. C'était de l'argent. On avait sorti le grand jeu pour la garder tranquille. Elle se trouvait dans une sorte de cage, une petite cage dans laquelle elle ne pouvait pas tenir debout. Elle aurait pu s'allonger si elle n'était pas enchainée au mur, ce qui l'obligeait à rester genoux. Les barreaux de cette cage étaient également en argent. Impossible de s'enfuir. Elle était fichue. L'odeur de pourriture qui émanait de cette pièce lui donnait la nausée. Elle eut un haut-le-cœur. Cette odeur était insupportable. Malgré la douleur, elle parvint à se contorsionner pour vomir. Elle paniqua en découvrant que c'était du sang. Ce n'était pas bon. Ce n'était vraiment pas bon. Une vive lumière illumina soudainement la pièce, l'obligeant à détourner la tête pour ne pas être aveuglée.
  — J'admire l'efficacité de ce poison.
  Katlyn releva la tête et se retrouva face à un homme qu'elle ne connaissait pas. Elle déduisit qu'il s'agissait d'un proche de David en voyant son visage. Cet homme ressemblait à l'adolescent cruel qui l'avait enlevée après l'avoir empoisonnée. Elle ne s'attarda pas sur les détails. Sa vue baissait et cela était frustrant pour elle qui s'était tant habituée à voir nettement. Elle se sentait horriblement mal.
  — ...
— Normalement, on ne survit que quarante-huit heures à ce poison. Apparemment, ce ne sera pas ton cas. Il se répand bien vite dans ton organisme.
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
— Mon fils m'a parlé de toi. Ça fait longtemps qu'on te cherche. Tu as pris ton temps pour te montrer.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez.
— Bien sûr. Ton mentor a forcément dû te dire qui tu étais vraiment.
— Vous croyez ces conneries, vous ?
— Non seulement j'y crois mais, en plus, j'en ai la preuve.
— Je ne suis pas une preuve.
— Bien sûr que si.
— Vous voulez me tuer ?
— C'est exactement ça. Cette prophétie ne doit jamais se réaliser.
— Je n'avais pas l'intention de le faire.
— En effet, puisque nous allons te tuer.
— Je m'en suis doutée quand la première fléchette s'est retrouvée dans ma poitrine.
— Mon fils est un très bon tireur.
— Je suppose que vous n'allez pas attendre que le poison me tue.
— Il tient ça de son père, ajouta l'homme en l'ignorant.
  Katlyn ne distingua que trop tard l'arme que tenait son interlocuteur. Elle ne la vit que lorsqu'il la pointa sur elle. Ses réflexes étaient ralentis par le poison et ses mouvements limités par les chaines qui entamaient sa chair à force de la brûler. La balle siffla dans l'air et se ficha dans sa cuisse. Un hurlement suivit cette nouvelle blessure. Katlyn ferma les yeux alors que le sang coulait à flot. Sa peau, son muscle et ses veines brûlaient au contact de la balle en argent qui avait pénétré son corps. Quand elle rouvrit les yeux, elle s'était partiellement transformée. L'homme observa les pupilles, les dents et les griffes qui étaient subitement apparues sur le corps de la jeune femme. Il était impressionné. Malgré toutes les précautions qu'ils avaient prises pour éviter la transformation, elle parvenait à se transformer partiellement. Elle grognait après lui, se déchainant pour se libérer de ses entraves.
  — ...
— Ce que tu fais est inutile. Tu ne peux pas t'échapper de cette prison.
— ...
— Ton destin est de mourir. Cette balle en argent t'empêchera de te remettre sur pied tant qu'elle sera dans ton organisme. Tu vas mourir dans d'atroces souffrances et cela ne peut que nous réjouir.
  La douleur fit disparaitre la transformation aussi vite qu'elle n'était apparue. L'homme se retira, satisfait. La lumière s'éteignit. Une porte claqua. Katlyn s'abandonna à la douleur et sombra dans le noir.
  ×
  Nicholas courait. Il courait sans s'arrêter. Il s'était transformé un peu plus tôt et, après avoir briefé sa meute, s'était enfui. Il avait besoin de se changer les idées, d'oublier l'échec cuisant qui rongeait sa conscience. Il se sentait coupable, terriblement coupable. Comment avait-il pu laisser ça arriver ? Il s'en voulait. Sean était en train de mourir. Une mort lente et douloureuse l'attendait. Il était horrifié d'assister à la souffrance de son compagnon. Toute la meute cherchait une solution pour le sauver. Malheureusement, ils n'avaient encore rien trouvé. Katlyn restait introuvable. Nicholas ressentait sa douleur et sa peur mais il ne parvenait pas à la localiser. Son esprit demeurait fermé. Où pouvait-elle être ? Dans quel état ?
  — Nicholas !
  Le loup ne se retourna pas. Il continua à courir sans se soucier des bruits de pas qui se rapprochaient de lui. Il avait besoin d'être seul pour pouvoir réfléchir et se vider la tête. Qui dont osait venir le déranger ? Le deuxième le rattrapa. Owen.
  — Je veux être seul.
— Je comprends ce que tu ressens !
— Non.
— Sean est mon élève. Il est en train de mourir et culpabilise d'avoir échoué à sa mission.
— C'est moi qui ai échoué, pas lui.
— Il faut que tu lui dises.
— Pas le temps.
— Je sais que tu es inquiet. Je sais ce que tu vis actuellement. Je ressens la douleur de Sean.
— J'ai imprimé avec elle.
  Owen s'arrêta brusquement suite à cette réplique. Il était sous le choc. Il ne l'avait pas vue venir celle-là. Nicholas s'arrêta aussi. Hormis Owen, aucun loup ne l'avait suivi. Il était surpris par son propre aveu mais il était temps que son bras droit le sache. Il était le seul à pouvoir l'aider.
  — Tu as quoi ?
— Quand je l'ai ramenée chez moi après l'avoir mordue et que j'ai commencé à lui expliquer ce qui allait se passer, je l'ai senti. Je ne saurais pas comment l'expliquer. C'était tellement puissant, incontrôlable. J'ai su en la voyant que je mourrais pour la protéger et que je ne pourrais jamais aimer quelqu'un d'autre.
— C'est bien l'Empreinte. Ce cas est vraiment rare.
— Aussi rare que les louves dans les meutes, je sais.
— Tu peux la retrouver.
— Comment ça ?
— L'Empreinte n'est soumise à aucune loi et aucun territoire. Si tu t'en sers, tu sauras exactement où elle est. Il ne nous restera plus qu'à aller la chercher.
— Si je n'ai pas pu la localiser jusqu'à présent, c'est qu'elle n'est pas sur notre territoire.
— Les sangs-purs l'ont violé en venant enlever Katlyn et ont rompu le traité en s'en prenant à Sean.
— Je ne déclarerais pas la guerre entre nos deux races. C'est inutile.
— Nous allons juste récupérer un membre de notre meute.
— Nous n'irons pas sur leur territoire. Ils seraient capables de tourner la situation à leur avantage. Ils se pensent au-dessus de leurs propres lois.
— Ce n'est pas faux. Pourtant, si je me souviens bien, nous avons deux alliés que nos histoires de territoires ne concernent pas.
— S'ils sont assez stupides pour l'avoir enfermée chez l'un d'eux, le vampire ne pourra pas entrer. Brooke risquerait de se faire choper pour entrée par effraction.
— Crois-tu qu'elle préférerait être libre en sachant son amie morte ou en taule en la sachant vivante ?
— Brooke donnerait sa vie pour Katlyn.
— On va d'abord commencer par la localiser. Ensuite, on avisera.
— Comment je fais ?
— Il faut que tu fasses appel à ce que tu ressens pour elle. Quand tu sentiras cette même puissance qui t'a saisi la première fois, tu te concentreras sur Katlyn.
— Ce n'est qu'une théorie.
— Il est temps de la mettre en pratique et espérer que ça marche.
  Nicholas s'assit et ferma les yeux. La forêt qui bordait leur territoire était silencieuse. Seul le bruit du vent dans les feuilles lui parvenait. Il respira profondément et se concentra, faisant abstraction de tout ce qui se passait autour de lui. Il axa toutes ses pensées sur cette sensation étrange qu'il avait ressenti la première fois qu'il l'avait vue sur les quais. L'odeur douce et sucrée de son sang coulant dans ses veines était parvenue jusqu'à ses narines et l'avait envouté, hypnotisé. Quand il avait croisé son regard pour la première fois, il s'était senti submergé. C'était comme s'il avait été transporté dans un autre monde, un monde où l'air vivifiant avait ranimé la flamme de la volonté qui s'était éteinte en lui. Il avait retrouvé la volonté de vivre, la volonté de se battre. Il avait trouvé son âme sœur et la flamme qu'elle avait allumée en lui ne s'éteindrait jamais. Il se battrait jusqu'au bout pour elle, donnerait sa vie pour elle. Rien ne l'en empêcherait. Absolument rien. Nicholas se sentit soudainement comme transporté. Quand il ouvrit les yeux, il constata qu'il ne se trouvait plus dans la forêt. Il regarda autour de lui et réalisa qu'il était dans une cage étroite. Katlyn gisait à côté de lui dans un sale état. Le cœur de Nicholas se serra à lui en faire mal. Ils l'avaient affaiblie et l'empêchaient de se transformer par divers stratagèmes. Nicholas détectait ses signes vitaux. Ils étaient très faibles. Il devait la retrouver au plus vite. Il sentit la connexion de leurs deux esprits se faire tandis qu'il cherchait un indice qui lui permettrait de savoir où elle était retenue.
  — Nicholas ? demanda une voix faible dans son esprit.
— Tu sens ma présence ?
— Tu m'as ouvert ton esprit.
— Je te sauverais. J'ai juste besoin de savoir où tu te trouves.
— David Trekka. C'est lui qui est derrière tout ça.
— Trekka ?
— Tu le connais ?
— Seulement son père. C'est l'Alpha des sangs purs. C'est un psychopathe.
— Tu es tellement proche de la vérité...
  Le corps de Katlyn eut un sursaut et se contracta en proie à une nouvelle douleur, douleur que Nicholas sentit également. Il sentit la connexion de leurs esprits se dissiper tandis que le corps lupin du jeune homme se tordait sous la souffrance. Le lien se brisa et l'Alpha retrouva son corps en crachotant et haletant. Il luttait pour obtenir une bouffée d'air. Il s'effondra dans la neige, incapable de supporter cette douleur.
  — Nicholas !
  Nicholas ne répondit pas, trop occupé à recracher ses poumons. Du moins, c'était l'impression qu'il avait tant ça lui brûlait la poitrine. Il toussait à en manquer d'air. Un courant d'air glacé le frappa de plein fouet. Lorsque sa quinte de toux s'apaisa, il respira l'air glacial et se sentit revivre. Il se remit doucement et resta un instant étalé dans la neige, indifférent à la morsure glacée de la neige traversant son pelage et sa peau. Tout son corps tremblait. Owen se rapprocha de lui, inquiet.
  — ...
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Je l'ai vue.
— Alors ?
— J'ai pu lui parler. C'était comme si... Comme si j'étais vraiment avec elle.
— J'imagine qu'elle n'est pas en forme.
— C'est pire que ça.
  Un flash de la condition de Katlyn traversa la mémoire du jeune homme. Owen put voir ce que Nicholas avait vu et en fut choqué. Ce qu'il voyait était horrible. Les sangs purs étaient vraiment prêts à tout pour l'éliminer. Il fallait la retrouver au plus vite.
  — Tu sais où elle est ?
— Elle a parlé des Trekka.
— Les Trekka ? On est mal.
— Très mal. Cependant, il faut agir vite et monter un plan. On doit la sortir de cette taule.
— Tu crois que Brooke pourrait faire quelque chose ?
— Peut-être. Il faut lui en parler.
  Nicholas se releva et chancela sur ses pattes, encore affaibli par la vision qu'il avait eue. Il se sentait épuisé mais il devait tenir. Katlyn comptait sur lui. Ses pattes lâchèrent. Sans l'intervention d'Owen, il se serait effondré dans la neige.
  — Ça va aller ?
— Il va me falloir un peu de temps pour m'en remettre.
— Il faut que je rentre. Je ne peux pas laisser Sean tout seul.
— Je rentre aussi. Je dois me reposer et contacter Brooke.
— On y va.
  Lentement, les deux loups marchèrent en direction de leur QG. Ils s'installèrent dans l'appartement de Sean et le veillèrent dans son agonie qui les mettait mal à l'aise. Cependant, Sean était leur compagnon et jamais ils ne l'abandonneraient.
  ×
  Brooke marchait vite, très vite. Elle courait presque. Quand Nicholas l'avait textée pour lui dire qu'il savait où était Katlyn, elle avait lâché tout ce qu'elle faisait et s'était précipitée vers les quais. Elle se rendit à l'appartement de l'Alpha sans hésiter. La porte s'ouvrit avant même qu'elle n'ait frappé. Elle se retrouva face à Nobuo, un japonais qu'elle avait rencontré à Noël. Il la fit entrer dans l'appartement et referma la porte derrière elle. Nicholas était couché dans son lit, le regard terne et fatigué. Il lui adressa un faible sourire.
  — Vous avez une épidémie ?
— Non. J'ai juste laissé quelques plumes en cherchant Katlyn.
— Où est-elle ?
— Connais-tu les Trekka ?
— Je connais David Trekka. C'est mon petit-ami. Quel rapport avec Katlyn ?
  Un ange passa. Nicholas ne s'était pas attendu à une telle révélation. Si Brooke connaissait vraiment le fils Trekka, cela faciliterait peut-être la mission sauvetage. Il fallait tout de même rester prudent. On pouvait s'attendre à tout venant de cette famille.
  — Katlyn a parlé de lui quand j'ai réussi à la contacter.
— De David ?
— Elle a dit qu'il était derrière tout ça.
— Pardon ?!
— Je pense qu'ils la retiennent dans leur résidence.
— Attends, qu'est-ce que tu insinues là ?! s'emporta Brooke.
  Elle n'appréciait pas vraiment ce que Nicholas racontait. Elle n'appréciait pas vraiment les accusations qu'il portait à l'égard de David. Il ne le connaissait pas personnellement, ne l'avait sans doute jamais rencontré. Comment osait-il ?
  — Les Trekka sont issus d'une très ancienne lignée de loups garous de sang-pur. Le gène s'est transmis de génération en génération sans en sauter une seule. Ce sont les plus puissants. Ils détiennent un sacré pouvoir. Le père de David est l'Alpha de cette meute. C'est un psychopathe. Si tu voyais ce qu'il a fait de Katlyn, tu comprendrais de quoi je parle.
— Pourquoi tu voulais me voir ?
— La maison des Trekka se trouve sur le territoire des sangs purs. Aucun des membres de cette meute ne peut y mettre les pieds. On a besoin de ton aide pour savoir si Katlyn est bien là-bas.
— Tu veux que j'aille chez David et que je fouille sa maison pour trouver un indice ou une preuve qui nous dise où est Katlyn ?
— C'est à peu près ça.
— J'ai les clés de chez lui et la maison est toujours vide le mercredi après-midi. Ils ne rentreront pas avant vingt-et-une heures. Ça me laisse donc... Sept heures. C'est parfait.
— Brooke, si tu la trouves... Vas-y doucement avec elle et fais attention.
  Brooke quitta la pièce sur ces recommandations et rejoignit sa voiture, réfléchissant à ce Nicholas lui avait dit. Elle avait du mal à y croire. Pourtant, maintenant qu'elle y repensait, cela ne semblait pas si étrange que ça. Elle se remémora la rencontre de David avec Katlyn. Elle l'avait retrouvé maintenant fermement son amie. Il avait prétendu lui montrer une prise d'arts martiaux mais, à y repenser, Katlyn semblait terrifiée. Elle s'était enfermée dans la salle de bains et avait perdu son self-control. Elle avait laissé la panique l'envahir. Que lui avait-il fait ? Son regard était tellement froid, tellement sombre ce jour-là. Elle ne savait pas ce qui s'était passé mais quelque chose clochait. Elle roula jusqu'à la maison des Trekka, une bâtisse familiale et un peu extravagante, qui passait pour une bicoque à côté de celle dont Katlyn allait hériter. Brooke descendit de voiture et s'avança vers la maison. Elle frappa et attendit un peu, histoire de savoir s'il y avait du monde. Personne. Sortant ses clés, elle déverrouilla la porte. Ne trouvant personne, elle fouilla silencieusement la maison mais ne trouva rien. Ce ne fut qu'en quittant le bureau du père de David qu'elle s'aperçut que les meubles avaient bougé. Elle revint sur ses pas et poussa l'imposant fauteuil du bureau. Elle se mit à genoux et souleva le tapis. Elle découvrit une trappe. Curieuse, elle l'ouvrit et jeta un œil au vide qui s'ouvrait devant elle. Un gémissement lui parvint alors que la lumière s'allumait dans l'espèce de sous-sol qu'elle avait découvert. Inquiète, Brooke descendit l'escalier étroit et se retrouva bientôt dans une sorte de cave remplie d'armes en tout genre. Au fond de cette cave, il y avait une cage, une cage dans laquelle était enchainée Katlyn.
  — Oh, Seigneur !
  Horrifiée, Brooke s'approcha de la cage et enroula ses doigts tremblants autour des barreaux. Elle ne réalisait pas ce qu'elle voyait. Cela ne pouvait pas être vrai. C'était un cauchemar.
  — Laissez-moi...
— Katlyn ? Tu m’entends ?
— ...
— Je vais te sortir de là.
  Sur ces mots, elle fouilla toute la cave à la recherche d'un trousseau de clés particulier, un trousseau de clés qui lui permettrait d'ouvrir cette cage et qui délivrerait Katlyn de ses chaines. Il fallait qu'elle le trouve et vite ! Il n'y avait aucune clé dans cette prison. Elle remonta dans le bureau et continua de chercher. Elle força un tiroir du bureau et trouva des tas de vieux documents traitant d'une Élue. Elle ne s'attarda pas là-dessus. Elle trouva un trousseau et espéra que c'était les bonnes. Elle redescendit dans la cave et se précipita vers la cage.
  — ...
— C'est fini maintenant. Je vais te sauver. Il faut que tu tiennes le coup.
— ...
— Nicholas va t'aider. Il se démène pour toi.
  Plus tremblante que jamais, elle trifouilla les clés et finit par insérer la bonne clé dans la serrure. La porte se déverrouilla avec un déclic bruyant. Brooke la fit coulisser et entra dans la cage. Katlyn tenta de se débattre quand son amie posa la main sur ses entraves. Cette dernière essayait d'ignorer l'état de Katlyn. Elle essayait d'ignorer ses joues creuses et son teint cireux, son amaigrissement soudain et les os apparents sous cette peau crasseuse, les brûlures et l'impact d'une balle dans sa cuisse, le sang qui s'échappait de sa bouche, de son nez et de ses oreilles ainsi que celui qui recouvrait le sol. Il y avait beaucoup trop de sang. C'était humainement impossible d'en perdre autant. Cependant, Katlyn n'était pas humaine. Du moins, une partie d'elle n'était pas humaine. Respirant un bon coup, elle enleva les chaines qui retenaient son amie, manquant de vomir en voyant la peau se détacher, restant collée sur la chaine. Katlyn s'effondra dans son propre sang quand Brooke retira la dernière chaine. Elle toussa, recrachant une nouvelle flopée d'hémoglobine.
  — Tuez... Moi... articula-t-elle en s'étouffant dans son propre sang.
  Brooke la retourna pour qu'elle ne se noie pas dans son hémoglobine. Ensuite, elle sortit de la cage et observa les armes. La colère bouillait en elle. Elle ne lui pardonnerait jamais. Non, David n'aurait jamais son pardon pour ce qu'il avait fait à Katlyn. Elle lui ferait payer le prix fort. Elle décrocha deux pistolets chargés de balles en argent et les glissa dans sa ceinture. Elle retourna dans la cellule et aida son amie à se lever. Cela ne fut pas bien difficile, Katlyn étant devenue un poids plume.
  — Je sais que c'est difficile, Katlyn, mais il va falloir que tu fasses un effort. Je ne réussirais pas à te ramener à la voiture si tu ne m'aides pas.
  Katlyn vacilla. Ses jambes blessées lui faisaient terriblement mal. Elle ne pouvait pas marcher. Elle s'effondra sur le dos de Brooke, succombant à sa faiblesse. Cette dernière la hissa tant bien que mal sur son dos et remonta dans le bureau. Elle prit le soin de tout refermer et de s'assurer qu'il n'y avait personne dans les environs avant de sortir. Elle peinait à porter Katlyn. Elle réussit à atteindre sa voiture et laissa tomber le corps meurtri de son amie sur la banquette arrière. Mieux valait qu'elle ne se fasse pas contrôler sur la route. Le plus important était de sauver Katlyn.
    ×
  Nicholas se redressa vivement en sentant la présence de Katlyn sur son territoire. Le signal était faible, vraiment très faible mais Katlyn était là. En vie. Plus rien ne comptait pour l'instant. Il se leva et se précipita dehors en se fichant du fait qu'il fasse encore jour. C'était la deuxième fois qu'il sortait en plein jour. La première, ça n'avait pas duré très longtemps. Il n'avait rien vu. Il y avait donc bien longtemps qu'il n'avait pas vu le jour. Il ne l'avait plus revu depuis le jour où il avait été mordu. Il avait passé deux longues années enfermé dans ce terrier, ne sortant que sous son apparence lupine. Il n'était plus habitué à la lumière si bien qu'il se protégea les yeux en mettant les pieds dehors. Il n'y avait pas de soleil. Seulement un relent de neige qui s'ajoutait à la couche déjà importante du sol. Le ciel était gris et la lumière avait du mal à percer. Nicholas regarda les alentours et aperçut Brooke se débattre avec sa voiture qui glissait sur le verglas. Elle finit par se stabiliser et descendit de voiture. Le jeune homme remarqua qu'elle était couverte de sang. Celui de Katlyn.
  — Tu l'as trouvée ?
— J'ai fait mieux. Je l'ai ramenée, déclara Brooke en ouvrant la portière arrière.
  Nicholas s'approcha de la voiture et se pencha dans l'habitacle. Ce qu'il vit l'horrifia autant que Brooke mais il fit abstraction de ses émotions et prit délicatement la jeune femme blessée dans ses bras. Cette dernière n'avait pas repris connaissance mais elle sentit nettement la chaleur rassurante de son mentor s'infiltrer en elle.
  — On va la laver et l'installer dans l'appartement vide en face du mien. On va la sauver, peu importe le moyen.
  Sur ces mots, il se dirigea vers le QG et entra dans ledit appartement. Brooke le suivit après avoir récupéré sa boite de premiers secours. Cela pourrait peut-être être utile. Savait-on jamais ! Quand elle entra dans le souterrain, elle aperçut plusieurs loups qui espionnaient le seul appartement dont la porte était grande ouverte. A l'instar de Nicholas, ils avaient senti le retour de Katlyn. Ils avaient également senti l'odeur du sang et déduit que ce n'était pas bon signe. Une odeur de pourriture flottait dans l'air, plus forte encore que celle qui régnait depuis la veille. Brooke entra dans l'appartement et referma la porte derrière elle. Nicholas était déjà occupé dans la salle de bains. Il avait allongé Katlyn à même le sol tandis qu'il faisait couler de l'eau dans une baignoire qui avait connu des jours meilleurs.
  — Tu vas lui faire prendre un bain ?
— Non, tu vas le faire.
— Pourquoi ?
— Parce que ça lui fera du bien de ne plus être couverte de son propre sang.
— Non. Pourquoi tu ne le fais pas ?
— Elle tient à son intimité. Ce n'est pas aujourd'hui que je romprais cette règle qu'on a mise en place à son arrivée.
— Tu es un mec vraiment bien.
— Je te laisse. Je vous ramène des fringues. Profites-en pour te débarrasser du sang et de son odeur. Si on trouve le moindre indice sur toi, tu seras en danger.
  Il sortit de l'appartement et rejoignit tous ses loups réunis dans la salle de réunion, tous sauf Katlyn et Sean. Nicholas observa attentivement ses bêtas installés autour de la table attendant ses instructions. Il ne s'assit pas. Tous les loups ici présents réclamaient vengeance. Il était impossible de ne pas répliquer à cette attaque directe à l'encontre de la meute. Ils ne pourraient pas rester ici à ne rien faire.
  — C'est quoi le plan ?
— On fait quoi maintenant ?
— Selon la règle numéro vingt-quatre du code des loups garous, toute attaque perpétrée à l'encontre de l'un ou de plusieurs membres d'une autre meute sera punie devant un tribunal chargé de déterminer la sentence du ou des agresseur(s), sentence parfois capitale.
— Personne ne nous croira si on porte plainte contre eux. Tout le monde leur lèche les bottes dans cette meute.
— C'est exact mais nous n'allons pas agir comme eux.
— Qu'est-ce que tu comptes faire ?
— Je déclare l'état d'urgence de niveau un.
— De niveau un ?! Tu veux vraiment...
— Deux membres de cette meute sont en train d'agoniser en ce moment même. Tous deux ont été empoisonnés à l'aconit par David Trekka, fils de Luka Trekka, Alpha de la meute des sangs purs. L'un d'eux a été enlevé et quasiment mis à mort. Ils ont pénétré notre territoire, violé nos lois et attaqué nos frères. Nous devons nous protéger de cette meute. Je veux que chaque parcelle de ce territoire qui est nôtre soit passé au peigne fin chaque nuit. Si l'un d'eux ose se montrer, attaquez à vue.
  Les loups se concertèrent entre eux et finirent par accepter la décision de leur chef. Ils se dispersèrent. Owen fut le dernier à quitter la pièce.
  — Finalement, tu te révèles être un bon Alpha.
— Comment va Sean ?
— Son état est stationnaire mais nous sommes tous les deux conscients que ça ne durera pas.
— Katlyn recrache déjà du sang. Il se pourrait qu'elle lâche avant lui.
— Je n'ai pas l'intention de les laisser mourir.
— Qu'as-tu en tête ?
— Apparemment, le jeune Derek aurait eu vent d'un antidote.
— La légende veut qu'il n'y en ait pas.
— Les légendes ne sont pas toutes vraies.
— Aussi, oui.
— Nous cherchons encore de quoi il s'agit. Garde un œil sur Katlyn et empêche-la de nous faire faux bond.
— J'y veillerais.
  Owen quitta la pièce et rejoignit le chevet de son élève. Nicholas resta un instant en silence à regarder l'endroit où il s'était tenu puis il quitta la pièce et gagna son appartement. Il fouilla - non sans réticence - dans les affaires de Katlyn et emporta quelques vêtements pour les deux jeunes femmes. Il déposa la pile devant la porte et fit le lit. Katlyn resterait ici le temps de sa convalescence. C'était la procédure de quarantaine qui, bien qu'inutile, devait être appliquée. Brooke ramassa la pile de linge et referma la porte. Elle resta enfermée un long moment dans la salle de bains. Nicholas attendit patiemment. Quand la porte se rouvrit, il se leva et porta Katlyn jusqu'au lit où il l'allongea délicatement. Brooke sortit à sa suite.
  — Maintenant que je sais la vérité sur ce qui sera mon ex-petit-ami et sa famille, je peux savoir ce qui se passe ?
— Katlyn possède un statut important dans la communauté des loups garous. Les sangs purs ne l'acceptent pas.
— Quel statut ?
— Elle est l'Élue de la prophétie. Elle ne voulait pas te le dire pour ne pas que tu t'inquiètes pour elle. Les sangs-purs ne veulent pas que cette prophétie se réalise alors ils font tout pour tuer la principale intéressée.
— Katlyn, une Élue ? Tu te fous de ma gueule ? C'est la fille la plus banale que je connaisse. Enfin, c'était.
— Toutes les légendes étaient des personnes banales avant. Personne n'est encore sûr que ce soit Katlyn mais les sangs-purs en sont persuadés.
— C'est pour ça qu'elle a été enlevée ?
— Je pense que oui.
  Katlyn toussa. Un gargouillis étrange et inquiétant s'échappa de sa gorge. Nicholas se hâta de la redresser tandis que Brooke lui tendait une petite bassine en plastique pour qu'elle recrache le sang qui lui obstruait la gorge et qui l'empêchait de respirer correctement. La jeune femme ouvrit les yeux, fiévreuse. Elle ne se sentit rassurée que lorsqu'elle vit le visage de ses deux amis. Nicholas la rallongea doucement. Brooke lui nettoya le contour de la bouche avec un mouchoir.
  — Tu... M'as trouvée... dit Katlyn à l'intention de Nicholas.
— Non, c'est Brooke qui t'a trouvée. Elle t'a ramenée à la maison.
— Je n'aurais jamais su où elle était si tu ne me l'avais pas dit.
  Brooke écoutait la conversation du mentor et de son élève. Elle était inquiète. Katlyn était en piteux état et ça n'allait pas en s'arrangeant. Ces crachats de sang étaient le signe même que son état se dégradait. Le foie était touché.
  — Désolée... Pour David...
— Ne t'en fais pas. Je lui plomberais le cul avec des balles en argent pour toi quand je le croiserais. Je me suis servie dans sa propre réserve.
— Tu as plutôt intérêt à ne pas te faire prendre avec ça. Évite de blesser l'un d'entre nous.
— C'est déjà fait et je n'y suis pour rien, répondit Brooke.
  Elle posa une compresse imbibée d'eau froide sur le font de son amie afin de faire baisser la fièvre. Ensuite, elle s'attaqua à son pantalon qu'elle descendit jusqu'aux genoux afin d'examiner la blessure à la cuisse. Nicholas tourna la tête en la voyant faire.
  — Qu'est-ce que c’est ?
— On lui a tiré dessus. D'après les cautérisations des contours de la plaie, je pense que c'est de l'argent. Ça explique qu'elle n'ait pas cicatrisé. L'autre jambe est cassée. Le coude aussi.
— Les os ne se ressouderont pas tant que la balle en argent sera dans son corps. Il va falloir que tu l'enlèves.
— Sans instruments ?
— Ils sont en argent.
— Plutôt en inox mais on en a pas de toute façon. On va devoir faire sans. Tiens-la fermement, très fermement.
  Nicholas s'exécuta tandis que Brooke enfilait une paire de gants en latex. Katlyn appréhendait ce qu'on allait lui faire. Son mentor posa fermement son avant-bras sur ses épaules et l'autre sur son bassin. La jeune femme hurla quand Brooke plongea les doigts dans la blessure pour récupérer la balle. Elle tenta de se débattre mais Nicholas la maintenait couchée en y mettant tout son poids. Bouger ses jambes lui était impossible tant elle avait mal. Elle se débattait contre son Alpha en hurlant, indifférente au fait que ses amis faisaient ça pour l'aider. Brooke finit par extraire la balle de son corps. Katlyn pleurait. Elle était épuisée et la douleur la rongeait de l'intérieur. Elle n'en pouvait plus.
  — On l'a enlevée, Katlyn. On a enlevé cette foutue balle. Ça va aller maintenant.
  Cependant, Nicholas ne croyait pas en ses propres paroles. Il savait que Katlyn le sentait. Brooke avait enlevé la balle mais l'aconit était toujours présent dans son organisme. Il n'y avait, à ce jour, aucun antidote connu contre ce poison. Les sangs-purs auraient ce qu'ils voulaient finalement. Katlyn allait mourir. Nicholas commençait à perdre son sang-froid. Cette fois, Katlyn ne fut pas la seule à le sentir. Brooke, qui posait un pansement provisoire sur la cuisse de son amie, constata également ce début de perte de contrôle. Le mentor lâcha son élève et recula. Brooke le rejoignit.
  — C'est quoi le problème ?
— Elle a été empoisonnée.
— Ce qui explique le sang qu'elle recrache.
— Ce poison est très connu dans notre communauté. Se retrouver en contact avec lui, c'est comme avaler de l'acide.
— Ce qui veut dire ?
— D'abord, ça te brûle tout l'intérieur du corps. Ensuite, ça le décompose.
— Attends...
— Elle est en train de pourrir de l'intérieur et nous ne pouvons rien faire. L'aconit n'a pas d'antidote.
  Brooke ne répondit pas. Elle avait déjà fait son propre diagnostic. Si le poison atteignait les poumons et le cœur, c'était fichu. Il était proche, dangereusement proche. Le médecin en devenir était sous le choc. Les paroles de Nicholas étaient désespérantes. Cela signifiait que Katlyn allait mourir ? Non, Brooke ne le concevait pas. Elle ne le permettrait pas. Il y avait forcément une solution.
  — ...
— J'ai lamentablement échoué à protéger les miens. Deux membres de la meute vont mourir par ma faute. Est-il possible de se sentir aussi minable ?
  Il observait le corps tremblant et en sueur de son élève. Elle avait entendu toute la conversation à n'en point douter mais elle ne semblait pas affectée par sa future mort. Au contraire, elle souriait dans le vide et marmonnait des choses incompréhensibles à l'adresse d'une personne qu'elle était seule à voir. Son mentor et son amie se concertèrent du regard en comprenant un mot lâché par Katlyn. Elle communiquait avec un mort.
  — Maman...
×××
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PART VII || PART VIII || PART IX || PART X || PART XI || PART XII
EPILOGUE
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🏥Jeudi 30 mai 2019:🏥 Cette nuit fut difficile, je ne fessais que pleurer car je sais que je n’ai rien à faire dans ce service et je souffre toujours autant d’être incomprise et maladie à l’estomac sous-estimé.. Aujourd’hui, hier et les jours d’avant, je n’ai fais que vomir mais juste le soir, par contre je fais bien attention à vomir dans le l’évier et non les toilettes pour que les soignants ne le sachent pas car si ils venaient à l’apprendre alors je serais « punis » (en rattrapage) une semaine de plus et donc pas de visites.. Aujourd’hui j’étais en extrêmement mal physiquement, j’ai faillit m’évanouir. J’avais de très fortes palpitations, des sueurs froides, je voyais tout blanc, mes muscles devenaient moles et j’avais l’impression qu’à tout moment j’allais m’écrouler au sol.. Je l’ai dit à une infirmière qui m’a prise la tension et dit d’aller me reposer. Mais dans l’après-midi ça recommençait et j’avais une forte envie de vomir alors je suis allée le dire aux infirmières et là elles s’en foutaient complètement, elles m’ont dit que je les dérangeaient et que je leurs coupaient l’appétit car elles étaient en train de manger.. D’habitude quand ça va mal je ne vais jamais voir les soignants car je sais qu’ils ne feront rien pour moi et s’en foutent mais là j’ai essayée et résultats ils s’en foutaient vraiment et après les psychiatres me reprochent le fait que je ne viens pas voir l’équipe soignante.. Dans ce service chaque patients à deux infirmièr(e)s référent, c’est à dire qu’ils s’occupent spécialement de nous (entretiens..) du coup mon infirmière est venue me parler et je lui ai fait part d’à qu’elle point je n’avais rien à faire là et que j’en pouvais plus d’être incomprise dans ma maladie. Mais tout ce que j’en ai conclus c’est qu’ils pensent que je mange trop et que par conséquent j’ai un problème avec la nourriture juste car ils sont étonnés qu’en vomissant autant je suis arrivée à un poids normal. Pourtant c’est la première fois que je rentre en hospitalisation avec un poids convenable car à toutes les autres j’étais toujours en maigreur (à peine 40kg). Mais le truc avec moi c’est que mon poids c’est les montagnes russes, un mois je peux faire 40kg et le mois d’après 46. Mais j’ai compris que même si je n’avais plus ce problème de vomissements, j’ai toujours ma dépression et tout ce mal-être et y’a que ici qu’on pourra m’aider pour ça, donc je dois rester sinon je serai de nouveau seul sans aucun espoirs de m’en sortir un jour.. Ah et ce soir à la télévision il y’a eu un reportable qui montraient le service où je suis actuellement. D’ailleurs il y’a eus plusieurs reportages ici.
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