#ruby-ayano | Explore Tumblr posts and blogs

keilareine98 · 2 months ago

Text

Une douceur pour l'avenir... (un peu long j'avoue mais je me suis emballée ! 8k nombres de mots)

«Ce ne sont pas les gens qui choisissent ce que deviendront leurs vies… c’est la vie qui choisit ce que deviendront les gens… c’est ainsi qu’est fait le monde… c’est ainsi qu’il était dans le passé… et c’est ainsi qu’il sera après notre disparition. La philosophie n’est véritablement le domaine de personne, juste quelques rares humains qui mettent leurs éclairs de sagesse aux services du plus grand monde. En fait, moi, c’est Keila Renoiji et l’histoire que je vais vous raconter s’est déroulée durant la floraison de mon dix-septième printemps, quoique mon anniversaire soit en automne. Bref. Je venais d’entrer en terminale au lycée. »

J’avançai dans les couloirs de mon lycée, le nez dans un livre, mes yeux rubis parcourant chaque phrase derrière mes lunettes à montures noires. Mes très longs cheveux mauves flottèrent au vent qui s’engouffra dans les couloirs par les larges fenêtres ouvertes. Tout témoignait de l’éveil du printemps. Tout en témoignait avec cette sincérité des jeunes pousses en floraison. Les lignes de mon roman ne me captivaient qu’à moitié, me laissant errer dans mes pensées à loisir.

— On dit souvent que le lycée est la période de la vie dont il faut le plus profiter pour éviter les regrets… je n’ai pas spécialement de regrets de mes années de lycée, sinon que j’aurais peut-être voulu… apprendre plus… étendre mes horizons vers une autre direction.

Quelqu’un me fit une petite tape dans le dos tandis que je continuai de marcher dans les couloirs.

— Salut ! Me lança une de mes meilleures amies, une rousse énergique, Ayanomiya, mais elle préfère Ayano à cause de la signification de son prénom.

Avec sa chevelure rouge flamboyante et ses yeux vert pomme, Ayano était énergique et courageuse. Elle ne se laissait pas faire par les gens qui se moquaient de son prénom et notre pro des maths ne manquait jamais de faire remarquer que son prénom était noble et royal. Elle m’avait toujours impressionnée.

— Salut Ayano, ça va ? Lui demandai-je en souriant amicalement.

— Oui, très bien. Et Rei ? Tu l’as vu ? Répondit Ayano avec son habituelle énergie.

— Non, j’imagine qu’elle est venue super tôt à l’affichage des classes, comme toujours !

— C’est dingue qu’on soit encore toutes les trois dans la même classe !

— Oui, c’est une sacrée chance !

Nous arrivâmes à notre classe, la terminale 2, le théâtre de notre dernière année. En entrant, nous trouvâmes déjà plusieurs élèves et, à une table à l’avant, une fille nous fit signe. Elle avait des cheveux courts et blonds avec des yeux jaunes. Elle était très mignonne dans l’ensemble, beaucoup de gens qui ne la connaissaient pas la prenaient pour une gamine dans la rue. C’était Reika, ma deuxième et dernière amie. Nous lui fîmes signe à notre tour et nous approchâmes d’elle. On se fit un câlin de groupe comme à chaque rentrée.

— Prêtes à faire des étincelles ? Nous demanda Reika toute excitée.

— Prêtes ! Nous répondîmes ensemble avec Ayano.

Nous nous assîmes sur les trois tables à l’avant. À son tour, Reika était très mignonne, ce qui attirait pas mal de regard sur elle, mais pas forcément des bienveillants. C’est pourquoi, par jalousie, la plupart des filles de l’école l’avaient surnommée « Moins que zéro », la signification hélas exacte de son prénom. En général c’était Ayano qui défendait notre pro des sciences dans ces situations.

— Au milieu de ça, je suis l’invisible, même dans notre trio que les gens considèrent comme le trio des intellos de l’école. Je suis celle qui n’est pas très intéressante, qui ne parle pas tant que ça et qui n’a rien de spécial si ce n’est sa couleur de cheveux. Pourtantje jure que ce n’est pas une coloration. Je ne suis que la fille qui passe un stylo vite fait en cours, mais ensuite les interactions s’arrêtent là.

Le premier professeur entra, forçant tout le monde à aller s’asseoir.Il se tourna vers le tableau où il écrivit : « Monsieur Yuta Yamamoto » puis il nous regarda à nouveau. Son crâne dégarni, ses petits yeux derrière ses lunettes, son air sévère, son dos recourbé, son expression renfrognée et j’aurais continué cette liste longtemps, tout semblait crier cette évidence : « Nous ne nous entendrions jamais ».

— Pour les lycéens, le jugement du premier regard est toujours censé être le bon. La plupart des élèves présents ici l’ont catégorisé comme un PAP, prof à problème. Et ceux qui ne vont pas immédiatement le faire suer sang et eau attendront qu’il leur cherche des problèmes pour s’énerver.

Par mesure de sécurité, je rangeai mon livre dans mon sac.

— Je suis rarement la première qu’on remarque dans une classe, mais on n’est jamais trop prudent. Au lycée, généralement, tout le monde est catégorisé. Les intellos, les starlettes, les sportifs, les populaires, les invisibles, tout le monde a un rôle dont il est pratiquement impossible de se défaire. Un exemple simple… moi… je suis dans un trio d’intello, mais même les autres existent plus que moi… elles pèsent dans cette hiérarchie et des gens reconnaissent leurs existences… mais moi… je n’ai pas d’importance… je suis transparente comme une vitre et invisible comme un espoir, celui de changer un jour… je regrette mes années de lycée… car j’aurais voulu apprendre à marquer ma présence auprès des autres durant mon adolescence… malheureusement… je suis restée… un pauvre petit fantôme…

Je levai les yeux vers le tableau. Je n’avais pas écouté un traître mot du discours du prof, du cours qu’il donnait ou de quoi que ce soit. Juste, je devinai qu’il était professeur de math en levant les yeux vers ce qu’il écrivait avec acharnement. Les mots sortirent de ma bouche par souci scientifique avant tout, sans que je ne les contrôle.

— Vous vous êtes trompé. Dis-je.

Le silence qui régnait déjà dans la pièce changea de nature pour devenir un silence gêné, un peu comme quand on veut comprendre une blague avant de rigoler. Le prof se tourna vers la classe, l’air en colère. Il déposa sa craie.

— Qui a dit ça ? Demanda-t-il avec colère.

C’est là que je réalisai ce que je venais de faire. Je n’avais pas pour but de l’humilier, mais au vu du personnage, il n’en aurait sûrement rien à faire.

— Que le coupable se dénonce ou je punis toute la classe.

À ces mots, je me levai immédiatement et m’inclinai.

— C’est moi, je suis désolée, je n’y avais pas pensé. M’empressai-je de dire.

— Tu n’y avais pas pensé hein ? Et j’imagine que tu ne penseras pas non plus les deux heures de colle que je viens de te mettre, voilà ! Déclara le professeur en arrachant une feuille de son carnet et en y inscrivant ma colle avant de ma la tendre.

— Mais… voulus-je dire.

Mais ma poitrine se comprima sur mon cœur, créant une douleur qu m’empêcha de parler. Tout le monde me regardait. C’était bien là mon problème. Comment changer et montrer aux autres ma personnalité quand des yeux posés sur moi me terrifie au point de m’empêcher de parler ?… ce n’est pas possible… je pris mon papier de colle auprès du prof et retournai m’asseoir.

— Et voilà… au final, on dira de moi, « la pauvre » ou « pas de chance » avant de m’oublier à nouveau… je ne serai donc… jamais rien ? Pourquoi est-ce que je suis aussi… plate, creuse et ennuyeuse ?

Pendant que je ruminai mes pensées sombres, la porte s’ouvrit et quelqu’un entra. C’était un garçon, il était très grand. Il avait les cheveux argentés et ses yeux d’un bleu de cristal brillait derrière ses lunettes de soleil.

— Coucou ! Lança-t-il gaiement comme s’il n’arrivait pas trente minutes après le début des cours.

— Eh bien, jeune homme, c’est maintenant qu’on arrive en cours ? Vous n’avez pas l’heure ?! Tonna le professeur tandis que le garçon saluait avec un tchek tous les élèves de la pièce (à quelques exceptions près dont moi, bien sûr).

— Si, j’ai l’heure, je te rassure, j’avais juste aucune envie de venir, mais bon. Répondit avec un sourire suffisant le garçon.

— Comment oses-tu ?! Tu t’adresses à un professeur en le tutoyant ! S’étouffa le professeur.

— Je pourrai dire vous mais ça augmenterait même pas ta valeur de moitié ! Rigola le garçon.

— Espèce de petit insolent ! Je vais t’apprendre, moi ? Tu es collé ! Voilà !

— Ouh, j’ai peur ! Ironisa le garçon en agitant le papier de colle en l’air.

Toute la classe rit et le professeur devint littéralement rouge de colère. Il récupéra ses affaires sur la table et s’en alla. Le garçon aux cheveux argentés se tourna vers la classe et dit.

— Heure libre grâce à moi, ne dîtes pas merci !

Tous les autres applaudirent pendant qu’il allait s’asseoir au fond.

— T’assures, mec !

— Oui, il assure, en effet… depuis trois ans qu’il y est, personne n’étudie dans cette école en ignorant qui est Satoru Gojo… c’est un garçon spécial… il ne répond à aucune classe pré-crée dans la hiérarchie… c’est un garçon qui explose les compteurs de retards, d’absences, de dérangements, de bagarres sans compter l’insubordination, les activités interdites dans l’enceinte de l’école, les cours séchés et qu’en sais-je encore… un tel élève aurait déjà été renvoyé… s’il ne s’agissait pas justement de Satoru Gojo. Parce que de la même manière qu’il est inscrit à tous les tableaux de la délinquance sous toutes ses formes, il est également le meilleur élève que la ville n’ait jamais enregistré. Il coiffe au poteau tous les « intellos » qui passent leur vie dans les bouquins, tous les « génies » qui ont bossé toutes leurs vies pour leurs résultats quand son talent à lui semble lui être inné… à vrai dire… je suis tout à fait jalouse de lui… dès qu’il est entré, la pièce s’est remplie de sa présence… il a tout envahi en deux secondes. Il se grave dans les mémoires des gens de manière indélébile sans même avoir besoin de le faire exprès… il est tout simplement la lumière pendant que je me noie dans les ténèbres que je suis… je déteste l’avouer… mais je suis vraiment jalouse de lui…

— Keila ? Ça va ?

Je regardai Reika. Elle me sourit et je lui rendis son sourire.

— Oui, ça va. C’est la première fois que je me fais coller, je ne m’attendais pas à commencer sur de si mauvaises bases avec le prof principal. Lui dis-je. Heureusement, il y a Reika et Ayano… les seules personnes pour qui je suis vraiment quelqu’un… j’aurais voulu étendre ce sentiment à plus de gens… mais je suis déjà contente de les avoir…

— Le prof n’était pas de bonne humeur, c’est la rentrée et ils craignent toujours de tomber sur la pire génération de terminale qu’ils connaîtront. Ne perds pas espoir, pro Latin-philosophie !

Je ris un peu.

— Compris pro Science ! Dis-je.

Je sentis quelque chose rebondir sur ma tête. Ça atterrit sur le sol devant moi. C’était une gomme. Je la ramassai.

— Hé ! Premier banc ! Tu me la rends ? Me cria le garçon assit derrière moi.

Je me redressai et la lui donnai sans dire un mot et sans changer d’expression. L’idée même de le regarder me terrifiait.

— Merci. Me dit le garçon et il s’apprêtait à retourner à sa conversation avec Satoru Gojo quand deux mains l’agrippèrent par le col.

— Son nom c’est pas « premier banc » ! cria Ayano en le secouant.

— Ayano ! Criai-je presque d’effroi.

— Ça va pas ! T’es folle ?! S’écria le garçon. Lâche-moi !

— Excuse-toi ! Son nom, c’est pas premier banc ! Répéta Ayano.

Reika cacha son visage dans ses mains. Je me levai et me mis entre Ayano et le garçon. Je n’avais pas bien calculé mon moment, car je me mis là au moment où Ayano allait envoyer son poing dans la figure du gars et probablement, le gars allait envoyer un coup quelconque à Ayano. Je pris les deux sur moi, celui du garçon dans le dos et la gifle d’Ayano sur la joue droite. Tous deux s’écartèrent en voyant que j’étais apparue de nulle part et que j’avais pris leurs coups.

— Keila ! Cria Ayano.

Reika releva la tête. Un grand silence se fit dans la salle. Je relevai la tête vers Ayano en souriant.

— Merci… puis je lui chuchotai à l’oreille. C’est pas grave, tant que toi tu te souviens de mon prénom, ça me va.

Je lui souris encore plus. Elle baissa les yeux, comme honteuse. Je me tournai vers le garçon et m’inclinai.

— Pardon, je suis désolée. Dis-je.

— Euh… non… t’as rien fait de mal… toi, ça va ? Hésita le garçon, visiblement gêné.

— Oui, j’ai la peau plutôt dure. Mentis-je tout en sachant que ma joue droite était d’un rouge sanglant sur ma peau pâle.

Je souris au garçon qui sourit à son tour.

— T’es gonflé de lui demander comment elle va alors que tu connais pas son prénom… maugréa Ayano.

— Tu veux répéter ça, espèce de malade mentale ?! S’énerva à nouveau le garçon.

— T’as très bien entendu ! Rétorqua Ayano.

— T’es qu’une peste avec un nom chelou !

— Et toi un sale fils de… commença Ayano.

— On peut savoir ce qui se passe ici ?! Tonna une voix à la porte.

Tout le monde regarda le proviseur. Le professeur avait dû aller se plaindre dans son bureau. Zut ! Ayano et l’autre garçon parurent gênés, sachant qu’ils étaient le problème.

— C’est… commença Ayano.

— C’est de ma faute ! M’empressai-je de dire.

Les deux bagarreurs me regardèrent, comme toute la classe.

— Mademoiselle, qu’avez-vous à la joue enfin ? S’inquiéta le proviseur.

— Justement, je suis tombée et mes camarades m’ont aidé à me relever, ça ne va pas plus loin. Je suis désolée de m’être déplacée en classe en l’absence d’un professeur et d’avoir crée ce désordre. Veuillez m’excuser ! Dis-je en m’inclinant à nouveau. Ce n’est pas grave si je ne suis pas la coupable… l’important c’est que ça se passe… sans que les autres ne soient punis.

— Il est effectivement interdit de se déplacer en classe sans autorisation, une petite heure de colle en plus de votre blessure devrait vous remettre sur les rails ! Dit le directeur.

— Non… voulut dire Ayano.

Je le regardai avec un regard mi-entendu, mi-suppliant.

— Merci… mais ça ira… Oui, monsieur. Toutes mes excuses encore.

Je pris ma nouvelle note de colle.

— Allez à l’infirmerie pour cette blessure.

— C’est pas nécessaire, ça ne fait même pas mal.

Je souris, mais cette simple expression déclencha la douleur qui me fit tiquer.

— Je l’accompagne. Fit une voix derrière moi.

Je n’osai pas me retourner. Et surtout, ce n’était même pas nécessaire pour reconnaître cette voix. C’était Satoru Gojo, notre délégué depuis la seconde.

— Vous êtes encore délégué, Gojo ?

— C’est le premier jour, on a pas encore fait d’élection, je ne prends le rôle que par intérim en attendant.

— Très bien, allez-y.

— Ils ont gentillement ignoré quand je leur disais que ça va, mais après tout c’est normal… ma parole n’a aucun poids quand elle va en contradiction avec les mots du grand Satoru Gojo… je déteste vraiment la jalousie, c’est un sentiment désagréable.

Je passais donc la porte et me dirigeai machinalement vers l’infirmerie. Une fois là-bas, l’infirmière n’était pas là. Je prie les chiffons et l’alcool dans un tiroir du haut.

— Tu veux que j’aille la chercher ? Demanda Satoru Gojo.

Je sursautai en poussant un petit cri. J’avais cru qu’il avait prétendu m’accompagner pour sécher. Je le croyais parti.

— Quoi ? Questionna-t-il en levant un sourcil.

— Hum… non… rien. Je… non, rien.

— Donc ?

— Hum ?

— L’infirmière, je vais la chercher ou pas ?

— Oh, non, inutile. C’est qu’une rougeur…

J’étais même incapable de sourire. Je ne quittai pas le sol des yeux, ce n’est pas comme si j’aurai pu le regarder. Je me tournai vers le miroir. La rougeur avait l’air d’une lampe brillante rouge sur ma joue normalement si pâle. Deux doigts s’enroulèrent sur mon menton et me firent lever la tête. Bleu. Tout ce que je rencontrai, c’était du bleu. Un bleu ciel si brillant, comme si ses yeux contenaient l’infini.

— Pour une simple rougeur, ça a quand même un peu déchiré ta peau. Examina-t-il.

Ma respiration s’arrêta et mon cœur se serra très fort. Je fermai les yeux et reculai jusqu’à tomber sur le lit derrière moi de dos. Je me remis à respirer, mais très vite et en tremblant.

— Voilà… l’effet que produit le regard des autres sur moi… pourquoi je suis comme ça ? Pourquoi je ne peux pas être comme lui ?

Deux mains saisirent mes poignets. Je me repliai sur moi-même.

— Hé… lève-toi. Dit Gojo.

Ce n’était pas un ordre, mais ce n’était pas une question ou un choix non plus. J’ouvris les yeux légèrement. Il me regarda fixement. Je voulus me défiler, mais il mit ses mains sur mes deux joues.

— Regarde… je ne te ferai rien… alors regarde-moi.

Ma respiration se calma pratiquement toute seule tandis que sans même m’en rendre compte, je fixai ses yeux bleu ciel. Il sourit.

— Tu as de jolis yeux. Commenta-t-il.

Je rougis, mais sur ma joue droite, ça ne devait pas faire une grande différence.

— Est-ce que je te fais peur ?

Je secouai la tête.

— Ce n’est pas moi spécialement ?

Je secouai encore la tête.

— Ça te fait peur que les autres te regardent ?

— Un peu… reconnus-je.

— Pourquoi est-ce que tu t’es rejetée toute la faute tout à l’heure en classe ? Dit-il en prenant le chiffon et l’alcool et en s’occupant de ma blessure.

Je grimaçai légèrement au contact piquant de l’alcool.

— … c’est plus simple comme ça, non ? S’il y avait toujours quelqu’un de sacrifiable dans toutes les situations… les problèmes seraient résolus plus vite, c’est mathématique.

— Et tu trouves ça juste ?

— Peut-être pas juste… mais au moins logique.

— Et ça te convient que ce soit toi, cette personne sacrifiable ?

— … je préfère que ce soit moi plutôt que quelqu’un d’autre.

— Tu…

La porte s’ouvrit à ce moment-là, laissant entrer l’infirmière. Elle s’étonna de notre présence.

— Tiens, ça c’est original. Tu frappes les filles, maintenant, Satoru ? Taquina-t-elle.

— Moi ? Enfin, vous y pensez, mademoiselle ? Dit-il théâtralement, reprenant son attrait marrant détaché de tous les jours. Je vous la laisse, je vais y aller ! Ciao !

— Oui, en cours par pitié, ne va pas te balader ! Lui cria l’infirmière. Sale gosse va !

— Je promets rien ! Cria-t-il en retour.

— Je n’avais même pas réalisé qu’il n’était pas comme d’habitude quand il me parlait… il n’était pas aussi détaché que les autres fois… enfin, cette conversation n’a sûrement eu aucune importance pour lui… il a même certainement oublié mon visage dès qu’il est sorti d’ici… comme tous les autres…

Les cours finis, je me rendis en salle de colle après avoir dit au revoir à Ayano et Reika. Je n’allai pas les forcer à m’attendre trois heures non plus. Je traçais des lignes sans but sur mon cahier. Le silence de la salle était pesant, seulement troublé par le cliquetis lointain d’une horloge ou le froissement d’une page tournée. Je sentais sa présence à quelques mètres, palpable, écrasante, même sans qu’il dise un mot. Il n’était pas censé être là, dans ma tête. J’avais complètement oublié le moment où il s’était fait coller en classe… mais maintenant il était là, seul autre élève avec moi. Je priai tous mes ancêtres pour qu’il ne dise rien, mais évidemment, il finit par ouvrir la bouche.

— Franchement… ça doit être fatiguant, non ?

Je relevai à peine la tête, sans répondre. Peut-être qu’il ne me parlait pas à moi. Peut-être qu’il parlait tout seul. Mais il continua :

— Passer sa vie à faire comme si t’étais pas là. À t’effacer. Ça doit en demander de l’énergie, non ?

Je me figeai, tentant de me concentrer sur mon stylo. Ne pas relever. Ne pas entrer dans son jeu.

— J’me demande si tu fais pareil chez toi. Genre, tu t’excuses de respirer, ou t’attends qu’on te donne la permission pour exister ?

Mon estomac se serra. Il souriait sûrement en disant ça. Pour lui, c’était qu’une remarque comme une autre, rien de grave. Mais moi, je sentais la brûlure monter. Pourquoi il disait des choses aussi précises ? Comme s’il avait vu à travers moi. Je me mordis la lèvre, mais il ne s’arrêtait pas.

— Tu sais, au bout d’un moment, les gens qui s’effacent tout le temps, c’est pas qu’on les déteste… c’est juste qu’on oublie qu’ils existent. Et ça… je sais pas, ça doit faire encore plus mal, non ? C’est pas pour te vexer, mais tu fais vraiment pitié en fait.

Je clignai des yeux rapidement. Non. Il ne fallait pas. Ce n’était pas grave. Je pouvais encaisser, comme toujours. Mais c’était trop tard. Je sentis la chaleur au coin de mes yeux, la gorge serrée. Mes doigts tremblaient légèrement sur le papier. C’était idiot. Ridicule. Pleurer pour si peu.

— Hé… attends… tu…

Je tournai la tête à moitié, juste assez pour qu’il voie les larmes rouler malgré moi. Un silence flottant. Puis, sa voix, plus basse, hésitante :

— Je voulais pas te faire pleurer… désolé.

Je secouai vite la tête, essuyant mes yeux du bout des doigts.

— C’est rien… murmurai-je en souriant. C’est moi. Désolée.

Pourquoi est-ce que je m’excusais ? Pourquoi, encore une fois, je faisais comme si j’étais en tort ? Je plongeai le nez dans mon cahier, tentant désespérément de reprendre contenance. Il ne parlait plus, mais je sentais son regard sur moi, lourd, insistant.

— T’es la seule personne que je connais qui s’excuse pour pleurer.

Je voulus disparaître. Fondre sous terre. Je n’avais jamais été aussi exposée, aussi mise à nu. Je me raccrochai à la seule chose que je savais faire : dévier, minimiser, détourner.

— C’est pas grave, soufflai-je. T’es pas obligé… tu devrais pas te forcer à t’intéresser à moi.

Je fixai mon cahier sans oser le regarder. Mais il répondit, sans flancher :

— Je me force pas.

Un silence.

— Mais toi, t’es en train de me faire croire que ça t’embêterait qu’on s’intéresse à toi. Alors quoi ? Ça t’irait mieux qu’on continue de faire comme si t’existais pas ?

Je ne savais plus comment respirer. Je pensais à mille choses à la fois. À ses mots, au poids sur ma poitrine, au nœud dans ma gorge. Tout ce que je voulais, c’était qu’il détourne le regard, qu’il arrête. Mais il ne le faisait pas. Alors, sans réfléchir, sans pouvoir contrôler ce que je disais, je laissai échapper, presque inaudible :

— …c’est normal. J’ai pas eu la bonne éducation pour penser autrement.

Je voulus mordre ma langue aussitôt. Peut-être qu'il ne l’avait pas entendu. Peut-être qu’il laisserait passer. Mais il répéta, sa voix étrangement calme, étrangement grave :

— Ne dis pas que c’est normal, ça ne l’est pas.

Je serrai les poings sous la table. Il avait entendu. Évidemment qu’il avait entendu.

— Tu crois que t’es censée tout encaisser. Que c’est ton rôle de rien demander, rien attendre, juste te faire toute petite. En fait t’as le droit de vouloir passer inaperçue, si c’est vraiment ce que tu veux. Il marqua une pause. — Mais si tu le veux même pas… alors ça n’a aucun sens.

Je restai figée, incapable de répondre. Personne ne m’avait jamais parlé comme ça, pas même Ayano, ou Reika. Personne n’avait jamais compris, jamais mis des mots aussi justes. Un espoir étrange, terrifiant, dangereux, naquit en moi. Comme si, peut-être, il voyait à travers tout ce que j’avais toujours caché. Je voulais dire quelque chose. Lui dire merci. Ou protester. Ou simplement…

— Je…

— Silence, vous deux ! trancha le surveillant du fond de la classe. Ce n’est pas un salon de thé ici !

Je baissai aussitôt les yeux, le cœur battant à tout rompre. La voix mourut dans ma gorge. Évidemment. J’avais osé espérer. Quelle idiotie. Pourquoi est-ce que je croyais, ne serait-ce qu’une seconde, que Satoru Gojo pouvait vraiment s’intéresser à moi ?

— Okay ! On se tait, c’est bon ! Faudrait vous décoincer un peu.

— Silence, Gojo ! Soupira le surveillant.

— J’aurais voulu pouvoir répondre, moi aussi… mais rien ne me permettra jamais de me rapprocher de lui… il est juste… trop lumineux pour moi…

Le lendemain était le jour où il fallait élire le délégué de classe. Enfin, élire, il fallait plutôt regarder Gojo se faire élire et ce, peu importe qui se présentait contre lui. C’est un accomplissement dont je n’irai jamais tenter la prétention pour ma part. C’est bien trop stressant pour moi. Nous étions donc en classe avec notre professeur principal, le prof de math (que les élèves avaient déjà surnommé Pastèque à cause du crâne chauve) en train de regarder Satoru Gojo écrire son propre nom au tableau sous l’insigne de « délégué » comme les deux années précédentes. Il inscrivit également les insignes « suppléant » et « responsables évènementiels ».

— Bon. Comme tous les ans, il me faut un assistant et trois responsables évènementiels. Des volontaires ? Demanda Gojo avec son habituelle désinvolture.

Tout le monde détourna le regard.

— Ouais, c’est bien ce que je pensais. Dans ce cas je vais les choisir moi-même. Rinka ?

Une grande blonde toute maquillée aux yeux roses au fond de la classe se leva à l’entente de son nom.

— Première responsable évènementielle. Ensuite, Akio ?

Un autre grand gars brun avec les yeux noirs, capitaine de l’équipe de baseball, répondit à ce nom. Jusque-là, rien d’étonnant. Ces deux-là avaient toujours été responsables évènementiels avec Gojo comme délégué.

— Suguru ! Toi aussi !

Le grand brun avec une queue de cheval se plaignit à l’appel de son nom.

— Tu peux pas m’oublier pour une fois ?

— Tu croyais pas pouvoir m’abandonner, si ?

— C’est bizarre, son meilleur ami, Suguru Geto est toujours son suppléant, qu’est-ce qui lui a pris ? Pensai-je.

— Et comme suppléant… Keila ?

Mon sang se gela. Mon cerveau repassa les trois dernières secondes en boucle dans ma tête, car il ne pouvait s’agir que d’une erreur, une illusion auditive, n’importe quoi de très loin de la réalité. Un silence pesant s’abattit sur la salle. Je sentis plusieurs regards se tourner dans ma direction, mais j’étais incapable de les affronter. Mes oreilles bourdonnaient, mon cœur cognait à m’en faire mal. Non, je devais avoir mal entendu. Ce n’était pas possible. Pas moi. Je gardai les yeux rivés sur mon bureau, priant qu’il passe à quelqu’un d’autre, qu’il dise que c’était une blague. Mais il n’en fit rien.

— Allez, Keila, t’as pas entendu ? Le devoir t’appelle. Lança Gojo, comme si tout cela était naturel, comme s’il ne venait pas de prononcer mon prénom devant toute la classe sans aucune hésitation.

Je levai lentement les yeux. Il souriait. Comme si tout ça n’était qu’un jeu, un détail. Mais je sentais mon souffle se couper alors que je me demandais même comment il avait retenu mon prénom. Je jetai un regard furtif vers Ayano et Reika. Reika paraissait stupéfaite. Ayano fronçait les sourcils, visiblement méfiante. Je voulais dire non. Trouver un prétexte. M’effacer. Mais je sentais déjà que ça ne servirait à rien. Machinalement, mes jambes se levèrent d’elles-mêmes, comme si elles ne m’appartenaient plus. Sous les murmures étouffés des autres, je marchai jusqu’à l’estrade, le cœur battant à tout rompre, les mains moites. J’avais l’impression qu’il faisait trop chaud, trop froid, que l’air me manquait. Je me plaçai à côté de Gojo, incapable de croiser son regard. Chaque fibre de mon être me hurlait de redescendre immédiatement, de fuir cet endroit, de disparaître. Mes doigts tremblaient. Je savais qu’à tout moment, je pouvais céder.

— Voilà, fit-il d’un ton satisfait. Ça, c’est fait. Vous pouvez dire bonjour à votre nouvelle assistante déléguée, et même déléguée en général vu mon carnet de présence.

La classe rit à la blague, sauf Ayano, Reika et moi, évidemment. Je fis un pas en arrière, prête à redescendre. Mais avant que je ne puisse bouger davantage, une main attrapa mon poignet fermement. Je sursautai. Mon regard croisa le sien. Il ne souriait plus. Je voulus dégager ma main. Il ne lâcha pas.

— Tu vas pas encore te défiler, si ? chuchota-t-il assez bas pour que seuls nous deux entendions.

Je serrai les dents, sentant les larmes monter à nouveau. Tous ces regards. Toute cette lumière. Ça brûlait. J’avais envie de fuir, envie qu’on m’oublie, qu’on me laisse tranquille. Pourquoi il faisait ça ? Je tentai de tirer un peu plus fort. Il resserra sa prise, sans violence, mais sans laisser d’échappatoire.

— Reste. Ça te tuera pas. Ça ne peut pas être aussi grave que tu sembles le croire.

Je tremblais. Je sentais la panique monter. Je ne supportais plus. Alors, dans un geste désespéré, presque brusque, je donnai un coup sec, assez fort pour qu’il lâche. Je ne regardai pas ses yeux. Je descendis de l’estrade à la hâte, ignorant les murmures autour de moi, ignorant les regards. Je courus presque hors de la salle, incapable de contenir cette boule d’angoisse qui me nouait la poitrine. Je savais ce que les autres penseraient. Que je faisais un caprice. Que je n’étais pas à ma place. Que Satoru Gojo s’était amusé à m’afficher. Je savais aussi ce qu’Ayano penserait. Qu’il me harcelait. Qu’il cherchait à me faire du mal. Mais ce qu’eux ne comprenaient pas… c’est que, pendant un instant, il m’avait retenue. Vraiment. Que j’avais existé sous ses yeux. Et ça, c’était peut-être ce qui me faisait le plus peur. Quand je fus sortie, Gojo sourit légèrement sous le regard assassin d’Ayano.

— C’est rien, les caprices des stars, vous voyez ! Plaisanta-t-il pour détendre l’atmosphère.

Et ça fonctionna très bien. La classe rigola.

— Je reviens, je vais juste la chercher et…

— Non !

Ayano le devança. Depuis la porte, elle lui lança un regard de tueur.

— Tu restes ici, je vais la chercher, monsieur le délégué ! Lança-t-elle.

— Hum… ok, j’imagine. Dit-il perplexe.

Et Ayano disparut de la porte. De mon côté, je me réfugiai à la bibliothèque où je frottais mes mains l’une contre l’autre pour évacuer mon stress. Les regards de toute la classe pesaient encore sur moi, comme s’ils étaient encore tous là, à me demander de me soumettre, de m’écraser, de m’effacer.

— Je suis désolée… murmurais-je à répétition.

— Keila ?

Je poussai un cri de terreur en regardant l’origine de la voix, puis je me calmai en réalisant que c’était Ayano. Elle me prit dans ses bras et je la serrai à mon tour.

— Je suis désolée… dis-je en pleurant.

— Tu n’as pas à t’excuser, tu n’as rien fait de mal. C’est rien. Dis-moi… est-ce qu’il t’a obligé à le faire ?

— Hein ?

— Gojo, il t’a menacé ? Ça fait combien de temps que tu lui parles ?

— Quoi ? Mais non…

— Il faut que tu me le dises quand tu te fais harceler, je veux t’aider, on est amies. Il te malmène alors il faut en…

Je ne voulais pas qu’elle dise ça. Pas après tout ce que lui, m’avait dit et tout ce qu’il faisait pour moi. Pas après que j’ai existé aux yeux de quelqu’un comme lui. Pas après qu’il m’a retenu sur cette estrade pour me forcer à me battre contre cette nature de moi que je déteste. Sans calculer mes gestes ou mes mots, je me retirai de l’étreinte d’Ayano et je criai.

— Tu te trompes ! Il a essayé de m’aider !

Nous restâmes toutes les deux subjuguées. Moi parce que je n’arrivai pas à croire que j’avais pris sa défense contre mon amie et elle parce qu’elle n’arrivait pas à croire que je lui avais crié dessus.

— Comment ça, il a essayé de t’aider ?

— … depuis hier… il a découvert que j’étais introvertie et… même si j’ignore pourquoi, il essaie de me tirer vers le haut…

— Tu es sûre de ce que tu dis ? On parle de Satoru Gojo là ! Il n’est pas vraiment du type bon samaritain qui prend le parti des autres volontiers ! T’es sûr qu’il ne joue pas juste avec tes émotions.

— Je… oui, j’en suis sûre… je sais… qu’il n’est pas… vraiment comme ça.

— (soupir) Retournons en classe, c’est mieux. Ça va aller ?

— Je… oui, ne t’en fais pas pour moi ! Me rectifiai-je en souriant à nouveau.

Nous retournâmes où nous passâmes quasiment inaperçues parce que tout le monde écoutait l’une des nombreuses histoires que Satoru Gojo ne manquait jamais à raconter. Ayano lui lança encore un terrible regard à mon insu avant d’aller s’asseoir à sa place.

La pause sonna. La cour fourmillait de monde à cette heure, les rires, les discussions, les éclats de voix créaient une cacophonie familière. Moi, comme toujours, j’avançais en bordure, discrète, le nez presque plongé dans mon livre, même si je n’en lisais pas une ligne. Il suffisait d’être là, sans se faire remarquer. C’était une routine bien rodée. J’aurais dû me douter que lui, il ne respectait pas les routines. Je le sentis avant même de le voir. Ce genre de présence qu’on ne peut ignorer, même quand on essaie de toutes ses forces. Et puis, sa voix derrière moi :

— Hé, Keila.

Je relevai la tête, surprise. Le simple fait qu’il m’appelle encore par mon prénom me désarmait. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il tendit la main et, sans gêne, effleura ma joue du bout des doigts. Là, juste là où elle avait été rouge la veille.

— Ça a l’air guéri. Commenta-t-il, le plus naturellement du monde.

Je crus sentir tout l’air autour de moi se figer. Puis, sans me laisser le temps de réagir, sa main glissa lentement sur le sommet de ma tête. Un geste sans brusquerie, presque nonchalant, comme si nous étions seuls, comme si personne n’était là pour voir. Mais je savais, sans même regarder, que tout le monde voyait. Je sentis les regards brûlants, entendis les chuchotements déjà commencer à se répandre comme une traînée de poudre. Mon cœur tambourinait, ma gorge se nouait. Une partie de moi voulait juste… fuir. Disparaître. Me fondre dans la masse.

— Tu fais quoi, espèce de crétin ?!

La voix d’Ayano claqua, tranchante. Elle fonça droit vers nous, ses yeux vert pomme lançant des éclairs.

— Tu la touches encore une fois comme ça, et je te jure que je…

Je vis Gojo hausser un sourcil, amusé, prêt à répondre par une blague. Mais avant qu’il n’ouvre la bouche, sans vraiment réfléchir, sans peser mes mots, je levai une main, doucement, et pris la parole.

— C’est bon, Ayano. Il ne fait rien de mal.

Je dis ça calmement, sans hausser la voix, sans trembler. Je sentis ses yeux s’écarquiller, tout comme ceux de Reika, un peu plus loin. Je tournai brièvement le visage vers Gojo. Il souriait, ce sourire en coin, un rien fier, mais sans éclat. Je ne sus dire si c’était pour la scène, pour moi, ou simplement parce qu’il ne savait jamais faire autrement. Je baissai légèrement la tête, murmurant presque :

— Ça va.

Puis je tournai les talons, reprenant ma marche vers la salle de classe, sans précipitation. Les murmures derrière moi étaient un brouhaha indistinct, mais je savais déjà ce qu’ils disaient. Que Satoru Gojo, le délégué intouchable, venait de caresser les cheveux de la fille la plus invisible du lycée. Que je ne m’étais pas sauvée en courant. Que j’avais souri. Les théories allaient aller bon train. Reika allait sûrement me poser mille questions. Ayano allait être encore plus méfiante. Mais moi, pour une fois, je n’avais pas l’impression de m’être noyée sous le regard des autres. Juste… d’avoir existé.

Si bien que le soir-même, alors que nous rentrions, Reika ne manqua pas de lancer la conversation.

- Keila ? Commença-t-elle simplement.

- Hum ? Dis-je en levant les yeux de mon livre pour la regarder.

- Tu parles à Satoru Gojo ?

- Je me disais bien que ça finirait par venir. Oui… depuis deux jours quoi.

- Vous avez commencé à vous parler à la rentrée.

- On s’était quand même retrouvés en colle ensemble, je ne pouvais pas vraiment l’ignorer.

- Tu vas continuer de lui parler ?

- Je suis sa suppléante, on finira forcément par, à défaut de le vouloir, devoir se parler.

Je répondais naturellement, avec un calme qui m’étonnait moi-même. Quelque chose au fond de moi avait enregistré notre relation comme normal parce que c’est lui qui m’avait approché. J’étais heureuse d’intéresser quelqu’un comme lui, ça n’arrive pas à tous les introvertis de parler avec un garçon comme Gojo. Quelqu’un d’aussi lumineux et présent. Je n’allais pas en faire trop, lui parler me suffisait pour le moment.

- Et la pause ? Intervint brutalement Ayano.

- Hum ?

- Tu ne vas pas me dire qu’il t’a caressé la joue et les cheveux parce que tu es sa suppléante ?

- Non, je ne sais pas pourquoi… il voulait juste voir si j’étais guérie pour hier… et du reste, je sais pas, il est peut-être juste comme ça ?

- Et tu le laisses faire ?

Je la regardai de travers.

- Je ne vois pas très bien où se situe le problème. Il ne m’a pas agressée encore. Dis-je en penchant la tête pour la regarder.

- Non, mais d’abord tu le laisses te toucher la tête et ensuite, qui sait ce que tu le laisseras faire ! C’est de la manipulation ! Limite du lavage de cerveau ! Redescends un peu ! On parle de Satoru Gojo ! Lui, il s’intéresse à une petite intello comme ils nous appellent ? Sans rien demander en retour ? Ça sonne faux rien qu’en le disant !

Je voulus parler, mais j’hésitai. Je réfléchis à tous les récents évènements. Qu’est-ce qui aurait pu être un déclencheur valable ? La bagarre en classe ? C’est stupide de s’attacher à quelqu’un comme ça ?! Alors quoi ? Ayano aurait raison ?… il n’en a… pas vraiment quoi que ce soit à faire de moi ?… je baissai la tête, découragée.

- Je ne veux pas spécialement détruire tes espoirs, mais tu devrais faire profil bas avec lui. Déjà que toute l’école pense que vous êtes ensemble. Éloigne-toi de lui un petit moment, ok ?

- Oui… tu as… sûrement raison…

Et c’est ce que je fis les jours qui suivirent. Nos interactions, en tant que délégué et suppléante, ne s’arrêtaient qu’au strict nécessaire. À y regarder de plus près, je l’évitai. Je ne voulais pas faire ça, mais j’avais besoin de mettre des mots, et des mots clairs sur ce que je pouvais bien représenter pour lui. Et comme je ne voulais pas lui demander, au risque de l’ennuyer, je devais y réfléchir moi-même. Nous avions donc presque repris notre quotidien tranquille au début du mois de juin. Ce jour-là, je buvais une brique de jus sur le toit de l’école, seule. C’était normalement interdit par le règlement, mais tous les endroits où je pouvais être seule me convenait.

- Au final, ça fait deux mois que je cogite et je n’arrive pas à comprendre ce qui a bien pu le pousser à me parler au début de l’année… pour quoi faire ? Qu’est-ce que ça lui rapportait ? Je ne comprends pas ? Ou alors il me trouvait juste un attrait bizarre, il me regardait un peu comme on regarde un monstre de foire ? Je ne sais pas… il a beaucoup essayé de me parler les derniers mois… et je l’ai esquivé, comme Ayano me l’a conseillé… et je vois bien qu’il ne comprend pas… que ça le rend perplexe… mais je ne sais même pas ce que je suis censée lui expliquer… après tout, ce n’est pas comme si nous étions amis et qu’il voulait savoir pourquoi je ne lui parle plus. Peut-être… que je ne devrais juste plus y réfléchir et m’écarter de lui pour la simple et bonne raison que je ne suis pas de son rang… je n’appartiens pas à sa sphère sociale et je n’y ai pas ma place… oui… c’est sûrement…

- Coincée. Me chantonna une voix à l’oreille.

Je sursautai en me décalant sur la gauche et je le regardai. Ce même bleu. Ce même magnifique bleu cristal. Mon souffle resta bloquai quelque part dans mon diaphragme tandis que je le fixai. Il ne souriait pas. Il n’y avait pas a moindre lueur d’amusement dans ses yeux. Je finis par me ressaisir et, m’éclaircissant la voix et détournant le regard, je préparai ma retraite.

- Désolée, je ne savais pas que tu étais là. J’avais l’habitude de venir ici l’an dernier. Tu peux rester là, c’est moi qui m’en vais.

Je tournai donc les talons et je me préparai à partir, mais il attrapa mon poignet et me ramena contre la rambarde avant de me bloquer les issues à droite et à gauche avec ses bras. Il me regardait au plus profond des yeux.

- C’est bon, c’était marrant deux minutes, maintenant on arrête ce petit jeu.

- Hein ? Dis-je, tentant encore de comprendre comment je m’étais retrouvée coincée entre la rambarde c’est-à-dire techniquement le vide et lui, Satoru Gojo en personne.

- Pourquoi tu m’ignores ?

- Je… je ne t’ignore pas.

- C’est vrai, on ne peut pas appeler ça ignorer. Du coup, je corrige ma question : Pourquoi tu m’évites ?

- Je… c’était… pas comme ça que je voulais que tu voies les choses.

- Et comment voulais-tu que je les vois ? Me demanda-t-il comme par ironie.

- … J’aurais préféré que tu comprennes que j’essaie de te laisser tranquille.

- Je t’ai dit que tu me gênais pour que tu ressentes le besoin de me laisser tranquille ?

- Tu ne l’as pas dit… mais ça doit te fatiguer de devoir encourager une coincée comme moi, non ? Tes amis vont penser des choses… toute l’école d’ailleurs… ça ruinerait ton image.

- Ça te ressemble déjà beaucoup plus, mais j’ai un sixième sens pour détecter quand on me prend pour un idiot et là, tu ne me dis qu’une partie de la vérité. Avoue.

Je baissai encore plus la tête si c’était même possible.

- Tu vois ?

Il retira une de ses mains de la rambarde et prit mon menton entre son pouce et son index pour me forcer à lever la tête. Je rencontrai à nouveau cette magnifique couleur bleue. Pourtant, il y brillait quelque chose que je ne voulais pas y voir. Un mélange subtil de perplexité, de colère, d’incompréhension, d’envie de comprendre, d’encouragement et… de tristesse. Je serrai la mâchoire. Sans savoir comment ni pourquoi, je levai la main et la posai sur sa joue.

- S’il te plaît, ne me regarde pas comme ça.

- Hmm ?

- J’ai l’impression… de t’avoir déçu.

- … Si tu veux pas que je te regarde comme ça, dis-moi juste ce qui ne va pas. J’ai fait quelque chose de mal ?

Sa voix était devenue plus basse, quasiment un murmure et il s’était penché plus près de mon visage, de sorte que son souffle y flottait, déclenchant une avalanche de chair de poule le long de mes bras et mon dos. Nous nous regardions droit dans les yeux, si bien que, comme à la lecture d’un roman dont les pages, envoûtantes et mystérieuses tout comme ses yeux, déconnectent le lecteur de ses sensations familières et de son environnement habituel, je sentais le monde autour de nous disparaître totalement pour laisser place à un vide, un espace qui n’existerait que pour nous.

- Je… commençai-je. Je voulais essayer de comprendre…

- Hmm ? Fit-il comme pour m’encourager.

- Ce qui a bien pu te pousser à me parler du jour au lendemain, toi qu’on appelle L’altesse du lycée. Je devrais être le cadet de tes soucis… alors je ne comprenais pas comment tu pouvais m’avoir remarquée si soudainement. Ça me perturbait… et comme tout ce qui me perturbe, j’ai essayé de le regarder de loin pour le comprendre.

Il sourit un peu.

- Et ça a marché ?

- Pas du tout… je suis peut-être même encore plus perdue qu’avant.

- Eh bien… si tu m’avais demandé, tu aurais su… que je t’ai toujours regardée… toi… tes rares sourires, tes mimiques, ta manie de rigoler toute seule aux blagues que tu lis dans un roman, tes airs rêveurs dès que tu dois raconter une histoire sur papier… j’ai toujours tout regarder. Si je ne me suis mis à te parler que cette année… c’est parce que je ne voulais pas prendre le risque que tu me trouves ennuyant par rapport à ton monde.

Je ris un petit peu en baissant les yeux.

- Comme si tu pouvais être ennuyant.

- Ça me fait plaisir, merci. Tu peux arrêter de m’éviter alors. J’ai vraiment eu peur de t’avoir ennuyé quand tu as commencé à faire ça.

Je relevai timidement les yeux vers lui, avec un sourire discret.

- D’accord, désolée de t’avoir fait ça.

- Peu importe, tu ne pouvais pas savoir, je ne t’ai rien dit. Et il y avait de quoi me trouver un peu chelou, oui.

Il s’éloigna de mon visage et je réalisai seulement là que j’avais retenu mon souffle, d’où la sensation que le moment avait été suspendu dans le temps.

- On fait la paix ?

Il me tendit la main.

- On était pas en guerre pour autant. Dis-je en riant.

Et je serrai sa main. Elle était tellement plus grande que la mienne, plus forte et bizarrement, bien plus chaude. Il me tira contre lui dans ses bras. Je me figeai un instant. Je n’avais rien compris. Avant même de m’en rendre compte, je fondis dans son contact et me détendit. Instinctivement, mon cerveau s’était mis à tout analyser pour se rattacher à n’importe quoi de familier qui m’ôterait cette impression de flottement que me procurait son étreinte. J’avais les poings serrés contre sa poitrine et il avait les bras autour de mes épaules. J’avais le visage pratiquement enfoui dans son épaule, inhalant son parfum. C’était une odeur que je ne connaissais pas, d’un parfum sûrement cher, de marque et que sais-je encore, tout ce que je peux dire, c’est que cette odeur resta gravée dans ma mémoire comme étant la sienne et rien d’autre. Autre sensation, il était brulant. J’avais l’impression d’être un glaçon en comparaison de lui. Il faisait au moins quarante degrés dans ses bras. Après un moment, il recula.

- Désolé, je ne sais pas du tout ce qui m’a pris. Dit-il en souriant légèrement, comme si malgré tout, ce n’était pas grave.

Et quelque part, sa désinvolture était contagieuse. C’était pas si grave, franchement. Je ris.

- Et comment comprendre seule quelqu’un qui ne se comprend parfois pas lui-même. La prochaine fois je ne ferai pas la maligne, je te demanderai directement.

- Ça me rassure. Et en fait, oublie les autres et ma réputation.

- C’est évident pour toi parce qu’ils t’adorent. Tu es leur petit dieu sur terre.

- Ils ne m’adorent pas, au contraire, la plupart d’entre eux me détestent, mais ils n’ont rien à me reprocher à part d’être parfait. Ce qui n’est pas un crime.

Je ris encore.

- Je ne vivrai jamais en fonction de leur avis parce que je sais ce qu’ils disent de moi dès qu’ils savent que je ne les entends pas. En vrai je suis comme toi, des amis, j’en ai à peine deux, mais contrairement à toi, j’ai aussi autour de ma vie un vol complet de vautours prêt à me dévorer à la moindre de mes erreurs.

- Je n’avais… encore jamais vu les choses sous cet angle. Désolée de t’avoir jugée si vite. Je disais des trucs sur toi sans même te connaître.

Il s’appuya à nouveau à la rambarde, regardant la cour en bas, le sourire absent aux lèvres.

- On pense beaucoup de choses des gens sans les connaître… c’est pour ça que je t’ai parlé au début de l’année… j’avais le sentiment qu’on était pareils toi et moi… seuls… malgré les apparences et ce que les gens veulent en penser… c’est ce qu’on est vraiment. Et j’avais raison, au final, je suis content de t’avoir parlé. En fait je t’aime bien.

Il me sourit, ne réalisant visiblement pas qu’il venait de faire buguer mon cerveau avec la fin de sa phrase. Il fallut le retentissement de la sonnerie de fin de pause pour me sortir de cette transe et me faire retourner en classe avec le feu aux joues.

Les règles ne changent pas ici, na pas reproduire mon travail à moins de préciser que c'est le mien !

#jujutsu kaisen #gojo satoru

1 note · View note