Tumgik
#histoire de comprendre ce qui se passe à cette époque
lilias42 · 2 years
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Ma voie dorée sur AM en OS ! ... un OS en deux parties ! Je sais, moi aussi, désolé...
Bon ! J'avais envie de changer d'ambiance avec CF où je savais que pour la majorité des persos vont mal finir parce que CF, même quand leur développement était positif (j'essaye de toujours avoir des développements positifs pour les persos du bon côté de la barrière - soit contre Delagarde) alors, je voulais changer d'air. Donc, voici ma voie dorée toute dorée où tout le monde de gentils survit ! (et quand je dis tout le monde, c'est tout le monde mais, ce sera pour la seconde partie) Et quand je dis tout le monde, c'est tout le monde. C'est complètement craqué avec quelques libertés du côté de mes propres règles selon les interprétations aussi mais bon, c'est pas vraiment canon alors, ça marche quand même. En plus, j'ai essayé de garder les choses un peu ambigüe, même si je ne sais pas si c'est réussi. C'est juste un peu un mélange de choses que j'aime et pour me faire plaisir donc, ça part dans tous les sens.
Pour poser les choses histoires de mieux comprendre :
-On est sur la route AM vu que c'est déjà la voie dorée du jeu. Quand on commence, tout s'est déroulé comme dans le jeu. C'est au début de l'OS en deux parties où les choses commencent à changer.
-La toile de fond par contre, c'est celui que j'ai développé pour CF. Logiquement, avec ce que j'ai mis sur mon blog devrait suffire pour comprendre, et je rappelle certains éléments pour que ce soit compréhensible... enfin j'espère donc, n'hésitez pas à demander s'il y a un point obscure.
-C'est aussi ma version des choses ainsi que des Braves
-Les liens familiaux sont également toujours les mêmes, et l'interprétation des personnages aussi. La seule personne qui change, c'est Byleth qui a des neurones dans cette histoire (car personne du côté de Delagarde en a).
-Je reprend aussi des phrases et des éléments du canon à ma sauce donc, c'est normal si des mots sonnent comme du déjà vu, c'est que c'est repris du jeu mais, dans des contextes / avec des personnes différentes.
Je crois que j'ai tout dit sinon, s'il y a des questions, je vous répondrait sans problème.
Dans cette première partie, on commence à Gronder jusqu'à avant la prise de Fhirdiad (en gros, la moitié / deux tiers de l'OS en deux parties), le reste de la route en accélérée sera pour la seconde partie (encore pardon pour ce "petit OS" qui a fini par faire plus de cent pages).
@ladyniniane voilà ce dont je t'avais parlé !
Félix sentit la sueur perlée sur son front à cause de l'effort, ses mains se fripées comme après un trop long séjour dans l'eau alors que la magie coulait d'elles, se déversant dans la plaie béante et sale pour la nettoyer et la refermer. Merde ! Cette maudite gosse avait utilisé un couteau rouillé ! Et la Déesse seule savait ce qu'elle avait pu mettre dessus ! Qu'elle l'aurait empoisonné pour être sûre de réussir son coup que ça ne l'étonnerait même pas !
« Va en enfer ! »
Sous ses mains, il sentait le sang de Rodrigue lutter contre lui pour tenter de s’échapper, ses côtes bougeant trop peu sous ses respirations devenues silencieuses mais, Félix sentait encore son pouls, il le sentait d'ici. Le sanglier ne le lâcherait pas ou ne le bougerait pas – et il le faisait, l'épéiste jurait qu'il allait l'envoyer lui-même s'expliquer avec son vieux ! – donc, il n'avait pas à s'inquiéter pour ça, sa main ne bougerait pas d'Aegis. Même si tout était flou, Félix se souvenait de quand il avait été grièvement brûlé, de la terreur qu'il avait ressentie dès qu'on l'éloignait du contact rassurant de leur Relique, des chants de Fraldarius restés gravés à l'intérieur. Sans lui, les eaux du lac ne l'auraient jamais sauvé, il le savait alors, peut-être…
« Allez Fraldarius ! On a besoin d'un autre de tes miracles ! Alors, lac ou pas, tu vas le faire et le sauver ! »
La peau sous ses mains devenait froide, vide de sang. Non ! Juste tout mais pas ça ! Le vieux n'était quand même pas si faible à la mort que ça ! Il avait déjà survécu à pire ! Il n'allait pas les lâcher maintenant !
C'est à ce moment qu'un souvenir remonta à la surface, tout doux malgré la situation, allant dans ses mains et sur sa langue alors que les notes résonnaient à nouveau dans son esprit.
« Au clair de la lune, le vent chante,
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante.
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection douce, elle te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte,
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
« ça va aller louveteau... ça va aller... tu vas guérir... tu es très fort, je le sais... reste avec nous... ne pars pas... protège-le Félicia... je t'en supplie... ça va aller... ça va aller... je te protégerais... »
De ses souvenirs, la berceuse guérisseuse de Rodrigue passa dans ses mains, coula de ses propres lèvres malgré les fausses notes, alors que la marque de leur ancêtre réagissait aussi, son énergie l'aidant enfin à faire un meilleur soin. D'autres chants lui revinrent en mémoire, il les récita aussi avec autant d'efforts pour que ça marche aussi bien que sur lui.
« Félix… il ne prit même pas le temps de reconnaitre à qui appartenait cette voix. Il faut que tu t’arrêtes… Tu saignes toi aussi…
– La ferme ! Tu me déconcentres ! Dégage ! »
Plus personne ne vient le déranger.
Et celui qui tentait de l’arrêter ou d’utiliser le sort « silence » signait son arrêt de mort.
Félix n'avait aucune idée de combien de temps il s'était acharné ainsi, ni si cela servait à quoi que ce soit, ou s'il rêvait les respirations sous ses doigts. Il n'en avait aucune idée et il s’en moquait, refusant d'arrêter tant qu'il ne s'effondrait pas, et personne ne pourrait l'en empêcher ! Le vieux n'allait pas mourir comme ça ! Jamais ! Faudrait le tuer d'abord !
« Ne laisse pas Alix tout seul ! Il va claquer aussi sans toi ! Vous êtes de tellement de vrais jumeaux que ça vous fait mal quand vous êtes trop loin l’un de l’autre ! Tu ne vas pas lui faire ça ! Tu ne vas pas me laisser comme ça ! »
« Je t’interdis de crever… tu m’entends ? Je t’interdis de crever comme ça…
– Félix…
Il s’arrêta en entendant son nom murmurer dans un souffle. Relevant les yeux de sa tâche, il rencontra ceux mi-ouverts de Rodrigue, le fixant comme s’il n’était pas lui-même en train de se vider de son sang après s’être jeté sous un couteau pour protéger Dimitri. Pourtant, même si ce dernier le tenait et qu’il aurait été plus facile pour lui de le regarder, il ne semblait le voir que lui, que Félix alors que sa main se levait, son doigt tremblant se posant sur sa joue, essuyant une larme dont le jeune homme aurait pu jurer qu’elle n’existait pas.
– Ne pleure pas louveteau… ça va aller…
– La ferme… » grogna-t-il en récupérant sa main, pour la porter à la place de cet idiot qui gaspillait ce qui lui restait de force pour un geste aussi ridicule, sans prendre la peine à relever ce surnom puéril et ridicule qui lui réchauffait pourtant le cœur. « Occupe-toi de toi pour une fois.
Les yeux de son père se refermèrent mais, le sang ne coulait plus de la plaie, et ses respirations étaient plus régulières que tout à l’heure, son air plus serein. Félix sentit alors les mains douces de Mercedes se poser sur ses épaules, le tirant légèrement en arrière pour l’empêcher de recommencer alors qu’elle lui assurait avec sa voix calme.
– Il est hors de danger Félix. Tu l’as sauvé. »
Ces mots étaient tout ce qu’il voulait entendre. Le vieux était en vie, c’était le principal. Il sentit alors sa propre douleur et épuisement le foudroyer, son corps protestant qu’il l’ait vidé de ses forces alors qu’il sentait le sang couler de sa marque dans son dos. Le monde se mit à tourner, et il sombra lui-même dans les ténèbres du sommeil, s’accrochant à la magie qu’il sentait dans la main qu’il tenait, alors que sa tête tombait sur les genoux de son père.
« Louveteau… » un bisou tout doux sur ses cheveux, une voix rassurante, une étreinte toute chaude… « Ça va aller… il est parti le vilain cauchemar… tu es en sécurité ici… nous sommes tous là… »
« Papa ? Papa… »
Il enfouit son visage dans la chaleur de son père qui s’était mis à fredonner une berceuse apaisante, à nouveau tout petit, assez pour se rouler en boule sur ses genoux et se presser contre sa poitrine, bien au chaud dans ses bras et sa cape… Rodrigue était si rassurant…
Félix sentait Alix poser une couverture sur ses épaules, puis se joindre à son frère, l’accompagnant de sa voix toute identique à celle de son jumeau. Glenn était là aussi, à côté de lui, chantant avec eux… comme quand il était encore enfant, et que toute leur famille se réunissait autour du feu lors des longues soirées d’hiver pour passer le temps ensemble… le benjamin s’assoupissait tout le temps avant tout le monde et quand il faisait un cauchemar, il se réfugiait toujours dans les bras de Rodrigue qui se mettait à chanter avec Alix et Glenn, leurs belles voix éloignant tous les mauvais rêves du monde et le faisant dormir jusqu’au matin…
Comme à l’époque, il s’endormit dans son étreinte sans craindre le danger ou les cauchemars, protégé par tout l’amour de sa famille et de son père.
*
Comme un éclair de réel, le poids du corps du jeune loup noir tomba sur ses genoux, rejoignant le poids blessé de son père dont il tenait la patte. Il était froid… ils étaient froids… ils étaient si froid… comme de l’eau lentement piégé par le gel et transformé en glace jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de liquide vif, juste un bloc inerte… comme…
« Félix… Rodrigue… je t’en supplie Mercedes ! Sauve-les ! Sauve-les de la mort ! »
*
Ingrid et Sylvain attendaient nerveusement devant la tente de Mercedes, veillant sur Rodrigue alors que Flayn s’occupait de lui, profondément endormi malgré un sommeil très agité. Leur guérisseuse et Manuela essayaient de maintenir Félix en vie. La surcharge de magie avait provoqué une grave hémorragie interne, une partie de ses veines avait explosé sous la pression et l’effort alors, c’était à son tour de se balancer entre la vie et la mort.
« Pourquoi c’est aussi long ? Marmonna Ingrid, l’inquiétude lui faisant perdre toute sa patience pourtant légendaire. Elles devraient déjà avoir fini !
– Il a donné énormément d’énergie à Rodrigue pour lui sauver la vie. Mieux vaut qu’elle prenne le temps qu’il faut pour être sûr qu’il n’y a plus rien, lui rappela Sylvain, même si ses yeux fixaient le rabat de tissu servant de porte à la salle d’opération improvisée sans dévier, comme s’il voulait voir à travers.
– En plus, je suis sûre qu’il va s’en sortir ! Ajouta Flayn avec son optimisme habituel. Félix ne se laissera pas mourir comme ça, et Mercedes et Manuela sont toutes les deux d’excellentes guérisseuses ! Tout va bien se passer !
– On espère… répondirent-ils tous les deux.
– Après tout… il vient d’accomplir un véritable miracle… le seigneur Rodrigue est hors de danger à présent mais, la lame était empoisonnée et elle a perforé plusieurs organes vitaux… Félix serait arrivé une seconde plus tard et il n’aurait pas eu Aegis pour ralentir l’hémorragie, j’ai bien peur que… Flayn se tut, tous étant trop conscients de ce qui avait failli se produire. C’est un vrai miracle… tout comme le fait qu’elle ne soit pas arrivée à tuer Dimitri sur le coup… heureusement que son armure l’a protégé et a dévié la lame… elle l’a blessé à cause d’un endroit cassé mais au final, plus de peur que de mal, même s’il devra surement rester aussi en convalescence. Elle aurait frappé juste…
– Dimitri l’aurait laissée le tuer… c’était un suicide, pas un assassinat… souffla Sylvain, à peine audible. Cette gosse ne savait surement pas mais, il a profité de la première occasion qu’on lui offrait de se faire tuer, surtout qu’elle voulait aussi se venger… c’était presque d’une ironie sans nom qu’il soit tué par quelqu’un qui voulait se venger de lui, alors que lui-même a surement tué le frère de cette gamine pour se venger… la boucle est bouclée…
– Hum… je déteste le reconnaitre mais, tu n’as pas tort… je me dis presque qu’on a eu de la chance qu’il ne prenne pas sa lance pour le faire lui-même avant… je crois que c’est à cause des voix qu’il entend qu’il ne l’a pas fait… pour une fois, elles ont servi, même si elles l’enfoncent en lui disant de le venger, alors qu’ils ne lui demanderaient jamais ça. Glenn ne dirait jamais de choses aussi cruels à Dimitri… il était très critique envers Lambert et je crois même qu’il le méprisait, reconnut-elle avant d’ajouter, mais pas Dimitri. Il l’adorait et voulait le servir lui car, il méritait son dévouement. Jamais il ne lui dirait des choses pareils.
– Et s'il arrive quoi que ce soit à Félix ou Rodrigue… même avec les mots de Rodrigue, sa maladie risque de les lui montrer rejoindre les rangs de ses hallucinations… marmonna le cavalier.
– Je n’espère pas, même si avec ce genre de mal, il est dur de prédire comment cela évoluera, confirma Flayn, même si elle ajouta avec plus d’optimisme. Par contre, Dimitri a supplié qu’on les sauve, et il s’est rendu compte tout de suite de ce qui était vrai ou non. Il a su tout de suite que ce qui se passait devant ses yeux étaient matériels et ce qu’il fallait prioriser. Ses hallucinations sont aussi réelles pour Dimitri mais, il a su ne pas les écouter pour se concentrer sur ce qui était devant lui alors qu’à l’instant d’avant, elles lui hurlaient de poursuivre Eldegard pour la tuer. Il a pourtant rencontré des difficultés à savoir si la Professeure et Dedue étaient réels ou non mais là, il a tout de suite su que l’épuisement de Félix était réel et il a agi en conséquence. Je pense que c’est un bon signe, sourit-elle.
Les deux cavaliers hochèrent un peu la tête, prenant un peu de sa positivité pour eux.
– Fraldarius lui a sauvé la vie mais, il a survécu pendant deux mois à des brûlures magiques avant que l’eau du lac ne les fasse disparaitre, déclara le rouquin, une vieille écaille sarcelle entre ses doigts. Il survivra encore.
– Oui. S’il doit avoir une seule chose qui définit Félix, c’est qu’il est horriblement têtu et obstiné, il ne va pas se laisser mourir comme ça. Il rendrait la Mort folle en tentant de revenir dans son corps par tous les moyens, arriva à sourire un peu Ingrid malgré tout.
Flayn sourit aussi alors qu’elle finissait d’ausculter la blessure de Rodrigue, avant de s’en aller quand on l’appela pour soigner le coup de masse à la jambe d’Hapi. Les deux cavaliers n’étaient pas trop blessés et ils avaient déjà aidé à soigner les éclopés qu’ils pouvaient alors, ils restèrent devant la tente à attendre la fin de l’opération.
Quand la pluie commença à tomber, ils prirent cela comme une sorte de soulagement. La magie de Fraldarius était liée à l’eau, une atmosphère humide renforcerait peut-être ce qui en restait pour ses miracles… ils attendirent encore, enfoncés sous une couverture et serrant leur propre Relique contre leur poitrine, cherchant l’énergie rassurante de leur ancêtre à l’intérieur malgré tout.
Aucun des deux ne savait depuis combien de temps ils attendaient que ce foutu rabat se soulève, quand ils virent une ombre bleu et noir surmonté de blond glisser sous les gouttes en direction de la porte du camp. Devinant qui s’était sans problème, Ingrid laissa Sylvain continuer à attendre les nouvelles pour le suivre, lui criant quand elle le rejoignit à la sortie du camp.
« Eh ! Dimitri !
Son ami s’arrêta, pivota la tête, son œil unique la regardant sans la voir. Il ressemblait encore plus à un fantôme à cheval entre deux mondes maintenant. Avec la pluie qui collait tout au corps, on ne pouvait que voir que Dimitri était décharné, fait que de muscle, de peau et d’os. Il mangeait à peine et ses amis d'enfance étaient sûrs qu'ils se nourrirait encore moins, s'il n'en avait pas besoin pour survivre. Il était un véritable squelette, ne prenait pas soin de lui au point qu’il devait être infesté de vermine, refusant de s’occuper de lui-même en prétendant qu’il n’en avait pas besoin et n’était pas digne de tels soins, ce n’était pas nécessaire à sa mission.
Quand il la reconnut, Dimitri se tourna complètement vers elle, la regarda avec son œil vide, bougeant mécaniquement, le visage perdu dans l’ombre et les illusions. Elle n’osait même pas imaginer quelles horreurs pouvaient se jouer devant son regard et quelles demandes odieuses il entendait…
– Que veux-tu ? Demanda-t-il de sa voix caverneuse, dépourvu de toute la vie qu’il avait pu y avoir autrefois.
– Où est-ce que tu vas comme ça ? Alla droit au but Ingrid, ne voulant pas perdre de temps pour savoir ce qu'il avait en tête.
– Cela ne te regarde pas, rétorqua-t-il.
– Si. Ça te concerne donc, ça nous regarde tous. En plus, tu es blessé, tu ne devrais même pas bouger, répliqua-t-elle immédiatement d’un ton sévère. Où tu vas Dimitri ? Et réponds cette fois !
Bon, finalement, ce serait elle qui tuerait le blond pour être toujours aussi horriblement têtu quand il avait une idée en tête. Ils partageaient ce même défaut tous les quatre mais là, c’était particulièrement insupportable !
– Tu vas à Embarr, n’est-ce pas ? Devina la chevalière devant son silence. C’est pour ça que tu t’es faufilé comme ça hors du camp sans qu’on te voie ? Tu voulais y aller tout seul sans que personne ne te suive ? Et bien, c’est hors de question ! D’un, t’es blessé quand même ! C’est moins grave que ça aurait pu l’être mais, tu t’es pris un couteau empoisonné je te rappelle ! De deux, tu vas te faire tuer si tu y vas tout seul et ça, c’est hors de question ! Et tu n’y vas pas car de trois, personne n’est en état de suivre ! Surtout pas Rodrigue et Félix ! Félix se bat encore pour sa vie et Rodrigue en a réchapper de peu ! Tu crois que c’est ce qu’ils voudraient ? Que tu jettes ta vie alors que Rodrigue a tout fait pour te sauver, puis Félix a tout fait pour sauver son père quitte à s’en mettre en danger lui-même ? Et ce que voudrait vraiment Glenn ? Il adorait sa famille plus que tout, il ne voudrait jamais ça ! Est-ce que tu crois que c’est ce que veulent vraiment les morts ?! S’énerva-t-elle. Je ne pense pas moi ! Personne ne veut ça ! Autant les morts que les vivants !
– Silence ! » S’écria-t-il, visiblement furieux que ce soit elle qui ait invoqué les morts cette fois mais bon, Ingrid ne le craignait pas. Même dans cet état, Dimitri ne leur ferait jamais aucun mal et il le savait autant qu’eux tous. « Tu ne sais pas de quoi tu parles Ingrid…
– Bien sûr que si ! Lui renvoya-t-elle dans la figure sans le laisser finir, les plumes autour de son œil et de son oreille droite s’hérissant de frustration. C’est toi qui t’es mis martel en tête et qui ne veut pas changer d’avis ! Et pourquoi tu veux tant aller à Embarr ? Ce serait du suicide et tu le sais ! Si je ne sais pas de quoi je parle, d’accord mais, explique-moi pour que je comprenne un peu !
– La mort est la fin… commença-t-il d’une voix caverneuse, lui parlant sans vraiment lui parler, regardant par-dessus son épaule où devait se trouver des morts. Qu’importent tous nos regrets, nous sommes impuissants une fois morts. Incapables de souhaiter la moindre vengeance, et encore moins de l’assouvir. La haine. Les regrets. Il revient aux vivants d’hériter de la volonté des morts. Je dois poursuivre dans cette voie. Je vous l’ai déjà dit. Il est trop tard pour revenir en arrière.
– Pas forcément, et tu crois vraiment que c’est ce que les morts voudraient ? Les personnes qu’on a connues ? Vraiment ? D’accord, une fois mort, tu ne peux plus rien faire et les vivants doivent parfois poursuivre ce qu’ils voulaient faire sans avoir le temps de les achever eux-mêmes, on est d’accord mais, tu crois qu’il demande tous vengeance ? Qu’ils te demandent tous vengeance ? Ce n’est pas ce que Lambert voudrait pour toi, ni Glenn, ni Nicola, ni Patricia, ni Frédérique… ni personne. Et tu peux revenir en arrière mais, il faut que tu acceptes de le faire en premier lieu… je… je sais que c’est difficile, quand on a pris une mauvaise voie de revenir en arrière et de comprendre qu’on s’est trompé, admit Ingrid, repensant à toutes ses années après Duscur et aux horreurs qu’elle avait dites et pensées envers ce pays et ses habitants en croyant pleurer ses morts et avoir sa vengeance, autant pour son grand frère Frédérique que pour Glenn. Mais tu peux toujours faire marche arrière…
– N’essaye même pas de me dire que je dois vivre en allant de l’avant pour honorer leur mémoire ou quelque ineptie de ce goût, rétorqua-t-il avec un sourire, ayant presque pitié d'elle en entendant ses mots qu’il devait trouver trop naïf. Ce ne sont que de belles paroles, la logique des vivants. Ceux qui sont morts pleins de regrets… ne me laisseront aucun repos.
– Vraiment ? J’ai des doutes les connaissant ! Et pour Félix et Rodrigue ? Leurs avis et leurs actions, ça ne compte pas ? Car eux, ce qu’ils veulent, c’est clair et net ! Et ils ne veulent pas te voir ou voir quelqu’un d’autre mort ! Rodrigue ne veut pas ta mort et Félix a enfin assumé qu’il aime son père et ne veut pas le perdre ! Et ça, on l’a tous vu ! Même toi tu le sais ! Qu’est-ce que tu en fais d’eux ? Leurs avis ne comptent pas car ils sont vivants ? Tu sais bien que Félix ne se le pardonnera jamais si tu meures et Rodrigue aussi ! Encore plus après avoir mis leur vie en jeu pour éviter un mort de plus ! ça, ça leur ressemble vraiment ! Pas comme ton Glenn qui veut juste tuer tout le monde alors qu’il n’était jamais comme ça de son vivant ! Qu’est-ce que tu vas leur dire quand tu te seras à nouveau fait trouer la peau ? Que c’était ce que demandait Glenn ? Ils ne comprendraient surement rien à raison !
– Ne les implique pas là-dedans ! Refusa Dimitri. Tu ne sais vraiment pas de quoi tu parles ! Il faut que…
– Oh que si ! Le coupa Ingrid. Je sais de quoi je parle ! Alors, tu vas me faire le plaisir de me suivre, de te reposer car t’as rien à faire debout, de veiller à ce que Rodrigue n’ait besoin de rien avec nous, et d’attendre avec nous que Félix sorte vivant de cette foutue tente ! Ordonna-t-elle. Et il n’y a pas de mais qui tienne ! T’attend avec Sylvain et moi ! Ne me force pas à te trainer par les pieds jusqu’à là-bas ! Je l’ai fait avant, je recommencerais en appelant des renforts s’il le faut !
– Arrête de parler de ça ! Nous ne sommes plus des enfants ! C’est…
– Alors ne te comporte pas comme un qui fait une fixation sur ce qu’il veut ! Lui hurla-t-elle presque dessus. Donc, tu me suis ou je te traine, tu choisis ! Et moi aussi, je suis pressée car, Mercedes et Manuela vont bientôt sortir !
Elle ne sut pas trop par quel miracle quand après une longue minute d’attente tendue, Dimitri accepta de la suivre, glissant avec elle dans le camp pour retourner aux côtés de Sylvain, qui leur dit que les deux guérisseuses travaillaient encore. Rodrigue dormait toujours et heureusement, son état semblait stable, Flayn ayant fini aussi par retourner à sa tente avec Seteth qui dormait également, se remettant d’une flèche prise dans sa jambe. Ils se posèrent tous les trois sur des caisses sous le rabat tendu de la tente, s’enroulèrent à nouveau dans une couverture pour se protéger du froid, les deux cavaliers en passant un pan de la leur sur les épaules du blond quand il refusa d’en mettre une malgré le froid. Enfin, ils attendirent en silence le verdict des guérisseuses.
Au bout d’un moment, alors que la pleine lune se levait en chassant les nuages dans le ciel, le pan de tissu finit enfin par se soulever, révélant Manuala ainsi que Mercedes qui rangeait leur tente d’opération. Elle semblait épuisée, son teint était cireux et des cernes creusaient ses yeux mais, un grand sourire illuminait son visage quand elle leur annonça, radieuse.
« Nous avons réussi à stopper l’hémorragie. Sa vie n’est plus en danger. Il lui faudra énormément de repos et une longue convalescence mais, il va s’en sortir. »
Ingrid et Sylvain sourirent de soulagement et de bonheur à cette nouvelle, se retenant d’hurler de joie tellement ils étaient heureux et soulagés. Félix allait vivre ! Il allait vivre ! Par réflexe, Ingrid se tourna vers Rodrigue toujours endormi, lui annonçant encore la bonne nouvelle de peur qu’il n’ait pas entendu, Dimitri la suivant de son unique œil.
« Félix vit Seigneur Rodrigue, il vit ! Il vit ! »
Elle sentit l’ombre immobile du blond frémir en voyant un petit sourire soulagé se dessiner sur les lèvres du père. Il semblait toujours entendre quand il était inconscient, comme ses fils. Dimitri se tourna alors vers la médecin, son filet de voix faible ressemblant plus à une supplique qu’à un ordre ou une demande.
– Peut-on le voir ?
– Bien sûr mais, restez silencieux et ne le bouger surtout pas, il a besoin d’énormément de repos et cela risque de rouvrir ses plaies s’il bouge.
Sans un mot, Dimitri se leva, dépassa le rossignol, et avança en silence dans la pièce de tissu. Le loup dormait sur le ventre, son dos sans chemise recouvert de bandage, même si la marque d’écaille flétri dépassait toujours, scintillant faiblement à la lumière du sort de feu. Il était immobile, comme inerte.
– Il ne bouge pas… fit-il remarquer.
– C’est normal, il a besoin de repos, lui assura Mercedes, avant d’ajouter après avoir réfléchit une seconde. Peux-tu me confier ta main Dimitri ? Promis, je ne ferais rien d’extraordinaire avec, ronronna-t-elle.
Après une seconde d’hésitation, il lui confia. Elle le fit tendre le bras jusqu’à la gorge pale, posant délicatement ses doigts sur le pouls de son patient.
Il battait. Vite, très vite même mais, il battait.
Même s’il était complètement inerte et avait frôlé la mort, vidé de ses forces, son pouls était encore là.
– Son cœur continue toujours de battre. Félix continue toujours à se battre. Il est encore en vie, jura-t-elle en le relâchant, même si Dimitri ne bougea pas, incapable de se détacher de ce rythme si régulier.
Elle finit de nettoyer et de ranger leur matériel avant de lui assurer, un sourire sur son museau de chat tout doux et moelleux quand elle le vit regarder fixement Félix sans un mot.
– Il est hors de danger et il va vivre, ne t’en fais pas Dimitri. Si tu veux lui dire un mot… je suis sûre qu’il sera très content de t’entendre.
Comme si la réalisation le frappait enfin, le monstre ne put s’empêcher de de soupirer de soulagement, ses épaules se relâchant pour la première fois depuis qu’il avait retrouvé l’armée du Royaume, une seule pensée en tête.
– Ne recommence pas.
À la porte de la tente, Ingrid et Sylvain prirent cette phrase comme une immense victoire.
*
Le retour à Garreg Mach fut un peu périlleux mais, les grands blessés survivraient sans trop de problème. La Déesse soit louée, Dimitri avait ordonné avec Byleth de retourner au monastère plutôt que de poursuivre Eldegard, surement parce qu’il ne voulait pas risquer la vie des Fraldarius dans la manœuvre. Mercedes devait avouer que cela la soulageait beaucoup. Grâce à Félix, la blessure du Seigneur Rodrigue s’était refermée correctement mais, il avait tout de même perdu beaucoup de sang et le poison sur la lame pouvait être resté dans son organisme alors, mieux valait rester prudent, surtout que plusieurs organes avaient été touchés. De plus, le système digestif était très fragile, ils ne devaient pas relâcher leur vigilance. De même, son fils était complètement vidé de ses forces à cause de l’effort de soigner son père. Il était un magicien doué, et la guérisseuse sentait qu’il avait dû beaucoup la pratiqué à un moment donné à cause de toute la magie dans son corps mais, il avait perdu l’habitude d’en utiliser autant d’un coup, et n’importe qui se serait effondré après un tel tour de force. Sans l’intervention d’Aegis et du Seigneur Fraldarius, il y aurait des chances pour que…
« Mieux vaut ne pas y penser… songea-t-elle. Le principal, c’est que tant qu’on s’occupe d’eux, leur vie est hors de danger… »
Elle terminait de s’occuper du duc avec Annette et partait rejoindre Ingrid et Sylvain qui restaient au chevet de Félix pour s’assurer qu’il se reposait, quand elle entendit le bruit de quelque chose qui tombait par terre. Elles se retournèrent et virent le duc à moitié découché, le haut de son corps pendant depuis son matelas alors qu’il cherchait difficilement un appui pour tenter de se lever. Elles se précipitèrent pour le recoucher, le blessé devant le moins bouger possible.
« Non… bafouilla-t-il, à moitié inconscient. Mon fils… il pleure… je dois… m’en occuper…
Les deux jeunes femmes échangèrent un regard, avant que Mercedes ne lui assure avec sa voix toute douce, posant sa main sur ses yeux avec un sort pour le rendormir.
– Il va bien, ne vous en faites pas, nous nous occupons de lui.
– Oui ! Il est ressorti de la bataille presque sans blessure ! Il faut juste qu’il se repose ! Ajouta Annette avec plus d’énergie et d’enthousiasme, même si elle mentait par omission, ne voulant pas l’inquiéter.
– … prenez soin de mon louveteau… souffla l’homme avant de sombrer à nouveau dans le sommeil.
– C’est promis Seigneur Rodrigue, c’est promis, souffla-t-elle en le remettant correctement le drap autour de lui.
– Salut vous deux, livraison de repas ! Annonça Caspar en ouvrant la porte sans s’annoncer, comme toujours, deux bols de soupe et deux miches de pain noir sur son plateau. Vous devez avoir faim en plus ! Vous avez pas fait de pause depuis qu’on est rentrés non ?
– Oui ! Merci Caspar ! On mangera tout ça après qu’on se soit occupées de Félix ! Répondit Annette en se lavant les mains.
– Merci beaucoup Caspar, c’est très gentil, sourit Mercedes en le débarrassant. Comment va ton épaule ?
– Bien, t’inquiète, c’est tout bon ! Linhardt l’avait soigné et recousu en deux temps trois mouvements. Au fait, j’ai croisé Marianne, elle a fini de s’occuper de Dimitri et elle va aider les autres guérisseurs. Elle a dit qu’il était très calme mais, il ne bougeait pratiquement pas à part si on lui ordonnait. Il parlait aussi de mots ou quelque chose comme ça. Enfin, il suit les instructions de Marianne et se repose, Dedue est avec lui.
– Hum… d’accord, il est toujours assez doux avec elle, et même s’il a tendance à être surprotecteur, il l’écoutera surement, surtout si Dedue lui dit aussi », soupira un peu de soulagement Mercedes. Même si elle faisait des renforts envoyés par Claude en signe d’amitié et de bonne volonté, et malgré le fait qu’Hubert avait tenté de semer la zizanie entre eux à Gronder, la présence de Marianne à leur côté était une bénédiction quand le prince était blessé, tout comme celle de Dedue depuis son retour. Il s’était aussi mis à écouter Ingrid et Sylvain quand ils s’agissaient des Fraldarius ou de lui-même alors, elle prenait aussi ça comme un signe de victoire contre sa maladie. « Bien, trouvons quelqu’un pour le surveiller au-cas où il tenterait de se relever et ensuite, allons-nous occuper de Félix, d’accord Annie ?
– Oui, ce sera plus prudent ! Dis Caspar ? Tu peux… commença la magicienne avant de se reprendre tristement. Enfin, je ne suis pas sûr que Son Altesse accepte de laisser un adrestien veiller sur le Seigneur Rodrigue…
– Je crois pas qu’il m’ait à la bonne non plus… marmonna-t-il. Il est même méfiant avec Linhardt pour dire alors, quelqu’un comme moi… désolé les filles mais, il va falloir trouvé quelqu’un d’autre…
– Oui… Dedue veille sur Dimitri, Ashe est blessé à la jambe… peut-être que Raphaël pourrait, il s’entendait bien avec Son Altesse à l’académie…
La porte s’ouvrit sur ses mots, dévoilant Ingrid, suivit de Sylvain qui portait Félix dans ses bras, ce dernier serrant Aegis contre sa poitrine. La lumière du bouclier était bien plus faible que d’habitude quand c’était l’épéiste qui le maniait, en reflet à sa perte colossale d’énergie mais, il restait toujours une lueur de vie dans ses mains, semblable à une onde fraiche et vive.
– Excusez-nous de le déplacer comme ça mais, on pense qu’il sera mieux ici avec Rodrigue, déclara la chevalière alors que Sylvain couchait leur ami d’enfance dans le deuxième lit. Il n’arrête pas de bouger et de parler dans son sommeil alors, on se demande s’il ne s’inquiète pas pour son père.
– Vraiment ? Je croyais qu’il ne pouvait pas le saquer ? Fit remarquer Caspar, étonné. Bon, il l’a sauvé mais, c’est pas son genre de laisser les gens mourir je crois donc, je pensais qu’il ne l’aimait pas beaucoup.
– Il fait bien semblant mais, si tu le connais, tu voies qu’il tient encore beaucoup à lui, même s’ils se sont disputés, assura Sylvain avec sérieux. Quand on était petits, il était toujours collé à Rodrigue et même quand il rejetait sa famille en bloc, c’était écrit sur sa figure qu’il l’aimait encore. Juste… il n’assumait plus qu’il tenait à son père pour faire simple.
– Oui, faut juste parler le Félix pour comprendre et depuis le temps, on sait décoder ce qu’il raconte, ajouta Ingrid. Enfin, il n’assume pas après s’être épuisé à ce point pour le sauver, il va m’entendre ! Et de toute façon, personne ne le croira donc, il va falloir qu’il se regarde en face et arrête de se mentir au bout d’un moment.
Sylvain ne put s’empêcher de rire devant ses affirmations, avant de laisser Mercedes ausculter l’épéiste pour vérifier que ses blessures ne s’étaient pas rouvertes, notamment sa grande marque d’écailles dans son dos. Heureusement que Manuela et Mercedes étaient avec eux, elles l’avaient surement arraché de peu à la mort, mais sa marque semblait plus enfoncée dans son dos, ancrée plus profondément et légèrement flétrie, comme si on avait absorbé quelque chose de l’intérieur d’elle. Enfin bon, c’était le signe de la bénédiction de Fraldarius, cela ne devait pas être quelque chose de très rationnel.
– Hum… elle semble toujours asséchée… ou plutôt vide, commenta la guérisseuse en allant chercher de quoi tenter de l’hydrater.
– Fraldarius est lié à l’eau, et il a surement utilisé une partie de l’énergie qu’il lui a donné pour sauver Rodrigue alors, c’est peut-être pour ça ? Proposa Sylvain.
– Vous avez des trucs bizarres qui apparaissent sur votre corps quand vos ancêtres vous sauvent la vie, c’est ça ? Leur demanda Caspar, un peu moins au courant de tout ça que les guérisseuses. Comme avec les plumes qui sont apparues sur ton visage et ton oreille après la bataille d'Ailell Ingrid ?
– Oui, tu as saisi l’idée, déclara-t-elle en passant sa main sur la petite aigrette de plumes tout autour de son oreille droite et qui descendait jusqu’autour de son œil, son lobe aussi étant partiellement emplumé après un mauvais coup d’épée à la tête, il s’en était fallu de peu d’arriver sur les terres de Daphnel à temps. Pour Félix, c’est beaucoup plus vieux, on était encore enfants alors, peut-être qu’il y avait moins d’énergie en lui ? En plus, normalement, il faut être sur les terres du Braves en plus de sa Relique pour que ça marche donc, il a surement dû utiliser plus de son énergie à lui que de celle de Fraldarius.
– Peut-être, même si la présence résiduelle de son ancêtre pourrait expliquer pourquoi ses veines ont aussi bien tenus le choc, bien qu’elles aient fini par exploser sous la pression de sa magie. Celle de Fraldarius qui reste dans Aegis a dû aider aussi, analysa Annette. Même pour un guérisseur expérimenté avec une relique ou l’emblème de Lamine ou de Sainte Cetheleann, c’est très compliqué et dangereux de mobiliser autant d’énergie d’un coup.
– Dangereux comment ? Comme… quoi ? Il n’aurait pas eu l’aide de Fraldarius ou sa marque ou sa Relique ou un mélange de tout ça, il se serait passé quoi s’il s’était acharné comme ça pour sauver le seigneur Rodrigue ? Demanda le combattant en mêlée.
Un silence très lourd de sens s’installa dans la petite pièce, personne n’osant répondre. Seule Mercedes eut le courage de le faire une fois qu’elle eut fini d’ausculter l’épéiste et de lui donner à boire pour qu’il ne se déshydrate pas.
– Ils seraient sans doute morts tous les deux… la blessure du Seigneur Rodrigue était mortelle même avec de la magie, sauf à être Lamine en personne et l’effort aurait été trop important pour le corps de Félix. Ce ne serait pas une première qu’un guérisseur meure à s’être trop entêté. Même maintenant, sa convalescence va être longue avant qu’il puisse juste retrouver assez de force pour bouger seul, et il risque de ne plus pouvoir utiliser la magie de sa vie… espérons que nous pourrons faire escale à Fraldarius, nous pourrons les confier au Seigneur Alix, il doit s’inquiéter pour eux. On dit que l’eau du lac est curative, elle pourrait leur faire du bien.
– Elle l’ait, elle est même miraculeuse cette eau, encore plus pour la famille du Brave donc, il faut qu’on y passe ! S’exclama Ingrid. Dimitri devrait accepter ! Surtout pour eux !
– Oui, par contre, faudrait peut-être attendre un peu avant de lui dire, ajouta Sylvain avec un regard indéchiffrable à part pour son amie d’enfance.
– Hum… tu n’as pas tort… mieux vaut attendre un peu… de toute façon, je crois qu’il en est déjà trop conscient… soupira-t-elle.
Félix frissonna dans son sommeil, marmonnant des syllabes qui n’allaient pas ensemble en s’agitant comme il put. Les deux cavaliers le rejoignirent alors en murmurant quelques choses que les autres ne comprirent pas mais, le blessé se calma un peu, replongeant dans les limbes.
*
Dimitri déambulait dans les couloirs de Garreg Mach, la lumière de la demi-lune ne frappant que son côté aveugle, qu’importait comment il tournait. Il avait mal mais, il ne fit pas attention. Il avait pratiquement toujours mal, mal au corps ou mal à la tête, ce n’était pas grave, qu’une partie des suppliques des morts réclamant vengeance en creusant sa peau de leurs ongles et phalanges… il devait accomplir son office. Seul. Sinon, les autres se mettraient encore en travers de son chemin, que ce soit pour venger leurs morts à tous, ou quand la Mort venait enfin le punir pour avoir survécu et être un monstre qui ne méritait que d’être frappé par ce couteau.
Mais… Rodrigue avait refusé que cette juste punition le frappe… il l’avait pris à sa place… alors que cet homme méritait seulement d’enfin vivre en paix après avoir perdu toute sa famille à cause de lui… il n’était pas aveugle… Rodrigue n’avait pas perdu que Glenn à Duscur… il avait aussi perdu Félix, et il avait perdu Alix… obligé de vivre séparé de son propre jumeau alors qu’il était inséparable, tellement inquiet que cela en faisait mal… mais qu’il ne rejoignait pas afin de s’occuper du Royaume à leur place, sauf quand Rufus le chassait avant de le rappeler, bien incapable de faire un dixième de son travail… obligé d’entendre les beuveries et les insultes constantes de Rufus, les menaces constantes sur sa vie, celle de son frère puis celle de Félix quand il se rapprochait de la majorité… mais Rodrigue restait à Fhirdiad pour le Royaume autant que pour lui… Dimitri l’avait déjà bien assez abusé de lui… il n’aurait jamais dû prendre en plus ce poignard à sa place comme tant de membres de sa famille l’avait fait avant lui… les Blaiddyd n’avaient survécu que parce les Fraldarius leur avait donné jusqu’à tout leur sang… que ce soit les précédents Alix et Rodrigue, les grands-parents des jumeaux tué dans les innombrables guerres de Clovis le Sanglant, leur propre père Guillaume qui s’était sacrifié pour son grand-père le roi Ludovic, Glenn qui avait donné sa vie pour lui à Duscur, ou Rodrigue aujourd’hui… il aurait dû mourir à cause de ce coup de poignard…
Mais non, Félix avait refusé de le laisser se faire faucher et l’avait sauvé, mais il avait payé le prix fort… il aurait pu en mourir… il aurait dû en mourir… pour avoir arraché la vie de son père du chemin de la faux de la Mort, il aurait dû donner la sienne à la place… Fraldarius n’aurait pas été là… ou quiconque… sans ce miracle, les deux seraient morts… les deux seraient morts… mort et mort… mort pour lui… alors que…
« Tu aurais sacrifié mon père et mon petit frère à ta place, et mon oncle n’aurait pas survécu longtemps sans notre famille ou son frère, gronda Glenn en creusant sa gorge, ses larmes de sang coulant le long de la tempe du monstre, impuissant à lui faire vraiment du mal. Vous aimez le gout de notre sang c’est ça ? Vampire que vous êtes… vampire que tu es… tu n’as pas le droit de les arracher à Alix ! Tu n’as pas le droit de pulvériser encore plus notre famille ! Ne les approches plus ! Plus jamais !
– Je sais Glenn, je sais. Je ne les approcherais plus, plus personne… au moins, Rodrigue et Félix pourront…
– Leurs avis et leurs actions, ça ne compte pas ?
– Tais-toi Ingrid… se remémora Dimitri, les mots de la chevalière sonnant dans ses oreilles. Tu ne comprends pas…
– Oh que si ! Le coupa-t-elle à nouveau dans sa tête. Je sais de quoi je parle !
– C’est plus compliqué… si tu pouvais les voir… si tu voyais Glenn… si tu l’avais vu… il faut que…
Le souvenir de dispute se fit couper quand il entendit des notes… non, un chant… un doux chant semblable à un ruisseau coulant entre les rochers… comme il en avait des milliers à Fraldarius… une berceuse… une douce mélopée qui sonnait vaguement familier à ses oreilles sensibles, encore plus depuis qu’il avait perdu un œil… comme le chant des sirènes…
Dimitri le suivit, et s’il devait se faire dévorer par un autre monstre, tant pis, il l’aurait de toute façon bien mérité.
Étrangement, au lieu de le mener à l’étang, la mélopée l’emmena à l’infirmerie, devant laquelle veillait Raphaël, sa masse à la ceinture, sa hache dégainée et ses protections de poings enserrant ses doigts… ça pouvait aller, même s’il semblait complètement indifférent au chant… au moins, il était concentré sur sa mission… mais c’était tout de même étrange… ce n’était pas la voix de Manuela, ni celle de Flayn, de Mercedes ou d’Annette, c’était une voix d’homme… ce n’était surement pas la voix de Linhardt, hors de question qu’il s’occupe des deux loups… Ashe pouvait aider à l’infirmerie mais, ce n’était pas lui, ni Ignatz… non… s’il devait donner un nom à cette voix, c’était… Glenn… ou au moins, cette voix ressemblait beaucoup à la sienne en plus douce, un peu comme celle de Rodrigue et Alix mais pas vraiment… Il passa devant Raphaël et entra, voulant en avoir le cœur net.
Dimitri découvrit alors un homme, penché sur Félix alors qu’il lui caressait les cheveux, la berceuse coulant de ses lèvres dans une langue que Dimitri ne comprenait pas. Il était tout petit, vraiment minuscule et maigre mais, il voyait la force dans tous ses mouvements, même les plus doux, comme la surface d’un lac dissimulant tous les courants fougueux au regard de l’imprudent. Ces joues étaient recouvertes d’écailles blanches, surement de la même couleur que sa peau d’origine, bien que son cou lacéré de branchies prenne une couleur sarcelle qui devait entièrement le recouvrir. Ces ouvertures ne semblaient cependant pas le gêner pour porter son collier, composé de quatre plaques en forme de mains ouvertes, couvertes d’une toute petite écriture dans différents alphabets. Sa propre main était palmée et ses doigts griffus, son chant révélait des crocs dans sa bouche, comme celle d’une créature lacustre sortie de l’eau. Quand il se redressa pour diriger son chant vers le père de Félix, ses yeux de chat bleu comme l’eau du lac s’accrochèrent à son œil unique, les mêmes que ceux de Rodrigue et Glenn… les yeux en amande des Fraldarius… les yeux de Fraldarius, l’Épéiste de l’Onde… Brave de l’eau et premier receveur de l’emblème confié par la Déesse avant de la trahir… il était là en personne…
La surprise passa dans ses prunelles, puis un côté blasé alors qu’il lui demandait quelque chose dans sa langue. C’était fou comme ses expressions étaient celles de Félix.
« Je ne parle pas latin, déclara froidement Dimitri.
– Ego loquor tua lingua, rétorqua-t-il visiblement (peut-être que lui comprenait le fodlan), avec la voix de Rodrigue en beaucoup plus cinglant, comme le ton d’Alix, ainsi que plus grave que la voix des jumeaux.
Il continua à parler en appuyant ce qu’il disait avec ses mains, montrant Dimitri, puis faisant un geste de quelqu’un qui marchait avant de montrer le sol de la pièce.
– Je t’ai entendu chanter, comprit-il. Je me demandais à qui appartenait cette voix. Je m’en vais.
– Dicendi finem jacere », déclara-t-il sèchement en s’approchant de lui. Comment pouvait-il être aussi petit ? Cet homme arrivait à peine à sa poitrine… il devait être à peine plus grand qu’Annette… il n’avait pas dû manger à sa faim souvent… « Ubi is ? Is urbi adversariis ?
– Je te l’ai déjà dit, je ne parle pas ta langue… lui rappela-t-il, même s’il dû répondre sur les mots transparents. Je vais à Embarr tuer Eldegard, tu ne m’arrêteras pas.
Fraldarius cribla Dimitri du regard, furieux. Tant pis, ce n’était pas lui directement qu’il devait venger, il devait tous les venger… dont les descendants de l’homme devant lui…
– C’est que tu ne comprends pas sa langue… il te dit d’y aller, vas-y… souffla Glenn à son oreille, Dimitri se détournant pour le regarder alors qu'il lui assurait avec un grand sourire entendu. Va nous venger… tous autant que nous sommes avant de les mettre à nouveau en danger…
Une gifle aqueuse le força à regarder Fraldarius, ce dernier le fixant impérieusement avec son regard d’eau trop semblable à celui des jumeaux et de Glenn. Il montra ses yeux, puis l’œil de Dimitri, avant de recommencer dans le sens inverse, des mots difficilement articulé sortant de sa bouche.
– Er…couvté… moi… sole… soli… sol. Ri… rien d’otr.
Il continua sans un mot, parlant avec ses mains et ses expressions. Il lui montra Rodrigue et Félix, profondément endormi, désigna leurs blessures et bandages, fit des gestes traduisant aussi bien que possible ce qu’il voulait dire. Il fit un signe d’attente, banda des membres blessés, nourrit quelqu’un alors qu’il faisait entre chaque geste un arc de cercle, comme pour mimer le passage du soleil et de la lune. Il montra à nouveau ses descendants mais, il ajouta aussi Dimitri à son énumération, puis désigna alors le sol où il se trouvait avec un signe de s’endormir.
– Je ne peux pas dormir ou me reposer, je dois les venger… et je ne peux pas rester. Je les mettrais encore plus en danger.
– Es contineri, et nominor Pertinax, marmonna-t-il avant de lui demander en montrant ses descendants. Tu aliquid respuo ? Mei filii filiorum elegerunt. Et tu eligis aliquid respuere delectuum ? Delectus no gravia sunt ?
– Arrête… je t’ai déjà dit que je ne comprends pas un traitre mot de ce que tu racontes, marmonna Dimitri en se frottant la tête, incapable de le regarder dans les yeux, ou mêmes ses enfants, n’entendant que les autres morts lui hurler de partir, de laisser Fraldarius là et d’aller les venger. Je dois venger les morts… c’est ce qu’ils me demandent sans cesse. Je dois…
Il sentit alors des doigts plus doux lui faire relever le menton jusqu’à ce qu’il regarde à nouveau le Brave dans les yeux, bien que toujours autoritaire. Félix était vraiment son portrait craché…
– Puer.
Il montra l’œil restant de Dimitri, puis les morts autour de lui avant de faire un signe de croix en déclarant.
– No gravia sunt.
Il désigna ensuite à nouveau son œil, puis là où devait être son cœur dans sa poitrine.
– Est. Anima gravissima est.
Le brave se détourna alors de lui, attrapant les mains qu’il portait en pendentif pour les tenir entre ses doigts, comme le faisait Rodrigue avec son chapelet, avant que des notes coulent à nouveau de ses lèvres. Il ne regardait plus Dimitri, ne s’occupait plus de lui, tournant plutôt toute son attention vers Félix et Rodrigue à qui cette berceuse était destinée, le vengeur aurait pu partir accomplir son devoir sans problème. Mais il resta sur place, ne pouvant se détourner de ce chant… la voix de Fraldarius était vraiment magnifique… certaines légendes disaient que le mythe des sirènes venait en fait de lui… en l’entendant, Dimitri voulait bien y croire… ce chant était si beau qu’il pourrait faire tout oublier… emporté n’importe qui… comme un bout de bois à la surface de l’eau du lac, balloté par les vagues… l’emporter lui-même…
La seconde d’après, Dimitri se retrouva dans son lit, seul et en silence. Il ignorait complètement s’il dormait ou non, il ne faisait plus la différence à présent entre les deux. Sa blessure lui faisait toujours aussi mal mais, les appels des morts semblaient plus faibles comparé à la douleur, cette dernière lui ordonnant encore plus fort de rester couché.
Il se laissa dériver à nouveau, comme si son esprit cherchait à réentendre la voix de la sirène, jusqu’à ce qu’il soit tiré à nouveau vers son lit par le bruit d’une petite dispute. Il ouvrit son œil et vit Manuela entrer, accompagné d’Hanneman, Dedue sur les talons étant donné qu’il le veillait.
« …et moi je te dis que tu n’as rien à dire sur mon ménage car… ah ! Bonjour Votre Altesse, je suis heureuse de vous voir réveiller ! Gazouilla Manuela. Je viens vérifier votre blessure si vous me le permettez. Excusez-nous que ce ne soit pas Mercedes, Flayn ou Marianne mais, elles sont de gardes.
Dimitri hocha la tête, la laissant faire en demandant.
– Félix et Rodrigue ?
– Ils dorment toujours mais, leur état est stable. Ils ont besoin de temps pour se remettre.
– Bien… … … . . . Professeur Hanneman ? Finit-il par demander avant que l’érudit s’en aille, ayant posé les bandages de Manuela sur le bureau de Dimitri.
– Oui Votre Altesse ?
– Parlez-vous latin ? Lui demanda le blessé, des mots tournant dans sa tête.
– Oui, évidemment, cela a été la langue de l’administration et de la science pendant longtemps au nord, lui assura le lérot. Pourquoi donc ?
– Pouvez-vous traduire « puer », « no gravia sunt » et « esse. Anima gravissima est » ? Dit par quelqu’un qui le parle tous les jours.
– Bien sûr ! C’est du latin un peu commun, ce n’est pas de la grande littérature mais, puer est un mot commun qui peut autant se traduire par « enfant » que « jeune esclave » selon le contexte. À l’époque où on parlait le latin comme langue vivante, on ne faisait pas la différence entre un enfant qui n’est pas le sien et un jeune esclave et la traduction dépend du contexte. Cela nous permet d’avoir des informations sur la manière dont l’enfance et le début de la vie était considéré à l’époque, ainsi que des indices sur la condition des enfants à ce… enfin, je m’égare. Pour « no gravia sunt », cela peut vouloir dire « ce n’est pas lourd » ou « ce n’est pas important » selon le contexte. Et pour « Esse. Anima gravissima est », cela veut dire « l’âme est la plus importante », lui expliqua en détail Hanneman, le regard brillant de plaisir de partager ses connaissances. Puis-je vous demander d’où vient cette demande ?
– Quelqu’un me l’a dit… cette nuit.
– Cette nuit ? Vous n’avez pas bougé de votre lit pourtant, s’étonna Dedue.
Dimitri se mura un peu dans le silence, pensif avant de marmonner, la lumière d’Areadbhar brillant à côté de son lit, protectrice. D’habitude, il dormait carrément avec elle quand il avait vraiment besoin de se reposer, la Relique couvrait les suppliques des morts avec la mélodie d’une flute…
– J’ai juste entendu une sirène chanter… nous restons tous ici tant que nous avons des blessés, finit-t-il par ordonner.
Ses mots durent un peu étonné s’il se fiait au silence général des morts et des vivants mais, Manuela assura avant que son père ne le reprenne.
– C’est une très sage décision, nous avons tous besoin de repos.
– Je vais immédiatement prévenir le capitaine Eisner, ajouta Hanneman avec un sourire sous sa grosse moustache. Avez-vous autre chose à lui transmettre Votre Altesse ?
– … non, à part de faire attention à tous les blessés.
– Bien sûr, cela va de soi, assura-t-il en partant, sa longue queue de lérot volant derrière lui sous son imposant manteau.
Manuela gazouilla en inspectant sa blessure, passant prudemment un onguent avec ses ailes.
– Bien, la blessure se referme correctement, vous êtes très résistant ! Dans quelques semaines, vous pourrez rebouger normalement !
– Et Rodrigue et Félix ? Répéta-t-il, voulant au moins autant de précision que pour lui.
– Hum… ses plumes se resserrèrent autour d’elle alors qu’elle avouait plus doucement, tirant de la bande pour changer son pansement. C’est plus dur à dire… leur blessure est plus profonde et grave, et ils ont tous les deux perdus énormément de sang et d’énergie… il leur faudra beaucoup de temps pour se remettre, s’ils le font complètement, Félix risque de garder des séquelles… nous saurons avec le temps, finit-elle en coupant la bande avant de reprendre. Cependant, je pense que l’on peut être optimiste. Ils ont tous les deux de bonnes raisons de s’en remettre. Cela ne fait pas tout, évidemment mais, si le patient veut survivre et s’en sortir, cela simplifie la tâche du médecin car, il n’a pas à lutter contre son propre patient pour le maintenir en vie. La force de la volonté peut faire énormément de chose parfois.
Dimitri resta silencieux, la laissant changer son bandage en songeant à ses mots.
Une fois qu’elle eut fini, il tenta de se relever mais, Dedue l’en empêcha, posant sa grosse patte d’ours sur son épaule.
– Vous devriez continuer à vous reposer Votre Altesse, vos blessures sont encore ouvertes.
– Je suis d’accord, vous devez à tout prix éviter de bouger, le soutint Manuela.
– Je n’en ai que pour quelques minutes.
Dimitri se releva malgré leurs protestations, attrapa Areadbhar puis descendit en s’appuyant sur elle. Il traversa toute la cour sans prêter attention aux regards qui le suivaient, mélangeant sans doute de la crainte et de l’étonnement mais, il les ignora, luttant déjà assez contre les réprimandes de son père et de sa belle-mère, ainsi que les railleries de Glenn lui disant qu’Eldegard se trouvait de l’autre côté. Il se força à ne pas les écouter, avançant en s’appuyant sur sa Relique afin de se déplacer plus facilement malgré ses blessures.
Le jeune homme se traina autant qu’il put jusqu’à la pièce où dormait les Fraldarius. Balthus le laissa passer sans discuter, alors que Mercedes et Marianne changeaient les bandages de Félix avec l’aide d’Ignatz, l’une empêchant les hémorragies de reprendre avec sa magie, pendant que l’autre changeait les bandages, l’artiste tenant aussi délicatement que possible le corps de l’épéiste. Sans perdre son objectif de vue, Dimitri s’avança jusqu’au fond de la pièce, là où se trouvait Aegis. Félix pouvait tenir sans lui apparemment, tant mieux. Délicatement, il posa Areadbhar à côté du bouclier, leurs deux gemmes de sang scintillant à l’unisson.
« Comme ça, vous jouerez à nouveau en duo… le chanteur et le flutiste non ? Il ne manque plus que Dominic mais bon, ça ferait trop de bruit si elle dansait dans la pièce. »
Leur lueur étrange sembla changer un peu mais, il ne prit pas la peine de décoder. Il se tourna à nouveau dans l’autre sens pour partir.
« Merci beaucoup pour l’attention, ronronna Mercedes, faisant signe à Ignatz de reposer Félix alors qu’elle venait de finir ses bandages.
L’épéiste dormait profondément, le visage neutre n’exprimant aucune émotion, pas même de la douleur, comme celui d’un mort paisiblement dans son sommeil. Il semblait encore plus petit comme ça… il était musclé mais, Félix semblait frêle ainsi, le torse entouré de bandage, le teint encore plus blafard à cause de la perte de sang, renforcé par l’encre de ses cheveux… Rodrigue aussi… on aurait deux poupées de verres sur le point de se briser…
– Ils vivent encore ? Demanda-t-il.
– Oui, bien sûr. Il leur faut beaucoup de soin mais, ils vivent toujours et vivront encore, lui assura la chatte crème. Leur cœur bat toujours.
Dimitri hocha la tête, avant de demander.
– Personne n’est rentré ici cette nuit ?
– Non, à part nous pour nos gardes, répondit Marianne, avant que la brebis ne note. Par contre, il y avait une sorte de magie dans la pièce… une sorte de présence mais, elle n’était pas agressive… elle semblait baigner la pièce pour la protéger…
Le jeune homme jeta son œil vers Aegis, brillant toujours faiblement mais, ayant repris de la force quand Areadbhar fut à côté de lui. Il marmonna, ne sachant même pas comment l’expliquer de toute façon.
– C’était juste Fraldarius. Je l’ai entendu chanter…
Il vit Glenn se décoller du chevet de son petit frère et de son père pour se tourner vers lui, visiblement furieux qu’il dévoile que leur ancêtre était apparu hier soir, voulant peut-être le garder pour eux… mais Ignatz le coupa, le gorgebleue gazouillant avec bonne humeur.
– Je suis sûr que l’Épéiste de l’Onde est toujours à leurs côtés pour les protéger ! J’ai lu plusieurs légendes où il apparait pour veiller sur eux sa famille, et il vient d’intervenir pour les sauver tous les deux. Si… si vous voulez, je peux peindre une icône de lui pour les protéger ? Nous faisons souvent ça à Leicester, nous gardons des petites icones des Braves sur nous pour nous accompagner dans nos tâches quotidiennes, selon leur spécialité. Ou au moins attiré la chance mais, c’est comme vous le désirez Votre Altesse, proposa-t-il plus timidement, hésitant. Mais je comprendrais si vous refusiez…
Dimitri ne savait même pas lui-même pourquoi il accepta d’un signe de tête, sans un mot, ni même prendre en compte le refus catégorique de Glenn, ainsi que celui de son père et de sa belle-mère. Mais ils disparurent quand le gazouillement joyeux d’Ignatz qui lui promit de faire de son mieux résonna dans la pièce.
Arrivée entre temps, Dedue et Manuela le ramenèrent dans son lit afin qu’il se repose et que ses blessures se referment correctement. De toute façon, après Gronder, tous les belligérants devaient reprendre des forces avant de se réaffronter. Eldegard avait été grièvement blessée alors, elle s’était retirée du côté d’Embarr. Si Ignatz avait bien tout compris, ceux qui s’en était les mieux sortis, c’était l’armée de l’Alliance, Claude ayant vite fait reculer leurs troupes quand il comprit que l’Impératrice tentait de faire s’affronter Faerghus et Leicester pour n’avoir qu’à finir le travail. Heureusement, en voyant Dimitri et avec les signes de ses camarades, le grand-duc avait fait reculer leurs troupes, déjà très peu nombreuses. Claude ne voulait pas affronter Dimitri et avait déjà envoyé tous les cerfs d’or mise à part Hilda à ses côtés en signe de bonne volonté dès la reprise du grand pont de Myrddin, ainsi que Lorenz qui jouait encore les agents doubles auprès d’Eldegard. C'était lui qui les avait prévenus des attentions de l'Impératrice. La Déesse soit louée, Dimitri ne les avait pas attaqués une fois la confusion écartée, le brouillard de magie noire levée, et les « troupes spéciales » d’Hubert rayées de la carte. Le bras droit d’Eldegard avait eu l’idée d’habiller deux de ses bataillons avec un équipement très proche de celui de l’Alliance et du Royaume, puis de les lancer contre les vraies factions alliées et royales, ce qui n’avait en rien aidé à améliorer la situation, surtout après la mort des messagers du Royaume dans l’Alliance… même eux ne savaient pas qui blâmer pour ça… les impériaux, Gloucester, des bandits, la malchance... trop de possibilité... encore heureux, ils étaient arrivés à écraser rapidement les troupes déguisées… sans ça, peut-être que… enfin, le principal était qu’une grande partie d’entre eux s’en était sortie vivant…
Quand Marianne et Mercedes n’eurent plus besoin de lui, Ignatz se précipita aux écuries, où il savait qu’il trouverait Ingrid en train de s’occuper de sa monture. Sylvain n’était pas avec elle pour une fois, partit en infiltration. Pendant les cinq ans, il s’était plusieurs fois rendu à Sreng avec sa mère pour s’assurer que les traités de paix avec sa tante, la reine Thorgil, tenaient toujours et en avait profité pour se faire tatouer un de leurs sorts dans le dos, lui permettant de se transformer en renard alors, il était un de leurs meilleurs éléments pour l’infiltration. Shamir l’avait chargé de vérifier si aucun soldat impérial ne rôdait autour du monastère discrètement, il ne devrait pas revenir avant plusieurs jours. Il lui raconta ce qui venait d’arriver à l’infirmerie, ainsi que les mots de Dimitri et son attitude. La chevalière eut un sourire victorieux.
« Il continue sur la bonne voie ! »
*
Le soir suivant, Dimitri se retrouva à déambuler à nouveau dans le monastère malgré ses blessures. Il entendait toujours le fredonnement de Fraldarius venir bercer ses oreilles mais, il se retient de le suivre, il refusait de déranger encore plus cette famille… Glenn lui en voulait assez de retarder sa vengeance…
Il sortit donc dans la cour, le vengeur bien décidé à enfin donner aux morts ce qu’ils réclamaient depuis des années, avant de recommencer à se trouver des excuses pour ne pas le faire… il devait se rendre à l’évidence et arrêter ses enfantillages à vouloir rester à leurs côtés à tous… c’était trop dangereux pour eux…
Dimitri traversa la cour devant le réfectoire, puis contourna l’étang pour sortir, quand il vit une silhouette colorée lui bloquer le passage, entouré des chats et des chiens habitants le monastère.  Ses cheveux roux prenaient une teinte plus douce sous la lumière tamisée de la lune, retenus autour de son front par un bandeau décoré de clochettes, sa tresse entourant ses épaules jusqu’à tomber au sol, habillé de feutre et de cuir colorés et brodés, avec une grande veste croisée sur sa poitrine, d’un pantalon épais et de bottes remontant jusqu’à ses genoux, un habit idéal pour un cavalier. Une longue canne reposait aussi sur son épaule, également agrémenté d’une clochette teintant dans la brise de la nuit. Une longue queue de renard dépassait de sa tunique, sa face était couverte de poils aussi roux que ses cheveux, ses ongles semblaient plus durs de loin…
L’homme coloré semblait bavarder avec les animaux tout autour de lui, mais il redressa la tête dès que Dimitri s’approcha, demandant dans une sorte de latin avant de répéter en fodlan avec un très fort accent.
« Qui est là ? Je sens qu’il y a quelqu’un… il prit appui sur sa canne pour se relever, demandant encore. Il y a quelqu’un… ne vous en faites pas, je jure devant les dieux que mes attentions sont pacifiques… il tourna la tête vers Dimitri, même s’il ne répondait toujours rien. Je crois que vous êtes là… je sens votre odeur dans ce sens-là…
Ses yeux étaient ouverts mais, ils ne voyaient rien. Ses yeux et sa cornée étaient opaques, recouverts d’un voile brun teinté de rouge… cet homme était complètement aveugle… et s’il se fiait à sa dernière rencontre nocturne ressemblant à quelqu’un qu’il connaissait, Dimitri devinait sans trop de problème à qui il avait à faire.
– Tu es Gautier, n’est-ce pas ? Que veux-tu ? Et comment peux-tu parler notre langue ? Tu es mort depuis des siècles…
– Tiens, ta voix ressemble beaucoup à celle de Simplex mais, on dirait que tu n’as rien mangé depuis des jours… elle sonne creuse… ou tu es beaucoup plus vieux… enfin, je me comprends pour le coup… et oui, c’est bien le nom de ma famille, je m’appelle Atta Gautier Loquax et ne te gênes pas, tu peux m’appeler Loquax. C’est peut-être parce que je suis doué pour apprendre d’autres langages et que j’aime discuter si j’arrive à parler ta langue, même si l’histoire durerait toute la nuit je pense… enfin, je ne suis que de passage. Après tout, nos pas nous mènent n’importe où et peuvent nous faire croiser n’importe qui.
– Alors, que me veux-tu ? Tu es comme Fraldarius ? Vas-tu me faire la leçon aussi ? Si tel est le cas, tu ne comprends pas, je dois le faire.
– Non, je ne le ferais pas, savoir ce que tu dois faire à ta place alors que je ne te connais pas serait présomptueux de ma part. Mmmhhnn… peut-être que je cherche tout de même un peu mon chemin… un chat m’a dit qu’ici, il y avait un lieu béni par une déesse. Si cela ne l’offense pas, je serais curieux de m’y rendre mais, j’ai du mal à m’orienter, cet endroit est construit étrangement… puis-je te demander de m’accompagner ? Je te laisserais vaquer à tes occupations après, je te le promets. J’ai juste besoin d’un bras et d’yeux qui me guident.
Son père lui hurlait de le laisser se débrouiller, qu’il n’avait pas à l’aider et qu’il devrait savoir se débrouiller tout seul avec sa cécité… il le hurlait si fort, voulait tellement qu’il…
« Tu crois que c’est ce qu’ils voudraient ? »
La voix impérieuse d’Ingrid résonna dans ses oreilles, sûre d’elle et autoritaire, ses plumes de pégases et autour de son œil se hérissant de colère en le voyant tenter de partir accomplir son devoir, dont envers son fiancé… mais d’un autre côté… Lambert ne dirait jamais ça dans son état normal… mais il n’était pas dans son état normal… il était mort… mort assassiné… sa tête n’était plus sur ses épaules mais sous son bras… il était mort horriblement alors, c’était normal que même lui soit dévoré par la haine… c’était normal qu’il soit dévoré par la haine… c’était normal pour tous… c’était normal que…
– Je te sens troublé, reprit Loquax, sa voix toute douce comme pouvait parfois l’être celle de Sylvain quand il s’inquiétait. Si tu es occupé ou que ma demande te gêne, je comprendrais et ne t’en fais pas, je me débrouillerais… ce village ne doit pas être construit si différemment de la ville de la reine…
– Non, ne put s’empêcher de dire Dimitri en le voyant se détourner, ne voulant pas qu’il parte tout de suite sans trop savoir pourquoi. Je t’accompagne… ce ne sera pas long, la cathédrale est à cinq minutes de marche, dix s’il marche vraiment lentement… je pourrais vite accomplir mon office.
Loquax sourit, soulagé d’avoir un peu d’aide. Il tendit sa main en cherchant le bras de Dimitri mais, ce dernier la mit directement sur son coude pour lui éviter de chercher dans le vide. De la fourrure rousse les recouvrait, et des griffes remplaçaient ses ongles mais, il fit tout pour que seule la partie tendre le touche, lui épargnant les pointes dures. Déesse, comment quelqu’un qui semblait être aussi doux pouvait-il être le Protecteur Sauvage, le guerrier féroce qui broyait tous ceux qui s’approchait trop près de son peuple ? Cet homme semblait être tout l’inverse des légendes autour de lui…
– Tu es donc très maigre, même si tu as aussi beaucoup de force, ce n’était pas l’âge… déclara-t-il en sentant les os sous les muscles de son bras, un air triste se gravant sur ses traits expressifs sous la fourrure. Les temps sont durs… j’ai un peu de nourriture dans mon sac, je peux partager si tu veux, je mangerais l’herbe que je sens autour de nous.
– Ce n’est pas la peine, se serait gaspiller de la nourriture de me la donner, je n’en ai pas besoin, rétorqua Dimitri. Garde-la pour toi.
– Tout être vivant a pourtant besoin de manger, tu risques de tomber malade ou de mourir si tu manges mal… je suis sûr que beaucoup de monde serait triste s’il te perdait… et ne t’en fais pas pour moi, à force de me transformer en cheval ou en cerf, j’arrive à digérer l’herbe et les feuilles des arbres, je peux me passer de la nourriture normale.
– Je ne mourrai pas avant d’avoir accompli ma mission. Ce n’est pas important pour l’instant. Attention aux marches, le prévient-il, voulant couper la conversation avant que Gautier n’aille trop loin.
Loquax fit buter sa canne contre les marches de l’escalier, tapa un peu dessus et autour pour voir ce que c’était puis, suivit le rythme lent de Dimitri pour grimper, attentif à ce qui l’entourait, ses oreilles n’arrêtant pas de bouger dans tous les sens sur le côté de son crâne.
– Hum… tu as donc une mission, souffla-t-il en avançant prudemment. Elle doit être très importante si c’est ta raison pour continuer à manger. Est-ce que cela veut dire que tu arrêteras de manger une fois qu’elle sera accomplie ?
– Tu n’arrêtes donc jamais de parler, grogna-t-il, ne voulant pas répondre à cette question, ça ne le regardait pas.
– Ah ! Ah ! Rit-il de bon cœur, et c’était encore le rire de Sylvain. Effectivement, je suis une véritable pie ! Je parle tout le temps ! C’est pour ça qu’on m’a surnommé Loquax, je suis horriblement bavard et je n’arrête pas de poser des questions. Le seul moment où je ne parlais pas, c’est quand j’ai perdu la vue jusqu’à ce que Régina ne me sorte de mon mutisme.
– Régina ? Et tu as perdu la vue ? Comment tu t’es débrouillé pour ne plus rien y voir ? Je croyais que c'était de naissance, tes yeux n'ont pas l'air si endommagé que ça.
– C’est ma meilleure amie, et mon épouse. C’est une femme extraordinaire avec une volonté de fer, elle m’a beaucoup aidé quand j’en avais le plus besoin. C’est avec elle que j’ai réappris à me déplacer même sans mes yeux par exemple, elle allait jusqu’à se bander les yeux pour voir comment je percevais les choses et mieux comprendre, ronronna-t-il comme un chat. Et oui, j’ai perdu la vue… j’étais encore brulant de fièvre à cause de mes entrainements de sorcellerie, j’ai essayé de découper un de nos moutons pour cuisiner, sauf que je tremblais trop… j’ai échappé mon couteau qui est parti se ficher dans mon œil… on a tenté de le soigner mais, la plaie s’est infecté et a fini par contaminé mon autre œil… les dieux soient loués, et surement merci à ma sorcellerie, j’ai survécu à l’infection mais depuis, je ne vois plus rien… je voyais surement autant que toi avant… même si on dirait que tu as une faiblesse du côté droit, fit-il remarquer. Tu prends toujours plus de temps quand il faut tourner dans cette direction… tu voies mal de ce côté-là ? Si ce n’est pas trop impoli ou indiscret, se corrigea-t-il.
– Au point où on en est… Je n’ai plus d’œil à droite. Un coup de lance au visage, j’ai arraché l’œil avant de finir comme toi quand il a commencé à noircir, j’ai trouvé de quoi soigner l’infection trop tard.
– D’accord, cela a dû être douloureux… tu devrais essayer de boire beaucoup de lait. J’ai entendu dire que quelqu’un qui ne mangeait rien d’autre que de l’avoine avait perdu la vue et plusieurs autres sens. Raison de plus pour manger un peu.
– N’insiste pas, rétorqua-t-il.
– Je peux toujours tenter, souligna Loquax. Et je comprends mieux pourquoi tu marches ainsi. Est-ce à cause de cela que tu manges si peu à part pour ta mission ?
– Comment ça ? Cela n’a rien à voir. À part si c’est une punition pour avoir tant tarder à accomplir la vengeance des morts…
– D’accord. C’est peut-être moi qui pense à ta place pour le coup. Je me sentais tellement inutile quand j’ai perdu mes yeux… aveugle, comment pouvais-je aider mon groupe ? Je pouvais à peine monter à cheval, je ne pouvais plus sculpter, je m’inquiétais de ne plus pouvoir garder les moutons ou les tondre, encore moins les chevaux… j’étais persuadé que je ne pouvais plus que baratter le lait, ce qui est un devoir important mais, je ne voyais vraiment pas comment être utile aux miens ainsi… même si je détestais déjà la violence, je pensais même que je n’étais pas utile car je ne pouvais plus me battre ou chasser… Ce n’est que quand j’ai réappris à me déplacer normalement que j’ai pu retrouver ma place en faisant ce que je savais le mieux faire, parler avec tout, humain comme animaux. » Un grondement amusé sortit de sa poitrine alors qu’ils arrivaient sur le pont de la cathédrale. « J’avais tellement la tête dans le sable de ma tristesse que je ne pensais même plus à ce que je préférais faire…
– Tu avais quel âge ?
Dimitri n’aurait pas dû poser cette question. Loquax semblait prêt à enfin se taire et à marcher en silence, ils étaient pratiquement arrivés à la cathédrale en plus mais, sans vraiment savoir pourquoi, il voulait encore l’entendre. Peut-être parce que la voix du Brave couvrait celles des morts, balayant leurs suppliques et leurs ordres avec ses intonations douces et calmes, peut-être aussi parce que ça faisait longtemps qu’il n’avait pas parlé aussi longtemps à quelqu’un qui ne lui ordonnait pas de ramener la tête d’Eldegard… c’était… agréable… même s’il ne méritait pas autant d’attention…
– J’avais « vu » seize étés. J’étais encore plus frustré de me dire que je perdais la vue et toute utilité avant même d’être adulte… heureusement que Régina m’a tiré la tête de tout ça et m’a bien aidé, ronronna-t-il encore.
Loquax semblait un peu amusé, comme une sorte de souvenir tendre… il lui racontait pourtant qu’il s’était cru complètement inutile et que jamais, il ne retrouverait ce qui aurait pu le rendre à nouveau utile à son peuple… qu’il vivrait à jamais dans le noir sans aucun espoir de retrouver ses yeux… ils étaient complètement morts… pourtant, ils se plissaient dans une expression joyeuse… son visage restait expressif et toujours doux… comme un vieux renard qui écoutaient les autres avec la nostalgie d’une vie bien remplie…
– Toi aussi, tu ne fais pas ton âge, souffla Dimitri en le faisant pénétrer dans la cathédrale. Nous sommes arrivés.
– On me le dit souvent. Merci beaucoup de m’avoir emmené ici… c’est vrai que l’atmosphère est différente ici… on a l’impression d’être dedans et dehors à la fois… cela ressemble bien à un endroit aimé d’une déesse…
Il le lâcha, avançant avec prudence en esquivant les gravats que rencontraient sa canne de marche, avant de trouver un relief qu’il inspecta du bout des doigts.
« C’est bon ? Tu as assez paressé comme ça ? Laisse-le et va nous venger à présent ! Mon assassine de fille s’éloigne de plus en plus de nous de seconde en seconde ! » S’écria sa belle-mère, sa robe de cendre semblant brûler encore et encore.
« Oui… j’y vais… il n’a plus besoin de moi… songea Dimitri avant de demander, étonné en le voyant se baisser et fouiller dans sa besace. Qu’est-ce que tu fais ?
– Je fais réchauffer ma nourriture, afin de partager mon repas avec la divinité ici présente comme il est de tradition de le faire. J’avoue qu’en plus, je commence à avoir faim. Enfin, si c’est interdit de cuisiner dans sa maison, je comprendrais…
– … non… je reste encore un peu, juste au cas où il aurait un problème. »
Le jeune homme s’avança vers Loquax, ayant sorti une sorte de purée de légumes et de fèves, ainsi qu’une gourde et les bols qui se trouvaient dans son grand sac. Il alluma du feu et plaça un plat de fer dessus, faisant à nouveau cuire ses aliments. Même si la langue de Dimitri était complètement morte, son nez pouvait encore dire que la nourriture sentait bon… un peu étrange mais bon… tout du long, Loquax discuta encore et encore avec lui, lui expliquant sa recette, la manière dont ils avaient troqué les pois et les plantes cultivés avec le village d’un certain Pertinax, en passant par la manière dont on trayait les juments chez lui.
« Que la fumée de notre cuisine rejoigne la Déesse qui habite en ce lieu, et que nous puissions partager ce repas avec elle, afin qu’elle protège notre route… pria-t-il en sortant deux gobelets qu’il remplit du contenu de sa gourde, que Dimitri reconnut comme étant du lait. Vu que tu ne veux manger, laisse-moi au moins partager avec toi un verre de lait. Je l’ai récupéré ce matin, il est encore tout frais, je te le jure.
Le blond comprit à peine lui-même pourquoi il leva la main pour prendre le verre. Les morts levèrent les yeux au ciel, mais Dimitri préféra voir le sourire de Loquax quand il accepta le verre. Il prit alors le sien et le leva en lui souhaitant.
– A notre route à tous les deux et qu’elles soient toujours tranquilles. »
Dimitri se réveilla en sentant encore l’odeur du repas et du lait dans son nez. Encore un rêve étrange… après Fraldarius, Gautier… il perdait tellement de temps… c’était déjà l’après-midi.
« Je devrais y aller… »
« Dimitri ? Tu es réveillé ? Sylvain entra dans la pièce, un grand plateau bloqué sur sa hanche pour libérer son autre main, son apparence de renard laissant place à son visage humain depuis longtemps. Ah ! Tant mieux ! Mercedes a dit que tu t’es réveillé ce matin avant de resombrer direct ! Enfin, c’est mieux vu qu’il faut que tu te reposes.
– Tu es déjà rentré ? Lui demanda-t-il, se souvenant qu’il ne devait revenir que demain.
– Oui, j’ai parcouru ma zone de recherche un peu plus vite qu’on ne le pensait. Être sur quatre pattes, même si elles ne sont pas bien longues, et pouvoir passer sous les buissons sans faire de détour, ça aide, lui assura-t-il. Dans tous les cas, livraison de repas ! Bouillon de la mer au fromage avec du poisson séché façon sreng par nos seigneurs et maitres en cuisine Dedue et Ashe ! Tu as mangé quelque chose ce matin ?
– Non…
Sylvain soupira un peu, son masque joyeux tombant un peu en dévoilant l’inquiétude. Il le reprit vite avant de déclarer.
– Je sais que tu ne veux pas manger plus que nécessaire ou que tu n’as pas faim mais, il faut que tu manges plus… tu as la peau sur les os… déjà que pour l’hygiène, c’est aussi le minimum du minimum, tu vas finir par tomber malade si tu continues… … avale au moins un peu de bouillon histoire de te caler un peu, d’accord ? Même deux ou trois cuillères et une bouchée de poisson, ce serait déjà bien, c’est une recette très nourrissante d’après ma cousine Hlif et mes tantes…
– … d’accord… mais tu peux rester ici ? S’il te plait… lui demanda-t-il.
Le rouquin ne cacha pas sa surprise mais, finit par sourire en acceptant avec joie. Il avait le même sourire que Loquax…
– D’accord, si tu veux ! Tu me laisses juste cinq minutes pour aller récupérer mon repas dans ma chambre ? J’avais prévu d’étudier un peu les rapports des autres éclaireurs mais, ça me semble une bien meilleure option ! Je reviens tout de suite !
… et sa langue bien pendue aussi. Mais Dimitri ne voulait pas que ça s’arrête… rien que quand il se retrouva à nouveau seul dans le silence, les morts recommençaient à grommeler et à marmonner dans ses oreilles… et il avait juste envie d’encore parler à quelqu’un de physique…
Il revient assez vite avec son repas après que Dimitri ait hoché la tête, composé d’un vrai ragout de viande et pas seulement d’un bouillon comme lui. En voyant son œil posé sur son bol, Sylvain le reprit avec amusement, sur le ton de la taquinerie qu’il utilisait depuis toujours, même s’il semblait faire attention à son dos.
– Désolé, faut que tu te contentes du bouillon, c’est pas bon de trop manger d’un coup après une grosse disette et en étant aussi maigre que toi. Faut que tu réhabitues ton corps petit à petit avec des plats qui ne te pèseront pas trop sur l’estomac. T’inquiète, ma mère nous a envoyé un livre de recette de chez elle qu’elle tient d’Arnina, la cuisine sreng est passé maitre dans ce genre de plat. Et ma tante Huld m’a bien dit de manger plus de viande quand je me transforme… et d’expérience, c’est mieux aussi quand je passe ma journée en renard. Déjà que j’ai le dos brûlant… enfin, une petite tête dans l’étang et ça allait mieux. Dans tous les cas, bon appétit ! Je meurs de faim !
– Merci… même si ton dos te fait encore mal. Tu le bouges à peine. La magie sreng semble douloureuse… et comment vont Rodrigue et Félix ?
– Hum… un peu, c’est une grosse question d’habitude. J’ai mis cinq ans avant de pouvoir me transformer et il fallait y aller doucement. Au départ, je ne tenais même pas deux minutes avec juste les capacités d’un renard, alors une transformation entière… ! Enfin, les transformations, une fois que t’es habitué, c’est ce qui fait le moins mal vu que ton corps encaisse pas mal de magie pour te transformer. C’est les autres sorts en dehors du rappel de l’arme qui sont vraiment difficiles à supporter sans être habitué. Tu verrais ma tante Huld et Hlif ! Elles sont couvertes de tatouages des pieds à la tête ! Et Hlif a autant galéré que moi avec ses sorts ! Enfin, le principal, c’est que maintenant, elles peuvent tenir longtemps, même si elles piquent toutes les deux une tête dans l’eau glaciale après. Hlif voulait me rejoindre ici même si là, elle aide Gautier à contrer les assauts de Cornélia. Elle déteste mon paternel et le trouve indigne de ma mère mais, elle veut aussi protéger Fregn et c’est un devoir d’aider les proches chez les srengs, surtout quand les temps sont durs. Pour Rodrigue, il se remet tranquillement, même s’il dort encore mais, c’est normal. Il a épuisé toutes ses forces après tout. Pour Félix, de ce que j’ai compris en revenant, il s’est un peu agité cette nuit mais, Mercie, Marianne et Flayn se relaient pour bien les surveiller au cas où. Pour le moment, l’hémorragie n’a pas repris alors, c’est déjà un bon point. Il faut surtout faire attention à ce qu’il boive beaucoup vu qu’il semble être un peu déshydraté.
– Tant mieux. Hlif… C’est une de tes cousines de mémoire… tu nous as déjà parlé d’elle avant. Tu en as beaucoup…
– Ouaip, c’est la fille de ma première tante Arnina ! On a le même âge tous les deux, et elle adore s’occuper des valravens alors, ça fait des sujets de conversation. Quand j’allais à Sreng avec ma mère, je passais beaucoup de temps avec elle. Tu la verrais sur un valraven, elle est impressionnante ! C’est pourquoi on l’appelle la Hrafn, le corbeau, elle est très douée dans les airs ! C’est vraiment quelqu’un de sympa, et elle voudrait vous rencontrer. J’ai aussi un petit cousin qui a failli me suivre, le petit Hveiti, il est très curieux de Fodlan à force d’en entendre parler mais, il est trop petit pour partir. Tu le verrais, c’est pratiquement un mini-toi ! C’est un tout petit gosse tout blond avec des yeux bien bleu qui colle pratiquement tout ! À chaque fois, il tentait de se planquer dans les bagages pour aller en Fodlan ! C’était son défi à lui ! Il rendait Thorgil folle ! Et beaucoup… oui et non, les srengs ont pas la même définition de la famille. On peut appeler cousin quelqu’un si on se souvient qu’on a un lien de sang avec lui, même si ce lien remonte à dix générations. C’est une expression pour marquer un lien ou de l’affection, même si ça n’est pas forcément de la parenté. Genre, pour un sreng, tu peux appeler Claude cousin vu que vous êtes parents éloignés et que vous le savez. Pour Hlif et Hveiti… il avala un morceau de viande de son ragout avant de reprendre. Enfin… Ludwig dit Hveiti, on l’appelle juste tous par son surnom parce que ça lui va juste comme un gant de s’appeler « blé », il est aussi blond qu’eux, c’est des cousins au sens fodlan du terme… et content de voir que tu manges un peu aussi ! Sourit-il avec joie et soulagement.
Dimitri constata alors qu’effectivement, il avait pratiquement vidé son assiette en écoutant Sylvain bavarder… il s’en était à peine rendu compte, enchainant les coups de cuillères dans le bouillon au fil de la conversation… tout était silencieux aussi. Cela faisait du bien…
– Tu ressembles beaucoup à Gautier tu sais… lâcha-t-il.
– Hum ? C’est-à-dire ? Lui demanda le rouquin.
Dimitri entendit la voix de Glenn revenir, se moquant de lui d’avoir dit ça, qu’il ne le croirait jamais… mais personne ne l’avait vraiment remis en question quand il avait avoué avoir entendu Fraldarius… et Sylvain l’avait souvent cru… pratiquement toujours même… il avait été un des premiers à le croire sur le fait que les duscuriens n’étaient pas responsables de la Tragédie… et lui aussi avait vu Gautier qui lui avait sauvé la vie après que Miklan l’ait abandonné dans la forêt enneigé, en témoignait les petits crocs qui remplaçaient ses canines à présent… peut-être que…
Le blond marmonna alors, devenant aussi bavard que Sylvain et Loquax.
– J’ai vu Gautier pendant mon sommeil… il te ressemblait vraiment beaucoup… et était tout le contraire des légendes…
– Vraiment ? Différent comment ? Le questionna-t-il à son tour.
– Très doux, très gentil et surtout, très bavard… il n’arrêtait pas de parler… il disait lui-même qu’il était une vraie pie… tu lui ressemblais vraiment… mais je suis sûr que c’était lui… même si je ne sais pas comment je l’ai vu…
– Hum… la Lance de la Destruction est appuyée contre le mur qui sépare nos chambres, ça aide peut-être ? En tout cas, je te crois.
– Tu ne me prends pas pour un fou ? S'étonna-t-il tout de même un peu.
– … honnêtement, je ne sais pas ce qui se passe dans ta tête, à part que pour toi, c’est réel, même si ce n’est pas cohérent. Tu as fait des choses vraiment horribles que je ne suis pas sûr de te pardonner… nous mettre en danger comme ça pour ta vengeance par exemple. Mais d’un autre côté, je sais aussi que pour toi, ce que tu voies est réel alors, tu ne mentiras pas là-dessus, et je ne vais pas t’en vouloir de me dire ce que tu vois en étant honnête. Je t’ai toujours cru, je vais pas arrêter maintenant. J’aurais plutôt préféré que tu nous dises avant que t’étais hanté par des fantômes qui te hurlaient de les venger avant, on aurait pu t’aider plus tôt.
– Donc, tu me crois quand je dis que j’ai vu ton ancêtre ? Sans toucher ta Relique ? Et qu’il était totalement différent des légendes sur lui ?
– Oui, je te crois. Je te fais confiance depuis toujours, on est amis tous les quatre depuis qu’on est tout petit, et j’ai pas envie de m’arrêter maintenant. De toute façon, je te suivrai jusqu’au bout, lui assura-t-il avec un peu de désinvolture dans sa voix mais, elle disparut vite sous le sérieux. Déjà, je me dis que c’est une bonne chose si tu avoues ce que tu vois. Pour moi, si tu affrontes ce que tu vois et que tu vas de l’avant, ça me va, ça me donne envie de te donner une seconde chance.
– Hum. Qui te dit que j’abandonnerais ma vengeance ? Elle devra bien être accomplie un jour ou l’autre, les morts doivent bien finir par reposer en paix ! S’exclama-t-il, presque autant pour se l’affirmer à lui-même et s’en reconvaincre tout seul.
– Si tu repars direct sur ça aussi… enfin, et si pour commencer, tu relevais un défi ? Lui proposa le rouquin en levant un doigt.
– Un défi… marmonna Dimitri, méfiant de ce qu’il allait dire, le regard dérivant vers Glenn qui lui montrait la porte et tapait dessus pour couvrir leur conversation.
– Par ici Dimitri, je suis là, le rappela tout de suite Sylvain. Il n’y a personne à la porte… en plus, s’il y a quelqu’un que je ne vois pas, il peut aussi entendre que ça te rendra service et que ça ne t’empêchera pas d’accomplir ta vengeance qu’ils désirent tous absolument, lui assura-t-il. C’est juste la manière sreng de faire. Ils font souvent comme ça que quand ils ont des objectifs à réaliser, ils se lancent un défi ou plusieurs pour se motiver.
– Ce serait quoi ?
– Le défi, c’est que tu continues à manger aussi bien que maintenant jusqu’à… hum… disons jusqu’à ce que Félix et Rodrigue se réveillent. Ça leur fera plaisir de te voir un peu mieux nourri alors, ça vaut encore plus le coup que tu acceptes. Qu’en dis-tu ?
– … … … d’accord… si on discute encore.
– Pas de souci, je suis sûr que les autres seraient aussi content de manger avec toi en bavardant ! Lui assura-t-il en souriant.
Les fantômes faisaient toujours du bruit, ils hurlaient toujours leurs suppliques mais, elles semblaient un peu moins fortes… c’était juste un petit temps d’attente supplémentaire et juste pour rassurer Félix et Rodrigue en mangeant un peu plus… Glenn n’aimerait pas les inquiéter tous les deux… il ne devrait pas trop lui en vouloir même s’il le faisait encore attendre… son père aussi… Rodrigue était son ami, tout comme Alix… l’un des jumeaux mourrait, l’autre le suivrait surement de près dans la tombe, encore plus s’il perdait aussi son neveu… cela devrait les calmer s’il voyait les choses comme ça…
*
Tout était noir, sombre… mais aussi calme… comme s’il flottait dans l’eau… son ventre lui faisait mal mais, il le sentait presque plus… la plaie se soignait petit à petit, autant sa peau que ses organes… l’eau faisait du bien…
Il entendait un petit râle.
C’était tout faible, presque inexistant… mais il ne pouvait que l’entendre…
« Mon louveteau… »
Rodrigue entrouvrit les yeux, voyant la forme lointaine de Félix… sa respiration aussi sifflante…
La dernière fois qu’il avait entendu ses râles, c’était quand il était brûlé par ce monstre d’Arundel… ils avaient eu si peur… toutes ses brûlures atroces… il avait failli… heureusement que Fraldarius avait… mais pour ça…
Aucune lumière dorée n’était près de son fils…
Aegis n’était pas avec lui…
Non…
Non… non… il devait…
Aegis devrait être avec lui…
Il l’avait toujours… protégé… même du pire…
Fraldarius tenait à sa famille même par-delà la mort…
Rodrigue se redressa comme il put, se tenant à tout en cherchant où était leur Relique qu’il entrevit près du mur… juste à côté d’une autre Relique mais, elle n’avait pas d’importance… juste…
En boitant de fatigue, il le rejoignit et attrapa le bouclier malgré son poids et le tira comme il put contre lui. Ses jambes tremblaient, comme ses bras, sa poitrine, ses mains, ses os… mais il ne pouvait pas tomber… il devait amener leur Relique à son fils… il en avait besoin.
Le père s’effondra quand il se retrouva à son chevet, mais ce n’était pas grave, il était arrivé… il tira le bouclier sur le lit, puis sous le bras de son petit qui le serra un peu contre lui par réflexe, comme toujours…
« Ça va aller… ça va aller… souffla Rodrigue malgré ses yeux de plus en plus flous, le souvenir de sa propre mère leur disant que ça irait pour les rassurer avec Alix. Tu as toujours été très fort… tu t’es toujours battu… toujours… je t’en supplie, reste encore… il arriva à attraper sa main, sourit en sentant ses doigts se serrer autour. Mon petit louveteau… Félicia… Glenn… veillez bien sur lui… merci pour tout Fraldarius…
– Mais qu’est-ce que… seigneur Rodrigue !
Il entendit la voix du jeune Ashe entrer et ses pas se précipiter vers eux, après la sonnerie d’une cloche.
– Ce n’est rien… souffla-t-il alors que les bras de l’archer l’entouraient. Sa respiration sifflait… il a besoin d’Aegis… il faut lui laisser…
– Euh… d’accord, nous le ferons. Ne vous en faites, on s’occupe bien de vous deux.
– Faites attention à Félix…
Il resombra dans ce sommeil aqueux, sentant toujours la main de son fils dans la sienne.
*
Mercedes se réveilla en sursaut en entendant la cloche d’urgence sonner dans ses oreilles. Elle se mit tout de suite sur ses pieds, encore habillée pour sa garde, prit sa sacoche d’urgence, puis fila en vitesse vers la chambre des Fraldarius. Elle trouva Ashe en train de tenter de tirer Rodrigue sur ses épaules, aidé par sa force d’archer, alors qu’il était accoudé au chevet de son fils.
« Ah ! Mercedes, tu es déjà là ! Souffla-t-il à mi-voix.
– Je suis venue dès que j’ai entendu la cloche. Qu’est-ce qui s’est passé ? Demanda-t-elle en prenant tout de suite le pouls du blessé.
– J’ai entendu du bruit alors, je suis entré et je l’ai trouvé à côté de Félix avec Aegis… il a dit qu’il a entendu que sa respiration était sifflante alors, qu’il fallait qu’il lui donne…
– Une respiration sifflante… répéta-t-elle, pensive.
Elle l’aida à remettre Rodrigue dans son lit, puis retourna auprès de Félix. Mercedes se pencha à côté de lui et écouta son souffle, posa doucement son doigt sur sa gorge pour prendre son pouls. Son cœur battait à toute vitesse, cognant avec force dans sa poitrine mais, cela restait stable avec son état.
Le regard de la guérisseuse se posa alors sur Aegis. Félix le tenait contre sa poitrine comme si c’était sa propre vie, la lueur jaunâtre semblant le protéger. Étant donné qu’il semblait tenir sans, les guérisseurs avaient tenté d’enlever sa Relique pour observer ce qu’il allait se passer. Elle tira alors la couverture, découvrant son dos bandé : sa marque d’énergie brillait légèrement, de l’énergie circulant à l’intérieur, comme si la magie remplaçait le sang… quand elle le frôla, elle avait l’impression de plonger ses doigts dans de l’eau, alors que la peau était très sèche à cet endroit. Félix buvait beaucoup mais, sa peau restait sèche, même s’il n’y avait pas d’autre symptôme de déshydratation. Peut-être que…
Prudente, Mercedes souffla, même si elle ne savait pas si le blessé l’entendrait mais, elle devait tenter. Sylvain et Ingrid lui avait dit qu’il entendait toujours tout quand il était inconscient, et elle avait malheureusement pu le vérifier par elle-même auparavant, même si le doute persistait. Ce serait surement trop brutal si elle ne le faisait pas, ou alors leur ami ne le lâcherait pas.
– Félix… il faut que tu me laisses te prendre Aegis. Je te jure que je te le rendrai presque tout de suite mais, il faut que je vérifie ta respiration. Rodrigue dit qu’elle est sifflante alors, je dois t’ausculter sans ta Relique, surtout qu’elle semble agir sur ton organisme encore plus qu’auparavant. Ce ne sera pas long, c’est promis…
La Déesse soit louée, la guérisseuse arriva à retirer le bouclier des mains de son patient sans trop de difficulté, remerciant aussi l’arme de ne pas l’attaquer. Félix les entendait d’une certaine manière, ce qui était une bonne nouvelle, et même si c’était étrange qu’un bouclier l’écoute, il s’agissait un don de la Déesse, ce n’était pas une arme ordinaire.
Dès que la protection physique de son ancêtre s’éloigna, la lumière dans son dos disparut, la magie dans ses veines semblant se dissiper avec elle et comme Rodrigue l’avait dit, sa respiration devient sifflante, comme s’il était essoufflé. C’était très faible, presque inaudible mais, le râle était bien là…
– Il a bien entendu. On dirait qu’il a du mal à respirer… vu qu’il a perdu beaucoup de sang à cause de l’hémorragie, il doit avoir du mal à en refaire. Il faudra qu’il mange des plats à base de foie et de rognon, c’est très bon pour le sang.
– D’accord, je lui cuisinerai tout ça. Mais comment le Seigneur Rodrigue a-t-il pu l’entendre de son lit ? On l’entend à peine en étant à côté de lui pourtant…
Mercedes fredonna avec un sourire, touchée. Il aimait vraiment son fils de tout son cœur…
– L’instinct paternel je dirais.
*
À nouveau, Dimitri se retrouva à déambuler dans le monastère pendant la nuit mais, il arriva un peu mieux à comprendre que c’était un rêve cette fois. Juste un rêve… peut-être… les morts continuaient à le supplier d’accomplir son devoir de toute façon…
« Juste le temps qu’ils se réveillent tous les deux… jura-t-il. Comme pour les repas et le défi de Sylvain… Rodrigue s’est réveillé la nuit dernière, même s’il s’est tout de suite rendormi… cela ne devrait plus être très long… »
Il déambula sans vraiment d’autres buts que de passer le temps, qu’il soit éveillé ou endormi, quand il entendit un petit fredonnement. Il crut au départ que c’était la voix de Fraldarius, avant de se rendre compte que c’était une voix de femme avec un timbre bien différent du sien. Elle était bien plus légère et semblait un peu se répéter, comme certains danseurs le faisaient pour s’accompagner en absence de musicien.
Arrivant à deviner qui il allait rencontré, Dimitri suivit la voix, et trouva une femme minuscule en train de virevolter entre les grands plans de lin trempés qu’elle étendait, dansant tout en travaillant avec un air joyeux. Elle était minuscule avec de très longues et innombrables tresses rousses qui drapaient chacun de ses mouvements, tout comme son collier où se côtoyaient quatre mains de fer en pendentif où un petit texte était écrit, très semblable à celui de Fraldarius. Sous ses châles à carreaux se dessinaient les contours d’une sorte de squelette extérieur, semblant fait de bois et de racine, l’entourant complètement, rendant sa silhouette à première vue frêle plus solide et forte, bien qu’elle semblât être une danseuse très expérimentée et musclée. Quand il la vit de face, il vit que ses pupilles étaient blanches au milieu des iris viridines mais, il sut assez vite qu’elle le voyait quand elle le fixa et le salua. C’était fou ce qu’elle ressemblait à Annette…
« Dominic j’imagine…
– Suis. Annia Dominica Laeta, se présenta-t-elle surement. Et tu ? Quo nomine es ?
Elle était encore plus dur à comprendre que Fraldarius… son accent était assez différent du sien même s’ils parlaient tous les deux latin normalement, surtout qu’elle s'exprimait très vite. Enfin, s’il était logique, il avait dû lui demander son nom.
– Dimitri…
– No nomen ? Es servus ?
– Je ne parle le latin, et tu es dure à comprendre… je ne comprends à peine ce que tu dis.
Elle fit une petite moue, avant de s’avancer vers lui. Une fois à côté de lui, elle traça des lettres au sol, puis se montra.
– Annia Dominica Laeta, arriva à lire le blond, ce qui la fit sourire qu’il arrive à se comprendre ainsi.
Même si la graphie des lettres avait changé, elle écrivait en majuscule ce qui la rendait plus facile à lire. Elle sourit avant de faire partir un trait de son nom qui se divisa en deux. D’un côté, elle écrivit un nom qui semblait féminin « Livia Justinia Fusca », puis un autre de l’autre côté « Annius Dominicus Messorinus ». De ce nom, elle fit remonter un autre trait avec un autre nom « Dominicus », puis un autre, puis un autre, puis un autre.
Elle pointa alors ce nom en répétant.
– Nomen.
– Tu parles des noms de familles ? … Blaiddyd. Je m’appelle Dimitri Alexandre Blaiddyd.
Elle eut l’air un peu étonnée, puis eut un sourire.
– Sicut Simplex. Nominorat Blaiddyd Simplex. Es…
Elle commenta quelque chose mais, elle parlait trop vite avec un accent trop fort pour qu’il comprenne quoi que ce soit… mais il la laissa faire, sa voix était apaisante et chassait un peu les fantômes.
Dominica… ou plutôt Laeta si son nom fonctionnait comme celui de Loquax, finit par fixer sa tête, l’inspectant de la tête au pied, avant de grimacer et de dire quelque chose qu’encore une fois, il ne comprit pas. Elle dut s’en rendre compte car, elle répéta mais, en faisant mine de se gratter de partout, avec des poux qui sautait sur ses bras et ses cheveux.
– Ce n’est pas important. Ce serait gaspillé du savon de l’utiliser pour moi.
Elle ajouta autre chose en faisant un signe de cercle avec son doigt, mimant une puce sauter sur son autre main et la gratter à son tour. Laeta sortit alors un grand peigne de sa ceinture, mima de l’utiliser sur elle puis le pointa lui. Elle mima autre chose qui devait être le fait de se savonner vu le contexte mais, il était bien incapable d’en être sûr…
« Après manger autant, tu veux qu’on te pomponne ? Tu ne mérites pas, arrête de lambiner et va nous venger. »
Le sermon des morts résonnait dans ses oreilles, répétant encore et encore la même chose. Ils avaient raison, il ne méritait aucun soin et gaspillait assez le temps et la nourriture des autres. Il devrait envoyer à Némésis le défi de Sylvain et repartir les venger immédiatement…
Mais Laeta le regardait avec une telle insistance, son peigne en bois dans les mains…
Elle ressemblait tellement à Annette quand elle voulait quelque chose et qu’il était impossible de lui dire non…
C’était de famille visiblement…
– Bon, céda-t-il. D’accord, je veux bien que tu me peignes…
Elle sourit en lui faisant signe de se baisser, étant beaucoup plus petite que lui. Elle devait faire la même taille qu’Annette… elle avait la même énergie et bonne humeur qu’elle en tout cas.
S’asseyant en tailleur à côté d’elle, Laeta passa dans son dos pour le peigner plus facilement. C’était presque comme à Gronder… après le premier coup, il était à genoux… c’était mérité… cette fille n’avait fait que réclamer justice pour son frère… il méritait toute sa fureur… et il s’était agenouillé, prêt à recevoir sa juste punition… un deuxième coup de poignard qu’il savait mérité… c’était son juste sort… jusqu’à ce que l’ombre de Rodrigue se…
Le léger tirement du peigne dans ses cheveux l’arracha à ses ruminations, entrecouper parfois de doigts qui farfouillait entre ses mèches pour l’épouiller ou ce qui ressemblait à une petite pince pour tirer des tiques, accompagné du bavardage de Laeta. Cela faisait longtemps que personne ne l’avait peigné… il l’avait fait lui-même depuis toujours, même si sa nourrice ou ses parents le coiffaient parfois pour les occasions importantes où il devait être apprêté. Un souvenir aqueux sortit de ses mèches, son père qui rit un peu d’une bêtise qu’il avait faite à Fhirdiad avec Félix et qui les avaient complètement ébouriffés… peut-être qu’il avait essayé d’utiliser la magie de vent ? Félix était autant un magicien qu’un épéiste avant la mort de Glenn, imitant Rodrigue pour manier aussi bien la magie que lui alors, ils avaient pu essayer de faire de l’aéromancie… il revoyait Rodrigue prendre Félix sur ses genoux, passant doucement un peigne dans ses cheveux après une petite leçon, tout comme Lambert le faisait aussi avec lui… le mouvement régulier du peigne dans ses mèches pour enlever les nœuds… c’était apaisant.
Laeta parlait tout du long qu’elle passait les petites dents souples dans les cheveux de Dimitri, comme si elle n’aimait pas le silence comme Loquax. Son ton était assez joyeux mais à un moment, il devient plus sombre, nostalgique mais lourd, comme si elle remuait des souvenirs durs.
– Je ne comprends toujours rien de ce que tu dis mais, tu as l’air de parler d’une mauvaise période de ta vie… je suis désolé pour ce qui t’es arrivé…
Dimitri ne savait même pas pourquoi il avait dit ça… il ne comprenait rien, elle aurait pu parler des pires idioties du monde qu’il n’aurait pas fait la différence, et ça ne le regardait pas, il devrait penser à sa vengeance uniquement et pas se soucier de ceux qui le ralentissait… mais il n’avait pu s’en empêcher, sentant que c’était quelque chose d’important pour Laeta.
Il sentit son sourire en demi-teinte derrière sa tête, avant qu’elle reprenne. Le ton était sérieux mais, plus elle avançait, plus ses mots semblaient gorger d’espoir avant de finir sur une joie qui ressemblait à une délivrance…
Elle finit par retourner à ses côtés, faisant onduler les dents de son peigne pour nettoyer les restes de vermines. Dimitri passa ses doigts dans ses cheveux… ils étaient de nouveau plutôt doux et en ordre, autant qu’il était possible… on lui avait toujours dit qu’il avait la crinière d’un lion, comme sa mère biologique, Héléna… ça grattait moins… c’était agréable…
Laeta déclara quelque chose qu’il ne comprenait pas mais, à son visage, cela semblait être un bon souvenir. Elle fit alors un geste de peigner quelqu’un dans le vide, ainsi que le fait que quelqu’un d’autre la peigne, son visage exprimant toute l’affection pour les personnes qu’elle mimait, des mots remplis de douceur quittant ses lèvres, ses mains finissant sur son cœur, attrapant ses mains en pendentif avec affection.
« Je crois que j’ai compris ce que tu dis… » souffla Dimitri en se réveillant dans son lit.
Il se redressa, sa blessure lui permettant de plus en plus de mouvements, bien qu’ils restaient douloureux. Se mettant sur ses pieds, il se dirigea vers son bureau, chercha dans les chiffons dont il se servait pour entretenir ses armes et ses cuirs, ainsi que son matériel de pansage, où il trouva un peigne pour la crinière des chevaux. Il enleva le crin qui se trouvait encore entre les dents, avant de les faire onduler afin de faire tomber la poussière dessus, travaillant méticuleusement afin de ne pas casser les petites tiges de bois toutes fines.
Il finissait de le nettoyer quand Annette entra avec Ashe, lui apportant tous les deux son repas avec le leur. Comme tout le monde depuis quelques jours, il les voyait comme des humains et plus comme des animaux… il ne savait pas trop pourquoi ou s’il fallait remercier Loquax pour cela…
« Ah ! Bonjour Votre Altesse ! Vous êtes déjà réveillé ? On vous apporte le petit déjeuner ! Et on peut rester pour discuter si vous voulez, lui proposa Ashe, plus timidement que Sylvain et Ingrid qui venaient toujours sans hésiter manger avec lui.
– Oui, merci.
– C’est normal ! Sourit la magicienne en entrant un peu plus. Vous avez ressorti un peigne ? Demanda-t-elle en le voyant avec le petit instrument à la main.
– Oui… hum… pour mettre de l’ordre sur… enfin, pour mettre de l’ordre pour faire simple… marmonna-t-il. Les rivières ne sont… peut-être pas les meilleurs endroits pour se laver…
S’il voulait bien dire ce qu’il voyait en rêve à Sylvain ou à Ingrid si l’occasion se présentait, il n’était pas prêt à le faire avec Annette et Ashe. C’était juste… pas le moment.
– D’accord ! Il faut dire, ça doit être bien emmêlé ! S’exclama-t-elle, toute contente de le voir accepter de prendre soin de lui. Par contre, il vous faudra un peu d’aide pour vous nettoyer correctement après tout ce temps… En plus, vous êtes encore faible et très maigre, il faut faire attention, ajouta-t-elle plus doucement.
– Je demanderais à Sylvain ou à Dedue s’ils peuvent vous aider mais, je suis sûre qu’ils seront d’accord ! Assura Ashe. Vous devriez être plus à l’aise avec eux.
– Je peux aussi vous peignez si vous voulez en attendant, proposa à son tour Annette. Ça permettra de dégrossir un peu !
– D’accord, accepta Dimitri sans trop de souci, l’enthousiasme de ses deux cadets couvrant les soupirs de consternation des fantômes.
Ils s’installèrent tous les trois pour manger, Ashe et Annette bavardant des dernières nouvelles du monastère et de leur armée. La nourriture disparut toute seule au fil de leur voix, avec aucun bruit de fond qui les gênait.
Quand ils eurent fini, Ashe repartit avec les plateaux vides chercher Sylvain ou Dedue. Annette l’emmena alors devant sa chambre, le faisant asseoir dehors, devant sa porte, pour éviter de mettre des parasites à l’intérieur, puis prit une minute pour aller récupérer un peigne en meilleur état dans sa chambre, ainsi qu’une petite pince et un petit récipient pour mettre les lentes. Elle inspecta le cuir chevelu pour enlever les tiques qui s’y accrochait, avant de passer le peigne tout doucement en fredonnant un air connu à Faerghus. C’était apaisant…
« Annette… finit-il par murmurer.
– Oui Votre Altesse ?
– Je voulais te demander pardon… pour avoir été aussi froid et négligeant avec toi… avec vous tous… j’ai été odieux et méprisable… tu avais raison quand tu disais que nous devions nous soutenir… j’ai dû te faire beaucoup de peine… je le regrette… je comprendrais si tu ne me pardonne pas… je l’aurais mérité…
– Hum… c’est vrai que ça a fait mal quand vous l’avez dit, avoua-t-elle, la voix sombre et lourde comme celle de son ancêtre. Mais si vous regrettez, je veux bien vous donner une autre chance ! J’ai envie de plus vous connaitre, et de vraiment vous connaitre ! Alors, je suis heureuse de vous voir aller mieux et de pouvoir bavarder avec vous ! Lui assura-t-elle avec son ton joyeux et gai.
Les fantômes levaient tous les yeux au ciel, semblaient lui hurler quelque chose, réclamant surement encore et encore leur vengeance mais ainsi, avec Annette à ses côtés… avec tout le monde à ses côtés… ils semblaient moins insistants… cela pouvait continuer encore un peu… au moins jusqu’à la fin de son défi et quand le seigneur Rodrigue et Félix seront complètement rétabli… c’était une bonne échéance…
Annette avait presque fini d’enlever le plus gros des nœuds, lorsqu’Ashe arriva avec Sylvain qui l’accompagna jusqu’aux bains et l’aida à se nettoyer. Cela ne le gênait pas trop, ils se connaissaient depuis trop longtemps pour être vraiment incommodé et ils s'étaient déjà baignés ensemble en été… la seule chose qui le gênait à présent, c’était de montrer à quel point il était squelettique mais, le rouquin ne fit aucune remarque, ni aucun commentaire. Il l’aida juste à enlever la crasse et les parasites sur lui sans rien dire de plus, à part lui demander s’il ne lui faisait pas mal.
Quand ils ressortirent, Dimitri avait des habits en bien meilleur état que ceux qu’il se bornait à mettre d’habitude, et il ne portait pas d’armure. C’était des vêtements de rechange de Sylvain, Ashe avait prit tout son linge pour aller le désinfecter et éradiquer tous les parasites qui pouvaient s’y trouver.
« Fais respirer un peu ta peau et ton corps ! C’est pas bon d’être tout le temps enfermé dans une cage en métal ! Tu vas choper des affections en plus si tu continues ! » Lui avait pratiquement ordonné Sylvain, et décidemment Ingrid déteignait sur lui pour ça…
Le bain et la vapeur l’avaient épuisé, pompé ses forces mais, il se sentait bien mieux maintenant qu’il était propre… moins démangé par les parasites… plus léger mais… mais ce qui gênait le plus Dimitri, c’était l’impression d’être presque nu sans son armure… sans cette protection… c’était plus simple d’être complètement enfermé et dissimulé sous l’acier et la toile de sa cape… il se drapa dans son manteau pour se cacher dedans, tout en se tenant un peu à Sylvain pour marcher correctement.
Ils allèrent tous les deux vers l’infirmerie clopin-clopant pour que Mercedes vérifie si sa blessure se refermait bien correctement, quand ils entendirent quelques notes volées. C’était tout faible mais, ils ne purent que reconnaitre ce timbre et d’où il venait.
Échangeant un regard, ils accélérèrent le pas comme ils purent pour monter à l’infirmerie, Sylvain portant même un peu Dimitri afin de gagner du temps et ne pas risquer qu’il tombe dans les escaliers. Quand ils y arrivèrent, ils virent Mercedes, Marianne, Flayn, Manuela et Ignatz dont c’était le tour de garde, attroupés devant la porte avec Ingrid, écoutant attentivement le chant dont les paroles étaient pratiquement toutes claires à présent.
Quand elle les vit, la chevalière leur fit signe d’approcher en silence, puis leur laissa un peu de place pour qu’ils puissent observer à l’intérieur de la pièce.
« Au clair de la lune, le vent chante,
Tu pleures dans cette forêt de cendres,
Les nuages vont alors tous descendre,
Pour que plus jamais, le mal te hante.
Au clair de la lune, les loups murmurent,
Sans un bruit, ils s’approchent de tes blessures,
Ils t’entourent, te réchauffent avec leur fourrure,
Cette protection douce, elle te rassure.
Au clair de la lune, la forêt te protègera toujours ici,
Aux hurlements des loups, la brise te réconforte,
Tous pansent tes blessures et au loin les emporte,
Dans leur rassurante étreinte, enfin tu t’endors guéri. »
Rodrigue était assis à côté de son fils, passant sa main dans ses cheveux, sa voix claire et douce s’élevant sans difficulté dans les airs, chantant les paroles de la berceuse de guérison sans trembler malgré les frissons de faiblesse qui parcourait son corps. Il semblait toujours aussi fatigué mais, il s’était enfin réveillé… enfin…
Quant à Félix, il semblait toujours aussi frêle et fragile, enveloppé dans sa couverture et ses bandages, comme un poisson forcé de rester hors de l’eau trop longtemps… cependant, son visage d’habitude neutre semblait plus calme, comme apaisé par la voix de son père, sa tête serré contre sa hanche, plus proche de lui à l’instant que pendant ses neuf dernières années… il tenait toujours leur Relique contre son cœur, Aegis les baignant de sa lueur protectrice… comme si toute la famille était réunie… il ne manquait plus qu’Alix…
Sylvain et Ingrid jetèrent un regard à Dimitri… cela faisait une éternité qu’il ne l’avait plus vu sourire ainsi…
*
Dimitri n’avait aucune idée du temps qu’il était resté à la porte sans osé entrer. Il avait réglé ce qu’il devait faire avec Gilbert, à part une chose, ce dernier lui ayant demandé qu’est-ce qu’il voulait faire à présent… Dimitri devait avouer qu’il ne savait pas lui-même… les morts lui hurlaient de foncer vers Embarr mais, petit à petit et à sa grande honte, il commençait à se dire qu’il devrait éviter pour le moment, que c’était trop dangereux… il croyait pourtant que c’était ce qu’il voulait aussi… mais maintenant, alors que leurs troupes retrouvaient petit à petit des forces… il ne savait plus… il avait remis ça à plus tard et l’avait aidé avec l’approvisionnement ainsi que la mise en défense du monastère comme il put, aiguillé par Byleth. Elle était souvent passée voir comment il allait mais, elle restait silencieuse la plupart du temps et quand il lui avait demandé pourquoi, elle avait juste répondu.
« Vos camarades vous disent bien mieux que moi ce que je pense. »
Encore une réponse cryptique… au moins, c’était en fodlan…
Enfin, depuis qu’il avait fini son travail avec Gilbert, le jeune homme était là, coincé devant cette porte… ne sachant pas quoi faire ou même dire ou autre chose… Rodrigue s’était enfin réveillé et apparemment, il n’avait pas trop de séquelle, même si sa convalescence serait très longue et que la douleur de la blessure restera toujours, comme un fantôme… est-ce qu’il avait juste le droit de le voir ? Après tout, c’était de sa faute si lui et son fils… lui et ses fils… en étaient là… et que son frère avait été à deux doigts de perdre son jumeau…
« Non… je n’ai pas le droit d’être ici… » songea-t-il en partant.
Cependant, il dut faire du bruit car, la voix usée de fatigue mais douce de Rodrigue s’éleva, demandant.
« Qui est là ? Mercedes ? Marianne ? C’est vous ?
Repéré, Dimitri ne put que se résoudre à entrer, saluant bien bas l’homme.
– Bonjour. Excusez-moi de vous déranger.
Il était assis au chevet de Félix, toujours profondément endormi, Aegis contre lui. Même quatre jours après son éveil, le père était encore fatigué et très pale, chaudement enveloppé dans sa couverture sur sa chaise mais, ses prunelles se posèrent doucement sur lui malgré tout et il lui sourit… des yeux de chat bleu comme de l’eau… exactement les mêmes que ceux de Fraldarius…
– Tu ne déranges pas, lui assura-t-il. Entre donc, cela ne doit pas être bon pour toi de rester debout trop longtemps… tu dois aussi te reposer. Il y a une autre chaise là.
Timidement, le jeune homme prit le siège qu’il lui désignait et s’installa à ses côtés, même s’il resta à une distance respectueuse, ne voulant pas s’imposer, encore moins à cet homme dont il n’avait jamais mérité le sacrifice. Glenn recommençait à s’agiter, furieux qu’il approche de sa famille, crachant ce qui lui restait de sang sur lui… Dimitri pouvait presque sentir les gouttes sur ses mains… cependant, le mort se tut quand son père demanda.
– Comment te sens-tu ? Tes blessures se referment bien ? Je n’ai pas pu te parler depuis mon réveil…
– Oui, elles se referment bien, je ne devrais pas avoir de séquelles à part une légère douleur chronique. Je serais prêt à retourner me battre dans quelques jours.
– Voilà une excellente nouvelle, même si faites attention à ne pas repartir trop tôt. Cela risquerait de les aggraver, lui recommanda-t-il avec prévenance.
– … d’accord. Et… et vous Rodrigue ?
– Je vais mieux. Je suis encore en convalescence pendant un moment mais, je devrais guérir, aussi à part quelques douleurs fantômes. Il faudra aussi que je fasse attention à ce que je mange pendant un temps, l’arme a surtout touché mon estomac mais, heureusement, mes poumons sont intacts. Je ne devrais pas non plus avoir de marque qui apparaissent comme pour Félix, Sylvain, Ingrid ou toi, étant donné que c’est la magie de Félix aidé par Fraldarius qui m’a soigné.
– D’accord, tant mieux… » souffla Dimitri, rassuré pour Rodrigue que ses poumons soient épargnés. Il aimait beaucoup chanté alors, une plaie aux poumons aurait pu entravé sa capacité à le faire. Puis il demanda, plus timide qu’il ne l’aurait voulu. « Et Félix ? … comment va-t-il ?
– L’état de Félix semble stable tant qu’on lui laisse Aegis. Cela a toujours été ainsi quand il était gravement blessé, notre Relique l’a toujours protégé… il est encore très faible mais, guérit et retrouve un peu plus de force chaque jour pour guérir… il est trop attaché à la vie pour la laisser filer ainsi, déclara-t-il, confiant envers son fils. C’est un battant qui ne laisse jamais rien tombé, je sais qu’il n’abandonnera pas aujourd’hui aussi… un sourire nostalgique fleurit sur le visage de Rodrigue, comme s’il glissait dans des souvenirs. Il est vraiment le portrait de Félicia… elle s’accrochait toujours et ne laissait jamais rien tombé, même si son cœur lui interdisait beaucoup de choses… elle ne supportait pas de ne pas aider les autres quand elle pouvait agir, même si cela impliquait de se mettre en danger elle-même à cause de sa santé fragile… Félix est aussi têtu et déterminé qu’elle.
Dimitri voyait à peu près ce que Rodrigue voulait dire. Il se souvenait du tableau de l’épouse de Rodrigue, Félicia… pas de son vrai visage, il ne l’avait jamais connu. Elle était morte en couches après avoir donné le jour à Félix, elle était de constitution très fragile… malgré tout, on leur avait beaucoup parlé de cette femme, les jumeaux les premiers. On la décrivait comme quelqu’un de très joyeux et vif, souvent au mépris de sa propre santé, mais qui n’oubliait jamais d’aider les autres. C’était ce qui revenait le plus sur sa personnalité, un rayon de soleil très inconscient, sauf quand on parlait commerce où elle était très habile et prudente. S’il se souvenait bien de la peinture qui la représentait, Félix était le portrait vivant de sa mère…
– Tant mieux… j’espère qu’il se remettra vite…
– J’en suis sûr. Et toi aussi, tu as l’air d’aller beaucoup mieux.
– Oui, mes blessures se referment bien.
– Je ne parle pas de cela, le corrigea-t-il doucement. Tes joues sont un peu moins creuses et on voie que tu t’es lavé correctement il y a peu de temps. Cela me rassure de te voir prendre soin de toi-même.
– Je ne mérite pas tant d’attention… marmonna-t-il, tous les fantômes hurlant dans ses oreilles, lui rappelant encore et encore sa mission malgré tout, alors que tant d’autres vivants tentaient de la lui faire oublier. Surtout pour la nourriture… si je n’avais pas relevé le défi de Sylvain… ils me le disent bien… tous… ce n’est que de la futilité et du gaspillage de temps et de ressources…
Un air triste apparut sur le visage de Rodrigue, au grand mécontentement de Glenn qui lui reprochait déjà de faire de la peine à son père. Dimitri aurait dû l’écouter et ne jamais venir ici…
– Dimitri… pourquoi serait-ce une perte de temps ? Tu risques de tomber malade à cause des carences ou des vermines si tu ne manges pas plus et que tu ne prends pas soin de toi-même…
– J’ai survécu ainsi pendant cinq ans…
– Et nous t’avons retrouvé comme l’ombre de toi-même, rétorqua l’homme plus âgé. Nous avons déjà eu si peur de t’avoir perdu ou de ce qui aurait pu t’arriver… et quand… Rodrigue secoua la tête. Personne ne veut te perdre, nous tenons tous à toi… il n’aimerait surement pas que je te le raconte mais, malgré tout ce qu’il te disait, Félix aussi était fou de chagrin pendant tout ce temps, même s’il n’a jamais accepté que tu étais mort… il t’a toujours cherché aussi…
– Je ne vous apporte pourtant que des problèmes… la preuve, vous avez tous les deux failli mourir par ma faute… Glenn le dit bien… je ne devrais pas vous approchez… je ne fais que vous mettre tous en danger… tous autant que vous êtes…
– Glenn te dirait donc ça… marmonna Rodrigue avant de le questionner, attentif. Dimitri, et si tu m’expliquais clairement ce que tu vois ? Tu n’en avais jamais parlé avant que nous nous te retrouvions, j’aimerais comprendre plus exactement ce qui t’arrive, si tu veux bien m’en parler.
« N’ose même pas raconter ce que tu voies, il te prendrait pour un encore plus gros taré que tu ne l’es déjà, » lui commanda Patricia mais, malgré tout, les mots coulèrent de ses lèvres.
– Je vois les morts de ce jour-là… partout… tout le temps… tel qu’il était le jour de la Tragédie… mon père décapité qui doit porter sa propre tête… ma belle-mère qui est complètement calcinée pour avoir disparu ainsi… Glenn qui regrette d’être venu à Duscur et de ne plus jamais vous revoir, toi, Félix et Alix… Nicola qui se brise en mille morceaux pour protéger Glenn… Myrina et Kimon qui se font massacrer alors qu’ils tentaient de se protéger l’un l’autre… Frédérique qui tente de fuir avec d’autres membres de l’intendance et appelle ses parents quand des flèches lui traversent le dos… Jacques qui est déchiqueté par la magie… tous les soldats de ce jour… tous leurs visages déformé par la souffrance… tous… tous… tous me réclament vengeance… leur sort a été si horrible… personne ne peut comprendre quelle horreur ils ont vécu… dans quelle horreur ils sont morts… à part moi… je suis le seul à avoir survécu alors… alors que bien plus aurait mille fois plus mérité de survivre… c’est mon devoir de les venger… c’est mon devoir à accomplir après avoir survécu… raconta-t-il en détournant de plus en plus le regard de Rodrigue, n’osant plus le regarder bien qu’il soit incapable de s’arrêter, même si les morts souriaient, ivres de joie constater qu’il n’avait pas oublié son devoir. C’est pour ça que j’ai survécu… c’est pour ça que je dois accomplir la mission qu’ils m’ont donné… qu’ils me rappellent à chaque instant… même maintenant… je ne peux pas les abandonner moi aussi… sinon… sinon… ils… ils ne pourront jamais…
– Tu connais la légende des feux follets Dimitri ?
La question fit taire le blond, ne s’attendant vraiment pas à ça. Il pensait que Rodrigue allait le disputer, le gronder, avoir peur de lui, ou pire ne rien dire du tout, être juste impénétrable comme quand il se disputait avec Lambert… mais non, c’était une question presque au hasard, poser au milieu de sa tirade en toute confiance. Ne pouvant pas faire vraiment autre chose, il répondit, un peu hésitant de ce qu’il allait suivre :
– Bien sûr. Ce sont des feux magiques qui attirent les voyageurs perdus pour les entrainer vers la mort… certains disent que c’est l’âme des morts dans les marécages ou l’eau trouble, et d’autres que ce sont des esprits malins qui s’amusent de la mort…
– Oui, c’est bien ce que dit la légende à leur sujet… … … moi aussi, j’ai perdu mon père de manière violente, il a pris un coup de poignard à la place de Sa Majesté Ludovic pour le protéger… même si j’étais bien plus petit que toi, j’étais encore un enfant qui ne comprenait pas la mort avec Alix. On ne comprenait même pas que la « boite » où il « dormait » était son cercueil, on pensait qu’il dormait dedans quand il est arrivé à la maison… raconta-t-il, un peu perdu dans ses pensées, Dimitri n’osant pas le couper. On ne comprenait pas pourquoi il n’était plus là, pourquoi on n’avait plus notre père, pourquoi des gens s’en prenait à notre mère, on était triste et on faisait tout pour qu’il revienne… même si notre « oncle » Ludovic nous avait dit qu’il était mort comme un vrai chevalier, on voulait juste le revoir une dernière fois…
– Comme un vrai chevalier ? Hoqueta Dimitri en entendant cela, reliant les points entre eux. Et Ludovic… est-ce que…
– Oui, c’était ton grand-père, Alix et moi le surnommions « Oncle Ludovic » quand nous étions petits. On le considérait ainsi, surtout qu’il était très proche de Guillaume, il considérait notre père comme son grand frère… c’est lui qui nous a annoncé sa mort… et nous expliquait ce que s’était en même temps, c’était la première fois qu’on la rencontrait… comme on ne comprenait pas, il a utilisé l’image du chevalier des histoires qu’on lisait, pour qu’on arrive à comprendre ce qui était arrivé à votre père… même si on a mis longtemps à comprendre réellement qu’il ne reviendrait pas… on voulait tellement le revoir… au moins une fois… alors un jour, alors qu’on était tous les deux sur le bord du lac en pensant à lui, on a cru voir sa silhouette au-dessus de l’eau… on était persuadé que c’était Guillaume qui nous disait de le rejoindre… on ne pensait même pas aux feux follets… on pensait que c’était vraiment papa…
– Alors, vous êtes entrés dans l’eau, devina Dimitri.
– Oui, on a avancé jusqu’à en avoir jusqu’à la taille et si notre mère n’était pas intervenue, on serait surement allé plus loin avec Alix… on était persuadé que c’était Guillaume… et quand on s’est débattus pour tenter de le rejoindre en pensant qu’elle ne le voyait pas, elle nous a dit que c’était des feux follets et elle nous a aussi posés une question…
– Et quelle était-elle ? Demanda-t-il.
– « Quel père digne de ce nom mettrait en danger ses enfants ? ». Notre père avait toujours fait passer sa famille avant tout, il ne nous aurait jamais mis en danger ainsi, même si notre envie de le revoir nous l’avait fait oublier… il posa doucement son regard dans le sien, lui demandant avec calme. Qu’en penses-tu ?
Dimitri détourna les yeux, incapable de le fixer. Devant son silence, Rodrigue insista, posant sa main sur sa joue pour le forcer à au moins voir dans sa direction.
– Dimitri, regarde-moi. Penses-tu vraiment que Lambert voudrait que tu coures ainsi à ta mort pour le venger ? Penses-tu que Glenn voudrait que tu meures pour lui ainsi ? Penses-tu que ta tante Myrina et ton oncle Kimon voudrait voir le fils unique de leur sœur Héléna mourir ainsi ? Penses-tu que Nicola voudrait que tu suives un chemin ensanglanté, alors qu’il a aidé Ludovic à détrôner Clovis le Sanglant ? Penses-tu que tous les morts voudraient voir encore plus de cadavres s’empiler ? Que tu risques ainsi ta vie pour eux ? Ce n’est que mon avis mais, je ne pense pas que Glenn souhaiterait un tel sort à qui que ce soit, même à l’être qu’il méprisait le plus au monde. Il t’aimait et te respectait énormément, il n’aurait jamais voulu te faire subir un sort aussi horrible et poser sur tes épaules autant de responsabilités si tôt. Nicola aussi, il n’aurait jamais voulu ça. À la mort de Guillaume, il n’a jamais réclamé une vengeance aveugle, il a toujours voulu la justice juste et réfléchie, pas un bain de sang. Lambert aussi, même si je le trouvais parfois très négligeant sur certains points, ne voudrait jamais que son fils et l’enfant qu’Héléna voulait et aimait tant ne risque sa vie pour le venger…
– Mais… mais c’est ce que je vois ! C’est ce que je vois et j’entends ! Je… je ne peux pas m’en empêcher ! Ils me disent ça ! Paniqua-t-il encore en s’échappant de sa main. Je ne peux que les voir et les entendre encore et encore ! Jamais ils ne me laisseront en paix avant que…
– Je le sais, le coupa à nouveau Rodrigue, son ton calme apaisant un peu Dimitri en voyant que l’homme le croyait. Je sais que tu ne mens pas et que c’est ce que tu vois. Je sais que ces fantômes sont bien réels pour toi, je ne le nie pas non plus. Je te demande juste de réfléchir à ce qu’ils te disent, et de te demander si cela leur ressemblerait vraiment.
– Si ça… je sais que… mais… mais ils insistent tant… Dimitri passa sa main sur son visage, couvrant son œil restant avec ses doigts. Je ne sais même pas par quoi commencer ou comment faire…
– Cela viendra… lui assura Rodrigue en posant sa main sur son bras, faisant un peu glisser sa main de son œil, permettant à Dimitri de voir son sourire et la confiance qui irradiait de lui. Pour cela, tu dois trouver la réponse non pas dans ce qu’ils te disent eux… déclara-t-il en montrant l’espace autour de la tête de Dimitri, avant de continuer en montrant sa tête puis sa poitrine, …mais là, et là. C’est là que trouvera la réponse qui te satisfera le plus.
Le jeune homme posa sa main sur son cœur, regardant Rodrigue, puis Félix qui dormait toujours, puis encore Aegis contre lui, luisant toujours, même si Dimitri y voyait à présent le même éclat que dans les yeux de ses descendants.
« Anima gravissima est… il faut croire que c’est de famille… »
*
La nuit était tombée quand Dimitri se réveilla. Il entendait la musique toute douce d’une flute… s’il se fiait aux précédentes nuits où il s’était réveillé ainsi, alors… alors…
Se levant avec le cœur à la fois rempli d’espoir et d’appréhension, le jeune homme descendit des dortoirs et rejoignit la cour au bord de l'étang où il vit une silhouette toute semblable à la sienne. Le flutiste y plongeait ses jambes, ses braies relevées dévoilant des cristaux de glace qui recouvraient également ses joues, sa gorge et tout le tour de sa tête, comme s’il portait une couronne sous ses très longs cheveux blonds comme les siens. Sa chevelure ressemblait à une rivière d’or interminable, liée dans un chignon qui tombait comme une tresse jusqu’à sa hanche. Mais ce qui l’étonna le plus à part qu’ils se ressemblaient énormément, c’était que c’était impossible de nier qu’un Brave était duscurien… sa peau était aussi noire que celle de Dedue… si la plupart des seigneurs et faerghiens savaient que le Flutiste des Glaces était duscurien, beaucoup le nieraient et diraient que c’était une erreur mais... il sentait son emblème réagir à ses côté… il le sentait jusque dans son sang... et cette mélodie...
L’air se finit sur une note toute douce et tendre, pleine d’affection, puis l’homme le regarda… ses yeux étaient vairons, le gauche azur d’eau entouré de quelques écailles semblables à celle de Fraldarius, le droit bleu faerghien comme les siens et ceux de son père… c’était fou comme ils se ressemblaient tous les deux… Dimitri avait presque l’impression de se voir dans un miroir…
Blaiddyd… » souffla Dimitri sans croire qu’il voyait son ancêtre à son tour et ses propres yeux... ils se ressemblaient tellement…
Il lui sourit en le saluant mais, il avait un accent encore plus fort que Laeta, ressemblant à une sorte de mélange entre le latin et le duscurien, ce qui faisait qu’il ne comprenait vraiment rien du tout à ce qu’il racontait.
Blaiddyd dut comprendre car, il répéta plus lentement, même s’il avait beaucoup de difficulté.
« P… pardonne… parle très mal tes mots… comprendre, oui… parler este difficile… bon jour faste… nom à moi este Blaiddyd Simplex. Ete tu ?
– B… bonjour à toi. Je m’appelle Dimitri Alexandre Blaiddyd… et tu parles plutôt bien ma langue, lui assura-t-il, même si le jeune homme se doutait qu’il aurait plus de mal s’il ne maitrisait pas le duscurien, son ancêtre parlant avec un accent très prononcé proche de ce langage.
Simplex sourit et lui fit signe de s’asseoir à côté de lui, commentant quand il le vit ramener ses jambes sous lui plutôt que les plonger dans l’eau.
– Eau froide… este bon après travail… moutons marchent beaucoup… pieds font mal à la nuit. Eau froide oublie douleur, et rappelle bons souvenirs.
– Tu es berger ? Et des bons souvenirs ? Que veux-tu dire ?
– Oui. Depuis toujours… mais maintenant… berger pour moi… pas pour maitre… et oui… avec… avec personnes très importantes pour moi, Laeta ete Pertinax », déclara-t-il en prenant son pendentif, un peu enfoui sous son grand châle mais, qui était le même que ceux des ancêtres de Félix et Annette : un fil avec quatre plaques en forme de main ouvertes, ainsi que des phrases gravées dessus dans deux alphabets différents. Ils avaient donc bien les mêmes car ils étaient amis. « Après journée dure, toujours dedans la rivière pieds mettaient…
« C’est vrai que selon les légendes, il est né esclave avant de se libérer avec Fraldarius et Dominic… songea-t-il au mot de son ancêtre. Il s’appelle Simplex on dirait… Loquax le connait donc aussi… si ce n’est pas un nom courant… il faut dire, leurs peuples sont voisins, ils ont dû se croiser… »
– Este comme musique, continua-t-il en posant sa flute sur ses genoux. Bons souvenirs ensembles… un commun amour pour musique… Pertinax a très beau chant… Laeta este meilleure danseuse… ete moi joue… … … …
Il hésita en lui montrant son instrument, visiblement hésitant et ne sachant pas quel était le bon mot. Il ne devait pas l’entendre souvent.
– Une « flute » ?
– Esse ! Une flute ! Flute aide à… enlever problème du cœur et… le ranger pour réfléchir… ete es une passion libre cum… aouec eux. Ete tu ? Commente te sense tu ?
Le jeune homme hésita, ne voulant pas répondre au début, avant de se rendre au regard attentif de Simplex. Après tout, parler avec tous les autres braves l’avaient aidé jusque-là…
– … je ne sais plus où j’en suis… avoua-t-il. Mais… mais à chaque fois que rencontre l’un d’entre vous… vous… vous semblez détenir toutes les réponses… alors… est-ce… est-ce que je peux t’en parler ?
– Toutes les réponses personne ne les a, même tous les dieux… mais veu bien t’aider… autant que moi pe… lui assura-t-il, attentif, posant sa flute à côté de lui pour mettre ses mains sur ses genoux.
– Je… je n’arrête pas de les entendre… les morts me réclament tous leurs vengeances, de combler leurs regrets en les vengeant tous pour leurs morts affreuses… ils me le répètent encore et encore…
– Tu voie toi comme ministre morts ?
– Le ministre ? Que veux-tu dire ?
– Oui ? Ministre, personne qui sert autres personnes, expliqua-t-il, Dimitri comprenant que son ancêtre s’était surement fait avoir par un faux ami pour « serviteur ». Ou arme morts ?
– Hum… si on veut pour les deux… après tout, ils ne peuvent plus rien faire d’eux-mêmes, ils ne peuvent pas plus assouvir la vengeance qu’ils me réclament tous tant… je l’ai dit à Ingrid et elle ne l’a pas compris mais, il revient aux vivants d’hériter de la volonté des morts… et il me revient comme seul survivant de ce massacre de les venger…
– Hum… mon sens m… mêh ? Mais ? Mai, sens de tes mots à mèh… mèh… aures, se rendit-il en montrant son oreille. Sens de tes mots a mèh aures comme esclaves des morts tu te considères toi… considères comme esclave de maitres morts…
– Leur esclave ? Que veux-tu dire ? Se redressa un peu Dimitri pour le regarder quand il entendit sa voix triste.
– Esclave este bétail… esclave este objet… humain sans être humain… vie esclave este au maitre, pas à esclave… esclave parfait este objet sin… sans âme ete esprit… raconta-t-il avec ses mots hachés et hésitants mais, le jeune homme pouvait voir toute la peine et le vécu à l’intérieur, Simplex parlant de quelque chose qu’il connaissait que trop bien. Toi et tu mots di… dicez obéir à ordres morts… mais mon sens de tu mots este obéir sans penser… armes sont objets… si lance tu esse, objet esse tu ?
– Cela ressemble un peu à ce que disait Rodrigue… à ce moment, si c’est ce qu’il faut pour les venger, je l’accepterais de l’être… … … enfin, c’est ce que je pensais… mais depuis que… depuis Gronder… je doute… je pensais que tous ces gens étaient morts pour moi et m’imposaient alors de survivre pour les venger mais, Rodrigue s’est sacrifié pour me sauver en disant qu’il le faisait pour ce en quoi il croyait et que ma vie m’appartenait… pas à quelqu’un d’autre… puis Félix a mis sa propre vie en jeu pour sauver celle de Rodrigue, même si cela le faisait souffrir et qu’il risquait sa propre vie…
– Ami Félix este pareil Pertinax, sourit Blaiddyd, faisant danser un peu ses mains jointes sur son cœur pour mieux se faire comprendre. Aime son paire ete famiye.
– Oui… il a toujours aimé sa famille plus que tout au monde… même si Glenn me hurle de ne plus les approcher car je les mets en danger, je ne peux pas m’en empêcher… tant de personnes m’ont également dit de vivre et tous leurs mots disent le contraire que ceux des morts… Ingrid, Pertinax, Loquax et Sylvain, Laeta, Annette et Ashe, Rodrigue quand il s’est réveillé, maintenant toi et tant d’autres personnes… tous me disent de vivre…
– Personne n’aime voir ami mourir… même a… après longue vie… amis t’aiment beaucou… lui assura-t-il.
– Je sais… mais… mais malgré tout ça… les morts sont encore là, réclament toujours encore et encore… alors… alors, toi qui es un Brave… dit-moi comment faire ? Comment puis-je mettre fin à leurs lamentations ? Comment puis-je… Comment puis-je les sauver ? Depuis ce jour, il y a neuf ans... je n’ai vécu que pour les venger. Même les journées passées à l’Académie des officiers avaient pour but d'accomplir ma vengeance et de les libérer de leurs regrets. C’est la seule raison pour laquelle j'ai continué à vivre… La seule raison qui me poussait à continuer…
– Morts sont mort. Mort ne rend rien. Maintenant, aouec autres morts ete dieux à eux. Mort à eux pas ta faute. Dans mon peuple, aide mort en mangeant aouec ete les oubliant pas sous souvenirs ete tristesse… souvient bons moments, souvient mauvais moments autant… mort este viouant avant, viouant este difficile à expliquer avec bon ete mauvais face… este comme neige… neige repose sols en hiver mais, tue aussi vivants avec froid… tu esse comme neige. Aouec bons et mauvais faces. Morts que tu aimes comme neige, aouec bons et mauvais faces. Ta vouie este comme neige… beaucoup de mauvais jour mais, aussi bons, avant mais, demain este jour faste…
Il posa sa main sur une de ses jambes, le tira un peu pour qu’il la déplie et la plonge dans l’eau, puis l’encouragea à mettre l’autre. L’eau était gelée et ses jambes de pantalon trempées mais, en même temps, c’était agréable… comme si la douleur était trop lourde et tombait au fond… il comprenait pourquoi après une longue journée de travail, surement affamés, maltraités, considérés avec autant d’attention que le bétail qu’ils gardaient, son ancêtre et ses amis allaient plonger leurs pieds dans l’eau…
– Ta journée atroce este longue comme annés mais, journée atroce peut s’arrêter… assez souffert tu as… ete te pardonner en ce jour… droit at repos ete paix…
– Me pardonner ? Le repos et la paix ? Répéta-t-il sans y croire, encore plus quand Simplex hocha la tête en souriant pour confirmer. Mais… mais alors… qu’est-ce que…
Dimitri se maudit lui-même en se réveillant en sursaut dans son lit. Il se réveillait toujours d’un coup après ces rêves étranges avec les Braves mais, c’était la première fois que c’était aussi brutal. Il devait y avoir une raison mais, quant à savoir laquelle…
Il regarda par la fenêtre, vit le soleil matinal s’élever doucement dans le ciel. C’était aussi l’heure pour lui.
Le jeune homme descendit pour manger avec Ingrid et Sylvain, ses deux-là le poussant à aller jusqu’au réfectoire pour manger, ce qu’il faisait sans trop de souci à présent, même si le regard lourd de ses hommes était impossible à ignorer. Ils n’avaient pas tort après tout… il n’était qu’un monstre sanguinaire qui méritait leur crainte… c’était une autre forme de juste punition…
Une fois leur ventre à tous les trois pleins, ils allèrent débuter leurs taches de la journée. Dimitri rejoignit Byleth et Gilbert dans la salle du conseil pour discuter de l’approvisionnement et de la marche à suivre.
« Le Seigneur Alix nous fournit toujours des vivres, tout comme la fratrie Charon qui sont arrivés à rassembler assez d’équipements pour nous les envoyer, déclara Gilbert. Ils nous ont aussi envoyer un grand nombre de lettres. Si une partie est pour Catherine afin d’avoir des nouvelles d’elles, l’autre est pour vous, et Lachésis aimerait que vous donniez votre avis vous-mêmes sur la situation dont sa fratrie et elle vous informent.
– Bien, j’y répondrais, répondit-il en prenant le tas de lettres. Pourrais-je aussi avoir votre avis sur la question ?
– Bien sûr, lui répondit simplement Byleth, son air assez indescriptible, comme toujours.
– Je vous aiderai Votre Altesse. Cependant, une des questions principales est celle de la reprise de Fhirdiad et du Royaume de Faerghus. Alix n’en parle pas mais, c’est la principale question de Lachésis Charon.
Dimitri se rétracta un peu à la question. C’était toujours aussi confus dans sa tête. Il penchait de plus en plus vers la reprise de Fhirdiad mais, il liait plus cela au fait qu’il devenait de moins en moins attentif à ce que réclamait les morts… après tout Fhirdiad avait besoin d’eux, ses sujets vivants souffraient du règne tyrannique de Cornélia et seuls Alix et Gautier avec l’aide de quelques royaumes srengs arrivaient à arrêter l’expansion du Duché… et encore, il arrivait quoi que ce soit à la mère de Sylvain et à Sylvain lui-même, sa tante Thorgil risquait de retirer ses troupes, et il y avait toujours le risque qu’elle se fasse renverser… les coups d’État pour renverser un souverain jugé incompétent était monnaie courante en Sreng… non, il devait libérer la capitale au plus vite… mais à côté de cela, les morts maintenaient leur objectif de gagner Embarr pour être vengé… les vivants voulaient et voudraient tous libérer Fhirdiad… les morts voulaient la tête d’Eldegard… choisir l’un ou l’autre lui donnait l’impression de trahir le camp mis de côté…
– Je pense que nous pouvons encore patienter avant de répondre, intervient Byleth. Nous devons encore reconstituer certains pans de notre armée, notamment nos fournitures de guerres et une partie de nos hommes sont encore blessés. Après tout, le combat a été rude et cela ne fait même pas une lune que nous avons remporté la victoire.
– Je comprends mais, nous ne pouvons pas repousser éternellement cette décision, lui rappela Gilbert. Il faudrait au mieux savoir quelle route nous suivrons à la fin de la lune du Grand Arbre ou au tout début de la lune des Chapelets au plus tard. Chaque jour qui passe est un jour de plus pour que nos ennemis pansent leurs plaies et reprennent des forces.
– J’en conviens mais, prendre une décision de manière précipitée ne ferait que nous achever. Comme vous l’avez dit, notre ennemi doit aussi reprendre des forces, surtout que nous avons détruit deux de ses principaux bataillons qui s’étaient grimé en nos troupes ou en celles de l’Alliance pour nous pousser à nous entretuer. Nous devons aussi finir de nous assurer que le Grand-Duc Claude est toujours notre allié malgré tout. Seteth s’attelle à cette tâche et notre alliance ne semble pas menacer mais, un mouvement trop brusque pourrait inquiéter Claude et ses proches, surtout que nous devons passer par les terres alliées pour nous rendre à Embarr au plus vite. Prudence et patience sont mères de sureté, le reprit-elle, avant de tourner son regard complètement neutre vers Dimitri. Vous pouvez encore réfléchir, et ainsi prendre une décision en laquelle vous avez vous-même foi et confiance.
– Merci professeure, la remercia Dimitri, comprenant en partie où elle voulait en venir.
Byleth hocha la tête avec un sourire discret, avant qu’ils ne reprennent le travail.
Ils discutaient de l’approvisionnement en blé de Garreg Mach quand un cri de douleur résonna dans tout l’étage, Dimitri reconnaissant tout de suite la voix. Sans réfléchir, il sauta hors de la salle du conseil, courut à toute vitesse à travers les couloirs et se précipita dans l’infirmerie. Il trouva le lit de Rodrigue vide, et Félix se tordant de fièvre dans le sien alors que Mercedes et Manuela lui rendaient Aegis, toutes les deux à cran.
« Qu’est-ce qui se passe ? Demanda-t-il, l’appréhension montant de plus en plus dans sa gorge alors qu’il s’approchait du lit. Où est Rodrigue ?
– Oh ! Dimitri ! Ne t’en fais pas pour Rodrigue, il se repose au soleil sur la terrasse de l’Archevêque, le grand air lui fera du bien. C’est plus l’état de Félix qui nous inquiète… avoua sa camarade de classe, alors que le blessé serrait à nouveau sa Relique contre sa poitrine par instinct.
– Cela fait une heure qu’il s’est mis à haleter plus fort qu’avant et à avoir de la fièvre, lui expliqua Manuela. Nous l’avons ausculté mais, aucune hémorragie ne s’est déclarée et il n’a reçu aucun choc physique ou magique… on a tenté de voir si on trouvait quelque chose sans Aegis mais, il s’est mis à hurler comme si on lui avait pris sa vie…
– Il ne résiste plus sans Aegis… marmonna Dimitri, s’imaginant déjà le pire, alors que Glenn arrêtait de lui hurler de s’éloigner de sa famille pour aller trancher la tête d’Eldegard, afin de rejoindre au chevet de son petit frère.
Félix se mit à se tordre autour de sa Relique, la serrant de plus en plus contre lui, semblant souffrir comme s’il était jeté sur des braises. Des paroles faibles coulèrent de ses lèvres, suppliant comme il ne l’avait jamais fait à part brûler vif.
– De l’eau… par pitié… de l’eau…
– De l’eau ? Répéta la médecin avant d’ordonner. Mercedes ! Va vite chercher le pichet ! Peut-être qu’il est plus déshydraté qu’on ne le pensait !
– Non, il n’a pas besoin d’eau comme ça, comprit Dimitri.
Sans hésiter, il prit Félix dans ses bras en faisant tout pour épargner son dos, tout en le laissant serrer son bouclier, même s’il dut redoubler de vigilance quand il le porta afin que le blessé ne tombe pas. Il descendit aussi prudemment et vite qu’il put les escaliers, avant de traverser tout le monastère en ignorant le regard des soldats et membres de l’intendance, éberlués de voir leur prince monstrueux porter l’épéiste qui le défiait si souvent comme un bébé, à moitié courbé en arrière non pas à cause de son poids mais, pour épargner à son dos des pressions inutiles et pour éviter qu’il tombe.
Quand il arriva à l’étang de pêche, Dimitri fit glisser Félix dans l’eau avec toute la douceur qu’il avait encore en lui, priant pour ne pas se tromper et avoir vu juste.
« Normalement, il te faudrait le lac Egua… c’est le lac de Fraldarius… enfin de Pertinax qui contient encore son pouvoir et fait des miracles… espérons que la Relique suffira pour l’instant… »
Le soulagement fit exploser son cœur quand il vit la marque dans le dos de son ami luire, à l’unisson avec le joyau d’Aegis, le blessé se calmant au contact avec le liquide clair. Lâchant un soupir, Dimitri resta à côté de Félix, le tenant par les épaules dans l’eau, son visage du côté du ciel pour éviter qu’il se noie. Félix avait toujours été un excellent nageur qui flottait facilement, et sa Relique semblait aussi l’aider à rester à la surface mais, c’était trop dangereux de le lâcher. Le jeune homme décida donc d’attendre que son dos s’arrête de briller, cela voudrait surement dire qu’il allait mieux et sinon, il aviserait à ce moment-là.
Le jeune homme regarda autour de lui. Simplex était là la nuit dernière, jouant cet air tout doux et affectueux avec sa double flute… le son qu’il en tirait n’était pas habituel mais, restait très agréable…
« Tu sais Félix, j’ai vu mon ancêtre ici hier soir, après avoir vu le tien, celui de Sylvain et celui d’Annette… Blaiddyd Simplex était là… juste là avec les pieds dans l’eau… lui raconta-t-il, s’était moins effrayant de parler à quelqu’un qui ne répondrait pas, pas immédiatement en tout cas. Je lui ai raconté ce qui s’est passé… ce que me demandent les morts… ce que demandent les vivants… et quand je lui ai demandé quoi faire, il m’a dit que j’avais assez souffert et de me pardonner à moi-même… je… je dois avouer que je ne sais pas si je peux… après tout ce temps où j’ai vécu seulement pour me venger et libérer les morts de leurs souffrances, est-ce que je peux… et si oui, pour qui… pour quoi devrais-je vivre ?
– Alors, tu vivras pour ce que tu crois toi pour une putain de fois.
Dimitri sursauta à la réponse, et se rendit alors compte que les yeux de Félix étaient à présent grands ouverts, l’ambre planté dans son œil restant et dans son orbite vide. Il bégaya, ne s’y attendant pas du tout, resserrant sa prise autour de ses épaules pour ne pas l’échapper dans l’eau.
– Tu… Félix ! Tu es enfin réveillé ! Mais… mais depuis…
– Depuis que tu m’as enfin mis dans l’eau… bordel, je ne rêvais que de ça mais, je n’avais même plus assez de force pour le dire jusqu’à ce que j’en puisse plus… j’avais l’impression de sécher sur place à part quand il… il ravala ce qu’il allait ajouter avant de lui rappeler. De toutes façons, j’entends toujours tout quand je suis inconscient, et c’est pas le plus important. Arrête de vivre pour des morts qui ne voudraient jamais ça, et vis pour toi pour une fois. Glenn ne voudrait jamais te faire ça et tu le sais ! Encore plus si ça te pousse à te laisser poignarder par une gosse ! Déesse ! Ne nous refais jamais un coup pareil ! Mon père recommencera à tenter de le prendre à ta place et même si je ne pourrais surement pas recommencer, j’essaierais quand même de le soigner car, refuser de laisser les autres mourir quand on peut faire quelque à s’en faire mal soi-même, décidemment, c’est de famille ! Même quand ça va jusqu’à la connerie car, ça va nous tuer comme Félicia avec son cœur troué, grogna-t-il, avec trop de pétulance pour quelqu’un qui se réveillait à peine d’un coma de plusieurs semaines, même si cela lui ressemblait bien. Alors, arrête de te jeter à la mort ou je te ressuscite pour te tuer après pour ta connerie !
– Félix… murmura Dimitri, heureux de le voir toujours être égal lui-même malgré tout, même si les mots lui manquaient. Ce en quoi je crois… tu parles comme ton père… tu lui ressembles tellement…
– Je ressemble à ma mère, même toi tu le sais et le vieux n’arrête pas de le répéter. En plus, ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est que tu arrêtes de croire que tu dois venger tous les morts de ce jour, mon grand frère le premier car, t’as toujours pas compris que Glenn ne voudrait jamais ça, et que tu commences à accepter de juste vivre ta vie pour ce que toi tu veux et pas les autres.
– Cela a l’air simple dit comme ça…
– Car ça l’est, piqua-t-il. Faut juste que tu l’accepte et ça, on ne peut pas le faire à ta place.
– Mais pourrais-je vraiment Félix… tu es le premier à le dire… le premier à l’avoir vu… je ne suis qu’un phacochère… mes mains sont tachées de sang… pourrais-je ne serait-ce qu’espérer vivre ma vie ainsi ? Moi qui suis le seul survivant de ce jour tragique, ai-je… ai-je le droit de vivre pour moi-même… ?
– Pas la moindre idée à part que tu réfléchis trop pour un phacochère. Tu ne le sauras jamais si tu n’essayes pas alors, arrête de tourner autour du pot et décides-toi. Histoire que mon père ne se soit pas pris un coup de couteau dans le ventre et que je ne sois pas dans cet état pour rien…
– Si tu savais comme je regrette pour cela… souffla-t-il, les remords dévorant encore plus fort son cœur à sa remarque. Je n’ai rien d’autre que des mots pour l’exprimer mais…
– Non, tu peux aussi arrêter de marmonner et agir, rétorqua-t-il.
Le blond se tut quelques secondes, faisant le point sur tout ce qui s’était passé, tout ce qu’il avait vu, toutes les personnes avec qui il avait parlé et échangé, le poids de Félix sur ses mains qu’il ne devait surtout pas lâcher l’empêchant de dériver trop loin.
– J’ai enfin compris… souffla-t-il, un fardeau semblant tomber de son cœur alors qu’il prenait sa décision en sachant que c’était la sienne. Nous allons libérer Fhirdiad.
– Et bien enfin. T’en as mis du temps à te décider Dimitri. T’as intérêt à reprendre la capitale et à bouter Cornélia et les impériaux hors de Faerghus.
– Je te le promets…
– Et bien, on avance… conclut-il avant de se reblottir contre sa Relique en fermant les yeux et de se laisser simplement flotter dans l’eau, ayant surement fini de dire ce qu’il voulait.
Dimitri sourit un peu de le voir se détendre autant en sa présence, et le laissa tranquille. Ils s’étaient déjà tout dit de toutes façons…
– Félix !
Les iris d’ambre s’ouvrirent à nouveau d’un coup, en entendant la voix toute faible et essoufflée de Rodrigue l’appeler. Dimitri se tourna pour voir l’homme arrivée, Alois l’aidant à se déplacer avec Marianne. Reprenant difficilement son souffle après autant d’effort malgré sa blessure, le père demanda, mort d’inquiétude.
– Dimitri… j’ai entendu F… pfff… Félix crier… il n’était pas à l’infirmerie… Manuela et Mercedes m’ont… arf… m’ont dit que vous… que vous l’aviez emmené… est-ce que…
– Il avait besoin d’eau, il m’a expliqué qu’il avait l’impression de se dessécher, lui expliqua Dimitri avant de le rassurer. Il va mieux maintenant.
– Il te l’a expliqué… alors… devina-t-il, les yeux brillants d’espoir.
– Je suis réveillé… père… marmonna Félix, le visage à moitié caché par Aegis.
Rodrigue s’approcha encore puis se détacha comme il put d’Alois pour se baisser au plus près de son fils, même si l’autre père l’aida à se baisser pour qu’il ne parte pas la tête en avant. Des larmes de soulagement bordaient ses yeux quand ils rencontrèrent l’ambre de ceux de son fils.
– Félix… la Déesse soit louée… j’ai… j’ai eu si peur…
– Toi aussi, tu… tu as été… à… tu es… les mots de Félix se bousculèrent maladroitement dans sa bouche, avant que les plus justes arrivaient finalement à s’échapper, même si l’épéiste baissait les yeux pour fuir le contact visuel, à moitié caché par Aegis. Moi aussi, j’ai eu peur… tu m’as fait peur… ne me refais plus jamais ça. Alix dépérirait sans toi… t’es la dernière personne qu’il veut perdre…
Rodrigue sourit, Dimitri entendant aussi la phrase qui n’était pas prononcé mais, que les yeux et l’attitude de Félix hurlaient : « je ne veux pas te perdre ».
– C’est promis… lui jura-t-il en tendant timidement la main vers lui.
Après une seconde d’hésitation gênée, Félix leva également la sienne de la même manière, attrapant les doigts de son père.
– Je crois qu’il faut qu’on parle… marmonna le jeune homme, jetant un regard furtif à son père avant de se détourner immédiatement.
– Je pense aussi… confirma Rodrigue en serrant la petite main de fils dans la sienne légèrement plus grande. Mais en attendant, repose-toi… tu as encore besoin de repos louveteau…
Dimitri sourit à son tour quand il vit Félix s’endormir à nouveau mais, en tenant toujours la main de son père…
« Cela fait des années que tu n’as plus laissé personne t’appeler louveteau… la famille du loup… cela vous va bien… »
*
Deux semaines plus tard, l’armée prit la direction Fhirdiad. Tous les régiments étaient en ordre pour combattre Cornélia, les soldats guéris et bien équipés avançant à un rythme soutenu, leur désir de chasser les impériaux de la capitale et de Faerghus. Dimitri les regarda le suivre, sans hésitation malgré leur doute à son encontre, la peur qu’il avait pu leur inspirer quand il ne pensait qu’à la vengeance… il ne le méritait pas… pas quand les fantômes lui hurlaient encore et encore de faire demi-tour et de foncer vers Embarr pour couper la tête d’Eldegard pour leur offrir… il était forcé de regarder ses amis pour se rappeler ce qu’il devait faire pour les vivants et pas pour les morts… le jeune homme avait encore besoin de cette béquille et de cette ancre pour ne pas perdre de vue ce qu’il devait faire… enfin, il devait tenir, toute son armée comptait sur lui. Il devait être à la hauteur de leurs attentes et faire cesser la tyrannie de Cornélia sur son Royaume.
Pour se rendre à Fhirdiad, la route la plus directe et praticable pour une armée comme la leur passait par Fraldarius. Il ferait escale par leur ville Fort Egua puis partirait par la Grand’Route jusqu’à la capitale directement, qui était moins protégé de ce côté-ci à cause des liens entre les familles royales et ducales, à part un réseau de fortification côté Fraldarius datant de l’époque de Kyphon et Clothilde, puis restauré sous les parents des jumeaux, Guillaume et Aliénor. Ils en profiteraient pour confier Rodrigue et Félix, allongés dans une charrette en dormant la plupart du temps, à Alix, ils pourraient mieux s’occuper d’eux et l’épéiste serait près du Lac Egua. Il avait besoin d’aller régulièrement dans l’eau sinon, il avait l’impression de se dessécher et c’était presque qu’à cette condition que ses blessures se soignaient réellement. Le lac toujours pur de Pertinax lui ferait le plus grand bien… en plus, Alix devait être mort d’inquiétude pour eux.
Quand ils traversèrent les terres des Fraldarius, ils virent des habitants travailler dans les champs, une tâche rude et rigoureuse dans les terres gorgées d’eau de la famille ducale, les champs demandant à être régulièrement drainées afin d’être exploitable et pour chasser des maladies comme le paludisme. Si Dimitri se fiait à l’aspect des champs, les jumeaux avaient réussi à conserver assez de ressources pour entretenir leurs terres… la nourriture que leur avait apporté Rodrigue venait certainement d’ici. Quand les paysans virent l’étendard royal et celui de l’Ordre de Seiros marcher côte à côte, ils s’arrêtèrent dans leurs travaux agricoles pour se précipiter vers eux, acclamant l’armée royale, les encourageant et demandant où était leurs seigneurs. « Où sont le loup calme et le louveteau ? » était la question sur toutes les lèvres.
« On a entendu dire que le loup avait pris un coup pour vous Altesse, puis que le louveteau a pratiquement donné sa vie pour le sauver, déclara une femme à la peau brûlée par le soleil. Comment vont-ils ?
– Ils vont bien ? Demanda un homme. Vu que pour les ducs, c’est des vrais jumeaux, le loup vif risque de très mal le vivre de ne plus être avec son frère… déjà que d’après les rumeurs, c’était très dur d’être séparé ces dernières années…
– Vous nous les ramenez en entier ? Demanda un autre.
– J’espère ! S’exclama une vieille femme. Ils ont déjà vécu plus longtemps que leur père pour les jumeaux mais, qu’ils ne perdent pas la vie si vite ! Tout comme le louveteau ! C’est un jeune loup à présent mais, il est bien trop jeune pour y rester ! C’était l’âge où la duchesse Alix et son mari Rodrigue sont morts pour Clovis le Sanglant ! Et on a vu ce que ça a donné !
– Je comprends votre inquiétude, surtout que ces rumeurs sont vraies. Par la grâce de l’Épéiste de l’Onde et leur force de vie, ils vont bien tous les deux, même s’ils devront beaucoup se reposer pour guérir complètement. Nous les ramenons aussi au Seigneur Alix afin qu’ils se reposent plus loin des lignes de front, une fois la capitale reprise.
– C’est vrai ?! Ils sont là et vous allez reprendre la capitale ?!
– La Déesse et Fraldarius soient loués !
– Ils sont en vie !
– L’un des bons ducs et son fils sont sauvés et vivants !
– Vive le roi et les ducs !
– Hourra ! Hourra !
– Reprenez vite Fhirdiad de cette démone envoyée de l’Impératrice !
– Tout le monde vous attend !
– Il y a quelque chose que nous puissions faire pour vous Votre Altesse ?
– On peut aussi se battre à vos côtés !
– C’est vrai ! On a nos fléaux et nos fourches !
– Restez en sécurité et faites attention à vous, les calma un peu Dimitri avant de leur assurer. Vous êtes déjà une force centrale de notre armée : c’est le blé que vous cultivez qui nous nourrit. Sans votre travail acharné, nous ne pourrions pas combattre. Vous avez toute notre reconnaissance.
– On bossera encore plus fort alors ! S’écrièrent-ils alors avant de scander à nouveau. Pour le roi ! Pour les ducs ! Pour Faerghus !
– Faites juste dégager Cornélia de votre trône et on sera là pour nourrir tout le monde derrière !
Le soutien du peuple de Fraldarius toucha Dimitri en plein cœur. S’il savait ce qui étaient arrivé à Rodrigue et Félix, ils étaient surement aussi au courant de l’état où il était avant… ou au moins avait des échos de sa mauvaise gestion de leur armée à l’origine… les soldats avaient surement envoyé des lettres à leurs familles et fait passer les nouvelles, surtout dans un duché où tout le monde savait lire et écrire… ils devaient savoir… mais ils continuaient à lui faire confiance… ses sujets continuaient à lui faire confiance…
Le prince s’inclina alors autant qu’il put depuis son cheval en jurant, la main sur son cœur, les fantômes plus silencieux que jamais.
– Je ne vous décevrai pas. »
*
Leur route se passa relativement bien, leur chemin étant encore assez éloigné des lignes de front mais, d’après leurs informations, Fort Egua était encore assiégée par l’armée de Cornélia.
« Pendant les cinq ans, ils ont été très souvent en état de siège mais, la ville n’a jamais cédé, même avec des troupes bien supérieures en nombre, apprit Ashe à Dimitri.
– Effectivement, cette forteresse est pratiquement imprenable par un siège, sauf s’il y a un traitre qui ouvre les portes, lui expliqua-t-il. Les murailles sont non seulement très épaisses mais, les douves sont très larges et très profondes, ce qui empêche les tours de sièges de s’approcher. De plus, même s’il y a beaucoup d’habitants à l’intérieur, la ville borde le lac alors, ils peuvent se ravitailler en passant par-là. Le principal enjeu, c’est de garder le contrôle du Lac Egua afin de pouvoir continuer à se fournir en vivre ou venir harceler l’ennemi sur ses flancs. Cela les rend plus vulnérables à d’excellents navigateurs comme les srengs mais, une armée de terre aura énormément de mal à les assaillir.
– Oui, mêmes s’ils ont aussi une faiblesse aux unités volantes, fit remarquer Gilbert. Pour le moment, Alix et Rodrigue arrivaient à les repousser, notamment en trompant l’ennemi sur qui dirigeait la cité, et donc quel type de troupe serait le plus présent à l’intérieur mais là, ils savent que c’est le seigneur Alix. Ils ont donc surement adapté leur stratégie pour affronter un chevalier archer qui emploie surtout des troupes équipées d’armes blanches. De plus, leurs vassaux frontaliers ont pour consigne d’avant tout protéger la frontière avec le duché alors, sauf appel à l’aide de leur part, ils ne viendront pas défendre Egua. Les villages environnant sont également en sécurité dans les divers forts et villes fortifiés alors, les pillages sont très limités. L'armée impériale se retourne, ils se font attaquer par un fortin ou les eguanais qui les attaquent depuis le lac.
– C’est vrai… rejoignons-le au plus vite et prêtons-lui main forte, décida Dimitri, sûr de lui. Nous avons quelles informations sur les assiégeants ?
– D’après nos éclaireurs, c’est une armée spécialisée dans la prise d’une forteresse avec surtout des architectes pour construire les engins de sièges, ainsi que des armateurs et des vaisseaux. Cependant, ils ont presque tous été coulés par l’armée ducale, le renseigna Byleth. Ils ont un corps défensif mais, le gros de leurs forces est tourné vers Fort Egua. Si nous frappons assez vite et fort, ils n’auront pas le temps de s’organiser pour se défendre, et nous devrions avoir le dessus rapidement.
Dimitri hocha la tête, réfléchissant un peu avant de se décider. La stratégie de Byleth pourrait marcher et il ne fallait pas que le verrou de Fort Egua tombe, cela exposerait trop les paysans de Fraldarius aux pillages de Cornélia.
– Bien… si cela vous convient à tous, nous ferons cela si cette proposition est acceptée par tous. Il faudra cependant faire attention car, la ville est entourée de plaine. Nous ne pourrons pas partir d’une hauteur pour prendre de la vitesse. Nous devrions peut-être les contourner légèrement pour qu’ils se retrouvent coincer entre le lac et nous ? Proposa-t-il.
– Ce serait une bonne idée, confirma-t-elle.
Après concertation, le plan d’attaque fut adopté par tout le monde, surtout que cela leur prendrait à peine plus de temps.
« Enfin, la moindre minute peut être décisive dans un siège… connaissant les jumeaux, leur ville est saine et derrière eux mais, il faut penser à toutes les éventualités… »
Il voyait du coin de l’œil Glenn le fixer, son regard suivant sa nuque à chacun de ses mouvements, le criblant encore et encore, les mots silencieux étant encore pire que tout ce qu’il avait pu dire ses dernières années… Dimitri imaginait trop bien ce que ses yeux hurler les pires reproches…
« Tu as failli tuer mon père et mon petit frère… et maintenant, tu vas tuer mon oncle rien qu’en l’approchant… tu vas le tuer… il va mourir… mon père aussi… mon petit frère aussi… tous vont mourir… et ce sera de ta faute… »
Dimitri dut garder son regard et toute son attention sur Byleth, puis sur Sylvain qui reprenait forme humaine après avoir discrètement espionner l’armée assiégeante. Elle était bien inférieure en nombre à la leur et disposait au final d’assez peu de combattants en dehors des bataillons aériens, mais ils étaient lourdement équipés et il faudrait aussi faire attention de ne pas recevoir les tirs défensifs des assiégés à leur place. Alerte, Annette proposa de disposer leurs archers et magiciens derrières les guerriers en armures lourdes, afin qu’elles les protègent des attaques par la terre. Cela permettrait aux unités attaquant à distance d’inonder le ciel de flèches et de magies. Pendant ce temps, la cavalerie et infanterie légères iraient harceler l’ennemi sur son flanc, afin de le forcer à se replier du côté du lac afin de les prendre en tenaille. Étant donné la composition de l’armée, ils se rendraient surement, ce n’était pas des combattants. Convaincus par ses arguments, le corps des généraux accepta sa proposition.
« Massacre-les… souffla un chœur de voix dans sa tête alors que le blond acceptait la stratégie de la magicienne. Massacre-les tous… massacre-les tous et offre-nous leur tête… tue-les… leur tête, leur corps, leur membre, leur être… donne les nous tout entier… »
Dimitri se força à ne pas les écouter, resserrant sa prise sur Areadbhar, l’énergie gelée lui rappelant l’attention et l’écoute de Simplex. Il ne devait pas les écouter, il ne devait pas se laisser emporter, il devait être digne de la confiance de ses hommes… il devait être calme comme de la glace… sa Relique lui répondit avec une énergie douce et apaisante…
Une fois leur stratégie mise au point et leurs soldats prêts, leur armée contourna les troupes ennemies, puis une fois leur camp en vue, ils sonnèrent l’attaque, chargeant dans leur arrière-garde. La bataille fut très brève, l’ennemi n’étant clairement pas préparé à subir un assaut frontal. Heureusement pour l’armée royale, les ingénieurs se rendirent très vite devant l’offensive, se réfugiant dans leurs tours de sièges ce qui les rendit facile à appréhender et en voyant cela, une partie des conscrits impériaux se ligua pour éliminer eux-mêmes leurs généraux. Au final, les soldats faerghiens n’eurent à combattre que le tiers des forces ennemis présentes qui furent très vite écrasés, surtout une fois leurs chefs éliminer et après que les mutins se soient mis à les attaquer.
Dimitri s’accrocha encore plus fort à son arme, se tenant de toutes ses forces à la hampe d’Areadbhar même une fois les combats terminés. Quand il était descendu de son cheval, quand il avait commencé à combattre, quand il avait empêché un soldat impériaux de viser le dos d’un de ses épéistes, quand l’ennemi se rendit finalement, quand ils décidèrent de leur sort de prisonniers de guerre et ce qu’ils feront des mutins et des ingénieurs avec Gilbert et Byleth… tout le long de la bataille et encore après, les morts lui hurlaient de massacrer ses adversaires, d’écraser leurs os, de remplacer son œil manquant avec les leurs, d’arracher leur peau, d’éviscérer leurs entrailles, d’arracher leurs crâne… tout… toutes les pires horreurs possibles et inimaginables, ils lui demandaient tous cela et plus d’une fois, il crut une seconde qu’il allait craquer. Qu’il allait recommencer et sombrer à nouveau.
« Ceux que je connais ne demanderaient jamais une chose pareille… ceux que je connais ne demanderaient jamais une telle horreur… ceux que je connais ne demanderaient jamais un massacre et un bain de sang… ce n’est pas eux… ce n’est pas eux… ce ne sont pas leurs fantômes… »
Tel était les maximes qui tournaient dans sa tête encore et encore, sa poigne fermement vissée sur Areadbhar afin de s’accrocher à la réalité et ne pas les écouter… la serrant presque contre son cœur pour garder l’énergie de Simplex au plus près de lui…
« Eh ! Dimitri ! Il vit le Sylvain trotter vers lui avec Ingrid, celle-ci ayant combattu au sol pour ne pas prendre un sort ou une flèche perdue. Tout va bien ?
– Tu n’es pas blessé ? Lui demanda la chevalière. Tu trembles de partout !
– Ou… oui… une seconde… il faut juste que… qu’ils…
Comprenant où il voulait en venir, ses amis lui tendirent leur main qu’il attrapa pour tenter de se calmer plus facilement, s’accrochant de toutes ses forces à leur chaleur. Dimitri se maudit de sa propre faiblesse, ayant encore besoin d’aide pour chasser les fantômes… il était le seul à les voir mais, on aurait dit que les morts ne fuyaient que quand il s’accrochait à quelque chose, même la plus banale des conversations ou quelque chose d’idiot…
– Votre Altesse ! Votre Altesse ! Ah ! Vous êtes là ! S’exclama Alois en les rejoignant aussi vite qu’il pouvait avec son armure lourde, un bandage superficiel à l’épaule. Je vous cherchais, le seigneur Alix doit… ah ! Je vois, comprit-il assez vite en le voyant s’accrocher ainsi à ses amis. Oh, vous en faites pas, on a un peu de temps avant de prendre l’eau, surtout qu’on ne s’est pas pris une douche froide et que le plan n’est pas tombé à l’eau ! Alix peut être sec mais, il mettra toujours de l’eau dans son vin et ça ne devrait pas faire déborder le vase !
Si Sylvain et Ingrid restèrent de marbre devant les jeux de mots d’Alois, Dimitri ne put s’empêcher de pouffer, repoussant encore un peu plus les fantômes et leurs demandes obscènes. L’humour du chevalier de Seiros était toujours aussi mauvais mais, c’était le genre de blagues qui le faisaient rire à chaque fois.
– Oui, il devrait être patient, même si je préférerais ne pas trop le faire attendre. Il doit surement avoir hâte de retrouver Rodrigue et Félix.
– C’est sûr ! J’étais tout jeune quand ils étaient eux-mêmes étudiants à l’académie mais, ils étaient toujours collés ! Jeralt pouvait me passer un savon car, il me disait d’apporter quelque chose au premier ou au deuxième jumeau Fraldarius sans préciser lequel alors, je me trompais une fois sur deux. Simple curiosité, ils se ressemblent toujours autant tous les deux ? Souvent, plus les vrais jumeaux vieillissent, moins ils se ressemblent. Même si bon, pour pouvoir se faire passer l’un pour l’autre en cas de besoin, ils doivent encore être comme deux gouttes d’eau ou pas loin.
– Pour eux, la question serait plutôt « est-ce qu’ils se différencieront un jour ? », rétorqua Ingrid. Ils sont toujours complètement identiques.
– Comme quoi, il y a des choses qui ne changent pas !
– Vous verrez quand Alix arrivera… je suis curieux de voir la tête d’Ashe ! Il m’a dit qu’il savait que les vrais jumeaux existaient mais, qu’il n’en avait jamais rencontré, sourit à pleines dents Sylvain.
– Ne te moque pas trop, nous aussi, on pourrait se tromper s’ils ne se différenciaient pas. Le seul qui ne se trompe jamais, c’est Félix, lui rappela Dimitri, les fantômes redevenant enfin qu’un grondement au fond de sa tête. Allons le retrouver à présent, nous l’avons fait suffisamment attendre. »
Ils suivirent Alois jusqu’aux portes de la cité, s’éloignant précautionneusement du pont-levis qu’on abaissait doucement afin d’enjamber les douves immenses. Les portes grincèrent un peu sur leurs gonds quand elles furent ouvertes, découvrant Alix, entouré de ses généraux de confiance comme Estelle et son second Bernard, ainsi que de ses soldats. Dimitri entendit Ashe hoqueter un peu de surprise en découvrant le frère de Rodrigue. Il fallait dire que c’était comme voir le reflet de Rodrigue habillé d’un uniforme d’archer, en vert et avec une queue de cheval derrière la tête, là où son frère portait toujours du bleu et les cheveux détachés. C’était une nécessité qu’ils aient chacun un code couleur particulier sinon, il serait encore impossible de les différencier sans les connaitre ou avant qu’il ne parle.
« Salutation Votre Altesse. Ravi de vous revoir en entier et dans votre Royaume. Merci pour votre aide pour repousser l’armée du duché de nos murailles et fortifications. Vous avez écourté le siège de notre cité de quelques semaines et le calvaire de tout à chacun.
– Nous ne pouvions vous laisser ainsi. J’espère que vous n’avez pas subi trop de perte parmi les votres pendant le siège.
– Comme toujours dans ce genre de situation : l’ennemi se casse les dents sur les remparts ou boit la tasse dans les douves, pendant que nous ont attend tous à l’intérieur avec nos vivres qu’ils s’en aillent, en leur envoyant des pierres dessus. Ils sont têtus en plus. On leur trouait la peau qu’ils ne foutaient toujours pas le camp. Dans tous les cas, les troupes de Cornélia n’ont clairement pas le pied marin, ils sont arrivés à couler ou échouer tous leurs navires avant même d’arriver ici, et ils n’ont toujours pas compris que nous assiéger ne sert à rien tant qu’on a un accès au lac ces cons. Enfin, ça résume la politique de Cornélia, une suite constante de conneries, même si elle semble surtout vouloir détruire Faerghus en nous tuant tous avec ses impôts.
Ce n’était pas sérieux de sa part mais, pour le coup, Dimitri aurait rêvé voir la tête de ses camarades qui rencontraient Alix pour la première fois. Quand il était petit, ça le faisait toujours rire à quel point cela pouvait étonner les gens qui rencontraient les jumeaux de voir à quel point ils avaient des caractères différents, tout en étant pourtant identiques physiquement. Cela créait un décalage qui étonnait facilement, et les deux frères savaient parfaitement en jouer pour tromper leurs ennemis, et quand la situation était moins grave taquiner un peu leur entourage.
– Vous me voyez rassurer que les fortifications de Fort Egua soient toujours aussi solides, et je vous remercie pour toute la ténacité que vous avez su mettre en œuvre. Ces informations nous seront précieuses pour renverser Cornélia. Connaissez-vous la situation à Fhirdiad ?
– Entre deux sièges, on a réussi à obtenir des informations de nos hommes infiltrés là-bas. Le meilleur agent de tout le nord est également là-bas donc, nous avons également des informations très précises, même si je les tairais ici. D’après leurs derniers rapports, la révolte gronde à la capitale et des groupes de résistants se sont formés d’après nos informations. Visiblement, apprendre que vous étiez encore en vie à donner du courage à beaucoup de nos compatriotes pour se rassembler et résister ensemble. Un médecin et inventeur qui se fait appeler Omnes aurait pris la tête du mouvement, même si j’ai très peu d’information sur lui, à part que Cornélia veut sa peau et qu’apparemment, il crée des armes et des dispositifs médicaux révolutionnaires. Sinon, rien n’est connu sur son apparence ou son origine. La moindre chose à son sujet qui se répand, c’est signer son arrêt de mort pour lui alors, il se fait discret.
– D’accord. Il faudra que nous arrivions à nous coordonner avec eux si cela est possible, même si notre priorité est de faire en sorte que les civils ne soient pas pris dans les combats.
– C’est très clairement la priorité de tout le monde. Gautier vous envoie un régiment de soldat avec quelques troupes de la reine Thorgil, qui a décidé de nous venir en aide de manière plus active. Et de votre côté, comment vont les troupes ? Vous m’avez dit qu’au final, il y avait assez peu de perte, le ravitaillement qu’on vous a envoyés a suffi ? Rodrigue et Félix sont là ? Finit-il par demander, la question lui brulant clairement les lèvres depuis le début. Comment vont-ils ? Le voyage n’a pas été trop rude pour eux ?
– Oui, les pertes ont été moins importantes qu’elles auraient pu l’être, grâce à nos alliés de Leicester qui ont su prévenir Claude et leurs compatriotes de l’embuscade d’Hubert, et inversement de leur côté. Le ravitaillement envoyé est suffisant pour le moment, même si nous cherchons aussi à trouver d’autres endroits pour nous fournir pour ne pas imposer une trop grosse pression frumentaire à Fraldarius. Quant à Rodrigue et Félix, ils se remettent petit à petit de leurs blessures, même si Félix a besoin d’eau et d’Aegis pour que les siennes se referment plus vite. Ils nous suivent dans une charrette de l’intendance, et ils ont bien endurés le voyage.
– Ouf… les Braves et la Déesse soient loués pour tout, soupira-t-il de soulagement, ses épaules se détendant enfin. Puis-je les voir ? S’ils sont assez en forme pour supporter une visite bien sûr.
Dimitri jeta un regard à Mercedes qui hocha la tête, puis répondit avec un sourire à Alix.
– Bien sûr. Ils ont aussi hâte de te voir. »
Il le guida alors lui-même jusqu’à la charrette où était sa famille, endormie. Le jeune homme pouvait presque entendre le cœur du jumeau de Rodrigue battre dans sa poitrine, le soulagement et le bonheur de les revoir gravés sur son visage.
Doucement, le cœur surement prêt à exploser de les retrouver en vie, Alix grimpa à l’intérieur, passa la main sur la tête de son neveu, puis prit la main de son frère.
« Je l’ai senti quand il a pris le coup… murmura-t-il presque tout seul, s’encrant complètement à la main de son jumeau. Je courrais de partout à cause d’impériaux qui avaient encore tenté de prendre le fort de Robien et les douanes alors, j’étais allé aider Loréa à les repousser. Puis, j’ai senti une douleur en plein ventre et je savais que c’était Rodrigue. Ça allait mieux assez vite apr��s mais, je savais qu’il s’était passé quelque chose… toujours… il est moi et je suis lui… ça a toujours été comme ça entre nous…
– Vous êtes très fusionnels tous les deux… je me souviens que lorsque Rodrigue était à la capitale pendant deux ans, il avait fait une crise de colère en même temps que toi alors que tu étais à Fort Egua, souffla Dimitri.
– Ah oui, je m’en souviens de celle-là. Des connards de profiteurs ont tenté de nous forcer à aller massacrer les duscuriens, tout en nous traitant de parents indignes même pas capable de venger leur enfant. Là, on avoue, on a pété une rêne et envoyé tout ce qu’on avait sur le cœur, marmonna Alix. Des vengeurs et des saintes lames allant purifier des terres maudites… tu parles, que des profiteurs qui voulaient des mines pour se remplir les poches tout en massacrant les gens mais, qui n’avait pas l’argent pour le faire… et ses petits roquets pensaient qu’on allait leur faire l’aumône… il eut un sourire noir, une dent dépassant un peu dans un air menaçant. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre… je leur ai donné une engueulade de première, un coup de croc et un coup de pied au cul, j’étais déjà généreux avec eux. Ils sont tous passé à Cornélia d’ailleurs, leur colère vengeresse arrive de manière très variable selon leurs intérêts du moment, évidemment… ils sont partis la queue entre les jambes et quand Rod est revenu ici, il m’a raconté que Rufus aussi a dû avoir peur pour sa peau vu qu’il l’a chassé direct.
– Les chiens errants n’ont aucune chance face à des loups, c’est comme ça que vous dites dans la famille de mémoire… se souvient le jeune homme.
– De notre mère et de notre père… et ils n’avaient pas tort, c’est des crétins les chiens, répliqua Alix.
– Tu es toujours aussi direct, arriva à rire un peu Dimitri devant son ton et sa manière de le dire, avant de chuchoter, devant le dire à l’homme devant lui. Alix… je… je suis désolé qu’il soit dans cet état… c’est… c’est entièrement ma faute… si je n’avais pas…
– Hum ? Il le regarda vraiment dans les yeux en redressant la tête. Vous êtes encore vivants tous les trois ?
– Euh… oui, même s’ils vont avoir une longue convalescence tous les deux, alors que moi…
– Tu ne penses plus à juste couper la tête d’Eldegard quitte à tuer tout le monde et toi le premier ? Le coupa-t-il d’un ton un peu blasé.
– Non ! Évidemment ! Mais ça n’empêche pas…
– Tu vas reprendre Fhirdiad et nous débarrasser de cette démone de Cornélia que même une fosse à latrine ne voudrait pas ? Le coupa-t-il encore avec plus d’insistance.
– Bien sûr aussi, mais…
– Et tu vas continuer en écoutant les autres et pas juste ta soif de vengeance ou que toi-même ? C’est ça le plan ?
– Aussi, mais…
– Alors, ne te met pas martel en tête. Rod est en vie, Félix est en vie, tu es en vie, tu as repris tes esprits, tu vas bouter de l’impérial hors de chez nous, et tu ne vas pas te comporter en connard en faisant juste ce que tu veux sans écouter personnes alors, ça me va. Je laisse à un autre moi qui n’existe pas la peine de penser à ma réaction si quelque chose leur était arrivé alors, laisse cette réflexion à l’autre toi de ce monde aussi. En plus, tu te mets à nouveau à n’écouter personne, si c’est pas Félix qui te colle une baffe, c’est moi qui le fait pour te ramener à la réalité… ce que j’aurais dû faire plus souvent à d’autres tiens…
– Je… je comprends ton point de vue mais… déclara Dimitri avant d’hésiter, avant d’avouer. Mais je ne suis pas digne de cette confiance…
– Et pourquoi donc ? Lui demanda Alix, plantant ses yeux dans les siens, comme pour l’accrocher ici et l’empêcher de partir.
– J’ai… j’ai encore besoin d’aide… avec les fantômes… ils comptent tous sur moi mais, je suis obligé de m’accrocher à ceux en qui j’ai confiance pour que les fantômes s’en aillent et arrêtent de m’ordonner de ramener la tête d’Eldegard… je n’arrête pas de les repousser, encore et encore mais, il revienne toujours et je finis toujours par avoir besoin d’aide… j’ai failli craquer plusieurs fois pendant le combat… si je n’avais pas eu Areadbhar qui me calmait…
– Oui, et y a à peine deux mois en arrière, tu les écoutais tout le temps sans écouter les vivants, ce qui mettait en danger les autres. Tu es toujours à ce stade ?
– Non… je refuse de leur faire du mal… ce n’est pas ce que je veux… je veux juste… juste que tout le monde se sorte de cette guerre vivant… même si c’est surement un objectif modeste. Mais je ne sais pas si j’en serais capable… je m’appuie sur tant de monde…
– Donc, tu es en progrès alors, tu es sur la bonne voie, c’est le principal. Tu arrives à leur résister donc, c’est déjà un pas dans la bonne direction. Même deux vu que tu suis ce que toi tu veux plutôt que ce que veulent les morts ou je ne sais quoi qui te tourmente, lui fit remarquer Alix. C’est normal d’avoir besoin d’aide, et quand tu es tout seul avec tes illusions, tu finis au fond du trou. En plus, c’est pas possible de tout faire tout seul. Celui qui fait tout, tout seul ou avec des personnes qui pensent comme lui, il fait juste que des erreurs car personne ne vient lui dire que c’est mal fait. A ton avis, pourquoi la devise de notre père, c’était « c’est mon boulot de t’empêcher de faire des conneries » ? C’est que quand c’était Clovis, personne n’osait ouvrir la bouche devant lui, jusqu’à ce que Ludovic fasse son coup d’état pour virer son père. Alors, évidemment que ses proches ont toujours été là pour le limiter s’il allait trop loin, lui le premier. Et pour quelque chose de plus proche, tu crois qu’ils discutent Ionius et Eldegard ? Non, ils ne font que s’écouter parler ou l’écho de leur voix car, ils sont seuls dans le palais et qu’ils sont persuadés d’avoir la vérité ultime, alors que c’est juste la version des faits qui les arrange. C’est pas Hubert qui va dire à son impératrice qu’elle fait de la merde, il vénère plutôt sa merde en disant que c’est un miracle de la Déesse car, son Impératrice est sa Déesse à lui, et ça ose se prétendre athée au passage.
– Oui mais, si un jour je rechute et que je me remets à écouter les morts ? Qu’est-ce qui se passera le jour où même cette béquille ne m’empêchera pas de faire le pire ?
– Ce jour-là, on sera à tes côtés, en sachant ce que tu as alors, on pourra t’aider plus efficacement, répondit-il sans hésiter une seule seconde. Personne ne fait les choses bien en étant toujours tout seul, surtout dans ta position. Tu ne pourras jamais tout maitriser à la perfection, tu auras toujours des faiblesses que d’autres combleront et toi-même, tu combleras les faiblesses de tes compagnons. Je sais que ça vient de quelqu’un qui fait toujours tout à deux ou il se sent mal d’être séparé de son double car, quarante-huit années de vie et neuf mois de grossesse, ça rapproche un peu mais, je travaille toujours mieux avec Rodrigue et avec d’autres personnes de notre fief pour nos conseiller. Le roi Loog lui-même était très entouré pour combler ses lacunes. Les vieilles carnes d’Adrestia se plaignaient même que Loog n’était pas capable de lire le latin pendant longtemps et qu’il avait besoin d’aide pour le décrypter, et ça ne l’a pas empêché de faire de grandes choses. Être isolé ou n’écouter que des personnes qui vont dans ton sens ou celui de leurs intérêts à elles ne t’aidera pas Dimitri. Tu en apprendras bien plus en étant entourés de personnes avec des opinions très différentes les unes des autres, et surtout des tiennes. En plus, ton état s’améliore, tu arrives mieux à résister aux demandes que tu entends, tu le dis toi-même. Donc, tu t’es beaucoup amélioré en très peu de temps. Tu peux en être fier. Et je suis sûr que Rodrigue et Félix sont d’accord avec moi, assura-t-il en les montrant tous les deux avec un sourire.
– Oui… ils le sont, lui répondit Dimitri en lui rendant son sourire, un peu rassuré par les mots d’Alix.
Rodrigue se mit à remuer un petit peu, ouvrant à nouveau les yeux après avoir dormi une bonne partie de la journée. Même dans le flou, son visage s’illumina en voyant son frère, arrivant à hacher malgré le reste pâteux de sommeil sur sa langue.
– Alix… tu es là…
– Oui, content de te revoir aussi… il serra un peu plus sa main dans la sienne. Ne me refais jamais un coup pareil, d’accord ?
– Je suis désolé de t’avoir fait peur… c’est promis, je n’ai plus envie de te quitter… Tu restes aussi ?
– Bien sûr, on ne se séparera plus jamais ! Jura-t-il à son tour.
– Comme on se l’était dit…
– Hum… Félix trembla à son tour sous sa couverture, et entrouvrit ses yeux d’ambre vers les jumeaux. Qu’est-ce…
– Bon retour à la maison, lui souhaita son oncle.
– C’était ça le bruit… marmonna le plus jeune en émergeant.
– Moi aussi, je suis ravi de te voir rentrer en entier, rétorqua Alix en souriant avec son frère, avant de passer sa main dans ses cheveux. Toi aussi, tu ne me fais plus jamais peur louveteau.
Ils prirent tous le grognement qu’il marmonna comme un oui, Dimitri sentant sa poitrine s’alléger en voyant la meute enfin réunie.
*
Rodrigue somnolait dans le lac, de l’eau jusqu’à la poitrine, sentant la magie de leur ancêtre fuser autour d’eux et dans sa blessure. Même s’il était pratiquement guéri, leur médecin avait ordonné qu’il reste dans l’onde toujours pure jusqu’à ce que la plaie ne lui fasse plus mal, surtout qu’il était encore très fatigué.
« Je vous interdis de reprendre votre travail, jusqu’à ce que nous soyons absolument sûrs que cette blessure ne se rouvrira pas ! Vous avez interdiction de bouger ou d’utiliser la magie jusqu’à nouvel ordre ! S’était écrié Pierrick en le voyant tenter d’aller aider Alix, surtout maintenant que leur principale seconde, la capitaine Estelle Duchesne et son adjudant Bernard Parjean, suivaient l’armée royale pour mener les troupes fraldariennes aller récupérer la capitale. Au nom de la Déesse et de ses Braves, reposez-vous ! »
Il s’y était alors plié, passant une bonne partie de son temps à dormir. En tout cas, l’eau du lac lui faisait vraiment du bien… quand il était dedans, c’était comme s’il n’avait jamais reçu aucun coup… c’était frustrant de ne pas pouvoir aider Alix d’ici mais, Pierrick ne le laisserait jamais faire. Au moins, il pouvait rester un peu avec Félix.
Son fils aussi était confiné au lac, dormant la plupart du temps tout comme lui. Ses veines luisaient de magie, tout comme sa marque d’écailles dans son dos, même s’il était toujours très fatigué. Au moins, il ne souffrait pas ici, même hors du flot pur, c’était le principal… Fraldarius même le protégeait… tout comme l’eau… Félix avait toujours été un véritable poisson, nageant très jeune, toujours dans le lac et capable de rester en apnée plus que n’importe qui. Son cadet était si fier de lui quand il remontait de ses profondeurs avec un artéfact ancien… mais c’était avant que la Tragédie ne lui fasse rejeter aussi son passe-temps favori pour se tourner uniquement vers l’entrainement… encore plus après la rébellion qu’il avait maté avec Dimitri… il ne retournait alors dans l’eau que pour conserver son souffle exceptionnel…
Quand il ne dormait pas, Félix était dans une sorte de demi-conscience, marmonnant des mots dépareillés les uns avec les autres… souvent, il parlait de Glenn… dans ses moments-là, Rodrigue chantait toujours pour l’apaiser, comme quand son cadet était petit, regrettant d’autant dormir alors que son louveteau devait faire des cauchemars quand lui-même sommeillait.
« Ça va aller… C’est fini mon louveteau… se souvient-il d’un soir au coin du feu tous ensemble, alors que son cadet s’était réveillé en sursaut à cause d’un mauvais rêve, le père l’enlaçant pour le consoler comme il n’aurait surement plus le droit de le faire à présent. Le Cheval Mallet ne te fera jamais de mal… je te protégerai… la meute te protégera… c’est promis… un cheval, aussi maléfique soit-il, ne peut rien faire contre une meute de loup tant qu’elle reste unie… »
Il y pensait quand Félix se remit à s’agiter dans son sommeil, se tordant un peu sur lui-même en babillant. Passant sa main dans ses cheveux par instinct, Rodrigue recommença alors à fredonner, la dernière chanson de son père lui venant à l’esprit et coulant de ses lèvres. Même si Guillaume n’avait pas tenu parole, c’était un des derniers souvenirs qu’il avait de lui, il tenait beaucoup à cette chanson, ce chant de l’armée pour apaiser des pleurs avant l’angoisse de la séparation…
*
Félix luttait de toutes ses forces pour se réveiller… ou au moins arrêter de rêver de ce moment-là… il avait tout fait pour l’oublier, ne voulant pas se souvenir de ses deux mois horribles qui avaient fini sur Glenn partant en Duscur avec Nicola… dès qu’il s’en souvenait, il se sentait mal et était en colère contre quelqu’un qui ne pouvait plus répondre de ses conneries… et il devait admettre qu’il ne devrait pas être en colère contre d’autres… il avait pourtant tout fait pour oublier…
Mais non, le jeune homme n’avait rien oublié… au contraire, il se souvenait de tout presque dans les moindres détails… l’annonce au dernier moment de Lambert qu’il se rendrait à Duscur pour négocier la paix avec Dimitri… personne n’était au courant… personne… pas même son père et son oncle… à quel point cela faisait mal… tout le monde qui se précipitait… tout le monde en colère… tout le monde effrayé… sa famille épuisée de devoir rattraper tout ce que Lambert avait mal fait… les insultes des diplomates qui fusaient quand aucun des fidèles du roi n’était là mais, que les oreilles des enfants entendaient toujours… à quel point son travail était un travail de tâcheron et ce voyage une folie… le dédain de Nicola pour le roi, marmonnant à quel point il faisait honte à son père le roi Ludovic… Glenn qui cachait à peine tout le mépris qu’il avait pour le roi en privé, un roi qui les emmenait dans une mission aussi dangereuse sans demander son avis à personne, ou prendre la moindre précaution alors que son propre enfant était du voyage… son oncle à deux doigts d’égorger le roi et son grand frère lui-même à cause de ses mauvaises décisions, Lambert n’écoutant que ceux qui allaient dans son sens, même les ennemis de la veille, et Rufus l’encourageant dans cette folie… personne ne voulait de ce voyage… Rodrigue de plus en plus épuisé et désespéré de trouver une solution pour empêcher ce voyage jusqu’à ce que le jour fatidique arrive, en charge de tous les aspects techniques et matériel du voyage, ainsi que le côté humain…
Mais plus que tout, il avait voulu effacé de sa mémoire un souvenir… il dormait dans leur chambre, rattrapant sa nuit où il aidait sa famille en leur apportant de quoi manger ou en prenant soin d’eux, les adultes n’ayant plus le temps pour le faire eux-mêmes, quand il entendit quelqu’un entrer. Il alla à la porte, observa par la serrure et vit Alix pratiquement tirer son père, tremblant et livide, les yeux exorbités, s’accrochant à son jumeau comme à sa vie… quand il vit son oncle regarder que personne n’était là, le petit garçon alla se cacher dans son coffre, ayant encore oublié de le ranger. Sous le bazar, personne ne le verrait et Alix n’avait pas fait exception. Après un peu de temps, il en ressortit pour observer dans l’entrebâillement de la porte la discussion des jumeaux…  son père avait tellement de mal à juste parler… il avait du mal à trouver ses mots et à enchainer deux phrases, se répétait beaucoup et tremblait tellement, n’arrivant à se calmer que parce qu’il était avec Alix… les jumeaux avaient toujours été fusionnels… il parlait de Lambert, Rodrigue avait encore tenté de le convaincre de ne pas emmené Dimitri à Duscur car c’était trop dangereux mais, en réponse, il lui avait vomi des mots horribles :
« Même si le pire devait arriver, tout ira bien. C’est un garçon intelligent Rodrigue. Même s’il devait perdre son père, je sais qu’il deviendrait un homme bon et respectable »
Félix se souvenait d’avoir bouillonné de rage en entendant cela, tout comme Alix. Comment Lambert pouvait prétendre être leur ami pour leur cracher à la figure comme ça ?! Il avait oublié que Rodrigue et Alix étaient eux-mêmes orphelins ou quoi ?! Eux, ils savaient ce que c’était de perdre son père et de devoir survivre à une régence, pas Lambert ! Après un mois et demi à tout mettre sur le dos des jumeaux et des Charon en plus ! Lambert avait eu de la chance de ne pas se faire lâcher par toute la noblesse de l’est ! Personne n’en voulait de ce voyage, les roturiers et ceux qui réfléchissaient plus de deux secondes les premiers ! Et il lui avait même fait promettre de faire son travail de père à sa place s’il se faisait tuer par sa connerie en plus ! Et sans se rendre compte d’à quel point il l’avait blessé avec ça ! Est-ce qu’il y avait un esprit dans ce corps à la fin ?! Le petit garçon se souvenait d’avoir entendu quelque fois Glenn appeler Lambert un « chien idiot » mais là, il passait dans la catégorie des chiens errants ! Ce n’était qu’un idiot qui faisait du mal à sa famille ! Il n’avait pas le droit de faire du mal à son père !
Rodrigue finit par éclater en pleurs en avouant que Lambert lui faisait peur… pas étonnant après tout ce qu’il lui avait envoyé en pleine figure en continue pendant plus d’un mois, tout le monde suant sang et eau pour que ce voyage ne soit pas la catastrophe qu’il devait être… même maintenant, Félix était obligé d’admettre que ça faisait trop pour un seul homme… même pour un loup…
Il était alors sorti de sa cachette et avait consolé son père, se jetant contre lui en disant que ce n’était pas sa faute mais celle de Lambert. C’était lui qui les jetait tous dans la gueule du lion ! Pas son père ! Il n’avait rien fait de mal ! Félix se souvenait de ses bras qui l’entouraient, la présence de son père, à quel point il était rassuré d’être avec lui, tout comme Rodrigue, se calmant enfin vraiment avec lui…
Tout s’enchainait très vite après ça dans son rêve mais, la sensation de désespoir restait, le dégout fort de faire ce que tout le monde savait être une erreur sauf celui ayant le pouvoir de la stopper… Alix avait été à deux doigts de frapper Lambert… Félix l’avait fait dans une crise de fureur de voir sa famille aussi mal… Glenn avait promis d’être chevalier à la maison et plus à la capitale… le convoi de départ qui ressemblait à un cortège funèbre tellement tout le monde était triste et inquiet, l’air lourd et les larmes proches d’exploser chez tous…puis le messager qui s’écroula à leur porte, son père et lui qui partaient immédiatement pour Fhirdiad, ne retrouvant de Glenn qu’une épée et un plastron brisé… le choc d’apprendre qu’il ne reviendrait pas, que personne ne reviendrait, que seul Dimitri était revenu… le chaos qui s’installa dans tous le Royaume… allant même jusqu’à attenter à la vie du prince jusque dans le palais…
Félix se souvient de sa dispute avec son père, partie du fait que Rodrigue ne pouvait pas rentrer avec lui et devait rester à la capitale pour tenir le Royaume, Rufus ne faisant que jeter plus d’huile sur le feu et rallumer les braises. Avec le recul, il se sentait tellement stupide… évidemment que c’était plus important d’empêcher Faerghus de brûler que de rentrer… en s’en souvenant vraiment, il ne pouvait plus que voir à quel point son père voulait aussi rentrer à la maison, à quel point il voulait le suivre et retourner faire son deuil dans leur famille… le jeune homme se sentit encore plus stupide en sachant maintenant d’où venait cette phrase qui l’avait fait détester son père… le fuyant sans lui laisser le temps de s’expliquer, en rentrant seul dès le lendemain matin sans lui dire au revoir… refusant de même admettre à quel point Rodrigue lui manquait et à quel point Félix voulait se réconcilier avec lui… à quel point ça lui faisait mal de ne plus être avec lui, même s’il le niait, enfermant tous ses sentiments et ses émotions dans une boite aussi profonde qu’il le pouvait et lui-même dans l’entrainement…
Cependant, la suite de son rêve ne fut pas ses souvenirs… il se transforma en véritable cauchemar ! Des hommes avec les armes de Rufus cousues sur leur poitrine arrivèrent en trombe chez eux, arrêtèrent tout le monde, son oncle le premier et leurs principaux soutiens encore en vie, l’attrapèrent et le jetèrent à part comme un objet. Il reconnut à travers les barreaux le chemin de la capitale, puis on l’envoya dans une famille qu’il ne connaissait même pas, qui le forcèrent à écrire des ordres d’arrestation envers des personnes qu’il aimait et à servir de serviteur. Félix réclama son père et son oncle, demandant où ils étaient et ce qui se passait mais, il ne reçut en réponse que des coups et des repas en moins… son père ne l’avait jamais traité aussi mal, il avait toujours été doux, gentil et juste avec lui, même quand il faisait des bêtises… apparemment, il était chez eux en attente pour l’envoyer ailleurs quand il serait assez vieux… et ils se plaignaient aussi qu’il vomisse toujours son repas sans jamais tomber… Rufus devait vouloir se débarrasser de lui discrètement… Déesse, qu’est-ce qu’il allait faire à son père et son oncle ?! Où est-ce qu’ils étaient ?!
Il avait été forcé d’écrire que Fregn était maintenant accusée d’être une ennemie de l’intérieur car, elle était sreng et avait repris Lambert sur son inconscience qui serait très mal vue par les siens, disant tout haut ce que tout le monde pensait tout bas de ce voyage… Rufus voulait sa tête pour ce « crime » de s’être opposé au roi. Elle avait fui in extremis en Sreng en emmenant Sylvain avec elle, lui aussi accusé de complicité avec sa mère et d’être un mauvais faerghien à cause de son métissage et du fait qu’il ne pensait pas les duscuriens coupables de la Tragédie.
Ingrid et sa famille durent renoncer à leurs terres et travailler comme serviteurs pour Rufus, ce dernier leur donnant les tâches les plus ingrates et dangereuses car, son père Francis avait conseillé à Lambert de prendre plus de temps et avait mal fait son travail…
Alors que son état s’améliorait quand il était parti, Dimitri faisait une rechute et était cloué au lit… la famille qui s’occupait de lui disait que le prince s’était mutilé après avoir vu le corps de Dedue déchiqueté par des proches de Rufus, tous appelant à la vengeance et à brûler Duscur tout entier, pendant que Dimitri hurlait que les duscuriens étaient innocents et délirait à propos de corbeaux humanoïdes… des rumeurs disaient que son oncle l’avait fait attaché par les bras et les jambes aux montants de son lit, pour l’empêcher de se faire du mal tout seul et d’arrêter la folie de Rufus…
Quand on le laissa enfin sortir pour voir sa vraie famille, le jeune garçon pataugea dans le sang… toutes les rues de Fhirdiad étaient écarlates, les bas des robes et des pantalons couverts de tâches rouges et noirs, des rats nageant à l’intérieur en grignotant la chair en putréfaction qui y flottait… des chats étaient pendus par le cou aux maisons, les gens disaient que c’était parce que les ducs de Fraldarius les adoraient, leur forteresse en étant toujours pleine… toutes les personnes qu’il croisait étaient malades à cause de ça et du manque de nourriture, tout l’argent partant dans la traque aux traitres et aux duscuriens, tous chasser bien plus que les rats par Rufus… cela rappela à Félix les histoires de Nicola sur Clovis le Sanglant… le roi sanguinaire qui massacrait son propre peuple dans des guerres interminables, jetant ses opposants sous la hache du bourreau ou les flammes du bucher, éliminant n’importe qui se mettait sur son chemin jusqu’à ce que le roi Ludovic n’arrête la folie meurtrière de son père en le détrônant par la force…
Félix se crut dans ces histoires quand il arriva à la place principale de Fhidiad… c’était un véritable charnier… les corps s’entassaient, laissés à pourrir là comme sous Clovis, le roi cruel n’autorisant pas qu’on enterre ses ennemis afin de les mettre plus bas que terre… la plaque commémorative en leur mémoire faite par Ludovic était brisée, basculée au sol et servait maintenant d’estrade pour les exécutions… son cœur s’arrêta en voyant le corps d’Alix tomber dans le charnier, trainé par Ingrid et ses frères dont les membres étaient couverts d’infections à cause du sang et des cadavres, sa tête rejoignant d’autres alignés sur des piques avec celles d’Estelle et de Bernard, même celle de Nicola qu’on avait déterré pour être exécuté avec sa fille et son gendre, ses petites-filles pleurant leur famille dont les corps pourrissaient à l’air libre… elles étaient si petites ! Puis… les démons servant Rufus trainèrent son père sur l’échafaud… le forcèrent à poser la tête sur le billot, le bourreau attrapant Moralta volé chez eux pour l’exécuter avec leur propre héritage familial, alors que ses assistants tailladaient ses cheveux pour ne pas gêner le passage de la lame.
« Non ! Non ! Papa ! Arrêtez ! Mon père n’a rien fait de mal ! Papa ! »
Il ne put s’empêcher d’hurler devant cette injustice, alors que ses tortionnaires le poussaient tout devant, aux premières loges pour voir son père se faire couper la tête. Rodrigue n’était pas coupable ! C’était Lambert qui avait décidé de les emmener à Duscur ! C’était lui qui avait tout organisé sans en parler à personne ! C’était lui qui s’était précipité partout et les avait emmenés dans ce piège à rat ! Son père avait tout fait pour l’en empêcher mais, le chien errant qui leur servait de roi n’avait rien écouté ! Il n’avait écouté que Rufus qui le poussait dans ses pires décisions et défauts ! C’était lui qu’on devrait exécuter ! Pas ceux qui avaient tout fait pour empêcher ce désastre d’arriver ! Papa !
Rodrigue l’entendit, sa tête se relevant d’un coup du billot. Ses yeux s’exorbitèrent en le voyant, l’inquiétude et la peur se mélangeant à l’intérieur alors qu’il lui hurlait, les assistants du bourreau essayant tant bien que mal de lui remettre la tête sur le billot.
« Félix ! Fuit ! »
Non ! Pas sans lui ! Pas sans toi ! Tout mais pas être sans toi comme ça ! Tout mais pas être sans eux ! Tout mais pas être seul sans sa famille ! Il ne voulait pas que son père meure ! Pas quand les assistants du bourreau le forçaient à remettre la tête sur le billot pour se faire exécuter ! Pas quand l’assassin encagoulé levait… papa !
Le bourreau abaissa Moralta quand d’un coup, un vague emporta tout, balayant tout ce qui l’entourait, autant les gens, les corps, le sang que la mort. Félix sentit alors quelque chose l’entourer de sa chaleur, doux avec lui… c’était agréable… il s’y sentait bien… cela lui rappelait de bons souvenirs… des instants tout doux après un cauchemar, où son père le prenait dans ses bras et sa cape pour le rassurer… il le nierait aujourd’hui mais, Glenn le taquinait souvent sur le fait qu’il était collé à leur père, surtout quand il était petit… Alix aurait même dit qu’il allait finir coller à l’épaule de Rodrigue, tellement il aimait faire la sieste dans ses bras quand il était bébé…
Comme quand il était petit, des notes le bercèrent, tout douces, leur fil tissant une chanson que les jumeaux fredonnaient tout le temps, venue de leur père…
« Je pars ce matin avec les chants des laudes,
Mes pieds vont d’un côté,
Mais mon cœur reste figé
Il reste ici dans vos petites mains chaudes
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je pars à reculons, je pars sans jamais vous oublier
Je pars en ce jour en pensant toujours à vous,
À chaque pas sur ce long chemin, je l’avoue,
Je vous voie derrière moi et souhaite m’en retourner.
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Je vous promets de revenir un soir,
Je reviendrais à vous un jour,
Cette promesse de velours
Je ne la laisserais jamais choir,
Ne pleurez pas mes tous petits,
Je reviendrais sans être meurtri
Et quand nous nous serons retrouvés
Ce sera pour ne plus jamais se lâcher. »
Comme à l’époque, le chant le tira loin du cauchemar, rassuré par la présence de son père à ses côtés… comme avant que la Tragédie ne fiche tout en l’air… comme toujours s’il était honnête… ça faisait du bien…
Rodrigue tint la dernière note aussi longtemps qu’il put, la laissant former un fil assez long pour lier la personne qui partait à ceux à qui il promettait de revenir. Guillaume n’était pas revenu mais, il restait avec eux malgré tout d’une certaine manière, dans le peu de souvenir que les jumeaux avaient de lui, tout comme dans ceux de tous ceux qu’ils avaient perdu… ils les entendaient presque dès que les loups hurlaient à la lune…
Félix se calma au fil des notes, son visage devenant plus serein, recroquevillé dans l’eau claire, sa main sur Aegis entre eux. Ses yeux d’ambre s’entrouvrirent, flottant entre la conscience et l’inconscience. Il n’avait pas eu la chance de connaitre Félicia et de le constater par lui-même mais, Félix avait vraiment les yeux de sa mère… à part la forme de ses derniers, en amande, semblable à ceux des chats et aux siens, il avait tout hérité d’elle…
« Ça va aller… c’est passé…
– Hum… C’est frustrant… marmonna-t-il en se réveillant, se rattrapant avant d’être vraiment honnête avec son père. D’être bloqué ici…
– Il faut que tu te remettes, et le lac semble être le meilleur remède. Aucun de nous deux est en état pour se battre de toute façon…
– Mouais… il fit une grimace alors qu’il tentait de bouger. C’est trop lent quand même.
– Fait attention à toi… lui conseilla Rodrigue en le stabilisant d’une main. Et tu seras bientôt sur pied, ton organisme semble se régénérer bien plus vite dans le lac que quand nous étions à Garreg Mach.
– Hum… »
Félix ne dit rien de plus, détournant le regard. Rodrigue n’insista pas, ne voulant pas trop le pousser de peur que son fils retourne tout de suite dans sa carapace couverte d’épines. Ils s’étaient dit qu’ils se parleraient mais, cela ne s’était toujours pas fait, tout deux trop fatigués pour le faire, surtout autour de… tout ça… le père se rappuya alors sur la pierre, laissant l’eau bénie par leur ancêtre faire son effet, savourant sa caresse chassant la douleur… s’il pouvait au moins rester avec son enfant et pouvoir lui parler un peu, cela lui irait…
« J’entendais tout… quand je dormais… finit par dire Félix, regardant au loin pour être sûr de ne pas rencontrer les yeux de son père.
Le jeune homme ne sut pas pourquoi il avait parlé… son père se taisait et le silence lui allait très bien… mais en même temps, les mots que Rodrigue avait dit à Dimitri tournaient encore dans sa tête… des mots flous mais, qu’il n’avait pas pu nier… et c’était dur de nier ce qu’il avait tout fait étouffé pendant des années maintenant… pas après avoir été si près de donner sa vie pour sauver celle de son père…
Rodrigue le regarda, attentif, comme s’il s’était préparé à ce qu’il lui dise cela ce qui était surement le cas, trop patient comme toujours.
– Tu as toujours tout entendu quand tu étais inconscient.
– Hum… ce que tu as dit Dimitri… à propos de Guillaume et du roi Ludovic, c’était vrai ou juste pour le consoler ?
Félix détourna encore plus le regard, une pointe de remord poignardant son cœur. Évidemment, il savait que son père ne mentirait pas sur un sujet pareil, encore moins sur Guillaume…
– Oui, tout était vrai, je ne lui ai pas menti, répondit-il sans se fâcher, et il était encore une fois beaucoup trop calme.
Sans trop savoir pourquoi, Félix voulait presque qu’il s’énerve… il n’en avait pas envie, il n’avait pas l’énergie pour se disputer et  il voulait savoir mais, ce serait plus simple s’ils se disputaient vraiment… juste des mots qui font mal des deux côtés et le silence après… ce serait tellement plus simple… mais bon, maintenant qu’il avait commencé, il ne pouvait plus reculer… et dans le fond, il voulait arriver à comprendre… à comprendre ce qui s’était passé dans la tête de Rodrigue ce jour-là…
– Tu n’en avais jamais parlé avant… Alix aussi… et Nicola encore moins…
– Ce n’est pas le souvenir que j’aime le plus raconter. C’est le plus clair que j’ai à propos de mon père mais, c’est aussi celui qui me fait le plus mal alors, je préfère me concentrer sur les bons. Ils sont bien plus flous et la plupart sont des histoires qu’on nous a racontées après mais, ils sont bien plus réconfortants… ce sont des souvenirs où Guillaume est vivant, pas dans une boite… les bons souvenirs se perdent facilement alors que les mauvais sont les plus difficiles à oublier, même si on le veut… alors je préfère ne pas en parler, comme Alix…
Rodrigue tenta de le regarder dans les yeux quand il parlait mais, Félix fuit son regard… il savait déjà trop bien à quel point ce qu’il racontait était vrai… et il n’était pas sûr de pouvoir se défendre ou mordre s’il le regardait dans les yeux… il verrait trop toutes les émotions de son père à nu…
– Alors tu as gobé ce qu’on t’a dit et tu ne l’as jamais remis en question… pourquoi tu es obsédé par la chevalerie alors qu’elle a tué ton père avant même de tuer Glenn ?!
– J’avais six ans à ce moment-là Félix, et on n’avait que ça pour expliquer et comprendre pourquoi notre père était parti avec Alix, lui rappela-t-il d’un ton un peu plus sévère mais, toujours calme. Je ne savais même pas ce qu’était d’affronter la mort et à quel point elle faisait mal… quand on a grandi, on a mieux compris pourquoi il a fait ça, ce qui s’était passé ce jour-là et pourquoi Ludovic avait dit ça… et voir comment se comportaient certains chevaliers pendant notre enfance nous a aussi bien ramenés à la réalité. On a rencontré bien plus de chevaliers de titre prêts à tout pour épouser la veuve et tuer l’orphelin afin de récupérer leurs terres, qu’à les défendre, mais cela restait toujours un idéal à atteindre d’aider les autres, c’était même des qualités qu’on retrouvait plus chez des personnes qui ne l’étaient pas. Tu n’as jamais connu ta grand-mère Aliénor mais, c’était une véritable louve et une duchesse exceptionnelle, et Nicola aussi était un véritable chevalier alors qu’il a toujours refusé d’être adoubé, il ne voulait pas servir le roi après ce qui s’était passé avec Clovis, il a toujours été l’ami de Guillaume et de notre famille… même si on était toujours tristes et qu’on aurait préféré mille fois avoir un père, on a gardé cette phrase avec nous Alix et moi car, elle résumait l’acte de Guillaume, même si on sait que ses derniers mots étaient qu’il ne voulait pas mourir, et après autant de temps à s’accrocher à elle comme à une canne pour continuer à marcher malgré la peine, elle fait partie de nous. On ne pourra surement jamais s’en débarrasser tellement elle est ancrée.
– C’est pour ça que tu l’as dit pour Glenn ? Devina Félix, bien obligé de le reconnaitre.
– Oui… avoua-t-il, Félix voyant son père chercher son chapelet sur son bras mais, qu’il n’avait pas pour une fois, de peur que l’eau n’endommage le bois déjà presque aussi vieux que lui. Ça… ça faisait si mal… j’avais l’impression que c’était la mort de Guillaume qui recommençait mais en bien pire… Glenn… Glenn n’était plus là… il était mort là-bas alors qu’aucun d’entre nous ne voulait de ce voyage… hein… je ne sais pas si tu t’en souviens mais à ce moment-là, Glenn en était arrivé à détester Lambert… il lui en voulait d’en faire qu’à sa tête sans demander l’avis de personne, de s’obstiner dans l’erreur alors que tout Faerghus lui hurlait que c’était une mauvaise idée sauf les futurs complices de Cornélia et de l’Empire, et il lui en voulait encore pour Arundel… il ne lui a jamais pardonné d’avoir laissé ce monstre entrer à la cour sans surveillance pour… pour une raison un peu trop longue à expliquer maintenant… et d’avoir mis autant de temps à le chasser alors qu’il a failli te tuer avec ses brûlures maudites… mais il a insisté pour y aller… à cause du Kyphonis Corpus, un membre de notre famille était obligé de suivre le roi pour le protéger sinon, on aurait été accusé de haute trahison… j’y serais allé à sa place, et Alix aussi s’était proposé mais, il n’a jamais voulu nous laisser sa place… ça aurait été étrange que ce ne soit pas lui qui protégeait le roi alors qu’il était majeur, et que nous devions gérer le Royaume en l’absence de Lambert avec Rufus…
– A sa place… » le corrigea Félix, sachant à quel point Rufus avait abusé de sa position pour que Rodrigue fasse tout son travail à sa place, pendant qu’il allait boire et courir les jupons en hurlant que les jumeaux mériteraient de se faire exécuter.
« C’est la version officielle qu’on devait régner avec lui. Glenn se doutait que cela serait difficile, et que le voyage était très dangereux alors, il a refusé qu’on se sépare… il savait que nous fonctionnions toujours mieux ensemble… et cela aurait pu nous retomber dessus si quelque chose arrivait à Lambert et pas à nous… alors on a cédé… et quand il n’est pas revenu… c’était un de mes pires cauchemars qui recommençait… je… sa voix se brisa en mille morceaux, autant de mauvais souvenirs remontant à la surface. Je ne pensais pas que j’enterrerais mon propre enfant un jour… et que je n’aurais rien à enterrer… je… je n’arrivais pas à m’enlever tout ce qui avait pu arriver à son corps de la tête …
Sans savoir trop pourquoi à part qu’il détestait le voir aussi brisé, Félix tira sa main hors de la distance qu’il gardait toujours avec Rodrigue depuis leur dispute, et attrapa son manteau du bout des doigts… Déesse, depuis combien de temps il n’avait pas fait ça ? Il se comportait à nouveau comme un enfant qui se cachait dans la cape de son père ! Mais ça semblait tellement calmer Rodrigue… un simple contact… il était déjà foutu après tout ça à ce sujet alors, un peu plus ou un peu moins…
– Les seules choses qui arrivaient à repousser tout cela, c’était la surcharge de travail qui m’empêchait de penser à autre chose… le chaos était de partout et Rufus criait déjà qu’il fallait venger nos morts en exterminant les duscuriens, je devais tout faire pour l’arrêter et faire en sorte que le Royaume tourne encore, même si une grande partie de sa tête était morte… cette phrase pour me convaincre moi-même que Glenn n’était pas mort pour rien… elle m’avait déjà tenu entier à l’époque, je m’y suis accroché à nouveau… ça faisait moins mal que de penser aux charognards des montagnes, et que Glenn devait regretter d’être mort pour un homme qu’il méprisait de tout son être… et surtout, il y avait toi…
– Moi… ?
Son père arriva à sourire dans une expression mélancolique.
– Bien sûr… tu étais là, avec moi, et ça me donnait de la force pour continuer à me lever tous les jours sans m’écrouler, alors que j’avais l’impression que le monde s'effondrait encore une fois… tu as toujours été aussi tenace que ta mère, qui a toujours été beaucoup plus acharnée que moi », de l’affection déborda de son visage quand il évoqua Félicia. « Je ne pense pas que j’aurais eu la force comme elle de dire à mon cœur malade de la boucler car, elle n’avait pas le temps de faire une crise cardiaque alors que des personnes avec une longue vie devant eux étaient en danger. Elle était si résiliente, même si c’était aussi très imprudent de sa part, reconnut-il. Mais oui, j’arrivais à me lever car, tu étais là et que tu avais besoin de moi… Rufus aurait été seul, on aurait fini avec un encore plus gros bain de sang que celui qui a vraiment eu lieu… j’étais mort de peur à l’idée que le Royaume s’effondre et que tu n’es plus nulle part où aller, que tu sois en danger… et dans le fond de la tête, j’avais peur que le règne de Clovis le Sanglant recommence… je ne voulais pas que tu vives le même cauchemar éveillé que tes grands-parents qui ont dû survivre à son règne… mon père a déjà failli mourir des dizaines de fois à cause d’ambitieux qui voulaient nos terres, dont plusieurs étaient envoyés par le roi… je savais que certains « vengeurs » projetaient de t’enlever pour me forcer à accepter de les aider à faire encore plus de morts inutiles… je ne faisais confiance à personne à la capitale, sauf à des fidèles de toujours quand il s’agissait de toi… et quand ce comploteur a essayé de tuer Dimitri et que tu as failli prendre le coup à sa place…
Il ravala ses mots, n’arrivant pas à les prononcer, et secoua la tête pour en chasser la scène de ce jour. Félix serra un peu plus son manteau dans ses mains, Rodrigue le remerciant d’un regard avant de continuer.
– Le monde s’effondrait encore… j’ai cru que j’allais devenir fou tellement j’ai eu peur de te perdre aussi ! Je ne pensais plus qu’à t’éloigner de Fhirdiad qui s’était transformé en coupe-gorge, et de te renvoyer à la maison pour que tu sois en sécurité, pour qu’Alix te protège mieux que je ne le faisais ici. J’aurais pu, j’aurais aussi envoyé Dimitri à Egua mais, sa seule présence permettait de garder un semblant de calme à la capitale… mais j’étais tellement pressé de te mettre en sécurité que je n’ai même pas pris le temps de t’expliquer correctement… ni pourquoi je ne pouvais pas rentrer avec toi pour enterrer Glenn… je le voulais et je sentais que tu l’avais deviné mais, je ne pouvais pas quitter la capitale alors que la Tragédie avait tout laissé dans le chaos… je ne voulais pas te dire cette phrase mais, j’étais tellement fatigué et inquiet… je n’ai pas fait exprès… et j’ai encore plus tout foutu en l’air après en niant… et je n’ai même pas pu prendre le temps de te rejoindre pour m’expliquer quand tu es parti, tous les problèmes à régler à la capitale me tombait dessus les uns après les autres… et après, j’avais l’impression de tout ruiner encore plus si j’en reparlais quand je te voyais… je ne voulais pas te bousculer… et Alix a essayé mais, il se doutait que rajouter un troisième parti ne ferait qu’empirer les choses, et je ne voulais pas ruiner en plus ta relation avec lui…
– … faut dire… je ne t’ai pas rendu la vie facile non plus… finit par admettre Félix. Je te fuyais tout le temps… et tu n’es pas le seul à devoir t’excuser… je…
Le jeune homme se tut, détournant encore plus le regard de son père… pourquoi s’était aussi simple pour Rodrigue et aussi dur pour lui ?! ça aussi, il le tenait de Félicia ?! Même pas en plus ! Elle, elle était honnête tout le temps ! C’était tellement frustrant !
Il resserra un peu son étreinte sur le bout de tissu qu’il tenait, cherchant peut-être un peu de son courage, puis finit par relever la tête pour enfin le regarder dans les yeux. Il n’y vit que de la patience et de l’espoir alors, il continua, bien que trop timidement à son gout.
– Je… je n’aurais pas… c’était mal… j’ai… il avala une pique pour lui-même avant de finir par y arriver. Je suis désolé de t’avoir frappé… c’était mal et je n’aurais pas dû… je suis aussi désolé de t’avoir ignoré… j’ai dû te faire beaucoup de mal…
– C’est vrai que ce coup était le plus douloureux que j’ai reçu de ma vie entière, admit-il avant d’ajouter, même si sur l’instant, je m’inquiétais surtout de savoir si ce n’était pas les os de tes doigts qui avaient craqué, je n’avais pas pu vérifier moi-même vu que tu t’étais enfui. J’ai même envoyé une lettre à Alix exprès pour lui demander si ta main allait bien, même si je savais que c’était ma joue qui avait craqué à ce moment-là.
– Car tu t’en fais toujours pour les autres et pas pour toi ! Mordit un peu Félix. Tu es incurable ! Tu pourrais être mort, tant que c’est toi et pas les autres, ça te va ! ça doit être dur pour Alix ! C’est toujours pareil avec toi ! On peut te faire le pire, tu finis presque toujours par pardonner… sauf quand l’autre dépasse vraiment les bornes… comme si je ne l’avais pas fait en te frappant et en t’ignorant tout ce temps…
– Tu serais surement étonné de savoir à qui j’en veux le plus… glissa-t-il, les yeux dans le vague avant de le regarder à nouveau. Et à t’entendre, on dirait que tu préférerais que je sois en colère, lui fit remarquer Rodrigue, encore trop patient malgré tout ce qu’il venait de lui dire.
– Hum… un peu… ce serait plus simple si tu étais en colère… admit-il à moitié. Même si… grrr… pourquoi c’est aussi dur à dire…
– Si tu as besoin de temps…
– Encore ce que je te disais ! Tu es trop patient ! Même si je n’ai pas envie de me disputer avec toi ! ça te va ça ? De toutes façons, c’est grillé vu à quel point je me suis acharné pour ne pas te perdre… marmonna le jeune homme du bout des lèvres, ne regardant plus son père.
Il sentit alors une main timide caressé ses cheveux, alors que la voix de Rodrigue lui assurait.
– Moi non plus, je n’ai pas envie de me disputer avec toi… je n’en ai jamais eu envie, et c’est surement pour cela que je te pardonne aussi vite… tu m’as tellement manqué pendant toutes ses années… je ne veux plus te perdes, encore moins après une peur pareille… je sais que rien ne sera plus jamais comme avant mais, j’aimerais vraiment pouvoir te reparler, si tu veux bien me faire entrer à nouveau dans ta vie, bien sûr…
– Hum… toi aussi, tu m’as manqué… ne te jette plus jamais sous un poignard alors… ne me fait plus jamais peur comme ça…
– Je te le promet… et merci… lui sourit à nouveau son père, lisant entre les lignes.
Félix ne sut pas vraiment pourquoi ou peut-être le niait-il encore malgré tout, trop embourbé dans son habitude de le faire mais, il se sentit plus léger d’un coup… bien plus qu’il ne l’avait été pendant des années… comme si le lac venait d’arracher un poids qui s’accrochait à son cœur, pour l’emmener très loin et l’enfouir dans la vase… ça faisait du bien…
Alors qu’il se rendormait encore, le jeune homme sentit un peu mieux la magie de son ancêtre en lui, colmatant toutes les veines qui avaient explosé sous l’effort… elles changeaient un peu… comme quand sa marque d’écaille était apparue dans son dos… surement le contrecoup de la magie de Fraldarius… les miracles marquaient toujours ceux qui les recevaient… il sentait une énergie très forte en lui, parcourant ses jambes et ses poumons de toutes part mais, il n’avait pas peur… il n’avait plus peur de Fraldarius depuis des années… et même si quelque chose se passait, Rodrigue veillait sur lui, comme il n’avait jamais arrêté de le faire… il ne lui arriverait rien…
(suite)
#attention SPOILER dans les tags !#écriture de curieuse#fe3h#route cf + divergente canon#plus ou moins#là c'est la voie dorée de cette univers#pour les Braves qui apparaissent dans ce chapitre ils ne parlent pas tous français de la même manière...#je suis plutôt du genre à me dire qu'ils apprennent à parler la langue de l'époque en écoutant ce qui se passe autour d'eux#histoire de comprendre ce qui se passe à cette époque#donc pour la compréhension orale c'est parfait mais pour le parler eux-mêmes c'est une autre histoire (pas beaucoup d'aide pour discuter)#alors leur maitrise du parler est aléatoire -gros spoiler en approche ! - :#Loquax est celui qui parle le mieux car c'est sa spécialité de parler aux autres et de se faire comprendre de tous qu'importe l'espèce#Simplex est le deuxième qui parle le mieux même si c'est difficile. J'ai essayé de calquer la manière de parler d'un latin...#et penser à ce qui pourrait les bloquer en parlant français vu que la construction des phrases est différentes#le latin est une langue faite pour l'oral alors c'est l'oral qui est calqué sur l'écrit- là où en français c'est le contraire#d'où le fait que ses phrases soient hachés et certaines expressions sont des calques latins -comme 'mon sens' 'j'ai l'impression'#*pour 'j'ai l'impression' des mots de latin qui reviennent et les sonorités -comme le V qui est confondu avec le U a ce moment-là#Pertinax et Laeta comprennent sans parler d'où le fait qu'ils disent presque rien en français ou très mal#et ils parlent plus par expressions faciales#sauf quand ils doivent vraiment se faire comprendre comme avec Pertinax#et c'est aussi peut-être un peu plus classe vu que je lui fait dire que Dimitri crache sur ce qu'ont fait ses descendants#vive les dicos de latin ça sert toujours ! -par contre je sais pas si ça passe à google trad je sais pas ce que ça vaut ce truc en latin-#petite vérif'... mouais pas fameux... au moins vous êtes dans le même état que Dimitri pour comprendre ce qu'ils disent...#j'espère juste que j'ai pas massacré le latin vu que je traduis un peu du latin vers le français mais presque jamais l'inverse#en tout cas j'espère que ça vous aura plu ! merci encore !
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coquillevide · 3 months
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ATTENTION IL SE POURRAIT QUE JE SPOIL.
1984 de Georges Orwell.
On suit l'histoire de Winston qui vit dans une époque de guerre ou l'ennemie n'est jamais le même : d'un jour à l'autre cela peut être l'Estasia ou bien l'Eurasia, ce qui ne chamboule pas la majorité de la population qui semble avoir perdu la mémoire à part Winston qui se questionne sur son monde et sur pourquoi fonctionne t-il ainsi. Dans un monde où tout le monde est surveillé, écouté, sous l'ordre du puissant BIG BROTHER. La haine de l'ennemie est cultivé, la trahison est fréquente envers ses proches pour le bien de la société à qui semblerait étre contre le parti. L' histoire commence lorsque Winston commet un acte qui est interdit, mais c'est plus fort que lui, il aimerait des réponses à ses questions.
J'ai beaucoup aimé ce livre, j'ai aimé suivre Winston, être dans ses pensées intimes dans un environnement où toute individualité est interdite. J'ai aimé suivre ses aventures, ses rencontres, sa recherche pour en savoir plus sur le temps d'avant. On pouvait remarquer tout de suite qu'elles auraient été ses rencontres même si les circonstances seront plutôt surprenantes. Cette univers donne froid dans le dos, on remarque que toute l'histoire de l'Océania est constamment modifiée, que ceux qui décèdent n'existent plus dans aucun fichier. Nous sommes dans un climat où tout le monde est un potentiel ennemi, chacun peut accuser au nom du parti, comme par exemple l'histoire des enfants, innocents par leurs âges et éduqués dans cet univers trouvent bon et noble de surveiller et d'accuser le moindre coupable. Il était perturbant de lire que ces personnes pouvaient ressentir ou penser des choses contradictoires à ce que leur disait le parti mais on leur a tellement nettoyé le cerveau que personne ne prend réellement conscience de ce qu'il se passe et font une total confiance au parti et y voue un fanatisme hallucinant. Dans cette société, tout est fait pour qu'ils restent entièrement encadrés jusqu'à la moindre de leurs pensées que ce soit par le fait d'être constamment filmé et écouté mais aussi que tout a été mis en place pour que personne ne prenne vraiment conscience de ce qu'il se passe comme la création d'une langue hyper simplifié afin de mettre des limites à leurs pensées.
Je pense que cela peut être des éléments à garder au fond de soi pour étre plus attentif sur notre monde. Peut être comme ce qu'il se passe dans ce livre que s'il faudrait une guerre éternelle pour rester au pouvoir ils le feraient. D'ailleurs pour moi ce livre pousse à vouloir rester éveiller, à être conscient, chercher de se cultiver, connaître notre histoire et comprendre ce qu'il se passe dans notre monde c'est le meilleur moyen d'être libre et être aux rênes de notre vie.
Une pensée dans ce livre flotte dans ma tête. Ce livre avait l'air de dire que lorsque l'on fait intimement parti du groupe, on le comprend vraiment et non lorsqu'on a une vision objective et froide. C'est ce sentiment que je ressens pour comprendre il faut ingérer les informations en faire quelque chose de personnel de façon générale. Comme par exemple lorsque l'on fait preuve d' empathie on ressent intérieurement ce que ressent l'autre. Donc c'est les gens qui sont ce groupe où cette idéologie qui peuvent mieux comprendre l'essence et la forme du groupe. Que ce soit pour le meilleur ou le pire. Parfois il vaut peut être mieux ne pas comprendre au risque de devenir fou comme les membres du parti dans ce livre.
Je reste perplexe sur la relation amoureuse, elle ne me plaisait pas au début trop soudain, animal ! Mais comment faire de vraies rencontres qui se font progressivement dans un univers pareil c'est donc pour cela que je comprenais cette animalité. Je suis resté dans le doute des sentiments véritables qu'il pouvait y avoir entre eux. J'ai été profondément triste à la fin lorsque les deux détruits ont une relation brisée que ce soit personnellement au point d'avoir en eux brisé le moindre amour qu'ils avaient l'un à l'autre mais aussi qu'ils sentaient qu'ils s'étaient trahis l'un et l'autre lors de leurs enfermements.
Pour moi la fin montre bien l'impitoyabilité du parti, il est personne et à la fois tout le monde, il t'entend, te voit, sait reconnaître la moindre de tes expressions faciales au point de savoir ce que tu penses, il est cruel, la fin nous fait bien sentir que dans ce monde il n'y a aucun espoir.
Le vieil homme qui trahit le couple, l'écran caché dans la chambre, le psychopathie et l'impitoyabilité d'O'Brien eux tous représente le parti, il est vicieux, il est partout, il ne te donnera aucun espoir et si tu oses le contrer tu te trouveras psychologiquement détruit.
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laperditudedeschoses · 6 months
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Comment apprendre à punir un homme
Ce billet aurait pu s’intituler Les plaisirs honteux. J’oserais même dire Les plaisirs coupables.
Tout le monde les pratique, ces activités qui nous font un bien fou mais qu’on ne peut avouer à personne. Commander un Macdo sur UberEats en envoyant valser nos principes diététiques, écologiques et sociaux et en payant 3 euros de plus juste pour ne pas avoir à sortir de son salon ; mener des fouilles archéologiques sur Facebook pour savoir ce qu’est devenue cette fille qu’on n’aimait pas trop au lycée ; exposer l’ordinateur du boulot aux pires attaques de malware en regardant les Kardashians sur des sites de streaming un peu louches.
Je me suis adonnée aux trois, mais je ne suis pas en reste car j’en ai ajouté une à ma panoplie il y a quelques temps : consulter des vidéos de coachs en amour.
Mon introduction à cet univers TRES riche s’est faite il y a quelques années quand deux de mes amies, qui ne se connaissaient pas, m’ont parlé au même moment de Jean Prout. Jean Prout – dont le nom a été modifié - est un coach qui propose toutes les semaines vidéos et podcasts pour aider les femmes à s’en sortir dans cette jungle qu’est la séduction. Plus précisément, il aide les femmes à « comprendre l’homme ». Dans le monde de Jean Prout, le mâle s’apprend comme une langue étrangère, avec son vocabulaire et ses règles de grammaire : certains mots sont interdits dans les conversations avant x semaines de relation, les messages envoyés ne doivent jamais faire une ligne de plus que ceux que l’on reçoit, si un homme nous plait, il faut le laisser nous aborder en premier, etc. Il propose aussi du contenu pour les hommes mais je m’y suis moins intéressée.
A la même époque, une autre amie, Soizic, que vous connaissez, avait offert à Isilda, que vous connaissez aussi, une bible américaine en la matière intitulée The Rules, qui partage également tout un tas de consignes à destination des femmes, toujours, pour trouver l’homme de sa vie et pouvoir enfin se marier, super.
Je considérais alors ces approches comme du développement personnel cheap, rétrograde et débilitant et je désespérais de voir mes amies, que je percevais comme des femmes fortes et intelligentes, compter les jours avant de répondre à un message parce que « Jean Prout, il a dit … » ou ne pas faire le premier pas dans une soirée parce que « dans The Rules, il y a écrit… ».
Comme pour Uber, comme pour Vincent, comme pour les slims il y a bien longtemps, le coaching en amour au début j’ai dit NON, jusqu’au jour où je suis tombée dedans.
Cette histoire se passe encore en période COVID, avec ses confinements, ses couvre-feux et ses doutes et je pense que ça n’est pas un hasard. A l’époque j’étais parvenue à développer une forme d’ingéniosité hors pair pour jouer avec les règles gouvernementales et échapper à la morosité pour conserver un semblant de vie normale. Le MacGyver de la pandémie. Ma plus grande fierté est d’avoir échappé à la grisaille parisienne et au couvre-feu à 18h en m’incrustant trois semaines complètes chez mon amie Miette, qui vit à Barcelone depuis plusieurs années.
J’ai vécu cette période comme un enchantement absolu. A peine arrivée, j’ai pris un café en terrasse pour la première fois en six mois, je me suis promenée dehors jusqu’à 22h parce que c’était permis, j’ai dégusté une paella en bord de mer par 25 degrés, en plein mois de février, et j’ai renoué avec des souvenirs de ma vingtaine, de l’Auberge Espagnole, des années Erasmus et de la vie pleine de promesses.
Malgré cela mon cœur n’était pas léger. Partir à Barcelone c’était aussi fuir une relation qui ne marchait pas à Paris, mettre de la distance pour se protéger ou pour essayer de se manquer et raviver la flamme. J’avais beau me réchauffer et reprendre des couleurs, étendue des heures durant sur les pelouses du parc de la Ciutadella, j’avais emmené avec moi sans le vouloir mes préoccupations et ma peur de voir cette histoire se terminer.
Le paroxysme a été atteint un soir où je buvais un verre avec Miette et ses collègues. Je discute avec Meryem, une jeune femme douce et très solaire qui vient d’Istanbul et vit en Espagne depuis deux ans. Je ne me souviens plus de la question exacte qu’elle me pose, pour savoir à quoi ressemble mon quotidien en France, quels sont mes projets ou s’enquérir de ma vie sentimentale, mais ce que je sais c’est qu’au moment de répondre, ma gorge se serre et un flot de larmes jaillit de mes yeux.
Catastrophe, je pleure devant une inconnue, je suis dans tous mes états comme une adolescente, incapable de me retenir et évidemment je suis obligée de lui expliquer pourquoi donc me voilà qui lui raconte tous mes tourments. Meryem est adorable, elle me réconforte et parle de sa propre histoire d’amour, qui a connu des moments difficiles mais a fini par rebondir et dure depuis des années maintenant.
Après cet événement fort embarrassant, je décide que ça suffit, je vais me reprendre en main. Je ne peux pas continuer comme ça, me morfondre et passer à côté des bons moments, m’inquiéter sans cesse quand je n’ai pas de prise sur les événements. Ça n’est plus un secret, ma plateforme favorite, c’est Youtube, je m’y rends donc pour chercher de l’aide avec une requête très sérieusement formulée « Comment faire quand on a peur de perdre quelqu’un ? ».
Et c’est là que je tombe sur sa page. Je regrette de ne pas pouvoir donner son vrai nom parce qu’encore aujourd’hui j’ai envie de le recommander à celles et ceux qui cherchent des conseils en amour ou qui ont juste besoin d’entendre une voix apaisante. Je l’appellerai Jésus, même si physiquement il n’a rien à voir avec le fils de Dieu. Grand, brun, ultra baraque parce qu’il fait de la muscu (il en parle dans une de ses vidéos), il se dit coach en amour depuis 2007 et vit aux States, parce que c’était son « rêve » et que « dans la vie, il faut tout faire pour réaliser ses rêves ». Les titres de ses vidéos sont très concrets « Le secret pour rendre un homme fou de vous », « Pour le faire s’engager, utilisez cette astuce », « Si vous manquez de confiance en soi, ceci est la solution ».
Leur contenu est un joyeux bordel qui mixe développement personnel, neurosciences, psychologie abrégée, clichés sur les hommes, « les chasseurs », et renvois vers des vidéo payantes dans lesquels il approfondit ses méthodes, notamment la technique du push and pull, qu’on traduit par le « fuis-moi je te suis ». Pourtant je n’y peux rien, son timbre de voix, le « Mesdames » réconfortant par lequel il commence ses vidéos, sa vision du monde et des relations, si simple, tout me rassure et je me lance dans un vidéothon sur sa chaîne, qui est extrêmement fournie.
Miette passe près de moi au moment où je regarde une séquence dans laquelle il explique comment lutter contre ses complexes en allant tout simplement régler les problèmes qui en sont à l’origine.
« Ah bah merci, il est sympa lui !». Elle commence à l’imiter « Vous vous trouvez moche ? Faites de la chirurgie esthétique. Vous êtes grosse ? Faites un régime ». Je pars dans un fou rire incontrôlable et remercie Jésus et Miette intérieurement parce qu’ils me redonnent le sourire.
Après cela, j’ai tout de même continué de regarder ses vidéos et pendant de nombreux mois. Pas uniquement pour me tranquilliser sur le moment mais aussi pour essayer de mettre en pratiques quelques conseils prodigués, notamment ceux de la vidéo « Comment apprendre à punir un homme » car oui, elle existe.
En voici quelques extraits : « Les hommes aujourd’hui, c’est comme des enfants », ok, pas faux, « si vous avez un enfant, vous l’aimez de tout votre cœur, mais vous ne le laissez pas faire tout ce qu’il veut, avec les hommes c’est pareil ». Bien sûr !
« Quand vous voulez punir un homme, on ne peut pas lui parler et être dans la communication ouverte parce que ça nous met en demande, on lui donne de l’attention. Si vous voulez punir un homme il faut mettre de la distance ». Ok donc si je suis énervée après lui, je ne lui dis rien, je ne réponds plus à ses messages. Ça me paraît pas très mature mais au moins je sais faire.
« Ensuite, on ne l’attaque pas en tant que personne car ça vous met en porte-à-faux, on va lui dire « Ça ne me fait plus vibrer » et pas « Tu ne me fais plus vibrer » ». Très bien, prochaine discussion, je lui dis « ça ne me fait plus vibrer ». Il va être bien puni.
« Enfin on attend qu’il y ait des excuses et les premières actions de changement, c’est très important d’avoir les mots ET les actes ».
J’ai obtenu des excuses. Je n’ai malheureusement obtenu aucun changement. Et comme les slims, comme Vincent et bientôt je l’espère comme Uber, un jour, j’ai arrêté de regarder les vidéos de Jésus.
La semaine dernière j’étais de retour à Barcelone. Après tout ce temps je me suis demandée comment j’avais pu me mettre dans des états pareils pour si peu, prendre le risque de ne pas vivre pleinement les moments passés là-bas, profiter de la mer, du beau temps et de la Sagrada Familia. Et fait amusant, j’ai revu Meryem, qui m’a annoncé qu’elle avait mis fin à sa longue relation, parce qu’elle avait besoin d’évoluer, de se réinventer.
Parce que oui, Messieurs, c’est CA les femmes : des putain de rock stars qui ne prennent rien pour acquis, qui sont prêtes à tout remettre en question, y compris elle-même, pour toujours aller chercher le meilleur, qui peuvent écouter des heures de vidéos à la con et se plier en huit pour qu’une relation marche et qui ont bien compris que la vie, c’est comme une paella, y a pas que le riz, y a aussi les fruits de mer et même le poulet, voire le chorizo.
Dans le train du retour j’ai réécouté quelques vidéos de Jésus pour m’aider à dormir, ça a marché du tonnerre.
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lesombresdeschoses · 1 year
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USA MESS
Rien qu'un mois aux States, c'est déjà trop long.
J'enquêtais sur un cas de phénomènes étranges, s’avérant particulièrement problématique. L’affaire impliquait le grand patron de WCB (Warren & Cleare Business). Certains cadres haut-placés étaient soupçonnés de solliciter les services de sorciers vaudou. Quand j'ai entendu Stacy Carlton, la cliente, me raconter son histoire, je reconnais que j'ai eu beaucoup de mal à me retenir de rire. J'ai dû, cependant, me coltiner l'affaire : j'étais à New York pour aider un ami. J’avoue que j'en ai eu pour mon arrogance. J'ai moins ri, lorsque je me suis retrouvée au milieu d'une affaire de pouvoir, d'argent sale, de magie noire... Et pas de la mystification de pacotille comme on nous la sert dans les films. J'ai vu des choses très étranges en Haïti, mais là, ça se passait au cœur du monde occidental, où la seule magie reconnue est la technologie, où la poupée vaudou est le Blackberry. Bref je m'étais bien plantée et je commençais à regretter d'avoir accepté de dépanner Pete.
Peter Murphy, un ancien collègue du Yard : il vivait à Londres à l'époque où l'on s'est connu. Je travaillais encore dans la police en ce temps-là. J'avais été fraîchement transférée d’Édimbourg. Pete était le DCI de Brixton. Il avait perdu son équipier lors d'une sale affaire. L'accueil chaleureux type du flic mal dégrossi : il m'avait montré ses crocs pour me faire comprendre que je ne remplacerais jamais son ami. Tout ceci ne me rajeunissait pas. Pete s'était installé, depuis quelques années, comme privé aux USA. Quelle bêtise ! Mais il m'avait payé le billet d'avion, je n'allais pas dire non.
Revenons à cette pauvre Stacy Carlton. C'est tout de même le genre d'enquête merdique dont personne ne veut. Non seulement tu passes pour un cinglé si t'en parles, mais tu finis par le penser, limite le devenir. Les objets se brisaient sous mes yeux comme si j'étais poursuivie par un Djiin. Des personnes sans aucun antécédent suicidaire mettaient fin à leurs jours, sans raison. Histoire de se mettre dans l'ambiance : déjà du grand n'importe quoi au bout d'une semaine et demie à fureter dans ce merdier. C'était un jeudi. J'interrogeais Marc Holding, chargé de la comptabilité. Un homme sans problème, une vie tout ce qu'il y a de plus normale. Il me montrait le registre des comptes, quand soudain, sa tête a basculé sur le côté, ses yeux sont devenus vitreux. Il a posé calmement le carnet, boutonné sa veste, puis s'est retourné face à la vitre pour finalement la traverser comme une balle de quarante-cinq. Je n'en croyais pas mes yeux. Je même claqué mon élastique au poignet pour voir si je ne dormais pas.
Je ne picolais pas comme un trou à cette époque et ce morceau de caoutchouc me servait à virer mes pensées sinistres quand je tournais en rond dans ma tête.
La vitre était blindée ! J'ai donné un coup avec une chaise en métal sur celle d’à côté pour vérifier ma théorie : oui, la vitre était blindée ! Je suis vite partie en espérant passer inaperçue. Ils se servaient de la magie noire pour contrôler les gens. Les tuer lorsqu'ils dérangeaient. La situation était plutôt glauque. J'ai l'habitude de l'étrange, mais dans ce cas, c'est l'humain qui m'écœurait. Tout ça pour du fric, du vulgaire papier ! Au Royaume Uni, c'est sûr que du glauque on en bouffe tous les jours dans la police. Mais bon sang, on ne tue pas systématiquement pour du pognon ! Ce serait plutôt par manque de pognon. Bref, finalement, on est tous de gros cons, d'un bout à l'autre de cette pauvre planète. Le PDG de la société tirait les ficelles, mais je ne pouvais pas prouver qu'il était la source de cette horreur. Les cadavres s'accumulaient autour de lui telles les grenouilles des plaies d’Égypte et moi je pataugeais comme une débutante, noyée sous une montagne d'informations, toutes plus bidons les unes que les autres. Et toujours zéro témoin (tous achetés, sous camisole ou morts. Essentiellement morts). Non, le PDG n'était pas un grand black ! Aux États-Unis ce sont les blancs qui sont clients du vaudou : il sert bien le business. Je reconnais qu'entre le KKK, les psychopathes et la sorcellerie, je n'aurais aucune chance de finir au chômage dans ce pays ! Mais, non merci. Cette société est trop tordue ! C'est bien pour cela que je suis restée à Londres : les British sont tout de même plus sophistiqués.
Enfin, c'est ce qu'on veut bien faire croire aux restes du monde, à vrai dire.
Bon, là, je rendais service à Murphy. J'étais impliquée jusqu'au cou et ne pouvais pas le lâcher en plein merdier. Je me suis donc acharnée sur cette société WCB pour trouver des preuves contre son PDG et ses sbires. J'avais même réussi à trouver le sorcier qui travaillait pour eux. Cependant je me suis bien ridiculisée au commissariat. Pete n'en pouvait plus lui non plus, sa cliente se faisait harceler. Des actes anodins, en apparence, mais cumulés, il y avait de quoi perdre l'esprit. Des coups de fil réguliers, en pleine nuit. Le saccage systématique des fleurs sur son balcon. Et non, aucun des voisins n'avait de chat ! Puis, franchement, je vois mal un chat bouger un pot de fleurs plein de terre. Pire encore ! Dans l'appartement, des objets étaient déplacés. Elle les remettait à leur place, ils bougeaient de nouveau. Comme si quelqu'un avait la clé de chez elle. Le concierge n'était au courant de rien ! Puis cette sensation d'être épiée en permanence. Étrange qu'ils ne s'en soient pas débarrassés de la même façon que des autres. Je compris plus tard qu'ils voulaient se servir d'elle comme tête de turc, pour leurs magouilles. La faire plonger par la suite. Que leur plan ait porté ses fruits ou pas, ils étaient couverts. Classique. Un peu ridicule tout de même. Une petite secrétaire de direction s'avérant être un grand cerveau criminel !
Quoique, j'ai déjà vu le scénar dans une série... Elementary ? Je ne sais plus... La meuf, une vrai psychopathe. Elle butait tout les gars pour lequels elle bossait. En fait, c'était elle le cerveau du bizness... Bref, non. Carlton, est une victime. Fin de l'histoire. J'ai le pif pour les enfoirés et autres cinglés du genre. Je les attire comme un aimant industriel...
Donc, Stacy, le grand cerveau criminel ? À d'autres ! Mais dans ce pays, la thune c'est Dieu sur Terre. Les flics ne vont pas se casser la cervelle pour démêler le vrai du faux. Ici c'est « affaire bouclée, quota effectué, au suivant et surtout on ne dérange pas les puissants » ! On se croirait sous l'Empire, fin 1800. Quelle usine à cons ! Je me disperse. Bref, Il me fallait un témoin vivant et une preuve irréfutable, qui me permettraient de faire le lien dans ce foutu sac de nœuds. Il était absolument inutile d'espérer une quelconque collaboration de la part du sorcier. En désespoir de cause, je dus perquisitionner la WCB, sans mandat, bien sûr. « On endosse son costume de monte en l'air et c'est parti ! »
Comme Sherlock, j'aurais fait un bon criminel, qu'est ce qui m'a pris de choisir le côté des anges, c'est nul : ça paie que dalle et on s'en prend plein la gueule, parce qu'il faut forcément un coupable !
C'était la caverne d'Ali Baba ! L'espionnage industriel c'est l'avenir ! Je me suis gavée ! J'ai trouvé pléthore d'informations croustillantes dans les dossiers de la WCB avec lesquelles je pouvais jongler pour faire plonger cette ordure de Warren et toute sa smala. Murphy avait un ami avocat, un vrai requin, absolument pas regardant sur les méthodes employées pour pêcher LE tuyau, qui ferait pencher la balance de son côté. Du coup on se foutait totalement de la façon dont je récupérais l'info. J'étais seule dans l'obscurité de ce bâtiment des enfers. Je n'étais pas rassurée, et cet ordinateur qui ramait pour transférer les données. Avec le papier c'est plus simple : « clic photo » et c'est dans la poche. Je décidai de sortir par la passerelle qui donnait accès au building d'en face. Belle erreur. Dean Warren m'attendait dehors, avec la ferme intention de me supprimer. Le Big Boss de la WCB ! Je l'avais tellement poussé à bout qu'il était venu, en personne, pour me liquider. Je reconnais qu'à cet instant, j'étais à des lieues d'avoir peur, je me sentais très importante ! Puissante. Excitant !
— Vous cassez pas, j'ai deviné. Vous voulez me faire faire le saut de l'ange.
Je poussai l'ironie dans le ton de ma voix. Warren quant à lui, resta impassible.
— Exact.
— Et qui vous dit que je ne sais pas voler ?
— Vous sortez de mes bureaux…
— Ah ouais, elle est bonne celle là !
Je n'ai pu m'empêcher de pouffer de rire. Une fois calmée, je le regardai avec insistance, sourire en coin.
— Vous allez moins rire une fois en bas, me lança-t-il, froidement.
— Hm ! Non mais pardon ! Je n'arrive pas à rester sérieuse !
Je pris une grande bouffée d'air frais et à ce moment précis, j'eus une soudaine envie de l'embrasser. Drôle d'effet, quand on sait qu'on va mourir de la main de celui qui vous provoque cette pulsion. J'ai sorti mon paquet de cigarettes de la poche de ma veste.
Oui je me suis mise à fumer, le stress. Mais c'est un autre chapitre de ma vie, on y reviendra plus tard. Peut-être...
Je lui tendis le paquet, d'un mouvement de la tête, il refusa mon offre.
— On n'a pas pris le temps de se présenter. Vous avez deux minutes ?
Il resta stoïque, attendant la suite de mes réflexions. Je n'allumai pas encore ma cigarette, je ne savais pas pourquoi, j'attendais sans doute un signe.
— Cigarette du condamné. Ça se savoure. Impressionnant votre tour de passe-passe.
Il me dévisageait étrangement, je sentais bien qu'il voulait me tuer, cependant quelque chose le retenait, mais sûrement pas la peur de la chaise électrique Ou l’injection létale, je ne sais plus. Pour ma part, j'avais eu mon compte de galères, alors mourir maintenant ou mourir demain... Je m'approchai de lui pour lui chuchoter à l'oreille.
— Il me manque le Whisky. J'ai horreur de la cigarette sans Whisky.
Oui, je me suis mise à boire, mais pas encore comme un trou normand, la suite au prochain épisode...
Soudain, il décida d’entamer une véritable conversation :
— Vous voulez donc connaître le fond de l'intrigue... Pourquoi j'ai dû déchaîner les foudres sur autant d'innocents ? Vous devez vous douter que ce n'est pas qu'une question d'argent ?
Son parfum m'enivrait, je n'avais plus envie de parler. Il me provoquait du regard. Il m'attirait vraiment.
Le danger de mort m'excite toujours autant ! Et cette manie d’être attirée par les mauvais garçons ! Les très mauvais garçons.
— À vrai dire je m'en fous un peu du pourquoi. Et à quoi bon franchement, je le saurai bien assez tôt. Vous n'allez pas me tuer.
— Vous êtes bien sûre de vous.
— Vu votre position sociale, êtes-vous vraiment certain de vouloir tout détruire sur une impulsion ? Non. C’est irrationnel et ce n’est pas votre genre.
Je m’approchai de lui, encore, et lui susurrai :
— Vous êtes poussé par la curiosité, vilain garçon. Qu'est ce qu'un sujet de la reine vient foutre en colonie ?
Cette phrase eut un effet pervers sur Warren : ce jeu de pouvoir prenait des dimensions de guerre des mondes, comme si nous jouions nos empires aux échecs. Mes lèvres frôlèrent sa joue, il sentit monter cette tension déstabilisante. Quelle sensation étrange.
Décidément je suis attirée par les « très » mauvais garçons.
*
Law frappe d'un coup sec la table, puis s'adresse à son ordinateur :
— Bon sang t'as de la chance que j'ai besoin de toi, sinon tu passais, fissa, par la fenêtre !
La jeune femme sort un câble du tiroir de son bureau en marmonnant sur un ton fortement agacé :
— Une heure de charge ! Batterie de gonzesse !
Elle rallume son portable, puis retrouve son fichier, mais au préalable il lui semble judicieux de s'allumer une cigarette. Elle ouvre la fenêtre. Le bureau, situé au rez-de-chaussée, rehaussé de quelques marches, donne sur une petite cour carrée. Le sol est pavé de pierres blanches, entourant un petit lopin de terre, égayé de quelques pivoines roses. Law jette sa cigarette à peine entamée dans son cendrier improvisé : une boîte de conserve métallique, à moitié remplie d'eau et retourne à son exercice d'écriture.
*
Je reconnais que j'aurais bien continué après le baiser, mais il était vraiment temps de rentrer. J'ai posé ma main sur son torse, puis j'ai reculé lentement. Je me suis retournée, puis m'en suis allée tranquillement. Il aurait pu me suivre pour me balancer du haut de la passerelle. Il n'en fit rien. Je transmis les fichiers à Murphy, son enquête fut bouclée en quelques jours. Il allait sortir d'affaire Stacy Carlton, sa cliente. Dean Warren, s'en tirerait sans grands dommages, grâce à sa brochette d'avocats. Je suis rentrée à Londres avec le premier avion. Je n'attendis pas le procès. Il n'était pas question de rester une seconde de plus dans ce pays de dingues.
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andrewrossiter1 · 1 year
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Un conte de deux royaumes
Un conte de deux royaumes
Prédication par Andrew Rossiter à Bergerac le 25 janvier 2023
Esaïe 8.23-9.3, Matthieu 4.12-23
En 1859 est apparu le livre de Charles Dickens «Un conte de deux villes». Un livre bien différent que ces autres et qui met en scène une foule de personnages héroïques et misérables sur fond de la Révolution Française. Le titre est aussi «Paris et Londres». C’est une histoire où il faut choisir son camp, et parfois les choix sont lourds de conséquences.
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Dans l’Evangile de Matthieu ce passage met en scène un «conte de deux royaumes» où Jésus demande une allégeance totale, sans hésitation et sans faille. Parfois le choix de le suivre est aussi lourd de conséquences. Parce que cette demande va à l’encontre des obligations de l’Empire Romain sur la vie, le travail et la terre des peuples occupés et soumis à leur autorité.
Jésus quitte précipitamment (ce qui est le sens du verbe dans le texte) Nazareth après l’annonce de l’arrestation de Jean le baptiseur. Il va à Capernaüm dans la région de Zabulon et Neftali. Ce qui peut être un itinéraire d’un voyage organisé en Terre Sainte! Ces régions ont été nommées après les deux fils de Jacob et sont les territoires alloués à ces deux tribus (vous pouvez lire le récit en Josué 19). 
Jésus est en Galilée, en terre promise
promise par Dieu
promise au peuple d’Israël
mais ces territoires sont actuellement occupés par la puissance militaire de Rome. Emmanuel (Dieu avec nous) commence son ministère dans un zone de conflit. Le texte que Matthieu a choisi pour illustrer son récit renforce cette idée, car ces territoires étaient aussi sous occupation au temps Esaïe, l’envahisseur à cet époque était l’Assyrie.
L’annonce d’Esaïe envisage l’arrivée d’un autre roi pour établir et unifier les deux royaumes séparés d’Israël (dans le nord) et Juda (dans le sud). Mais les paroles d’Esaïe prennent une autre signification quelques 700 ans plus tard avec le début du ministère public de Jésus. Tout se joue maintenant, non pas sur le champ de bataille ou dans les négociations diplomatiques entre chefs politiques, mais dans la vie ordinaire des gens ordinaires. Désormais le salut qu’Esaïe attendait se déroule dans la vie familiale, économique et sociale de tous les jours. Le conflit n’est plus autant le clash des armées mais dans les cœurs et les choix que nous avons à faire tous les jours de notre vie.
Matthieu nous dit que quand Jésus passe, il appelle.
André et Simon étaient en train de travailler, «viens, je te ferai pêcheurs des gens», il leur dit. Jacques et Jean sont avec leur père, il leur dit, «suivez-moi». Et les quatre quittent aussitôt leurs affaires et leurs familles pour le suivre.
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Nous pouvons poser la question, comment est-ce possible? Et beaucoup ont imaginé des raisons:
Ils connaissaient Jésus déjà sans doute. Après tout les villages des pêcheurs au bord du lac de Galilée étaient petits et tout le monde était au courant des affaires de tous.
Peut-être Jean et Jacques ont été influencés par la démarche de Simon et André.
Ou ils étaient mécontents de leur travail ou avec les relations familiales.
Ou tout bêtement ils avaient un goût d’aventure?
Ce n’est pas possible de répondre à partir du texte, mais nous pouvons toujours imaginer ce que nous voulons pour expliquer pourquoi nous n’aurions pas pu le faire.
Je crois que Matthieu veut nous faire comprendre que de suivre Jésus est une décision qui change radicalement notre vie, et que ce changement s’opère à tout moment de notre vie: aux moments les plus banales et ordinaires. Je ne lis pas cette histoire uniquement comme un appel «pour la vie, une fois pour toutes» mais comme un appel qui nous est adressé plusieurs fois dans notre existence. Chaque fois que nous nous trouvons face à Jésus, il nous appelle encore et encore de choisir notre allégeance qui implique un changement total en cet instant.
Le bibliste américain Warren Carter* explique que les frères se sont organisés probablement en une sort de coopératif de travail, peut-être à plusieurs familles du même village. Ils auraient pu, alors, acheter le droit de pêcher en négociant un contrat avec l’Empire. Ils obtenaient le droit de pêcher mais aussi le devoir d’approvisionner l’armée romaine. Le fait de rompre leur contrat était un acte de désobéissance civile contre l’occupant.
La fameuses Pax Romana était maintenue par la puissance des ténèbres et la mort pendant plusieurs générations. L’Empire utilisait les ténèbres et la mort pour réduire le peuple à accepter leur occupation, comme la normalité. En prenant la citation d’Esaïe, Matthieu indique que Jésus conduira son peuple des ténèbres à la lumière, et détruira la puissance de la mort, que Rome incarne, par sa resurrection. Jésus, par son message, ses miracles et son appel démontre que les ténèbres et la mort n’ont pas besoin d’être acceptées et qu’elles n‘ont pas le pouvoir qu’elles prétendent détenir. Parce que Jésus est passé par là: le Diable a essayé de le co-opter, l’Empire a essayé de le menacer et rien ne le dissuade.
Jésus se retire (ou s’en fuit) en Galilée mais c’est pour entrer au cœur de l’Empire. Il vient là où se trouve le conflit, la résistance et la menace pour conduire les autres à la lumière. Les choix de ses disciples sont les nôtres aussi. Quelle est notre attitude face aux empires 
qui veulent nous gouverner par la menace et nous conduire dans les ténèbres?
qui veulent nous faire croire que le mal n’est autre que le bien?
qui proclament que l’acceptation de leurs programmes est nécessaire pour la paix sociale?
La tentation est grande de faire la paix avec l’Empire parce que c’est dans l’intérêt générale et dans nos intérêts personnels. Ils proclament que «c’est tout simplement le seul choix parce que c’est du bon sens économiquement et c’est raisonnable».
Parce qu’inévitablement il y a un coût de refuser de pacser avec l’Empire qui peut mettre en cause notre réputation et entraîner l’incompréhension et le refus des autres. Mais le coût de ne pas le faire est beaucoup plus élevé. C’est la perte de notre identité comme Église de Jésus-Christ. Une Église qui se joint à l’Empire ou qui reste silencieuse ne peut pas prétendre être l’Église de Jésus-Christ.
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Ces frères, qui ont choisi de suivre Jésus, ont opté pour le règne de Dieu plutôt que le règne de Rome. Ils ont choisi de pêcher leurs terres et des gens plutôt de les exploiter pour le compte de Rome. Rome voulait des pêcheur pour avancer leur domination. Jésus a besoin de pêcheurs pour avancer le règne de son père, un règne de justice, de bienveillance et de bonté.
Et ce conte de deux villes? Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai commencé avec ce livre de Dickens.
A la fin du livre, le personnage principal, Sydney Caron (qui est un alcoolique, un cynique et désabusé) se trouve confronté par un choix décisif. Il choisit de donner sa vie pour la personne qu’il aime, afin que Lucie Manette peut épouser la personne qu’elle aime (je sais que c’est un spoiler et je vous demande pardon, espérant que la citation ci-dessous vous donnera envie de lire le livre).
Il dit, en allant vers la guillotine, «Ce que je fais aujourd’hui est infiniment meilleur que tout ce que j’ai fait par le passé et je vais enfin goûter le repos que je n’ai jamais connu…
Cependant, j’ai la faiblesse de vouloir que vous sachiez à quelle puissance vous m’avez transformé tout à coup, moi pauvre tas de cendres en un feu ardent».
Il a choisi la lumière dans une vie de ténèbres.
* Warren Carter. “Matthew and the Margins: A Sociopolitical and Religious Reading”. Orbis Books: Maryknoll, NY (2000), p.121
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midnight-fantaisie · 2 years
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Les Noces de la Renarde - Floriane Soulas
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Informations générales
Titre : Les Noces de la Renarde
Auteur : Floriane Soulas
Édition : Scrineo (2019)
Résumé : 
“1467, Japon. Hikari, une kitsune, vit avec ses sœurs dans une forêt peuplée de petits dieux. Fascinée par les humains, la mystérieuse jeune femme s’intéresse de près aux villageois installés au pied de la montagne, et surtout à Jun, l’un des bûcherons. Mais le contact avec les hommes est formellement interdit par son clan...
2016, Tokyo. Mina a le pouvoir de voir et de côtoyer les yokaïs, esprits et monstres du folklore japonais. Solitaire à cause de ce don qu’elle doit cacher à tous, la jeune fille ne se sent pas à sa place dans la société. Jusqu’au jour où un esprit tente de s’introduire dans ses rêves et que sa camarade Natsume l’entraîne dans une chasse au démon à travers la capital... 
Deux univers se croises, deux destins s’entremêlent, entre quête d’identité et désir d’émancipation.
Avis personnel : 
Monde : 
Nous naviguons entre le Japon ancien et le Japon moderne. La fan du Japon que je suis avait des vues sur ce livres depuis un moment déjà et c’était vraiment sympa de jonglé entre le Japon de 1467 et le Japon de 2016.
Personnages : 
Hikari et Mina sont bien sûr les personnages principaux. Le contraste entre les deux est frappant. Hikari, kitsune puissante et sûre d’elle face à une jeune Mina qui ne sait quoi faire de ses pouvoirs.
Toutes les deux étaient attachantes de façons différentes. 
Natsume, quant à elle, me tapait un peu sur les nerfs mais bon... quand on voit son père, on se dit quand même que c’est un moindre mal...
Nous rencontrons aussi plein d’autres personnages et j’ai adoré Ryu le Tanuki, par exemple.
Histoire : 
Le résumé est assez fidèle à ce qui se passe dans le roman, pas de grande grande surprise. Nous suivons alternativement Hikari et Mina. Elles sont toutes les deux attachantes, comme je l’ai déjà dit.
Bien sûr, il se passe d’autres choses. Des camarades de classe possédées, le fantôme du gymnase, le chat-démon pas sympa et autres petits démons. 
Il y a quelques petites révélations, concernant le père de Mina par exemple, et Eri, la médium. 
Écriture : 
Elle est fluide et agréable à lire. Passer d’une époque à l’autre se fait sans trop de difficulté. De plus, on voit que l’auteur s’est beaucoup renseignée pour écrire et ses notes de bas de pages sont intéressantes pour ceux qui ne connaissent rien au Japon, afin de comprendre.
Je n’ai pas eu de grande surprise au cours de ma lecture. Je n’ai pas tout deviné avant que cela se passe, mais j’avais des soupçons et même si cela reste une lecture très agréable, je n’ai pas eu de grande surprise.
J’ai eu quand même un ou deux moments d’émotion au cours de ma lecture et franchement, “Les Oubliés de l’Amas” est dans ma PAL et ce sera avec plaisir que je me plongerai dans cette histoire de cette auteur à la plume intéressante.
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albad · 3 years
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David Langlois-Mallet
À lire avant d’entrer dans la logique de pointer du doigt ses semblables... Je ne suis pas surpris que, comme à d’autres époques, la gauche des notables se couche et « vote les pleins pouvoirs », alors que la défense de la liberté vient de la droite traditionnelle, comme dans ce texte limpide.
Tribune dans le Figaro de François-Xavier Bellamy, philosophe et député européen:
Depuis l’apparition du coronavirus, nous sommes passés par bien des expériences inédites, et nous avons vu vaciller, de confinement en couvre-feu, la rassurante et illusoire évidence de nos libertés publiques. Mais il ne faut pas se méprendre: la vraie rupture historique pour notre modèle de société date de lundi dernier, avec les mesures annoncées par le président de la République. Si nous nous sommes opposés, il y a plusieurs mois déjà, à la création du pass sanitaire par le Parlement européen et le Parlement français, c’est parce que nous refusons absolument le monde qui se dessine sous nos yeux.
Une précision d’abord, dans la confusion et les caricatures du moment: s’opposer au pass sanitaire n’est pas être antivaccins. La vaccination est un progrès scientifique prodigieux, et l’une des plus belles pages de l’histoire de notre pays est sans doute d’y avoir largement contribué à travers l’œuvre de Pasteur. Mais comment comprendre que cette tradition scientifique aboutisse à la déraison que nous constatons aujourd’hui? Avec dix-huit mois de recul, nous connaissons désormais le coronavirus: nous savons chez quels sujets il provoque des formes graves. 93 % des victimes du coronavirus en France avaient plus de 65 ans; 65 % avaient un facteur de comorbidité. En dessous de 40 ans, sans facteur de comorbidité, le risque de mourir du coronavirus est quasi inexistant.
Pourquoi alors ne pas adopter la même stratégie de vaccination que celle qui a lieu chaque année face à la grippe saisonnière? Rappelons que, sans susciter aucune opposition, plus de 10 millions de vaccins ont été administrés l’an dernier contre cette épidémie, majoritairement pour les personnes vulnérables, âgées ou présentant une fragilité particulière. Le nombre de morts est ainsi contenu chaque année, sans qu’il soit jamais question de vacciner toute la population tous les ans au motif qu’il faudrait éviter la circulation du virus. On ne traite pas les plus jeunes d’irresponsables égoïstes parce qu’ils ne se font pas vacciner contre la grippe! Ce débat doit être mené sans simplisme et sans leçons de morale: oui, on peut être favorable aux vaccins, y compris à une campagne très large pour vacciner les personnes vulnérables face à cette épidémie, et affirmer que la stratégie de masse actuellement choisie semble hors de toute mesure: pourquoi faudrait-il vacciner un adolescent, qui ne risque absolument rien du coronavirus, au motif qu’il faut protéger les personnes âgées, si celles-ci sont vaccinées? C’est faire complètement l’impasse sur le nécessaire arbitrage entre bénéfice et risque, y compris du point de vue collectif.
L’accès à un espace public sera différencié selon nos données de santé. Comment une telle révolution peut-elle s’opérer avec une justification si faible, sans vrai débat parlementaire, et en caricaturant tous ceux qui osent s’en inquiéter ?
Mais là n’est même pas le problème essentiel, en un sens. Ce que nous n’acceptons pas, et n’accepterons jamais, c’est la transformation de nos vies quotidiennes, de nos relations humaines, de notre modèle de société, qui s’accomplira de manière certaine et potentiellement irréversible par la mise en œuvre du pass sanitaire. Pour la première fois dans notre histoire, il faudra présenter un document de santé pour effectuer les actes les plus simples du quotidien - prendre un train, entrer dans un magasin, aller au théâtre… L’accès à un espace public sera différencié selon nos données de santé. Comment une telle révolution peut-elle s’opérer avec une justification si faible, sans vrai débat parlementaire, et en caricaturant tous ceux qui osent s’en inquiéter? Rappelons pourtant combien ces contraintes inédites paraissaient inimaginables il y a encore quelques mois: quand certains redoutaient que le vaccin puisse devenir le critère d’une existence à deux vitesses, on les traitait de complotistes. Lorsque le pass sanitaire a été créé, le gouvernement jurait que jamais il ne conditionnerait l’accès à des actes quotidiens - seulement à des événements exceptionnels réunissant des milliers de personnes. C’est d’ailleurs à cette condition explicite qu’un tel dispositif avait été accepté par les autorités administratives compétentes pour la protection des libertés ou des données privées. Le fait que l’État méprise à ce point la parole donnée, sur des sujets aussi graves et en un temps aussi court, a de quoi inquiéter n’importe quel Français sur l’avenir de la liberté.
Car c’est bien tout notre modèle de société qui est aujourd’hui menacé. Si le gouvernement a la certitude que la vaccination générale est absolument indispensable, alors il devrait en tirer toutes les conséquences, et la rendre obligatoire. Nous ne pensons pas cela; mais ce serait au moins, du point de vue démocratique, une décision plus loyale que l’hypocrisie de cette contrainte déguisée. Ce serait surtout éviter de basculer dans ce nouveau monde où l’État contraindra chaque citoyen à contrôler son prochain pour déterminer ses droits. Le serveur d’un bistrot sera sommé de vérifier la vaccination et la pièce d’identité d’un client pour pouvoir servir un café; les mariés devront demander un QR Code à leurs invités avant de les laisser entrer… Et la police viendra sanctionner ceux qui n’auront pas participé efficacement à ce contrôle permanent. Qui peut prétendre qu’un tel dispositif permet de «retrouver la liberté»? Il constitue au contraire un précédent redoutable en matière de contrôle permanent et de droits différenciés, en particulier au regard des enjeux majeurs touchant la santé et la bioéthique dans les années qui viendront. Ne pensez surtout pas que, parce que vous êtes vacciné, vous aurez «une vie normale»: quand on doit présenter dix fois par jour un document de santé et sa carte d’identité, pour acheter une baguette ou faire du sport, on n’a pas retrouvé la liberté. Quand chacun doit devenir le surveillant de tous les autres, on n’a pas «une vie normale».
On nous dira qu’il faut choisir entre le pass sanitaire et le confinement généralisé: mais ce chantage est absurde. Dès lors que les plus vulnérables sont vaccinés, il n’y a aucune raison de revenir au confinement, aucune raison en particulier de fermer les amphis et d’enfermer les adolescents. Nous n’avons pas à choisir entre deux manières inutiles et dangereuses d’abandonner la liberté. Ce combat n’est pas individualiste, au contraire: c’est se sentir vraiment responsables d’un bien commun essentiel que de défendre cette liberté aujourd’hui gravement menacée. Il y a là un défi de civilisation: face aux modèles autoritaires qui triomphent ailleurs dans le monde, l’Europe et la France doivent montrer qu’une action publique efficace, même en période de crise, n’impliquera jamais d’abandonner les règles intangibles qui fondent nos démocraties. Les libertés fondamentales, l’égalité des droits, l’amitié civique, ne sont pas des privilèges pour temps calmes, mais des principes qui nous obligent.
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J'ajouterai que nous ne sommes pas responsables des peurs des autres.... et qu'ils n'ont pas à les imposer aux autres parce qu'ils sont dans l' incapacité de les gérer.
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bullesetplumes · 3 years
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30 jours pour écrire, jour 13, un étrange objet venu des profondeurs de la terre
Les enfants se précipitent autour du feu de camp dressé spécialement pour l’occasion. Chaque mois, depuis aussi longtemps que ne se souvienne l’Enclave, quand la Lune est pleine, l’ancien se présente, et parle à qui voudra bien l’écouter.
Ainsi, chaque mois, les familles du bourg se présentent sur la place où le feu est monté, et écoutent les histoires de cet homme ridé, dont les yeux ne voient plus depuis bien longtemps. Parfois, il parle de sa propre jeunesse, et de ce qu’il vit alors que la maladie n’avait pas encore pris sa vue. Parfois, il parle de ce que l’on lui compta, des légendes de l’Ancien Monde, avant l’avènement du Dieu-Sorcier, avant que le monde ne s’embrase et que ne flétrisse l’Arbre du Monde.
Ce soir-là, ils sont tout aussi nombreux qu’à l’accoutumée, malgré la vigilance parentale envers les plus petits. La lune brille d’une splendeur éclatante tandis que l’été a déjà touché à sa fin, et que les premières fraicheurs de l’automne se font sentir. Ce soir-là, pourtant, les parents craignent l’histoire que pourrait leur compter l’Ancien, tandis que la cycle de la lune correspond à celui d’une autre célébration, qui pourrait être nommé en langue courante « la longue nuit ».
Cette fête, aussi vieille que l’humanité, consiste à célébrer les morts qui ont eu lieu dans l’année et dont les corps n’ont jamais été retrouvé. Il peut s’agir d’un accident de chasse en montagne, ou d’un pécheur pris dans la tempête, ou d’une disparition comme cela arrive souvent au crépuscule depuis quelques temps. Quoi qu’il soit, les villageois s’occupent la journée durant de célébrer le souvenir des disparus, afin de marquer le deuil, de montrer que même s’ils ne reposent pas dans la terre.
Ce soir-là, donc, les parents des plus jeunes les mirent en garde et voulurent les dissuader de venir, redoutant l’histoire du vieil homme. Face aux supplications pourtant, ils ne purent faire autrement que d’emmener avec eux même les plus jeunes des enfants.
Le vieil homme, dont le nom a été perdu depuis longtemps, ne parle qu’à ces étranges occasions. Il vit seul dans sa petite maison à l’extrémité nord du village, et est rarement vu. Ses yeux, comme cela a déjà été posé, ne sont voient plus, et c’est à l’aide d’un guerrier du village qu’il arrive, un bâton à la main. Il pénètre le cercle et vient s’asseoir au plus près du feu.
Aussitôt s’assied-il que viennent s’agglutiner autour de lui les plus jeunes, assis à même le sol, les yeux rivés sur lui. Sa peau, ridée, tannée par le soleil, est chaque mois un peu plus marquée, les cheveux un peu moins présent, et on suspecte le vieil homme d’arriver à la fin de sa vie. Entendant la petite jeunesse s’attrouper ainsi, ses rides se soulèvent, tandis que dessine sur ses lèvres un sourire tendre. Aux nouvelles du village, l’ancien n’a jamais eu de famille, ni d’épouses, ni de descendances ; personne d’encore vivant ne se souvient d’ailleurs de quand il est arrivé. Certains se souviennent de lui alors qu’il était encore jeune, mais étaient eux-mêmes bien trop jeunes pour garder des souvenirs précis.
Le silence s’est installé peu à peu, à mesure que les enfants ont pris place, et désormais, dans le cercle pourtant impressionnant, composé de presque tout le village, personne ne parle. Seul se fait entendre le vent du nord, arrivé pour l’automne, et qui ne fera que grossir et se refroidir au cours de l’hiver.
« Le Feu est encore jeune. » Sa main dépasse des épais tissus qu’il porte sur le dos, et qu’il tend vers les flammes qui oscillent doucement. Sa voix surprend, malgré son âge et allure. Grave, elle ne tremble pas, alors qu’il parle lentement, semble mesurer chacun des mots qu’il prononce.
« Je me souviens de cette histoire, qui date de l’époque des Grandes Reines. Le Dieu-Sorcier n’était alors qu’un mythe, tandis que les Dragons vivaient encore parmi les hommes. » Les sourcils hirsutes se froncent un instant, puis se relâchent, comme si une tristesse passagère venait embrumer l’esprit du conteur. « Bien qu’il n’y ait pas de dragons dans cette histoire. »
« A cette époque, révolue depuis des âges, tout le monde pouvait, pour peu qu’il ou elle en ait l’étoffe, devenir un chevalier. C’était le cas de la jeune Céleste, modeste orpheline d’une ville du Sud. Céleste avait un jour connu ses parents, qui travaillaient tous les deux à la mine, fierté de la ville dans laquelle se déroule notre histoire.
Parfois, comme cela arrive quand nous chassons dans les montagnes, des personnes disparaissaient dans les mines. Des accidents, tragiques, mais qui ne laissent que peu de chances. C’est ainsi que Céleste perdit ses parents, emportés dans les profondeurs de la terre.
Alors, Céleste fut recueilli par l’orphelinat et elle s’imposa rapidement : l’escrime, la cavalerie, les mathématiques, la navigation… L’esprit de Céleste assimila tant et si bien qu’il fut autorisé à ce qu’elle essaye de passer le concours de l’Ordre des Chevaliers Royaux. Sans surprise, la demoiselle y parvint, rejoignant le très précieux Ordre, et d’écuyère, elle devint, quelques années plus tard, une chevalière.
Comme à chaque nouveau chevalier, il lui fut demandé de s’acquitter d’une mission, de mener à bien un vœux solennel. Alors, Céleste choisit de descendre dans les mines qui avaient un jour happées ses parents.
Il faut bien comprendre, à ce moment du récit, que la mine, suite à l’accident qui emporta les parents de l’enfant qu’elle était, et de tous les autres travailleurs présents, n’avait pas été réouverte. Ce qui n’était qu’une rumeur entre mineurs d’abord enfla, et toute la région parlait désormais de la « mine hantée » de la ville. En quelques années, l’économie de la ville s’était écroulée, et beaucoup partirent en quête d’un nouveau foyer. De nombreux aventuriers comme il existait alors s’étaient empressés de descendre, afin de découvrir le secret si infâme qu’il avait contraint l’exploitation à fermer ses portes. Peu d’entre eux étaient revenus, et ceux qui étaient revenus étaient devenus fous, craignant l’obscurité des nuits sans lune.
Céleste fut moqué par son choix, mais la Reine accepta. Elle donna à Céleste trois jours et trois nuits pour explorer les mines, et revenir faire son rapport. La clémence de la souveraine toucha Céleste, mais elle s’inquiéta qu’en bas, dans les mines, elle ne parvienne pas à juger le temps qui passe. Il fut commandé au Mage de la cour une lanterne spéciale : il infusa la mèche, de manière à ce qu’une fois allumée, la lumière ne vienne jamais à manquer. Pendant deux jours, la lanterne brillerait sans défaut, mais au troisième jour, la flamme deviendrait plus volage, et il faudrait alors remonter, car passé ce troisième jour, jamais plus la lanterne ne pourrait fonctionner sans que la mèche ne soit changée.
Ainsi parée, la jeune femme prit la route, jusqu’à sa ville natale, encore plus pauvre que lorsqu’elle l’avait quitté, des années plus tôt, pour entreprendre sa formation. L’orphelinat l’accueillit d’abord avec joie, puis comprenant la présence de la prodige, tentèrent de lui faire faire marche arrière.
« Je me suis engagée par serment envers la Reine ! » répliqua Céleste à ses anciens pensionnaires. « C’est ma dernière épreuve, afin de montrer que je mérite mon rang ! » Après cela, les discussions changèrent, tandis que personne ne parvenait à faire entendre raison à la Chevalière Royale. Depuis des années, pourtant, personne ne s’aventurait dans la montagne et aux abords des mines ; même les aventuriers avaient fini par arrêter de venir.
Le lendemain, pourtant, la ville regarda l’orpheline partir à cheval vers les monts abandonnés. Elle fut suivie du regard s’éloignant, puis un simple point noir gravissant le flanc ensoleillé, sur la route de calcaire jusqu’aux cabanes minières. De là, elle fut perdue de vue. Certains allèrent prier pour épargner l’âme chaleureuse et joviale de la jeune femme, d’autres prirent de suite la direction de l’auberge, afin de boire en sa mémoire ; personne, en tout cas, ne lui donnait une chance.
Trois jours passèrent, et personne ne revint. Les jours passèrent, et une lettre fut finalement envoyé à la capitale pour annoncer la disparition de la toute jeune recrue.
Une semaine après, à l’aube du sixième jour après l’annonce de la disparition, les gardes de la ville aperçurent le cheval de Céleste revenir, sans sa cavalière. Le cheval, nommé Amauri, tremblait de part en part, et plusieurs maîtres équestres durent se relayer pour finalement calmer la bête. On mit en place une expédition des plus valeureuses âmes que l’on puisse trouver, et le cortège marcha jusqu’aux mines, en quête de la tendre Céleste, estimée dans toute la ville pour sa générosité.
Il était presque midi quand l’on atteignit les portes de la mine. L’ambiance des lieux pesait lourdement sur les épaules de la cohorte, tandis qu’aucun être humain n’avait pénétré ces lieux depuis des années. Ce fut un adolescent qui vit Céleste, dans l’ombre de l’entrée du souterrain. Corps inanimé, les médecins se précipitèrent vers l’inconsciente.
La lanterne brisée, l’armure de cuir en partie déséquipée, sans arme ; on estima que la jeune femme vivrait si elle recevait des soins immédiatement. Personne, sur le moment, ne s’interrogea sur sa position : tombée comme si elle souhaitait retourner à l’intérieur de la mine. »
A ce moment-là, un enfant interrompit le vieil homme.
« Qu’est-ce qu’il y avait dans la mine alors ? »
L’ancien tendit la main vers la jeune fille qui venait de parler et lui fit prendre place sur ses genoux.
« C’est exactement la question qu’il fut posé à Céleste quand elle ouvrit les yeux deux jours plus tard, dans la ville. On avait demandé à des infirmières de la déshabiller, de lui faire prendre un bain chaud et de changer ses draps tous les jours. L’orphelinat proposa de lui céder une chambre au dernier étage ; les plus grandes. Une lettre avait été envoyé rapidement également, pour attester du retour de la jeune chevalière.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Céleste sembla un instant perdu. Tout de suite après, elle interrogea sur ce que l’on avait fait de ses affaires. On lui remit ce qu’il restait de son armure, les bris de la lanterne et sa sacoche, que l’on n’avait pas ouvert. Suite à quoi, on lui posa la même question que tu viens de me poser : qu’avait-elle au fond de la mine ?
Elle narra alors l’histoire, comment elle était descendue rapidement, sans croiser aucune vie ; ni chauve-souris, ni rat, ni gobelin. Elle avait alors trouvé un tunnel annexe, qui ne ressemblait pas aux autres tunnels, creusés par les mineurs. D’un bout de craie, elle avait noté chaque endroit où elle était passé, et elle continua à le faire dans ce nouveau dédale qui s’ouvrait à elle.
Il y gisait de nombreux cadavres, blanchis par le temps. Des outils de minage croisés aux armes d’aventuriers qui l’avaient précédé. Quoiqu’il y eu comme gardien, personne ne se présenta à elle, comme si les lieux avaient été abandonné après que les aventuriers eurent arrêtés de venir.
L’endroit, disait-elle, était merveilleux : de grandes colonnes de pierres, et des dalles finement travaillés. De longues pièces, plus impressionnantes encore que le château de la Reine, jusqu’au centre de ce temple oublié, où elle trouva quelque chose. Dévoilant le contenu de sa bourse, elle en tira un instrument, qui lui avait fait penser à une boussole, mais dont l’aiguille n’indiquait pas le nord.
La suite fut plus confuse. Alors qu’il lui avait fallu presque deux jours pour venir jusque-là, et alors qu’elle allait se mettre sur le chemin du retour, elle découvrit une nouveau passage dans le temple : plus loin encore dans les entrailles de la terre. Alors qu’elle hésitait, ne voulant pas trahir le serment fait à sa Reine, elle fut attaquée par d’étranges statues de pierre. Elle les avait bien vues sur le chemin pour venir, mais elles n’avaient alors pas réagi. Elle expliqua avoir compris que c’était l’étrange boussole qui les attirait, et qu’en prenant l’objet, un piège avait dû se déclencher. Son épée se brisa contre la pierre des gardes silencieux, et dans la lutte, la lanterne fût brisée.
Dans l’obscurité, elle réussit à échapper aux gardes, dont la présence se faisait entendre par un ronronnement curieux. Céleste expliqua se souvenir d’une voix qui la guida : un simple chant, comme on chante aux enfants lorsqu’ils sont tristes ou malade. Elle crut reconnaître la voix de sa mère, et s’empressa de la suivre, désespérée, jusqu’à reconnaître la roche de la mine, puis sentir l’air refroidir (il fait très chaud, dans les profondeurs de la terre). La voix disparut quand Céleste vit les rayons de la lune apparaitre au détour d’un croisement.
La boussole toujours en main, Céleste s’arrêta juste à la sortie de la mine. Elle assure avoir senti sur son épaule la main lourde et ferme de son père, comme il le faisait quand elle était enfant. On lui expliqua alors que ce n’était que le stress et la fatigue, qu’il ne s’agissait probablement que du vent, ou d’une crampe dans son épaule.
La chevalière confronta alors ceci aux médecins : se retournant, elle avait vu le fantôme de ses parents, tel qu’elle en avait le souvenir, de ce dernier jour où ils étaient partis travailler. D’une voix triste, elle répéta les mots que ses parents lui avaient dit :
« Condamne la porte vers les abimes, empêche la terreur de s’échapper à nouveau. Tu sauras trouver le chemin désormais. »
Céleste fut considérée fatiguée, et on la laissa se reposer. Pourtant, son histoire ne changea pas alors que le temps passait. Ses os brisés furent réparés, et bientôt, une lettre de la capitale arriva, pour demander à la chevalière de revenir à la capitale, afin de livrer son rapport.
Quand on porta la lettre à la chambre du dernier étage de l’orphelinat, celle-ci était vide. Par la fenêtre, au loin, on ne vit qu’un point noir escaladant les montagnes. A nouveau, les plus hardis de la ville se mirent en route, mais ils ne parvinrent pas à rattraper la championne.
Quand ils se présentèrent à la mine, ils ne purent faire que quelques pas à l’intérieur avant que d’impressionnantes secousses ne viennent ébranler la montagne. Ils durent sortir, tandis que les poutres de la vieille mine, qui n’étaient pas entretenues depuis des années, cédèrent, condamnant à jamais l’entrée.
La ville fit son deuil de l’orpheline qui voulait chercher ses parents, et la vie reprit son cours. Par la suite, l’orphelinat fut rebaptisé l’Orphelinat Céleste, et de nouveaux garçons et de nouvelles filles furent envoyés pour entrer au service de la Reine et de ses descendantes. Petit à petit, l’économie de la ville reprit. On commença à semer dans les champs, qui donnaient chaque année de manière plus exceptionnel que l’année précédente.
Personne ne l’a dit, mais grâce à son sacrifice, Céleste avait permis à cette ville de faire son deuil et d’avancer. On n’ouvrit jamais plus de mine dans la région, et on ne retrouva jamais la vie telle qu’elle était avant ; pourtant, jusqu’à la fin, il y fit bon vivre. »
Le vieil homme arrêta de parler, et tous comprirent que c’était la fin de l’histoire. Petit à petit, les rangs se clairsemèrent, et les parents mirent au lit les enfants qui s’étaient endormis dans leur bras.
La petite fille, sur les genoux de l’ancien, le regardait avec un regard triste. Il lui demanda, et elle l’interrogea sur Céleste, pourquoi était-elle repartie vers les profondeurs de la terre ? D’un geste tendre, il la déposa au sol, et elle prit la main de sa mère.
« Peut-être l’étrange objet qu’elle trouva dans les profondeurs de la terre était un compas, qui allait la mener vers une toute nouvelle aventure… Ce n’est pas parce qu’elle ne devait plus jamais être vue dans sa ville natale qu’elle est morte, rassure-toi. » dit-il de sa voix grave.
« Comment vous pouvez savoir ? » demanda la fillette tout en se faisant éloigner par sa mère.
« Oui, après tout, qui sait… » souffla le vieil homme. L’émotion n’échappa pas à la jeune fille, qui sut, pour un instant très court, que l’ancien, justement, savait.
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Outlander : le final du malaise
(Première publication en octobre 2015)
J’ai regardé la première saison de Outlander un peu sur le tard. Ayant entendu que c’était pas mal, je me suis lancée.
C’était effectivement pas mal : j’ai maintenant envie de visiter l’Ecosse, et malgré les longueurs et quelques niaiseries, j’avais envie de connaitre la suite de l’histoire. Et puis surtout, il y a Sam Heughan, alias Jamie, que l’on voit torse nu voire nu la moitié du temps.
Je suis donc tranquillement arrivée à la fin de la saison, suivant les péripéties des deux héros. Et là, ce fût le drame.
Attention, je vais à partir d’ici spoiler à fond, puisque je ne peux pas en parler sans décrire exactement ce qu’il se passe dans les derniers épisodes. Si vous voulez la regarder, ne lisez pas, et revenez plus tard. Si vous ne voulez pas, sait-on jamais, ça pourrait vous intéresser. Si vous l’avez vu, je veux bien votre avis, n’hésitez pas à commenter.
Avec les deux derniers épisodes, j’ai eu l’impression de basculer dans un délire complètement en décalage avec le reste de l’histoire. Vraiment, la seule phrase qui me venait était : « Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ? »
Il faut d’abord que je vous situe l’histoire et les trois personnages principaux. Nous avons ainsi :
Claire, jeune anglaise vivant dans les années 1945, qui se retrouve projeter à cause de pierres druidiques dans l’Ecosse du XVIIIème siècle, à l’époque d’affrontements entre les Anglais et les Ecossais ;
Jamie, jeune noble écossais avec qui elle doit se marier pour être protégée et dont elle est finalement follement amoureuse (le destin fait bien les choses n’est-ce pas ?) ;
et Jake Randall, capitaine de l’armée anglaise (et, soit dit en passant, ancêtre du mari de Claire dans son époque), un véritable psychopathe qui dès le premier épisode manque de violer Claire (une première fois, car il récidive), et qui avait précédemment massacré Jamie à coups de fouet, lui laissant des cicatrices impressionnantes sur son (incroyable) dos. L’ennemi, donc.
On apprend, au détour d’un épisode, qu’avant de le punir sur la place publique, Randall avait proposé à Jamie un arrangement peu conventionnel, et qu’en échange, il le laisserait partir (il voulait le sauter, quoi). J’étais déjà un peu étonnée de cette révélation, j’aurais dû me méfier.
Dans les derniers épisodes, Jamie se fait capturer par les Anglais, et est finalement sauvé de la potence par … Jake Randall. Qui l’enferme dans un cachot humide dans les tréfonds de la prison.
Et c’est là que le « délire » commence. Le téléspectateur a le droit à quasiment une heure et demi, sur deux épisodes, de tortures psychologiques et physiques, puisque Jamie subit plusieurs viols durant toute une nuit. Il est sauvé et sort de la prison par ses compagnons, mais est détruit au point de vouloir se donner la mort.
Sympa non ? On part d’une histoire fantastique à l’eau de rose (avec quelques duretés de la vie de l’époque mais bon ça va quand même), et on tombe dans un scénario hyper glauque dans lequel le héros est soumis à un psychopathe sadique qui lui fait subir les pires horreurs.
Et je me suis retrouvée envahie d’un immense malaise.
Le dernier épisode est donc consacré au désespoir de Jamie, entrecoupé par les scènes du viol qu’il a subi (je vous avoue, j’ai avancé un peu, suffisamment pour comprendre un minimum, mais je n’avais pas envie d’assister à ça). On voit la violence physique, la violence psychologique qui brise peu à peu la victime. Il parle de son dégoût, de sa honte, de sa culpabilité. Il parle même, car c’est le « secret » qu’il révèle à Claire et qui fait qu’il veut mourir, qu’un instant il a « aimé ça » (ce qui influe d’autant plus sur la culpabilité).
Lorsque l’on s’intéresse un peu à la question du viol et tout ce qu’il entraine (merci le féminisme), ce discours raisonne un minium. Les témoignages des victimes que l’on peut lire, les ressors psychologiques, les réactions physiques, raisonnent, et c’est, je pense, ce qui m’a le plus choqué. C’est un sujet délicat, sensible, qui est déjà peu compris par la société aujourd’hui, et qui est balancé dans le dernier épisode d’une série, qui est exposé, filmé sans fards, et qui ne trouve comme réponse que Claire qui dit à Jamie (en gros) : « Tu ne pensais qu’à survivre, et puis ne meurs pas sinon je meurs avec toi ».
Le malaise était peut-être le but recherché. On ne peut qu’être écoeuré par un tel acte, et on se le prend en pleine face. Il est décortiqué lentement mais sûrement, et nous met face à l’horreur que représente le viol. Mais je ne comprends tout simplement pas : pourquoi inclure un tel drame dans une telle histoire ?
Outlander est issu d’une saga littéraire (Le Chardon et le Tartan en France) de Diana Gabaldon. Je n’ai pas lu les livres (j’en avais l’intention, mais finalement, je n’ai pas très envie), mais je suppose que les scénaristes ne seraient pas permis une telle digression. Je suppose donc que c’est dans le livre. Et je ne comprends toujours pas. Pour moi, c'est l’auteure a fait le plus preuve de sadisme, car ce « rebondissement » n’a rien à faire dans l'histoire : c’est gratuit. Qu’est-ce que cela apporte au personnage ? Etait-ce pour renforcer l’idée du « couple maudit » ? Pour briser un personnage et montrer sa reconstruction ?
J’ai trouvé ça violent, j’ai trouvé ça déplacé, et j'ai trouvé ça inadapté. Trop sensible et trop cruel pour être abordé de cette façon, trop bâclé pour être un minimum compris. Et je trouve ça profondément triste. Et tout cela me plonge dans l’incompréhension.
Tout ceci n’est bien sûr que mon avis et mon ressenti. Mais j’ai véritablement été dérangée par cette tournure de l’histoire. Je m’interroge : vais-je regarder la suite ? Pour l’instant, je n’en ai pas envie.
N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé. Je suis peut-être à côté de la plaque. Je perçois peut-être mal le sujet. Je cherche peut-être le mal où il n’est pas. Mais comme mon malaise ne s’est pas dissipé, je me suis dit que c’était au moins trop violent pour moi.
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Penser à la lettre près : entretien avec Michèle Cohen-Halimi, par Pierre Parlant
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Envisager la pensée politique de Nietzsche peut engendrer une certaine perplexité tant elle s’avère complexe et non exempte d’apparentes contradictions. Si bien qu’on se demande si ce projet a un quelconque sens. Dans une lettre à son ami Rohde en octobre 1868, le philosophe ne se déclarait-il pas lui-même étranger à la définition d’« animal politique », ajoutant dans la foulée avoir « contre ce genre de choses une nature de porc-épic » ? D’où cette conviction, devenue lieu commun, d’un apolitisme radical chez un penseur dont on sait combien les institutions politiques, celle de l’État en premier lieu, firent l’objet de sa part d’une critique sans appel.
En reposant la question de la politique à partir de l’examen de la pensée du jeune Nietzsche, c’est-à-dire aussi bien du philologue qu’il n’aura jamais cessé d’être, la philosophe Michèle Cohen-Halimi déplace de façon salutaire les données du problème et leur redonne une profondeur et une richesse remarquables. Si la politique a bel et bien une importance pour le Nietzsche attentif à l’histoire des Grecs tragiques, c’est, montre-t-elle ici, en vertu du nouage qu’il sut voir entre la conflictualité féconde impliquant l’État, la religion, la culture, et une « nouvelle pensée du temps ». Un nouage que devait envelopper un mouvement dialectique d’une allure inédite.
Pareille perspective permet d’ores et déjà d’échapper à l’alternative sclérosante qui, d’un côté, tient l’État pour une donnée nécessaire, et, de l’autre, croit devoir militer pour sa destruction. Mais elle invite de surcroît à penser cette affaire politique de façon dynamique, libérée du diktat de l’actuel, de la croyance au révolu comme aux chimères de l’espérance, histoire de restituer au présent toute sa charge immémoriale.
Que la pensée du jeune Nietzsche puisse nous affranchir d’une conception chrétienne du temps, qu’elle fasse droit à la turbulence comme à l’anachronisme en substituant à la fiction de l’horizon temporel la narration alerte des sauts événementiels, tels sont quelques-uns des enjeux de ce superbe essai de Michèle Cohen-Halimi. Car ici, écrit-elle, « il s’agit de ne pas figer la diachronie mais de dé-linéariser la ligne du temps : nuage atomique, pluie de points temporels, brume, le temps agit. La discursivité de cette pensée est stochastique, interminable, elle change d’organon et de module, traduit, trahit ce qui a déjà été dit : actio in distans ». Où l’on voit que par-delà la question politique c’est le rapport de la pensée avec la vitalité de son propre mouvement qui est alors mis en lumière.
Comprendre la pensée politique du jeune Nietzsche suppose, ainsi que vous l’établissez dès le début de votre livre, d’envisager avec lui une conception nouvelle de la temporalité, affranchie de toute représentation linéaire. S’ensuivent non seulement un rapport inédit au présent comme au passé, mais une appréhension du temps, pensé comme proprement agissant, au sens de ce que Nietzsche appelle actio in distans. Comment peut-on se figurer cette action effective du temps ?
Sans doute deux choses me tenaient-elles à cœur dans l’écriture de ce livre : premièrement, en finir avec les lectures d’un jeune Nietzsche « météorique » qui, surgi de nulle part, tel un « Rimbaud de la philosophie » (je reprends ici une expression utilisée par Clastres à propos de La Boétie), écrit subitement La Naissance de la tragédie (1872) et donne congé à celui qui l’a fait être philosophe, à savoir Schopenhauer ; deuxièmement, déployer dans toutes ses séquences le devenir philosophe de Nietzsche et découvrir comment, depuis un texte de jeunesse décisif, intitulé Fatum et histoire (1862), travaille le projet de délinéariser le temps chrétien.
Délinéariser le temps chrétien signifie à la fois défaire la centration du temps sur le présent ainsi que sur le primat de la conscience, et cesser de reléguer le passé du côté du révolu et l’avenir du côté de l’espérance. Le passé n’est pas trépassé et l’avenir s’élabore dans le rapport (de mémoire/d’oubli) que le présent entretient et renouvelle avec le passé. Il ne s’agit plus de tourner le dos au passé, mais de lui faire face en sachant que, dans la mémoire du temps (laquelle excède les souvenirs de la conscience), c’est-à-dire dans l’inconscient du temps, se joue la puissance de devenir du présent, c’est-à-dire son avenir.
Nietzsche trace de nouvelle manière la « ligne du temps », Zeitlinie comme il l’appelle. Cette ligne hachurée, raturée, est remplie de points-forces qui interagissent à distance — selon le principe de l’actio in distans : ils se repoussent, quand la distance qui les sépare se réduit et s’attirent, quand la distance qui les sépare s’accroît. Nietzsche traduit et transfère dans une atomistique temporelle la thèse du physicien dalmate du XVIIIe siècle Boscovich, qui interprétait la matière comme constituée par les rapports d’attraction et de répulsion de foyers d’énergie discrets, sans étendue, et séparés les uns des autres par des intervalles irréductibles. Il en résulte une interaction mouvante d’atomes temporels énergétiques, plus ou moins éloignés les uns des autres, déployant un champ de forces, tramant un enchevêtrement de retours anachroniques et d’éloignements provisoires. Ce que François Hartog nomme « le régime chrétien d’historicité » est donc défait. C’en est fini de l’horizontalité de la ligne du temps qui signifie la continuité et par conséquent la mesure, mais aussi la correspondance de la succession objective et de la succession causale et par conséquent la narrativité selon l’avant et l’après. La ligne du temps est verticale, elle fond sur nous comme une cataracte énergétique, elle est agitée par le flux et le reflux, elle nous approche du plus lointain et nous éloigne du plus proche, elle progresse par sauts (en arrière, en avant), elle est faite d’anachronismes et de retours intempestifs : la re-naissance des temps passés est devenue pensable. Quand les révolutionnaires de 1830 tiraient sur les horloges, ils ne voulaient pas abolir le temps, ils voulaient un autre temps. C’est donc par l’accès qu’il nous donne à un autre temps fait du retour anachronique de temps inconscients que s’inaugure chez Nietzsche la pensée la plus profonde du changement.
Ayant commencé très jeune par enseigner la philologie à l’université de Bâle, Nietzsche devint un philosophe — « sans enthousiasme », dites-vous — tellement déterminé par cette expérience première qu’elle ne cessa jamais, comme vous le rappelez, de produire ses effets sur son aventure intellectuelle. Quelles ressources et quelles perspectives cette discipline lui offrait-elle ?
La philologie Nietzsche l’a définie comme l’art de bien lire. Une de ses plus belles définitions se trouve dans l’Avant-propos d’Aurore (§ 5) : « La philologie est cet art vénérable qui exige avant tout de son admirateur une chose : se tenir à l’écart, prendre son temps, devenir silencieux, devenir lent, — comme un art, une connaissance d’orfèvre appliquée au mot… » La philologie classique à laquelle Nietzsche est attaché est la discipline-phare de l’Université allemande du XIXe siècle, elle se définit par l’étude des textes de l’Antiquité grecque et latine. Les philologues déchiffrent et traduisent donc des textes dont les langues ne sont plus parlées. Ils sont de manière fondamentale des éditeurs de textes anciens : ils font venir à la lumière des énoncés menacés d’oubli, ils font remonter dans la mémoire et sur la surface de la page des contenus de pensée menacés d’illisibilité et qu’il faut non seulement déchiffrer et traduire mais libérer des falsifications, des distorsions de sens, des erreurs de copistes, des oublis de mots ou de lettres, oublis qui suffisent à perdre la cohérence d’un énoncé. La philologie introduit Nietzsche à l’analyse des conditions de lisibilité des textes et du monde. Elle l’initie au « matérialisme sémantique ». La question de savoir comment on passe d’un mot à un énoncé qui vise une signification est devenue la question philosophique éminente. Nietzsche philosophe-philologue est, à mes yeux, un immense philosophe parce qu’il prend au sérieux la littéralisation de la pensée : Ainsi parlait Zarathoustra est écrit à la voyelle près. J’admire les philosophes qui tiennent que la pensée est à la lettre près. Jean-Pierre Faye est de ceux-là, c’est toute la profondeur de son nietzschéisme à laquelle je rends aussi hommage dans la « Chambre noire 3 » du livre, intitulée « Le philologue et la dépêche d’Ems ».
Suivant l’interprétation qu’en fit Deleuze, on tient souvent Nietzsche pour un adversaire résolu de la dialectique. Or vous montrez que sa connaissance d’Héraclite, sa lecture de Schopenhauer, la fréquentation de Burckhardt et la découverte des travaux du physicien Boscovich l’ont conduit à repenser le temps dans des termes qui impliquent un mouvement dialectique aussi original que décisif sur le plan politique. De quoi s’agit-il ?
Il me semble que la lecture deleuzienne anti-dialectique de Nietzsche doit être réinscrite dans son contexte historique. Dans sa leçon inaugurale prononcée au Collège de France en décembre 1970 et publiée sous le titre L’ordre du discours, Foucault a parfaitement ressaisi ce contexte : « […] toute notre époque, que ce soit par la logique ou par l’épistémologie, que ce soit par Marx ou par Nietzsche, essaie d’échapper à Hegel… » (p. 74) Le parricide qu’accomplit la génération philosophique de Deleuze et de Foucault, mais aussi de Lyotard, pour donner congé aux aînés hégéliens, notamment Kojève, Bataille, mais aussi Jean Wahl, Jean Hyppolite, ne peut pas se transmettre aux générations philosophiques suivantes comme un legs ininterrogé. En outre, les charges anti-dialectiques de Deleuze concernent Hegel. Or, l’histoire de la dialectique est d’une richesse inouïe, on ne saurait la réduire à la dialectique spéculative de Hegel. Le travail d’analyse que j’ai conduit dans Stridence spéculative (Payot, 2014) sur la non-réception française de la Dialectique négative d’Adorno en France dans les années 1980, m’a libérée de cet anti-hégélianisme caractéristique des philosophes français des années 60 et 70 (à l’exception de Derrida). Et ce pas d’écart m’a sans doute permis de revenir à l’histoire profuse de la dialectique qui commence avec Héraclite, dont Nietzsche se veut le continuateur.
De quoi s’agit-il ? S’il est vrai que la dialectique nous confronte à la question de l’ « être autre » et qu’elle est généralement définie comme la mise en contradiction de l’un et du multiple, de l’identité et de la différence, alors la singularité grecque d’Héraclite est double, aux yeux de Nietzsche : Héraclite pense la contradiction non pas de l’un et du multiple, mais de l’un et du deux ; cette contradiction se donne comme ce qui est à vivre, et non pas comme ce qui est à surmonter. Il est donc le penseur éminent du duel qui travaille irréductiblement toute union et toute identité ; il est le penseur de la contradiction sans réconciliation, sans « relève » dit Hegel. Le jeu incessant du deux dans l’un, de la « duplicité » des identités, détermine une dynamique que Nietzsche transfère dans le temps. Boscovich devient l’opérateur d’une re-naissance, d’un retour anachronique, de la dialectique héraclitéenne qui s’entend comme dialectique temporelle. Il est ainsi possible d’énoncer le temps comme des rapports dialectiques de forces et d’énergies, qui peuvent être refoulées ou remobilisées par le présent, mais qui jamais ne cessent d’agir, fût-ce de façon latente.
Si la lecture de Schopenhauer permet à Nietzsche d’envisager la nature et la gravité du « malaise civilisationnel » européen, celle de Burckhardt lui fournit de quoi poser un diagnostic. Selon ce dernier en effet, importe à cet endroit l’examen des rapports qu’entretiennent les « trois grands facteurs d’histoire » que sont l’État, la religion et la Kultur. Dans quelle mesure cette conception a-t-elle pu orienter la pensée politique du jeune Nietzsche ?
Si toute la pensée de Nietzsche s’inaugure dans le projet d’une délinéarisation du temps chrétien et se contracte pour ainsi dire dans la prise de conscience d’un « malaise civilisationnel », lié à la sécularisation inachevée du christianisme, alors il est certain que la rencontre, à Bâle, du jeune philologue avec l’historien Burckhardt est décisive. Burckhardt affirme sa rupture à la fois avec l’histoire positiviste, successive, vectorisée par la chronologie des faits, et avec l’histoire idéaliste ou avec la philosophie de l’histoire (surtout hégélienne), qui perd l’histoire dans la projection d’une fin (progrès, développement de la liberté, etc.). Avec Burckhardt, l’histoire se conçoit comme « doctrine des turbulences » (Sturmlehre) : elle s’écrit à partir du rapport de forces agissantes, latentes ou actuelles, qui produisent des changements lents et souterrains éclatant au grand jour sous forme de crises, toujours inattendues pour la conscience. Ce rapport des forces agissantes, latentes et actuelles, s’organisent autour de trois « facteurs » d’histoire, l’État, la religion et la Kultur. L’État et la religion sont, pour Burckhardt, des facteurs stables tandis que la Kultur est un facteur d’histoire plus mobile et plus plastique à partir duquel peut se concevoir le changement des deux autres. Pour Burckhardt, quand le rapport entre ces trois facteurs d’histoire reste dialectique et que la tension oppositive qui les lie ne cède pas à la captation, à la subsomption d’un facteur par l’autre, la vie sociale qu’ils déterminent ensemble est toujours florissante. Nietzsche comprend ainsi que la politique au sens large peut se penser de nouvelle manière, à partir du rapport dialectique de ces trois facteurs, et surtout par le décentrement de la fonction de l’État, et plus encore par le rôle fondamental que retrouve la Kultur, loin de l’apolitisme et du fameux « désintéressement » qu’on lui associe généralement pour la neutraliser.
L’originalité et la puissance de votre livre tient à la richesse et à la subtilité de vos analyses qui présentent le « jeune Nietzsche politique » comme très tôt requis par le désir de soustraire la pensée à l’aliénation du temps chrétien. Mais frappe presque autant le mode singulier d’exposition que vous mettez en œuvre. Parties et chapitres se distribuent en effet en ménageant ponctuellement une place à ce que vous nommez des « chambres noires », jusqu’à cette conclusion qui reprend, de façon suggestive, un « schéma » d’inspiration « boscovichéenne ». À quoi répond le choix de cette construction et comment sa forme s’est-elle imposée ?
L’écriture de ce livre dont la gestation a été très longue — il relève sans aucun doute de ce que Nietzsche nomme les « grossesses d’éléphant » — m’a confrontée à une expérience de vertige. J’ai eu plusieurs fois le sentiment que j’allais lâcher prise. Je ne parvenais pas à tenir ensemble tous les éléments, tous les événements qui avaient contribué au devenir philosophe de Nietzsche. En effet, ce devenir philosophe était advenu par de multiples effets d’après-coup qui m’imposaient des mouvements d’aller et retour, des va-et-vient entre le premier coup d’un événement, d’une lecture ou d’une rencontre, et son après-coup de réappropriation et parfois de réinvention. Une espèce de tota simul, de « tout en même temps », devait être analytiquement déployé sans que soit écrasée la détente incessante du latent et de l’actuel, l’articulation permanente du coup et de l’après-coup. Voilà pourquoi la structure générale du livre est boscovichéenne : les chapitres les plus éloignés s’attirent et se répondent, les chapitres les plus proches se repoussent en se faisant mutuellement avancer. J’ai donc voulu que l’écriture s’accorde avec une temporalité discontinue, faite d’éléments hétérogènes, d’effraction d’événements, mais aussi d’anachronismes. D’où les chambres noires, qui sont des procédés optiques donnant l’illusion d’un espace à trois dimensions et où mes questions quittent la planéité de la page pour se situer dans une perception plus directe : l’horreur de la guerre de 1870 en tant « précurseur sombre » de certaines séquences du XXe siècle (chambre noire 1), le rapport du dialecticien Adorno à Nietzsche (chambre noire 2), la dépêche d’Ems lue par Nietzsche et Jean-Pierre Faye (chambre noire 3).
Source : Diacritik
https://diacritik.com/2021/04/07/penser-a-la-lettre-pres-entretien-avec-michele-cohen-halimi/
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floatingbook · 4 years
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Conclusions personnelles
- Visionnage: Mignonnes de Maïmouna Doucouré
J’ai été voir Mignonnes au cinéma parce que la description qui en circulait sur ce site était aux antipodes de la façon dont j’avais vu la réalisatrice en parler. Je ne regrette pas de l’avoir vu.
D’abord, parce que Mignonnes est un film plein de nuances. Il déborde d’expériences personnelles, avec une justesse de regard et une sensibilité qui suggère calmement l’oppression et la souffrance que peut subir une pré-adolescente qui grandit en France dans une famille issue de l’immigration. C’est un point de vue nouveau pour toute une part de la population française, un point de vue d’autant plus important qu’il donne la parole à des expériences peu répandues.
Le film n’est pas dans l’outrance en ce qui concerne la situation familiale, ou la religion. Tout est présenté du point de vue d’Aminata qui ne sait pas forcément comment comprendre ou réagir à ce qui se passe autour d’elle. Les personnages et les situations sont décrits de façon nuancée, dans leurs points négatifs comme positifs, caractérisés par une profondeur et un refus des stéréotypes. Par exemple, la mère d’Aminata, mère quasi-célibataire maltraitée par son mari, n’est pas réduite à une femme sans volonté et incapable. Elle est entière dans sa douleur, mais aussi dans sa résolution de faire bonne figure, et elle n’impose pas à sa fille de se sacrifier de la même façon ou d’accepter un destin misogyne.
En ce qui concerne l’hypersexualisation, que ce film dénonce selon sa réalisatrice, le tableau est nettement plus mitigé. Les scènes représentées renvoient à des comportements et des occurrences qui ont déjà lieu dans la réalité. Des jeunes filles sont ainsi sexualisées par l’imitation de comportements dont elles ne comprennent pas la portée délétère. La réalisatrice a fait un travail de recherche sur le sujet pendant plus d’un an, après avoir elle-même observé une telle hypersexualisation lors d’une soirée. Elle a interviewé des centaines de pré-adolescentes car le phénomène lui semblait hautement critiquable et que cette critique n’avait pas assez de visibilité dans le paysage français. Toujours d’après Maîmouna Doucouré, les actrices étaient volontaires, accompagnées sur le plateau de tournage par un psychologue (haha!) et par leurs parents, ainsi que par toute l’équipe du film. Parce que je ne n’ai pas vraiment foi en notre époque, je pense que les actrices s’en sortiront mieux que leurs paires malgré les images sexualisées d’elles qui ont été filmées, parce qu’elles ont participé à la réalisation du film et qu’elles ont à présent conscience du problème. Toutes les pré-adolescentes qui s’exposent ainsi sexuellement, en particulier sur les réseaux sociaux, n’ont pas conscience des conséquences de leurs actes.
Il n’en reste pas moins que la façon dont le sujet de l’hypersexualisation a été traité dans ce film apparaît comme un échec. Malgré un potentiel certain—la juxtaposition de réaction enfantines et de comportements sexualisés qui soulignent leur caractère saugrenu et déplacé pour des filles de leur âge; la représentation de la désapprobation des adultes; le rappel de la loi—le film échoue parce qu’il est coupable d’exactement ce qu’il dénonçait. Les Mignonnes sont sexualisés et ces images sont mises à la disposition des prédateurs sexuels.
Certes, le fait que des hommes s’emparent d’images d’enfants qu’ils considèrent comme sexuelles ne suffit pas à considérer un film comme un échec. Les hommes sont notoirement pervers, et si on devait arrêter de faire des choses parce que les hommes risquent de les détourner, on resterait cloîtrées chez nous. Peut se poser en effet la question des scènes à la plage implicant des enfants—des petites filles en maillot peuvent facilement être sexualisée—ou même de n’importe quelle scène de danse faisant intervenir des filles—que ce soit de la danse classique ou non, les tenues impliquées sont souvent moulantes. De même, la question de jusqu’où pousser l’art est pertinente. Malgré les conventions censées protéger les droits des enfants, les impliquer sur des tournages de cinéma revient à faire travailler des enfants. Malgré les autorisations parentales, les enfants n’ont pas de contrôle sur leur propre image; comment gérer leurs regrets lorsqu’elles grandissent et réalisent ce qu’on leur à fait faire? Devrait-on cesser totalement de faire jouer des enfants dans les films?
Se pose aussi la question de comment dénoncer l’hypersexualisation des jeunes filles, parce que c’est un phénomène de plus en plus présent dont on parle trop peu. Ecrire des articles ou des livres n’implique pas forcément de partager des images sexualisées d’enfants, mais se contenter d’un tel moyen de critique prend le risque d’être aride, de manquer encore une fois de visibilité quand au phénomène qu’il dénonce, et de ne pas réussir à le cerner complètement, puisque c’est un phénomène hautement visuel. Un documentaire à la télévision aurait peut-être été moins sexualisant, mais sa diffusion dans le foyer familial aurait risqué la censure de la part des parents par exemple—ça n’arriverait jamais à ma fille!—et aurait pu étouffer une discussion nécessaire. Le choix d’un film sorti en cinémas est donc judicieux, parce qu’il permet une certaine intimité hors de la sphère familiale qui peut être suffocante. Lors de la séance à laquelle j’ai assisté, le public était au trois-quarts féminins, avec de nombreux couples mère-fille. La promotion du film en France était axée sur la vision d’une expérience personnelle (celle de la réalisatrice) et sur la critique de l’hypersexualisation. En réponse, le public était plutôt des jeunes filles et leurs parents. En revanche, la promotion aux Etats-Unis, par Netflix, était elle axée sur une expérience de danse sexuelle par des petites filles, aucun doute donc que le film a été plébiscité par les pédophiles.
Lors de mon visionnage en France, il ne fait aucun doute que le message sur les dangers de l’hypersexualisation est passé. Le public, celui visé par la réalisatrices (les jeunes filles qui peuvent être victimes d’hypersexualisation), était inconfortable lors des scènes de danse très sexuelles et d’objectification. En sortie de salle, les discussions étaient animées. Si le but de ce film était d’augmenter la visibilité du problème, c’est chose faite. Au moins, on parle de l’hypersexualisation maintenant. Mais à quel prix?
Parce qu’il demeure le problème de savoir comment le film a pu louper le coche à ce point et tomber dans l’hypersexualisation lui-même, alors qu’il était si près de réussir. La réalisatrice a-t-elle voulu faire exactement ce qu’elle dénonce pour produire l’inconfort et la colère chez tout spectateur avec une conscience? Sa vision a-t-elle été déformée par des influences mâles qui finançaient le projet? Je ne pense pas qu’on puisse totalement crucifier Maïmouna Doucouré, parce que son film reste extrêmement intéressant pour sa vision de l’enfance issue de l’immigration en France, pour sa description d’une situation familiale compliquée, du rejet de l’autorité et des conventions avec l’adolescence, et du climat toxique qui peut exister en parallèle de l’adolescence. Néanmoins, ces points positifs n’excusent pas tout. Elle aurait pu faire mieux, mais ce film n’est pas non plus une oeuvre pédo-pornographique. En choisissant de simplement montrer sans vraiment imposer de conclusions à tirer au spectateur, et non pas de critiquer ouvertement, Maïmouna Doucouré adopte une position qui se défend mais avec laquelle je suis en désaccord: l’art fait toujours passer un message, et sur un sujet si important, le laisser ambigu est en soit une renonciation. Elle reste dans une dynamique de “les femmes (et les filles) devraient pouvoir faire ce qu’elles veulent”, donc dans une dynamique d’anti-féminisme libéral.
Extraits d’interview avec la réalisatrice pour éclairer son point de vue personnel:
“En tant que réalisatrice, je me devais d’être au plus près de la vérité. Pour faire le film, j’ai réalisé une enquête de plus d’un an lors de laquelle j’ai rencontré de nombreuses petites filles entre onze et douze ans. Elles m’ont raconté leurs histoires, la façon dont elles se situent en tant que jeunes filles et futures femmes, mais aussi la manière dont elles se construisent avec leur famille et leurs amis, à l’heure des réseaux sociaux. Toutes ces histoires ont nourri le scénario.” (source)
“J’ai d'abord fait un travail de documentation pendant plus d’un an et demi pour écouter les récits de jeunes filles dans tous les milieux sociaux et la plupart des faits que vous voyez dans Mignonnes sont tirés de faits réels. Je leur ai demandé comment elles se situent en tant que futures femmes. Comment elles vivent leur féminité, leur corps qui se transforme. Les seins qui poussent, les règles… ça peut être assez violent. Violent parce que parfois ça va trop vite. Parfois, ça ne va pas assez vite. Et croyez moi que quand ça ne va pas assez vite, c’est tout aussi violent ! Ces filles sont dans une comparaison des corps qui les entoure,  aujourd’hui avec les réseaux sociaux aussi : les corps objectivés que l’on voit sur la toile à longueur de journée, et auxquels elles veulent absolument ressembler, alors que leurs seins n’ont pas encore poussé…” (source)
"Je veux que chaque spectateur puisse devenir une petite fille de 11 ans pendant 1 h 30. Pour comprendre et non juger. […] J’ai fait ce film pour qu’on ouvre les yeux. Quand des préados de 13 ans cumulent 400 000 abonnés sur Instagram en posant en string, ça crée forcément un mimétisme chez des filles un peu plus jeunes qui aspirent à entrer aussi dans la lumière. Donc, puisque je me situe dans leurs têtes, je devais montrer à l’image cette hypersexualisation et la jouissance qu’elles peuvent prendre dans cette représentation. […] Je ne les montre pas nues ou en string. Je donne à voir ce qu’Amy va chercher dans ces moments en apparence extrêmes : une libération. Le plus important pour moi est qu’elle puisse prendre le temps de choisir la femme qu’elle veut être sans qu’on ne lui impose rien. Dans la même logique, je ne veux, moi, rien imposer aux spectateurs." (source)
"C’est une évidence : ce film n’aurait pas pu être tourné par un homme. D’abord parce qu’il n’aurait pas pu aborder aussi spontanément que moi des préados dans la rue. Mais aussi parce que sa manière de filmer aurait été différente. Il y a chez moi, en tant que femme, une identification très forte aux personnages qui influence ma façon d’observer, donc de filmer. J’aime le cinéma de sensations. Et ce sont aussi les miennes que je cherche à faire ressentir." (source) [Sur ce point je suis très sceptique, dans les scènes de danse le regard correspond beaucoup plus au “male gaze” qu’à un quelconque regard féminin.]
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laylucifer · 3 years
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Liba - L’esprit du vent
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Je trouve qu’un billet par an c’est un bon rythme, pas vous ? 
Dans la série des “Manga où tu as glissé ton persona de façon cringe”, j’appelle en témoin YuGiOh. (Attend, tu veux pas parler pourquoi t’as été absente pendant 1 an alors que ta résolution c’était justement te d’occuper de ce blog ?). Absolument pas, cependant je peux vous parler de cette merveilleuse amie et collègue qui m’a remotivé à écrire ici. 
Alors, même si je meurt d’envie de vous parler d’énormément de chose (notamment de Kaguya, parce que je l’aime de tout mon coeur), je préfère vous parler de tout les personnages qui ont été aboutis avant elle. 
Quand j’était enfant, je l’ai déjà dit, mais j’était une enfant, puis adolescente très seule. Mon père m’a partager ses passions parmi lesquels se trouvait celle des mangas. Je regardait des animé plus jeune sans forcement le savoir (SonicX, Capitain Tsubasa (Olive et Tom pour les puristes), Candy, Goldorak, DragonBall) parce que mes parents avant grandit avec cela et que mon père aimait ça. Et puis, un jour, mon père à trouver un animé trop cool qu’il nous a partager : Naruto. Moi et mes frères ont a adoré. Si bien que quelques années plus tard, mon père et moi avions rendez vous tout les vendredis soir après avoir lu le Scan du dernier chapitre de Naruto (qui était sorti chez Jump au japon, que des braves âmes avaient récupérer, scanner et traduit) pour en discuté. Bref, pendant plus de 12 ans Naruto était mon moment complice avec mon père. 
A partir de là, j’ai fait mes propres recherches et j’ai regarder des oeuvres de mon choix (Je me souviendrais toujours du malaise que j’ai ressentie ne regardant le film Kenshin pour la première fois, des larmes qui coulaient à flot quand j’ai finit Negima et des magazines AnimeLand que j’achetait pour découvrir de nouveaux animés et manga alors que j’avais un ordinateur pour chercher). J’ai découvert Yuyu Hakusho sur la chaine Manga, mais également HunterXHunter, j’ai put regarder les City Hunter aussi et je suis progressivement passé du coté PC de la force pour regarder les animés que je voulais au final. C’est comme cela qu’au collège, bien après la hype de la primaire, que je me suis mise à regarder YuGiOh. Parce que l’effet de mode était passé, parce que je me suis dit que pour la culture ça serait bien que je le regarde, ect... Et finalement, YuGiOh à lui seul (à l’instar de Dragon Ball) c’est franchement pas mal ! 
Autant dire que ça a vite déraper pour Kitsune dans cet univers là. Je ne saurais pas dire si elle était aussi raté que celle dans Yuyu Hakusho, mais disons qu’elle était beaucoup moins travaillé et qu’elle se résumais principalement à faire des bébés pour s’accaparer l’affection des hommes. (Team Atem ou Team Bakura ?)
Comme à chaque fois, il y a eut plusieurs version, mais globalement c’était un esprit qui venait d’Egypte Ancienne (parce que je préfère les univers anciens, médiévaux, ect... Eh oui, Team Héroic Fantaisie ici les gars, l’Urbain Fantasy et les Bit-Lit j’ai du mal) et qui retrouvait ses amants dans le présent en mode groupie ou alors c’était une femme qui épousait le Pharaon Atem, qui avait une fille avec lui (je crois qu’elle s’appelait Yura), mais qui avait des sentiments pour son ennemis juré Bakura et comme elle savait pas qui prendre parce qu’elle ne pouvait épousé les deux se faisait violée par Bakura, avait une fille de lui nommé Ran qui était élever dans le palais (forcément) et voilà. Du coup, elle avait les deux hommes pour elles par l’intermédiaire de ses filles. 
Autant vous dire que c’est la première dans le lot que j’ai retravaillé. Kitsune est née quand j’avais 15 ans et est devenu Liora quand j’avais 18/19 ans.
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A chaque période de ma vie j’ai des grosses inspirations dont je copie au départ le principe, puis en grandissant je m’en éloigne tout en gardant le clin d’oeil. Pour Kahei, sa forme dragonnique m’a été inspiré par l’oeuvre de E.E. Knight : L’âge de Feu, qui sont mes premiers livres de fantaisie que je me suis acheté et qui raconte la vie et l’histoire de Dragon.  Pour Liora, puis Liba, c’est Spirit, l’Etalon des plaines de Dreamworks. Alors oui, vous avez l’impression qu’on régresse, mais attendez que je vous explique.
Je faisait du jeu de rôle sur un forumRPG de Spirit à l’époque (alors oui, ça a éxisté et c’était très bien pour une ado comme moi \o/ ) et j’avais fait un cheval de guerre indien bai foncé dont la personnalité et le caractère était pas mauvais, sans forcement être le personnage de l’année (l’identification au personnage, Kitsune dérivé sous la forme d’un canaçon, la répétition des caractères et le manque d’originalité, bref...) et étant dans une de mes nombreuses périodes YuGiOh je me suis dit qu’il faudrait que j’adapte les personnages que j’aime pour les intégrés dans le forum. Ce fut une plus ou moins belle réussite. Si c’est resté à l’état de brouillon sur le forum, dans ma tête et sur le papier c’est devenu quelques chose de plus aboutis. 
Petit apparté pour dire qu’à cette époque si j’avais un skyblog (comme beaucoup de gens de mon âge) et que j’ai put découvrir une chouette personne qui m’a fait réalisé qu’adapter son personnage à l’univers c’était mieux, qu’on pouvait écrire une belle histoire sans forcer les personnages à changer de nature. Mille bisous à Yugioh-picture, si un jour tu passes par là, sache que tu m’as aidé à grandir avec ta super fiction que je vous invite à lire. 
Première étape : S’adapter à l’univers. Kitsune n’est pas un nom Egyptien, hors Bakura et Atem vivent en ancienne Egypte. J’ai fouiné sur internet jusqu’à trouver ce site qui me permit de trouver un nom cool à Kitsune. Ainsi, elle est devenu Liora (bien que Liba me plaisait aussi). Deuxième étape : Adapter son caractère aux personnages avec lesquels je veux qu’elle ait des affinités. A cette période, Yugioh-picture et sa fanfiction m’ont beaucoup aider à comprendre cela.  Troisième étape : Se rendre compte que le résultat te plait pas, que c’est pas Kitsune, que ça te gonfle. Tout balancer par la fenêtre, arracher la page et la chiffonner et recommencer.  Quatrième étape : Crée une histoire adapté à l’univers proposer sans la rentre indispensable. C’est ainsi qu’est née Liba. 
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Lors de son combat contre Mahad (qui deviendra par la suite le Magicien des Ténèbres), Bakura se retrouve enfermer dans un tombeau qui s’écroule sur lui, mais arrive à s’enfuir en découvrant un ruisseau qui le guide en dehors du tombeau. Affaiblit, il est récupérer par des habitants des frontières du royaume d’Egypte qui vont prendre soin de lui. Une fois sur pied, le Roi des Voleurs exige un cheval pour quitter l’endroit et retourner au palais. Les villagois acceptent, prétendent même avoir les chevaux les plus rapide du pays, mais lui disent d’aller voir ça avec l’éleveuse de chevaux. Ni une, ni deux, Bakura s’y rend et y trouve une jeune femme souriante, taquine, qui ne prend visiblement pas sa personne au sérieux et qui monte sa jument sans selle, ni bride. Elle s’appelle Liora et lui dit que s’il veut un cheval qu’il s’approche de l’un d’eux et qu’il le monte. Son cheval le plus rapide étant un étalon bai foncé un peu à l’écart du troupeau, Bakura s’en approche et se fait agressé à grand coup de dent et de coup de sabot de l’animal, prénommé Zéphyr, qui refuse de se laisser approcher par lui. 
Alors Bakura devra rester avec ses villageois le temps de dompter l’un des chevaux de Liora. Alors, pourquoi n’a-t-il pas utilisé l’anneau millénaire pour asservir le cheval ? Parce que le village palpite de magie. Bon nombres de ses habitants ont appris à maitriser le pouvoir des éléments qui se sont insuffler en eux à petites doses. Liora maitrise le vent : Elle l’entend chanté à ses oreilles, il la préviens quand un danger l’approche et elle peut apaiser les chevaux qu’elle élève, se faire comprendre plus ou moins d’eux et surtout leurs insufflés la capacité de courir plus vite. C’est pour cela que ses chevaux sont les plus rapide du pays. 
Ce temps va permettre à Bakura d’apprendre à connaitre ses gens et à les apprécier, reconnaissant en eux l’ambiance communautaire qu’il a connus jadis dans son village de Kul Elna aujourd’hui village fantôme (hachtag le manga) et a force de se rendre au troupeau tout les jours pour essayer de dompter un cheval il va avoir une relation amoureuse avec Liora. Comme Liora est lié au vent, elle ne se voit pas finir sa vie avec quelqu’un. Le village est petit, on a vite fait le tour et elle a déjà reçut de nombreuses demande en mariage qu’elle a éconduit parce qu’elle préférait savouré une liberté que le ciel et la brise lui promettait. Alors, même si réellement le sexe et le rapport à son corps différait de la mentalité de Liora en Egypte ancienne comme elle pensait différemment, que son peuple croyait en des entité divine différentes que celle mise en place (c’est aussi pour cela qu’ils vivaient loin d’autres village, le dernier pharaon à avoir voulu changer la religion à très mal fini (Aller regarder des documentaires sur le Dieu Âmon vous comprendrez)) et Bakura aillant renier les dieux tout simplement leurs relations aussi romantique et éphémère était tout à fait possible. C’est d’ailleurs grâce à elle que Bakura à put finir par acquérir Zéphyr et partir.  Le manga continu, Bakura reprend sa route. On distant le temps pour s’adapter à ce qu’il peut se passé et c’est dans cet instant qu’on met en pause le défilement du manga pour insérer son histoire qui devra se raccorder à l’histoire originale à la fin. 
Liora donne naissance à une petite fille aux cheveux blancs, à la peau tannée et aux grands yeux bleu-acier parcouru d’étoiles qu’elle nomme Liba (dont la signification est Mon Coeur).et dont l’esprit du vent tombe éperdument amoureux. Malheureusement, comme le village de Liora se situe près des frontières il y a peu de garde pour la protéger et elle meurt empaler par des flèches lors d’un tour de garde qu’elle effectuait avec des membres de son village. La moitié de se dernier est d’ailleurs décimé à ce moment là et la petite Liba est élevé par l’un de ses anciens amants. Quand Bakura reviens, qu’il découvre cette petite fille d’à peine deux ans et apprend la mort de Liora, il propose au village de se déplacer dans un lieu plus sûr.  
C’est à partir de là que l’histoire de Liba commence vraiment. On a vu que Liora avait eut sa petite histoire, mais au final elle n’est qu’une passerelle pour introduire sa fille, Liba, qui est plus sympas, plus finit, plus ... plus attachante. 
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Liba c’est donc la fille de Bakura (c’est l’information importante), qui lui a continuer sa petite vie hein, même s’il a invité les habitants de ce village à venir à Kul Elna qui, soit dit en passant, est bourré de fantômes et d’ondes négatives cela ne l’a pas empêcher de continuer à monté son plan pour détruire le pharaon et de faire des rencontres. Il a connus d’autre femmes et a même fait d’autres enfants (petit clin d’oeil à la fiction de Yugioh-Picture ici). Du coup, même si Bakura est son père, qu’il l’aime, Liba est plutôt détacher de lui. Elle grandit surtout entouré d’ami, de chevaux (parce que c’est devenu le fond de commerce des habitants) et surtout avec une rengaine dans la tête qui l’empêche de rester concentré.  
Elle grandit avec Luth (la réplique de Gringoire dans la comédie musicale de NotreDame de Paris) et Khenty sur un fond de “A Nous” de Robin des Bois. Vers ses 15/16 ans, ils vont prendre leurs montures et partir découvrir le désert en volant et se jouer des autorités du pharaon comme leurs à appris à faire Bakura. 
Pour ceux que ça intéresse, j’avais publier à l’époque deux chapitre de ce début d’histoire qui me plaisait énormément mais que je n’ai jamais terminé et que je finirais surement un jour. Vous le retrouverez ici et j’assumerais la honte et la gène de vous partager un post qui date de ... 2013 ! 
Bref, cette troupe de joyeux lurons vaguait à leurs occupations. Liba est devenu une femme que je trouve magnifique. 1m60/1m65, des longs cheveux blancs en crinière, des yeux bleu qui pétilles, un air sauvage et revêche, des cuisses larges et une culotte de cheval à force de monté à cheval, des bras un peu épais dont une décerne pas les muscles, mais de la force dans ses mains, de la souplesse dans son dos. Un caractère indomptable, ferme, sec, une petite bandit qui est proche de ses frères d’armes. Elle maitrise le vent, mieux que personne, mais de façon naturel parce qu’elle est née avec et que le vent l’accompagne partout où elle va. 
A ce moment là, l’Egypte est attaquer par des bandits venus de l’extérieur. Le Pharaon c’est marier à une femme (qui n’est pas sa soeur parce qu’il n’en a pas) et à eut deux enfants Ramsès et Meora (qui eux sont censé se marier et se font très bien à l’idée). Liba et sa troupe sont face à de nombreux bouleversements. Premièrement Luth est amoureux de Liba, n’ose pas lui avouer de peur de brisé leurs amitiés et un soir abuse d’elle. Cela va brisé la confiance de Liba qui va  devenir plus irritable, furieuse contre tout ce que va faire Luth et finalement cela va apporté la zizanie dans sa petite troupe. Si bien que lorsqu’il vont tomber sur une autre bande de bandit et que Khenty va se faire tuer, Liba ne s’en remettra pas et quittera Luth pour faire cavalier seul.
 Les frontières de l’Egypte était menacer, Bakura se voit contraint de se rapprocher du Pharaon, pas par plaisir, mais par nécessité pour les gens et amis qu’il a. Rappelez-vous, ses gens vivent sur les frontières pour fuir les forces armés du Pharaon alors n’ils n’ont personnes pour se protéger et malgré leur magie ils sont face à une véritable armé. Alors Bakura alla demander à Pharaon la protection en échange du pouvoir élémentaires que maitrisait le peuple qui le suivait. Pharaon accepta, mais ses prêtres malins et soucieux de s’assurer la fidélité de cet ennemis qui, par la force, venait leurs demandés asile. Pour tester sa volonté, ils lui demandèrent la main d’un de ses enfants. Si Bakura n’était pas foncièrement d’accord avec l’idée, Liba l’accepta à la grande surprise de tous et surtout de son père, cependant les différents évènements qui formait sa vie et son histoire l’avait poussé au bord de la dépression et elle acceptait sans peine de se sacrifier pour son peuple. Liba épousa Ramsès à la place de Meora et devint Princesse d’Egypte, assurant alors la protection pour son peuple et la paix. 
Cependant, contrairement à Atem dont l’âme et le coeur pur et valeureux tomba peu à peu sous le charme sauvage de Liba, de la magie qui agitait ses cheveux et de sa voix irréelle que lui avait accorder le vent (nul personne ne chantait aussi magnifiquement qu’elle, car elle chantait avec la voix du vent les chansons que la brise avait composé pour elle), ce ne fut pas le cas de son fils qui malgré ses airs bon prince était dévoré par l’égoïsme et la haine. A l’abris des regards, Ramsès se déchaina sur Liba. Accompagner de Meora qui n’acceptait pas qu’elle ait pris sa place au coté de son frère. Il la força à se tenir à ses cotés, muette, la violenta pour la forcer à lui donner un enfant, mais plus Liba restait enfermer entre les murs du palais, plus elle dépérissait. Peu à peu, Ramsès finit par comprendre que Liba était stérile et n’eut plus aucune raison de retenir ses coups. Liba, qui agonissait à cause des portes closes du palais, devait désormais cacher ses bleus. Un soir, alors qu’elle fuyait sa chambre conjugale en se tenant les côtes, elle tomba au pied de Pharaon dont le coeur se serra devant cette scène. Avec le temps, son amour pour elle avait grandit, malgré tout les efforts qu’il avait essayer de faire pour le taire. Il la pris dans ses bras, la ramena à son fils et une violente dispute éclata entre eux. C’était indigne d’un futur roi de se comporté ainsi, mais Ramsès refusa d’entendre qu’il devait avoir du respect pour la fille d’un bandit, l’assassin d’un prête, d’un voleur. Liba voulait fuir, mais si elle le faisait alors l’alliance entre son peuple et Pharaon serait rompue. Elle soupira un voeu las que le vent emporta loin jusqu’au fond de l’Egypte où Luth entendit son appel. 
Par la suite, Luth s’infiltra dans le chateau et enleva Liba qui se trouvait au porte de la mort. Les rumeurs de l’état de Liba montèrent aux oreilles de Bakura qui se rendit dans la salle du trône et exigea des explications. Il fallut tout le calme et la diplomatie possible à Atem pour contenir la rage de Bakura qui avait perdu sa fille et appris de surcroit qu’on lui avait fait du mal sans pour autant savoir que c’était le prince lui-même qui en était responsable. Cependant, l’Egypte se trouvait à ce moment là au plus mal et on ne pouvait se laisser aller à une guerre civile. Liba repris du poil de la bête loin d’eux, en compagnie d’un ami qu’elle pardonna pour ses erreurs passé et qui fit de son mieux pour l’aider. Pendant ses mois d’errance à fuir les gardes de Pharaon, le vent souffla sur le visage de Liba son bonheur de la voir en vie, loin des murs épais de sa prison dorée et fit vibré en elle la magie plus que jamais. 
Quand elle rejoins son peuple qui se tenait au coté de l’armé du roi pour bouté les ennemis hors d’Egypte, Liba avait accepter l’idée de revoir son bourreau. Pharaon, Bakura et Ramsès furent présent. Le prince l’accueillit avec un grand sourire, les bras tendu vers elle, en déclament des paroles fausses, exprimant des sentiments contrefaits. Liba se laissa approcher et, quand il fut assez près, dégêna un poignard qu’elle lui planta dans la gorge. Les généraux furent estomaqués, les prêtes choqués demandèrent des explications, mais d’un geste Pharaon arrêta les soigneurs qui se jetait sur son fils. 
“ Laisser les dieux jugés de ses actions. Seuls eux sont en droit de sauvé son âme et, s’il lui accorde la garce, alors que mon âme soit dévoré quand viendra ma mort.”  Tous le regardèrent, mais Atem n’avait d’yeux que pour Liba sur qui il posa un regard à la fois désolé et distant. Il comprenait en la voyant désormais, qu’elle n’était pas faite pour vivre la même vie que lui et que, s’il l’aimait, elle avait tout les droits de refuser de remettre les pieds dans le palais où il avait été responsable de ses maux. Liba, après un long instant à regarder les yeux du roi, lui sourit et accepta ses excuses muettes. 
La bataille fit rage quelques minutes après, Liba et les siens combattant aux cotés des soldats et monstres d’Egypte. Après de longues heures, l’ennemis commençait à faire marche arrière quand les dernières flèches tirés à la volée, se plantèrent dans le torse de Liba qui tomba de cheval. Son père se jeta à terre et courru la prendre dans ses bras, mais il était déjà trop  tard pour elle. Elle toussotait, la bouche pleine de sang, cherchais en vain à reprendre son souffle alors que ses poumons étaient persé de flèche et mourus à ce moment dans les bras d’un père en larme. Le vent hurla à son tour, de nombreuses rafales se déferlait de façon douloureuse sur le champ de bataille et celui-ci refusa tellement de laisser son seul amour disparaitre qu’il se glissa dans son nez, pénétra son sang et tourbillonna en elle jusqu’à en extraire son âme avec laquelle il fusionna. 
Le vent tel qu’il existait à l’époque disparu pour laisser l’âme libre de Liba qui devint à ce moment l’esprit du vent, l’incarnation de la liberté. 
Par la suite, le corps de Liba fut ramener au château où elle fut embaumé et emmener dans la vallée des reines où elle fut enterrer comme une princesse d’Egypte. Bakura, dévoré par la colère et la haine d’avoir vu Pharaon causé les tourments et la perte de sa première fille décida de renouer avec ses convictions passé et de le détruire lui et tout ce qu’il représentait. 
Ainsi, nous reprenons le manga au moment où Bakura reprend ses vols et son combat contre Pharaon. Par la suite, dans le manga et l’animé, il reviens dans le temps pour essayer de se donner une autre chance. 
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Pour moi, Liba est mon premier vrai personnage abouti. Elle a une vie, une histoire, une entité et finit par mourir. C’est elle qui m’a vraiment donner le gout de ce genre d’histoire. Elle peut existé dans l’univers de YuGiOh sans que l’histoire n’en soit changer. Elle peut rajouter de la profondeur à Bakura dont on ne sait que peu de chose au final. 
Et sur tout : Je l’aime.  Ecrire l’histoire de Liba c’est quelques chose de touchant parce qu’on se met à sa place. J’ai essayer de faire des personnes censé, des possibilités réelles et de rendre logique le déroulement de l’histoire qui, finalement, à pris énormément de place sur ce post alors que ce n’est qu’un résumé. C’est ma première OC à être aussi abouti, terminé. Celle qui mérite la première de voir son histoire écrite. 
Merci à ceux qui ont eut le courage de tout lire et j’espère que Liba, l’esprit du vent, vous à toucher autant qu’elle ne m’a toucher jadis.  On se retrouve vite pour un prochain billet - pas dans un an cette fois. Des bises sur vos joues.  Que l’esprit du vent accompagne vos pas.  Lay’. 
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laperditudedeschoses · 6 months
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Père Castor, raconte-nous une histoire
Il y a dix jours, c’était la tempête. C’est toujours impressionnant une tempête. On en retrouve dans la mythologie, dans les textes religieux, sur des toiles de toutes époques, au théâtre. Dans l’actualité elle rime aussi avec submersion, dégâts matériels et « vitesse de vent jamais enregistrée à la pointe du Raz depuis 1987 ». La tempête, c’est la nature qui rappelle à l’être humain qu’il n’est rien du tout, que l’univers est plus fort que lui. Je suis sûre que les médiums et les énergéticiens ont deux fois plus de clients après les grandes tempêtes.
Mais pour moi la tempête a une saveur encore plus particulière depuis un certain mois d’août en Charente. J’y suis allée passer des vacances chez ma mère et j’ai invité Betty pour une semaine. Vous commencez à le savoir, quand Betty est dans les parages, des choses singulières nous attendent au coin de la rue. Et ça n’a pas tardé puisque dès le soir de notre arrivée, autour des pommes de terre bouillies et des langoustines, ma mère nous raconte une anecdote sur son ami Père Castor.
Père Castor est un homme qu’elle nous décrit comme très sauvage mais brillant, jamais à court d’inventions, un genre de Léonard de Vinci après l’heure qui a conçu toutes sortes de machines dont il se sert pour sa petite exploitation locale. Il est arrivé dans le village il y a une vingtaine d’années mais de sa vie d’avant on ne sait rien. « On pense qu’il a dû se passer quelque chose… », nous dit ma mère avec un ton intriguant.
« C’est-à-dire ? Tu penses qu’il a commis un meurtre ? Il est recherché par la police ? ». J’ai déjà entendu parler de Père Castor, mais jamais sous cet aspect et j’aimerais être rassurée sur le fait qu’il ne viendra pas égorger ma mère en pleine nuit, sur un coup de folie.
« Oh non, quand même pas mais bon … », répond la future victime un peu trop mollement à mon goût.
« Mais tu ne lui as jamais posé de question sur son passé ? ».
« Ah non, je ne veux pas le déranger ! Il est très réservé. Et tellement gentil. »  S’il est gentil en effet, mieux vaut ne pas l’embêter en lui posant des questions…
Une fois ce décor posé ma mère nous raconte que Père Castor est venu chez elle réparer sa chaudière la semaine passée et que quelques jours plus tard il l’a appelée pour savoir si elle fonctionnait bien et pour s’enquérir d’autre chose : « Caroline est-ce que tu te sens plus en forme ces derniers jours ? », à quoi ma mère a répondu « Je ne sais pas trop, c’est vrai qu’avant-hier je me suis endormie à 23h au lieu de 22h ».
« Et là il m’apprend que c’est grâce à lui que je suis plus en forme. Il a des énergies ou quelque chose comme ça, il a un don et apparemment les gens qui passent du temps avec lui sont comme revigorés après. » Ma mère nous livre l’info en ces termes, avec un air assez convaincu, alors qu’elle n’est au départ absolument pas branchée ésotérisme. C’est même la première fois de ma vie que je l’entends parler d’un tel sujet.
Tout à coup j’occulte complètement de mon esprit le fait que Père Castor a peut-être assassiné un de ses voisins à coup de pioche il y a vingt ans parce que je suis beaucoup trop intriguée par cette histoire et serais même intéressé personnellement par une petite séance de réénergétisation, pour bien démarrer mon été. Je vois dans son regard que Betty pense comme moi et après quelques questions pour essayer de mieux comprendre comment ça se passe, nous disons à ma mère avec entrain « On aimerait bien le rencontrer ce Père Castor ! ».
Ma mère nous organise un café avec lui deux jours plus tard. Nous brûlons d’impatience de le rencontrer et en parlons sans cesse, allongées sur nos serviettes de plage. Quelle belle perspective pour les vacances après une année pas dingo à trop travailler, mal dormir et pas faire assez de sport. On va être toutes fraîches !
Le jour j ma mère nous apprend qu’elle aura 5 minutes de retard et nous suggère de retrouver directement Père Castor à la terrasse de son café favori. « Vous ne pouvez pas le rater, il porte un chapeau de cow-boy ». Nous avons un peu d’avance et voyons à la terrasse du café d’à côté un homme avec une barbe, un chapeau et un sac à dos posé à côté de lui.
« Tu penses que c’est lui ? C’est bizarre, il n’est pas au bon café ». « Non, je ne pense pas, il n’a pas une tête de quelqu’un qui a de bonnes énergies », me répond Betty. Je fais confiance à l’experte et en effet, quelques minutes plus tard arrive un homme avec un chapeau de cow boy, un bon teint et un âge difficile à déterminer, qui s’assied à la bonne terrasse.
Nous allons nous présenter à lui « Bonjour, je suis la fille de Caroline ». Il est un peu gêné, comme nous, mais ma mère arrive rapidement et elle introduit la « séance » : « Ma fille et son amie sont très intéressées de savoir quel est le don que tu as pour donner de l’énergie ».
Et là, Père Castor démarre son histoire : « C’est très simple, avec vos modes de vie, vous êtes complètement coupées de l’énergie universelle et vous vous videz petit à petit sans pouvoir vous remplir. Votre antenne parabolique ne capte plus les messages du cosmos ». Ah ouais, « antenne parabolique » …
Il poursuit : « Aujourd’hui les gens sont déconnectés et ne reçoivent que des énergies négatives, ils s’épuisent, développent des maladies ». Très vite, j’ai le sentiment qu’on part sur un zinzin, mais pourtant ce qu’il dit sur les modes de vie déconnectés de la nature qui nous épuisent me parle et à regarder sa peau lisse, son air détendu et en pleine forme, comparé à nos deux faces défraîchies alors même que nous pourrions être ses filles, je me dis qu’il a quelque chose que nous n’avons pas.
Il poursuit sur une thématique qui me parle encore plus, les « vases communicants » et l’importance de s’entourer de gens qui nous apporte de l’énergie et qui ne nous en pompe pas. Allez dire ça à mon ex, un vrai moustique ! Il emprunte le ton un peu docte de celui qui a compris des choses avant nous quand il nous fait son exposé et à un moment il croit nous coincer : « Depuis quelques mois vous devez vous sentir encore plus fatiguées, non ? Depuis que vous avez eu la p’tite piquouze ? ».
Je vois très bien où il veut en venir, mais pas de bol, Betty n’est pas vaccinée contre le COVID – parce qu’évidemment c’est de ça dont il parle. Je ne me gêne pas pour le lui dire, ce à quoi il répond, en regardant Betty « Alors vous ça va », puis se tournant vers moi « Mais vous, vous faites de la télépathie ? Vous avez dû remarquer que ça fonctionne moins depuis que vous êtes vaccinée ».
Euh, attends là. Non je ne fais pas de télépathie, mais Père Castor a l’air de penser que si. Est-ce que j’ai une tête à faire de la télépathie ? Est-ce qu’il m’a vu un don de télépathe ? Je devrais peut-être essayer un jour.
Nous poursuivons l’échange et je regarde ma mère qui l’écoute attentivement et lui sourit. Je suis certaine qu’elle n’adhère à rien de ce qu’il dit mais, et c’est ce que j’apprécie particulièrement chez elle, elle ne lui dira jamais parce que c’est son ami et elle ne veut pas lui faire de peine.
Nous finissons par lui demander comment faire pour se recharger en énergie et maintenir un bon niveau, même quand l’environnement affectif ou professionnel vient nous en pomper. Il nous conseille de bien nous nourrir, en s’inspirant des juifs et des musulmans, pas de porc, pas d’alcool, de poissons avec écailles (ou sans écailles j’ai oublié) qui n’ont pas la même énergie que nous et puis, si on veut qu’il nous en transmette, lui envoyer une photo de nous avec nos prénoms. C’est entendu !
L’entrevue se termine ainsi. Au moment du débrief, Betty me dit qu’elle a bien fait de quitter son ex, qui lui était vacciné, parce qu’avec leur incompatibilité énergétique (disons-le, avec son énergie toute vilaine pleine d’ARN messager) cela aurait été problématique pour la descendance. Tiens, voilà une difficulté supplémentaire pour les couples mixtes provax/antivax à laquelle je n’avais pas pensé.
Plus tard sur la plage, nous prenons un selfie pour l’envoyer à Père Castor. Sur le premier, par réflexe, nous faisons un bisou. Pas possible. Sur le deuxième, un duck face. Catastrophe. Quelle tête faut-il faire sur une photo à envoyer à un monsieur qui va travailler sur notre énergie ? Finalement nous faisons un sourire gentil. Betty lui envoie, accompagné du message suivant : « Bonjour Père Castor, encore merci pour cet échange très enrichissant. Comme discuté, voici notre photo. Merci beaucoup. Betty ».
Une heure après, il nous répond : « Voilà, tenez moi bien informé 😊 😊 😊 😊 😊 😊 😊. A bientôt ». 7 smileys, c’est pour les 7 chakras ? Ou il écrit juste comme un boomer ?
Le soir nous dînons chez des amis d’enfance à qui nous racontons cette aventure et qui s’empressent de réagir, avec leur rire gras « Ah bah d’accord, on s’imagine bien ce qu’il va faire avec votre photo … hahaha ». Nous ne savons pas trop quoi penser mais profitons du dîner pour s’enquiller une demi-bouteille de rouge, en ne respectant absolument pas les consignes de Père Castor. Quand nous rentrons chez nous vers 1h du matin, la pluie a commencé à tomber et le vent à souffler.
Le lendemain matin, l’énergie ne se fait pas encore sentir, court-circuitée qu’elle est par la gueule de bois. Nous aimerions aller prendre l’air pour récupérer, mais il pleut sans discontinuer. Il est des lieux qui sont de véritables paradis quand le soleil les irradie et le ciel bleu intensifie leur beauté, mais qui n’ont plus AUCUN intérêt quand la grisaille et la pluie s’installent. Et c’est exactement le cas du village de ma mère. Avec ce temps, pourtant la première semaine du mois d’août, il n’y a rien à faire à part attendre. De bonne composition, nous en profitons pour lire puis faire une balade en voiture avec ma mère. Le soir, la tempête s’est installée. Nous ne pouvons pas sortir de la maison, nous ne pouvons pas retrouver mes amis, nous ne pouvons pas aller boire des verres. Tant pis, couchons-nous tôt pour récupérer.
La nuit qui suit, le vent souffle, les branches des arbres frottent le toit de la maison, des rafales de pluie tombent. Résultat, nous dormons mal et en se réveillant le matin, toujours pas d’énergie. La tempête continue et je vois Betty qui me regarde d’un air désespéré qui veut dire « J’avais tellement besoin de vacances, de farniente, de baignades … ». L’après-midi, une éclaircie apparaît alors nous en profitons pour nous balader, bien qu’il y ait encore un peu de vent. Au bout de 30 minutes de marche, tout bascule, une douche de pluie s’abat sur nous. Betty part dans un fou rire nerveux et en pleure presque. Nos k-way ne servent plus à rien, nos leggings sont trempés. Et toujours pas d’énergie. Le soir venu, nous n’avons pas le courage de sortir, alors on apprend à jouer au Yams puis on finit par se faire des tipunch et danser à deux sur Aya Nakamura. L’ambiance est de plus en plus étrange.
Le lendemain, il fait carrément froid. Nous faisons l’effort d’aller boire un grog en plein après-midi mais cette fois-ci ça suffit, il va falloir écrire à Père Castor pour lui demander ce qui se passe. Bien sûr qu’il n’est pas responsable du mauvais temps, mais nous on a l’impression d’être toutes molles, que notre état est pire qu’avant de le rencontrer. Et puis ça se fait de lui donner des nouvelles.
Betty lui écrit : « Bonjour Père Castor, j’espère que vous allez bien. Un petit mot pour vous informer qu’avec Anouk on se sent détendues après votre session (elle ne veut pas le froisser parce qu’il est gentil). La tempête nous a quand même bien fatiguées. A bientôt. Anouk et Betty. »
Très impliqué, Père Castor répond immédiatement : « Bonjour Betty et Anouk, nous sommes dans le portail astrologique du lion, je pense plutôt que ce sont ces énergies très puissantes qui vous ont fatiguées. Cela ira mieux dans quelques jours. Tenez-moi au courant. Bonne soirée à vous ».
Voilà une explication à laquelle on ne s’attendait pas, mais que nous sommes prêtes à croire, tant nous sommes désespérées. Le soir-même nous sommes rejointes par Léa, qui vient elle aussi passer quelques jours chez ma mère et à qui nous racontons nos aventures. Elle nous apporte son énergie extérieure et nous passons une très bonne soirée. Le lendemain la tempête a laissé place à un grand soleil, nous permettant enfin de commencer les vacances, dont la suite se déroule beaucoup plus sereinement.
Je n’ai pas osé en parler à Betty sur le coup, mais pendant ces quelques jours de tempête, j’ai ressenti un énorme pic de libido qui ne m’a pas quitté de tout l’été. Une envie d’en découdre d’une intensité que je n’avais jamais connue. Je me suis sérieusement demandée si c’était l’influence de Père Castor et quand j’ai fini par en parler avec elle à la rentrée en septembre, Betty m’a annoncé qu’elle avait ressenti la même chose !
Pendant l’été j’ai pu mettre à profit cette « énergie » au clair de la lune, avec mon ami Pierrot, mais ça c’est pour une autre histoire.
En attendant je rêve à un monde où juifs, mulsulmans, pro, antivax, tout le monde se tienne par la main pour reconnecter son antenne parabolique avec le cosmos.
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La série Sorceleur / Witcher.
ALORS !
La toute première chose à dire sur cette série c’est que j’ai pleins de choses à dire. Ce qui est pas mal déjà car la pire chose qu’on puisse dire d’une série c’est qu’on a rien à en dire.
Déjà, Sorceleur c’est quoi ?
C’est une série Netflix adaptée d’une série de romans polonais du même nom. Ce n’est pas la première adaptation de cette oeuvre car il y a déjà eu un film et cinq jeux-vidéo.
Le projet de série a dès le départ été annoncé comme étant une adaptation des livres et pas des jeux-vidéo (même si ceux si sont aussi populaires que les livres) avec même l’auteur en conseiller artistique.
Ca va être la première petite digression. L’auteur est “un vieux de la vieille”, c’est un petit monsieur qui a grandi dans la Pologne de l’URSS donc tout ce qui est transmedia il s’en tamponne un peu.
Le transmedia ? Non mais vous allez pas me faire faire une digression dans ma digression ? (gression)
Bon.... Le transmedia c’est lorsqu’une oeuvre est portée sur plusieurs support en même temps. Par exemple une histoire de super héro qui existerait en film en bande dessinées, avec une continuité de l’histoire (ce qui se passe dans la bd est considéré comme ayant eu lieu dans le film et inversement, tout est “canon”. C’est un bon moyen d’étendre l’univers en rajoutant des trucs et des machins à droite à gauche.
Par exemple, les 42156987521569875 bouquins racontant des histoires dans l’univers de Star Wars sont tous non canons de manière officielle. Mais les séries animé Clones War et Rebels par contre le sont. Star Wars fait donc du transmédia. Si on dit dans un épisode de Clones War que Yoda aime les crêpes ce sera aussi vrai que si ça avait été dit dans un film.
Pour ce qui est de Sorceleur voici l’avis mot pour mot de l’auteur concernant le transmédia (parce que la question du caractère canon ou non des jeux lui a souvent été posé) : “Non. Je n’ai pas le temps pour ces conneries, ça ne m’interesse pas”.
N’est donc canon QUE ce qu’il y a dans le livre donc pour l’adaptation en série, ben déja d’une part rien dans la série ne pourra être considérée comme canon mais elle ne tirera surtout ses inspirations que des livres (et peu importe si des éléments interessants se trouvent dans les jeux).
DONC.... (purée j’ai déja fait un pavé mais en vrai j’ai pas commencé à parler de la série.....) on va pas se mentir l’auteur, même si il est conseiller artistique il ne s’interesse pas vraiment à la série. Lors d’une des premières interviews lorsqu’on lui a demandé son avis sur le tournage et sur la manière dont se passait la production il avait répondu (en gros) qu’il n’en savait rien et que ça ne l’interessait pas. Puis on lui a un peu rappelé qu’il était quand même payé pour faire un boulot et que si il voulait pas se prendre un procès ce serait bien qu’il fasse au moins semblant de sourire à la caméra.
Lors des interviews suivantes il s’est rattrapé en disant à quel point la série était formidable (bref on s’en fout) et ce n’est qu’une fois la série sortie que là on a des vrai infos sur son travail sur la série, à savoir qu’il a validé ou non certaines idées. Ce qui est ni plus ni moins ce qu’on attendait de lui. Tout ça pour dire que même si l’auteur des livres est dans le projet il ne faut pas surestimer son importance.
Sorceleur ça parle de quoi ?
C’est une série de fantasy qui se veut plutôt sombre se passant lors d’un conflit à l’échelle de tout un continent avec une bonne couche de politique là dessus.
Les sorceleurs sont des mutants crées par magie pour faire la chasse aux monstres qui attaquent les humains, ils font forts, rapide, sans émotions et sont autant nécessaires que méprisés.
La série va suivre l’un d’eux Geralt qui va vivre tout pleins d’aventures très douloureuse.
Concernant la série comme je l’ai dit il s’agit de fantasy (des elfes, des monstres, de la magie tout ça) ce qui veut dire que c’est cher (rien qu’avec les costumes, les lieux de tournages et les effets spéciaux je te raconte pas) mais en plus le public est moins large qu’avec une série policière. Donc c’est risqué comme projet.
Du coup, et c’était clairement dit dès le départ la première saison se ferait avec un budget réduit pour limiter les risques et une saison 2 ne se ferait qu’en cas de succès.
Et le budget limité se sent.
Le choix qui a été fait pour gérer le manque d’argent a été de sabrer toute la partie effet spéciaux et magie pour garder un bon niveau sur les décors et les costumes. Du coup pas beaucoup de magie et quand il y en a c’est souvent un peu cheap (pas forcement moche, mais souvent simple).
Niveau costume c’est quand même assez bon, les décors sont pas mal même si on voit la réutilisation des décors.
La lumière est franchement bonne, surtout quand on est en extérieur. Pour ce qui est de la musique, c’est discret mais elle est de bonne qualité, pas mal instruments du moyen age, cœurs et tout le tintouin.
Pour ce qui est de l’histoire le choix a été fait que la série s’adresserait à ceux qui ont lu le livre. C’est un choix. En faisant ça on peut aller plus en profondeur et on gagne du temps en ne présentant pas tout ce que la personne connait déjà mais de l’autre coté on se coupe une bonne partie des gens qui voulaient découvrir la série et qui risquent de mettre un peu de temps à comprendre.
D’autant plus (et ça montre que la série a des ambitions malgré son budget) que la série se passe à 3 époques différentes qui vont se rejoindrent en fins de saison ! Vous en connaissez beaucoup des séries qui vous racontent 3 histoires en même temps ?
Bon par contre si vous connaissez pas l’histoire de base vous risquez d’avoir du mal c’est sur ....
Du coup l’histoire ?
Il y a la partie avec Geralt, Sorceleur et Superman. 
Son histoire est une série de nouvelles, il va chasser du monstres et faire la connaissance de son (seul) ami, le barde Jaskier et de sa copine / amante / ennemie / statut facebook “c’est compliqué” Yennefer.
Il y a la partie avec Yennefer.
Sorcière qui va découvrir ses pouvoirs et intégrer la cours de différents rois en tant que conseillère.
Et enfin la partie avec Ciri.
Princesse d’un royaume qui s’est fait rouller dessus par une invasion ennemie, elle va être recherchée par la moité d’un continent, d’une confrérie de mages et par des Elfes à cause du lien qu’elle aurait avec une mystérieuse prophétie. 
Globalement je trouve que la série s’en sort très bien avec son budget et qu’elle chercher vraiment à avoir une identité propre quitte à perdre du public (scène violente, pas d’explication de l’univers, du cul, ect). Je regrette que la magie soit si peu mise en avant mais visiblement il n’y avait pas le choix.
La série a été à sa sortie très appréciée par le public et les objectifs ont du être atteints puisse que la saison 2 a été rapidement confirmée.
Voila je m’attarde pas trop sur l’histoire en elle même parce que ça ferait un pavé de plus (si ça vous intéresse vraiment je ferais un résumé).
En bref, une bonne série mais avec un public précis. Essayez là mais c’est possible que vous n’accrochiez pas car elle n’est pas très accueillante.
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enyrite · 4 years
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La théorie des personnages à tiroir
Après plus de 6 ans de forums rpg, je suis arrivée à une méthodologie – ou une théorie - sur la création de personnage.
Quand on joue un personnage sur un forum rpg, il y a toujours le risque de ne plus à avoir quelque chose à raconter. Bien sûre, les personnages sont stimulés par leur rencontres, mais aussi par les évènements qu’ils peuvent vivre avec les évents. Mais ici, l’intérêt est d’avoir une intrigue liée au personnage, un moteur narratif interne. Ce qui amène une dynamique supplémentaire, mais vous assure aussi d’avoir des choses à raconter. Un personnage ayant une intrigue propre amènera aussi à des facilités pour créer des rps intéressants, voir des liens importants avec d’autres personnages. Par expérience, j’ai pu voir que cela rendait le personnage plus intéressant pour les autres joueurs.
Mais alors… Qu’est-ce que cette fameuse théorie ?
J’ai choisie d’appeler cette théorie « des personnages à tiroir » car c’est une image très parlante. Lorsque l’on a ouvert une intrigue / un tiroir et que tout est résolu, il suffit d’en ouvrir une autre. Mais cela suppose qu’il y ait des tiroirs à la base. En effet, le gros du travail est donc réalisé en lors de la création du personnage.
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Lorsque je commence à réfléchir pour un nouveau personnage....
Je vais prendre en exemples deux de mes personnages.
Premier exemple - Jacob Klein
Le premier s’appelle Jacob Klein. C’est sur le forum rpg de DMTH (lien ici). Cela se déroule Louisiane, à Bâton-Rouge, à notre époque, les créatures surnaturelles (sorcier, vampire, garou etc) existent mais cachent leur existence.
Jacob est jeune homme de 24 ans. Sa mère, Mallory a quitté Bâton-Rouge en étant enceinte de jumeau. Elle se remarie rapidement avec un pasteur. La famille déménage alors régulièrement car Mallory a peur. Elle a peut de Bâton-Rouge et que quelque chose, ou quelqu’un, les poursuive. La famille finit par déménager en Europe et se stabilise en Allemagne. Vers 6/7 ans de Jacob, ses sensibilités de médium se révèlent. Terrifiée par le surnaturel, Mallory le rejeta violemment et deviendra un parent maltraitant avec lui. Le frère de Jacob, Adam, et quant à lui totalement humain. Une relation déséquilibrée se format rapidement, Adam étant préféré par leur mère. L’éducation donnée était très stricte, religieuse, voire carrément fermée et intolérante. A 17 ans, Jacob tombe amoureux d’un garçon de son âge. Cela finit par se savoir, son père refuse totalement cet aspect de son fils. Il agit rapidement et brutalement et déscolarise Jacob. La famille déménage et change même de pays, pour finalement rentrer aux États-Unis. Mallory meurt alors dans un « accident » de voiture, mais Jacob sera persuadé que c’est lié au surnaturel. Le médium rentre dans la police, récupère son diplôme et devient agent de police secours. Un jour Adam et Jacob sont tout deux convoqué chez le notaire : ils héritent de leur grand-mère maternelle. Si Adam refuse, Jacob l’accepte et décide d’aller habiter à Bâton-Rouge.
C’est une présentation rapide. La fiche personnage est bien plus longue et il y aurait de quoi développer encore beaucoup de petits détails. Mais il y a les explications principales pour comprendre ce que j’ai voulu faire. Maintenant, je vais reprendre point par point les intrigues des personnages :
-Jacob ne connait pas son véritable père. Il sait qu’il est lié à ce qui a terrifié Mallory et ce qui l’a fait fuir de Bâton-Rouge pendant des années. Que s’est-il passé véritablement la nuit où Mallory a quitté la ville ?
-Jacob n’a pas d’éducation magique. Il faut donc qu’il apprenne, voir même développer ses capacités de médium.
-L’accident de Mallory n’en était pas un. Jacob en est certain. Pourtant est-ce vraiment le cas ? Est-ce lié au surnaturel ?
-Jacob est homosexuel, mais a beaucoup souffert à cause de ça. Peut-il retomber amoureux ? L’assumer ? Que se passera-t-il si sa famille l’apprend ?
Il y a aussi des accroches, des axes du personnages qui peuvent donner lieu à rp :
-Jacob a grandit dans une culture très fermée. Il ne connait donc pas les classiques comme stars wars, le saigneur des anneaux…
-Il est flic, plus exactement membre de police secours. Il est amené à intervenir pour des tapages nocturnes ou autre.
Enfin, il y a aussi des personnages liés qui peuvent être intéressants :
-Le véritable père de Jacob. La seule chose qui a été défini, c’est qu’il a connu Mallory. Pour le reste tout était libre. J’ai donc proposé ce lien à un joueur qui a adoré l’idée !
-Le frère jumeau de Jacob, qui est intéressant par ses liens mais aussi ses capacités d’évolution. Les éléments liés à son histoire étant beaucoup plus définis, j’ai créé un prédéfinis. (Un article sur les prédéfinis/scenario est en cours de réflexion).
Alors que l’histoire de Jacob est plutôt bien définie, il reste plusieurs mystère à élucider. Le fait qu’il y ait des zones d’ombres permet de les définir, voir de les découvrir avec les autres joueurs. Cela permet de créer une intrigue commune, comme avec le PJ qui est le père de Jacob. 
Deuxième exemple - Léandre Tyler
Le deuxième personnage est Léandre Tyler. C’est un personnage présent sur le forum rpg de Black London (lien ici). Cela se déroule à Londres, un univers post-Brexit et en 2025. La prohibition, Jack l’Éventreur, mais aussi le Smog sont de retour.
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Londres, cette ville où tout se passe bien... ou pas
Léandre est un jeune juge de 27 ans. Il est né dans une ville en Serbie et son identité complète est Léandre Léopold Amélie Tyler. Ses parents officiels sont un militaire et une journaliste anglaises, couvrant tous deux la guerre qui se déroule dans le pays. Le prénom Amélie étant lié aux véritables parents du juge. Léandre ayant des gros problème de santé – le syndrome de kartagenere, une maladie génétique rare- il est rapatrié en Angleterre avec ses parents officiels. Son père se reconverti en flic, sa mère quitte s’éloigne d’eux. Léandre est un enfant turbulent, intelligent, et jouant de ses capacités intellectuelles pour être d’une grande insolence. Le père de Léandre finit par se retrouver une compagne et si les relations sont tendus au début, Léandre finit par être très proche de sa belle-mère. A l’adolescence, Tyler a une période rebelle et punk. Mais à 17 ans, alors qu’il est en voiture avec son père. Ils ont un grave « accident » de la route. Son père décède. Léandre est gravement blessé, tombe dans le coma, et devient aveugle (ayant plus exactement une vision aveugle). S’en suit une période noire de reconstruction. Léandre décide alors de faire des études de droit et d’agir pour rendre la société plus juste en devenant juge.
Comme pour le premier personnage voici les intrigues du personnage :
-Léandre n’a jamais pensé qu’il n’était pas le fils de ses parents. Cette possibilité ne lui a jamais effleuré l’esprit. Un soignant pourrait se rendre compte qu’il y a un problème. En effet Léandre a une maladie génétique rare mais aucun de ses parents, ni grand-parents officiels en souffre.
Une personne voulant lui nuire et qui fait une enquête sur lui pourrait aussi s’en rendre compte. Il y a de quoi le déstabiliser fortement. Ce lien familial peut aussi être utiliser pour créer un scenario.
-Tyler a des souvenirs de l’accident, et il sait, bien qu’il ne puisse rien prouver, que ce n’était pas un accident. Va-t-il enquêter ? Si oui, il aura forcément besoin d’aide.
-De façon générale, Léandre est un jeune juge qui a beaucoup d’ambition. Il veut le pouvoir.
Et les axes, les accroches du personnages pouvant donner lieu à rp :
-Léandre est aveugle, il y a de quoi créer de nombreuses situations intéressantes.
-Son métier l’amène à rencontrer beaucoup de monde.
Il y a de nombreuses autres accroches, mais pour cela il serait plus simple de faire une analyse approfondi d’une fiche de personnage. Est-ce que ça vous intéresserez ?
De façon générale
En écrivant cet article, je me suis rendu compte que les deux exemples présentés jouaient beaucoup sur les origines familiales. Mais il peut avoir beaucoup d’autres éléments invitant un personnage à agir. Cela peut être un choix du personnage, mais aussi quelque chose de subit.
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Dans ce cas la motivation du personnage est clair
Quelques idées en vrac :
Un enquête sur un assassinat, un accident ayant provoqué par la perte d’un proche. Ou ayant une résonance personnel.
La réalisation de soin pour chercher la rédemption ou éviter aux autres de souffrir. 
La réalisation d’un plan, d’une vengeance.
La fuite d’une organisation, d’une famille, de responsabilité. 
La recherche de gloire, de pouvoir, d’argent... ou encore d’une famille, de personne à aimer.
Des personnes à protéger, de façon générale (le peuple, un groupe) ou individuel (sa compagne/son compagnon, ses enfants, ses collègues, etc)
La défense d’une idéologie, d’une organisation.
La réalisation de quête, de mission.
Un rôle à tenir.
Cela peut être une ou plusieurs choses poussant votre personnage à être actif.
Pour conclure
Avoir un certain mystère laisse un peu de flexibilité au niveau du personnage. Car certains liens, certaines idées n’apparaissent qu’en étant en contact avec d’autres joueurs. 
Je pense qu’un personnage doit avoir un moteur qui lui est propre. Soit par un choix, une recherche, un objectif qui le pousse à évoluer, ou alors quelque chose qu’il subit. Cela peut aussi être un déséquilibre dans la vie du personnage, quelque chose qui le pousse à évoluer.
L’important, c’est qu’un personnage soit en mouvement.
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qgdecvs · 4 years
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[LECTURE] L’Homme Révolté, A. Camus
Place de cet ouvrage au moment où ces lignes sont rédigées: un ouvrage qui propose de s’élever au delà du nihilisme, proposer une éthique et des lignes de conduites dans un monde où la vérité révélée – la base de la philosophie politique chrétienne – n’a plus sa place. Camus parle depuis 1950, une époque où l’Occident est certain que sa philosophie politique s’est à jamais débarrassée de toute référence au divin. Si l’on parle encore de cosmologie, de Dieu et des croyances, les théocraties semblent définitivement disqualifiées de l’histoire humaine (occidentale).
Il est intéressant de relire cet ouvrage dans notre contexte déboussolé où la lecture du monde, rassurante, proposée par les théologies politique menace de dénaturer la manière dont nous pensons nos institutions sécularisées (cf. Mark Lilla, le Dieu-Mort Né). Dans cet état de déni où nous nous trouvons, il est salvateur de se souvenir des raisons qui ont poussé les Hommes à se révolter, à faire face à Dieu, à affronter cet être aveuglant comme le soleil, et à enfin penser le politique en termes exclusivement humains.
Car si Camus pointe les dangers inhérents à l’attitude du révolté (le nihilisme, la sacralisation de l’histoire, la démesure), jamais sa légitimité n’est remise en cause. Au contraire. La révolte, c’est l’humanité par excellence. Oui, elle est légitime, émouvante et profondément émancipatrice. Camus défend ardemment ce cri porteur de tant d’espoir et de misère, et il ne pardonne pas son dévoiement au nom des révolutions historiques, des humains qui se font dieux, cruels et juges à la fois.
L’Homme Révolté parait en 1951 – et signe le début de la querelle avec les existentialistes. Dans le Mythe de Sisyphe, Camus théorise l’absurde, réfute l’absolu divin, la lecture finaliste du monde. Les existentialistes partent eux aussi de ce postulat. L’ennui, c’est ce que Camus déduit de la révolte: une nature humaine digne car toujours demandeuse de sens face à l’absurde; une nature humaine qu’il faut toujours respecter, d’où son aversion pour toute idéologie – pour se sauver elles-mêmes, elles justifient l’assassinat. La révolte Camusienne consiste à refuser l’injustice et le nihilisme, à affirmer l’homme. Sartre et les existentialistes, s’ils admettaient que la révolution était une notion limite qui ne s’accomplirait peut-être pas, considéraient que l’action devait donner un sens à l’existence, s’inscrire dans l’Histoire. Bref, ils y voyaient une fin et en cela retrouvaient un projet totalisant voire totalitaire. Pour Camus, la valeur de l’insurrection compte. Pour Sartre, c’est sa visée.
Signe la notion de théocratie totalitaire = orthodoxie de la pensée.
Cheminement intellectuel, plus de place aux idées qu’aux dynamiques socio-économiques. Il part du particulier pour arriver au général: accorde de l’importance au Monde, là où Sartre est centré sur le sujet « condamné à être libre ».
L’idée n’est pas de définir le totalitarisme, il ne joue pas dans la même cour que Aron et Arendt à la même période.
Parenté avec les Lettres à un Ami Allemand, publiées dans l’immédiat après-guerre. Le paysage intellectuel qu’il brosse se joue des frontières des états-nations. On retrouve l’idée Camusienne d’une Europe fraternelle, à l’heure où le mot Europe faisait horreur aux intellectuels issus de la Résistance (dont Sartre) puisqu’elle avait été abondamment usitée par la propagande nazie.
S’oppose par exemple à Humanisme et Terreur de Merleau-Ponty, où les assassinats sont justifiés par les l’idéologie (M-P n’était pas Sartrien non plus: opposition explicite dans la préface de Signes, 1960).
Fil directeur: conception « allemande » de la démesure =/= mesure méditéranéenne. (qui est une position fondamentale et radicale, ne pas confondre mesure et mollesse. Poser des limites demande du courage, de l’honneur, de l’intelligence).
Thèses principales:
« La révolution sans autre limite que l’efficacité historique signifie la servitude sans limites. »
Il part d’un constat: c’est le temps du meurtre logique, du crime raisonnable, de l’assassinat justifié. Se refusant à juger son époque – c’est la bannière de l’innocence qui protégeait les crimes qu’il faudrait juger, l’ouvrage est d’abord un effort « pour comprendre » le monde. Le meurtre, dans la révolte, est-il inéluctable?
Si l’on érige le sentiment de l’absurde en règle d’action, alors le meurtre est en tout cas indifférent, l’effet d’un pur hasard. La contingence fait de l’homme un saint ou un assassin. On peut ne pas agir, et si l’on se met en mouvement c’est vers la seule efficacité puisqu’en l’absence de sens, il n’est pas une valeur supérieure qui puisse servir de guide.
Mais l’absurde ne peut pas être autre chose qu’un passage. En effet, il est contradictoire: dans le Mythe de Sisyphe, il a été démontré que la conséquence du raisonnement absurde est le refus du suicide. La fuite consacrerait la fin de confrontation à l’absurde; il ne peut pas se nier lui-même. Dans le raisonnement absurde, il faut refuser la cohérence au meurtre et au suicide, les deux ensemble. La vie est le seul bien; elle permet la confrontation à l’absurde, qui par nature est contradiction. Il n’est, dans l’optique Camusienne, qu’un point de départ en effet. Il rend indifférent au meurtre mais, en refusant la négation absolue, en persistant dans la vie, affirme bien le début d’une valeur suprême. Sur le sentiment absurde:
Il exclut les jugements de valeur en voulant maintenir la vie, alors que vivre est en soi un jugement de valeur. (p21)
Penser l’absurde, tenter de donner une cohérence au temps par le langage, c’est déjà lutter. Vivre, même dans le silence, est un refus de la non-signification. Théoriser l’absence de sens, c’est lutter contre elle. En cela, l’absurde est avant tout une émotion, « un sentiment parmi d’autres » dont on ne peut pas tirer de règles universelles – le sentiment est une expérience individuelle. Dans l’absurde se cache un désespoir, le nihilisme, qui peut être le point de départ d’un raisonnement (comparaison avec le cogito cartésien: il fait table rase mais il doit être envisagé comme une destruction créatrice, pas une fin en soi).
Je crie que je ne crois en rien et que tout est absurde, mais je ne peux douter de mon cri et il me faut au moins croire à ma protestation (p 23)
Devant l’incompréhensible, la révolte est la seule évidence claire. Elle veut transformer le monde chaotique, injecter le sens, agir. Avec tous les dangers que cela comporte: rappelons-le, avec les termes de Camus: « elle ne sait pas si le meurtre est légitime ». Dans l’absurde, ce sentiment qui lui donne vie, elle ne trouve pas à la réponse.
Comment justifier l’action du révolté, alors? Il n’y a pas de transcendance qui puisse éclairer les raisons, pas de mythe auquel se raccrocher. Il n’y a plus rien que la révolte elle-même, qui devient alors sa propre justification.
Ce que propose Camus, c’est de disséquer les révoltes européennes – de trouver, peut-être, une éthique dans cette « histoire de l’orgueil européen », d’éclairer la nature de la révolte, née du refus de l’homme d’être ce qu’il est, de son désir destructeur de transcendance.
La révolte: une évidence humaine.
Définition de la révolte: une négation (« celui qui dit non ») et une affirmation tout à la fois. En refusant de subir un comportement, un état de fait, une domination, le révolté pose une limite et exprime un droit: celui de s’affirmer en tant que conscience refusant l’oppression (ou une expression de l’oppression). Se faisant, l’homme s’apprécie lui-même: on ne peut pas se révolter si l’on n’a pas conscience de soi, que l’on ne pense pas « valoir la peine de ». Dans ce mouvement, cette volte-face, l’homme prend conscience qu’il y a autre chose que l’ordre des choses, il peut se retrouver dans un autre, s’identifier dans une valeur. C’est cette identification à un autre ordre qui permet à la révolte de s’étendre: le révolté s’était retourné contre le coup de fouet de trop, il peut à présent nier la légitimité du régime dans son ensemble. Du refus, il passe à la révolte. L’affirmation d’un tout, reposant sur de nouvelles valeurs, permet à l’esclave de nier non seulement les coups de fouets mais aussi son état tout entier d’esclave.
Définition de la valeur: « passage du fait au droit, du désiré au désirable » (cite Lalande). C’est un bien, pour le révolté, qui dépasse sa propre destiné. Il peut se sacrifier pour ce Tout, si cela permet de faire advenir ce qu’il estime communément désirable. S’il demande le respect, c’est en tant qu’homme; il s’identifie donc à une communauté naturelle qui le dépasse. Au contraire du ressentiment, la révolte « fracture l’être ». L’envie et le ressentiment consistent à demander ce dont on estime être privé. La révolte repose, on l’a vu, sur une conscience de soi et sur l’exigence de la dignité commune à tous les hommes (pour cela, la révolte peut naître chez celui qui est témoin de l’humiliation d’un autre, voire même d’un adversaire)
Le ressentiment est toujours ressentiment contre soi. Le révolté, au contraire, dans son premier mouvement, refuse que l’on touche à ce qu’il est. (p 32)
-> Critique la position de Sheler (l’Homme du Ressentiment) quant à la notion de révolte. Il envisageait celle-ci en pensant à ceux qui ont défendu l’humanité et les idéaux en prétendant se défendre l’homme. Camus précise que le mouvement de révolte ne nait pas d’un idéal abstrait, mais de la partie de l’homme qui ne peut pas être niée, celle qui est envers et contre tout. La révolte n’est généralement pas utilitariste, elle ne crée rien, mais « révèle ce qui, en l’homme, est toujours à défendre ».
-> Jusque là, Camus évoque « la » révolte ce qui pourrait laisser penser qu’elle est universelle. Bien sûr, elle prend des formes différentes selon les cultures et les époques. La révolte en tant qu’elle est définie dans cet essai n’a de sens que dans les cultures occidentales. L’esprit de révolte s’exprime lorsqu’une « égalité théorique recouvre des inégalités de fait », donc difficile de la rapporter à une société de castes hindoue par exemple, où l’inégalité est légitimée. Elle est née, semble-t-il, du fossé entre la conscience de l’homme en tant qu’il fait partie d’une communauté humaine, et la liberté restreinte dont il jouit de fait.
Finalement, il définit l’homme révolté:
L’homme révolté est l’homme situé avant ou après le sacré, et appliqué à revendiquer un ordre humain où toutes les réponses soient humaines, c’est à dire raisonnablement formulées.
Dans un monde désacralisé, la révolte devient la réalité historique. C’est pourquoi il est vital de définir une éthique par rapport à elle, sans nier son existence, car à moins de revenir au monde de la grâce, la révolte est inévitable. La révolté nait d’une conscience humaine, elle est fondée sur  « la solidarité des hommes ». De cela, Camus déduit qu’une révolte qui nie la nature de l’homme et l’asservit de nouveau ne peut pas décemment arborer cette bannière. Pervertie ou non, la révolte a toujours ce mérite: faire passer l’Homme d’une souffrance égocentrée (l’absurde) à une libération ou à une misère collective. D’où l’affirmation que la révolte fonctionne comme le cogito: je me révolte, donc nous sommes.
« La logique du révolté (…) est de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel » = souci du langage et du dialogue, conditions d’une liberté conquise à plusieurs, par la communauté des hommes. A la Libération, il écrivait le devoir de donner au pays « le langage qui le ferait écouter« . La querelle qui l’oppose aux surréalistes – au premier chef à André Breton, repose sur une simplification de l’Homme Révolté, lu au prisme du mot d’ordre. A la déconstruction, à l’analyse méthodique et mesurée de Camus, on répliqua par la polémique et l’insulte (la marque du XXe siècle, selon Camus: « le XXe siècle est le siècle de la polémique et de l’insulte (…) Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir » in « Le Témoin de la Liberté », Actuelles). Ironie d’être ainsi fustigé, pour celui qui défendait l’art comme le chant de la communauté humaine, du partage, l’oeuvre grande du désespoir universel. Tel est d’ailleurs l’horreur du meurtre nihiliste; au dialogue, il substitue la surdité tragique. Or, « à la scène comme à la ville, le monologue précède la mort ».
La Révolte Métaphysique (idées phares de la première partie).
-> Définition: un mouvement spontané de l’homme contre sa condition. Par essence, elle conteste la création (en cela qu’elle est métaphysique) et Dieu. -> Elle contient nécessairement une valeur; c’est au nom de celle-ci que l’esclave pose une limite à sa condition (cf. introduction). Elle ne nie pas l’homme, ne refuse pas au maître son statut d’homme, seulement son statut de maître. -> Au coeur de la valeur revendiquée par le révolté, on retrouve l’exigence d’unité, de clarté, d’explication propre à l’être humain. Une valeur universelle à tous les hommes est nécessaire pour vivre en paix. -> En se révoltant contre une force supérieure, on ramène celle-ci dans l’histoire des hommes. Dieu, les forces intangibles et intouchables, sont à terre comme les Hommes. On n’admet leur existence que pour les contester. L’athée nie Dieu, mais le révolté se ‘contente’ de le défier (l’athéisme ne se confond pas avec la révolte, il en est une conséquence mais pas l’essence). -> D’abord, la révolte métaphysique est un ‘paraître’, il s’agit de polémiquer avec Dieu d’égal à égal (les Dandys). -> Puis, on condamne ce Dieu à mort – les révolutionnaires.
Alors commencera un effort désespéré pour fonder, au prix du crime s’il le faut, l’empire des hommes (p44)
Exemples de révoltes analysées par Camus:
Prométhée: la « douloureuse et noble image du Rebelle » que n’ignorent pas les Anciens. Ses traits, éloignés de la modestie préconisée par les Grecs, se distinguent toujours aujourd’hui (nb: en 1950): messianisme, philanthropie, lutte contre la mort. Mais la mesure grecque n’échappe pas à ce mythe. Ce n’est pas l’ordre des choses que Prométhée récuse, mais l’autorité du seul Zeus (« qui n’est que l’un des Dieux »). Camus parle de « règlement de compte », car Prométhée n’était pas un humain révolté mais un demi-dieu rebelle et là se loge une différence critique avec nos révoltés. Les semblants de révoltes, chez les Anciens, sont limités, sans conséquences sur l’ordre naturel du monde. Même Antigone se révolte au nom de la tradition, ce n’est pas un cri libérateur, mais « réactionnaire ». Pourquoi cette révolte est-elle impensable pour les Grecs anciens: ils n’opposaient pas les hommes et les dieux, n’avaient pas une vue manichéenne de la divinité. Pour penser la révolte, il faut un Dieu personnel, créateur et responsable.
Epicure: l’angoisse de la mort conduit à espérer les paroles d’un Dieu; cela ne ferait qu’accentuer le malheur de l’Homme. Ils préconisent donc le « silence »: ne plus penser aux dieux. Ascèse qui étouffe la sensibilité (l’espérance), une révolte uniquement défensive, en fait.
Lucrèce: raisonnements similaires mais davantage dans la dénonciation des crimes divins (« cet esprit tremble (…) de l’injustice qui est faite à l’homme »). Pourquoi s’empêcher de faire le mal, si l’innocence ne protège pas de la mort injuste? Chez Lucrèce, donc, le meurtre humain est une réponse mécanique au meurtre divin.
=> prémices de la notion moderne de révolte: un dieu personnel est en train de se former dans les pensées de leurs contemporains.
Caïn: le Dieu de l’Ancien Testament fait naître notre révolte (nos révoltés sont donc des « enfants de Caïn.), qui coïncide puis le début avec le crime. Ce dieu qui préfère, sans motif légitime, Abel à Caïn – ce dieu capricieux, en somme, est l’objet de la haine de Sade.
N.B: le « rôle » du Nouveau Testament serait, alors, de donner à Dieu une forme humaine, celle d’un intercesseurs, afin de répondre aux angoisses des révoltés: le mal et la mort. Dieu souffre comme l’homme, et l’apaise en partageant ses doutes, sa douleur (toutes les douleurs devaient légitimes et supportables alors, pour honorer le sacrifice du Christ car:).
Si tout, sans exception, du ciel à la terre, est livré à la douleur, un étrange bonheur est alors possible (p54)
L’Ancien Testament achève l’histoire du Christ en pleine apogée du désespoir, sur la croix – « ainsi se trouvait maintenue la figure implacable d’un Dieu de haine ». Dostoïevski et Nietzsche les premiers oseront demander des comptes AUSSI à ce Dieu d’amour figuré par le Christ.
Sade: rassemble tous les arguments de la pensée libertine. Révolte absolue car enfermé vingt-sept ans…or, en prison, rien n’arrête la pensée, la réalité devient éloignée, seconde. Son rêve de liberté totale devient fantasme de destruction collective.
Si Dieu tue et nie l’homme, rien ne peut interdire que l’on tue et nie ses semblables. (p59)
Il refuse le crime légal mais sa haine de la peine de mort, note Camus, « n’est que celle d’hommes qui croient assez à leur vertu (…) pour oser punir, et définitivement, alors qu’ils sont eux mêmes criminels ».
Les Dandys: « pour combattre le mal, le révolté, parce qu’il se juge innocent, renonce au bien et enfante à nouveau le mal ». Admiration pour le Satan du Paradis Perdu en témoigne: la fatalité ignorant le bien et le mal, le seul coupable est le créateur, seul responsable de la situation. Ils reprennent à leur compte, provocateurs devant l’éternel, l’idée antique du poète démoniaque. Le héros nostalgique du bien commet le mal parce qu’il n’a pas d’autre choix. C’est le créateur qu’il y a forcé. Ainsi,
Le prince du mal n’a choisi cette voie que parce que le bien est une notion définie et utilisée par Dieu pour les desseins injustes (p72)
La seule cohérence de l’être sera esthétique: « dissipé en tant que personne privée de règle, [le dandy] sera cohérent en tant que personnage. » D’où une certaine dépendance vis à vis des autres, du public, qui fait exister le personnage. Cite ici longuement Baudelaire: il était malgré tout « trop théologien pour être révolté », alors même qu’il est un théoricien profond du dandysme. Leur goût du paraître, en effet, les condamne au conformisme.
Si le révolté romantique exalte l’individu et le mal, il ne prend donc pas le parti des hommes, mais seulement son propre parti (p79)
Dostoïevski: par le biais d’Ivan Karamazov, il prend le parti des hommes contre le créateur. Sans nier Dieu, il pointe l’injustice qui pèse sur les hommes innocents, et par-là remet en cause Sa morale. Bien plus que les romantiques, il conteste la place de la divinité (eux ne voulaient qu’être Son égal). Ivan choisit de s’en remettre à la justice, au lieu d’avoir confiance en un dessein mystérieux. Même si Dieu existait, la vérité qu’il promet ne vaut pas la souffrance perpétuelle des innocents. En fait, la vérité ne peut être « qu’inacceptable car elle est injuste ».
Les révoltes romantiques rompaient avec Dieu lui-même, en tant que principe de haine. Ivan refuse explicitement le mystère et, par conséquent, Dieu en tant que principe d’amour (p80)
Mais, au bout du compte, cette révolte métaphysique conduit à la négation de tout. « Tout est permis » si la vertu n’existe pas.
[Ivan] ne se permettra pas d’être bon (…) Le même homme qui prenait si farouchement le parti de l’innocence (…) à partir du moment où il refuse la cohérence divine et tente de trouver sa propre règle, reconnait la légitimité du meurtre. (p82)
Ce sont les mêmes contradictions qui habitait Sade, mais lui s’en accommodait. Dostoïevski introduit davantage d’angoisse existentielle dans la révolte: est-elle supportable pour celui qui veut rester Homme? L’Homme peut-il vivre en Dieu, selon sa propre loi? Ivan, lui, en devient fou…
Nietzsche: « la morale est le dernier visage de Dieu qu’il faut détruire, avant de reconstruire. Dieu alors n’est plus et ne garantit plus notre être; l’homme doit se déterminer à faire, pour être » La révolte passe véritablement du paraître (ou de l’attentisme de Karamazov), au faire. Parallèle avec Stirner qui fréquentait le cercle de la « Société des Affranchis » (jeunes hégéliens de gauche) et était profondément nihiliste – rejetant toutes les idoles nées de « la croyance en des idées éternelles » (Esprit de Hegel, Dieu…) qui ne sont que des moyens autres d’aliéner le moi à un principe supérieur. Rejet de toute « idéalisation » du réel. (« Nos athées, disait-t-il, sont vraiment de pieuses gens »). Ici aussi, la révolte débouchait sur un tout est permis, une négation de tout principe guidant l’action. Le bien, c’est tout ce qui peut me servir. Justifie toutes les puissances de vie, mais par là une « sorte de suicide collectif » des individus absolument libres.
Il n’y a donc qu’une liberté pour Stirner, « ma puissance », et qu’une vérité, « le splendide égoïsme des étoiles » (p89)
Dans ce « désert », fin du raisonnement des nihilistes, Nietzsche élabore la régénération. Si il constate la mort de Dieu et s’en réjouit, Nietzsche ne s’est jamais arrêté là – il pense l’avenir, voit par delà l’apocalypse exaltée par les nihilistes. Dieu est mort, certes, mais il demeure toujours des remplacements médiocres à la divinité disparue. Il s’agit de les détruire pour mieux reconstruire par-dessus, un paradigme entièrement neuf. Il a érigé une méthode de la révolte que Camus examine longuement (commentaire de la Volonté de Puissance).
La vraie morale, pour Nietzsche, ne se sépare pas de la lucidité. Il est sévère pour les « calomniateurs du monde », parce qu’il décèle, dans cette calomnie, le goût honteux de l’évasion. (p94)
La révolte, chez Nietzsche, aboutit encore à l’exaltation du mal. La différence est que le mal n’est plus alors une revanche. Il est accepté comme l’une des faces possibles du bien et (…) comme une fatalité. Il est donc pris pour être dépassé. (…) Il s’agissait seulement du fier consentement de l’âme devant ce qu’elle ne peut éviter. On connait pourtant sa postérité (p102).
Sur le dévoiement de la pensée Nietzschéenne:
On a tourné, en son nom, le courage contre l’intelligence; et cette vertu qui fut véritablement la sienne s’est ainsi transformée en son contraire: la violence aux yeux crevés. (p103)
Mais si l’aboutissement du grand mouvement de révolte du XIXe et XXe fut le national-socialisme, faut-il encore se révolter? se demande alors Camus. Il analyse ce qui, dans l’oeuvre de Nietzsche, nourrit les idéologies meurtrières. Ce n’est pas le refus des idoles, mais ‘l’adhésion forcenée’ car enfin, dire oui à tout suppose « que l’on dise oui au meurtre »…soit à l’esclavage et à la douleur des autres et de soi-même, soit à la domination totale des autres.
Une autre responsabilité de Nietzsche: celle d’avoir sécularisé l’idéal. L’Homme doit trouver le Salut sur terre.
Le grand rebelle crée alors de ses propres mains, et pour s’y enfermer, le règne implacable de la nécessité. Echappé à la prison de Dieu, son premier souci sera de construire la prison de l’histoire et de la raison, achevant ainsi le camouflage et la consécration de ce nihilisme que Nietzsche avait prétendu vaincre (p108)
La poésie révoltée (fin XIXe-début XXe): elle oscille entre les deux pôle du « paraître » (se borne à la négation de ce qui est) et du « faire » (ne conteste rien de la réalité). Cite les exemples de Lautréamont (les Chants de Maldoror) qu’il compare au Rimbaud adolescent des Illuminations.
[Maldoror] est comme Rimbaud, celui qui souffre et qui s’est révolté; mais, reculant mystérieusement à dire qu’il se révolte contre ce qu’il est, il met en avant l’éternel alibi de l’insurgé: l’amour des hommes (p111)
Contradiction: se révolte pour les hommes mais ne voit pas leur bonté (« montre-moi un homme qui soit bon »). L’homme seul ne peut se déclarer innocent, il est donc condamné à se haïr. « On peut au moins déclarer que tous sont innocents, quoique traités en coupables. Dieu, alors, est criminel ».  Il s’agit alors de faire tomber Dieu (qui a « une face de vipère ») et de louer le rebelle Luciférien, le Maudit (sic), le dandy métaphysique, comme le nomme Camus.  (« faire souffrir et, ce faisant, souffrir, tel est le programme »).
Les surréalistes: Rimbaud a la révolte dans ses oeuvres, mais le nihilisme dans sa vie. « Il faut dire que le génie seul suppose une vertu, non le renoncement au génie ». Il préfère donc le suivre « chez ses héritiers », les Surréalistes.
Il trouve ses racines dans le mouvement dada, donc le renoncement à tout, l’humour et l’insoumission. (Jarry était lui-même un « dandy métaphysique »). Cependant, le surréalisme n’abandonne pas toute espérance, toute idée d’ordre (héritage de Rimbaud). Chemin « classique » de la révolte d’abord qui affirme l’innocence des Hommes mais finit par exalter le suicide comme une solution (Crével, Vaché, Rigaut, se donnent la mort). Il a aussi osé dire « que l’acte surréaliste le plus simple consistait à descendre dans la rue (…) et à tirer au hasard dans la foule ». Revendication de liberté absolue, triomphe de l’irrationnel, etc. La société apparait comme ce frein à la sensibilité, au désir (proches ici de Sade). Pour détruire la société, ils s’en remettent donc au marxisme (même si, Camus le note: « on sent bien que ce n’est pas l’étude du marxisme qui les as menés à la révolution », ouch). Au contraire, ils s’efforcent de concilier le marxisme avec leurs propres angoisses.
Mais ces frénétiques voulaient une « révolution quelconque », n’importe quoi qui les sortît du monde de boutiquiers et de compromis où ils étaient forcés de vivre (p125)
La vraie destruction du langage, que le surréalisme a souhaitée avec tant d’obstination, ne réside pas dans l’incohérence ou l’automatisme. Elle réside dans le mot d’ordre. (p125)
Ils prenaient la révolution non pas pour une fin que l’on réalise chaque jour, mais pour « un mythe consolateur ». La plupart, dont Breton, rompent d’ailleurs avec le marxisme.
André Breton voulait, en même temps, la révolution et l’amour, qui sont incompatibles. La révolution consiste à aimer un être qui n’existe pas encore (p126)
La révolte historique: « Dieu mort, restent les hommes, c’est à dire l’histoire qu’il faut comprendre et bâtir.
La révolte invite à soit à écrire l’histoire, soit à faire l’histoire. Unité dans le désordre par l’action révolutionnaire ou la création artistique. Dans tous les cas, Camus considère que le monde finira toujours par vaincre l’histoire – l’art, l’amour, la nature sont a-historiques. Ils font partie de cette ‘part de joie’ que l’histoire oublie. La révolte, posant une valeur, limite le pouvoir de l’histoire. « L’homme n’est pas entièrement coupable, il n’a pas commencé l’histoire; ni tout à fait innocent puisqu’il la continue »
La mort de Dieu: l’homme s’exclut de la grâce et vit par ses propres moyens. On a poussé les frontières du royaume de l’homme. Forteresse contre dieu. Sa liberté était simplement celle de bâtir la prison de ses crimes…Le seul royaume qui s’oppose à celui de la grâce, c’est celui de la liberté (tuer Dieu et bâtir une église: mouvement paradoxal de la révolte)
Tu as pris dans un but sublime, une route hideuse (Lorenzaccio), voici ce que l’on pourrait opposer aux révolutionnaires. Eux rétorqueraient, comme le Caligula de Camus: « Qui oserait me condamner dans ce monde sans juge, où personne n’est innocent? », mais, au moins, le tyran dépeint par Camus n’a pas d’idéologie pour supporter son pouvoir absolu. Il est désespéré, rien de plus, rien de moins.
Définition de la révolution:
(…) une révolution est une tentative pour modeler l’acte sur une idée, pour façonner le monde dans un cadre théorique. C’est pourquoi la révolte tue des hommes, alors que la révolution détruit à la fois des hommes et des principes (…) (p140)
Remonte un fil de la révolte à partir de Spartacus à la fin du monde antique (70 000 insurgés marchant contre l’empire romain) = n’apporte cependant aucun principe nouveau à la société romaine. Elle se déroule et se termine dans le sang.
Les régicides. A partir de 1793, on s’attaque plus seulement à la personne du Roi, mais à son principe. Cela s’explique à partir de la pensée Rousseauiste. Soumis au droit naturel, en prison, la grâce divine qui habitait la personne du Roi de France ne cesse pas d’exister. Si on nie Dieu, il faut tuer son principe, le Roi. Rousseau ne l’aurait pas voulu, souligne Camus, mais c’est bien sa pensée qui précipite les événements, tels qu’ils sont incarnés par Saint-Just. La volonté générale est l’expression de la raison universelle et le seul souverain. Si le souverain l’ordonne, alors il faut consentir à mourir (cela explique, souligne Camus, le silence de Saint-Just en route vers l’échafaud). p 154-171: analyse la pensée des révolutionnaires en rappelant qu’ils ne vont pas encore au bout de la pensée révoltée puisqu’ils érigent en guide transcendant, supérieur des abstractions, des principes éternels que la bourgeoisie dévoiera plus tard…
Les déicides: tout principe transcendant est tué; l’homme ne peut se référer qu’à l’histoire. Camus l’associe à la pensée allemande du XIXe (Hegel).
A la révolution jacobine qui essayait d’instituer la religion de la vertu, afin d’y fonder l’unité, succéderont les révolutions cyniques, qu’elles soient de droite ou de gauche, qui vont tenter de conquérir l’unité du monde pour fonder enfin la religion de l’homme (p171)
Continuent la pensée de la révolution en la débarrassant de ce qui a causé son échec, selon eux: principes jacobins abstraits. A la raison universelle, Hegel préfère un universel concret. La raison n’est plus supérieure aux événements, elle est « incorporée au fleuve » de l’histoire qu’elle « éclaire en même temps qu’ils lui donnent un corps ». En rationalisant l’irrationnel, en donnant un mouvement perpétuel et dynamique à la pensée, la pensée allemande la jette dans un devenir historique. Les valeurs ne sont plus des repères mais des buts; il n’y a donc plus de valeur supérieure pour guider les hommes vers ces nouveaux buts. En ce sens, parce qu’il est un philosophe de l’efficacité, Hegel est « napoléonien ».
De Hegel, en tout cas, les révolutionnaires du XXe siècle ont tiré l’arsenal qui a détruit définitivement les principes formels de la vertu. Ils en ont gardé la vision d’une histoire sans transcendance, résumée à une contestation perpétuelle et à la lutte des volontés de puissance (p176)
La transcendance est vue, en effet, comme un reste du souvenir de Dieu (c’est par elle que l’absolutisme justifiait son arbitraire).
Tout le monde est vertueux pour le Jacobin. Le mouvement qui part de Hegel, et qui triomphe aujourd’hui, suppose au contraire que personne ne l’est, mais que tout le monde le sera. Au commencement, tout est idylle selon Saint-Just, tout est tragédie seon Hegel. Mais à la fin, cela revient au même. Il faut détruire ceux qui détruisent l’idylle ou détruire pour créer l’idylle (p177)
NB: Camus note que la philosophie de Hegel peut être contradictoire et qu’elle ne se résume pas à l’histoire comme lutte des volontés de puissances (idée tirée de la dialectique du maitre et de l’esclave: le vainqueur a toujours raison), mais comme Nietzsche, sa pensée a été plus ou moins dévoyée.
p178-191: commentaire sur la Phénoménologie de l’Esprit.
Le terrorisme individuel russe: à partir des Décembristes de 1820 (Bielinski, Pissarev, Bakounine, Netchaïev) et des « meurtriers délicats », pour lesquels la compassion de Camus transparaît (Kaliayev). Influence de l’idéologie allemande du XIXe via la germanisation de la Russie.
Révolution élevée en valeur absolue pour Bakounine et Netchaïev (Le Catéchisme du révolutionnaire): l’insurgé révolutionnaire a tous les droits. Cynisme politique. Justifie même la violence faite aux compagnons de lutte. Cite les Possédés de Dostoïevki, qui relate la condamnation à mort d’un des membres du groupe de Netchaïev par ce dernier. Au départ, la pensée hégelienne invite au quiétisme social; il suffit de prendre conscience de la rationalité du monde contre l’arbitraire et le hasard. Exemple de Bielinski, qui est prêt à supporter la souffrance dès lors qu’elle ne concerne que lui. S’insurge face à l’injustice faite aux autres:
Si l’on ne peut accepter la souffrance des autres, quelque chose au monde n’est pas justifié et l’histoire (…) ne coïncide plus avec la raison. Mais il faut qu’elle soit tout entière raisonnable ou elle ne l’est pas du tout. (p197)
Vient ainsi la pensée suivante: « l’individu ne peut accepter l’histoire telle qu’elle va. Il doit détruire la réalité pour affirmer ce qu’il est ». Bakounine fut hégélien dans sa jeunesse mais le rejette ardemment pour se tourner vers la révolution. Pour lui, l’histoire n’est régie que par deux principes, « l’Etat et la révolution sociale », qui sont absolument irréconciliables. (« L’état, c’est le crime »). On retrouve les motifs du rebelle Luciférien contre l’autorité divine.
La lutte contre la création sera donc sans merci et sans morale, le seul salut est dans l’extermination (…) En effet pour [Bakounine] comme pour tous les opprimés, la révolution est la fête, au sens sacré du mot. (p204)
Les meurtriers délicats: terrorisme russe inauguré en 1878 par le meurtre du général Trepov par Vera Zassoulitch. Culmine en 1905 par le meurtre du grand-duc Serge par Kaliayev. Camus analyse leurs motifs avec un certain respect – ces « martyrs » ont suivi leurs convictions, mais prouvent que la révolte est aussi créatrice de valeurs (amours qu’ils se portaient les uns les autres, refus de la négation et de la solitude). Kaliayev s’élève par delà le nihilisme: refus de jeter sa bombe lorsque le grand-duc est accompagné d’enfants. Affronte la mort pour son crime avec dignité.
Ces martyrs ont, selon Camus, été l’alibi des « prêtres et des bigots » de la révolution qui, eux, refuseront de sacrifier leur vie. « Ils consentiront au risque de la mort, mais accepteront aussi de se garder le plus possible pour la révolution et son service. Ils accepteront donc (…) la culpabilité totale ».
Le consentement à l’humiliation, telle est la vraie caractéristique des révolutionnaires du XXe siècle, qui placent la révolution et l’église des hommes au dessus deux-mêmes. Kaliayev prouve au contraire que la révolution, moyen nécessaire, n’est pas une fin suffisante. Du même coup, il élève l’homme au lieu de l’abaisser. (p221)
Le terrorisme d’état: la terreur irrationnelle
Exercée par les partis fascistes lorsqu’ils atteignent le pouvoir (surtout le nazisme dont il est question). La nature pour eux est le lieu de l’affrontement des epères, l’histoire celui de l’affrontement des races. C’est un mouvement perpétuel de conquête qu’incarne le nazisme: la culpabilité devient universelle (les victimes deviennent bourreaux dans les camps et le parti implique toutes les sphères de la société dans sa folie meurtrière, personne n’y échappe). Idée du suicide collectif.
Le terrorisme d’état: la terreur rationnelle.
Camus s’étend beaucoup plus, compte tenu de la force, en 1950, des idées communistes. Analyse de la pensée de Marx: nourrie du messianisme de la chrétienté, croyance au progrès typique de la bourgeoisie de la fin du XIXe mais est également révolutionnaire. L’histoire repose sur le le développement des moyens de production qui conditionnent ls institutions et l’existence des classes. L’évolution de ces moyens de production peut donc modifier la superstructure et le rapport des classes; un nouveau paradigme, en somme. Mais Marx se trompait en imaginant que le capitaliste créait un prolétariat de plus en plus nombreux, soumis à des capitalistes de moins en moins nombreux, le mouvement inverse s’est produit.
L’art et la révolte.
L’analyse de Camus semble aboutir à une disqualification de la révolte: trop vertueuse, elle tue, trop cynique, elle tue aussi. Comment définir une ligne de conduite universelle et pérenne dans la révolte? Est-ce seulement possible?
Dans l’art se retrouve le oui et le non de la révolte. Le consentement au monde et à sa beauté; le refus des injustices. L’artiste se dresse, rival du créateur, et stylise le réel. Il le dépeint comme une unité, il donne sa cohérence au chaos (il fait la synthèse de l’hétérogène, dirait Ricoeur). Il fabrique « un univers de remplacement », d’où la méfiance des révolutionnaires idéalistes à son égard. Meilleur exemple selon Camus: le roman.
Mesure et démesure
Maurice WEYEMEBERGH, dans le Dictionnaire Albert Camus: « Camus rappelle que nous vivons au temps des meurtriers, ce qui met le « nous sommes » qui résulte de la révolte en question: la communauté n’existe que si personne n’en est exclu. Qu’il faille tuer pour la réaliser, en supposant que « nous serons » un jour, explique la tristesse de Kaliayev et de Saint-Just. »
Une révolte camusienne doit se faire dans la reconnaissance mutuelle d’êtres qui partagent une condition similaire. Elle invite donc au dialogue (il donne une place très importante au langage, à la communication. Cf. Le Malentendu) et in fine, permet la complicité des Hommes. La révolte ne peut en aucun cas revendiquer la liberté totale – sa liberté connait une limite, celle du pouvoir de révolte inhérent aux Hommes. Elle est, en fait, sa propre limite. Il ne s’agit pas, contrairement à ce que les disciples d’Hegel ont cru, de revendiquer la place du maître (qui veut être roi?) mais d’assurer la liberté respectueuse de tous.
Le problème avec la révolte prise dans l’histoire: elle ne reconnait pas de principe supérieur et se fixe donc des moyens par rapport au moment présent. Les révoltés devenus cynique sont ceux qui ont oublié leurs origines. Si Camus a un certain respect pour Kaliayev, par exemple, c’est pour son refus de la liberté de tuer. Il ne refuse pas de tuer, il s’oppose à l’autodivinisation de son être à laquelle tendent les idéologies totalitaires.
Si la loi devient crime, elle punit la vertu cette arrogante qui « discute la loi » (Juge Casado, L’état de siège). Pour Camus, le droit est une limite au même titre que l’éthique, à la force. Il n’y a pas de justice sans un droit naturel ou civil qui le fonde. Si l’on veut que la justice apparaisse, il faut exprimer ce droit. (figure de Dora dans les Justes). l’institution judiciaire, en simple rouage de l’état, est utilisée contre le plus faible, l’homme seul, et universalise la culpabilité des hommes. (Faut-il rappeler qu’il était viscéralement opposé à la peine de mort, meurtre légal?  Olivier Todd dénombre 150 interventions en faveur de nationalistes Algériens – la vie des hommes est au dessus des querelles d’idées.)
La Peste, les Justes, l’Etat de Siège, puis l’Homme Révolté : ces ouvrages définissent la révolte, qui nait spontanément lorsque l’humain est nié, opprimé. Elle s’élève par exemple contre la tyrannie et la servitude. Pas un principe abstrait. C’est l’action nécessairement limitée d’un individu (cf. la Résistance : tissu de petites actions individuelles). La seule « valeur médiatrice » permettant de dépasser provisoirement l’absurde.
La pensée de Midi
Ce qui piqua Sartre fut certainement cette limite éthique que Camus ‘inflige’ à la liberté – mais n’est-ce pas elle qui précisément permet à la liberté de ne pas se mettre au service de la servitude la plus aliénante?
Qu’est-ce que cette pensée ‘solaire’ tant exaltée? Elle s’oppose à la pensée de minuit, celle de l’idéalisme Allemand. La pensée de midi est celle que chantaient les Antiques, celle des grecs, celle de la Méditerranée. Ce n’est pas, jamais, un renoncement. Camus rejette l’attentisme et le dilettantisme (cf. son indignation face à l’abandon des espagnols au franquisme…) que la négation des valeurs. Il n’aimait pas parler d’engagement de l’intellectuel, lui préférait un terme plus modeste: « l’embarquement ». Car l’intellectuel doit rester modeste, alerte, mais révolté? toujours.
Il y a liberté pour l’homme sans dieu, tel que l’imaginait Nietzsche, c’est-à-dire solitaire. Il y a liberté à midi quand la roue du monde s’arrêt et que l’homme dit oui à ce qui est. Mais ce qui est devient. Il faut dire oui au devenir. »
Le révolté fait d’abord l’expérience de l’obscurité (le temps du « non » de la révolte, solitaire). Puis son mouvement le mène à découvrir les raisons de cette révolte, les valeurs qui le poussent à se retourner contre la servitude, à ouvrir les yeux, enfin. C’est l’affirmation, le « oui » de la révolte, la réalisation que l’on vit là une expérience commune à d’autres Hommes.
Au bout de ces ténèbres, une lumière pourtant est inévitable que nous devinons déjà et dont nous avons seulement à lutter pour qu’elle soit. Par-delà le nihilisme, nous tous, parmi les ruines, préparons une renaissance. Mais peu le savent.
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