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yourfredericstuff · 4 years
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Rencontrer son Ă©diteur
“ Ça commence un jour de neige, rue de Fleurus Ă  Paris, le 9 janvier 1979. J’ai Ă©crit un roman, c’est le premier, je ne sais pas que c’est le premier, je ne sais pas si j’en Ă©crirai d’autres. Tout ce que je sais, c’est que j’en ai Ă©crit un et que si je pouvais trouver un Ă©diteur, ce serait bien. Si cet Ă©diteur pouvait ĂȘtre JĂ©rĂŽme Lindon, ce serait bien sĂ»r encore mieux mais ne rĂȘvons pas. Maison trop sĂ©rieuse, trop austĂšre et rigoureuse, essence de la vertu littĂ©raire, trop bien pour moi, mĂȘme pas la peine d’essayer. J’envoie donc mon manuscrit par la poste Ă  quelques Ă©diteurs qui, tous, le refusent. Mais je continue, j’insiste et, au point oĂč j’en suis, dĂ©tenteur d’une collection presque exhaustive de lettres de refus, je me suis risquĂ© la veille Ă  dĂ©poser un exemplaire de mon manuscrit au secrĂ©tariat des Éditions de Minuit, rue Bernard-Palissy, sans la moindre illusion, juste pour complĂ©ter ma collection. Et comme je suis sans illusions, je continue d’inonder d’exemplaires les quelques Ă©diteurs, de moins en moins nombreux, Ă  qui je n’ai pas encore soumis la chose.
Un jour de neige, donc, en milieu d’aprĂšs-midi. Je viens de dĂ©poser un nouvel exemplaire – j’en ai fait photocopier une vingtaine, ça m’a coĂ»tĂ© pas mal d’argent, il faut dire que je suis fauchĂ© Ă  cette Ă©poque – au siĂšge d’une maison d’édition plus ou moins disparue Ă  ce jour, et dont le principal intĂ©rĂȘt consiste Ă  rĂ©sider, rue de Fleurus, dans une maison qu’a occupĂ©e Gertrude Stein. J’en sors, je longe la rue de Fleurus vers le jardin du Luxembourg et je vois arriver Madeleine qui me dit que JĂ©rĂŽme Lindon a tĂ©lĂ©phonĂ© Ă  la maison en fin de matinĂ©e, que mon manuscrit paraĂźt l’intĂ©resser, qu’il souhaite que je l’appelle dĂšs que possible. Il est quatre heures de l’aprĂšs-midi. ”
Jean Échenoz, JĂ©rĂŽme Lindon, Paris, Les Éditions de Minuit, 2013, premiĂšres pages.
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yourfredericstuff · 4 years
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yourfredericstuff · 4 years
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petit gif sympa
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Streamside Wildflowers, Yellowstone National Park, Wyoming: © riverwindphotography, August 2020
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yourfredericstuff · 4 years
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Porter la vie
    “ Elle ouvre les yeux et pendant quelques instants, plusieurs secondes, une Ă©ternitĂ© silencieuse, il n’y a rien de changĂ© en elle, ni dans la cuisine autour d’elle ; d’ailleurs, ce n’est plus une cuisine, c’est un mĂ©lange d’ombres et de reflets pĂąles, sans consistance ni signification. Les limbes, peut-ĂȘtre ?
   Y a-t-il eu un instant prĂ©cis oĂč les paupiĂšres de la dormeuse se sont Ă©cartĂ©es ? Ou bien les prunelles sont-elles restĂ©es braquĂ©es sur le vide comme l’objectif dont un photographe a oubliĂ© de rabattre le volet de velours noir ?
   Dehors, quelque part – c’est simplement dans la rue LĂ©opold – une vie Ă©trange coule, sombre parce que la nuit est tombĂ©e, bruyante, pressĂ©e parce qu’il est cinq heures de l’aprĂšs-midi, mouillĂ©e, visqueuse parce qu’il pleut depuis plusieurs jours ; et les globes blĂȘmes des lampes Ă  arc clignotent devant les mannequins des magasins de confection, les trams passent en arrachant des Ă©tincelles bleues, aigĂŒes comme des Ă©clairs, du bout de leur trolley.
   Élise, les yeux ouverts, est encore loin, nulle part ; seules ces lumiĂšres fantastiques du dehors pĂ©nĂštrent par la fenĂȘtre et traversent les rideaux de guipure Ă  fleurs blanches dont elles projettent les arabesques sur les murs et sur les objets.
   Le ronron familier du poĂȘle est le premier Ă  renaĂźtre, et le petit disque rougeĂątre de l’ouverture par laquelle on voit parfois tomber de fins charbons en feu ; l’eau se met Ă  chanter, dans la bouilloire d’émail blanc qui a reçu un coup prĂšs du bec ; le rĂ©veil, sur la cheminĂ©e noire, reprend son tic-tac.
   Alors seulement Élise sent un sourd travail dans son ventre et elle se voit elle-mĂȘme, elle sait qu’elle s’est endormie, mal d’aplomb sur une chaise, devant le poĂȘle, avec encore Ă  la main le torchon Ă  vaisselle. Elle sait oĂč elle est, au deuxiĂšme Ă©tage de chez Cession au beau milieu d’une ville en pleine activitĂ©, non loin du pont des Arches qui sĂ©pare la ville des faubourgs, et elle a peur, elle se lĂšve, tremblante, la respiration coupĂ©e, puis pour se rassurer par des gestes quotidiens, elle met du charbon sur le feu.
   – Mon Dieu
 dit-elle du bout des lùvres.
   DĂ©sirĂ© est loin, Ă  l’autre extrĂ©mitĂ© de la ville, dans son bureau de la rue des Guillemins, et elle va peut-ĂȘtre accoucher, toute seule, pendant que des centaines, des milliers de passants continueront Ă  entrechoquer des parapluies au-dessus des trottoirs luisants. ”
Georges SIMENON, Ă©crivain belge, Pedigree, premiĂšres lignes.
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yourfredericstuff · 4 years
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Garder sa qualitĂ© d’homme     
     “ Mon cher Marc,
    Je suis descendu ce matin chez mon mĂ©decin HermogĂšne, qui vient de rentrer Ă  la villa aprĂšs un assez long voyage en Asie. L’examen devait se faire Ă  jeun : nous avions pris rendez-vous pour les premiĂšres heures de la matinĂ©e. Je me suis couchĂ© sur un lit aprĂšs m’ĂȘtre dĂ©pouillĂ© de mon manteau et de ma tunique. Je t’épargne des dĂ©tails qui te seraient aussi dĂ©sagrĂ©ables qu’à moi-mĂȘme, et la description du corps d’un homme qui avance en Ăąge et s’apprĂȘte Ă  mourir d’une hydropisie du cƓur. Disons seulement que j’ai toussĂ©, respirĂ©, et retenu mon souffle selon les indications d’HermogĂšne, alarmĂ© malgrĂ© lui par les progrĂšs rapides du mal, et prĂȘt Ă  en rejeter le blĂąme sur le jeune Iollas qui m’a soignĂ© en son absence. Il est difficile de rester empereur en prĂ©sence d’un mĂ©decin, et difficile aussi de garder sa qualitĂ© d’homme. L’Ɠil du praticien ne voyait en moi qu’un monceau d’humeurs, triste amalgame de lymphe et de sang. Ce matin, l’idĂ©e m’est venue pour la premiĂšre fois que mon corps, ce fidĂšle compagnon, cet ami plus sĂ»r, mieux connu de moi que mon Ăąme, n’est qu’un monstre sournois qui finira par dĂ©vorer son maĂźtre. Paix
 J’aime mon corps, il m’a bien servi, et de toutes les façons, et je ne lui marchande pas les soins nĂ©cessaires. Mais je ne compte plus, comme HermogĂšne prĂ©tend encore le faire, sur les vertus merveilleuses des plantes, le dosage exact de sels minĂ©raux qu’il est allĂ© chercher en Orient. Cet homme pourtant si fin m’a dĂ©bitĂ© de vagues formules de rĂ©confort, trop banales pour tromper personne ; il sait combien je hais ce genre d’imposture, mais on n’a pas impunĂ©ment exercĂ© la mĂ©decine pendant plus de trente ans. Je pardonne Ă  ce bon serviteur cette tentative pour me cacher ma mort. HermogĂšne est savant ; il est mĂȘme sage ; sa probitĂ© est bien supĂ©rieure Ă  celle d’un vulgaire mĂ©decin de cour. J’aurai pour lot d’ĂȘtre le plus soignĂ© des malades. Mais nul ne peut dĂ©passer les limites prescrites ; mes jambes enflĂ©es ne me soutiennent plus pendant les longues cĂ©rĂ©monies romaines ; je suffoque ; et j’ai soixante ans. ”
Marguerite Yourcenar, MÉMOIRES D’HADRIEN. Premiùres pages.
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yourfredericstuff · 4 years
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Le comitĂ© s’étant rĂ©uni, nous avons dĂ©cidĂ©, ce matin, d’élire comme PrĂ©sidente d’Honneur du Coin des littĂ©raires l’immense Catherine Deneuve.
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yourfredericstuff · 4 years
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La perspective du temps
“ Nicolas Grimaldi est l’un des plus grands philosophes contemporains. ” Ce n’est pas moi qui l’écrit (depuis bientĂŽt trente ans que j’ai eu la chance de travailler sous son enseignement), c’est Pocket, Ă  la premiĂšre page de son dernier essai. Les Songes de la raison, qui viennent de paraĂźtre dans la collection Agora, dirigĂ©e par BenoĂźt Heilbrunn, sont un rĂ©gal de l’esprit. 
Plus la vie de Nicolas Grimaldi s’accomplit, plus sa libertĂ© croĂźt. Il soulĂšve Ă  prĂ©sent des questions auxquelles personne n’avait pensĂ©, qui deviennent soudain d’une urgence premiĂšre
 Mais lisons plutĂŽt un extrait — juste un Ă©chantillon de cette pensĂ©e rationnelle et crĂ©ative, profondĂ©ment vivante :
“ Comme tant de philosophes aprĂšs Aristote nous l’ont donc rappelĂ©, toutes les expressions, toutes les figures, toutes les manifestations de la vie sont autant de tendances. Par ailleurs, comme l’atteste la rĂ©flexivitĂ© de toute sensation, le seul fait de sentir nous fait sentir qu’on sent. Pas plus qu’on ne peut donc sentir sans avoir conscience de sentir, pas plus n’y a-t-il de vertĂ©brĂ© qui vive sans avoir conscience de vivre. S’il est vrai que la vie se rĂ©flĂ©chit en conscience, autant doit-il alors ĂȘtre vrai que la tendance (inhĂ©rente Ă  toute vie) se rĂ©flĂ©chit en attente (inhĂ©rente Ă  toute conscience). Il ne pourrait donc y avoir pour toute conscience d’expĂ©rience plus originaire que celle de cette attente qui la met Ă  distance de toute chose prĂ©sente, et qui ouvre Ă  tout ce qu’elle se reprĂ©sente la perspective du temps. ”
Les Songes de la raison, p. 18.
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yourfredericstuff · 4 years
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Tu es en vrai ?
    “ – Madame Colette, mon amie vous a reconnue
 Nous voyons que vous avez bonne mine, et nous en sommes trĂšs heureuses. Voudriez-vous signer pour nous sur ce carnet ? – Mais bien sĂ»r, avec plaisir
 Merci
 C’est vous qui avez bonne mine, Mesdames ! Vous n’avez pas trop souffert de l’hiver ? 
    – Madame Colette, nous vous avons aperçue alors que vous regardiez la vitrine du nouveau couturier. Ma sƓur s’est permis d’acheter ce foulard, parce que nous savons que vous craignez beaucoup le froid
 – Mais c’est trop d’attention, jeune homme, et de dĂ©pense ! Veux-tu nouer le foulard autour de mon cou ? Comme tu as bien choisi, fillette ! Je ne le quitterai plus !
    Un chien, deux chiens
 un chat, deux, trois, quatre chats
 Eux-aussi sont neufs
 Et les enfants
 Je m’assieds pour les observer, mais ce sont eux qui viennent me voir

    – Madame, Madame ! Madame la bisaïeule, trisaïeule, tri-arriùre-grand-mùre !
    – Voilà
 Bonjour !
    – Tu es en vrai ? 
    – Tu as l’air d’ĂȘtre en papier

    – En cĂ©ramique !
    – En cuir !
    – Touche, pour voir.
    – Ta peau c’est comme du papier

    – Doucement

    – Tes habits, c’est en soie ? Tu as des gros doigts de pieds !
    – Tu es belle, petite.
    – Tu ne sens rien du tout
 Reniflez les gars, elle ne sent vraiment rien ! 
    – Quels beaux yeux

    – Tu es grosse, grosse
 plus grosse que la tata à Fifi !
    – C’est gentil

    AprĂšs cette adorable rencontre, je me suis mise Ă  maigrir. ConsidĂ©rablement. Et Ă  dormir aussi, comme une marmotte. Je l’interprĂšte ainsi : les enfants ont tout pris. Donc : c’est parfait
 ” 
Je t’aime, Colette © FrĂ©dĂ©ric Le Roux, 2020
eau-forte de Dunoyer de Segonzac
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yourfredericstuff · 4 years
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     Tu es l’amour
    Un bref extrait, court et intense, comme son objet, de JE T’AIME, COLETTE

    « – Tu es l’amour, tu es mon amour.
    Maurice n’a jamais Ă©tĂ© plus sincĂšre de toute sa vie, sur cette terrasse qui plonge dans les vignes avant d’atteindre la mer. Encore lui faut-il passer quelques mas, un rideau de pins parasol et autres symboles provençaux tels le cyprĂšs et le chĂȘne-liĂšge. Au-delĂ , Ă  l’horizon, elle rejoint l’extrĂ©mitĂ© du massif des Maures, violette dans l’azur poudrĂ© de la baie

    Colette lui fit Ă©craser sa cigarette et berça sa tĂȘte sur son Ă©paule. Mais le garçon Ă©tait d’un autre bois. Elle aussi. Il n’eut aucun mal Ă  trousser sa belle, qui ne portait qu’une ample robe trĂšs simple, en cotonnade. Animalement, c’est-Ă -dire, sans discours, les deux amoureux font des allers et retours au septiĂšme ciel. L’odeur de la rĂ©sine de pin et des rosiers, la brĂ»lure du soleil Ă  travers le store donnent Ă  ces minutes un goĂ»t d’Éden.
    C’est un des moments fugitifs du bonheur dans la vie. Mais un bonheur qui se sera rĂ©pĂ©tĂ© presque dix ans, n’est-ce pas dĂ©jĂ  beaucoup ? »
© Frédéric Le Roux, 2020.
photo : Colette et Maurice dans les années 1920, sur la terrasse de La treille muscate, à Saint-Tropez.
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yourfredericstuff · 4 years
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SACHA. Un Ă©tui Ă  cigarettes en or
MON PÈRE A LES CHEVEUX LONGS, COMME MOI
 Extrait
Narrateur : Andy
« C’est quelque chose de trĂšs personnel, ce n’est peut-ĂȘtre que ma sensibilitĂ©, parce qu’il y avait objectivement beaucoup de duretĂ© Ă  Berlin, il y a toujours des Ă©lĂ©ments violents lĂ -bas. Mais enfin, chez moi, cela se transformait en douceur, en tendresse. Un sentiment fait de mĂ©lancolie, de sensualitĂ©, d’observation des gens, qui Ă©tait trĂšs proche de l’idĂ©e que je me fais du bonheur
 La douceur d’un aprĂšs-midi Ă  ne rien faire, dans ces beaux cafĂ©s rococo un peu dĂ©serts oĂč les rĂȘveurs dans mon genre planent, avec quelques verres de Pils ou de Sauvignon

Love is pure gold and time a thief
 Toutes les chanteuses noires modulent le standard de Kurt Weill, et je les aime toutes, parce que je m’en fous. Je m’en fous, que le temps soit un voleur
 Je suis amoureux
 et je sais que cet amour durera, par-delĂ  la sĂ©paration et les annĂ©es, mĂȘlant sa couleur aux saisons futures, mais pas encore ! Sacha sera lĂ , et bien lĂ , tout Ă  l’heure, j’ai tout le temps. Il sortira son Ă©tui Ă  cigarettes en or, son unique possession de luxe
 AprĂšs m’en avoir offert une, que je dĂ©clinerai, il le rangera dans la poche intĂ©rieure de son caban, contre sa poitrine, sur son cƓur. Je penserai que je suis une de ses cigarettes, prisonniĂšre de son cƓur d’or
 Quand il enlĂšvera son manteau, il gardera l’étui au mĂȘme endroit, dans la poche-poitrine de sa chemise de cuir, et l’étui dessinera un carrĂ© supplĂ©mentaire, noir dans le carrĂ© noir de ses pectoraux. Je ne vais pas en faire une chanson
 J’ai dĂ©jĂ  la structure mĂ©lodique, bien sĂ»r, Kurt Weill
 Je ne vais pas faire chanter Ă  Ian qu’il est une cigarette dans un Ă©tui, prĂȘte Ă  ĂȘtre grillĂ©e ! Non, ça va ĂȘtre un petit swing trĂšs lĂ©ger, trĂšs joli

A cigarette out of a golden case
Your sensual mouth I want to caress
When I hear that Kurt Weill song
You sing in low tones
Your heart’s pure gold and I’m a thief *
J’ai rencontrĂ© Sacha au Kants, alors qu’il Ă©tait de service au bar central, celui qui forme un carrĂ© au milieu de l’espace relax, lĂ  oĂč l’on reste pour discuter avec ses potes et se regarder les uns les autres. Une ou deux centaines de mecs, presque tous en cuir exclusivement, avec cette attention Ă  la rĂ©ussite du look qui ne demande pas forcĂ©ment des investissements faramineux, mais un minimum, et une vraie passion pour ce fĂ©tiche. Ce qui fait que, pour chacun de nous lĂ -bas, il se dĂ©gageait une excitation dĂ©licieuse du seul fait d’ĂȘtre rĂ©unis en nombre. Comme beaucoup d’autres clients, j’aimais particuliĂšrement la tranquillitĂ© avec laquelle on restait lĂ  Ă  se rincer l’Ɠil, Ă  boire son verre, Ă  Ă©changer les nouvelles au milieu de ce climat ultra hot.
À l’étage infĂ©rieur, il y avait du sexe. LĂ , on changeait de planĂšte, on entrait dans la quatriĂšme dimension, Ă  cause de l’obscuritĂ© qui rend attentif aux odeurs, cuir, fond de cave, odeur naturelle des hommes
 Leur prĂ©sence, ce sentiment gĂ©nial de proximitĂ©, de nuditĂ© qui suffisait souvent Ă  me rendre heureux, mĂȘme sans participer. L’endroit Ă©tait trĂšs spacieux. Une longue rangĂ©e de slings (sorte de relax suspendus, faits d’un soutien en cuir Ă©pais, d’étriers pour les pieds, et destinĂ©s Ă  offrir son cul
) ; une autre rangĂ©e de cabines ; de larges banquettes le long des murs. DĂ©cor trĂšs nu, murs en bĂ©ton et skaĂŻ noir sur les banquettes. Les couples se formaient, les â€œĂ©quipes”
 Sans ĂȘtre toujours trĂšs beaux, les mecs Ă©taient sublimĂ©s par les vĂȘtements, les accessoires qu’ils portaient. Chaque scĂšne Ă©rotique avait les qualitĂ©s d’un tableau, les actes accomplis Ă©tant souvent trĂšs prĂ©cis, avec un cĂŽtĂ© hiĂ©ratique imposĂ© par la dĂ©licatesse de certaines postures. Jamais d’agressivitĂ© dans les contacts, c’est trĂšs allemand ça. Si je devais entrer dans le tableau, cela se faisait naturellement, au feeling. Il n’y avait pas d’insistance dans la drague, ce qui Ă©tait trĂšs neuf et trĂšs apaisant pour moi, obsessionnel du cul que j’étais, parmi ces gars qui me plaisaient tous tellement et qui m’apprenaient qu’on peut vivre sa fantaisie sexuelle sans en ĂȘtre dĂ©vorĂ©, du simple fait de l’assumer, de la pratiquer librement, dans un cadre appropriĂ©, avec des rĂšgles. J’ai appris cela d’eux, mais pas tout de suite. Au dĂ©but je faisais des bonds, je courais le samedi soir, Ă  onze heures, pour rejoindre la file des demi-dieux qui attendaient l’ouverture des portes, menottes et matraque Ă  la ceinture, fesses moulĂ©es et bombĂ©es, luisantes, exhibĂ©es et vivantes, bustes d’empereurs romains sous l’armure de leur cuir !
Et donc, il y a eu Sacha dans ma vie
 qui rĂ©unissait la passion sexuelle et
 l’amour, n’est-ce pas ? Cette merveille intĂ©grale de la vie
 qui est aussi une belle merde quand la vie commence Ă  dĂ©conner par ailleurs, et qu’on n’est pas forcĂ©ment Ă  la hauteur. Mais nous avons Ă©tĂ© trĂšs heureux. J’ai Ă©tĂ© trĂšs heureux, et lui, c’était un gamin, dix-neuf ans, il Ă©tait heureux d’ĂȘtre jeune. Il avait un tempĂ©rament trĂšs positif, trĂšs patient, trĂšs calme. Un petit garçon courageux et aimant, sous les apparences d’un guerrier, d’un hĂ©ros de cinĂ©ma heroic fantasy. J’ai pris bien soin de lui, quand mĂȘme.
La merde a commencĂ© quand il est tombĂ© malade. Il y a eu cette pĂ©riode atroce, entiĂšrement captĂ©e par la mort. J’ai vu les gens tomber comme des mouches. J’enterrais un copain mort du sida, et en rentrant du cimetiĂšre, un message de ma mĂšre sur le rĂ©pondeur m’annonçait que ma marraine, que j’aimais tendrement, Ă©tait condamnĂ©e. Cancer du foie, aucun espoir. Elle est partie en deux semaines. Quelques jours aprĂšs, c’était une choriste qui avait tournĂ© avec nous deux ans plus tĂŽt, jeune maman qui quittait la piste aprĂšs dix-huit mois d’angoisse, de lutte, d’espoir
 d’abandon, Ă  la fin. LeucĂ©mie. On a perdu GĂ©gĂ©, d’une overdose, Ă  Londres. Mon GĂ©gé  Et ce connard de Ian qui est tombĂ© dedans aprĂšs ça, je ne comprendrai jamais.
La mort frappait vraiment Ă  la porte plusieurs fois par semaine. Je n’en pouvais plus de la mort, j’en Ă©tais plus que lessivĂ©. C’était devenu le dĂ©cor, une banalitĂ© de la douleur et du dĂ©sespoir. C’est Ă  cette Ă©poque que j’ai cessĂ© de supporter les donneurs de leçons. Je ne me suis jamais senti aussi punk que durant cette pĂ©riode. Pas parce que j’étais hĂ©rissĂ© au niveau de la coiffure. Punk
 ce que j’entends par ce mot ? Le punk, c’est la taie brune dans l’Ɠil bleu de Ian, celui qui a Ă©tĂ© amochĂ© dans une bagarre, unique dĂ©faut dans ce visage parfait. C’est ce qui ne sera jamais en ordre. C’est avoir rĂ©alisĂ© tous ses dĂ©sirs et souffrir encore de tellement manquer. Souffrir de l’ĂȘtre que nous aimons et qui n’est pas lĂ , de l’ĂȘtre qui est lĂ  mais qui ne vient pas dans nos bras
 C’est ce par quoi notre vie fuit toujours par l’un ou l’autre cĂŽté  »
-------------------
* Une cigarette sortie d’un Ă©tui d’or
Ta bouche sensuelle que je veux embrasser
Quand j’entends cette chanson de Kurt Weill
Que tu chantes tout doucement
Ton cƓur est d’or pur et je suis un voleur
© Frédéric Le Roux, 2020.
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yourfredericstuff · 4 years
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Petit Biscuit - I Leave Again (Instrumental)
Le dernier Petit Biscuit (6 aoĂ»t 2020). Toujours aussi rĂ©confortant et optimiste ! Que j’aime cette gĂ©nĂ©ration, quand elle a cet esprit-là

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yourfredericstuff · 4 years
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LE FAN
MON PÈRE A LES CHEVEUX LONGS, COMME MOI
 (roman, extrait)
Une des scĂšnes qui me rend le plus heureux, Ă  cause de cette absurditĂ© des prĂ©noms, de la place centrale du gamin
 De la note d’espoir que je place, prĂ©cisĂ©ment, dans la nouvelle gĂ©nĂ©ration

« Séance de dédicaces à World Of Music, sur Augsburger Strasse.
IAN — Bonjour, tu t’appelles comment ?
AUDOUIN — Audouin.
— Pardon, tu dis ? Baudouin ?
— Non, Audouin
 comme le roi des Elges

— Tu es un rigolo, toi !
— Quand on porte un prĂ©nom comme le mien, on n’a pas trop le choix vous savez ! Mes parents sont pourtant des gens normaux
 mais je sais pas Ă  quoi ils ont pensĂ© quand je suis arrivĂ©. Ah, sur celui-lĂ  vous pouvez mettre Pour Cythise ? Ma sƓur. Oui, je sais, elle a un nom d’arbuste
 Avec un y en premier et ensuite un i
 Je pensais pas que vous parliez le français

— C, y
 Et oĂč donne-t-on aux enfants d’aussi jolis prĂ©noms ?
— On est de Liùge, je suis venu avec mon collùge. Ils font Checkpoint Charlie là, je vais pas traüner. Mais je voulais vous demander
 On se demandait
 Comment vous fabriquez vos chansons ? Par exemple Zero absolu, c’est un truc de ouf, ça fout les jetons l’ambiance ! On peut pas le passer sur la chaüne à la maison parce que notre petit frùre se met tout de suite à pleurer, et le chien grogne et montre les dents

— Il s’appelle comment, le petit frùre ?
— Oh, vous moquez pas ! Glorian

— Je ne me moque pas
 pas du tout.
— Non, c’est vrai, les espĂšces de gratouillis bizarres sur l’intro de Zero abs, qu’est-ce que c’est les instruments utilisĂ©s ? C’est pas des vraies guitares ?
— Sur l’intro de Zero abs on a jouĂ© des guitares saturĂ©es, mais ensuite on les a mixĂ©es en abaissant le volume, et en doublant la ligne avec un synthĂ©.
— Un Roland ? TB-303 ?
— Tout à fait

— Je le savais ! Et aprùs il y a aussi une boüte à rythmes Roland n’est-ce pas ? Une TR-909 ? Et les sons d’animaux, les orques, les baleines ? Comment vous faites pour les rendre aussi puissants
 alors qu’en fait on les entend pas fort ?
Je regarde le visage de ce gosse adorable. Douze ou treize ans

— Ça, mon grand, c’est la magie du studio ! Tu es musicien ?
— Tambour. Et on fait de la house avec un pote à moi.
— Continuez Ă  vous amuser
 et surtout, ne vous prenez pas la tĂȘte ! Tiens, ça devrait te plaire ça, c’est inĂ©dit. Ouais, des maquettes, des samples

— GĂ©nial, c’est trop, merci !
— Allez, te mets pas en retard.
— Oh, ça ira ! Merci, merci beaucoup ! Au revoir

— Au revoir
    
Que fait mon Peter Ă  cette heure-ci, cet aprĂšs-midi ? Met-il un disque sur son lecteur ? A-t-il dĂ©clarĂ© Ă  sa mĂšre qu’il avait passĂ© l’ñge d’écouter Henri DĂšs, lui a-t-il rĂ©clamĂ© un album d’Étienne Daho ? Si je laisse faire NadĂšge, elle va lui refiler ses vieux CDs de Goldman, il ne faut pas qu’il ait le goĂ»t dĂ©formĂ©! Je suis sĂ»r qu’elle se trompe, qu’elle passe du Schumann, du Beethoven dans l’appar-tement, tous les trucs plombants. Qu’est-ce que je pourrais lui envoyer ? Les Beatles, pourquoi pas, il faut commencer par la base ? Mais je suis con, il entend dĂ©jĂ  Nirvana Ă  la radio
 Ă  huit ans, ça n’a quand mĂȘme aucun sens ! Oh, je sais, je vais lui envoyer des chansons rigolotes de Petula Clark, de RĂ©gine tiens, il va adorer. Henri Salvador, ïżœïżœmilie Jolie, tout ça, c’est bien
 Et puis Pierre et le loup, avec la narration de Brel. Pour son oreille, et son esprit
 pour la magie de son oreille d’enfant, merde ! »
© Frédéric Le Roux, 2020
photo : Dave Gahan at an albums’ signing
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yourfredericstuff · 4 years
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Pourquoi ai-je Ă©crit ce bouquin ? Parce que j’étais amoureux. Parce que j’étais dingo de Depeche Mode, fascinĂ© par ce groupe
 Que je redĂ©couvrais, aprĂšs des annĂ©es de philosophie et de littĂ©rature classique, mon goĂ»t adolescent pour la pop
 Je publie ici, pour fixer les repĂšres, une 4Ăšme de couverture possible

           Trois garçons, une fille. Un musicien, un chanteur, un homme sans talent, sauf celui d’ĂȘtre indispensable, une ingĂ©nue intelligente. Diverses histoires d’amour possibles en apparence, mais nous verrons qu’en rĂ©alitĂ© elles s’imposent avec un dĂ©terminisme implacable qui, malgrĂ© les sĂ©parations, ne fait pas machine arriĂšre.
           Au milieu des annĂ©es 1980, Ă  Oxford, Angleterre, Andy Brody pose les principes du retour Ă  une certaine puretĂ© du rock ; dans le mĂȘme temps, il tĂ©moigne d’un don irrĂ©sistible pour lever les foules et les mettre Ă  danser. Il forme un groupe que le succĂšs va conduire, son chanteur surtout, aux splendeurs et misĂšres de tant de rockstars

           Un fils est là, qui regarde et décrit, qui tache de vivre malgré les extravagances de ses parents et de leur petit monde.
           Que peuvent devenir, une fois la sĂ©paration consommĂ©e, les membres du band le plus successful de son Ă©poque ? Le chanteur, Ian Cole, survivant extraordinaire de tous les excĂšs, va-t-il y retomber Ă  cause d’une remarque vexante et d’un mĂ©dicament arrĂȘtĂ© ? En mourra-t-il, cette fois ?
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yourfredericstuff · 4 years
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-L’innocence n’existe pas , ce n’est pas si beau qu’on le dit l’innocence, ce qui compte c’est de savoir comment reconstruire l’innocence aprùs qu’on l’a perdue, savoir si l’on peut renaütre aprùs avoir franchi le point de non retour.
Simona Vinci (via valerielemercier)
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yourfredericstuff · 4 years
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Une ligne sous-jacente, dans “Mon pĂšre a les cheveux longs, comme moi
” : The Seagull. Ce mot — la mouette — est le nom de l’immeuble oĂč Ian vit avec sa femme et sa fille ; c’est aussi un surnom pour lui-mĂȘme ; enfin c’est le titre d’une scïżœïżœne Ă  part dans le roman. Au cours d’une soirĂ©e oĂč il est seul chez lui, le chanteur du groupe, Ian, est pris par le vertige du suicide. 
Cette scĂšne est postĂ©rieure Ă  l’action du roman lui-mĂȘme. Elle est divisĂ©e et dissĂ©minĂ©e, comme en filigrane, cinq fois au cours du livre, et ne trouve son dĂ©nouement qu’avec le livre lui-mĂȘme. Alors, mourra, mourra pas ? 
The Seagull (3) 
NEW YORK, Greenwich Village, The Seagull 
8 Bank Street, 6Ăšme et dernier Ă©tage
23 décembre 2020, 23:47
Ian a passĂ© un pull ; il allume une cigarette de sa marque exclusive, Silk Cut. En gĂ©nĂ©ral, pas plus de deux par jour, le soir. Le reste du temps, il se sert d’une vapoteuse dosĂ©e Ă  3 mg de nicotine, ce qui est peu. ArĂŽme : Framboise fraĂźche. Il sort sur la terrasse de son penthouse, tourne autour de la piscine, s’accoude au muret. Le Village est encore animĂ©. Il y a de beaux et de moins beaux jeunes gens ; une grande partie des garçons a les bras intĂ©gralement tatouĂ©s ; les filles arborent des dessins moins encombrants, plus dĂ©liĂ©s. Ian se dit que son propre corps tatouĂ© n’a plus rien d’original. C’est la rançon de la gloire.
Il se demande lesquels parmi ces jeunes ont tĂ©lĂ©chargĂ© Moonlight, son nouvel album ? Depuis Bricks en 2005, sa premiĂšre tentative solo, la foule de ses fans ‘d’avant’ lui est restĂ©e fidĂšle, et il a su sĂ©duire les gĂ©nĂ©rations qui les ont suivis. Ses chiffres de vente sont plus importants qu’à l’époque de Bricks ; jusqu’à aujourd’hui en tout cas
 
Il a fini sa cigarette, qui Ă©tait bonne. Il n’éprouve d’écƓurement que moral, doublĂ© d’une vive agitation neuronale. Il y a ces accĂšs de froid malgrĂ© le pull en cachemire.
Toxicomane repenti, il avait gardĂ© une petite boĂźte en marqueterie du Canada, contenant de quoi faire deux shoots mortels, comme un alcoolique abstinent conserve, pour le reste de sa vie, une seule bouteille de son alcool prĂ©fĂ©rĂ©, dont il regarde l’opercule scellĂ© comme sa force. Va-t-il le faire, ce shoot ? Il se retient de tĂ©lĂ©phoner Ă  son fils

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yourfredericstuff · 4 years
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Petit Biscuit & MĂžme - Gravitation ft. Isaac Delusion (Official Audio)
Just feels good to me.
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yourfredericstuff · 4 years
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The Smashing Pumpkins - Never Let Me Down Again (1994)
Whose song is it? Martin Gore? The Smashing Pumpkins? Well, it must be their natural daughter

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